UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE V CONCEPTS ET LANGAGES Centre de Linguistique en Sorbonne THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Linguistique anglaise Présentée et soutenue par : Marie DUBOIS-AUMERCIER le : 28 juin 2014 Etude des constructions participiales en –ing de l’anglais contemporain Sous la direction de : M. Pierre COTTE – Professeur, Université Paris-Sorbonne Membres du jury : Mme Catherine COLLIN – Professeur, Université de Nantes M. Pierre COTTE – Professeur, Université Paris-Sorbonne Mme Monique DE MATTIA-VIVIÈS – Professeur, Aix-Marseille Université M. Claude GUIMIER – Professeur, Université de Caen M. Wilfrid ROTGÉ – Professeur, Université Paris-Sorbonne 1 Cette thèse s’intéresse aux constructions participiales de l’anglais contemporain dominées par des participes présents, comme dans les énoncés suivants : [1] When Benjamin let himself into his parents’ empty house the following afternoon, the first thing he saw lying on the doormat was a letter containing his exam results.1 [2] A familiar scrawny figure walked by, wearing a dark grey suit and also sucking fiercely on a cigarette.2 [3] He lay awake almost until dawn, his mind dancing with the knowledge of his new, unhoped-for good fortune.3 D’emblée, les questions soulevées par ces constructions sont nombreuses. Ainsi, on note que certaines participiales sont détachées de la proposition principale par une virgule à l’écrit et une pause intonative à l’oral, comme en [2] et [3], tandis que d’autres lui sont intégrées, comme en [1], ce qui pose la question du mode de rattachement de ces constructions à la proposition dont elles dépendent. En outre, le sujet des participiales de [1] et de [2] est identifié par un syntagme nominal de la principale, tandis qu’en [3], il est exprimé au sein de la participiale : faut-il dès lors considérer que les participiales de [1] et de [2] ne possèdent pas de sujet syntaxique propre, au contraire de celle de [3] ? Ou bien devons-nous envisager une autre hypothèse, qui permettrait de rendre compte de toutes les participiales de la même façon ? En tout état de cause, on peut s’interroger sur la façon dont le participe, forme non finie du verbe, est lié à son sujet syntaxique. Le statut de la prédication participiale soulève également des interrogations. Ainsi, en [1], la seconde participiale, dominée par containing, peut être glosée par une proposition relative ; mais ce n’est pas le cas de la première participiale de l’énoncé, dominée par lying. Les participiales de [2], quant à elles, peuvent évoquer une forme d’apposition, tandis que la participiale de [3] présente une prédication pratiquement identique à celle que porterait une proposition à verbe fini, à ceci près que la forme non conjuguée de son verbe la subordonne à la prédication principale. Comment rendre compte de ces différences ? En particulier, on peut se demander dans quelle mesure les notions de prédication seconde ou de co-prédication sont pertinentes pour analyser le fonctionnement participial. 1 COE, J. (2002), The Rotters’ Club, Londres : Penguin Books, p. 357. Id., p. 77. 3 Id., p. 353. 2 2 Enfin, les participiales, en particulier lorsqu’elles sont détachées, se signalent par une forte indétermination sémantique. La relation qu’elles entretiennent avec la principale n’est, en [2] et en [3], explicitée par aucun subordonnant. Il est manifeste que les procès auxquels elles réfèrent sont liés à celui de la principale ; mais l’explicitation de ce lien est délicate. Le détachement des participiales et leur déplacement possible suggèrent un rapport circonstanciel entre la principale et la subordonnée ; mais la glose de ce rapport par le biais de propositions circonstancielles à verbe fini pose problème, tant la participiale semble avoir pour rôle essentiel, et minimal, d’ajouter des détails au procès dénoté par la principale, de compléter sa description, de permettre à l’énonciateur d’en rendre compte de façon plus précise, éventuellement par le biais d’un ajout d’information à propos de l’un de ses participants. Ce sont toutes ces questions qui nous ont amenée à nous pencher sur les constructions participiales en –ing de l’anglais. Pour dégager leur spécificité et leurs caractéristiques propres, nous avons constitué un corpus de 1743 constructions participiales, glanées dans deux romans, The Rotters’ Club, de Jonathan Coe, et Nice Work, de David Lodge, ainsi que dans deux numéros du Time et du Guardian. L’étude détaillée de ce corpus nous a permis d’établir des régularités et de formuler des hypothèses ; pour les tester, nous avons également eu recours à l’interrogation du British National Corpus (BNC) et du Corpus of Contemporary American English (COCA), accessibles en ligne. Dans un premier temps, notre thèse propose de circonscrire avec précision l’objet d’étude en définissant ce qu’est une construction participiale et en établissant une typologie analytique des différentes catégories de participiales envisagées. Ce faisant, nous dressons un état des lieux des traitements des participes et des participiales proposés dans la littérature. Nous montrons que les dénominations traditionnelles des participes « présent » et « passé » sont souvent remises en question, car elles paraissent