la sélection naturelle n’agit pas uniquement au niveau des gènes et des
organismes mais également au niveau des populations et des espèces.
Troisièmement, il considérait qu’il ne fallait pas interpréter chaque
changement évolutif en termes d’adaptation mais éventuellement en termes
de contrainte interne, de transformation fortuite ou d’exaptation1. Chacune
de ces alternatives a donné lieu à de vives controverses. Dans La Structure
de la théorie de l’évolution, Gould revient sur chacune d’entre elles et répond
aux critiques, tout en offrant une perspective historique sur chaque débat.
Cela donne un livre gigantesque qui peut être lu comme son testament
scientifique. Est-ce encore du darwinisme!? Gould le pensait. Tous les
darwiniens n’en sont pas convaincus.
En tout cas, pour le paléontologue Jean Chaline, les idées de Gould
constituent bien une contribution fondamentale à la théorie darwinienne.
Il est vrai que Chaline n’adopte pas une interprétation rigide de cette
dernière. En 1999, avec quelques collègues, il avait suscité une polémique
pour avoir prétendument mis à jour une loi mathématique décrivant
l’histoire de l’évolution. Dans Quoi de neuf depuis Darwin!?, qui retrace
l’histoire des théories de l’évolution jusqu’à nos jours, Chaline reprend
cette loi et affirme qu’elle permet de prolonger le darwinisme. L’idée mérite
discussion. Mais pourquoi passer sous silence son aspect controversé!? Ce
n’est certainement pas un reproche que l’on peut faire au physicien
Vincent Fleury tant ce dernier est conscient de la dimension provocatrice
de sa toute récente thèse. Dans De l’œuf à l’éternité, il essaye en effet de
montrer de façon simple que c’est la mécanique même du développement
embryonnaire qui conditionne les possibles évolutions d’un organisme. Les
évolutionnistes se seraient ainsi égarés quant au mécanisme de l’évolution
pour ne pas s’être assez tournés du côté de la physique. Ici, pas de doute
que le darwinien aura du mal à s’y retrouver. Quant à savoir si cette
approche explique mieux l’évolution du vivant que le darwinisme, il faut
attendre qu’un véritable débat contradictoire se mette en place.
Dans tous les cas, soulignons le caractère stimulant de ces trois
opinions dissidentes et cela quel que soit le jugement que la postérité
portera sur elles.
Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 182, mai 2007.
1 L’exaptation est le processus par lequel un organe est sélectionné pour une autre
fonction que celle qui l’a vu naître.