Admissibilité des représentations p

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Admissibilité des représentations p-adiques et
lemme de Nakayama
Marie-France Vignéras
Institut de Mathématiques de Jussieu, Université de Paris 7-Denis Diderot
January 28, 2007
A Serge Lang,
un mathématicien exceptionnel.
1. Introduction
Soit G un groupe analytique p-adique, ou ce qui est équivalent: G
contient un pro-p-sous-groupe ouvert U isomorphe à un sous-groupe
fermé de GLd (Zp ) for some d ≥ 1 [4] 8.33 page 201 et Interlude A
(o),(n) page 97.
Soit L un corps commutatif localement compact de caractéristique
0, d’anneau des entiers OL , d’uniformisante pL , de corps résiduel kL
de caractéristique p. Posons A := L, OL ou kL .
Une A-représentation V de G est un A-module topologique sur
lequel G opère continûment. Les kL -représentations de G s’identifient
aux OL -représentations de G annulées par pL . Selon que A = L, OL , kL ,
on dit que V est p-adique, p-adique entière, modulo p.
Pour toute partie H de G, on note V H le A-sous-module des v ∈ V
fixes par chaque élément de H. Lorsque V = ∪H V H où H parcourt
les sous-groupes ouverts compacts de G, on dit que V est lisse.
Une A-représentation lisse V telle que V H est un A-module de
type fini pour tout sous-groupe ouvert compact H de G, est appelée
admissible.
Si V est un OL -module discret de torsion, l’action continue de G
sur V est lisse; on dit que V est une représentation p-adique de torsion
lisse de G.
Soit
0 → V1 → V2 → V3 → 0
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une suite exacte de A-représentations lisses de G. Si V2 est admissible
alors V1 est admissible, et si V1 et V3 sont admissibles alors V2 est
admissible, car l’anneau A est noetherien.
Si A = L, l’existence d’une mesure de Haar sur G à valeurs
dans L implique l’exactitude du foncteur V → V H , et la stabilité de
l’admissibilité par quotient. Pour A = OL , kL , le foncteur V → V H
n’est pas exact à droite et l’on se demande si la stabilité par quotient
de l’admissibilité reste vraie.
La motivation de cet article est de montrer que la réponse est
oui si V est une représentation lisse p-adique entière annulée par une
puissance de p, en particulier si V est une représentation lisse modulo
p.
La dualité de Pontryagin semble être un outil fondamental pour
étudier les représentations p-adiques de torsion lisses de G.
La dualité de Pontryagin est une équivalence de catégorie contravariante entre les OL -modules discrets de torsion V et les OL modules profinis M . Le dual de Pontryagin d’un OL -module E, discret de torsion, ou profini, est le OL -module
E ∨ := HomOL (E, L/OL )
muni de la topologie de la convergence faible. Les OL -morphismes
sont bien entendu supposés continus lorsque E = M est profini. On
a E = (E ∨ )∨ . Si E est muni d’une action continue de G, le dual de
Pontryagin E ∨ est muni de l’action contragrédiente.
Soit U un pro-p-sous-groupe ouvert de G. La OL -algèbre d’Iwasawa
OL [[U ]] de U est un anneau compact, local, et noetherien [7]§2, 2.7.
Le lemme de Nakayama topologique [1] est la clef des propriétés de
l’admissibilité.
Soit V une représentation p-adique entière lisse de G telle que
pk V = 0 pour un entier k ≥ 1.
Le dual de Pontryagin V ∨ est annulé par pk , c’est un OL [[U ]]module profini par restriction à U . La dualité de Pontryagin échange
les U -invariants V U et les U -coinvariants (V ∨ )U et respecte la propriété d’être fini. En appliquant le lemme de Nakayama topologique,
et en remarquant qu’un OL -module de torsion est de type fini si et
seulement s’il est fini, on obtient les deux théorèmes suivants qui se
déduisent du théorème 3 énoncé à la fin de cet article.
Théorème 1. V est admissible si et seulement si V U est fini.
On comparera avec le résultat de Paskunas [6] : toute représentation lisse V sur un corps k de caractérisque p d’un groupe topologique
G contenant un pro-p-sous-groupe ouvert U telle que dimk V U < ∞
est admissible. La démonstration basée sur les enveloppes injectives,
n’utilise ni la dualité de Pontryagin ni le lemme de Nakayama.
