par l’exotisme du lieu… Mais s’il y a tropisme, il y a exclusion d’autre(s) chose(s). Interroger le
travail artistique dans le cadre de tels projets pose justement la question de savoir où se porte le
regard de l’ethnographe : le tropisme vers l’atelier et la tentation de “coller à l’artiste” n’ont pas
manqué d’animer cette année de travail de terrain, ce qu’il me faudra éclaircir.
Le filmage consista en un parcours, depuis l’atelier, à travers couloirs, escaliers et hall d’accueil,
sans filmer les espaces intérieurs (salles de classe, de réunion, toilettes, bibliothèque). Je m’attardais
sur les objets affichés, ainsi que sur les deux cours de récréation 6, lieux centraux du projet de
l’année.
Le motif de ce choix de la cour pour cette dernière année du travail avec Loïc se comprendra mieux
avec un détour par les projets précédents. Cela permettra aussi d’apprécier le souci de cohérence de
l’artiste :
« Transformer une salle en forêt », le 1er projet est « une sorte d’installation qui modifie
radicalement un espace ». Bandes verticales aux teintes noir et blanc mélangées, projections
d’images, théâtre d’ombres, « un espace métaphorique » se crée, suscitant l’imagination,
l’illusion, « la perte des repères spatiaux à l’intérieur d’un espace connu ». Trois mois de travail,
avec des questions d’enfants : « “comment on va faire pour pas se perdre ?”, “est-ce que les
parents auront le droit de venir ?”, “est-ce qu’i’ pourront ?” », et quelques « évaluations : “à
partir de combien d’arbres on est dans une forêt ?” ». Un rapport à des « paramètres », qui fait
qu’on avait aussi affaire à une « étude ».
Le 2e projet, le territoire, viendra dans la foulée, « pour les amener à une vision en plan : dans la
forêt, ils étaient perdus dans quelque chose qui les dominait complètement », alors qu’avec « le
territoire », grand espace au sol en forme de cercle incluant des parcelles délimitées par des
lignes de terre, « ils devenaient un peu des géants dans un espace dont ils avaient constamment
une vision globale ». L’espace est fait de « frontières », mais, par une « narration permanente »
au sein du groupe d’enfants, « toutes les formes se modifiaient constamment » ; les parcelles
sont « matérialisées », mais « ce qui devait s’inventer, c’était, justement, comment créer des
liens avec les autres parcelles, inventer des choses, qui communiquent ».
Du 3e projet, la boule à souvenirs, a résulté une sphère, structure « constituée de dix éléments »,
des « arcs » que les enfants appelleront « les bateaux ». Occasion pour Loïc de « les faire
voyager, dans les couloirs, pour les amener dans une classe, les déplacer, etc. ». Une fois dans
l’atelier, les enfants « ont manipulé les trucs et créé une forme à partir de ça. Donc y avait pas
de forme préconçue, ils savaient pas encore que ça allait être une sphère (…). Et puis en fait,
cette idée, elle est restée : quand y a qu’un seul élément, c’est un bateau, et quand les éléments
sont réunis, c’est une sphère. Et ça, c’est aussi quelque chose qui existe dans tous les projets que
j’ai faits dans l’école, cette notion de construction-déconstruction et d’une division de quelque
chose, prendre en considération des fragments et la somme de ces fragments en tant que
forme ». Objets personnels, photographies, matériaux variés ornent les cloisons intérieure et
extérieure de la sphère. Selon Loïc, « les enfants sont amenés à se définir à travers les objets, à
travers des choses qui leur ont été données, des récits, etc. Mais la forme que ça prend en
définitive, c’est justement : qu’est-ce qu’on partage de cette identité, et comment on peut recréer
quelque chose qui soit un tissage d’identités ? Donc c’est prendre conscience [qu’] on reste pas
cloisonné dans une identité quand on est dans l’école, on est forcément mélangés, et y a des
parts d’identité qui s’effacent, d’autres parts qui sont utilisées, qui sont révélées ». La
production matérialise ainsi, pour les enfants et par leur propre action, les dimensions
individuelle et collective qui nourrissent l’apprentissage d’une socialisation basique.
Territoire, mémoire, souvenir, partage d’identités,… l’idée de la cour de récréation s’inscrira dans
le prolongement. Mais cette fois, le projet part d’un espace existant. « Exprimé par la directrice, dit
Loïc, c’est l’idée (…) qu’y ait des espaces agréables (…). D’un autre côté, moi, je me dis c’est pas
possible de faire travailler les enfants dans l’optique d’une réalisation pérenne, mais par contre, ça
6 Une en haut pour les enfants de petite section, une en bas pour ceux des moyenne et grande sections.