LES MALADIES RARES :
un problème de santé publique longtemps ignoré
La prise de conscience
que les maladies rares
posent un problème
de santé publique
est récente,
au moins en Europe.
Elle porte sur le fait que si
les maladies rares touchent, par
définition, un très petit nombre
de personnes, elles sont cepen-
dant très nombreuses, plusieurs
milliers vraisemblablement,
leur prévalence globale dans la
population peut atteindre 5 %.
Ce point n’est pas encore réel-
lement documenté et repose
sur des extrapolations. Une
étude est en cours en France.
Elle devrait apporter enfin
Docteur Ségolène Aymé
Directrice d’Orphanet
une estimation sérieuse dans
quelques mois.
Le deuxième élément de la
prise de conscience est que
ces maladies sont toutes chro-
niques et invalidantes, et
qu’ainsi leur coût de prise en
charge est très élevé. Il se
pourrait donc que la contribu-
tion des maladies rares aux
coûts de santé soit élevée. La
longue errance des malades
avant qu’un diagnostic soit
posé et leur difficulté à trouver
les spécialistes qui les pren-
dront en charge de façon opti-
male reste majoritaire.
Le troisième élément de la
prise de conscience est que
notre système de santé et notre
système social n’ont pas
apporté de réponses satisfai-
santes aux drames humains
vécus par les malades et leur
famille, par ignorance de
l’existence même de ces mala-
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PROBLÉMATIQUE
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RÉALITÉS FAMILIALES - 2001
dies et, en tout cas, de leurs
spécificités. Nos sociétés riches
se doivent d’être attentives à
ceux qui souffrent et de leur
apporter écoute, prise en
charge et thérapie. L’approche
par les médias de ces maladies
montre à quel point elles sont
sources de compassion dès
lors qu’elles sont montrées au
public et les drames humains,
qui sont derrière, exposés.
Cette prise de conscience
est elle-même liée à plusieurs
phénomènes :
– le développement de la
recherche en génétique,
l’essor des nouvelles
technologies de l’information
et le développement du
mouvement associatif et des
revendications des malades
pour faire valoir leurs droits.
Le programme Génome
humain de cette dernière
décennie a jeté une lumière
directe sur les maladies rares.
En effet, 80 % de ces maladies
sont d’origine génétique. Ce
sont elles qui ont fait l’objet
des premiers travaux de carto-
graphie des gènes humains,
puis de clonage de ces gènes,
simplement parce que leur
mode de transmission familial
faisait d’elles des objets d’étude
idéaux d’un point de vue
méthodologique.
Elles se sont ensuite révélées
comme des maladies modèles
pour l’étude du fonctionnement
de ces gènes. Dès lors que des
crédits de recherche ont afflué
pour étudier leurs bases géné-
tiques, la recherche clinique a
été irriguée et les médecins
mobilisés pour identifier des
familles et suivre des cohortes
de malades.
Beaucoup d’entre eux sont
devenus attentifs à ces cas
rares dont ils percevaient l’inté-
rêt pour la recherche. On
estime cette année à 2 000 le
nombre de professionnels direc-
tement actifs à un niveau de
responsabilité en France dans
le diagnostic, la prise en charge
ou la recherche sur les mala-
dies rares (source : www.orpha.net).
Le développement des
nouvelles technologies de l’in-
formation a particulièrement
profité aux maladies rares. C’est
dans le domaine de la géné-
tique que se sont constituées
les premières bases de don-
nées accessibles sur Internet
dont l’encyclopédie des gènes
humains et maladies associées
OMIM (http://www3.ncbi.nlm.nih.
gov/Omim/).
Les communautés de profes-
sionnels et de malades se sont
rapidement structurées et des
milliers de sites se sont ouverts.
Orphanet recense 2 767 sites
sérieux donnant des informa-
tions sur 1 240 maladies.
Les malades, en se regrou-
pant, ne font pas que créer des
communautés pour échanger.
Ils se sont constitués en parte-
naires de la recherche scienti-
fique et médicale en organisant
des campagnes de recueil des
dons et en finançant directe-
ment la recherche. Ils s’organi-
sent également en véritable
force de lobbying à l’échelon
national et international.
Il existe à ce jour en France
205 associations de malades
liées à 966 maladies rares. Elles
se sont constituées récemment
en collectif national, l’Alliance
Maladies Rares. Six autres pays
européens ont également des
alliances nationales.
Grâce à une alliance de ce
type, les associations de mala-
des américaines ont entamé
avec succès une campagne de
lobbying qui a conduit à
l’adoption, en 1983, d’un règle-
ment sur les médicaments
orphelins donnant des avan-
tages aux industriels suscep-
tibles de leur faire considérer
le développement de nou-
velles molécules pour les
maladies rares malgré l’étroi-
tesse des marchés potentiels.
