Pour en finir avec la repentance coloniale

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Pour en finir
avec la repentance coloniale
Daniel Lefeuvre
Flammarion, 2006, 232 p., 18 €
E
n politique, les idées reçues sont comme des
dogmes. Quand la mauvaise foi s’y ajoute, c’est le
signe qu’elles correspondent à des positions idéologiques. Avec les polémiques sur le passé colonial de la
France, on croit revivre les débats de jadis à propos de
la révolution française quand les uns la considéraient comme un « bloc » ouvrant
l’avenir à des révolutions perpétuelles et d’autres rêvaient d’en abolir les acquis. Bien
entendu l’approche de la vérité se situait au-delà de ces crispations fondées sur des
cultures antagoniques.
L’essai de Daniel Lefeuvre est une véritable leçon d’histoire dont on mesure toute
l’importance par ce rapprochement. Il entend poser le débat sur des bases rationnelles, à partir d’éléments vérifiables et attestés. Il s’attaque, en conséquence au discours des « Indigènes de la République » pour en montrer tout le caractère faux et
idéologique qui rend difficile sinon impossible toute approche raisonnée de la ques-
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tion coloniale. Procédant de manière didactique en prenant l’un après l’autre les
thèmes forts du discours des Indigènes, il les appelle les « Repentants ». Des
« Repentants » qui prétendent ouvrir un nouveau chantier historique propre à faire
comprendre la situation des ex-colonisés vivant en France. Bien entendu, rien de cela
ne se justifie ; il n’y a pas de « secrets bien gardés » comme celui des enfumades lors
de la conquête de l’Algérie. « Faut-il supposer que ceux qui prétendent nous faire la
leçon sur le passé colonial de notre pays ignorent totalement cette historiographie
abondante et scrupuleuse ? », demande-t-il à bon escient.
Il récuse, toujours de manière argumentée, toute analogie entre colonialisme et
nazisme au motif que les procédés militaires mis en œuvre pour la conquête (notamment en Algérie), seraient identiques à ceux mis en œuvre pour la destruction des
Juifs d’Europe, et qu’ils auraient été réservés aux « races » considérées comme « inférieures ». Cet « acharnement à faire de la conquête coloniale un laboratoire du nazisme, contre toute vérité historique », ne résiste pas à l’examen. De ce fait, l’accusation
de génocide commis par la France envers les peuples d’Algérie « ne repose sur aucun
fondement historique ».
L’idée selon laquelle la France aurait tiré d’énormes bénéfices de ses colonies subit
le même examen. Le lecteur sera peut-être surpris par le rapprochement qu’effectue
Daniel Lefeuvre entre la vision de Jules Ferry et le discours léniniste sur l’impérialisme, mais sa démonstration à propos de l ‘économie coloniale, chiffres et statistiques
à l’appui, est très convaincante. Dans nombre de cas l’État français subventionnait
l’achat de produits payés à des tarifs supérieurs aux prix pratiqués sur le marché
mondial (voir l’exemple du pétrole d’Algérie). L’Algérie, en premier lieu, s’avéra être
un fardeau, et l’on a abouti à cette situation paradoxale où « loin de l’alléger, l’empire colonial [renforça] la dépendance énergétique de la France… » Ajoutons qu’en
s’interrogeant sur l’effet réel de l’entreprise coloniale sur le développement économique de la France, celui-ci s’avéra vraisemblablement négatif.
Autre idée remise en cause : patrons et État main dans la main auraient fait venir
en masse des immigrés des colonies en métropole. Daniel Lefeuvre explique que la
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question est plus complexe et que dans le cas de l’Algérie, toujours centrale dans ces
questions, c’est l’État qui imposait, par circulaires administratives, l’embauche pour
que celle-ci joue un rôle de soupape de sûreté à la situation de plus en plus catastrophique en Algérie même qui provoquait une émigration née de la misère. Au demeurant, il relève que lors des accords d’Évian (1962), ce sont les dirigeants du FLN qui
demandèrent et obtinrent que les désormais ressortissants du nouvel État continuent
à bénéficier des « mêmes droits que les nationaux français à l’exception des droits
politiques » (art. 7 de la déclaration de principe).
Après avoir combattu contre la France, le FLN entendait prolonger des dispositions antérieures à l’indépendance de l’Algérie, dispositions bientôt étendues à
d’autres anciennes colonies. Les dirigeants du FLN, dont M. Bouteflika, n’auront
ensuite de cesse d’obtenir l’accroissement de l’émigration algérienne en France, l’un
des moyens de préserver du chaos leur pouvoir.
Un film récent, Indigènes, comme de bien entendu, a donné l’occasion au
comique Djamel Debouze de déclarer que la France d’après 1945 avait été reconstruite par les émigrés d’Afrique du Nord. Daniel Lefeuvre fait justice de ce mythe
intéressé : en 1951, année considérée comme celle où la reconstruction s’achève,
Algériens, Marocains et Tunisiens ne représentent que 1 % de la population active
totale de la France.
Son livre vise aussi à avertir : derrière l’idée d’une repentance des Français pour
expier leur passé colonial se profilent des projets politiques inquiétants. Ce livre, écrit
sans concession avec sérénité, apparaît comme indispensable à ceux qui s’intéressent
à ces questions comme à ceux qui veulent en débattre, étant entendu qu’un véritable
débat démocratique suppose de rejeter les manipulations idéologiques. Par son essai,
Daniel Lefeuvre apporte une contribution essentielle à l’un des débats qui animent
la vie politique française et détermine son avenir.
Jean-Louis Panné
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« Annie Kriegel : l’historien et la presse »
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