Les manifestations neuropsychiatriques de la maladie de Darier

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L’Encéphale (2009) 35, 32—35
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
GÉNÉTIQUE
Les manifestations neuropsychiatriques de la
maladie de Darier : résultat préliminaire d’une
étude epidémioclinique et génétique
de huit familles
Darier’s disease: An evaluation of its
neuropsychiatric component
M. Cheour a,∗, H. Zribi b, S. Abdelhak c,
S. Drira a, A. Ben Osman c
a
Service des consultations externes et des urgencies, hôpital Razi, rue des oranges,
2010 La Manouba, Tunis, Tunisie
b
Service de dermatologie, hôpital la Rabta, Tunis, Tunisie
c
Service de génétique, institut Pasteur de Tunis, Tunisie
Reçu le 24 mai 2006 ; accepté le 18 février 2008
Disponible sur Internet le 2 juin 2008
MOTS CLÉS
Malade de Darier ;
Manifestations
neuropsychiatiruqes ;
Étude génétique ;
Troubles de l’humeur
∗
Résumé La maladie de Darier est une génodermatose rare de transmission autosomique dominante à pénétrance variable.
Ces dernières années, la maladie a connu un regain d’intérêt grâce à la découverte sur le
chromosome 12 du gène ATP2A2 codant pour une pompe à calcium ATPase dépendante.
Les associations de la maladie de Darier avec des troubles neuropsychiatriques ont été rapportées dès 1966.
Nous présentons dans cet article les résultats préliminaires d’une étude clinique et génétique
de huit familles tunisiennes.
La coexpression de deux phénotypes distincts (maladie de Darier et maladie bipolaire) chez
trois membres d’une même famille de notre étude suggère l’existence d’une liaison génétique
entre les deux maladies comme cela a déjà été rapporté dans la littérature (2,11).
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Cheour).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2007.09.009
Les manifestations neuropsychiatriques de la maladie de Darier
KEYWORDS
Darier’s disease;
Neuropsychiatric
disorders;
Genetic study;
Mood disorders
33
Summary
Background. — Darrier’s disease is a rare genodermatosis with a dominant autosomic penetrating
variable transmission. The association between Darier’s disease and neuropsychiatric disorders
has been reported since 1996. Moreover, associations with mental retardation, schizophrenia,
mood disorders and suicide have been reported.
The discovery in 1999 of the ATP2A2 gene of Darier’s disease, localised on chromosome 12,
allowed significant advances notably in understanding the pathogenicity of these symptoms.
Material and methods. — In this article, we present the preliminary results of a clinical and
genetic study of eight Tunisian families, involving dermatologists, psychiatrists and geneticians.
Eight patients with Darier’s disease and their first degree relatives were included in the study
after they had given their written consent. Thirty-five subjects were examined, 23 of them had
Darier’s disease.
All patients were submitted to a complete clinical examination; notably dermatological screening, genetic inquiry and blood tests for haplotype analysis. Only 13 of them underwent a
psychiatric examination.
Results. — The psychiatric examination was carried out only in 13 patients with Darier’s disease,
who revealed neuropsychiatric symptoms with a frequency of 61.1% (8/13). Two patients presented mild mental retardation; six patients had mood disorders, three of them belonged to the
same family (two had recurrent depression, four belonged to the bipolar spectrum [2 bipolar
disorder type 2, 2 cyclothymia]).
The coexpression of the two distinct phenotypes (Darier’s disease and bipolar disease), within
the same three members’ of the family of our study, suggests the existence of a genetic linkage
between the two diseases, as has been reported in the literature.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
La maladie de Darier est une dermatose rare. Elle touche
tous les âges et se révèle surtout à l’adolescence et au début
de l’âge adulte.
Les deux sexes sont atteints de façon égale.
La forme classique de la maladie de Darier se caractérise par l’apparition progressive, au cours de la deuxième
décennie, de « papules croûteuses » ou « kératosiques » ou
« de plaques verruqueuses », voire hyperkératosiques des
régions séborrhéiques (cuir chevelu, front, sillons nasogéniens, tronc et plis inguinaux).
