L`hérédité des caractères acquis. Difficultés théoriques

Pierre Kropotkine
Renaud Garcia (éd.)
De Darwin à Lamarck
Kropotkine biologiste (1910-1919)
ENS Éditions
L’hérédité des caractères acquis. Difficultés
théoriques
Inheritance of acquired characters: theoretical difficulties
DOI : 10.4000/books.enseditions.5120
Éditeur : ENS Éditions
Lieu d'édition : Lyon
Année d'édition : 2015
Date de mise en ligne : 9 novembre 2015
Collection : La croisée des chemins
ISBN électronique : La croisée des chemins
http://books.openedition.org
Référence électronique
KROPOTKINE, Pierre. L’hérédité des caractères acquis. Difcultés théoriques In : De Darwin à Lamarck :
Kropotkine biologiste (1910-1919) [en ligne]. Lyon : ENS Éditions, 2015 (généré le 26 janvier 2017).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/enseditions/5120>. ISBN : 9782847886887.
DOI : 10.4000/books.enseditions.5120.
Ce document a été généré automatiquement le 26 janvier 2017.
L’hérédité des caractères acquis.
Difficultés théoriques
Inheritance of acquired characters: theoretical difficulties
NOTE DE L’ÉDITEUR
Publication originale : Pierre Kropotkine. « Inheritance of acquired characters:
theoretical difficulties », March 1912, The Nineteenth Century and After, vol. LXXI, nº
CCCCXXII, p. 511-531
I
1 Un grand nombre d’observations et d’exriences ont démontré dernièrement la facilité
avec laquelle les animaux et les plantes varient sous l’influence de circonstances
ambiantes modifiées, à la fois en ce qui concerne leurs caractéristiques spécifiques et
leurs caractéristiques secondaires. Les formes des animaux, leur couleur, leur peau, leur
squelette, tous leurs organes, et leurs habitudes se modifient aisément dès que la
nourriture de l’animal et les conditions générales de son existence et de son entourage
biologique subissent une altération. La même chose est vraie en ce qui concerne les
plantes, à un degré qui est même encore plus grand. On a accumulécemment en ce sens
tant de faits frappants que l’intét principal de recherches de ce type consiste désormais
à étudier les modifications physiologiques et anatomiques internes qui ont lieu dans les
tissus sous l’influence de circonstances changeantes. Ce qui inresse désormais
principalement le biologiste, c’est d’expliquer pourquoi les modifications répondent dans
la plupart des cas si bien aux nouvelles exigences qu’elles constituent des adaptations.
L’étude de la variation et de l’évolution tend ainsi à devenir de plus en plus un problème
physiologique. J’ai traité de ces questions dans mes articles précédents concernant
« l’action directe du milieu sur les plantes et les animaux ».1
L’hérédité des caractères acquis. Difficultés théoriques
De Darwin à Lamarck
1
2 Et cependant, une importante question peut être soulevée en rapport avec l’ensemble des
recherches similaires. Les modifications des individus sont-elles transmises, entièrement
ou partiellement, à leur descendance ? me si nous constatons qu’une modification
produite chez certains individus apparaît chez leurs descendants, sommes-nous
certains qu’elle ne recommence pas à se produire dans chaque nouvelle gération ? Et, à
supposer qu’elle soit héritée, continuera-t-elle d’appartre pendant un certain temps,
quand bien même les rejetons auraient été ramenés à leur ancien environnement ?
3 Prenons, par exemple, les modifications que Viré a obtenues chez certains crustas après
les avoir transportés depuis des rivières et des mares en plein air jusque dans un
laboratoire situé dans l’obscurité des catacombes de Paris.2 Après quelques mois de
maintien dans l’obscurité les yeux de ces petits animaux, n’étant plus utilisés,
s’atrophrent, alors que les organes du toucher et de l’odorat, principalement utilisés
dans ce milieu obscur, se développèrent rapidement. Une adaptation importante aux
nouvelles conditions de vie, que l’on expliquait auparavant par l’action de la sélection
naturelle sur des variations congénitales accidentelles, fut ainsi réalisée par les
circonstances ambiantes elles-mêmes, pendant la vie de l’individu. anmoins, avant de
reconnaître dans l’action directe du milieu un facteur puissant de l’évolution de nouvelles
espèces, il s’agit de savoir si les adaptations mentiones à l’instant, ou tout au moins une
disposition croissante à les acquérir, sont transmises à la génération suivante de
crustacés s dans les catacombes. Et c’est cela que nous n’avons pas encore appris des
expériences directes.
4 On doit poser la me question à propos des plantes provenant des plaines de l’Europe
centrale et transplanes dans des environnements alpins, maritimes ou sertiques. Elles
acquièrent rapidement dans leur nouveau milieu la structure anatomique et les formes
caractéristiques de plantes alpines, maritimes ou désertiques.3 Mais ces nouvelles formes
et ces nouvelles structures sont-elles héritées ? Et, si oui, combien de temps les caracres
nouvellement acquis perdureront-ils aps que la plante aura été ramee dans son
ancien milieu ?
