LA CONSTRUCTION BIOGRAPHIQUE DES ORIENTATIONS INTIMES
BOZON, MICHEL
97ST1321
Présentation et hypothèsesLorsquelles abordent la sexualité humaine, les sciences sociales posent
que les comportements sexuels sont une construction sociale, plutôt quune production de la nature. Les
facteurs biologiques passant au second plan; la diversité apparaît comme une caractéristique essentielle des
comportements sexuels humains, alors que dans le reste du monde animal, les membres dune espèce donnée
se caractérisent au contraire par luniformité de leur comportement sexuel. Ce trait de la sexualité humaine a
été relevé par des auteurs très divers, historiens, anthropologues, sociologues. Ainsi John Gagnon et William
Simon soulignaient déjà en 1973 : «... psychosexual development, while a universal component in the human
experience, certainly does not occur with universal modalities. Even ignoring the striking forms of cross-
cultural variability, we can observe striking differences within our own population, differences that appear to
require not a unitary description of psychosexual development but descriptions of different developmental
processes» (Gagnon and Simon, 1973, p. 17). Nous nabordons pas ici la «spectaculaire» diversité des cultures
en matière de sexualité, ni lhistoricité des émotions et des contextes dexercice de la sexualité. Dans le présent
article, cest la diversité des modes de structuration individuelle du comportement sexuel dans une société
donnée qui est prise pour objet. On fait lhypothèse que la diversification moderne des trajectoires
biographiques, souvent interprétée comme progrès de lindividualisme, est largement liée aux expériences de
la sexualité, qui apporteraient ainsi une contribution de plus en plus marquée au processus de construction
identitaire.
Le social et le sexuel
Reconnaître la diversité des orientations en matière de sexualité nest pas célébrer une prétendue efflorescence
et libération des identités sexuelles, hors de tout cadre, contrainte ou «dispositif de sexualité» (Foucault,
1976). Dans une approche sociologique de la sexualité, le rôle du contexte et de lenvironnement non sexuels
est toujours considéré comme fondamental, quil sagisse du contexte socio-culturel ou du contexte
biographique dans lequel sinscrit lexistence de chacun. Mais il nest plus possible aujourdhui de se représenter
la socialisation à la sexualité, comme limposition dun ensemble de normes et de valeurs sociales dominantes.
Dans lintroduction à un recueil de travaux britanniques récents sur la sexualité, Jeffrey Weeks et Janet
Holland indiquent fort justement : «The changes of the past generation, which have made possible a sociology
of sexuality, have also transformed the ways in which sexualities are lived. It is no longer possible, if it ever
was, to see our society in terms of a hegemonic form from which everything else is a deviation. Increasingly
today, we have to recognise that sexuality is as much about self-making and self-invention as it is about
dominant forms of regulation» (Weeks et Holland, 1996, p.6). La dialectique du social et du sexuel se
présente comme un double mouvement. Des processus sociaux non sexuels structurent lactivité sexuelle des
individus : par exemple linitiation sexuelle est plus précoce chez les jeunes qui entrent tôt sur le marché du
travail que chez ceux qui font des études supérieures (Bozon, 1993). Réciproquement la sexualité est un
élément fondamental de construction de la vie sociale : identité personnelle, biographies familiales et
conjugales, réseaux de sociabilité, transmission et redéfinition des normes et des valeurs sociales, relations
entre les générations et rapports de genre sont quelques-uns des chapitres de la réalité sociale dans lesquels la
sexualité joue, à des degrés divers, un rôle structurant. Laisser de côté la sexualité appauvrirait lanalyse
sociologique de la construction de lidentité : «A sociology which ignores the sexual will fail to grasp the
complexity of identities, belongings, personal relationships and social meanings in late modern societies»
(Weeks, Holland, 1996, p. 13).
La diversité des orientations intimes
Limportance de la sexualité pour la construction du sujet social (le self-making évoqué plus haut), dans une
période de déclin des formes hégémoniques de socialisation, amène à se demander sil est possible de décrire,
chez les individus, des régularités et des configurations stables en matière de rapport à la sexualité, ce quon
pourrait appeler des types dorientation intime(1), qui ne seraient réductibles ni aux grandes divisions de la
société, ni aux contraintes des situations vécues. En dautres termes, existe t-il des classements sexuels
autonomes, distincts des classements sociaux habituels (hommes et femmes, classes supérieures et classes
populaires, classement par groupes dâges) ?