L’éruption est généralement symétrique.
Le signe fonctionnel le plus fréquent est le « prurit ».
Une sensation de tension cutanée est décrite lors des
poussées.
Une mauvaise odeur peut importuner les malades lorsque
les plis sont touchés.
Celle-ci est à l’origine d’un handicap social parfois important.
Dans la majorité des cas, l’évolution de la maladie est
chronique, alternant des périodes de stabilisation et des
poussées spontanées ou provoquées.
Des facteurs favorisants des poussées ont été clairement
déterminés qui sont les suivants : l’exposition solaire, la
chaleur et la transpiration, les variations hormonales oestroprogestatives, le lithium, le stress.
Il n’existe pas actuellement de traitement curatif.
Les mesures prophylactiques visent à améliorer la
tolérance fonctionnelle tout en favorisant l’insertion socioprofessionnelle dans les formes graves.
Introduction
La maladie de Darier, encore connue sous la dénomination de maladie de Darier-White ou de dyskératose
folliculaire est une génodermatose rare transmise en dominance autosomique de pénétrance plus ou moins complète
et d’expressivité variable au sein de chaque génération
[1,6,13,15].
De nombreuses maladies touchant des organes variés
comme le système nerveux ou le squelette peuvent s’y associer.
Les associations de la maladie de Darier avec des troubles
neuropsychiatriques ont été rapportées dés 1966 [6].
Il a été ainsi rapporté des associations avec le retard
mental [1,6,15], la schizophrénie [12,15], les troubles de
l’humeur [2,10,11] et le suicide [4,15].
Mais les travaux qui se sont intéressés à l’association de
la maladie de Darier avec d’autres affections en particulier
neuropsychiatriques sont rares.
La découverte en 1999 du gène ATP2A2 de la maladie de
Darier localisé sur le chromosome 12, a permis des avancées considérables notamment sur le plan du mécanisme
pathogénique.
Un modèle étiopathogénique basé sur des anomalies du
signal calcique a pu alors être proposé avec l’identification
d’une pompe à calcium adénosine triphosphate (ATP) ase
dépendante.
La physiopathologie des formes neuropsychiatriques de
la maladie de Darier est encore discutée et serait liée pour
certains à des mutations faux-sens, surtout localisées sur
la région 3 du gène ATP2A2 [9], alors que pour d’autres,
il n’y aurait pas de profil mutationnel spécifique impliqué
[14].
Une étude familiale de la maladie de Darier à travers une
série de 23 patients appartenant à huit familles tunisiennes
a été réalisée en collaboration avec des dermatologues, des
psychiatres et des généticiens. Ses objectifs sont de préciser les caractéristiques épidémiocliniques, les associations
pathologiques en particulier psychiatriques et les particu-
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larités génétiques des patients atteints de la maladie de
Darier.
Nous présentons ici les résultats préliminaires des investigations neuropsychiatriques.
Matériels et méthodes
Un courrier a été adressé à 16 malades atteints de la maladie de Darier, colligés dans un service de dermatologie de
l’hôpital la Rabta de Tunis.
Huit patients ont répondu à la convocation et ont été
inclus à l’étude avec les membres de leurs familles (après
leur consentement).
Au total, 35 sujets ont été examinés parmi lesquels 23
étaient porteurs de la maladie de Darier. Douze ont été diagnostiqués lors de l’examen systématique des membres des
familles des cas index.
Les critères d’inclusion étaient clinique et histologique.
Tous les patients inclus ont répondu à un questionnaire épidémioclinique détaillé et ont eu un examen clinique complet
en particulier dermatologique.
Au plan génétique
• Une enquête génétique a été réalisée pour les huit
familles selon une fiche préétablie permettant la réalisation d’un arbre généalogique ;
• des prélèvements sanguins en vue d’une analyse haplotypique ont été faits pour les sujets malades, mais aussi
pour les membres sains des familles.
