Accorder le participe passé. Les règles illustrées par l’exemple, Annick Englebert. Louvain-la-Neuve, Duculot, collection « entre guillemets » 1996, 192 pages. Marie-Laure Elalouf IUFM de Versailles-Université Paris X – Nanterre Quoi d’apparemment moins logique que l’accord du participe passé en français ? Quoi de plus rébarbatif que ces listes d’exceptions oubliées aussitôt apprises ? Il y a comme un défi à proposer sur ce sujet une authentique réflexion linguistique là où d’aucuns rêvent de correcteurs orthographiques ou de réforme radicale. C’est pourtant ce que propose Annick Englebert en à peine deux cent pages, dont un dixième de description et le reste d’exercices résolument novateurs. Car il ne s’agit pas d’un opuscule pour linguistes mais d’un manuel alliant les exigences sociales d’une grammaire normative à l’aiguillon intellectuel d’une grammaire réflexive, un manuel qui, par sa présentation attrayante et sa démarche active, s’adresse tout autant aux adolescents et aux adultes souhaitant se perfectionner qu’aux professeurs en quête d’une formulation simple et complète des règles d’accord et d’activités moins répétitives que les exercices lacunaires. 1. Une maquette attirante Après un avant-propos qui explique le choix du sujet et l’objectif, de l’ouvrage, une page explicite des choix typographiques qui facilitent grandement la lecture. L’analyse des exemples se matérialise toujours de la même façon : le terme qui communique l’accord est souligné, celui qui le reçoit en caractères gras, les italiques servant à attirer l’attention sur un élément particulier et les crochets à isoler le participe passé dans les exercices. Des logos dans les marges ponctuent le texte, signalant l’énoncé d’un principe de grammaire, distinguant les cas d’accord et de non-accord, invitant à s’arrêter sur une observation particulière, etc. 2. Un plan efficace Une première partie s’attache à définir en six pages le principe de l’accord en français. Vingt pages sont ensuite consacrées à l’accord du participe passé en français et s’achèvent sur un tableau récapitulatif. Intitulée introduction pédagogique aux exercices, la troisième partie expose la typologie des huit finalités attribuées à ceux-ci, de l’application d’une règle à la compréhension d’un exposé linguistique. BIMS 44 1 Viennent ensuite les exercices, repérables à leur marge grise, classés à la fois en fonction des règles d’accord illustrées et des objectifs visés. Ils sont suivis d’un corrigé consultable sans manipulations fastidieuses puisqu’il rappelle l’exemple étudié avant de fournir la réponse et souvent des éclaircissements. L’ouvrage s’achève sur un glossaire volontairement limité à quatre notions que l’auteur est amené à redéfinir : l’adverbe et le nom, pris, dans une théorie de l’accord, comme des fonctions et non des catégories grammaticales, le nom lato sensu donnant l’accord et l’adverbe se rapportant à un élément ne le communiquant pas ; l’attribut et l’apposition étant définis de façon symétrique, comme élément prédiqué sur un nom avec ou sans l’intermédiaire d’un verbe. S’ajoute une distinction entre quantifiant et quantificateur qui permet de rendre compte de certaines particularités d’accord, selon que le quantificateur se comporte comme un nom (Le groupe de poursuivants gagne du terrain) ou comme une partie d’un quantifiant (Le groupe de poursuivants gagnent du terrain). Enfin, une annexe rappelle les tolérances grammaticales de 1901, 1976 et 1990 et donne la liste des cas ne devant pas être comptés comme des fautes dans les examens et concours de l’Education nationale. 