Trypanosomoses Les trypanosomoses sont des maladies dues à des flagellés du genre Trypanosoma transmis par des arthropodes hématophages. On distingue la forme africaine (maladie du sommeil) et la forme américaine (maladie de Chagas). Seul le genre de l’agent pathogène rapproche les deux affections, qui sont extrêmement différentes sur le plan clinique et épidémiologique. TRYPANOSOMOSES AFRICAINES Agent causal Les parasites appartiennent à l’espèce Trypanosoma brucei, qui comprend trois sous-espèces. Seules sont pathogènes pour l’homme : Trypanosoma brucei gambiense et Trypanosoma brucei rhodesiense. La première se rencontre dans l’ouest africain et la seconde, en Afrique de l’Est. Les trypanosomes sont des protozoaires flagellés du genre Trypanosoma (ordre des Kinétoplasmida). À l’état frais, ils sont morphologiquement indifférenciables chez l’homme, mobiles, fusiformes, munis d’une membrane ondulante et d’un flagelle libre de longueur variable. Après coloration au MGG, le cytoplasme apparaît en bleu tandis que le noyau ovalaire se colore en rouge foncé comme le kinétoplaste subterminal. En avant, se trouve le blépharoplaste sur lequel s’insère le flagelle. Cycle évolutif Le trypanosome est transmis à l’homme par la piqûre d’une glossine hématophage : la mouche tsé-tsé (Glossina palpalis, Glossina morsitans). Dès la pénétration cutanée, la multiplication des trypanosomes par division binaire débute localement. Puis, après 1 à 2 semaines, ils migrent dans le sang et les voies lymphatiques et gagnent ensuite le système nerveux central. Après un certain temps d’évolution apparaissent des formes trapues (trypomastigotes) infestantes pour les glossines. Les trypomastigotes ingérés lors du repas sanguin se multiplient dans l’intestin de la glossine. Ils produisent des épimastigotes qui gagnent les glandes salivaires et se transforment en formes métacycliques infestantes pour l’homme. Épidémiologie Après la grande épidémie des années 1920, la maladie avait fortement décru en Afrique en raison de l’effica- cité des méthodes de dépistage et de traitement systématique. Elle avait quasiment disparu en 1965. Mais en raison de la désorganisation des services de lutte et des mouvements massifs de populations réfugiées ou déplacées, l’incidence a augmenté de manière exponentielle à partir des années 1970–1980. L’OMS estimait en 1997 que la population à risque s’élevait à 60 millions de personnes, le nombre de cas existants entre 300 000 et 500 000 et le nombre de nouveaux cas annuels à 45 000. Depuis les années 2000, le nombre de nouveaux cas semble diminuer progressivement pour s’établir en 2004 à 17 036 cas de Trypanosoma gambiense et 580 cas de Trypanosoma rhodesiense. En France, entre 1980 et 2004, 26 cas ont été signalés (24 à Trypanosoma gambiense et 2 à Trypanosoma rhodesiense), soit une incidence estimée à 1,2 cas par million de voyageurs. Le réservoir de Trypanosoma gambiense est essentiellement humain. En revanche, pour Trypanosoma rhodesiense, le réservoir est aussi animal (antilopes et bovidés). Dans la majorité des cas, la transmission à l’homme se fait par piqûre. Plus rarement, la contamination est interhumaine, soit congénitale, soit par transfusion. Clinique Après une incubation de 2 à 3 semaines, silencieuse ou marquée par l’apparition d’un trypanome au point d’inoculation, la maladie débute par une fièvre intermittente accompagnée de polyadénopathies indolores et mobiles. Pendant cette phase lymphatico-sanguine, il n’est pas rare d’observer une tachycardie, un œdème du visage, un prurit et des signes neurologiques : céphalées, rachialgies, troubles du caractère et du comportement. Puis l’atteinte cérébro-méningée va se préciser : agitation nocturne, somnolence diurne, troubles de la sensibilité, troubles moteurs. L’évolution est lente, avec des phases de latence ou de rémission prolongée. Sans traitement, le pronostic est très sombre à long terme. Chez la femme, l’atteinte préférentielle du diencéphale explique l’aménorrhée souvent constatée et la difficulté de conception. Cette maladie peut provoquer des fausses couches, la naissance d’enfants mort-nés ou