Au plan psychiatrique
Chaque individu de l’étude (sain ou malade) qui a accepté
de se soumettre à un examen psychiatrique a bénéficié de
deux entretiens avec un psychiatre (le même pour tous les
patients).
Les diagnostics ont été posés selon les critères de la classification du DSM IV.
Treize malades ont ainsi pu être examinés.
Résultats
Les résultats des examens psychiatriques sont récapitulés
dans le Tableau 1 :
• huit patients sur les 13, avaient au moins un diagnostic
sur l’axe I ou II du DSMIV, soit une fréquence des troubles
de 61,6 % ;
• quatre sur les six membres examinés d’une même
famille ont une association maladie de Darier, trouble de
l’humeur (deux cyclothymiques, un trouble bipolaire type
II, un trouble dépressif majeur récurrent) ;
• deux sur les trois membres examinés d’une autre famille
ont un retard mental, pour l’un deux le retard mental est
associé à des troubles psychotiques non spécifiés ;
• un sur deux membres examinés d’une troisième famille a
un trouble bipolaire type II ;
• enfin, le seul membre examiné d’une quatrième famille a
un trouble dépressif majeur récurrent.
M. Cheour et al.
Tableau 1 Diagnostics selon les critères du DSM IV des 13
patients atteints de la maladie de Darier.
Sujets
Diagnostic
BASS-n-3
BASS-t-4
BASS-f-5
BASS-m-6
BASS-ns-7
BASS-ma
Trouble dépressif majeur récurrent
Trouble bipolaire type II.
Examen normal
Examen normal
Trouble cyclothymique
Trouble cyclothymique
BHS-h-8
BHS-r-9
Trouble bipolaire type II.
Examen normal
FAT-n-11
FAT-1-12
FAT-m-13
Retard mental
Retard mental
Examen normal
BH-a-16
Examen normal
A-z-22
Trouble dépressif majeur récurrent
Discussion
Sur les 35 sujets examinés par les dermatologues et les
généticiens, seulement 13 patients présentant la maladie
de Darier et appartenant à cinq familles ont accepté de se
déplacer à l’hôpital psychiatrique et d’y subir un examen.
Malgré le faible nombre de patients examinés, notre travail a trouvé chez les 13 patients atteints de la maladie de
Darier, une fréquence des troubles neuropsychiatriques de
61,6 %.
Ce chiffre confirme l’association fréquente de la maladie
de Darier avec des troubles neuropsychiatriques.
Deux patients avaient un retard mental léger.
L’association de la maladie de Darier au retard mental
a déjà été rapportée par la littérature [1,2,15].
Six patients de notre série avaient un trouble de
l’humeur : deux avaient un trouble dépressif récurrent et
quatre appartiennent au spectre bipolaire (deux trouble
bipolaire type II, deux cyclothymie), dont trois patients sont
de la même famille.
L’association de la maladie de Darier à des troubles de
l’humeur a été rapportée dans trois familles dans la littérature [2,10,11].
L’implication de facteurs génétiques dans la maladie
bipolaire est maintenant bien établie, malgré un mode de
transmission non mendélien rendant difficile l’identification
des loci susceptibles de porter les gènes de la maladie
bipolaire [3,5,7,8] ; les études de liaison génétique laissent
supposer l’existence d’un ou plusieurs gènes, localisés sur
le chromosome 12, différents du gène de la maladie de
Darier.
La coexpression de deux phénotypes distincts (maladie
de Darier, et maladie bipolaire) chez trois membres d’une
même famille suggère l’existence d’une liaison génétique
entre les deux maladies comme cela a déjà été rapporté
dans la littérature [2,11].
La coexpression phénotypique peut être expliquée par
différents mécanismes génétiques [3,9] : syndrome des
gènes contigus, acquisition simultanée de deux mutations
pathogènes indépendantes et pleiotropisme du gène ATP2A2
Les manifestations neuropsychiatriques de la maladie de Darier
exprimé à la fois au niveau de la peau et du cerveau qui ont
une origine ectodermique commune.
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