3. Une théorie de l’accord Ce n’est pas un des moindres mérites de ce livre que de définir clairement ce que la plupart des grammaires scolaires considèrent comme une évidence, l’accord. Et d’abord, comme une relation asymétrique, ce que bien des élèves ignorent : un mot variable communique à un autre mot ses particularités morphologiques : genre, nombre, personne. La distinction entre l’écrit et l’oral n’est pas mentionnée dans la mesure où l’ouvrage ne s’adresse pas à des novices. Puis l’auteur se situe sur le terrain syntaxique en montrant que seule une expression occupant dans un énoncé une fonction nominale peut être un donneur d’accord, les receveurs d’accord étant soit des déterminants du nom (ce qui inclut probablement l’adjectif mais il faudrait le préciser), une forme finie du verbe (c’est-à-dire conjuguée à un mode personnel), un participe passé. On a donc deux innovations terminologiques limpides, donneur et receveur d’accord, qui clarifient le processus étudié, tout en rendant compte des cas où l’accord ne se fait pas à partir des marques morphologiques mais d’une analyse sémantique (syllepse) ou référentielle. Un néologisme de sens jouant sur le sens des préfixes a- et consignale la relation non plus asymétrique mais symétrique en jeu lorsque le donneur d’accord est un pronom personnel ou relatif : il concorde en genre et en nombre avec son référent (pour le cas des déictiques) et son antécédent (pour les anaphoriques). Une présentation des deux analyses possibles des expressions "quantificateur + de + nom" et de leurs enjeux sémantiques met en lumière des phénomènes souvent laissés dans le flou. 4. Des règles hiérarchisées Une fois posé le principe général de l’accord du participe passé avec le nom pris au sens large, l’auteur propose un test simple - identifier le nom auquel le participe se BIMS 44 2 rapporte par la question "qui / qu’est-ce qui est + participe passé ?" - qui suppose au préalable l’identification de circonstances d’emploi. Appliqué sans discernement, il pourrait en effet conduire à des confusions d’homophones ( j’ai lu un livre : qu’est-ce qui est lu ? le livre) et à des aberrations (j’ai eu dix ans : * Qui est-ce qui est eu ? je). Le premier contexte, le participe employé sans verbe auxiliaire, ne se réduit pas au seul emploi adjectival, comme c’est trop souvent le cas. Le fonctionnement de la forme adjective dans les participiales en est rapproché tandis que s’en distinguent les participes invariables fonctionnant comme des adverbes ou des prépositions. L’auteur montre bien la possible concurrence entre emplois adverbiaux et adjectivaux ( attacher serré / elle les tenait serrés), moins celle entre participiales et expressions lexicalisées (passée la première impression/ ci-joint cinq sacs) pour lesquelles une hésitation subsiste entre emploi adverbiaux et prépositionnels(ci-annexé, ci-inclus, etc.). La règle du participe passé employé avec l’auxiliaire être peut surprendre si l’on ne se rapporte pas à la définition de l’attribut dans le glossaire (cf. supra). Il n’est pas certain qu’appliquer une même analyse au passé composé, à la voix passive et au verbe être suivi d’un attribut (au sens courant) sans distinguer ces formes soit souhaitable (Certains nageurs sont ainsi devenus de grands champions alors qu’ils étaient atteints de poliomyélite dans leur jeunesse, p.24). En revanche, il apparaît intéressant de présenter la règle d’accord avec l’auxiliaire avoir comme le cas général et non l’exception, indépendamment des considérations de fréquence. Cela souligne que cette relation asymétrique qu’est l’accord s’inscrit dans une lecture linéaire orientée où le donneur d’accord précède généralement le receveur d’accord. On appréciera aussi la façon dont il est rendu compte des cas particuliers selon que l’on s’interroge sur la catégorie grammaticale dont relève l’objet direct ou que la reconnaissance même de cette fonction est en jeu. Il est regrettable qu’une coquille ait confondu le pronom on (p.27) qui n’est jamais objet et le pronom en dont les propriétés sont bien exposées. On relèvera la pertinente remarque concernant les manuels qui, ignorant l’arrêté du 28 décembre 1976 ou "arrêté Haby", masquent le principe même de l’accord en demandant de n’accorder dans aucun cas lorsqu’en est l’objet du participe passé. La dernière partie, qui concerne les verbes pronominaux, distingue entre pronom analysable et non analysable en s’appuyant sur une analyse