UNIVERSITE D’ANGERS GROUPE FILIATION ILLEGITIME ET BATARDISE DANS LES SOCIETES MEDIEVALE ET MODERNE DEUXIEME JOURNEE D’ETUDE 10 JUIN 2013 Famille et société a l’épreuve de la bâtardise : normes, pratiques, représentations SESSION 1 La bâtardise dans les sciences sociales Isabelle Séguy (Chargée de recherche, INED) « L’illégitimité à l’époque moderne : entre construction sociale et indicateur moral. Le regard de l’historienne démographe » La mesure de l’illégitimité a été introduite par les premiers arithméticiens politiques qui, à la fin du XVIIIe siècle, cherchaient à évaluer la fécondité en fonction d’un nombre moyen de naissances et de mariages, d’une part, et du nombre total de la population, d’autre part. Elle a été reprise par les démographes qui cherchaient à définir les limites de la « fécondité naturelle », c’est-à-dire celle qu'aurait une population en l’absence de tout contrôle des naissances, qu’il convenait donc de prendre dans le cadre strict de couples mariés. Les historiens-démographes ont continué à distinguer les naissances « légitimes et naturelles » des naissances hors mariage, et fourni une large matière pour des analyses de l’illégitimité selon les régions, les périodes, les catégories de populations, etc. Et l’étude du comportement sexuel des populations anciennes a longtemps été un des thèmes favoris des historiens de la famille qui cherchaient à explorer tout à la fois la vie privée des hommes et des femmes et leurs attitudes morales dans une société marquée par la rigueur post- tridentine. Leurs résultats ne portent cependant que la partie visible des comportements sexuels hors mariage, une toute petite partie. Considérer l’illégitimité comme indicateur moral nous apparaît d’autant plus biaisé qu’il ne pointe bien souvent que sur la population féminine et, qui plus est, sur ces éléments les plus vulnérables, alors que cette notion est étroitement liée aux pratiques successorales et aux normes d’union en vigueur. SESSION 2 Représentations littéraires et perceptions sociales Elisabeth Mathieu (professeur, littérature médiévale, Université d’Angers) « Une bâtardise fictive : le personnage de Ferrand dans Baudouin de Flandre » Le propos de cette communication est de voir pourquoi le romancier du XVe siècle invente une filiation biologique (Ferrand de Portugal, fils du roi Philippe Auguste!) et quels en sont les enjeux narratifs. Alice Duda (doctorante, sous la direction de Bertrand Schnerb, histoire médiévale, Université de Lille-3) « La perception des bâtards au XVe siècle : l’exemple des pays bourguignons » Cette communication s'appuiera essentiellement sur des actes de la chancellerie bourguignonne (lettres de légitimation, lettres de rémission) ainsi que sur une source littéraire : Les Cent Nouvelles nouvelles qui permettront de montrer que le thème de la bâtardise n'est pas tabou à la cour de Bourgogne (avec un duc comme Philippe le Bon et ses nombreux bâtards, cela n'est guère surprenant) et qu'il prête même à rire. Plusieurs points seront abordés. Les lettres de légitimation apporteront un éclairage significatif sur le vocabulaire employé pour qualifier les bâtards et les typologies que peuvent dresser les historiens à partir de ces termes. La question de savoir si le bâtard est une menace pour la famille sera ensuite évoquée, en déclinant l’idée de menace sur plusieurs plans (aussi bien pour l'époux ou l'épouse légitime que pour les enfants légitimes mais aussi pour la famille "en général", quand des jeunes filles nobles qui commettent des infanticides afin de ne pas déshonorer leur famille). Dans cette optique, la réaction des époux / épouses face aux bâtards de leur femme/mari légitimes sera analysée. Sera également abordée la question de la place du bâtard dans une société chrétienne. Le concept de bâtardocratie permet aussi de montrer que les bâtards de l’élite ne sont pas nécessairement perçus comme une menace dans la société, mais qu'au contraire ils peuvent y trouvent leur place. 