La question peut sembler naïve. Aucune société nest dépourvue de dénominations ou de classements se
référant au comportement sexuel des individus. Ainsi dans la culture sexuelle brésilienne, traditionnellement
les hommes sont classés selon leur conformité à une représentation de lhomme actif (macho/bicha) ; les
femmes, pour leur part, sont réparties entre femmes honnêtes et femmes qui recherchent activement des
partenaires (Fry, 1982 ; Parker, 1991 ; Bozon et Heilborn, 1995). Ces classements, qui traduisent un contrôle
social et une censure des comportements, décrivent mal léventail des orientations intimes. Dans la plupart des
sociétés, il existe des dénominations qui se réfèrent plus généralement à lorientation sexuelle, comme celles
qui distinguent homosexuels, hétérosexuels, bisexuels. Cette classification, apparue au siècle dernier dans le
champ de la sexologie et de la psychiatrie, avant dêtre reprise par des «militants de la sexualité», puis par des
épidémiologues, a été critiquée pour la confusion quelle introduit entre le registre des pratiques et celui des
identités, quelle tend à réduire à une question de choix dobjet sexuel (Jurandir Freire Costa, 1996) ; elle na pas
un pouvoir analytique très grand, nest pas un classement identitaire et accorde une place démesurée à la
question du sexe des partenaires. En définitive, si lon fait lhypothèse dune diversité des types dorientation
intime en matière de sexualité, cest en fonction de lidée simple que lactivité sexuelle contribue de manières
très différentes à lidentité des individus : elle peut être une préoccupation centrale ou au contraire
subordonnée à dautres considérées comme plus fondamentales, elle peut sexprimer de façon officielle et/ou
clandestine, elle peut se fonder sur une volonté de continuité relationnelle ou au contraire sur un désir de
renouvellement permanent.
Dans cet article, la construction des orientations intimes est dabord mise en relation avec les stades de la
biographie et les expériences vécues. Puis, trois grands types dorientation en matière de sexualité sont décrits,
qui sont en somme des manières dont la sexualité prend sens pour les individus. Enfin une propriété
importante des orientations intimes est analysée : le fait que les personnalités sexuelles ne se présentent pas
nécessairement comme unifiées, mais laissent apparaître des clivages internes, liés à lexistence despaces
primaires et despaces secondaires de lactivité sexuelle. Lanalyse proposée ici se situe au plan des
comportements sexuels des individus, et non pas à celui des grandes représentations de la sexualité quune
société peut élaborer (à travers la littérature et lart, la religion, la médecine, la «politique sexuelle», voire les
récits sexuels(2)). Notre objet nest donc pas daborder les «scénarios culturels» (selon lexpression de Gagnon
et Simon, 1973), mais léventail des scénarios intra-individuels de la sexualité, qui entretiennent des liens avec
les premiers, mais ne sont pas sous leur stricte dépendance.
Stades de la biographie et construction des orientations intimes
Cest dans les expériences biographiques quil faut chercher les sources des types dorientation intime. Certaines
étapes du cycle de vie jouent un rôle structurant, cristallisant des tendances, voire introduisant des
changements dorientation ou des bifurcations. Ces «noeuds biographiques» sont suivis (ou précédés) de
«périodes de mise en oeuvre», apparemment moins productives, au sens où elles nintroduisent pas de
nouveautés, mais importantes dans la mesure où elles peuvent consolider ou actualiser les tendances
ébauchées antérieurement. Dans les biographies sexuelles, à lépoque contemporaine, deux types de périodes
sont à distinguer, celles où le sujet est sans partenaire stable (voire sans activité sexuelle), et celles où il a un
partenaire stable, ou un conjoint (et éventuellement dautres partenaires en parallèle). Les périodes sans
partenaire stable, qui sont souvent des phases de recherche de partenaire, jouent (paradoxalement) un rôle
déterminant dans lélaboration des orientations en matière de sexualité. Cest le cas de linitiation sexuelle,
moment dentrée dans la sexualité avec partenaire, bien distinct désormais (dans la majorité des cas) du
moment de lentrée dans la vie conjugale. La période qui suit la rupture dun couple peut être également un
moment de réélaboration ou dinflexion de lidentité intime. En revanche les périodes de vie conjugale ou de
partenariat stable, qui tendent à se fragmenter en raison de laugmentation des ruptures et des recompositions
conjugales et familiales (même si pour un individu donné la durée totale vécue en état conjugal ne sallonge
pas forcément), restent un moment de stabilisation des orientations individuelles en matière de sexualité. Cela
ne signifie pourtant pas, bien au contraire, que la vie sexuelle conjugale se déroule de manière stable et
uniforme pour hommes et femmes, et pour tous les couples. En outre, quand la durée passée en couple
sallonge, des divergences en matière dorientation intime surgissent, ou plutôt ressurgissent entre partenaires.
