DOSSIER
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 15AMC pratique n°239 juin 2015
MISE AU POINT
Les grands essais cliniques ont ouvert, au
début des années 1970, l’ère de l’evidence
based medicine, la médecine basée sur les
preuves. La vérité qui en est issue est, actuel-
lement, à la base des recommandations
nationales et internationales opposables éla-
borées par les experts des différentes spécia-
lités. Cette vérité ne s’impose pas toujours
d’emblée et il arrive qu’elle n’émerge que
progressivement au gré de publications sou-
vent contradictoires.
Mais une fois acquise, une fois admise, cette
vérité issue des grands essais cliniques est-elle
définitive ?
Oui, pour beaucoup de ces vérités
qui sont devenues pérennes et n’ont
plus été remises en question.
– Il en est ainsi, dans l’insuffisance
cardiaque ; il est démontré que cer-
taines médications et/ou procédures
diminuent la morbi-mortalité et améliorent
la survie. Tel est le cas pour les inhibiteurs de
l’enzyme de conversion, les ARA II, les béta-
bloquants, la resynchronisation cardiaque.
– Il en est ainsi également, en préven-
tion secondaire de la maladie coronaire ;
on a démontré l’efficacité de l’aspirine à
faibles doses, des inhibiteurs de l’enzyme
de conversion, mais aussi des statines, des
bétabloquants surtout en cas d’insuffisance
cardiaque associée, de la double anti-agré-
gation plaquettaire après implantation d’un
stent coronaire.
En contraste, certaines vérités issues des
grands essais cliniques se sont avérées éphé-
mères. Il en est ainsi, par exemple, de la
remise en question de la digoxine dans l’in-
suffisance cardiaque légère à moyenne, de
la remise en question du magnésium dans
l’infarctus du myocarde aigu, de la remise en
question de la dénervation rénale dans l’hy-
pertension artérielle résistante.
Remise en question
des études PROVED et RADIANCE
par l’étude DIG
Dans PROVED et RADIANCE menées chez
respectivement 88 et 178 patients en insuffi-
sance cardiaque systolique, chronique, légère
à moyenne, en rythme sinusal, traités par
diurétiques et digoxine, l’arrêt de la digoxine
s’est accompagné, avec un suivi de trois mois,
d’une diminution de la capacité d’effort,
d’une détérioration de la fraction d’éjection
ventriculaire gauche et d’une augmentation
du taux d’hospitalisation pour poussée d’in-
suffisance cardiaque.
Ces résultats favorables à la digoxine seront
remis en question par l’étude DIG
En effet, l’étude DIG menée sur 6800 patients
en rythme sinusal qui avaient une fraction
d’éjection ventriculaire gauche inférieure ou
égale à 45 % a montré que l’adjonction de
digoxine versus placebo à l’association diuré-
tiques-inhibiteurs de l’enzyme de conversion
ne modifiait pas la mortalité mais diminuait
significativement les hospitalisations pour
aggravation de l’insuffisance cardiaque.
Stricto sensu, les résultats de DIG ne contre-
disaient pas mais rendaient caduques les
conclusions de PROVED et RADIANCE qui
n’avaient pas la puissance statistique néces-
saire pour évaluer l’effet de la digoxine sur
la mortalité.
Il n’en demeure pas moins qu’en montrant
que la digoxine était sans effet sur la morta-
lité, l’étude DIG mettait un terme à la pres-
cription généralisée de ce tonicardiaque et
ce d’autant qu’à la même époque, plusieurs
R. Haïat
Président du Comité d’éthique de la Société française de cardiologie
La vérité éphémère
des grands essais cliniques
« La vérité issue
des essais cliniques
ne s’impose pas
toujours d’emblée. »
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La vérité éphémère des grands essais cliniques
MISE AU POINTMISE AU POINT
grands essais cliniques démontraient que les
bétabloquants et les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion / ARA II diminuaient significa-
tivement la mortalité des patients en insuf-
fisance cardiaque chronique, quel qu’en soit
le stade.