1 SESSION 3 Famille et société à l’épreuve de la bâtardise : le prisme des sources judiciaires et juridiques Sara Mc Dougall (assistant professor, History, CUNY John Jay College of Criminal Justice) « Couples en marge, adultères et filiation : les enfants illégitimes dans les sources judiciaires du XVe siècle » Cette intervention prend pour sujet les enfants illégitimes des roturiers dans la France du Nord. Nous pourrions supposer que les femmes enceintes d’enfants illégitimes avaient souvent recours à l'avortement ou l'infanticide. Cependant, nous avons peu de preuves concernant ces pratiques. L'abandon des enfants illégitimes est certainement une autre possibilité qui peut se présenter, mais les sources du nord de la France nous renseignent beaucoup moins sur le sujet que celles d'Italie. Certaines mères gardaient leurs enfants illégitimes, ou les donnaient à leurs propres familles ou à la famille paternelle. Mon intervention abordera la question de ces parents et de leurs enfants. Comment étaient-ils traités par leurs parents et leurs communautés? Je me demanderai ce que nous pouvons apprendre au sujet des enfants illégitimes de roturiers en étudiant la documentation laissée par l'officialité de Troyes au XVe siècle. Charlotte Pichot (M2, histoire médiévale, sous la direction de Myriam Soria, Université de Poitiers) « Le refus des naissances illégitimes dans le Centre et le Poitou (XIVe-XVe siècles) » Au Moyen Âge, la sexualité n'est acceptée qu'au sein d'une union matrimoniale et dans le but de procréer. Dès lors, les naissances extra - conjugales révèlent, aux yeux de tous, un adultère. À travers sa grossesse, la femme enceinte célibataire, porte souvent seule la preuve du péché de chair. Or, au Moyen Âge, l'honneur féminin est principalement conditionné par le critère de chasteté sinon par la fidélité et le comportement vertueux de la femme envers son mari. Le refus de la naissance illégitime peut apparaître alors comme une condition de préservation de son honneur. Mais, cachant un péché de chair et attentant à la vie d'un enfant, la contraception, l'avortement, l'infanticide et parfois l'abandon, sont sévèrement jugés par l'Église et les autorités judiciaires. La communication présente s'attachera à analyser le refus de l'enfant illégitime dans sa dimension criminelle, à travers l'avortement et l'infanticide. Pour le bas Moyen Âge, les lettres de rémission fournissent encore un certain nombre d'affaires relatives à des avortements et à des infanticides contre des enfants illégitimes. À partir des inventaires et des éditions du Trésor des chartes établis pour le Poitou médiéval et les pays de Loire moyenne, nous proposerons une étude exhaustive de ces crimes pour les XIVe et XVe siècles. Bien que biaisées par le discours favorable aux suppliants, les lettres de rémission permettent tout de même d'appréhender l'envers de l'action, ses circonstances, son déroulement et ses protagonistes. C'est en effet à travers l'étude des coupables, de leurs motivations, des raisons aussi de la grâce royale que nous allons tenter de mieux appréhender l'avortement et l'infanticide à l'encontre des enfants illégitimes. Justine Morault (M2, Histoire du droit, sous la direction de Joël Hautebert, Université d’Angers) « La bâtardise dans les recueils d’arrêtistes du Parlement de Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) » Notre recherche s'appuie sur divers recueils d’arrêts notamment ceux du parlement de Paris. Les arrêtistes ou «arrestographes» appartiennent au monde judiciaire. Ceux-ci sont magistrats ou encore avocats. D’abords utilisés pour un usage personnel c’est à l’initiative des imprimeurs que les notes de ces juristes ont été publiées. A l’approche de la révolution, ces recueils deviennent plus riches, plus détaillés permettant également au lecteur de prendre connaissance de la jurisprudence des cours souveraines, dans un objectif de simplification du droit en vigueur les arrêts des parlements n’étant bien entendu pas encore motivés. De nombreux arrêts rendus par les parlements touchent les questions juridiques liées à la bâtardise. Nous nous intéresserons seulement dans ce développement aux affaires civiles. La jurisprudence s'appuie essentiellement sur le droit coutumier, dont les règles sont globalement suivies. Dans un premier temps nous aborderons la question de la filiation et du mariage des bâtards, puis nous porterons notre attention sur leur légitimation. 