28 JSCR 2012 • Volume 22, numéro 2
Les antédents médicaux de la patiente révèlent un taba-
gisme établi à 25 paquets-années et elle commencé à
recevoir du budésonide/formotérol en inhalateur trois
mois avant lépisode dessoufflement.
Elle ne présente aucun antécédent de thromboembolie
veineuse et elle a mené deux grossesses à terme, sans complica-
tions. On ne note aucun antécédent ni facteur de risque de mala-
diepatique ou d’infection par le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH). On a évoqué unegère persistance du foramen
ovale ou une communication interauriculaire lorsqu’elle était
toute jeune.
La patiente souffre depuis sept ans dun syndrome de Raynaud
relativement grave, qui affecte ses doigts et ses orteils et qui a été
assoc à des ulres digitaux ayant entraîné l’amputation de lex-
trémité de deux doigts. Elle prend de la nifédipine à libération
contrôlée depuis trois ans.
À l’interrogatoire, elle admet que depuis peu, la peau de ses
mains et des ses pieds semble plus tendue, mais ne fait état d’au-
cun autre signe articulaire ou extra-articulaire lié à une maladie
des tissus conjonctifs.
Elle prend aussi 30 mg de nifédipine à libération contrôe,
20 mg de furosémide et 25 mg de spironolactone chaque jour, en
plus de son budésonide/formotérol. Ses antédents familiaux
sont sans particularités.
À l’examen, on note une tension artérielle basse, à 84/58, un
pouls à 100 bpm régulier. Sa saturation en oxyne est à 99 %
sous quatre litres doxyne par minute. La tension veineuse jugu-
laire est élevée, 4 cm au-dessus de l’angle sternal. On ne note
aucun souffle ventriculaire. La composante pulmonaire du
second bruit cardiaque (B2) est augmentée et on note un souffle
2/6 pansystolique au rebord sternal gauche inférieur qui nest
pas modif par la respiration. On observe un léger œme
pédieux. Le reste de lexamen médical général est normal.
À lexamen musculosquelettique, la patiente présente une
légère scrodactylie, des capillaires anormaux au niveau du sillon
latéral de l’ongle avec anses dilatées et géantes et zones de dys-
trophie capillaire. On note aussi des cicatrices déprimées au
bout des doigts, une langiectasie aux mains, une tension
cutanée au visage, des signes positifs de sclérodermie au
niveau du cou et l’amputation des deux annulaires proximaux
au niveau de l’articulation interphalangienne.
Le test d’anticorps antinucléaires (AAN) est positif, avec un
titre de 1/640, d’aspect anticentromère, concordant avec un
diagnostic de sclérose systémique cutanée limitée.
Autres épreuves notables effectuées :
Test de marche de six minutes : 242 m, sans saturation en
oxygène. La normale varie selon l’âge, le poids et la présence
d’autres comorbidités, mais est d’environ 494 m chez les
femmes et de 575 m chez les hommes1.
Peptide cérébral natriurétique : 1 191 pg/mL (normal < 100).
Échocardiogramme : mouvement septal paradoxal, ventri-
cule droit (VD) nettement hypertrophié, pression artérielle
pulmonaire systolique 80, aucun épanchement péricar-
dique significatif, fonction ventriculaire gauche (VG) nor-
male.
Pour l’instant, on croit fortement que la patiente souffre
d’hypertension pulmonaire et d’hypertension artérielle pulmo-
naire très probablement secondaire à une scrose systémique.
Toutefois, on ne peut poser le diagnostic d’hypertension
artérielle pulmonaire (HAP) qu’après avoir écarté les causes les
plus fréquentes de l’hypertension pulmonaire, soit maladie du
ur gauche, maladie pulmonaire/hypoxémie significatives et
thromboembolie pulmonaire. Il existe des traitements spéci-
fiques pour l’HAP, mais ils sont coûteux et parfois inutiles, voire
nuisibles chez les patients dont l’hypertension pulmonaire est
caue par autre chose. Il faut en outre envisager encore
d’autres causes d’HAP (Tableau 1)2. En particulier, la possibilité
d’un shunt intracardiaque, qu’il faut exclure.