5 Malheureusement, les réponses que l’on a obtenues jusqu’ici pour ces questions ne sont
pas très claires. Et pourtant ces questions sont de la plus haute importance. Car, si les
caractères acquis par les individus sous l’influence d’un nouveau milieu et de nouvelles
habitudes sont héritables, alors le problème entier de l’évolution se trouve amplement
simplifié. La variation devient le point de part de l’évolution, et la fonction de la
sélection naturelle est tout à fait comphensible. Le rôle de la sélection n’est pas
d’accrtre, ou d’accentuer une variation ; elle se contente d’éliminer les individus qui ne
sont pas capables de varier assez rapidement en fonction des nouvelles exigences. Les
crustacés dont les organes de l’odorat et du toucher ne se développent pas avec la
rapidité suffisante dans une rivière souterraine, les plantes dont les tissus n’augmentent
pas assez rapidement leurs capacités d’assimilation sous un climat alpin, périssent, tandis
que ceux qui varient dans la direction convenable avec une rapidité suffisante survivent.
Ainsi, on n’attend rien de la sélection naturelle que cette dernière ne pourrait accomplir.
6 Darwin et ses contemporains Herbert Spencer, Haeckel, Moritz Wagner, Huxley, et un
très grand nombre de biologistes de terrain ne doutaient pas de l’hérédité des
caractères acquis chaque fois que ces derniers influaient substantiellement sur la
structure interne d’une plante ou d’un animal.4 C’est seulement après la mort de Darwin,
dans les anes 1883-1887, que des doutes naquirent sur cette question, particulièrement
chez le professeur d’entomologie de Fribourg, August Weismann.i
L’hérédité des caractères acquis. Difficultés théoriques
De Darwin à Lamarck
2
7 Un naturaliste habitué à s’appuyer sur la méthode exrimentale serait disposé à penser
que des expériences décisives prouvant la non-transmission des caractères acquis ont été
réalisées à cette époque. Mais il n’y eut rien de tel, et jusqu’à présent nous attendons en
vain de telles expériences5. Il est vrai que Weismann avait annon en 1888 qu’il avait
cou les queues de quelques douze à quinze souris blanches sur cinq générations, mais il
n’avait obtenu aucune souris dépourvue de queue ; et il n’avait noté aucune tendance vers
leur raccourcissement6. Il étendit plus tard l’expérience à vingt-deux générations, et
obtint le même résultat négatif.7 Cope et Rosenthalii expérimentant sur des souris, et
Ritzemaiii sur des souris et des rats, en vinrent à lame conclusion8. Nous pouvons ainsi
consirer comme acquis qu’une mutilation superficielle, telle que le fait de couper les
queues des souris (que l’on a laissées se reproduire quelques semaines après leur
naissance) n’est pas hérie.
8 Mais cela était connu depuis longtemps. Darwin, qui avait étudié avec son attention
habituelle l’expérience des éleveurs à propos du sectionnement de la queue chez
certaines races de moutons, et des oreilles chez certains chiens, en était venu il y a
longtemps à la conclusion qu’une « partie d’un organe peut être ôtée durant plusieurs
générations successives, et si l’oration n’est pas suivie d’une maladie, la partie perdue
réappart chez la descendance ».9 Mais, bien entendu, il ne considérait pas l’absence
d’hérédité de mutilations superficielles comme un argument s’opposant à la transmission
réditaire de caractères acquis. En réalité, il y a beaucoup de raisons qui expliquent
pourquoi l’absence d’une queue ou d’un doigt a peu de chances d’être transmise ; l’une
d’elles étant, comme l’a suggéré le Professeur Nusbaumiv, que « le jeune embryon
régénèrerait rapidement la partie qui lui manque ».10
9 D’un autre côté, conformément aux idées de Darwin mentiones à l’instant, lorsque le
Professeur Brown-quardv étudia les effets physiologiques de lésions plus profondes, il
couvrit que ces effets étaient transmis ; et ses expériences furent confirmées plus tard
par Romanes. Chez les cochons d’Inde, une lésion de la moelle épinière ou du nerf
sciatique provoqua de l’épilepsie, ou du moins une tendance à l’épilepsie ; et dans de
nombreux cas cette tendance fut transmise à la descendance. Hormis de cette manre,
l’épilepsie n’apparut jamais chez les cochons d’Inde éles en grand nombre par Brown-
Séquard même pas parmi les individus qu’il avait soumis à une opération d’un endroit
différent. La possibili d’expliquer une disposition héritée à l’épilepsie en termes
d’infection bactérienne, s’étant produite durant l’opération, est ainsi exclue. Plusieurs
autres résultats, causés par d’autres lésions, furent également hérités. Dans l’ensemble,
ces exriences furent conduites si prudemment, pendant une longue suite d’années, que
l’opinion qui a pvalu parmi les scialistes est qu’elles apportent une preuve réelle de la
transmission héréditaire de certains états anormaux de divers organes, provoqués par
certaines lésions.11
II
10 Si la contribution expérimentale de Weismann à la question de l’hérédité des caractères
acquis était dénuée de valeur, son étude critique du sujet dans son ensemble était, au
contraire, de grande valeur.12 Du reste, Weismann a conféré un nouvel inrêt au sujet du
bat en présentant une ingénieuse hypothèse sur l’hérédité, pour la défense de laquelle
il a écrit un grand nombre d’essais et de livres, sous une forme toujours plaisante et à la
fois accessible à un vaste cercle de lecteurs.