Dans la construction des orientations en matière de sexualité à travers la biographie, les sciences sociales
accordent une place particulière à linitiation sexuelle et amoureuse. Parce quil correspond à lentrée dans la
sexualité avec partenaire, ce seuil est considéré comme plus décisif que la sexualité infantile, auquel la
psychanalyse accorde en revanche une grande importance (Bozon, Leridon, 1993). Dès ladolescence ou la fin
de ladolescence, dimportantes différences dattitude en matière de sexualité se manifestent entre garçons et
filles, ainsi quentre les garçons eux-mêmes, alors que les attitudes et les comportements féminins sont plus
homogènes, en tout cas à cet âge-là (Bozon, 1993 ; Bozon et Heilborn, 1996 ; Lagrange et Lhomond, 1997).
Cela apparaît nettement quand lon examine le déroulement du premier rapport sexuel, et également la manière
dont sorganisent la relation avec le premier (la première) partenaire sexuel(le), et la relation avec ceux (celles)
qui lui succèdent. Parmi les raisons qui ont poussé à avoir un rapport avec le (la) premier(e) partenaire, les
jeunes Français de 15 à 18 ans déclarent plus souvent que cétait le désir, lattirance ou la curiosité, alors que
les filles indiquent plus généralement lamour et la tendresse : 59% des garçons contre 34% des filles indiquent
le premier ensemble de motifs, et 38% contre 61%, respectivement, le second (Lagrange, Lhomond, op.cit., p.
176). Chez les garçons, la tendance à déclarer avoir éprouvé des sentiments amoureux pour sa première
partenaire est particulièrement faible parmi ceux qui commencent tôt leur vie sexuelle (par exemple à 15 ou
16 ans). Elle est élevée en revanche chez ceux qui connaissent des débuts tardifs (19 ou 20 ans). Plus quun
sentiment, lamour est ici une formule, une manière de coder et de réguler une relation attendue, qui sest fait
attendre et qui a duré. Ceux et celles qui, dès les débuts, associent systématiquement lamour à la sexualité ne
font rien dautre que tenter dinscrire cette dernière dans une durée et un cadre qui la dépassent. La manière
dont sorganisent les premières années de vie sexuelle en témoigne, dans le contexte français où le mariage a
cessé dêtre un horizon proche et universel de la sexualité juvénile. Il existe un modèle féminin où les
premières années de vie sexuelle sont occupées par des relations sentimentales et durables ; la solitude est
rare, et la première relation est souvent plus longue que la deuxième. En revanche, le modèle masculin de
début de vie sexuelle passe par des relations plus immédiatement sexualisées et courtes avec un grand nombre
de partenaires et de longs intervalles sans activité sexuelle (Levinson in Lagrange, Lhomond, op.cit.). Les
premières années de vie sexuelle laissent les filles avec une plus grande expérience relationnelle que les
garçons qui, eux, auront plutôt eu des expériences sexuelles ponctuelles, même si un certain nombre (ceux qui
ont eu des débuts tardifs) ont demblée une attitude et un comportement plus proche des filles. En général,
lexpérience relationnelle ne vient aux garçons quau bout de quelques années dune sexualité dexpérimentation.
Pour les garçons, dès les débuts de leur vie sexuelle adulte, la sexualité est une affaire dassurance et de
confiance en soi quil faut conquérir , alors que pour les filles, la sexualité est inséparable des relations, quelles
veulent durables.