Remise en question du magnésium
dans l’infarctus du myocarde aigu
Se référant au fait qu’à des concentrations
pharmacologiques, le magnésium entraine
une vasodilatation coronaire et systémique,
inhibe l’agrégation plaquettaire et possède
un effet anti-arythmique, on avait suggéré
que son administration intraveineuse pour-
rait réduire la mortalité précoce de l’infarc-
tus du myocarde aigu.
Dans l’étude LIMIT II menée chez 2 316
patients hospitalisés pour suspicion d’infarc-
tus, l’injection intraveineuse de magnésium
versus placebo a diminué significativement
de 24 % la mortalité totale des 28 premiers
jours et a réduit de 25 % les poussées d’in-
suffisance ventriculaire gauche précoces.
Ces conclusions favorables qu’on pensait
définitivement acquises, allaient être bat-
tues en brèche quelques années plus tard
par ISIS IV et MAGIC.
Dans la branche magnésium d’ISIS IV regrou-
pant plus de 4000 patients hospitalisés dans
les 24 heures d’un infarctus aigu suspecté,
comparée au placebo, une perfusion de
magnésium n’a pas réduit significativement
la mortalité totale. Il en a été de même dans
l’étude MAGIC menée chez 6 213 patients
hospitalisés pour un infarctus du myocarde
aigu ST+. Ces deux études mettaient un
terme définitif à l’utilisation préventive, en
routine, du magnésium intraveineux dans
l’infarctus aigu du myocarde.
Remise en question de la dénervation
sympathique rénale en traitement
de l’hypertension artérielle résistante
Dans un premier temps, SIMPLICITY HTN-1 et
SIMPLICITY HTN-2 rapportaient des résultats
favorables ; dans ces deux études, la déner-
vation sympathique rénale effectuée chez 50
et 106 patients dont la pression artérielle sys-
tolique restait supérieure ou égale à 160 mm
Hg malgré au moins trois antihypertenseurs
dont un diurétique, avait permis de réduire
de façon pérenne la pression artérielle sys-
tolique et la pression artérielle diastolique
jusqu’aux sixième et douzième mois.
Mais l’étude SYMPLICITY HTN-3 allait
remettre en question les résultats de ces deux
études. En effet, SYMPLICITY HTN-3 dont le
protocole comprenait pour la première fois
une procédure contrôle factice, a montré
chez 535 patients porteurs d’une hyperten-
sion artérielle résistante, qu’à 6 mois, la pres-
sion artérielle systolique mesurée au cabinet
et la MAPA n’étaient pas significativement
différentes dans le groupe qui avait réelle-
ment bénéficié d’une dénervation rénale et
dans le groupe contrôle.
Commentaires
La terminologie « vérité éphémère »
est-elle appropriée ?
Étymologiquement « éphémère », épi-
éméra en grec, signifie « qui ne dure ou
ne vit qu’un jour ». Or, certaines de ces
vérités dites éphémères ont duré bien plus
longtemps : 4 ans se sont écoulés entre la
remise en question de PROVED/RADIANCE
(1993) et DIG (1997) ; 5 ans entre la paru-
tion de SYMPLICITY HTN-1 (2009) et celle
de SYMPLICITY HTN-3 (2014) ; 10 ans entre
LIMIT II (1992) et MAGIC (2002). Ces vérités
dites éphémères sont donc plutôt des véri-
tés transitoires, temporaires tout en sachant
que ce qualificatif ne peut leur être attri-
bué qu’a posteriori.
Trois raisons expliqueraient le caractère
transitoire de certaines vérités.
