Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (6)
opacité plus ou moins homogène, mesurant 5 cm sur 5
environ, aux contours flous, se situant au niveau du
segment apical du lobe inférieur droit. Des tomographies
montraient plutôt une opacité homogène, dense. Il n'y a pas
de lyse osseuse, costale ou scapulaire.
Le malade ne présente aucun antécédent particulier ; il ne
fume pas. Il n'a jamais eu de contact avec des produits
chimiques utilisés dans le laboratoire, des huiles notam-
ment. Le malade est apyrétique, il pèse 52 kg et mesure
1,55 mètre. L'examen clinique est normal ainsi que les
examens biologiques complémentaires (numération
formule sanguine, vitesse de sédimentation, créatininémie,
transaminases, phosphatases alcalines, ionogramme
sanguin, recherche de bacilles acido-alcoolo-résistants
négative dans les crachats). La fibroscopie bronchique
pratiquée le 6 septembre 1988 est également normale ; il
n'y a aucun bourgeon mais simplement une inflammation
de la bronche intermédiaire et segmentaire du Nelson. Le
malade est mis sous Céfalexine à raison de 2 grammes par
jour pendant neuf jours. Il n'y a pas de modification de
l'image radiologique. L'état général du malade reste bon. Il
continue de se plaindre de sa douleur scapulaire et de
douleurs lombaires également, mais supportables et qui ne
l'empêchent pas de travailler.
Durant cinq mois le malade ne consulte pas ; il n'y a pas
d'hémoptysies. En Février 1989 une radiographie de
contrôle montre la même image, stable. Une deuxième
fibroscopie est pratiquée ; l'inflammation du Nelson s'est
accentuée, mais il n'y a pas un saignement important au
contact du fibroscope. Un nouveau bilan biologique ne
décèle aucune anomalie, de même que l'échographie
hépatique. Les explorations fonctionnelles respiratoires,
comprenant une capacité vitale et un VEMS, sont nor-
males.
Le malade est alors confié aux chirurgiens pour une
thoracotomie à visée diagnostique. L'intervention a lieu le
12 avril 1989, neuf mois environ après la découverte de
l'opacité thoracique. On découvre une tumeur ronde
mesurant 8 cm sur 6, occupant la totalité du segment apical
LE CANCER BRONCHIOLO-ALVEOLAIRE
Premier cas congolais
J. M'BOUSSA*, J. KOKOLO**, MIEHAKANDA***, NG. THAU****, D. BODZONGO****,
J.P.A. MOUKALA****, A. N'GOLET**
* Service de Pneumo-phtisiologie CHU Brazzaville BP 32 Congo
** Laboratoire d'anatomie pathologique CHU Brazzaville
*** Laboratoire de Santé Publique Brazzaville
**** Service de Chirurgie thoracique CHU Brazzaville
Décrit en 1876 par MALASSEZ le cancer bronchiolo-
alvéolaire est une tumeur rare, sa fréquence est de 3 %
environ de tous les cancers broncho-pulmonaires.
(1) Au Congo où le cancer bronchique est très peu fréquent
(2), le premier cas de cancer bronchiolo-alvéolaire a été
diagnostiqué dans le service de Pneumo-phtisiologie du
Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville. La
difficulté de parvenir au diagnostic et la rareté de la tumeur
nous ont conduit à faire part de ce cas.
OBSERVATION
Monsieur M. NG., 49 ans, cadre administratif dans un
laboratoire d'analyses médicales est adressé en consul-
tation le 25 août 1988 par son médecin traitant pour une
opacité du lobe inférieur droit découverte récemment sur
un cliché thoracique demandé à l'occasion d'une douleur
ressentie au niveau de la pointe de l'omoplate gauche, donc
opposée au siège de la lésion pulmonaire. Il s'agit d'une
LETTRE A L'EDITEUR
RESUME
Les auteurs rapportent le premier cas de cancer
bronchiolo-alvéolaire au Congo chez un homme ayant
la cinquantaine d'âge. Ils insistent sur la difficulté de
parvenir au diagnostic et font une revue de la littéra-
ture à ce propos.
Mots-clés : cancer bro n c h i o l o - a l v é o l a i r e, clinique,
Congo.
ABSTRACT
The authors re p o r t the first case of bro n c h i o l o -
alveolar cancer in Congo in a man who is fifty years
old. They emphasize the difficulty to succeed in a
diagnosis and do a review of the litterature about that.
Key-words : Bronchiolo-alveolar cancer, clinical
aspect, Congo.
Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (6)
et une partie de la pyramide nasale. Les ganglions
médiastinaux ne sont pas envahis ; les lobes pulmonaires
restants (supérieur et moyen) sont sains. Une lobectomie
inférieure droite est pratiquée. L'examen anatomo
pathologique de la pièce opératoire conclut à un carcinome
brochiolo-alvéolaire. Il s'agit en effet de cellules tumorales
cylindriques se développant sur les parois alvéolaires ; la
prolifération prend volontiers des aspects papillaires et est
mucosécrétante. Le parenchyme avoisinant la tumeur est
congestif et renferme des cellules alvéolaires macropha-
giques.
Les suites opératoires sont simples. Le malade est revu en
consultation de pneumologie au 2ème et au 8ème mois
après l'intervention. Il est en bon état général et ne se plaint
plus de sa douleur dorsale gauche.
COMMENTAIRES
Aspects épidémiologiques
Le cancer bronchiolo-alvéolaire est une tumeur primitive
pulmonaire très rare ; en 23 ans GALY et MARCY à Lyon
n'en ont diagnostiqué que 29 (3).
Les deux sexes sont indifféremment touchés. Notre patient
a 49 ans, et se situe donc dans la tranche d'âge de
prédilection qui est de 40 à 50 ans. L'adolescent peut être
également atteint (4). Aucun facteur favorisant n'a pu être
mis en évidence chez notre patient. Le carcinome
bronchiolo-alvéolaire est favorisé par des fibroses diffuses
et des processus inflammatoires cicatriciels, dont les
séquelles tuberculeuses. L'inhalation des huiles minérales
est également incriminée. Le rôle du tabac n'est pas
prouvé, l'affection s'observant avec une égale fréquence
chez les fumeurs et les non-fumeurs. Il en est de même que
l'Asbeste.
Aspects cliniques, radiologiques, endoscopiques et fonc-
tionnels
Notre patient n'a présenté qu'une vague douleur se
localisant au niveau de la pointe de l'omoplate gauche alors
que l'image radiologique se situait à droite.
Classiquement les manifestations cliniques de cancer
bronchiolo-alvéolaire, dans les formes localisées, sont
réduites ; souvent elles sont totalement absentes et la
maladie n'est découverte que lors d'une radiographie
d'examen systématique. Ailleurs les signes révélateurs sont
communs aux affections respiratoires : toux, dyspnée
d'accentuation progressive, vagues algies thoraciques
localisées, filets de sang intermittents dans l'expectoration.
Dans les formes diffuses les signes généraux ou locaux
peuvent être importants : amaigrissement, fébricule,
hémoptysie franche, épanchement pleural, voire un
pneumothorax. L'expectoration est particulière par son
abondance et son caractère muqueux, mais elle est
rarement révélatrice. On insiste sur l'importance de la
fraction sérum-albumine libre et des glyco-protéines
plastiques riches en acide sialique dans cette expectoration.
L'hippocratisme digital est très inconstant.
Trois aspects radiologiques sont souvent retrouvés (1, 4) :
- opacité vaguement arrondie, plus ou moins dense mal
limitée en périphérie, d'un diamètre compris entre 3 et
5 cm,
- dissémination miliaire ou nodulaire
- infiltrats systématisés, plus ou moins denses et homo-
gènes, segmentaires ou lobaires.
Ces trois aspects peuvent être associés entre eux et être uni
ou bilatéraux.
Dans notre cas il s'agissait de la première éventualité. Il
faut noter cependant un fait important : au stade précoce
une atteinte authentifiée par l'anatomie-pathologie peut être
muette radiologiquement. Un seul lit de cellules tumorales
dans les alvéoles est insuffisant pour donner une image
radiologique ; les alvéoles doivent être remplies de cellules
et de sécrétions pour être radio-opaques.
La radiographie peut mettre en évidence un épanchement
pleural, parfois un pneumothorax. Les adénopathies
médiastinales sont exceptionnelles.
La bronchoscopie en raison du siège périphérique de la
tumeur et de la rareté de l'atteinte bronchique, ne montre
pas souvent de lésions caractéristiques. Tel est également
notre cas.
Cependant des lésions à type de rétrécissement, d'élonga-
tion et de rigidité bronchique ont été décrites au cours de
tumeurs diffuses.
La cytologie permet le diagnostic dans certains cas, mais
son taux de positivité est faible (10 à 25 %), pour une
tumeur aussi diffuse parfois (4) ; cette positivité n'affirme
d'ailleurs que le caractère malin des cellules observées dans
les sécrétions.