L’hérédité des caractères acquis. Difficultés théoriques
De Darwin à Lamarck
3
11 Il est évident qu’une discussion portant sur le rôle joué par le milieu dans l’évolution des
êtres organiques n’aurait jamais être conçue en s’appuyant sur nos préférences pour
telle ou telle hypotse à propos de l’hérédité. C’est l’hypothèse à propos de l’hédité qui
doit être conçue de manière à expliquer les faits que notre connaissance de l’évolution a
établis ; et c’est ce que fit Darwin lorsqu’il mit au point son hypothèse de la pangese.
Mais si nous possédions une hypothèse à propos de l’hérédité qui explique si bien tous les
faits d’hérédiqu’elle nous permettrait de les prédire, elle aurait quelque poids en tant
qu’argument dans la discussion, parce que l’évolution et l’hérédité sont sans nul doute
deux parties du même processus. Néanmoins, on ne peut pas en dire autant de la série
d’hypotses mises au point par Weismann afin de pondre aux objections de ses
critiques ; mais puisqu’elles jouissent d’une certaine faveur chez un grand nombre de
biologistes, nous nous devons de les examiner, et de considérer quel rapport elles
peuvent avoir avec ce que nous pensons de l’hédides caractères acquis.
12 Tout ce que nous sommes actuellement en droit d’attendre d’une hypotse à propos de
l’hérédi est qu’elle nous fournisse une explication physiologique plausible de deux
ensembles de faits ; la reproduction chez la descendance de caracres qui appartiennent
à l’espèce c’est-à-dire, le maintien du type ancestral et l’apparition de nouvelles
caractéristiques, sans lesquelles aucune évolution ne se produirait. Toutes les hypothèses
qui ont été présentées au cours des cinquante dernières années visaient ce double but ;
mais il y en a seulement deux l’hypotse de la pangenèse par Darwin, et celle du
plasma germinatif chez Weismann qui se partagent aujourd’hui les suffrages des
biologistes.
13 Tout le monde connt plus ou moins l’hypotse de la pangenèse. En suivant l’idée
avancée par Spencer des « unités physiologiques », Darwin suggéra que l’ensemble des
cellules du corps d’une plante ou d’un animal diffusaient durant leur vie des particules
vivantes extrêmement petites qui sont capables, comme des cellules ou des spores, de se
multiplier par subdivision, et ainsi de reproduire leurs cellules-res. Darwin leur donna
le nom de gemmules. Étant extrêmement petites, les gemmules circulent à travers tout le
corps, traversent les membranes des cellules, et se rassemblent finalement dans les
cellules reproductrices de l’individu, qui contiennent en conquence des représentants
de toutes les cellules et de tous les groupes cellulaires de l’organisme dans son entier.
Chaque organe, chaque tissu, chaque os, muscle, nerf, vaisseau sanguin, et ainsi de suite,
possède ses gemmules qui le représentent dans les cellules reproductrices. Et lorsque
vient le moment pour ces cellules de reproduire un nouvel être, elles lui transmettent les
gemmules capables de reproduire tous les traits de la race, ainsi que, jusqu’à un certain
point, les modifications dont les parents ont pu être affectés au cours de leur propre
existence.
14 Disons ainsi que les cellules germinatives d’un cheval d’attelage contiendraient des
gemmules capables de reproduire tous les organes typiques et les caractères d’un cheval
d’attelage d’une certaine race, et elles porteraient également des traces des changements
que le cheval, en tant qu’individu, aurait subis durant sa vie en conséquence d’une bonne
ou d’une mauvaise alimentation, de trop d’exercice, etc.
15 L’hérédité des caractères « acquis » de la race comme de l’individu devient ainsi plus ou
moins comphensible. Mais compte tenu de notre ignorance actuelle de la vie interne
des tissus organiques, la difficulté consiste à concevoir comment les gemmules sont
transportées de l’endroit où elles se forment jusqu’aux cellules reproductrices. Comment
peuvent-elles y avoir accès dans des proportions appropriées et pourquoi, plus tard,
L’hérédité des caractères acquis. Difficultés théoriques
De Darwin à Lamarck
4
1 / 23 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !