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La notion d'habiter pose quelques-uns des débats problématiques majeurs des sciences sociales
et humaines. Habite-t-on la Terre ou le Monde ? Habiter, est-ce inné ou acquis ? Habiter se fait-il
par raison ou émotion ? L’individuel l’emporte-t-il sur le collectif ? Habiter implique des ordres :
comment sont-ils établis, voire contestés ?, etc.
La réactualisation du mot, depuis le début des années 2000, ne se limite pas à une poursuite de
ces débats. Construit comme concept, l’« habiter » expérimente une réponse scientifique aux
transformations qui font le Monde contemporain : l’urbanité et l’urbanisation, quand plus de la
moitié de la population mondiale vit en ville et, plus même, selon un mode urbain, en «
campagnes » ; les mobilités, quand celles-ci non seulement se multiplient, se généralisent mais
aussi se diversifient en s’articulant ; la mondialité, quand le Monde se pose désormais en
dimension unique et originale de l’humanité habitante, d’où sa majuscule.
Une telle activation accompagne et soulève une hypothèse : le Monde contemporain n’est pas
en « crise », mais en changements. Il n’est du reste pas seulement un monde en changement,
quand ce sont aussi les manières de le faire qui changent. Les notions « traditionnelles »,
notamment celles de la géographie, se doivent donc d’être réinterrogées. Les lieux ne sont peut-
être plus éternels et immobiles ; les territoires ne se réduisent peut-être plus à ceux qui
prétendent en être propriétaires ; le Monde, achevé comme somme des lieux, passerait-il aussi
par eux, comme dans le cas des sites du patrimoine mondial, à la fois uniques et mondiaux,
uniques parce que mondiaux, et réciproquement… ?
Cette révolution géographique aboutit au façonnement des « sociétés à habitants mobiles »,
celles où les différents types de mobilités ne sont plus les événements exceptionnels de vies
sédentarisées, mais des pratiques courantes, voire banales, et structurantes des nouveaux
styles de vie. Du coup, ce ne sont plus les lieux qui font les habitants. Qu’on le veuille ou non,
qu'on le comprenne ou non, naître ici ne vaut plus pour identité unique et définitive, quand les
habitants qui fréquentent les lieux participent, pour leur part, à les faire. Habitées d’urbains, qui
y résident mais travaillent là-bas et partent faire du tourisme plus loin encore, les campagnes ne
sont plus rurales, mais bien urbaines. C’est que leurs habitants sont eux-mêmes des urbains. De
fait, la multiplication des itinéraires de vie rend envisageable l’étude des habitant(e)s, celle de
chaque habitant(e).
Comme concept majeur de la science géographique contemporaine, l’« habiter » en réfléchit
logiquement quelques-unes des grandes tendances.
Dans la lignée des textes de Heidegger, elle est celle de la phénoménologie ontologique,
philosophie tournée vers la quête de l’être. Habiter, c’est être dans le monde. Les lieux, ponts
ou chemins par exemple, invitent à réfléchir sur l’intériorité humaine. Ils la manifesteraient en
effet beaucoup plus que les conditions techniques, économiques ou sociales qui ont présidé à
leur construction.
Dans la dynamique actuelle du courant pragmatiste, habiter, c’est faire avec l’espace. Théorie
de l’action, l’étude des pratiques y prend ainsi une place essentielle. C’est en cela que, d’abord
et avant tout, on fait du tourisme, par l’engagement du corps dans les lieux, et que les
différentes manières de le pratiquer constituent autant de manières de l’être.