prématurés et des infections du nouveau-né. La transmission verticale est possible à tous les stades, même si la mère est asymptomatique. La fréquence de transmission est inconnue. Les nouveau-nés peuvent présenter de la fièvre, une hépatosplénomégalie, des symptômes neurologiques ou être asymptomatiques. Le passage vers le système nerveux central est précoce, mais les troubles neurologiques peuvent n’être décelés que tardivement. Diagnostic biologique — Signes non spécifiques À l’hémogramme, on observe une anémie normochrome, une leucocytose modérée, une thrombopénie et une plasmocytose sanguine et médullaire. Les immunoglobulines sont très élevées, et particulièrement les IgM. Les perturbations du liquide céphalo-rachidien (clair avec des lymphocytes, une protéinorachie élevée) témoignent d’une atteinte cérebroméningée. — Examen parasitologique Le diagnostic de certitude repose sur la détection du parasite dans le sang, la moelle osseuse, le suc de ponction ganglionnaire ou le culot de centrifugation du liquide céphalo-rachidien : • l’examen se réalise à l’état frais entre lame et lamelle ; la mobilité du trypanosome, déplaçant les globules rouges, permet de le repérer facilement ; • en cas de négativité, il est nécessaire de réaliser un frottis sanguin ou, mieux, des gouttes épaisses qui seront colorés par le May-Grünwald-Giemsa. Le cytoplasme du parasite est coloré en bleu, le noyau et le kinétoplasme en rouge et la membrane ondulante est incolore mais visible par son bord externe ; • différentes techniques de concentration sont utilisées lorsque la parasitémie est faible : la triple centrifugation, la centrifugation en tube capillaire et la filtration-centrifugation sur résine échangeuse d’ions ; • la culture du parasite sur des milieux spéciaux à base de glucose, de peptides dérivés de la lactalbumine, du sérum de veau et d’hémoglobine ou l’inoculation à l’animal sont réservées aux centres spécialisés. — Diagnostic sérologique Quatre types de techniques peuvent être utilisés : • l’agglutination sur carte (test Tryp-Catt), recommandée par l’OMS pour le dépistage de masse sur le terrain. L’antigène consiste en une suspension lyophilisée de trypomastigotes colorée en bleu ; • l’hémagglutination passive : c’est une technique quantitative qui utilise des hématies de mouton sensibilisées par un antigène soluble de Trypanosoma gambiense ; • l’immunofluorescence indirecte : elle utilise un antigène figuré Trypanosoma gambiense, de sérotype connu et standardisé. Le résultat est exprimé en taux d’anticorps ; • l’Elisa : de sensibilité et spécificité proches de l’immunofluorescence indirecte, elle est surtout utili- sée pour les études épidémiologiques. Il n’existe pas de technique commercialisée. La sérologie se positive 3 à 4 semaines après l’infestation. Après traitement, la disparition des anticorps demande plusieurs mois (6 à 12 mois). Des fausses positivités peuvent être observées lors d’infections par d’autres protozoaires : leishmaniose viscérale, toxoplasmose évolutive ou paludisme. Traitement Le traitement est effectué en milieu hospitalier, car aucun des médicaments employés n’est dépourvu d’effets secondaires. L’isethionate de pentamidine (Pentacarinat®) n’est efficace que dans la phase lymphatico-sanguine tandis que le mélarsoprol (Arsorbal®) et la difluorométhylornithine (Eflornithine®) sont actifs sur les deux phases de la maladie. Ces traitements sont contre-indiqués pendant la grossesse, mais le risque pour la mère est supérieur à l’éventuelle toxicité fœtale. TRYPANOSOMOSES AMÉRICAINES Agent causal Trypanosoma cruzi est un protozoaire qui se rencontre chez l’homme et les mammifères sous deux formes : une forme amastigote qui colonise le système réticulohistiocytaire et les muscles striés et une forme trypomastigote observée dans le sang périphérique. Trypanosoma cruzi n’est présent que sur le continent américain. Cycle évolutif Trypanosoma cruzi est transmis aux mammifères par des insectes hématophages : les punaises réduves (triatomes). Les insectes s’infectent lors de la piqûre d’un homme ou d’un animal porteur de parasites dans le sang périphérique. Les