
DÉPENDANCE VERSUS AUTONOMIE 85
les entités humaines et non-humaines auxquelles chacun s’associe. Plus
récemment, plusieurs auteurs appartenant à ce courant (Gomart et
Hennion, 1999 ; Latour, 1996, 2000) ont introduit la notion d’attache-
ment ; celle-ci reprend l’idée selon laquelle l’action est déléguée et par-
tagée entre différentes entités, humaines et non-humaines, mais en
renouvelant la théorie de l’action sous la forme d’un « faire-faire », c’est-
à-dire d’une double causalité (« Lorsque j’agis, je suis en même temps agi
par cela même que je fais ») (4). La personne qualifiée intuitivement, ou
par les professionnels, « d’autonome » n’est pas une personne isolée,
mais une personne qui se fabrique et est fabriquée à travers ses relations
à différents dispositifs (Winance, 2001). Autrement dit, elle est à la fois
dépendante et autonome, ou encore, elle est autonome à travers les mul-
tiples dépendances qui la font.
Dès lors, on ne peut plus décrire la trajectoire des personnes attein-
tes d’insuffisance respiratoire chronique — ou plus largement d’une ma-
ladie chronique — comme le passage d’une situation caractérisée par
l’absence de liens, d’autonomie, à une situation de dépendance ; cette tra-
jectoire se présente comme une situation de « dépendance continue (…)
au monde social passant par un ensemble de liens se transformant tout au
long de la vie » (extrait du résumé de l’article). Ou encore, comme l’écrit
E. Bret, « Le sujet ne cesse pas d’être dépendant : ses liens se redistribuent
et il devient dépendant autrement au sein d’un réseau de relations trans-
formé ». D’où une remise en cause de l’opposition traditionnelle entre
autonomie et dépendance qui ouvre la question de la différence entre ces
deux notions.
En effet, l’apport des recherches empiriques, auxquelles l’article
précédent contribue de manière originale, est d’attirer l’attention sur les
liens et les interdépendances qui fabriquent chacun d’entre nous, que l’on
soit qualifié « d’autonome » ou de « dépendant ». Cependant, si les situa-
tions d’autonomie et de dépendance peuvent toutes deux être décrites
comme des situations d’interdépendance, si par ailleurs la vie des per-
sonnes peut être décrite comme une transformation des formes de dépen-
dance qui les soutiennent, on ne peut en rester à ces deux conclusions et
effacer complètement cet autre fait, émanant également du terrain : cer-
taines personnes se disent et se sentent autonomes, alors que d’autres se
disent et se sentent dépendantes. Autrement dit, qu’est-ce qui différencie
les deux situations ? Je voudrais explorer cette question et donner
(4) « L’attachement désigne à la fois ce qui émeut, ce qui met en mouvement, et l’im-
possibilité de définir ce faire-faire par l’ancien couplage de la détermination et de la
liberté » (Latour, 2000 : 204).
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