La méthodologie, donc la qualité
de l’étude initiale :
qu’il s’agisse des limites mêmes des grands
essais cliniques, à savoir inclusion de
patients très sélectionnés, population à pré-
dominance souvent masculine, exclusion
fréquente des sujets âgés ou très âgés et des
comorbidités, suivi très strictement encadré
sur le plan clinique et technique. Toutes ces
particularités font de la population incluse
dans les grands essais cliniques une popu-
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R. Haïat
lation bien différente de celle qu’on est
amené à traiter quotidiennement ;
qu’il s’agisse de réels biais méthodologiques,
d’un nombre d’événements présumés sur-
venir qui ne correspond pas toujours au
nombre d’événements survenus réellement.
Quant à l’analyse en intention de traiter,
éminemment valide sur le plan statistique,
elle ne peut manquer d’introduire une cer-
taine distorsion par rapport à la réalité du
terrain ;
qu’il s’agisse de la taille de l’essai princeps.
Si elle était très insuffisante dans PROVED
et RADIANCE qui avaient inclus respective-
ment 88 et 178 patients alors que l’étude
DIG en réunira ultérieurement 6 800, elle ne
l’était pas dans LIMIT II qui avait inclus 2 316
patients ; et pourtant, ses résultats seront
contredits par ISIS IV et MAGIC, deux méga-
essais, portant respectivement sur plus de
4000 et 6000 patients ;
qu’il s’agisse de l’absence de groupe contrôle.
Alors que SIMPLICITY HTN-1 et 2 étaient
des études randomisées mais sans groupe
contrôle, SIMPLICITY HTN -3 avait un groupe
contrôle et c’est ce qui a probablement remis
en question les résultats des deux études pré-
cédentes. Il faut souligner cependant qu’il
n’est pas toujours évident de recourir à un
groupe contrôle quand on évalue une procé-
dure lourde. Il faut rappeler que les patients
du groupe contrôle de SIMPLICITY HTN-3 ont
subi une procédure factice, invasive, compre-
nant angiographie rénale et faux tirs d’ultra-
sons afin de reproduire la procédure d’une
dénervation rénale réelle ;
qu’il s’agisse enfin de la difficulté réelle
d’accéder aux données individuelles des
patients, du rôle des sponsors des grands
essais cliniques dont l’importance pourrait
interférer ou peser sur l’interprétation ou la
présentation des résultats.
La découverte d’un nouveau concept
concernant un médicament ou l’advenue
d’un changement thérapeutique radical
La prescription de bétabloquants est un
exemple de cette double éventualité.
Dans l’hypertension artérielle, les bétablo-
quants ont longtemps été le traitement de
première intention. Cependant, en 2005, la
méta-analyse de Lindholm portant sur 13
essais, regroupant plus de 105 000 patients,
a remis en question leur efficacité (car ils
ne diminuaient pas le risque d’infarctus par
rapport aux autres antihypertenseurs) et
leur sécurité d’emploi (car ils augmentaient
significativement de 16 % le risque d’acci-
dent vasculaire cérébral et avaient tendance
à accroître de 3 % la mortalité totale).
L’étude CAFE proposera une explication à
ce renversement de situation en montrant
qu’à baisse identique de la pression humé-
rale, les bétabloquants abaissaient moins la
pression artérielle systolique centrale que
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou
les inhibiteurs calciques.
Dans la maladie coronaire et notamment
le post-infarctus, la prescription de béta-
bloquants a été longtemps systématique.
Mais la donne a changé à l’ère des procé-
dures interventionnelles et de la reperfusion
myocardique précoce qui réduisent la taille
de l’infarctus et de la zone cicatricielle à la
limite de laquelle naissent les arythmies ven-
triculaires les plus graves. Ainsi, en accord
avec les recommandations américaines et
européennes, la prescription de bétablo-
quants ne doit plus être systématique quand
la maladie coronaire est stable, asympto-
matique et en l’absence d’antécédent d’in-
farctus du myocarde. Les bétabloquants
devraient être réservés aux coronariens
symptomatiques et aux patients qui ont fait
un infarctus du myocarde ; dans ce dernier
cas, le traitement bétabloquant peut être
limité à 3 ans en l’absence de symptôme et
de dysfonction ventriculaire gauche.
