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L'attitude de Pline l'Ancien est toute différente
. Elle est celle d'un refus de la
lutte, de se laisser envahir par le rythme rapide des coups à parer et à rendre . En pleine
éruption volcanique, il prend son bain, il mange avec ses amis, puis il va se coucher:
"alors il se livra au repos, et dormit d'un sommeil qui ne peut être mis en doute, car sa
respiration, rendu par sa corpulence grave et sonore, était entendue par ceux qui
allaient et venaient devant sa porte" (8) . Bref, le volcan a beau s'agiter, lui, il ronfle
. Il se
dérobe au combat, indifférent aux circonstances extérieures
. 'Tu es capable de n'être
jamais vaincu, si tu ne t'engages jamais dans aucune lutte, dans laquelle il ne dépend pas
de toi d'être victorieux" (9), dira Epictète et telle est bien une formulation convenable
pour l'esthétique de l'existence que Pline le Jeune propose à travers l'exemple de son
oncle
. Pline l'Ancien va à son propre rythme, aucune contrainte extérieure ne peut l'en
faire changer
. Son attitude est marquée par la temporisation
. Ses amis sont obligés de le
réveiller, car la pluie de cendres et de lapillis bloque l'accès de sa chambre "au point
qu'en restant plus longtemps dans sa chambre, il n'en aurait pu sortir" (10)
. Le temps
gagné à temporiser sert à vaquer à des occupations habituelles : boire, manger, dormir,
prendre un bain, avoir une conversation anodine.
Au défi du volcan, il répond "ce n'est pas une gêne pour moi"
. La volonté est
souveraine dans tous
les
accidents
. Là-encore, une formulation d'Epictète vient à l'esprit
"Ce n'est pas une gêne pour la volonté, si elle ne le veut pas" (11)
. Dans tout le récit de
Pline le Jeune, les décisions de Pline l'Ancien sont issues de calculs de la raison dont les
résultats paraissent surprenant, allant dans le sens de l'inadaptation complète aux
circonstances
. Le parcours de Misène à la plage de Stabies peut être refait en évaluant à
chaque fois le pertinence de la décision de Pline l'Ancien.
1°) Première décision
: celle de sortir l'escadre de quadrirèmes et non la liburne.
La liburne est bien plus apte à affronter des situations délicates que la quadrirème
: ce
navire est un navire de combat qui demande pour naviguer une mer absolument calme.
Les faits inclinaient donc pour le premier choix de Pline l'Ancien
. Une fois les
quadrirèmes arrivés à Stabies, ils furent probablement halés sur la plage dans l'attente
d'une mer plus calme
. Or, la mer ne redeviendra calme qu'au bout du troisième jour,
mais alors que l'oncle de Pline aura péri en attendant cette évacuation sur le rivage.
Pourquoi Pline l'Ancien sort-il l'escadre ? Il révise son premier plan sur une plus grande
échelle
: employer les grands moyens dont il dispose sans tenir compte des conditions de
navigation.
2°) Le pilote de Pline lui conseille, alors que le rivage proche de, Pompéi est
inaccessible, de faire demi-tour
: "La fortune aide le courage", lui réplique-t-il, et il met
le cap au Sud-Est, vers Stabies
. Il laisse, par conséquent, les gens, qui attendent sur la
plage du côté de Pompéi, à leur sort sans s'en préoccuper
. Il change brusquement
d'objectif en cours de route, ne calcule pas les moyens en les proportionnant à ce qu'il
entreprend, et s'en remet à sa Bonne Fortune.
3°) Une fois le pied à terre, il prend la décision de se faire porter dans le bain.
Cette décision individuelle est incompréhensible pour quelqu'un qui prend la charge
d'une évacuation
. Aucun examen de la situation n'est faite en arrivant sur place, aucune
dimension collective n'est donnée à sa décision
. Dans le récit de la bataille de Salamine
par Hérodote, un moment crucial est celui où le conseiller de Thémistocle dit que les
Grecs vont périr par absence de résolution collective : l'absence de plan concerté va faire
périr les Grecs
. L'arrivée de l'escadre à Stabies devrait entraîner un moment de
réflexion collective pour se fixer une conduite générale de la succession des opérations à