Les explorations fonctionnelles respiratoires montrent un
syndrôme restrictif proportionnel à l'extension de la tumeur ;
parfois il existe un effet shunt. Dans notre cas, il n'y a pas
de trouble de la fonction respiratoire. L'artériographie
J. M'BOUSSA, J. KOKOLO, MIEHAKANDA, NG. THAU, D. BODZONGO,
J.P.A. MOUKALA, A. N'GOLET
349
Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (6)
pulmonaire est normale. Le carcinome broncholio-alvéo-
laire envahit rarement les bronches et respecte la perfusion
capillaire, cela le distingue des tumeurs bronchogéniques.
Souvent c'est l'examen histologique d'une pièce d'exérèse
chirurgicale qui permet le diagnostic ; tel a été le cas pour
notre patient. Parmi les 29 cas, rapportés par GALY et
MARCY, 25 ont été diagnostiqués sur une pièce opératoire
et les 4 autres par biopsie bronchique (3).
Aspects évolutifs
L'évolution spontanée des cancers bronchiolo-alvéolaires
localisés peut être lente, dépassant facilement six ans et
pouvant atteindre même 15 ans (1, 4). L'apparition de
signes cliniques traduit des formes évoluées, diffuses. La
d i ffusion peut exister en dehors de toute traduction
radiologique. SORS et col. rapportent dans une série de
7 cas, 2 cas où des lésions pulmonaires, qui étaient radio-
logiquement unilatérales, étaient en fait anatomiquement
bilatérales (1). L'extension locale (pulmonaire) de la
tumeur se fait essentiellement par métastases broncho-
gènes, beaucoup moins par voie lymphatique et sanguine.
Les métastases à distance, bien que moins fréquentes que
dans les autres cancers respiratoires, peuvent être précoces
et même exister déjà au moment de la découverte de la
lésion radiologique (1). Le foie, les os, les surrénales et le
cerveau sont les organes les plus atteints. Dans notre cas il
est impossible de dire si les douleurs scapulaire et
lombaires sont liées à des métastases éventuelles, les
moyens d'investigation tels que la scintigraphie osseuse et
la tomodensitométrie faisant défaut.
Le cancer bronchiolo-alvéolaire est radio et chimio-
résistant. Seule la chirurgie permet d'en améliorer
l'évolution. Les délais de survie sont meilleurs pour les
formes uninodulaires, confirmées sur une pièce d'exérèse,
que pour les formes multinodulaires. La survie à 5 ans des
formes unifocales varient entre 25 et 60 %, alors qu'aucune
forme multinodulaire ne survit plus de 3 ans (3, 4).
Notre malade atteint depuis plus d'une année et opéré
depuis huit mois est encore en vie et se porte bien.
Aspects anatomo-pathologiques macroscopiques
Les aspects macroscopiques se regroupent en trois tableaux
(4) :
- forme unifocale, s'accompagnant d'une muco-sécré-
tion abondante sur la tranche de section avec métas-
tases inconstantes ; tel est le cas chez notre patient,
mais il n'a pas de métastases.
- forme plurifocale, sans muco-sécrétion, sans topo-
graphie précise donnant des foyers de taille variable,
envahissant un lobe, un poumon ou les deux. Cette
forme est plus souvent métastasiante que la première.
- des formes diffuses correspondant à une invasion
massive des poumons par le processus tumoral.
CONCLUSION
Bien que les cancers broncho-pulmonaires soient peu
fréquents dans l'ensemble des pays africains, il faut avoir à
l'esprit les formes encore plus rares de ces cas même
cancers et pousser les investigations le plus loin possible,
jusqu'à la thoracotomie exploratrice, afin d'aboutir au
diagnostic.
Cela est profitable tant au malade, qui peut bénéficier de
traitements modernes, qu'au médecin, qui réactualise ainsi
ses connaissances par ce genre de découvertes.
LE CANCER BRONCHIOLO-ALVEOLAIRE 352
BIBLIOGRAPHIE
1 - SORS C., CHOMMETTE G., LANCELIN B., BROCHERIOU C.,
KIGER J.P., AURIOL M.
Les carcinomes bronchiolo-alvéolaires primitifs. Etude anatomo-clinique à
propos de sept cas. Ann. Méd. Interne, 1970, 121, (2), 163-179.
2 - M'BOUSSA J., NKANGA A., GANTSIALA M., EKOUTOU A.,
KAOUDI E., MBERE G. : La fibroscopie bronchique à Brazzaville. A
propos de 70 cas. Rev. Mal. Resp. 1988, 5, 409.
3 - GALY P., MARCQ M.
Le carcinome bronchiolo-alvéolaire (Etude de 29 cas recueillis pendant
une période de 23 ans) Etude pronostique. Rev. Fr. Mal. Resp., 1973, 1,
665-683.
4 - BOUTON C., HERSON S., AKOUNG
Le cancer bronchiolo-alvéolaire. Le poumon et le coeur, 1976, 32, 153-
159.
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