INTRODUCTION
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pouvoir de juridiction canonique et impose son monopole sur la dénition du mariage
valide et légitime, institution permettant de distinguer le laïc du clerc. La réforme
disciplinaire de l’Église menée par la papauté a en eet pour nalité la moralisation du
clergé et donc la lutte contre une pratique réprouvée, l’incontinence des clercs majeurs.
L’oensive grégorienne contre le nicolaïsme a suscité un durcissement de la législation
contre les ls de prêtre qui rejaillit sur les ls illégitimes des laïcs 6. L’article8 du concile
de Bourges de 1031 cible en eet d’abord les ls de prêtre et de clercs majeurs pour
leur interdire l’accès à la cléricature et élargit son propos à «tous ceux qui ne sont pas
nés d’un légitime mariage», et qui sont appelés «dans les Écritures, semence maudite»
(semen maledictum): ceux-là «ne peuvent pas hériter selon les lois séculières, ni être
reçus comme témoins 7». Vers 1185, dans le recueil de Renouf deGlanville, chef de
la justice d’HenriIIPlantagenêt, on lit aussi que «l’héritier légitime ne peut pas être
le bâtard ni celui qui n’a pas été procréé d’un légitime mariage 8». Ne pas être né ou
procréé dans un mariage légitime, –la nuance ne semble pas encore signiante juridi-
quement avant les relectures doctrinales du canoniste Henri deSuze (dit Hostiensis,
au esiècle) 9, voilà ce qui justie l’exclusion des ordres sacrés, comme de l’héritage
des parents. La bâtardise commence donc là, dans l’assimilation à une «semence
maudite», et l’exclusion du périmètre juridique de la famille.
Les e-esiècles constituent une période charnière où plusieurs réalités norma-
tives coexistent et où l’appréciation négative de la naissance hors mariage légitime n’a
pas encore irrigué tous les discours 10. Quelques exemples en témoignent. L’indécision
des contours juridiques de l’union entre le duc normand RobertleMagnique (1027-
1035) et Herleva peut-être épousée more danico et assimilable à une frilla explique
en partie le silence des chroniqueurs ecclésiastiques sur le statut de Guillaume et
celui de sa mère. Cette union est encore empreinte sinon d’une pleine légitimité au
regard des pratiques more franco du mariage chrétien, du moins d’une tolérance sociale
6. Sur la doctrine romano-canonique du mariage médiéval et la diérence en droit canonique entre liation légitime
et liation illégitime, voir tout spécialement L-TA., Introduction historique au droit des personnes
et de la famille, Paris, PUF, 1996, chap.: «Le MoyenÂge: le mariage sous le contrôle de l’Église», p.132-165,
et «La liation au MoyenÂge», p.233-256.
7. «Ut lii presbytorum sive diaconum vel subdiaconorum in sacerdotio vel diaconatu vel subdiaconatu nati nullo modo
ulterius ad clericatum suscipiantur, quia tales et omnes alii qui de non legitimo coniugio sunt nati semen maledictum
in scripturis divinis appellantur nec apud seculares leges hereditare possunt nec in testimonium suscipi» (canon cité par
GR., Histoire de la légitimation des enfants naturels en droit canonique, Paris, Bibliothèque de l’École des
hautes études, coll. «Sciences religieuses», 18, 1905 p.11-13).
8. «Heres autem legitimus nullus bastardus nec aliquis qui ex legitimo matrimonio non esset procreatus esse potest»
(Tractatus de legibus et consuetudinibus regni Anglie qui Glanvill vocatur, éd. G.D.G.Hall, Londres, 1965, p.87).
Le Regiam Majestatem écossais, paru vers 1320, en reprend le texte: «No bastard or other person not born in lawful
wedlock can be an heir», «a personn begotten or born before his father subsequently marries his mather[…] cannot
under any circumstances be treated as an heir or allowed to claim inheritance» ; «a bastard […] can have no heir
except the heir of his body born in wedlock» (cité par GA., «Royal and Magnate Bastards in the Later Middle
Ages: the View from Scotland», É. B, A. M, C. M et B. S (dir.), La bâtardise
et l’exercice du pouvoir en Europe du xiiie au début du xvi esiècle, op. cit., p.313-355.
9. Dans sa Lectura in quinque libros decretalium (sur X.,IV,17,6), le décrétaliste du e siècle Hostiensis pousse la
logique conjointe de la vis matrimonii et de la favor prolis jusqu’à considérer qu’est légitime tout enfant né dans le
mariage, à défaut d’y avoir été toujours conçu. L-TA., «Tanta est vis matrimonii: remarques sur
la légitimation par mariage subséquent de l’enfant adultérin», Autour de l’enfant. Du droit canonique et romain
médiéval au Code civil de 1804, Leiden/Boston, Brill, 2008, p.190.
10. AC., «Les stratégies matrimoniales des premiers Capétiens à l’épreuve des prohibitions canoniques en
matière de parenté (e-esiècles)», M.A (dir.), Les stratégies matrimoniales (ixe-xiiiesiècles), Turnhout,
Brepols, 2013, p.237-256, spécialement p.248-255: quelques réexions sur la dénition du spurius chez Yves
deChartres, et les stratégies mises en œuvre par l’évêque pour brandir la menace d’illégitimité quand l’union illicite
n’est encore qu’un projet matrimonial, au regard de l’aaire des mariages de PhilippeIer.
« Bâtards et bâtardises dans l’Europe médiévale et moderne », Carole Avignon (dir.)
ISBN 978-2-7535-4948-7 Presses universitaires de Rennes, 2016, www.pur-editions.fr