impliquer une capacité des participes à marquer un temps grammatical spécifique, ce qui n’est pas vérifié dans leur usage effectif : en étudiant le débat concernant le nom le plus approprié à donner aux participes (faut-il parler de participes « imperfectif » et « perfectif », ou « actif » et « passif » ?), nous soulignons dès l’abord la complexité de la valeur aspectuo-temporelle des participiales. Notre typologie nous permet d’établir trois grandes catégories de participiales : les participiales non détachées, les participiales détachées sans sujet exprimé, ou free adjuncts, et les participiales détachées comprenant un sujet explicite, ou constructions absolues. Ces trois catégories sont respectivement illustrées par les énoncés [1], [2] et [3]. Nous en dégageons les 3 caractéristiques principales : ainsi, les participiales non détachées comprennent cinq grands types de participiales qui se caractérisent par des liens syntaxiques, sémantiques et prédicatifs divers avec la principale. Nous montrons également que les participiales détachées peuvent occuper des positions différentes par rapport à la proposition dont elles dépendent, que leur sujet peut être identifié par des syntagmes nominaux occupant des fonctions variables au sein de cette proposition, voire, dans certains cas, être coréférent avec cette proposition elle-même ou un élément du cotexte étendu, et qu’il arrive qu’elles soient introduites par un subordonnant explicitant le type de relation qu’elles entretiennent avec la principale. Pour compléter cette première approche de notre objet d’étude, nous traçons la frontière entre les participiales et les constructions qui leur ressemblent, comme les syntagmes adjectivaux, les propositions gérondives4 et les propositions à verbe fini réduites. L’ensemble de cette démarche nous permet de soulever les questions qui feront l’objet de développements détaillés ultérieurs : en particulier, la question du sujet des participiales, celle de leur incidence et du type de prédication dont elles sont porteuses, et celle de leur sens. Dans un deuxième temps, nous abordons donc la question du sujet des participiales, et commençons à développer nos hypothèses sur l’analyse à donner de ces constructions. Nous établissons d’abord ce que l’on doit entendre par « sujet », en soulignant la difficulté d’étudier cette notion, qui peut s’entendre aussi bien au niveau syntaxique que sémantique ou pragmatique. Nous développons les relations entre les concepts de sujet, d’agent, de topique ou encore de support, avant de nous demander comment l’on peut circonscrire la nature exacte du sujet des participiales. Nous passons en revue les différentes hypothèses formulées dans la littérature (notamment celle d’un sujet PRO, d’un sujet sous-jacent ou d’une absence totale de sujet syntaxique) et détaillons leurs avantages et limites, avant de mettre en avant l’hypothèse qui nous paraît le plus à même de rendre compte du comportement des participiales. Pour nous, les participes présents intègrent leur sujet syntaxique, qui leur est donc interne. Cette hypothèse a l’avantage d’unifier la catégorie des participiales : qu’elles soient détachées ou non, aucune d’entre elles ne comporte en son sein de sujet syntaxique exprimé. La référence de ce sujet syntaxique est cependant susceptible d’être identifiée par un syntagme nominal, qui peut être extérieur à la participiale, comme dans le cas des participiales non détachées et des free adjuncts, ou être compris dans ses limites, comme dans 4 Ce faisant, nous nous démarquons de démarches tendant à assimiler le participe au gérondif, développées par exemple dans HUDDLESTON, R., PULLUM, G. K. (2002), The Cambridge Grammar of the English Language, Cambridge : Cambridge University Press, ou DUFFLEY, P. J. (2006), The English Gerund-Participle: A Comparison with the Infinitive, New York : Peter Lang. 4 le cas des constructions absolues. Le participe entretient toujours un lien privilégié avec ce syntagme nominal ; mais ce lien est, pour nous, sémantique. La question du sujet des participiales nous amène à nous intéresser à celles de l’incidence et de la prédication de ces constructions. L’incidence, notion due à G. Guillaume, concerne les relations entre apport et support d’information. Selon Guillaume, elle permet de distinguer les parties du discours les unes des autres : ainsi le nom a-t-il une incidence interne, le verbe et l’adjectif une incidence externe, et l’adverbe une incidence externe de second degré, c’està-dire une incidence à une incidence. Nous montrons que les participiales ont des incidences diverses : alors que les participiales non détachées et les free adjuncts sont incidents à leur sujet, c’est-à-dire ont une incidence à un élément nominal, les constructions absolues ont une incidence similaire à celle de l’adverbe. Nous distinguons ensuite l’incidence de la portée, pour expliquer pourquoi les participiales non détachées et les free adjuncts sont susceptibles de recevoir des interprétations circonstancielles. Nous abordons ensuite le problème de la prédication participiale. Nous commençons par étudier en détail les notions de prédication seconde et d’apposition, en montrant que leurs définitions sont extrêmement variables dans la littérature, et parfois si