« sociobiologie » d’Edward O. Wilson.
Celui-ci interprète les comportements
sociaux des insectes, via une sélection
naturelle centrée sur le gène, en termes de
bénéfices etde coût en valeur adaptative
(c’est-à-dire le nombre de copies du gène
léguées à la génération suivante). Il étend
ses modèles d’interprétation sélective des
comportements sociaux (altruisme,
parasitisme, investissement parental,
agression, rivalité entre les sexes, infanti-
cide, etc.) à d’autres sociétés animales et
aux sociétés humaines. Dans ce dernier
cas, un déterminisme génétique estpensé
comme théoriquement nécessaire à l’ex-
plication de comportements humains
comme la guerre, l’adultère, la protection
des enfants par les femmes, etc.
Un mélangede déterminisme géné-
tique trop strict, de simplifications abu-
sives du côté de Wilson et sans doute de
considérations morales (voire idéolo-
giques etpolitiques) déplacées autant chez
les promoteurs que chez les détracteurs
de la sociobiologie de la première période
atransformé la réception de cette nouvelle
théorie en polémique. Le « génocen-
trisme» des années 1970 et 1980 a cepen-
dant laissé place, aujourd’hui, à une vision
plus intégrée, prenant davantage en
compte les facteurs environnementaux et
épigénétiques.
Vers un darwinisme intégral en bio-
logie? Intégrer le darwinisme aux échelles
cellulaire, moléculaire et génétique est le
véritable défi de la biologie de ce XXIesiècle
naissant.
En pensant les cellules, les gènes, les
enzymes en termes populationnels, on se
donne les moyens de s’apercevoir que des
cellules présumées identiques ne font pas
toutes exactement la même chose. Il existe
encore une variation somatique cachée,
inexplorée, qui prometde belles décou-
vertes pour demain. Si le chat fait des
chats, ce n’est pas tant que le chat est pro-
grammé, mais surtout qu’un phénomène
aléatoire impliquant des myriades d’ac-
teursindividuels – chacun avec sa petite
liberté d’action – manifeste une moyenne
et une variance reproductibles.
La génétique du XXIesiècle pourrait
bien avoir à renoncer à la notion de «pro-
gramme» – soupçonné de s’enraciner dans
un préformationnisme du début du
XVIIIesiècle – pour passer à des modèles
aléatoires d’expression génétique. C’est
toutecette variation cachée qui fait l’ob-
jet d’une sélection naturelle, simultané-
ment à tous les niveaux d’intégration
–àl’échelle des interactions génétiques,
cellulaires, en fonction des conditions
locales de la cellule et au-delà – et qui
donne l’illusion d’un programme par la
seule reproductibilité d’un phénomène
complexe où les individus qui s’éloignent
trop de la moyenne ne peuvent survivre.
C’est le darwinisme à toutes les échelles,
cellulaire et moléculaire.
Que reste-t-il de Darwin? Que reste-
t-il de la formulation initiale de la théorie
de l’évolution, celle que Darwin a sans
cesse peaufinée entre 1859 et sa mort en
1882 ? Prenons deux avis quelque peu
contrastés.
Le biologiste Ernst Mayr (2004)
conclut à la pérennité des idées fonda-
mentales de Darwin : « Si l’on examine
toutes les modifications effectuées dans les
théories darwiniennes entre 1859 et 2004,
on s’aperçoit qu’aucun de ces change-
ments n’affecte la structure de base du
paradigme darwinien.»
Stephen J. Gould (2002) offre, lui, un
avis convergent, mais moins tranché sur la
question… qui n’est peut-être pas sans rap-
port avec une magnification du rôle qu’il a
lui-même joué dans le champ de la biolo-
gie évolutive durant les trente dernières
années du XXesiècle: «Je suis réellement
persuadé que la charpente darwinienne
fondamentale, et pas seulement les fon-
dations, persiste dans la structure de la
théorie de l’évolution plus adéquate qui
esten train d’apparaîtreaujourd’hui. Mais
je soutiens aussi […] que des change-
ments importants, introduits durant la
seconde moitié du XXesiècle, ont donné
une structure tellement développée par
rapport au noyau darwinien originel, et
tellement élargie par la prise en compte de
nouveaux principes explicatifs macroévo-
lutionnistes, que la théorie actuelle dans sa
totalité, tout en restant dans le domaine de
la logique darwinienne, doit être consi-
dérée comme fondamentalement diffé-
rente de la théorie darwinienne classique,
et non simplement comme un agrandisse-
ment homothétique de cette dernière.» l
TDC N° 981
•
DARWIN ET LE DARWINISME
19
l
DE RICQLES Armand, PADIAN Kevin.
«Quelques apports à la théorie de
l’évolution, de la “synthèse orthodoxe” à la
“super synthèse évo-dévo”, 1970-2009:
un point de vue». In Comptes rendus
Palevol, vol. VIII, nos 2-3. Paris: Académie
des sciences/Issy-les-Moulineaux :Elsevier-
Masson, 2009.
l
GOULD Stephen Jay.La Structure de la
théorie de l’évolution. Paris:Gallimard,
2006 (coll. NRF essais).
l
LECOINTRE Guillaume, LE GUYADER
Hervé. Classification phylogénétique du
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l
LECOINTRE Guillaume et alii.
Comprendre et enseigner la classification
du vivant. Paris: Belin, 2004, 2008 (coll.
Guide Belin de l’enseignement).
l
LECOINTRE Guillaume et alii. Guide
critique de l’évolution. Paris: Belin, 2009.
l
LECOINTRE Guillaume et alii. Les Mondes
darwiniens. Paris:Syllepse,2009.
SAVOIR
La drosophile, cobaye idéal
des biologistes.Sa facilité d’élevage et
son organisme aussi complexe que celui
de l’homme en a fait un modèle dans la
recherche en génétique, permettant de faire
progresser cette discipline… ainsi que la
théorie de l’évolution.
© BARTOMEU BORRELL/BIOSPHOTO