© POUR LA SCIENCE -N° 371 SEPTEMBRE 2008
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i n t e rc e l l u l a i res sont répandues dans le monde bactérien,
mais comment s’établissent-elles ?
Les bactéries fabriquent des molécules, nommées auto-
inducteurs, qu’elles libèrent dans le milieu extracellulaire
(voir la figure 3). À mesure que la population croît, la quan-
tité de ces molécules augmente et atteint un seuil au-delà
duquel elles sont détectées par le groupe. Cette perc e p-
tion, soit par des récepteurs, soit après leur entrée dans la
bactérie, entraîne la modification de l’expression des gènes
chez chaque membre de la population. Ainsi, grâce à ce
mécanisme astucieux, les bactéries fonctionnent à la façon
d’un organisme multicellulaire et en tirent des avantages
précieux qu’elles seraient incapables d’obtenir en agissant
seules. Des travaux récents ont montré que plusieurs
ARN
régulateurs sont au centre de ce mécanisme de communi-
cation bactérienne. La fabrication de facteurs de virulence
par des bactéries qui infectent les cellules d’un organisme
est parfois sous la dépendance d’un tel système. Vo y o n s
cela avec Vibrio cholerae.
Pour s’adapter et survivre aux diff é ren ts enviro n n e -
ments (cours d’eau et intestins), Vibrio cholerae dispose de
plusieurs systèmes lui permettant d’estimer la densité
bactérienne afin de coordonner l’état physiologique de
chaque bactérie en tant que population homogène. Au moins
sept
A R N
r é g u lateurs sont impliqués, dont quatre (Q r r 1
à 4) fonctionnent par appariements, c’est-à-dire qu’ils s’as-
socient à des
A R N
messagers et en contrôlent la traduction,
et trois autres (C s r
B
à
D
) qui empêchent des protéines régu-
latrices d’agir en les éloignant de leurs cibles (voir la figure 4 ).
Lorsque les bactéries sont en phase de latence (elles ne se
multiplient pas), elles fabriquent ces diff é rents
A R N
r é g u -
lateurs, mais le frein que ces derniers constituent est levé
lors d’un épisode infectieux: dans l’intestin, les pro t é i n e s
régulatrices deviennent disponibles et favorisent l’interac-
tion des pathogènes avec les cellules de l’hôte ainsi que la
mobilité des bactéries et la production des facteurs de
v i r ulence, le plus important étant la toxine cholérique.
Les
ARN
régulateurs Csr contiennent, au sein de leurs
séquences, des leurres qui attirent jusqu’à 18 protéines régu-
latrices, empêchant leur fixation sur des
A R N
m e s s a g e r s
cibles. Quant aux
ARN
Qrr, avec une protéine chaperonne
(qui impose sa forme à l’
ARN
), ils se fixent sur l’
ARN
mes-
sager d’une protéine essentielle à la formation de biofilms
et à la fabrication des facteurs de virulence. En s’associant
ainsi, les
A R N
Qrr empêchent la traduction de cet
A R N
messager et conduisent à sa dégradation. Grâce à ces
ARN
régulateurs, la réaction des bactéries à l’enviro n n e m e n t
est rapide et réversible: en effet, le temps de vie des
ARN
régulateurs est court, leur action est donc temporaire.
Le staphylocoque doré (Staphylococus aure u s ) fabrique lui
aussi de nombreux facteurs de virulence selon la densité
c e l l u l a i re. Cette bactérie est l’une des causes les plus courantes
d’infections nosocomiales, c’est-à-dire contractées en milieu
h o s p i t a l i e r, et de pathologies liées à la production de toxines.
Ce pathogène de l’homme et de l’animal est responsable d’in-
fections graves dites purulentes (abcès, furoncles) ou géné-
ralisées (septicémies, chocs toxiques). Parmi les facteurs de
v i r ulence de Staphylococus aure u s , on trouve des toxines, des
enzymes et des protéines extracellulaires grâce auxquelles
le micro - o rganisme adhère à diff é r entes surfaces biologiques.
ADN
ARN
Site de fixation
du ribosome
a
b
c
La production de ces facteurs est séquentielle (ils ne sont pas
tous fabriqués au même moment) et placée sous le contrôle
de systèmes complexes de régulation. L’ensemble forme ainsi
un réseau sensible aux signaux extérieurs qu’il transmet à
l’ensemble de la machinerie cellulaire. Ainsi, avec ces
A R N
régulateurs, les bactéries Staphylococus aure u s e t Vibrio chole-
r a e disposent d’un moyen efficace de communication, grâce
auquel elles s’adaptent à leur enviro n n e m e n t .
Le système
A
g r
Staphylococus a u r e u s se caractérise par des systèmes de régu-
lation à deux composants. Ces systèmes sont constitués
de deux protéines, l’une membranaire et l’autre cytoplas-
mique. La pre m i è r e est le capteur : quand elle détecte un
signal extérieur, par exemple un auto-inducteur, elle accro c h e
un groupe phosphate qui est ensuite transféré à la pro-
téine cytoplasmique. Ainsi parée, cette dernière favorise
l’expression de gènes cibles.
Les diff é rentes souches de bactéries sont groupées selon
le signal extérieur (un peptide) qu’elles produisent. De façon
re m a rquable, chaque peptide auto-inducteur, bien qu’ac-
tivant la modification de l’expression des gènes du groupe
qui le produit, inhibe ce processus de re p ro g r a m m a t i o n
génétique au sein des autres gro u p e s a p p a re n t é s ! A i n s i ,
au cours de l’infection, la multiplication d’un groupe de
bactéries se fait au détriment des autres.
Chez Staphylococus aure u s , le système à deux composants
nommé
A
gr (pour Accessory gene re g u l a t o r) est un régula-
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