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Théorème 2. Si V est admissible, tout quotient de V est admissible.
Un groupe réductif p-adique est le groupe des points rationnels
d’un groupe réductif connexe sur une extension finie de Qp ; c’est
un groupe analytique p-adique. Le groupe des points rationnels d’un
groupe réductif connexe sur corps local de caractéristique p n’est pas
un groupe analytique p-adique.
Corollaire 1. Supposons que G soit un sous-groupe de Levi d’un
sous-groupe parabolique P d’un groupe réductif p-adique H.
Si V est admissible, tout sous-quotient de l’induite parabolique
indH
P V est admissible.
En effet [8] I.V.6, l’induction parabolique respecte l’admissibilité
puisque H/P est compact par la décomposition d’Iwasawa, la propriété d’être entière, lisse, annulée par pk .
2. Dualité de Pontryagin
On note Modtor la catégorie abélienne des OL -modules discrets de torsion et des applications OL -linéaires, et Modprof la catégorie abélienne
des OL -modules profinis et des applications OL -linéaires continues.
Soit V ∈ Modtor et soit M ∈ Modprof . Alors,
V = limW W
est la limite inductive de ses OL -sous-modules finis W , muni de la
topologie de la limite inductive [2] AII.93; les applications de transition étant les inclusions. Et
M = lim
←− M/N
N
est la limite projective de ses quotients par les OL -sous-modules ouverts N , muni de la topologie de la limite projective; les applications
de transition sont les surjections.
Une application linéaire continue dans Modprof est fermée car un
OL -module profini est compact et séparé [3] I.63.
La dualité de Pontryagin
E ∨ := HomOL (E, L/OL )
pour E = V ou M échange limites inductives et projectives (topologies comprises) et vérifie (E ∨ )∨ = E. Elle échange L/OL et OL . Elle
induit une équivalence contravariante entre Modtor et Modprof .
On considère les sous-catégories abéliennes Modtor (G) ⊂ Modtor
et Modprof (G) ⊂ Modprof des OL -modules discrets de torsion ou
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profinis munis d’une application continue de G. Le groupe G agit
continuement sur E = V ou M si l’application
(g, x) → gx : G × E → E
est continue comme fonction des deux variables. Alors V ∈ Modtor (G)
est la limite inductive de ses OL -sous-modules finis W stables par G,
et M ∈ Modprof (G) est la limite projective de ses quotients par les
OL -sous-modules ouverts N stables par G. L’action contragrédiente
du groupe G sur le dual de Pontryagin E ∨ est définie par
(gx∗ , gx) = (x∗ , x) (g ∈ G, x ∈ E, x∗ ∈ E ∗ ).
La dualité de Pontryagin induit une équivalence contravariante entre
Modtor (G) et Modprof (G).
Soit H un groupe profini topologiquement de type fini (par exemple un sous-groupe fermé de G [4] prop. 3.11, page 51). Soit E = V ∈
Modtor (H) ou M ∈ Modprof (H).
Le submodule E H ⊂ E des H-invariants de E est formé des
vecteurs de E fixes par tout élément h ∈ H. L’action de H étant
continue, E H est fermé dans E.
Le quotient EH des H-coinvariants de E est E/E(H) où E(H) est
le OL -sous-module de E engendré par
gx − x
(g ∈ H, x ∈ E).
Proposition 1. 1) E(H) est fermé dans E.
2) La dualité de Pontryagin échange invariants et coinvariants
(E H )∨ = (E ∨ )H ,
(E/E H )∨ = E ∨ (H).
Preuve. 1) Tout sous-module de V est fermé.
Le OL -sous-module M ′ de M engendré par (h − 1)M pour h dans
un ensemble fini XH engendrant un sous-groupe dense H ′ de H est
fermé car M est compact. On a M (H ′ ) = M ′ car l’égalité
h1 . . . hr m − m = h1 h2 . . . hr m − h2 . . . hr m + h2 . . . hr m − m
pour h1 , . . . , hr ∈ XH et m ∈ M , montre par induction sur r
h1 . . . hr m − m ∈ M ′ . La continuité de l’action de H implique
M (H ′ ) = M (H). Donc M (H) = M ′ est fermé dans M .