larges qu’elles leur ôtent toute puissance analytique. A l’issue de ce panorama, nous retenons pour chacune de ces notions une définition spécifique, à laquelle nous confrontons les diverses constructions participiales établies dans notre typologie. Cette démarche nous permet d’établir que les constructions absolues constituent une prédication secondaire, c’est-à-dire une prédication dont les caractéristiques ne sont pas fondamentalement différentes de celles de la prédication principale, mais qui se trouve placée au second plan par la subordination syntaxique que lui impose la forme non finie du verbe. Les free adjuncts représentent une co-prédication, c’est-àdire une prédication qui partage (dans la majorité des cas) le support de la prédication principale. Ces participiales entrent également dans la catégorie de l’apposition. Enfin, les participiales non détachées peuvent, selon les cas, constituer des exemples de prédication seconde, de prédication épithétique ou de co-prédication. Le dernier volet de notre étude concerne le sens des constructions participiales, et nous permet, en nous basant sur la théorie psychomécanique de Guillaume et en particulier sur les travaux de W. Hirtle, P. J. Duffley et P. Cotte, de livrer une hypothèse portant sur l’ensemble du fonctionnement de ces constructions. En premier lieu, nous défendons l’idée que le sens des participiales n’est pas ambigu, mais vague : autrement dit, nous rejetons l’hypothèse selon 5 laquelle les participiales dériveraient par transformations successives de propositions circonstancielles à verbe fini. Nous proposons une typologie des valeurs sémantiques susceptibles d’être associées aux participiales, en montrant que les relations qu’elles expriment le plus fréquemment sont difficiles à analyser en termes adverbiaux. Ainsi, la relation primordiale établie par les participiales est celle de circonstance concomitante : or la circonstance concomitante ne dit rien de plus que l’existence d’un lien entre le procès de la participiale et celui de la principale. Ce sont les traits du co- et du contexte spécifiques dans lesquels la participiale intervient qui permettent au coénonciateur d’ajouter à ce lien primordial, en déduisant par exemple du sens des verbes mis en présence la nécessité d’établir une relation causale ou concessive. Mais dans bien des cas, la circonstance concomitante ne dérive pas vers une valeur plus strictement adverbiale ; le lien reste sous-spécifié, et il permet à l’énonciateur d’ajouter à ce qu’il vient de dire, de compléter sa description de la situation dénotée par la principale, ou de la commenter. Nous faisons l’hypothèse que cette valeur basique des participiales est étroitement liée aux propriétés du participe présent telles que l’on peut les dégager dans le cadre d’une approche guillaumienne. Nous partons du principe que le participe présent synthétise une première conjugaison théorique au présent en intégrant à la fois son sujet et son repère temporel, ainsi que la notion de coïncidence avec ce repère. De cette genèse, le participe hérite un certain nombre de valeurs : d’abord, il marque la subordination. D’emblée, la participiale est donc perçue comme devant être liée à autre chose qu’elle-même, comme étant secondaire. Ensuite, nous montrons que le participe code la simultanéité et l’imperfectif, dans tous les contextes, y compris lorsque la confrontation du sens des verbes de la participiale et de la principale semble s’y opposer. De ce fait, la participiale est un outil permettant d’appliquer le filtre de la subjectivité de l’énonciateur sur les faits observables : bien que deux procès se suivent, l’énonciateur qui emploie une participiale maintient qu’ils entretiennent, à un niveau abstrait, une forme de simultanéité, suggérant qu’ils font partie d’une même situation ou que leurs liens sont étroits ; bien qu’il soit manifeste, dans le contexte, qu’un procès est envisagé du point de vue de ses conséquences, l’énonciateur choisit, en utilisant –ing, de le considérer également de l’intérieur, jouant sur le sens propre de la participiale et son interaction avec le contexte pour faire cohabiter deux points de vue complètement différents sur le procès. L’absence (dans la plupart des cas) de subordonnant et de sujet explicites offre aux participiales une grande concision, qui donne le sentiment que le procès auquel elles réfèrent 6 entretient un lien serré avec celui de la principale, un lien peu médiatisé par les outils linguistiques ; bien que les deux procès doivent être mentionnés séparément, à cause du caractère linéaire du discours, la participiale minimise leur séparation. Associés à ce lien intime, l’expression de la simultanéité et le codage de l’imperfectif permettent à la participiale de contrer l’avancée du linéaire, pour revenir sur du déjà-dit, pour ajouter à une situation ou à un procès déjà décrits, pour reformuler en proposant un autre point de vue ; le tout se fait sans explicitation du lien établi entre la participiale et la proposition dont elle dépend, ce qui laisse une large part aux possibilités d’interprétations multiples et à la subjectivité du coénonciateur. Ce sont là les caractéristiques majeures qui distinguent les participiales des propositions subordonnées à verbe fini. 7