Plus de quatre cinquièmes des individus, après une période préconjugale plus ou moins longue, entament une
relation conjugale qui peut être durable, ou sinterrompre au bout dun certain temps. La majorité de ceux qui
connaissent une séparation forment ensuite un second couple. La sexualité conjugale passe par différentes
phases qui constituent un véritable cycle, lié essentiellement à la durée de la vie commune, mais aussi au
calendrier (éventuel) de la naissance des enfants : la phase du couple naissant qui présente des caractéristiques
assez uniformes dans la plupart des cas, la phase du couple stabilisé qui peut prendre des formes plus
diverses, et sans doute une troisième phase, encore peu connue, celle du couple désexualisé (Ueno, 1995 ;
Duncombe et Marsden, 1996 ; Bozon, 1997a). Le couple naissant se distingue nettement par le rythme élevé
dactivité sexuelle des partenaires, par des normes dexclusivité sexuelle assez stricte, par les sentiments
amoureux marqués de chacun des partenaires pour lautre, par leur grande satisfaction à légard de leur vie
sexuelle et par un désir assez généralement partagé. Lintensité de lengagement sexuel joue un rôle
fondamental dans la construction initiale du couple, et fixe les éléments dun répertoire sexuel conjugal. La
stabilisation du couple, qui intervient souvent avec la naissance denfants, correspond à une nouvelle phase
dactivité sexuelle, à la suite dune transition plus ou moins longue. Le rythme dactivité sexuelle devient moins
fréquent. Un rituel sexuel qui ne change plus guère sest mis en place et il procure du plaisir dans la majorité
des cas, même si la force relative du désir des femmes saffaiblit généralement face à celui des hommes. Par
ailleurs, les sentiments des partenaires deviennent moins vifs, lattachement à la norme de fidélité baisse et une
part des conjoints ont, à un moment ou un autre, des relations extra-conjugales. La sexualité conjugale a pour
caractéristique majeure dêtre hautement répétitive, et ne comporte plus dinnovations après la période des
débuts, ce qui est souvent perçu par les conjoints comme un élément rassurant, plutôt que négatif. Mais une
évolution divergente en matière de sexualité se produit souvent entre les partenaires, notamment dans la phase
de stabilisation sexuelle, et elle peut faire resurgir les différences déjà signalées dans la période pré-conjugale.
Dans le cadre du couple, certains conjoints ont une interprétation (3) individuelle de la sexualité, qui est pour
eux un élément de construction et de restauration de leur identité individuelle, à partir de leur désir et de celui
de leur partenaire. Dautres conjoints en ont une interprétation strictement relationnelle : la sexualité est au
service du lien, et de la relation, voire même du partenaire (Leal et Boff, 1996), et lactivité sexuelle peut à la
limite se produire sans intervention de leur désir propre. La tension entre ces deux interprétations nest pas
forcément facteur de rupture conjugale car elles peuvent coexister en une sorte déquilibre instable (Bozon,
1997a).
Les périodes qui suivent une rupture conjugale peuvent être propices à une remise en cause des attitudes
antérieures en matière de sexualité, en particulier chez les femmes (Bozon, 1995). Certaines femmes qui se
séparent et qui ont des enfants ont des relations amoureuses mais ne forment pas de second couple. Cela peut
être interprété à raison comme la conséquence dune domination des hommes sur le marché matrimonial, qui
favorise des femmes plus jeunes. On peut y voir aussi leffet dune priorité quelles donnent à leurs engagements
familiaux. Mais on peut le décrire aussi comme le fait que ces femmes, sans renoncer à avoir une vie sexuelle,
séloignent de lorientation conjugale qui était la leur au profit dune approche plus individuelle (voir plus haut)
: cessant de concevoir lactivité sexuelle comme rouage dun couple, elles peuvent se mettre à vivre, dans un
contexte bien différent, une seconde adolescence. Quant aux hommes et aux femmes qui forment un second
couple, après une première vie conjugale dune certaine durée, on observe quils ont demblée une attitude
beaucoup moins «conjugale» en matière de sexualité : leurs attitudes à légard de la fidélité dans le couple sont
par exemple beaucoup moins strictes que les premiers couples naissants (Bozon, 1997a).
Les orientations intimes en matière de sexualité ne sont plus uniquement des déterminations héritées des
milieux dorigine ou imposées par les univers sociaux et culturels auxquels lon appartient. Elles sélaborent
dans les trajectoires biographiques et les expériences, abouties et inabouties, de construction de soi (Lagrange
et Lhomond, op. cit.). Mais si les expériences et les trajectoires possibles sont innombrables, les places que la
sexualité peut occuper dans la vie des individus se ramènent à quelques cas de figure.
Trois types dorientations intimes : sexualité extériorisée, sexualité individualisée, sexualité «conjugalisée».
Dans les sociétés contemporaines, il y a plusieurs manières de qualifier les rôles que la sexualité joue dans la
vie et dans la construction identitaire des individus. La sexualité se manifeste de façon extravertie et visible,
ou inversement de manière discrète et secrète. Les individus peuvent valoriser le renouvellement ou
inversement la stabilité en matière de partenaires. La sexualité est vécue par les sujets plutôt comme
composante et indicateur de leur personnalité, ou comme composante et indicateur de létat dune relation.
Dautres traits pourraient être pris en compte, mais il nest pas certain quils permettent denrichir la typologie.
les propriétés retenues ne donnent pas un nombre infini de possibilités logiques. Nous distinguerons
provisoirement trois.familles dorientations intimes.
