Acronyme : HABITER.
HABITER DES ESPACES DE NATURE
Autour d’un film ethnographique sur l’identification au territoire
Christophe Baticle
Docteur en socio-anthropologie
Post-doctorant auprès du LABEX ITEM (Innovation et territoires de montagne)
Thématique : « Les modes d’attachements pluriels au territoire d’un espace protégé dit "de montagne".
Permanences, héritages, recompositions culturelles, sociales et organisationnelles dans le Parc régional du
Vercors »
Enseignant à l’Université de Picardie Jules Verne, Amiens
Département de Sociologie-Anthropologie-Démographie
Equipes de recherche :
UMR-CNRS CURAPP (Amiens)
UMR-MA Dynamiques rurales (Toulouse)
EA Habiter Le Monde (Amiens)
MOTS CLÉS : Nature / Territoires / Chasse / Identification.
DISCIPLINE : espace sécant entre la sociologie, l’anthropologie, la géographie sociale et la
science politique.
L’équipe pluridisciplinaire amiénoise Habiter le Monde
1
, composée de sociologues,
anthropologues, géographes, historiens et philosophes, se propose depuis maintenant 5 ans de
tester un dépassement du binôme individu-société en arguant empiriquement du fait que les
singularités se pensent désormais dans, par et avec l’universel. Partant de la globalisation telle
qu’elle se bâtit autour des échanges, les collectivités qui se reconnaissent dans des territoires
circonscrits le font en lien direct avec ce contexte. C’est la raison pour laquelle on a pu traiter
des dites « traditions » sous l’angle de leur invention ou réinvention, des opérations de
patrimonialisation comme de phénomènes appuyant des élaborations identitaires formatées ou
encore des différentes démarches visant l’« authenticité » par une grille de lecture « spatio-
classiste » (classe en soi et classe pour soi, mais également classe chez soi).
La prise en compte que ces constructions ressortent d’une l’échelle d’emblée globale a
amené à diversifier les approches et les supports de réflexion, notamment via le film
ethnographique. Ainsi, dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence pour la cohésion Sociale
et l’égalité des chances (ACSÉ), deux productions ont été réalisées sur la notion d’habiter.
Ces deux premiers documentaires de 40’ répondaient à un double objectif : d’une part tenter
de mettre en image un concept et d’autre part tester la validité de la notion d’habiter comme
concept, et ce dans le prolongement d’un colloque organisé par l’équipe, suivi d’un ouvrage
publié sur ce thème
2
.
Les films ont pris pour entrées les thématiques :
- Habiter la côte au travers du tourisme,
- Et habiter la nature au travers de la chasse.
1
Qui émane d’un premier laboratoire, alors intitulé « Habiter : processus identitaires, processus sociaux ».
2
Sous la direction de Brigitte Frelat-Kahn et d’Olivier Lazzarotti : Habiter : vers un nouveau concept, Paris,
Armand Colin, 2012, « Recherches ».
La communication s’attachera au dernier de ces films dans la mesure où il soulève des
enjeux forts quant aux liens qui se tissent entre le processus d’identification et la maturation
d’un sentiment d’appartenance au territoire, le tout dans un contexte de crise pour une identité
de classe malmenée dans les franges populaires, spécialement surreprésentées chez les
chasseurs de gibier d’eau du domaine public maritime.
Il s’agira de revenir sur l’une des conclusions centrales tirées de cette expérience
menée avec un anthropologue spécialisé dans l’anthropologie visuelle ; à savoir que ces
« sauvaginiers » de la côte picarde, s’ils sont habitants de la nature, sont au moins autant
habités par une certaine conception de la nature. Celle-ci, héritée d’une appréhension
anthropique, relève d’une construction sociale qui empruntent aux temporalités historiques
(comme l’histoire séculaire de l’endiguement des baies), mais également aux temporalités
sociopolitiques (le poids particulier du vote « chasse » dans le secteur). Pour exemples, le
classement de la zone en Natura 2000, qui a réactivé le vote en faveur du Chasse, pêche,
nature et traditions en 2002, les remises en question des dates habituelles de la pratique ou la
surveillance écologique de plus en plus prégnante de ce territoire vécu, ont non seulement
transformé les manières de pratiquer l’espace, mais sont encore réfléchies en association avec
les grandes transformations de l’écosystème. En d’autres termes, l’obligation faite à ces
sauvaginiers de partager l’espace avec d’autres préoccupations que leur seule démarche
cynégétique, est pensée par eux comme la résultante d’une période qui s’achève, celle du
« progrès ». Les conflits de plus en plus courants qui les opposent à d’autres loisirs réussissent
à les convaincre qu’une lutte pour leur existence est en cours. Loin d’être simplement
agonistique, elle les engage dans leur identité, échafaudée sur la dernière « ligne Maginot »
qui leur paraît solidement établie, à savoir leur « droit » de préemption sur le territoire.
La sensibilité de ces « méharistes de la nature » n’est plus à démontrer. Ils ont acquis
une connaissance experte des espaces et des espèces qui y trouvent gîte et gagnage. Cette
« culture de la nature » constitue la condition sine qua non de leur réussite, par une
giboyeusité à la fois « naturelle », mais également produite au travers des aménagements à
vocation exclusivement cynégétique. Le tournant se situe plutôt dans une perspective
désormais de plus en plus écologue. Ce virage fait écho à l’écologisation des débats qui
animent nos sociétés occidentales, comme des questions qui sont actuellement travaillées par
les sciences humaines et sociales.
Nous suivrons ainsi des chasseurs de sauvagines cédant tout à leur « religion » (dixit
nos interlocuteurs), et à la fois guides touristiques (kaki) dans l’estuaire de la Somme,
expliquant autant leur activité de prédation que le biotope spécifique de l’estuaire, ses
évolutions et son devenir.
On pourrait relier cette inclination au verdissement avec une perspective déterministe :
la contrainte d’une régulation juridique qui passe désormais par l’Europe (les directives
oiseaux de 1979 et habitats de 1992). Pourtant, ce changement majeur était en germe dans
l’observation quotidienne des modifications affectant l’environnement direct. Le fusil a certes
été changé d’épaule pour des motifs communicationnels, mais il a longtemps été (et reste pour
partie) braqué sur l’ennemi vert.
Apparaît alors clairement la référence à une forme d’autochtonie et à la distinction.
Chaque microrégion générant des modes de chasse particularistes, la pratique cynégétique
aspire à s’élever au rang de patrimoine, au même titre que les espèces migratrices. Loin d’une
lecture biocentrée de la nature, les chasseurs se départissent de leur vision anthropocentrée
pour permettre ce qu’ils appellent « une chasse durable ».
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