La survenue et/ou la reconnaissance
tardive d’effets secondaires graves
jusqu’alors méconnus
Sans remettre en question, au sens propre,
les conclusions du grand essai clinique, l’ap-
parition tardive, après des mois, voire des
années, d’une iatrogénie grave les rend subi-
tement caduques.
Il en a été ainsi pour la cérivastatine.
Entre 1998 et 2000, 4 études internatio-
nales, randomisées, menées en double
aveugle contre placebo sur de plus de 4000
patients au total [1-4] avaient démontré
l’efficacité et la sécurité d’une nouvelle sta-
tine, la cérivastatine.
La vérité éphémère des grands essais cliniques
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En juillet 2001, la FDA rapportait 31 décès
liés à des rhabomyolyses sévères survenues
sous cérivastatine dont 12 liés à la prise
concomitante de gemfibrozil. De son côté,
l’AFSSAPS contrindiquait l’association céri-
vastatine - gemfibrozil. Un mois plus tard,
le 8 aout 2001, la cérivastatine était retirée
définitivement du marché mondial.
Il en a été également ainsi pour la droné-
darone.
En 2008, l’étude ATHENA menée chez 4628
patients présentant une fibrillation atriale
ou un flutter, montrait, avec un suivi de 21
mois, que l’adjonction de dronédarone au
traitement standard diminuait significative-
ment de 24 % la morbi-mortalité.
Trois ans en plus tard, en 2011, l’étude
PALLAS menée également avec la droné-
darone chez 3236 patients qui étaient en
fibrillation atriale permanente avec au
moins un facteur de risque cardiovasculaire
majeur, a été interrompue précocement,
après 3,5 mois en raison d’une augmenta-
tion significative, sous dronédarone, de l’in-
cidence des événements cardiovasculaires
majeurs du critère composite principal.
Conclusions
Certaines vérités issues de grands essais cli-
niques peuvent a posteriori s’avérer transi-
toires. Il est donc légitime de se demander
si les conclusions de tout essai, récemment
publié seront ou non définitives et la
réponse est d’autant plus difficile que rien
ne permet de le prévoir a priori.
La remise en question ultérieure des
résultats de l’étude initiale est habituel-
lement la conséquence directe de biais
méthodologiques. Elle peut également
être la conséquence de la découverte
d’un nouveau concept concernant un
médicament ou de l’advenue d’un chan-
gement thérapeutique radical. Elle peut
enfin être liée à la mise en évidence
tardive de graves effets indésirables qui
vont annuler les effets bénéfiques initia-
lement constatés.
Le fait même qu’une vérité puisse être
transitoire est certes le signe éclatant
d’une médecine mouvante, qui se remet
régulièrement en question. Mais le fait
qu’une vérité puisse succéder à une autre
vérité, parfois après plusieurs années,
complique la tâche du prescripteur qui
aura bien involontairement exposé pen-
dant longtemps ses patients à un traite-
ment inefficace, voire dangereux. Cette
situation rend également plus difficile
peut-être encore la tâche des experts
qui rédigent les recommandations, dont
la vocation est, comme leur nom de gui-
delines l’indique, de guider les praticiens
et non de les y enfermer. C’est dire la
prudence et le recul qui doivent prési-
der à leur rédaction et/ou réactualisation
régulière, dans une démarche raison-
nable qui réunit, analyse et confronte le
maximum de données objectives.
Conflits d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de
conflits d’intérêt en relation avec cet article.
En pratique
L’évolutivité des concepts doit faire préparer les recommandations
pour guider le praticien et non l’enfermer.
Références
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emia: the RIGHT study. The Cerivastatin Study Group.
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Les études citées et leurs références peuvent être consultées
dans : Haïat R, Leroy G. Prescriptions et recommandations
en cardiologie. 6e édition, Frison-Roche Ed, Paris (sous
presse).
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