La France est le pays euro-
péen qui a pris le plus d’initia-
tives dans le domaine des
maladies rares : création d’une
Mission Médicaments Orphe-
lins au ministère de la Santé
dès 1995, création d’un serveur
d’information sur les maladies
rares et les médicaments orphe-
lins (Orphanet) en 1997, action
volontariste pour faire aboutir
le règlement européen sur les
médicaments orphelins, appels
d’offres de recherche spécifi-
ques pour financer les réseaux
de recherche clinique (appel
d’offres 2000 conjoint INSERM-
AFM) ou les essais cliniques
dans le domaine des maladies
rares (PHRC 2001).
La Commission européenne
finance également la recherche
fondamentale dans le cadre du
5ePCRD et s’est dotée d’un
programme de santé publique
(http://europa.eu.int/comm/health/
ph/programmes/rare/).
Aujourd’hui, d’autres études
devraient être entreprises pour
mieux documenter les coûts
de santé et la prévalence de
ces maladies aux différents
âges de la vie afin d’aboutir à
des propositions d’organisation
du système de santé, non seu-
lement à l’échelon national,
mais aussi européen.
Ces maladies nous interpel-
lent par leur gravité. Réfléchir à
des solutions est bien le moins
que puissent faire les profes-
sionnels.
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RÉALITÉS FAMILIALES - 2001
SUNSET
Ségolène Aymé
INSERM SC11
Hôpital Broussais
102, rue Didot
75014 Paris
LES MALADIES GÉNÉTIQUES
Chacun d’entre nous peut
transmettre une maladie
génétique à ses enfants
ou en avoir hérité.
Aucune famille n’est
à l’abri d’une maladie
génétique.
Les nouvelles connais-
sances découlant de la recher-
che génétique, les actions
menées par les associations de
malades ont fait sortir de l’ou-
bli les maladies génétiques
Professeur
Marie-Louise Briard
Directrice scientifique
d’Allo-Gènes
restées très longtemps dans
l’ombre, en raison de leur
rareté, et considérées trop
souvent comme des tares. Les
acquisitions de la recherche,
les avancées biotechnolo-
giques, leurs applications pra-
tiques – possibles seulement
pour certaines maladies – ont
fait naître des espoirs chez les
malades et les familles. Elles
ont conduit aussi bon nombre
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PROBLÉMATIQUE
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RÉALITÉS FAMILIALES - 2001
de nos contemporains à croire
qu’il est devenu possible de
tout savoir, de tout comprendre,
de tout éviter, même le pire.
Les maladies génétiques
sont dues à une altération du
génome humain. Cette altéra-
tion peut avoir des consé-
quences variables, tant à titre
individuel que familial, en rai-
son des différents mécanismes
impliqués. Considérées comme
des maladies rares puisque
leur fréquence est habituelle-
ment inférieure à 1 sur 2 000,
elles représentent quatre sur
cinq d’entre elles.
Cinq catégories
de maladies génétiques
Classiquement, les mala-
dies génétiques sont classées
en quatre catégories. En réa-
lité, on peut en retenir cinq.
Selon les cas, l’évaluation du
risque génétique repose sur
des bases différentes ; l’utilisa-
tion des tests génétiques dis-
ponibles n’a pas les mêmes
conséquences.
Les maladies par aberration
chromosomique
Elles sont dues à une ano-
malie du nombre ou de la
structure des chromosomes.
Elles peuvent affecter une
seule des 23 paires de chro-
mosomes, parfois deux paires
concomitamment, voire plus.
Habituellement accidentelles
en raison d’une malségrégation
lors de la méiose, elles peu-
vent être familiales si l’un des
parents est porteur d’une ano-
malie de structure équilibrée.
Des anomalies chromoso-
miques inframicroscopiques,
non visibles sur le caryotype
classique, peuvent être déce-
lées avec les nouveaux outils
de cytogénétique moléculaire.
Elles sont la cause d’un certain
nombre de syndromes bien
identifiés cliniquement, mais
dont l’étiologie était aupara-
vant mal connue.
Les maladies monogéniques
Elles sont liées à l’altération
de l’ADN nucléaire, c’est-à-dire
situé dans les chromosomes du
noyau (représentant 95 % de
l’ADN). La mutation d’un seul
gène, à l’état hétérozygote
(une seule copie est altérée)
ou à l’état homozygote (les
deux copies sont altérées), en
est la cause, d’où leur dénomi-
nation de maladies monogé-
niques, mais aussi de maladies
mendéliennes si l’on considère
qu’elles se transmettent selon
les lois de Mendel.
Ces maladies peuvent être
dominantes ou récessives,
autosomiques ou liées au chro-
mosome X.
La pénétrance du gène
altéré peut être plus ou moins
complète (toutes les personnes
ayant la mutation n’expriment
pas la maladie) et l’expressivité
de la maladie très variable
d’une personne atteinte à l’autre.
Cette variabilité du phénotype
peut être due à des gènes modi-
ficateurs et/ou à des facteurs
de milieu.
De nombreuses maladies
mendéliennes peuvent relever
de l’altération, non pas d’un
seul gène, mais de plusieurs
gènes différents (hétérogénéité
génétique).
Les maladies génétiques
complexes
Certaines maladies commu-
nes, pas nécessairement rares,
sont sous la dépendance à la
fois de facteurs génétiques et
de facteurs de milieu. En rai-
son de l’intervention concomi-
tante de plusieurs gènes, la
composante génétique est dite
polygénique : chaque gène a
théoriquement un petit effet
dans l’apparition de la maladie.