Hypertension artérielle pulmonaire
par Peter Docherty, M.D., FRCPC
En décembre 2010, une femme de 47 ans vous est transférée d’un pital de la riphérie où on l’avait admise
pour essoufflement à l’effort. Son essoufflement avait commencé graduellement le printemps précédent et pro-
gressé jusqu’à une dyspnée marquée à la moindre activi, comme prendre sa douche, s’habiller ou même
franchir quelques pas (classe IV selon l’Organisation mondiale de la santé [OMS]).
Elle a remarqué un œdème distal aux jambes et a éprouvé des vertiges, sans perte de conscience. Elle n’a pas
présenté de toux, de fièvre, de douleurs thoraciques ni d’orthopnée. À l’échocardiogramme, on ne remarque pas
de dysfonction du cœur gauche, mais on soupçonne la présence d’une hypertension pulmonaire, avec une pres-
sion artérielle pulmonaire systolique estimée à 80 mm Hg.
La tomoangiographie du thorax ne révèle aucune embolie pulmonaire, mais on note de très légers signes de
maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC).
CONSULTATION DE COULOIR
29JSCR 2012 • Volume 22, numéro 2
Examens subséquents
Épreuves de fonction pulmonaire :
Volume expiratoire maximal en une seconde (VEMS) 64 % de
la valeur prévue
Capacité vitale expiratoire forcée (CVF) 80 %
VEMS/CFV 68 %
Capacité de diffusion 16 %
Commentaire : La patiente présente une légère restriction respi-
ratoire, mais le signe important ici est la réduction isolée et dis-
proportione de la capacité de diffusion, qui indique la
présence de mauvais échanges gazeux. Cette caractéristique peut
être présente et progresser pendant des anes avant l’apparition
des signes cliniques ou échocardiographiques dhypertension
pulmonaire chez les patients qui souffrent de sclérose systé-
mique3.
Tomographie pulmonaire de ventilation/perfusion :
Normale
Commentaire : Il est important d’écarter le diagnostic d’hyper-
tension pulmonaire thromboembolique chronique puisqu’elle
est potentiellement curable au moyen d’une thromboen-
dartériectomie pulmonaire.
Cathétérisme du cœur droit :
Pression de loreillette droite : 13
Pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) : 53 (79/39)
Résistance vasculaire pulmonaire : 1 008 dyn.s.cm-5
(12,6 unités de Wood)
Pression capillaire pulmonaire bloqe : 14
Débit cardiaque : 3,1 L/min
Absence de shunt (augmentation de loxyne)
Commentaire : L’échocardiogramme ne procure qu’une estima-
tion de la pression artérielle pulmonaire systolique et peut soit
sous-estimer ou surestimer la pression réelle. Le cathétérisme du
cœur droit est la norme diagnostique pour lHAP (PAP moyenne
> 25 mm Hg et pression de lartère pulmonaire bloquée normale
< 15 mm Hg). Le cattérisme du ur droit est utile pour mesu-
rer la gravité de lHAP, écarter une maladie duur gauche (qui
nest pas toujours visible à l’échographie), reconnaître les patients
susceptibles de répondre à de fortes doses de vasodilatateurs
(néralement non testé/observé chez les patients atteints dune
maladie des tissus conjonctifs) et pour écarter les shunts intra-
cardiaques.
Une fois les autres causes d’hypertension pulmonaire exclues
et selon les résultats du cattérisme du ur droit, nous confir-
mons le diagnostic d’hypertension artérielle pulmonaire. Sans
traitement, le pronostic de cette patiente est plutôt sombre, avec
une espérance de vie probablement inférieure à six mois4.
Traitement
Le traitement de base de l’hypertension artérielle pulmonaire est
utili malgré le manque de données tirées détudes contrôlées.
