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Le Soir Mardi 8 décembre 2015
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SCIENCES&SANTÉ
L
’eau de Javel, on le sait, c’est
la mort des bactéries. Mais
l’on ignore souvent que certaines
de nos cellules sont aussi ca-
pables de synthétiser de l’hypo-
chlorite, le même agent actif que
celui de l’eau de Javel, pour com-
battre ces bactéries. Celles-ci ont
toutefois développé une tech-
nique de riposte à l’hypochlorite.
Comment font-elles et comment
déjouer cette parade pour mieux
supprimer les bactéries, c’est la
nouvelle découverte, que publie
aujourd’hui l’équipe du profes-
seur Jean-François Collet, maître
de recherche FNRS à l’Institut de
Duve de l’UCL et investigateur
Welbio, dans la prestigieuse re-
vue Nature.
Les chercheurs de l’UCL ont
découvert un système, baptisé
MsrPQ, qui permet aux bactéries
à Gram négatif de se défendre
contre l’eau de Javel et l’hypo-
chlorite. Ces bactéries sont en-
tourées d’une fortification appe-
lée « enveloppe bactérienne » et
c’est elle que l’hypochlorite at-
taque en oxydant les protéines
présentes au sein de cette enve-
loppe. Ce qui les déstabilise et les
inactive, « comme si on attaquait
et détruisait les briques utilisées
pour construire les murs d’en-
ceinte des bactéries, fragilisant
ainsi la fortification ». Le nou-
veau système découvert assure la
protection des protéines de l’en-
veloppe endommagées par l’hy-
pochlorite en réparant certains
dommages. Le plus étonnant,
c’est que les bactéries n’utilisent
ce système de défense qu’en der-
nier recours, quand leur survie
est effectivement mise en danger.
Les chercheurs ont soumis les
bactéries à une attaque radicale :
« La bactérie Escherichia coli,
bactérie très commune chez l’être
humain, nous a servi de modèle.
Comment ? En la privant d’une
série de mécanismes de défense et
en la poussant dans ses derniers
retranchements. Fragilisée, la
bactérie a ensuite été mise sous
pression pour l’obliger à faire un
choix : activer une stratégie de dé-
fense inédite, une sorte de système
D pour survivre, ou mourir. Cer-
taines bactéries ont réussi à acti-
ver ce système D et à subsister »,
explique le professeur Jean-
François Collet.
Une faille au sein de la bactérie
Fondamentale pour la compré-
hension des mécanismes de régu-
lation des protéines des cellules,
cette découverte pourrait égale-
ment déboucher sur des applica-
tions directement applicables en
médecine. Car ce mécanisme de
défense aide les bactéries à résis-
ter aux antibiotiques actuels. Il
pourrait donc représenter une
faille sur laquelle cibler l’action
de futures molécules antibio-
tiques. « Mais il faut souligner
que des composants capables de le
faire n’ont pas encore été identi-
fiés, nous ne sommes encore
qu’aux prémices. Il aurait néan-
moins été impossible de les déve-
lopper dans l’ignorance de cette
faille au sein de la bactérie. Dimi-
nuer l’efficacité de ce mécanisme
de défense diminue également la
virulence de la bactérie, ce qui mi-
nimise les effets négatifs sur la
santé humaine, animale ou
même végétale. En somme, on
désarmerait ainsi les pompiers
qui éteignent l’incendie que pro-
voque l’hypochlorite sur la bacté-
rie. »
Fr.So
Comment
nos bactéries
déjouent leau
de Javel
ANTIBIOTIQUES
C
’est un exemple magistral
que la recherche fonda-
mentale peut ouvrir de
nouvelles pistes contre des mala-
dies graves : c’est en étudiant la
manière dont les neurones se dé-
veloppent dans le cortex cérébral,
lors de la gestation, qu’une
équipe de chercheurs de l’ULg a
mis à jour un mécanisme qui en-
traîne une maladie grave, la mi-
crocéphalie. Celle-ci voit des en-
fants manquer jusqu’à 50 % de
neurones, sans qu’il soit possible
d’infléchir cette conséquence,
même si la maladie est détectée.
Leur découverte, publiée aujour-
d’hui dans la revue Developmen-
tal Cell, pourrait déboucher sur
un traitement apte à entraver la
maladie avant la naissance.
Explications : la microcépha-
lie, malformation du cerveau liée
à une insuffisance du nombre de
neurones dans le cerveau, est une
maladie qui natteint qu’une nais-
sance sur 10.000, mais qui, une
fois décelée lors d’une échogra-
phie, ne peut plus être infléchie.
Certains enfants naissent avec un
retard mental limité, mais
d’autres sont lourdement affec-
tés, souffrent de crises d’épilepsie
et demandent parfois une aide
permanente à vie. Les résultats
publiés aujourd’hui permettent
d’envisager une solution à cette
affection dans les années à venir.
Les chercheurs de l’unité de re-
cherche de neurosciences du Gi-
ga de l’Université de Liège dé-
voilent les mécanismes qui
conduisent à ce sous-développe-
ment du cerveau et du cortex cé-
rébral en particulier. Ils ont en ef-
fet découvert que lorsqu’un com-
plexe de protéines appelé Elon-
gator est absent des
cellules-souches du cortex,
celles-ci vont donner naissance à
des neurones exclusivement de
manière directe, faisant l’im-
passe sur la production indirecte
de neurones, étape postérieure
du développement du cerveau.
Elles ne produisent donc plus au-
tant de cellules appelées « progé-
niteurs intermédiaires » via la
neurogenèse indirecte, dont le
rôle est de multiplier le nombre
de neurones. Au total, il y aura
donc moins de neurones et donc
une microcéphalie.
