Dessous des cartes : La croissance en Afrique
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Jean-Christophe Victor,
présentateur
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Aujourd'hui, je vais vous parler de l'Afrique, ou plus exactement de l'Afrique subsaharienne. Alors,
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c'est toujours imprudent de prendre un continent dans son ensemble parce que les réalités sont
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multiples et diversifiées, mais les choses changent en Afrique. Donc, je voudrais tenter de porter à
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votre connaissance quels sont ces éléments de changement afin de faire évoluer la vision trop souvent
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figée que nous avons de ce continent. Donc l'Afrique, nouvel émergent ? Eh bien, allons voir !
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Voici une carte du continent africain. Ce continent fait 30 millions de kilomètres carrés, soit un
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cinquième des terres émergées de la planète. En 2012, il compte plus de un milliard d'habitants, soit
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un peu moins que la population de l'Inde ou un peu moins que la population de la Chine. Entre 2001
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et 2010, ce continent africain a connu une croissance économique moyenne du produit intérieur brut
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de 5,5 %.
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À titre de comparaison, aux États-Unis, la croissance était de 1,6 % ; dans la zone euro, de 1,2 % ;
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dans le groupe des émergents : 3,7 % au Brésil, 5 % en Russie, 7,5 % en Inde, 10,5 % en Chine. Et
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si on regarde les dix économies affichant la plus forte croissance sur cette période, six se trouvaient
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en Afrique : l'Angola, le Niger, l'Éthiopie, le Tchad, le Mozambique, le Rwanda. Alors, ces taux de
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croissance que l'on voit sont impressionnants, mais attention ! il ne faut pas confondre
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croissance et développement. D'autre part, il faut distinguer l'Afrique du nord de l'Afrique
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subsaharienne. En Afrique du Nord, la croissance est plutôt en berne, conséquence des printemps
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arabes. Et aujourd'hui, on va s'intéresser surtout à l'Afrique subsaharienne.
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L'Afrique du Sud est la première économie du continent. Elle dispose de ressources naturelles, d'un
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secteur manufacturier, de services financiers veloppés, d'infrastructures du transport et elle pèse
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pour 30 % dans le PIB de l'Afrique subsaharienne. Selon le FMI, l'Afrique subsaharienne devrait
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connaître une croissance de 5,5 % en 2013, 6,1 % en 2014 et pourrait ainsi relayer l'Inde et la Chine
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comme l'un des moteurs de la croissance économique mondiale. Très bien, mais quels sont les
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facteurs qui expliquent cette croissance ?
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La première réalité à prendre en compte, c'est la mographie. En 2005, la région comptait 770
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millions d’habitants. En 2050, elle pourrait compter deux milliards d'habitants. Conséquence : les
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Africains qui représentaient 12 % de la population mondiale active en 2005, en représenteront alors
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22 % en 2050. Les Chinois en représentaient 22 % en 2005, ils n'en représenteront plus que 14,5 %
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en 2050. La population de l’Afrique subsaharienne est concentrée dans les zones urbaines. Vous voyez
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ici les agglomérations de plus de deux millions d'habitants en 2010 : Lagos, au Nigéria, et Kinshasa,
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capitale de la RDC, sont les deux plus grandes villes d'Afrique subsaharienne. Lagos va passer de dix
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millions d'habitants en 2010 à 16 millions en 2025. Kinshasa, de 9 millions en 2010, à 15 millions en
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2025. Elles deviendront alors les deux plus grandes mégapoles d'Afrique, devant Le Caire.
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En 2030, le taux d'urbanisation de l'Afrique subsaharienne devrait atteindre 50 %. On a donc une
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population qui augmente rapidement, qui est jeune, qui est urbaine ; c'est pourquoi il y a un marché
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intérieur plutôt dynamique.
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Mais en plus, il y a une nouvelle classe de consommateurs qui émerge. En 1980, en Afrique, 111
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millions de personnes appartenaient aux classes moyennes. En 2010, c'est 313 millions de personnes,
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soit trois fois plus, ce qui représente à peu près un tiers de la totalité de la population du continent. Le
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Nigéria, l'Afrique du Sud, le Kenya, le Ghana figurent parmi les pays dont les classes moyennes sont
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en pleine croissance. Et ces classes moyennes, dont le pouvoir d'achat oscille entre deux et vingt
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dollars par jour, sont autant de consommateurs potentiels pour les entreprises locales. On a donc
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l'émergence d'un capitalisme proprement africain, qui investit lui-même sur le continent.
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Autre facteur de croissance, les investissements étrangers. En 2011, les IDE* vers l'Afrique
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subsaharienne s'élevaient à 37 milliards de dollars contre 116 milliards de dollars vers la Chine la
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même année. Les quatre principaux pays destinataires sont le Nigéria, le Ghana, le Congo, qui sont
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des pays producteurs de pétrole, et l'Afrique du Sud, qui est donc, on l'a vu, la première économie du
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continent. Les IDE sont donc tournés vers les matières premières et plus particulièrement vers les
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hydrocarbures et les mines. 5 % des ressources mondiales en pétrole sont localisées en Afrique
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subsaharienne, et les réserves trouvées ne cessent d'augmenter depuis deux ou trois décennies. La
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majorité de la production est concentrée au Nigéria et en Angola qui représentent respectivement 3 %
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et 2,1 % de la production mondiale, et ces deux pays n'ont pas encore atteint leur pic pétrolier, à la
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différence de la Guinée équatoriale, du Congo Brazzaville et du Cameroun. Les investissements
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étrangers vont également dans les mines. Le continent détiendrait environ 30 % des réserves
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minérales de la planète, plus précisément 75 % des réserves en diamant, 40 % des réserves en or,
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60 % du cobalt particulièrement localisé en RDC , 80 % du chrome, 30 % de la bauxite
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surtout en Guinée , 60 % du manganèse, 85 % du platine particulièrement en Afrique du Sud.