Lextériorisation
Le modèle de la sexualité extériorisée nest pas le modèle le plus fréquent, mais cest un point de référence
important, bien que, paradoxalement, il semble aller à lencontre dun mouvement séculaire de privatisation de
la sexualité(4) (Elias, 1973). Dans ce type dorientation intime, lactivité sexuelle apparaît aux individus
comme une composante ordinaire de leur sociabilité, comme un élément central didentité sociale, voire
comme un trait didentité professionnelle. Le renouvellement des partenaires y est fréquent et nest pas du tout
dissimulé. Dans un travail récent, Philippe Adam montre que ce modèle dextériorisation est typique dune
partie des homosexuels, ceux qui se sentent le plus liés à la «communauté gay», et qui estiment que leur
orientation sexuelle est une part essentielle de leur identité et quelle doit être assumée (Adam, 1997).
Logiquement, il apparaît quils ont des nombres de partenaires plus élevés que la moyenne des homosexuels,
quils vivent moins souvent en couple et quils fréquentent souvent les lieux de sociabilité «gay» typiques (bars,
saunas, boîtes). On rattachera également à ce type dorientation les hétérosexuels très multipartenaires,
fréquents dans certains milieux professionnels où la sexualité, la séduction et toutes les formes de mise en
scène de soi sont des modes dacquisition de capital social et donc des composantes didentité sociale qui , loin
dêtre dissimulées,doivent être exhibées: en France par exemple, les professions de lart, de linformation et du
spectacle se caractérisent par cette orientation sexuelle extravertie (Bozon, 1998, à paraître). La «séduction»
des hommes de pouvoir peut aussi être interprétée comme une extériorisation statutaire de la sexualité,
relativement licite dans les pays du sud (y compris la France !). Enfin, il existe un dernier ensemble de sujets
pour lesquels lextériorisation de la sexualité est directement une affaire didentité professionnelle : les
travailleurs du sexe, prostitué(e)s, travestis et autres qui, dans une optique marchande, sont tenus dexhiber des
signes visibles de leur profession , afin de réaliser un nombre élevé de prestations (Welzer-Lang et al., 1994 ;
Prieur, 1996). Le modèle de sexualité extériorisée, même sil concerne un nombre dindividus somme toute
assez faible, entre souvent en combinaison minoritaire avec des orientations plus classiques.
Lindividualisation
Dans un second modèle, quon peut intituler modèle de la sexualité individualisée, le surgissement régulier du
désir, désir éprouvé pour un partenaire et/ou désir de ce partenaire pour soi, est une des conditions du
maintien de lidentité intime du sujet. Ce travail de réassurance périodique et de restauration de soi, qui
seffectue dans et par le corps, ne nécessite pas dextériorisation de la sexualité, ni de renouvellement fréquent
des partenaires. Dans ce modèle, lactivité sexuelle est souvent interprétée par les individus comme une
pulsion, bien quil ne sagisse pas de cela : il faudrait plutôt parler dun usage narcissique du désir . A ce type
dorientation intime, on peut rattacher une part des hommes et des femmes qui ont des rapports avec des
personnes de leur propre sexe : il sagit de ceux qui se sentent peu liés à une communauté gay ou lesbienne, ne
se définissent pas nécessairement comme homosexuels, ont peu de partenaires sexuels, vivent plus souvent en
couple (éventuellement ouvert) que la moyenne des homosexuels, et ne fréquentent pas les lieux de sociabilité
homosexuels (Adam, 1997). A linverse des homosexuels de type extériorisé et communautaire, ces
homosexuels «distanciés» qui, en France, se rencontrent plus souvent dans les classes aisées, considèrent la
sexualité comme une affaire strictement personnelle.
A lépoque contemporaine, le modèle de sexualité individualisée est de plus en plus présent parmi les couples
hétérosexuels, même si les deux conjoints nen sont pas toujours également porteurs. On a vu plus haut que
dans la phase du couple stabilisé, une partie des conjoints, souvent mais pas nécessairement les hommes,
avaient une interprétation individuelle de la sexualité conjugale. Cela se traduit par une demande de rapports
sexuels fréquents et réguliers, par une tendance à prendre linitiative en matière de sexualité, par le désir
dexpérimenter des scénarios nouveaux que le (la) partenaire ne partage pas forcément (Duncombe et
Marsden, 1996). Lexistence de relations extraconjugales, qui restent strictement clandestines (inconnues du
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