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23 avril 2014 0
La virémie est définie comme la charge virale présente dans
le sang, alors que la virorachie se réfère à celle présente dans
le liquide céphalorachidien (LCR). Lorsque la virorachie ou
la virémie sont en dessous du seuil de quantification de la
méthode utilisée, on dit qu’elles sont indétectables.
Une discordance entre la virorachie et la virémie, ou
«échappement VIH dans le LCR» ou «effet sanctuaire viral
du SNC», est définie par certains auteurs comme toute vi-
rorachie détectable, soit supérieure à 200 copies/ml3 alors
que la virémie est inférieure à 50 copies/ml, ou comme
toute virorachie supérieure de 1 log à la virémie.3,4 A noter
que de nos jours, le seuil de quantification est de 20 copies/
ml pour le sang et le LCR dans la plupart des centres.
pathogenèse
Le VIH infecte le SNC précocement, soit au moment de
la primo-infection. La manière par laquelle le virus y est
véhiculé est encore sujette à controverse. Il pourrait être
transporté par des monocytes, des lymphocytes ou encore
sous forme de particules virales libres.6 L’hypothèse des
monocytes servant de «chevaux de Troie» est soutenue
par le fait que les souches virales isolées à partir du SNC
ont un tropisme CCR5 et se répliquent de manière efficace
dans des macrophages en culture. Après avoir traversé la
barrière hémato-encéphalique, le VIH semble infecter prin-
cipalement des macrophages du parenchyme cérébral (cel-
lules microgliales). Il est également capable, mais dans une
moindre mesure, d’infecter les astrocytes.7 En revanche,
les neurones et oligodendrocytes sont réfractaires à l’infec-
tion par le VIH. La réplication du VIH au niveau du SNC en-
traîne une réaction inflammatoire caractérisée par la pré-
sence de nombreux lymphocytes T CD8+ avec relargage de
médiateurs pro-inflammatoires ainsi qu’une astrocytose
réac tionnelle. Cette réaction inflammatoire est caractéris-
tique de l’encéphalopathie au VIH, elle-même générale-
ment associée à des troubles cognitifs.8 A noter qu’il ne
semble pas y avoir de corrélation entre la charge virale VIH
dans le LCR et la sévérité des déficits cognitifs.9 Ceci sug-
gère le rôle important de la réponse inflammatoire céré-
brale secondaire à la réplication virale, indépendamment
de l’amplitude de celle-ci. D’autre part, relevons qu’une
réplication du VIH a également été documentée dans le
LCR de patients asymptomatiques.10
manifestations neurologiques et radio-
logiques liées à une virorachie vih
Les tableaux cliniques associés à un échappement du
VIH dans le SNC sont souvent d’apparition subaiguë, et
peuvent être divers : méningite, encéphalite ou encore myé-
lite. Parmi les symptômes et signes rapportés, on peut citer
des céphalées persistantes, des troubles cérébelleux, des
syndromes pyramidaux, des troubles cognitifs, voire une at-
teinte de l’état de conscience.4 La vignette clinique illustre
un cas particulièrement tapageur d’échappement virolo-
gique au niveau du SNC.
L’IRM cérébrale révèle dans la plupart des cas des lé-
sions hyperintenses en T2 et en FLAIR au niveau de la subs-
tance blanche. Ces lésions ont tendance à persister malgré
la résolution des symptômes, durant plusieurs mois à plu-
sieurs années.3,4
vignette clinique
Un patient de 46 ans, d’origine éthiopienne, connu pour
une infection VIH depuis 2008, traité par atazanavir
boosté par ritonavir, ténofovir et abacavir, présente une
faiblesse des membres inférieurs, associée à une dysp-
née rapidement progressive, nécessitant une hospitali-
sation aux soins intensifs pour surveillance neurologique
et respiratoire.
Aucune lésion cérébrale ni médullaire n’est retrouvée
à l’imagerie initiale (CT et IRM).
L’analyse du LCR est compatible avec une méningite
lymphocytaire (leucorachie à 150 M/l dont 99% de lym-
phocytes, et protéinorachie à 0,68 g/l). La recherche dans
le LCR de cytomégalovirus, virus Epstein-Barr, HSV-1 et
-2 (virus de l’herpès simplex), VZV (virus varicelle-zona),
HHV-6 (herpèsvirus humain type 6) et entérovirus par
PCR est négative, tout comme les sérologies borrélia et
syphilis. En revanche, la virorachie VIH est élevée, à
240 000 copies/ml, pour une virémie effectuée le même
jour à 3400 copies/ml. A noter que les trois virémies ef-
fectuées durant les sept mois précédents se situaient
entre 100 et 200 copies/ml, sans que l’adhérence théra-
peutique du patient ne soit mise en cause, comme en
témoigne un taux sanguin d’atanazavir thérapeutique un
mois avant l’hospitalisation. Le taux de cellules T CD4+
était à 503/mm3 (27%) trois mois avant l’hospitalisation.
Un échappement virologique dans le compartiment
du SNC est retenu en l’absence d’étiologie alternative,
et le traitement antirétroviral est modifié afin d’amélio-
rer sa pénétration cérébrale, en remplaçant l’atazanavir
par le darunavir (tableau 1). Depuis ce changement, la
virorachie a diminué de 2 log en deux semaines, et la
virémie de 1 log en six semaines, avant de devenir indé-
tectable. La symptomatologie du patient s’est progres-
sivement améliorée, pour finalement se résoudre tota-
lement cinq mois après le changement thérapeutique.
pénétration cérébrale des antirétro-
viraux et impact de son optimalisation
Afin d’estimer la pénétration cérébrale d’un traitement
antirétroviral, un score a été publié par Letendre et coll. en
2008, révisé en 2010, et présenté au congrès CROI (Confe-
rence on Retroviruses and Opportunistic Infections) en
2010.11 Il s’agit du score d’efficacité de pénétration céré-
brale (EPC, CPE en anglais) (tableau 1), établi sur la base
d’études pharmacologiques au niveau du LCR, de proprié-
tés physicochimiques des molécules et de leur efficacité
en termes de suppression de la virorachie. Dans ce sys-
tème, les anti rétroviraux sont classés en quatre catégories.
Plus le score est élevé, meilleure est la pénétration céré-
brale du médicament. Pour un traitement combiné, le score
de chaque molécule est additionné. Néanmoins, il est im-
portant de noter que ce score d’EPC, dont la version révi-
sée n’a toujours pas été publiée, fait l’objet d’une contro-
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