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1. Un prédateur écologiquement nécessaire
Sur les bans rocheux de la zone de balancement des marées (estran) des côtes américaines,
l’écologue Bob Paine avait relevé l’association remarquablement constante de moules, de balanes et
d’une étoile de mer faisant fonction de prédateur de sommet à cette échelle spatiale d’analyse. En
d’autres termes, parce qu’elle se nourrit des balanes, moules, et autres petits crustacés, l’étoile de mer
se trouve fonctionnellement placée au sommet de ce petit réseau trophique. En juin 1963, Bob Paine
élimine l’étoile de mer sur des bandes de 8m x2m. Dès septembre, il observe l’expansion d’une espèce
de balane, Balanus glandula, qui occupait selon les sites 60 à 80 % de l’espace rocheux disponible. En
juin de l’année suivante, les balanes étaient repoussées par la croissance rapide de la moule de
Californie qui domina peu à peu tout l’espace avec la subsistance sporadique de la balane à cou d’oie :
la richesse spécifique locale, en absence de l’espèce clé de voûte (selon le concept proposé par Paine),
est passée de 15 à 7 espèces.
Ainsi, la présence du prédateur de sommet permettait la coexistence de nombreuses espèces en
compétition pour la colonisation de la bande rocheuse de l’estran. Sa disparition entraîna un
appauvrissement de la communauté par exclusion compétitive des espèces les moins efficaces dans la
colonisation du substrat rocheux. L’étoile de mer Pisaster ochraceus est une espèce clé de voûte et
l’hypothèse de Paine est que « la diversité spécifique locale est directement dépendante de l’efficacité
avec laquelle les prédateurs empêchent la monopolisation des ressources par une seule espèce ».
Qui ou quoi empêchera Homo sapiens de monopoliser toutes les ressources à son seul profit ?
Un code de développement durable !
Voilà ce qu’est un réseau trophique, un système complexe d’interactions
mangeurs-mangés, où circulent matière et énergie depuis les algues qui fabriquent de
la matière organique grâce à la photosynthèse, jusqu‘aux grand prédateurs en bout de
chaînes, dont l’homme.
Ainsi, depuis son apparition sur Terre il y a 3.8 milliards d’années, la Vie n’a
cessé de se diversifier tout en traversant crises et cataclysmes divers (dérive des
continents, éruptions volcaniques, glaciations, amples variations du niveau des mers,
irruption de chaînes de montage etc.) – et c’est pour cela qu’elle s’est maintenue
jusqu’à nos jours : la diversité qu’elle déploie est une stratégie d’adaptation aux
changements – une stratégie de développement durable pourrait-on dire !
Ajoutons que si les relations de type mangeurs-mangés paraissent dominer la
scène (pour les ressources alimentaires précisément, mais aussi pour l’espace qui
donne accès à ces ressources et permet de s’installer, nicher ou s’abriter), il ne faut pas
sous-estimer l’importance dans l’Evolution et le succès du vivant des relations de
coopération (mutualismes et symbioses). Ni le rôle stabilisateur des prédateurs (voir
Encart 1).
2.2. Des interactions de prédation et de compétition, mais aussi des relations de
coopération
Dans l’histoire du vivant les évolutionnistes John Maynard Smith et Eörs
Szathmary relèvent ce qu’ils appellent les huit transitions majeures. Ces transitions
marquent des sortes de sauts évolutifs, l’accès à des types d’organisation biologique
plus complexes. Ces changements majeurs, qui demandèrent le franchissement
d’obstacles difficiles, sont le fruit de véritables inventions dans l’organisation du
vivant. Or la plupart résultent d’une association, d’un mariage plus ou moins
indissoluble : des entités, antérieurement séparées, ne peuvent plus après la transition
se répliquer qu’en tant qu’éléments du système plus vaste qu’elles ont créé ensemble.