Le Soir Mardi 8 décembre 2015 SCIENCES&SANTÉ Une solution contre la menace de la microcéphalie NEUROLOGIE L’ULg dévoile les causes du manque de neurones ’est un exemple magistral que la recherche fondamentale peut ouvrir de nouvelles pistes contre des maladies graves : c’est en étudiant la manière dont les neurones se développent dans le cortex cérébral, lors de la gestation, qu’une équipe de chercheurs de l’ULg a mis à jour un mécanisme qui entraîne une maladie grave, la microcéphalie. Celle-ci voit des enfants manquer jusqu’à 50 % de neurones, sans qu’il soit possible d’infléchir cette conséquence, même si la maladie est détectée. Leur découverte, publiée aujourd’hui dans la revue Developmental Cell, pourrait déboucher sur un traitement apte à entraver la maladie avant la naissance. Explications : la microcéphalie, malformation du cerveau liée à une insuffisance du nombre de neurones dans le cerveau, est une maladie qui n’atteint qu’une naissance sur 10.000, mais qui, une fois décelée lors d’une échographie, ne peut plus être infléchie. Certains enfants naissent avec un retard mental limité, mais d’autres sont lourdement affectés, souffrent de crises d’épilepsie et demandent parfois une aide permanente à vie. Les résultats publiés aujourd’hui permettent d’envisager une solution à cette affection dans les années à venir. Les chercheurs de l’unité de recherche de neurosciences du Giga de l’Université de Liège dévoilent les mécanismes qui conduisent à ce sous-développement du cerveau et du cortex cérébral en particulier. Ils ont en effet découvert que lorsqu’un complexe de protéines appelé Elongator est absent des cellules-souches du cortex, C celles-ci vont donner naissance à des neurones exclusivement de manière directe, faisant l’impasse sur la production indirecte de neurones, étape postérieure du développement du cerveau. Elles ne produisent donc plus autant de cellules appelées « progéniteurs intermédiaires » via la neurogenèse indirecte, dont le rôle est de multiplier le nombre de neurones. Au total, il y aura donc moins de neurones et donc une microcéphalie. Qu’est-ce que Elongator ? Le terme désigne un complexe de protéines – qui est composé de 6 sous-unités, dont deux sont particulièrement importantes : « Elp 1 » et « Elp 3 », la sous-unité enzymatique. Etrangement, les chercheurs ont déterminé que si ce complexe est affecté par un stress quelconque (anomalie génétique, consommation d’alcool durant la grossesse, infection virale) mais pas totalement détruit, le mécanisme de création de neurones n’est pas totalement inhibé. Mais leur nouvelle recherche met en évidence que si Elongator disparaît totalement, la microcéphalie apparaît de manière sévère. « Ce n’est évidemment pas sur des embryons humains que ces constats ont été effectués », explique Laurent Nguyen, chercheur FNRS et superviseur de l’unité de recherche neurosciences du Giga. « Nous avons mis au point une souris modifiée génétique- ment, capable de faire “disparaître” complètement l’activité d’Elongator de ses progéniteurs. De façon inattendue, les souris invalidées présentaient une microcéphalie sévère ! » Certains enfants naissent avec un lourd retard mental et souffrent de crises d’épilepsie Après les souris, l’expérience a été réitérée chez la mouche, puis sur des souches humaines, grâce à des cellules-souches de patients souffrant d’une mutation. « On les a reprogrammées en cellulessouches pluripotentes induites, cultivées de manière à ce qu’elles génèrent du système nerveux ». Une analyse moléculaire a démontré que la cause de ce mécanisme est due à un stress d’abord ressenti au niveau de la membrane du réticulum endoplasmique. Ensuite, différents récepteurs vont traduire la réaction via une « voie de signalisation », appelée UPR. Pour savoir si cette découverte pourrait servir à développer un moyen de contrer la microcéphalie, il s’agit d’abord de déterminer si cette fameuse voie de signalisation est effectivement altérée chez les patients microcéphales. Et si c’est le cas, de rétablir son fonctionnement normal durant la gestation. De quoi nourrir le travail des prochaines années… ■ FRÉDÉRIC SOUMOIS l’expert « Passer la barrière du placenta » comme un produit extérieur. Et on ne peut évidemment pas pénétrer le placenta sans créer un risque important pour le fœtus. Ce n’est pas gagné, mais des tests viennent de commencer sur les souris. ENTRETIEN aurent Nguyen est chercheur FNRS et superviseur de l’unité de recherche neurosciences du Giga. L Peut-on espérer une solution contre la microcéphalie dans les prochaines années ? Honnêtement, ce n’était pas notre objectif premier, qui était de comprendre comment fonctionne le développement de neurones lors de la phase embryonnaire. Mais nous avons découvert que la voie de signalisation que nous avons dévoilée, si elle est profondément perturbée, provoque ce défaut de développement. Il est donc logique que l’on forme le projet que cette meilleure compréhension amène à diminuer, voire supprimer cette maladie, lourdement invalidante pour les malades et pour leurs familles. Certains peuvent travailler à l’âge adulte, mais d’autres restent lourdement handicapés. Mais existe-t-il des molécules qui peuvent réguler