La communication s’attachera au dernier de ces films dans la mesure où il soulève des
enjeux forts quant aux liens qui se tissent entre le processus d’identification et la maturation
d’un sentiment d’appartenance au territoire, le tout dans un contexte de crise pour une identité
de classe malmenée dans les franges populaires, spécialement surreprésentées chez les
chasseurs de gibier d’eau du domaine public maritime.
Il s’agira de revenir sur l’une des conclusions centrales tirées de cette expérience
menée avec un anthropologue spécialisé dans l’anthropologie visuelle ; à savoir que ces
« sauvaginiers » de la côte picarde, s’ils sont habitants de la nature, sont au moins autant
habités par une certaine conception de la nature. Celle-ci, héritée d’une appréhension
anthropique, relève d’une construction sociale qui empruntent aux temporalités historiques
(comme l’histoire séculaire de l’endiguement des baies), mais également aux temporalités
sociopolitiques (le poids particulier du vote « chasse » dans le secteur). Pour exemples, le
classement de la zone en Natura 2000, qui a réactivé le vote en faveur du Chasse, pêche,
nature et traditions en 2002, les remises en question des dates habituelles de la pratique ou la
surveillance écologique de plus en plus prégnante de ce territoire vécu, ont non seulement
transformé les manières de pratiquer l’espace, mais sont encore réfléchies en association avec
les grandes transformations de l’écosystème. En d’autres termes, l’obligation faite à ces
sauvaginiers de partager l’espace avec d’autres préoccupations que leur seule démarche
cynégétique, est pensée par eux comme la résultante d’une période qui s’achève, celle du
« progrès ». Les conflits de plus en plus courants qui les opposent à d’autres loisirs réussissent
à les convaincre qu’une lutte pour leur existence est en cours. Loin d’être simplement
agonistique, elle les engage dans leur identité, échafaudée sur la dernière « ligne Maginot »
qui leur paraît solidement établie, à savoir leur « droit » de préemption sur le territoire.
La sensibilité de ces « méharistes de la nature » n’est plus à démontrer. Ils ont acquis
une connaissance experte des espaces et des espèces qui y trouvent gîte et gagnage. Cette
« culture de la nature » constitue la condition sine qua non de leur réussite, par une
giboyeusité à la fois « naturelle », mais également produite au travers des aménagements à
vocation exclusivement cynégétique. Le tournant se situe plutôt dans une perspective
désormais de plus en plus écologue. Ce virage fait écho à l’écologisation des débats qui
animent nos sociétés occidentales, comme des questions qui sont actuellement travaillées par
les sciences humaines et sociales.
Nous suivrons ainsi des chasseurs de sauvagines cédant tout à leur « religion » (dixit
nos interlocuteurs), et à la fois guides touristiques (kaki) dans l’estuaire de la Somme,
expliquant autant leur activité de prédation que le biotope spécifique de l’estuaire, ses
évolutions et son devenir.
On pourrait relier cette inclination au verdissement avec une perspective déterministe :
la contrainte d’une régulation juridique qui passe désormais par l’Europe (les directives
oiseaux de 1979 et habitats de 1992). Pourtant, ce changement majeur était en germe dans
l’observation quotidienne des modifications affectant l’environnement direct. Le fusil a certes
été changé d’épaule pour des motifs communicationnels, mais il a longtemps été (et reste pour
partie) braqué sur l’ennemi vert.
Apparaît alors clairement la référence à une forme d’autochtonie et à la distinction.
Chaque microrégion générant des modes de chasse particularistes, la pratique cynégétique
aspire à s’élever au rang de patrimoine, au même titre que les espèces migratrices. Loin d’une
lecture biocentrée de la nature, les chasseurs se départissent de leur vision anthropocentrée
pour permettre ce qu’ils appellent « une chasse durable ».