parasites ingérés se multiplient dans l’intestin des punaises qui éliminent des formes infestantes dans leurs déjections, au moment du repas sanguin suivant. Ces formes infestantes pénètrent les téguments lorsqu’il y a rupture de la peau de l’hôte vertébré (piqûre, lésions de grattage…). Elles peuvent aussi traverser activement les muqueuses comme la conjonctive. T. cruzi peut également être transmis par transfusion de sang provenant de donneurs infestés ou par voie placentaire. Épidémiologie La maladie de Chagas touche 16 à 20 millions d’individus dans les zones endémiques de l’Amérique centrale et du Sud. Les fortes migrations de population des zones rurales vers les zones urbaines des années 1970 et 1980 ont modifié la distribution de cette infection qui est devenue urbaine. Le risque de transmission transfusionnelle varie de 2 % à plus de 50 % selon les régions. Clinique La maladie de Chagas est classiquement contractée au cours de l’enfance. Elle évolue en trois phases. • Pendant la phase d’incubation de 1 à 4 semaines, il apparaît de façon inconstante une lésion au point de pénétration : le chagome. • La phase aiguë de la maladie est caractérisée par une fièvre, des adénopathies et une hépatosplénomégalie. La forme aiguë a une létalité de 10 %, mais elle peut être inapparente. Les signes aigus régressent spontanément chez une majorité de patients ; mais 10 à 30 % des sujets infectés font une infection chronique. • La phase chronique devient symptomatique plusieurs années (5 à 20 ans) après la primo-infection. L’atteinte cardiaque est fréquente : troubles du rythme, cardiomyopathie et accidents thromboemboliques. Certains patients vont développer des lésions intestinales (mégaœsophage, mégacôlon). Suivant les zones d’endémie, 2 à 50 % des femmes enceintes sont séropositives. L’infection intra-utérine provoque des avortements, des accouchements prématurés et un retard de croissance intra-utérine. La létalité chez des nouveau-nés non traités est de 42 % dans les 3 premiers mois de vie. Diagnostic biologique — Diagnostic parasitologique Il repose sur la mise en évidence du parasite dans le sang à la phase aiguë et à la phase intermédiaire de la maladie : • l’examen se réalise à l’état frais entre lame et lamelle ; la mobilité du trypanosome, déplaçant les globules rouges, permet de le repérer facilement ; • la recherche se fait aussi après coloration de frottis sanguins ou de gouttes épaisses au May-GrünwaldGiemsa. Le cytoplasme du parasite est coloré en bleu, le noyau et le kinétoplasme en rouge et la membrane ondulante est incolore mais visible par son bord externe ; • l’isolement du parasite peut être réalisé par culture sur le milieu NNN (Novy, Mac Neal, Nicolle) ou par inoculation à la souris ; • la mise en évidence du parasite peut être réalisée par PCR. — Diagnostic sérologique Les tests sérologiques ont un intérêt lors de la phase chronique. La détection des anticorps s’effectue classiquement par des techniques de fixation du complément, d’immunofluorescence indirecte ou des méthodes Elisa. Cependant, on observe aussi, quelle que soit la technique, des réactions croisées avec les leishmanioses viscérales. L’application principale de ces sérologies est la détection des anticorps chez les donneurs de sang afin de réduire la transmission par transfusion. Traitement Surtout efficaces sur les formes aiguës, le nifurtimox (Lampit®) et le benzonidazole (Radanil®) sont d’efficacité variable selon les souches. Ces deux médicaments ne sont pas commercialisés en France. ( Legros F, Ancelle T. Tryanosomiase humaine africaine : recensement des cas d’importation observés en France, 1980-2004. BEH – Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire 2006 ; No 7 : 57-59. Nozais JP. Trypanosomose américaine (maladie de Carlos Chagas). In : Nozais JP, Datry A, Danis M. – Traité de parasitologie médicale. Paris : Pradel, 1996 ; pp. 199-212. Nozais JP. Trypanosomes humaines africaines. In : Nozais JP, Datry A, Danis M. – Traité de parasitologie médicale. Paris : Pradel, 1996 ; pp. 171-197. Pelloux H, Aznar C, Bouteille B. Les trypanosomoses. Rev Prat 2006 ; 56 : 2209-2216.