2 SESSION 4 Famille et société à l’épreuve de la bâtardise : études de cas dans la noblesse Marie-Lise Fieyre (doctorante, histoire médiévale, sous la direction de Didier Lett, Paris-VII, Paris-Diderot) « Bâtardes alliances. Mariages et fratries chez les Bourbon à la fin du XVe siècle » Des généalogies de l’époque moderne aux monographies plus récentes, les bâtards sont généralement considérés selon un modèle de symétrie/exclusion. Quand ils ne sont pas simplement éludés, ils sont évoqués séparément des enfants légitimes. L’irrégularité juridique de leur naissance a influencé cette manière de penser le bâtard comme un être naturellement distinct de la fratrie à laquelle il appartient. Nous proposons donc ici de revenir sur cette opposition à partir d’une étude de cas et notamment à partir de l’observation des fratries à travers les alliances contractées par ses membres. L’analyse repose sur les mariages envisagés et/ou effectifs des enfants issus de deux fratries successives des ducs Charles Ier et Jean II de Bourbon au XVe siècle. Les alliances se replacent alors dans un contexte particulier qui est celui de l’influence d’une famille apanagiste de haute noblesse dans le royaume de France à la fin du Moyen Âge. Le but est de comprendre comment les alliances matrimoniales s’organisent, en prenant simultanément en compte les enfants légitimes et les bâtards. Les contrats de mariage forment la base du corpus documentaire mais ce ne sont pas les seuls documents à nous fournir des informations sur les alliances. D’autres sources peuvent renseigner sur les modalités des mariages comme les projets de contrats, les négociations prénuptiales, les quittances dotales etc. À travers ces sources, le but est de comprendre les différences de niveau social, et les répartitions des rôles entre les membres mariés de la fratrie : légitime, illégitime, aîné, cadet, fille ou garçon. Ils permettent aussi d’appréhender les aspirations sociales ou politiques du groupe familial à travers les alliances conclues ; ou encore de montrer comment les alliances sont pensées et motivées en fonction de la légitimité ou non de l’individu. C’est donc dans le cadre d’une stratégie plus générale que le bâtard trouve sa place, notamment par le biais d’alliances qui sont spécifiques à sa situation dans la fratrie. Véronique Garrigues (docteur, histoire moderne, Framespa) « Filiation illégitime et parents irréguliers : noblesse et bâtardise à l’époque moderne (le cas des Monluc) » À partir du cas de la famille des Monluc, de la période des guerres de religion à celle de la Fronde, il sera abordé les liens qui unissent les bâtards et leurs parents dans une perspective historique et anthropologique. En utilisant le régime juridique qui encadre le statut de la bâtardise, il convient de s’interroger sur la façon dont la filiation s’énonce (légitimée, cachée, refusée) et d’analyser comment les enfants illégitimes s’intègrent alors dans un système de parenté, le lignage noble. La progressive incapacité du bâtard, tant dans le droit canonique que royal, tend à confondre filiation (en droit) et parenté (la famille) : or les enfants illégitimes, exclus de la filiation, ne sont pas pour autant écartés des lignages nobles. Confrontés aux lettres de légitimations, correspondances, procès, actes notariés permettent de sonder des relations plus complexes que celles énoncées par les coutumes ou la législation royale. Dire la bâtardise est pour les contemporains l’intégration d’un discours normatif mais également idéologique (autour de l’hérédité et du sang). Être bâtard implique des pratiques sociales, qui débutent à la naissance (parents spirituels, prénom), se poursuivent par des choix éducatifs et une carrière, choisie ou subie. Comment s’éprouvent les sentiments de filiation face à une identité juridique de plus en plus restrictive de la parenté tout au long de l’Ancien Régime ? 3