sémantico-syntaxique : réfléchis et pronominaux d’une part, verbes essentiellement pronominaux et de sens passif de l’autre. La variété des exemples (issus de textes de presse, d'écrits littéraires ou paralittéraires, de chansons) témoigne de la vitalité des tours étudiés dans la langue contemporaine, sans méconnaître la diversité des usages (ex. p. 31). La troisième partie de l’ouvrage est peut-être la plus originale. C’est parce que des principes ont été dégagés et des contextes d’emploi étudiés que les activités proposées ne se limitent pas à vérifier que des règles et des exceptions ont été mémorisées. 6. Des exercices repensés Pour évaluer la compréhension par la capacité à appliquer une règle, l'auteur ne suggère pas moins de sept possibilités en fonction des finalités de l’enseignement et du niveau requis des élèves. BIMS 44 3 Viennent ensuite des activités de justification, d’abord globales - expliquer le choix d’une règle - puis plus précises - isoler une information grammaticale dans un raisonnement. Dès lors, il s’agit de raisonner sur la langue en dépassant l’observation stricte d’une forme isolée pour exploiter les données du contexte, voire du texte, ou, passant de la déduction à l’induction, pour inférer une règle de grammaire, restituer une information à partir des observations grammaticales. Enfin, la dernière finalité est l’évaluation de la compréhension qu’un élève peut avoir d’un exposé linguistique. Rien d’aride dans le texte choisi : il s’agit d’un extrait de Mignonne allons voir si la rose, dans lequel Cavanna retrace1 de façon savoureuse l’histoire supposée de l’accord du participe passé employé avec avoir. Un questionnaire à choix multiples vérifie la compréhension du raisonnement qui passe tout aussi bien par des considérations de politique linguistique (sens de francophone dans le texte) que par l’étude des métaphores (verbes qui marchent à la fois à la voile et à la vapeur). 7. Des marques d’accord à l’interprétation Deux exemples suffiront à montrer combien la problématique de l'exercice est ici renouvelée. Pour chaque règle, deux séries d’exercices sont proposées. Des questions ouvertes qui ne se limitent pas à accorder les participes entre crochets mais qui, à la différence des manuels traditionnels, indiquent aussi toutes les possibilités quand elles existent. Quant aux questions à choix multiples, elles exigent de l’élève un raisonnement syntaxique construit, débouchant souvent sur des considérations sémantiques : "Vers la fin des vacances, il y a bien longtemps, une voiture de paysan qui précédait notre ménage, nous a déposés, ma mère et moi, devant la petite grille rouillée.(Alain-Fournier) Par la forme du participe passé déposés, on peut comprendre que... - ...les occupants de la voiture sont uniquement des hommes. - ...le paysan n’est pas seul à mener la voiture. - ...il y a un homme parmi les occupants de la voiture. - ...le propriétaire de la voiture n’est pas celui qui la conduit." (p. 93) Et le corrigé ne s'en tient pas au signalement de la réponse exacte : il procède par hypothèses et déductions. Un tel raisonnement invite à une relecture du premier chapitre du Grand Meaulnes. Des lignes précédant l'extrait cité, on infère que le narrateur relate sa jeunesse (comme les autres élèves) mais ce n'est qu'au détour de cet accord que l'on apprend à la fois son sexe et le lien étroit qui l'unit à sa mère. Au total, un manuel novateur, qui allie à une démarche linguistique clairement présentée, et qui par là même offre prise à la discussion, une réelle inventivité didactique et dont on peut espérer qu’en réconciliant des élèves avec l’orthographe grammaticale - car c’est l’accord, source de tant d’erreurs, qui est visé à travers le participe passé - il leur fasse aussi goûter le sel de la langue. 1. Sur cet extrait, cf A. Englebert : "Un avatar de l’ordre des mots : l’accord du participe passé employé avec avoir", in L’ordre des mots, 1995, diffusé par l’AFLA (tour centrale 9e ét., 2 place Jussieu, 75 251 Paris cedex 05). BIMS 44 4