Il était six heures du matin. Ils montèrent la tente sur un espace recouvert de toues 
d’herbe et ils s’allongèrent à l’intérieur, complètement habillés. Tout autour, à perte de 
vue, s’étendaient les vastes étendues sauvages du nord de l’Alaska. Ils avaient 
progressé durant la longue et claire nuit arctique, en traversant la toundra avec des sacs 
à dos de près de 30 kg sur le dos. Ils programmèrent de se réveiller deux heures plus 
tard, ne pouvant se permettre de dormir plus longtemps, de peur de perdre toute trace 
de la harde. 
 
Pendant trois mois et sur plus d’un millier de kilomètres, Karsten Heuer et Leanne 
Allison avaient suivi la harde de caribous de la rivière Porcupine au cours de sa 
migration printanière annuelle. A partir d’Old Crow, dans le Yukon, ils avaient pisté les 
animaux à travers des rivières glacées, dans des tempêtes de neige, endurant des 
conditions climatiques extrêmes. Ils avaient vécu avec des peurs primaires constantes – 
peur d’être attaqués par des ours, de tomber malades ou de se blesser dans des lieux 
aussi inhospitaliers – mais à présent, avec l’arrivée de l’été, ce qui les enquiquinait le 
plus, c’était des nuées de mouches implacables. Les mouches asticotaient aussi les 
caribous qui accélérèrent l’allure, impatients de quitter la plaine côtière infestée 
d’insectes et d'atteindre des régions plus élevées et venteuses. 
 
Depuis qu’elle avait quitté ses quartiers d’hiver, la harde constituée de 123 000 unités se 
déplaçait par groupes : les femelles pleines en tête, les mâles et les juvéniles à l’arrière. 
Là, avec la naissance des petits et le bourdonnement des mouches, tous les groupes 
devaient se rassembler pour le déferlement vers les hauteurs d’une marée d'animaux, le 
regroupement suivant la mise bas. Pour rester au contact et ne pas être largués, Heuer, 
un biologiste spécialisé dans la faune sauvage et Allison, une cinéaste, faisaient des 
petits sommes entre des marches de neuf heures, en se ravitaillant avec des snacks pris 
sur le pouce. Après avoir voyagé pratiquement sans interruption de jour comme de nuit, 
ils atteignirent leurs limites en matière de privation de sommeil et d’épuisement 
physique avant de les dépasser.  
 
Leur intention était d’attirer l’attention sur la menace que représentait l’exploitation 
pétrolière et gazière pour les aires de mise bas du caribou de la rivière Porcupine 
vénérés par les populations indigènes des Gwich’in comme la terre sacrée où la vie 
commença. Leur projet visait à documenter les contraintes et les diicultés rencontrées 
par les animaux tout au long de leur longue migration annuelle et d’indiquer comment 
les forages proposés ajouteraient encore à leurs diicultés et mettraient en danger la vie 
de la harde elle-même. Ils avaient l’intention de revenir avec des anecdotes sur un 
périple physique et des épreuves physiques. Cependant, au fur et à mesure que le 
périple avançait, ils passèrent du statut d'observateurs à celui de participants. Des 
choses étranges commencèrent à se produire, des choses qui allaient à l’encontre de la 
formation scientique d’Heuer et de son bagage rationnel et analytique. Comme ces 
rêves qui commencèrent, quelques jours après le début de la période de mise bas, alors 
que le couple se déplaçait quasiment jour et nuit.  
 
« Nous n’avions encore vu aucun mâle sur le parcours », se souvient Heuer. « Nous 
avons fait une petite sieste et après m’être réveillé, je me suis tourné vers Leanne et je 
lui ai dit : « Je crois que nous allons voir notre premier mâle aujourd’hui ! » Je lui décrivis