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De plus, l'Afrique est bien positionnée dans la bataille des terres rares, et plusieurs projets ont été
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lancés à travers le continent. Les investissements étrangers s'orientent également vers d'autres
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secteurs, notamment celui des services, comme l'électricité, l’immobilier, le commerce, l'industrie et
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les télécommunications.
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Regardez cette carte qui montre le taux de pénétration de la téléphonie mobile en 2012. Par exemple
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au Ghana, à la fin des années 90, seules 50 000 lignes léphoniques fonctionnaient dans un pays de
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presque 20 millions d'habitants. Eh bien, aujourd'hui, trois habitants sur quatre ont accès à un
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téléphone portable. Dans toute l'Afrique subsaharienne, en 2013, 60 % de la population possède un
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téléphone portable. Et cette volution du mobile entraîne des effets économiques induits : des
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paiements mobiles qui permettent d'effectuer des transferts financiers rapides, là où les banques sont
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à peine présentes, les agriculteurs ont désormais accès à des informations sur les marchés, ce qui leur
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permet de mieux négocier avec les intermédiaires. On le comprend, l'Afrique subsaharienne bénéficie
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d'une conjonction de facteurs économiques plutôt favorables.
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Mais est-ce que ce dynamisme économique permet de faire reculer la pauvreté ?
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Regardez ce graphique, qui reprend la croissance du PIB en Afrique subsaharienne entre 2005 et 2010
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et regardez maintenant la croissance du PIB par habitant. On constate que ce dernier augmente
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beaucoup moins vite que les PIB nationaux. Allons voir précisément, à l'échelle nationale. Le PIB par
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habitant en Éthiopie est de 357 dollars, c'est l'un des plus faibles au monde, alors que ce pays est un
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pôle de croissance dans la région, notamment grâce aux exportations de café et de l'or. Le Nigéria
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pourrait passer devant l'Afrique du Sud comme première puissance économique gionale. Or, le PIB
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par habitant y est de 1500 dollars, et le pays est marqué par les tensions sociales, et l'instabilité
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politique. En Zambie, le PIB par habitant n'est que de 1400 dollars alors que les ressources en cuivre
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soutiennent une croissance forte et durable. Et la privatisation du secteur minier n'a pas profité à la
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population zambienne. Dans les pays d'Afrique subsaharienne riches en ressources naturelles, les
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compagnies étrangères bénéficient de conditions attractives, elles y favorisent la croissance, mais les
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retombées en termes de développement, en fait, sont assez faibles. Par exemple, les entreprises
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chinoises amènent souvent leur propre main d'œuvre sur le continent africain. Donc la croissance
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économique a, en fait, beaucoup moins réduit la pauvreté en Afrique subsaharienne que dans le reste
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du monde.
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Aujourd'hui, la région concentre 30 % des personnes vivant dans l'extrême pauvreté, alors qu'il y a
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trente ans, elle n'en abritait que 11 %. De plus, si l'Afrique subsaharienne relaye l'Inde et la Chine
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comme l'un des moteurs de la croissance économique mondiale, qu'en est-il des intégrations
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économiques régionales ? En 2012, la Communauté de développement de l'Afrique australe, la
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Communauté d'Afrique de l'Est, le Marché commun d'Afrique orientale et australe, ont lancé un
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processus de négociation devant aboutir à un marché commun à l'horizon 2017. Il réunira 600 millions
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d'habitants, 26 pays, dont les deux nations les plus riches du continent, c'est-à-dire l'Afrique du Sud et
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l'Égypte, et l’une des plus riches en pétrole, l'Angola. Son PIB s'élèvera à quelque 1000 milliards de
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dollars, soit 58 % du PIB actuel du continent.
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Alors on l'a compris, tous ces éléments de croissance sont souvent liés aux matières premières, mais
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pas seulement. Il y a aussi une classe moyenne et des marchés de consommation, qui l'un et l'autre
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sont en expansion. Cela dit, attention à la fiabilité des chiffres et des appareils statistiques. Ensuite, ne
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confondons pas croissance et veloppement, car les inégalités sont très marquées : songez que
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100 000 Africains tiendraient à peu près 60 % du PIB du continent. Ensuite, vous avez des élites
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dirigeantes qui s'accrochent au pouvoir 20 ans, 30 ans, comme au Cameroun, au Burkina Faso, au
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Zimbabwe. Il y a le chantier énorme de la corruption, de la gouvernance, des libertés individuelles, de
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la justice. Donc, le développement africain ne se fera pas de façon linéaire. Mais derrière ces réalités
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qui sont multiples et ces défis immenses, j'ai voulu vous montrer que, peut-être pour la première fois,
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le continent africain va cesser d'être un objet des relations internationales, pour devenir un acteur à
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part entière, au même titre que l'Inde, la Chine, ou le Brésil.
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Biblio
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Je vous signale la parution de deux numéros spéciaux consacrés à l'Afrique. L'un chez
Alternatives
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internationales
, l'autre chez
Courrier international
. N'oubliez pas de lire la revue hebdomadaire
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« Jeune Afrique » et puis je vous signale la parution de l'« Atlas du monde contemporain », édité chez
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Armand Colin
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* IDE : investissements directs à l’étranger.
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