le stress qui semble provoquer ce déséquilibre ? Oui, certaines molécules parviennent théoriquement à rétablir cet équilibre. Mais on est encore loin d’une simple pilule à avaler par la mère lors de la gestation. D’abord, il faudrait augmenter la qualité de la résolution de l’imagerie cérébrale pour que tous les Laurent Nguyen supervise l’unité de recherche neurosciences du Giga. © D.R. indices de microcéphalie puissent être détectés lors de l’échographie et qu’il soit possible d’intervenir à temps. Ensuite, on pourrait imaginer un traitement curatif ou permettant d’alléger la pathologie à base de ces molécules capables de bloquer la transduction du stress. Mais il faudrait encore qu’une fois ingérées par la mère ou injectées, ces molécules puissent passer la barrière du placenta pour atteindre l’embryon. La barrière encéphalique de l’embryon est assez perméable, mais le placenta fait obstacle en « protégeant » l’embryon de ce qui est reconnu Comment nos bactéries déjouent l’eau de Javel ANTIBIOTIQUES ’eau de Javel, on le sait, c’est la mort des bactéries. Mais L l’on ignore souvent que certaines La microcéphalie n’atteint qu’une naissance sur 10.000, mais, une fois décelée lors d’une échographie, elle ne peut plus être infléchie. © REUTERS. Les chercheurs dévoilent la cause du manque de neurones. Et entrevoient un traitement. 23 Mais allez-vous également travailler auprès des patients humains ? Oui, même si ce remède ne serait évidemment efficace que durant la neurogenèse et ne pourrait donc pas être utilisé a posteriori après la naissance. Des collaborations viennent de commencer avec les cliniciens, afin de déterminer si cette fameuse voie de signalisation est altérée chez les patients microcéphales. Par ailleurs, le syndrome d’alcoolisation fœtale, caractérisé par une microcéphalie syndromique, va être étudié : l’abus d’alcool de la mère durant la grossesse induit-il du stress et, par conséquent, une altération de la voie de signalisation qui aboutit à la malformation corticale ? Nous travaillerons avec des collègues français. C’est la prochaine étape. On en est encore aux balbutiements. La beauté de cette recherche, c’est qu’en partant d’une analyse de base, non orientée, on découvre des mécanismes intéressants pour la pathologie humaine. ■ Propos recueillis par Fr.So de nos cellules sont aussi capables de synthétiser de l’hypochlorite, le même agent actif que celui de l’eau de Javel, pour combattre ces bactéries. Celles-ci ont toutefois développé une technique de riposte à l’hypochlorite. Comment font-elles et comment déjouer cette parade pour mieux supprimer les bactéries, c’est la nouvelle découverte, que publie aujourd’hui l’équipe du professeur Jean-François Collet, maître de recherche FNRS à l’Institut de Duve de l’UCL et investigateur Welbio, dans la prestigieuse revue Nature. Les chercheurs de l’UCL ont découvert un système, baptisé MsrPQ, qui permet aux bactéries à Gram négatif de se défendre contre l’eau de Javel et l’hypochlorite. Ces bactéries sont entourées d’une fortification appelée « enveloppe bactérienne » et c’est elle que l’hypochlorite attaque en oxydant les protéines présentes au sein de cette enveloppe. Ce qui les déstabilise et les inactive, « comme si on attaquait et détruisait les briques utilisées pour construire les murs d’enceinte des bactéries, fragilisant ainsi la fortification ». Le nouveau système découvert assure la protection des protéines de l’enveloppe endommagées par l’hypochlorite en réparant certains dommages. Le plus étonnant, c’est que les bactéries n’utilisent ce système de défense qu’en dernier recours, quand leur survie est effectivement mise en danger. Les chercheurs ont soumis les bactéries à une attaque radicale : « La bactérie Escherichia coli, bactérie très commune chez l’être humain, nous a servi de modèle. Comment ? En la privant d’une série de mécanismes de défense et en la poussant dans ses derniers retranchements. Fragilisée, la bactérie a ensuite été mise sous pression pour l’obliger à faire un choix : activer une stratégie de défense inédite, une sorte de système D pour survivre, ou mourir. Certaines bactéries ont réussi à activer ce système D et à subsister », explique le professeur JeanFrançois Collet. Une faille au sein de la bactérie Fondamentale pour la compréhension des mécanismes de régulation des protéines des cellules, cette découverte pourrait également déboucher sur des applications directement applicables en médecine. Car ce mécanisme de défense aide les bactéries à résister aux antibiotiques actuels. Il pourrait donc représenter une faille sur laquelle cibler l’action de futures molécules antibiotiques. « Mais il faut souligner que des composants capables de le faire n’ont pas encore été identifiés, nous ne sommes encore qu’aux prémices. Il aurait néanmoins été impossible de les développer dans l’ignorance de cette faille au sein de la bactérie. Diminuer l’efficacité de ce mécanisme de défense diminue également la virulence de la bactérie, ce qui minimise les effets négatifs sur la santé humaine, animale ou même végétale. En somme, on désarmerait ainsi les pompiers qui éteignent l’incendie que provoque l’hypochlorite sur la bactérie. » ■ Fr.So 23