Certaines preuves appuient le recours aux anticoagulants dans
l’HAP idiopathique; toutefois, leur rôle et leur innocuité restent à
préciser dans l’HAP secondaire à une maladie des tissus con-
jonctifs. On utilise des diurétiques pour gérer l’insuffisance car-
diaque droite et la surcharge volumique ventriculaire droite qui
se manifestent par une augmentation de la pression veineuse
jugulaire et un œdème des membres inférieurs. On recommande
une oxynothérapie pour maintenir la saturation en oxyne au-
dessus de 90 %, étant don que l’hypoxémie peut aggraver
l’HAP.
Plusieurs voies pathogènes ont été incriminées dans l’hyper-
tension artérielle pulmonaire. Le résultat final est une augmenta-
tion de la résistance vasculaire, une diminution du bit sanguin
dans la circulation pulmonaire et, ultimement, une insuffisance
cardiaque droite. Nous disposons de certains traitements spéci-
fiques pour l’HAP. Ces traitements ciblent néralement l’équi-
libre entre les médiateurs de la vasodilatation et de la vasocons-
triction, mais de manière plus importante, ils peuvent influer
sur le remodelage/lhypertrophie de la paroi vasculaire, en plus
d’exercer des effets sur la fonction plaquettaire.
Les antagonistes des récepteurs de l’endotline-1 (bosentan,
ambrisentan) et les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5
(PDE-5) (sildenafil) seraient ralement des options envisa-
geables pour commencer. Toutefois, la maladie de notre patiente
est déjà très avane, phase IV, selon lOMS.
Dans ce cas-ci, le traitement avéré le plus efficace est un ana-
logue de la prostacycline par voie intraveineuse, comme
l’époprosténol poprosténol sodique). Ce traitement requiert un
enseignement rigoureux au patient et une observance thérapeu-
tique exemplaire puisque son emploi est fastidieux. L’épopros-
ténol sodique s’administre en perfusion intraveineuse continue,
au moyen d’une pompe à perfusion portable en raison de sa
demi-vie brève, de 3 à 5 minutes, et compte tenu que toute inter-
ruption peut entrner une hypertension pulmonaire de rebond.
Le dicament doit également être refroidi, protégé de la
Tableau 1. Nouvelle classification de l’HP de la WHO
2
1. Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
1.1. Idiopathique
1.2. Familiale
1.3. Due à des médicaments et toxines
1.4. Associée à :
1.4.1. Connectivites
1.4.2. Infection VIH
1.4.3. Hypertension portale
1.4.4. Cardiopathie congénitale
1.4.5. Bilharziose
1.4.6. Anémie hémolytique chronique
1.5. HTAP persistante du nouveau-né
11. Maladie veino-occlusive pulmonaire et/ou
hémangiomatose capillaire pulmonaire
2. HTP d'origine cardiaque gauche
3. HTP associée aux pathologies pulmonaires et/ou hypoxémie
4. HTP post-thromboembolique chronique
5. HTP due à des mécanismes peu clairs et/ou multifactoriels
30 JSCR 2012 • Volume 22, numéro 2
lumière et mélangé quotidiennement par le patient ou son
aidant. La pose d’un cathéter veineux central à demeure com-
porte en outre un risque dinfection.
Pour diverses raisons, y compris le fait que notre patiente
provient d’une région très recue du Nouveau-Brunswick, elle
nopte pas pour l’époprosténol sodique intraveineux et choisit
plutôt un traitement de tréprostinil par voie sous-cutanée en
continu à l’aide d’une petite pompe à perfusion. Ce traitement est
significativement plus facile à rer pour les patients puisque
c’est un analogue plus stable de la prostacycline. La demi-vie du
médicament est beaucoup plus longue (environ 4,5 heures) de
sorte qu’une interruption temporaire du traitement ne pose pas
de problème grave. Toutefois, la plupart des patients manifestent
des réactions cutanées douloureuses au point de perfusion, qui
s’améliorent généralement après quelques semaines. Les pre-
mres études sur le tréprostinil ne permettent pas une recom-
mandation de catégorie A pour son utilisation chez les patients
présentant une classe IV selon l’OMS. Les doses utilisées ici,
toutefois, sont relativement faibles. Dans la pratique clinique, les
doses administrées pour obtenir un effet thérapeutique équiva-
lent sont significativement plus élevées avec le tréprostinil
qu’avec l’époprosténol. En doses plus élevées, nous avons été
impressionnés par l’efficacité et l’innocuité chez nos patients,
même chez ceux dont la maladie est avancée.
