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V. Vu Hai et al. / La Revue de médecine interne 31 (2010) 812–818 815
Tableau 2
Co-infections des patients atteints de pénicilliose.
Co-infections Nombre de
patients
(n= 78)
Pourcentage (%)
Candidose (surtout buccale) 42 53,8
Tuberculose 19 24,4
Infection à MACa12 15,4
Pneumocystose 4 5,1
Zona 2 2,6
Infection à Herpes simplex 2 2,6
Autres infections bactériennesb10 12,8
aInfection à Mycobacterium avium.
bStaphylococcus aureus (deux cas), Streptococcus pneumoniae (deux cas), Staphy-
lococcus epidermidis (un cas), Samonella typhi (un cas), Samonella paratyphi (un cas),
Escherichia coli (un cas), rickettsiose (un cas), bacille à Gram négatif (un cas).
3.4. Caractéristiques biologiques, microbiologiques et
radiologiques
Le taux moyen de lymphocytes CD4 à l’admission était de
29/mm3(extrêmes : 2–196/mm3). La plupart des patients (87%)
avaient des lymphocytes CD4 inférieurs à 50/mm3.
Les autres perturbations biologiques étaient l’augmentation de
la protéine C-réactive (CRP) (fréquence : 94 %, moyenne : 36 mg/L),
une anémie modérée à sévère (fréquence : 77 %, taux moyen
d’hémoglobine : 9 g/dL), une atteinte hépatique avec élévation
des alanine-aminotransférases (ALAT) (fréquence : 72%, moyenne :
84 UI/L) et de la bilirubinémie (fréquence : 40 %, moyenne :
61 mol/L) ; une hypoprotidémie (fréquence : 27 %, moyenne :
51 g/L).
La radiographie thoracique et l’échographie abdominale ont été
pratiquées systématiquement. Les clichés thoraciques montraient
des lésions pulmonaires chez 29 % des patients, se répartis-
sant en infiltrats réticulonodulaires parenchymateux (67 %) et en
lésions interstitielles (33 %). L’échographie abdominale révélait une
hépatomégalie ou une hépatosplénomégalie (72 %), des ganglions
abdominaux (50 %), une ascite modérée (15 %).
Sur 80 patients présentant des lésions cutanées, 75 (94 %)
avaient des levures visibles à l’examen direct après coloration
de Giemsa ou de Gomori-Grocott, ou cultivables sur milieu de
Sabouraud. Les hémocultures étaient positives dans 90 % des cas.
3.5. Diagnostic et classification
Parmi les 94 patients avec une infection confirmée à P. marneffei,
85 avaient une forme disséminée, neuf une forme localisée cutanée.
Soixante-dix-huit patients (83 %) étaient au stade sida lors de
l’apparition de la pénicilliose, avec des IO dominées par les can-
didoses et la tuberculose (Tableau 2). Parmi les 16 autres cas
(17 %), la pénicilliose a révélé l’infection à VIH chez trois patients,
13 connaissant déjà leur séropositivité VIH.
3.6. Traitement et évolution
Sur ces 94 patients, 68 (72 %) ont bénéficié d’un traitement
antirétroviral, 22 avant l’apparition de la pénicilliose et 46 après.
Pour les patients déjà sous antirétroviraux, le délai moyen entre
le début du traitement antirétroviral et l’apparition de la pénicil-
liose était de 1,5 mois, 86 % des patients ayant débuté le traitement
depuis moins de trois mois. Il s’agissait d’un traitement de pre-
mière ligne (zidovudine ou stavudine + lamivudine + névirapine ou
éfavirenz) pour 67 patients et un traitement de deuxième ligne
(ténofovir + abacavir + lopinavir) chez un patient.