En réalité, la situation est plus
complexe.
Certaines maladies consi-
dérées comme multifactorielles
peuvent en fait être monogé-
niques dans quelques cas (5 à
10 %), comme le cancer du
sein, la maladie d’Alzheimer.
La composante polygé-
nique (c’est-à-dire le poids des
facteurs génétiques) peut être
plus ou moins importante,
selon les maladies. Elle semble
faible dans la grande majorité
des formes multifactorielles du
cancer du sein et beaucoup
plus élevée dans le diabète
insulinodépendant. Cette com-
posante peut être en fait oligo-
génique : un gène a alors un
effet majeur, comme dans la
spondylarthrite ankylosante où
le marqueur HLA-B27 joue un
rôle important. Dans d’autres
cas, le nombre de gènes impli-
qués est grand (maladies psy-
chiatriques, hypertension arté-
rielle), mais chaque gène a un
effet mineur.
En définitive, on peut sub-
diviser cette troisième catégo-
rie en deux groupes.
Les maladies relevant d’un
gène ayant une forte prédis-
position génétique, tout du
moins dans certaines familles :
cancer du sein, cancer du
côlon, maladie d’Alzheimer,
sclérose latérale amyotro-
phique... On parle dans ce cas
de gènes de prédisposition
génétique.
Les maladies multifacto-
rielles, sous la dépendance
concomitante de facteurs
génétiques (hérédité polygé-
nique) et de facteurs environ-
nementaux, chaque gène
altéré ayant un effet plus ou
moins grand dans l’apparition
de la maladie. On parle alors
plus volontiers de gènes de
susceptibilité génétique.
Maladies dues à l’altération
de l’ADN mitochondrial
Certaines maladies peuvent
être dues à l’altération, non
plus de l’ADN nucléaire, mais
de l’ADN situé dans les mito-
chondries qui représente 5 %
de l’ADN total. Une maladie
mitochondriale ne peut être
transmise que par la mère,
puisque les mitochondries sont
situées dans le cytoplasme
présent essentiellement dans
l’ovule et très peu dans les
spermatozoïdes.
Reconnaître
une maladie génétique
Rien n’est plus insuppor-
table que le doute. Chez la
personne atteinte ou sa famille
proche, ce doute peut accroître
un sentiment de culpabilité,
nullement justifié, notamment
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RÉALITÉS FAMILIALES - 2001
PROBLÉMATIQUE
de rechercher l’altération d’un
gène ou une micro-anomalie
chromosomique, d’étudier une
protéine dès lors qu’elle est
connue.
Une maladie génétique
peut se manifester à n’im-
porte quel âge de la vie :
dès la vie intra-utérine, à la
naissance, dans l’enfance, à
l’adolescence, à l’âge adulte.
L’obstétricien, le pédiatre,
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RÉALITÉS FAMILIALES - 2001
comme le généticien clinicien,
mais aussi le médecin généra-
liste peuvent être les premiers
impliqués dans le diagnostic
d’une maladie génétique. Le
spécialiste, lui, est souvent en
première ligne quand la mala-
die touche uniquement un
organe ou préférentiellement
une fonction.
Le généticien clinicien a
une place importante dans
quand la pathologie s’accom-
pagne de troubles du compor-
tement encore trop souvent
imputés à l’environnement
parental. Porter le diagnostic
d’une maladie génétique,
même si elle peut se repro-
duire, est souvent considéré
comme positif par le malade et
sa famille : la maladie étant
identifiée, les nouvelles connais-
sances issues de la génétique
devraient permettre de déve-
lopper les moyens pour y faire
face.
Reconnaître l’origine
génétique d’une maladie
n’est pas toujours facile. La
symptomatologie peut varier.
Les premiers symptômes peu-
vent ne pas être discriminants
et n’orientent pas nécessaire-
ment vers le diagnostic.
Une même pathologie peut
relever de causes diverses.
Devant le premier cas dans
une famille, il n’est pas tou-
jours facile de connaître son
origine exacte. Ainsi, une cata-
racte congénitale peut être
acquise (rubéole maternelle
pendant la grossesse) ou être
génétique (tous les modes de
transmission mendélienne sont
observés), être isolée ou surve-
nir dans le cadre d’un tableau
malformatif plus complexe.
Pour penser à une maladie
génétique, il ne faut pas
attendre la survenue de plu-
sieurs cas dans une famille. Il
convient donc de chercher à
porter son diagnostic dès le
premier cas et non unique-
ment devant une histoire fami-
liale exemplaire.
Prendre l’avis d’un géné-
ticien sans attendre, envoyer
le malade à un spécialiste,
contribuent à raccourcir le
temps qui s’écoule entre les
premiers signes et le moment
du diagnostic et à faire en sorte
que la recherche d’un diagnos-
tic ne soit plus vécue par les
familles comme un parcours
du combattant.
L’examen clinique du
patient conserve une place
primordiale malgré le déve-
loppement d’outils de plus en
plus sophistiqués permettant
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