Les traitements scifiques pour l’HAP sont extrêmement
chers (entre 15 000 $ et 75 000 $ par année, et plus s’il s’agit
d’un traitement d’association) et ils sont parfois inutiles, voire
nuisibles dans d’autres formes d’hypertension pulmonaire. Il est
important de proder à un suivi fréquent des patients pour véri-
fier l’efficacité et l’innocuité des traitements. Plusieurs mesures
paratriques sont utilisées, notamment la classe fonctionnelle
(de l’OMS), la capacité d’effort (p. ex., test de marche de six minu-
tes), les taux de peptide rébral natriurétique, qui sont tous en
corrélation avec la survie (Tableau 2).
Les échocardiogrammes en série peuvent révéler une alio-
ration des pressions artérielles pulmonaires. Toutefois, toute
modification de la taille du ventricule droit et de son fonction-
nement est très importante puisque la fonction ventriculaire
droite est unterminant crucial de la survie. La mesure directe
en laboratoire d’hémodynamie demeure la norme.
Heureusement, notre patiente obtient de très bons résultats.
La réaction au point de perfusion a été douloureuse au but,
mais, au fil du temps, s’est atténe. Sa maladie s’améliore signi-
ficativement et ne nécessite pas l’ajout d’autres traitements s-
cifiques pour lHAP.
Cette réponse nest pas typique chez un patient atteint d’HAP
de classe IV. Toutefois, elle illustre le bienfait potentiel d’une prise
en charge appropriée. Malheureusement, de nombreux patients
atteints de sclérodermie qui souffrent d’HAP reçoivent leur diag-
nostic tardivement. Certains ne saperçoivent pas de leur essouf-
flement à l’effort parce que les autres manifestations de leur
maladie limitent leurs activités. En tant que rhumatologues, nous
devons nous assurer que nos patients atteints de sclérodermie
subissent régulièrement un test de dépistage de l’HAP et que des
examens plus poussés soient demandés s le moindre soupçon.
La prise en charge de l’HAP est coûteuse, complexe et fastidieuse
et elle requiert une très importante formation des patients. Tous
les patients chez qui on soupçonne une HAP doivent être pris en
charge en collaboration par léquipe pluridisciplinaire dun cen-
tre spéciali.
Références :
1) Enright PL, Sherrill DL. Reference equations for the six-minute walk in
healthy adults. Am J Respir Crit Care Med 1998; 158(5 Pt 1):1384-7.
2) Simonneau G, Robbins IM, Beghetti M, et coll. Updated Clinical
Classification of Pulmonary Hypertension. J Am Coll Cardiol 2009; 54(Suppl.
1):S43-54.
3) Steen V, Medsger TA Jr. Predictors of isolated pulmonary hypertension in
patients with systemic sclerosis and limited cutaneous involvement. Arthritis
Rheum 2003; 48(2):516-22.
4) D'Alonzo GE, Barst RJ, Ayres SM, et coll. Survival in patients with primary
pulmonary hypertension. Results from a national prospective registry. Ann
Intern Med 1991; 115(5):343-9.
Peter Docherty, M.D., FRCPC
Chef de clinique, Département de médecine interne
Hôpital Horizon Health Network de Moncton
Moncton, Nouveau-Brunswick
Tableau 2 : Suivi du patient
Époprosténol Classification Test de marche
Date (ng/kg/min) WHO six min. (mètres) PCN Hémodynamiques Écho
Décembre 2010 -- 4 242 1 191 PAPm 53 PAPS 80
RVP 1 008 Mouv. septal
IC 1,9 paradoxal
VD hypertrophié
Mars 2011 33 3 350 -- -- --
Juin 2011 40 3 -- 184 PAPm 42 --
RVP 492
IC 3,6
Février 2012 46 2 405 38 -- PAPS 65
Septum légère-
ment aplati
CONSULTATION DE COULOIR
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