Le traitement curatif de la pénicilliose a pu suivre le schéma
de référence (amphotéricine B relayée par itraconazole) pour
41 patients. Une rupture d’approvisionnement en amphotéricine
B a contraint de traiter les 53 autres patients par l’itraconazole seul
à la dose de 400 mg/j pendant 12 semaines. Le taux de mortalité
était de 17 % et 19 % chez les patients traités respectivement par
amphotéricine B puis itraconazole ou par itraconazole seul. Il n’y
avait pas de différence de terrain entre les deux groupes, en ter-
mes d’âge, d’antécédents, de co-infections ou de profondeur de
l’immunodépression (Tableau 3).
Au total, 75 des patients (80 %) ont guéri et 17 (18 %) sont
décédés, dix de fac¸ on précoce dans les premiers jours suivant
l’admission et sept plus tardivement, dans les quatre à 12 mois
après le diagnostic de pénicilliose (deux patients ont été perdus
de vue). Parmi les 17 patients décédés, neuf avaient une co-
infection sévère (six infections respiratoires, deux encéphalites et
une septicémie à Staphylococcus epidermidis), trois avaient une mal-
adie associée (insuffisance rénale chronique, hémorragie digestive,
hépatite toximédicamenteuse). La mort des patients était directe-
ment attribuable à la pénicilliose dans deux cas et indirectement
dans un cas, le patient étant décédé à la suite d’une réaction de
type IRIS (syndrome de restauration immunitaire). Dans les deux
cas restants, aucune cause précise de décès n’a été identifiée.
Prescrit dans un contexte épidémiologique, clinique et par-
aclinique comparable, le traitement de référence a montré une
meilleure efficacité que la monothérapie par itraconazole en ter-
mes de reprise d’activité quotidienne, de disparition de la fièvre, de
régression et de guérison des lésions cutanées (Tableau 3).
Sur 75 patients qui ont bénéficié d’une prophylaxie secondaire
par itraconazole, quatre (5 %) ont eu une rechute et 11 (15 %) ont
pu arrêter le traitement prophylactique grâce à une restauration
immunitaire après huit à 32 mois de traitement antifongique et
antirétroviral, attestée par un taux de lymphocytes CD4 supérieurs
à 200/L pendant six mois.
4. Discussion
Avec 94 cas de pénicilliose documentés sur une période de trois
ans, cette série est numériquement la plus importante rapportée.
Ellea permis de confirmer la fréquence de cette mycosesystémique,
tropicale et quasi exclusivement asiatique qui se place à Haïphong
au troisième rang des IO au cours du sida, après la tuberculose et
la candidose, mais avant la cryptococcose, à la différence du Cam-
bodge et de la Thaïlande [7]. Elle confirme aussi la survenue tardive
de cette IO au cours du sida : 83 % des patients avaient en effet
déjà présenté une ou plusieurs IO antérieurement à la pénicilliose
et 87 % avaient moins de 50 lymphocytes CD4/mm3. Ces résultats
corroborent ceux d’une étude indienne réalisée en 2002 dans l’état
de Manipur où 25,3 % des patients hospitalisés infectés par le VIH
étaient atteints de pénicilliose, ainsi que des observations simi-
laires faites dans le Nord-Est de la Thaïlande [7,18]. Notons que,
au cours de cette période, aucun cas de pénicilliose n’a été observé
à Haïphong chez des patients non infectés par le VIH ni chez des
patients infectés par le VIH mais immunocompétents.
La recrudescence des cas au cours de la saison des pluies, égale-
ment constatée en Thaïlande, suggère que l’humidité pourrait être
un facteur favorable à la transmission de P. marneffei [20,21]. La plu-
part des patients vus à Haïphong habitent des arrondissements du
centre-ville où n’existent ni bambous, ni rats de bambou. Bien que
45 % d’entre eux aient eu des contacts avec la terre et 21 % avec les
rats de bambou, les sources de contamination par P. marneffei et les
voies de transmission restent pour une grande part inconnues.
Sur le plan clinique, la pénicilliose est en général disséminée
(90 % des cas de cette série). Trois éléments sont évocateurs sans
être spécifiques :