Qu’est-ce que Elongator ? Le
terme désigne un complexe de
protéines – qui est composé de 6
sous-unités, dont deux sont par-
ticulièrement importantes :
« Elp 1 » et « Elp 3 », la sous-uni-
té enzymatique.
Etrangement, les chercheurs
ont déterminé que si ce complexe
est affecté par un stress quel-
conque (anomalie génétique,
consommation d’alcool durant la
grossesse, infection virale) mais
pas totalement détruit, le méca-
nisme de création de neurones
n’est pas totalement inhibé. Mais
leur nouvelle recherche met en
évidence que si Elongator dispa-
raît totalement, la microcéphalie
apparaît de manière sévère. «Ce
n’est évidemment pas sur des em-
bryons humains que ces constats
ont été effectués », explique
Laurent Nguyen, chercheur
FNRS et superviseur de l’unité de
recherche neurosciences du Gi-
ga. « Nous avons mis au point
une souris modifiée génétique-
ment, capable de faire “dispa-
raître” complètement l’activité
d’Elongator de ses progéniteurs.
De façon inattendue, les souris
invalidées présentaient une mi-
crocéphalie sévère ! »
Après les souris, l’expérience a
été réitérée chez la mouche, puis
sur des souches humaines, grâce
à des cellules-souches de patients
souffrant d’une mutation. «On
les a reprogrammées en cellules-
souches pluripotentes induites,
cultivées de manière à ce qu’elles
génèrent du système nerveux ».
Une analyse moléculaire a dé-
montré que la cause de ce méca-
nisme est due à un stress d’abord
ressenti au niveau de la mem-
brane du réticulum endoplas-
mique. Ensuite, différents récep-
teurs vont traduire la réaction via
une « voie de signalisation », ap-
pelée UPR. Pour savoir si cette
découverte pourrait servir à dé-
velopper un moyen de contrer la
microcéphalie, il s’agit d’abord de
déterminer si cette fameuse voie
de signalisation est effectivement
altérée chez les patients microcé-
phales. Et si c’est le cas, de réta-
blir son fonctionnement normal
durant la gestation. De quoi
nourrir le travail des prochaines
années…
FRÉDÉRIC SOUMOIS
Une solution contre la menace
de la microcéphalie
NEUROLOGIE L’ULg dévoile les causes du manque de neurones
Les chercheurs
dévoilent la cause
du manque de neurones.
Et entrevoient
un traitement.
La microcéphalie n’atteint qu’une naissance sur 10.000, mais, une fois décelée lors d’une échographie, elle ne peut plus être infléchie. © REUTERS.
ENTRETIEN
L
aurent Nguyen est chercheur FNRS et
superviseur de l’unité de recherche neu-
rosciences du Giga.
Peut-on espérer une solution contre la mi-
crocéphalie dans les prochaines années ?
Honnêtement, ce n’était pas notre objectif
premier, qui était de comprendre comment
fonctionne le développement de neurones
lors de la phase embryonnaire. Mais nous
avons découvert que la voie de signalisation
que nous avons dévoilée, si elle est profondé-
ment perturbée, provoque ce défaut de déve-
loppement. Il est donc logique que l’on forme
le projet que cette meilleure compréhension
amène à diminuer, voire supprimer cette
maladie, lourdement invalidante pour les
malades et pour leurs familles. Certains
peuvent travailler à l’âge adulte, mais
d’autres restent lourdement handicapés.
Mais existe-t-il des molécules qui peuvent
réguler le stress qui semble provoquer ce
déséquilibre ?
Oui, certaines molécules parviennent théo-
riquement à rétablir cet équilibre. Mais on
est encore loin d’une simple pilule à avaler
par la mère lors de la gestation. D’abord, il
faudrait augmenter la qualité de la résolu-
tion de l’imagerie cérébrale pour que tous les
indices de microcéphalie puissent être détec-
tés lors de l’échographie et qu’il soit possible
d’intervenir à temps. Ensuite, on pourrait
imaginer un traitement curatif ou permet-
tant d’alléger la pathologie à base de ces mo-
lécules capables de bloquer la transduction
du stress. Mais il faudrait encore qu’une fois
ingérées par la mère ou injectées, ces molé-
cules puissent passer la barrière du placenta
pour atteindre l’embryon. La barrière encé-
phalique de l’embryon est assez perméable,
mais le placenta fait obstacle en « proté-
geant » l’embryon de ce qui est reconnu
comme un produit extérieur. Et on ne peut
évidemment pas pénétrer le placenta sans
créer un risque important pour le fœtus. Ce
n’est pas gagné, mais des tests viennent de
commencer sur les souris.
Mais allez-vous également travailler auprès
des patients humains ?
Oui, même si ce remède ne serait évidem-
ment efficace que durant la neurogenèse et
ne pourrait donc pas être utilisé a posteriori
après la naissance. Des collaborations
viennent de commencer avec les cliniciens,
afin de déterminer si cette fameuse voie de
signalisation est altérée chez les patients mi-
crocéphales. Par ailleurs, le syndrome d’al-
coolisation fœtale, caractérisé par une mi-
crocéphalie syndromique, va être étudié :
l’abus d’alcool de la mère durant la grossesse
induit-il du stress et, par conséquent, une
altération de la voie de signalisation qui
aboutit à la malformation corticale ? Nous
travaillerons avec des collègues français.
C’est la prochaine étape. On en est encore
aux balbutiements. La beauté de cette re-
cherche, c’est qu’en partant d’une analyse de
base, non orientée, on découvre des méca-
nismes intéressants pour la pathologie hu-
maine.
Propos recueillis par
Fr.So
l’expert « Passer la barrière du placenta »
Laurent Nguyen supervise l’unité
de recherche neurosciences du Giga. © D.R.
Certains enfants naissent
avec un lourd retard
mental et souffrent
de crises d’épilepsie
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