2) f ∈ E ∨ étant continue s’annule sur E(H) si et seulement
est invariant par H,
(E ∨ )H = (EH )∨ .
Remplacons E par E ∨ , puis prenons le dual de Pontryagin et
obtient (E H )∨ = (E ∨ )H . Ceci implique (E/E H )∨ = E ∨ (H) car
a la suite exacte
1 → (E/E H )∨ → E ∨ → (E H )∨ → 0.
que
que
si f
l’on
l’on
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Par la proposition 1, les H-invariants ou H-coinvariants définissent
des foncteurs
Modtor (H) → Modtor ,
Modprof (H) ⊂ Modprof
échangés par la dualité de Pontryagin.
3. Le lemme de Nakayama
Module signifiera module à gauche. Si A est un anneau et N un Amodule, on note dA (N ) ∈ N ∪ ∞ le nombre minimal de générateurs
du A-module N .
Proposition 2. [1] §3 (Lemme de Nakayama)
Soient A un anneau topologique compact, N un A-module profini
et I un idéal bilatère topologiquement nilpotent de A. Alors
dA (N ) = dA/I (N/I).
Soit U un pro-p-sous-groupe de rang fini (par exemple un prop-sous-groupe fermé de G). Un OL -module profini muni d’une action continue de U s’identifie à un module profini sur la OL -algèbre
d’Iwasawa
′
Λ := OL [[U ]] = lim
←− OL [U/U ]
U′
où U ′ parcourt les sous-groupes distingués d’indice fini de U . Comme
U est de rang fini, un sous-groupe est ouvert si et seulement s’il est
d’indice fini, l’anneau compact Λ est local, sa topologie est celle donnée par les puissances de son radical, et Λ est noetherien à gauche et
à droite [7] §2. Tout idéal propre de Λ est topologiquement nilpotent.
Le noyau IU de l’homomorphisme d’augmentation Λ → OL est l’idéal
à gauche engendré par
u − 1 (u ∈ XU )
où XU est un sous-ensemble fini de U engendrant topologiquement
U . Le radical de Λ est l’idéal engendré par IU et pL [5] 2.1.8.
Proposition 3. Soit N ∈ Modprof (U ). Pour tout sous-groupe distingué d’indice fini U ′ ⊂ U , on a
dΛ (N ) = dOL [U/U ′ ] (NU ′ ).
En particulier dΛ (N ) = dOL (NU ).
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Preuve. Soit IU ′ le noyau du morphisme canonique surjectif Λ →
OL [U/U ′ ]. Comme idéal à gauche, IU ′ est engendré par u − 1 pour
u dans un sous-ensemble XU ′ fini de U ′ engendrant topologiquement
U ′ . L’espace des U ′ -coinvariants de N est
NU ′ = N/IU ′ N.
On applique le lemme de Nakayama à (Λ, N, IU ′ ).
Corollaire 2. Les propriétés suivantes sont équivalentes:
i. N est un Λ-module de type fini,
ii. NH est un OL -module de type fini pour un sous-groupe d’indice
fini H de U .
iii. NH est un OL -module de type fini pour tout sous-groupe d’indice
fini H de U .
Preuve. Un sous-groupe d’indice fini H de U contient un sous-groupe
distingué U ′ d’indice fini de U . Comme U/U ′ est fini, la proposition
implique que N est un Λ-module de type fini si et seulement si NU ′
est un OL -module de type fini. Il reste à montrer que NH est un OL module de type fini si et seulement si NU ′ est un OL -module de type
fini. La OL -algèbre d’Iwasawa de H est un module libre de type fini sur
celle de U ′ , engendrée par les images d’un système de représentants
de H/U ′ . Donc
dOL [[H] (N ) ≤ dOL [[U ′ ]] (N ) ≤ [H : U ′ ]dOL [[H]] (N ).
On applique le cas particulier de la proposition à U ′ et à H et le
corollaire est démontré.
Corollaire 3. Soient U ′ ⊂ H ⊂ U des sous-groupes avec U ′ distingué
dans H. Alors
dOL (NH ) ≤ dOL (NU ′ ) ≤ [U : U ′ ]dOL (NH ).
4. Application à l’admissibilité
Soit V une OL -représentation lisse de G annulée par pk pour un entier
k ≥ 1.
Théorème 3. 1) Les propriétés suivantes sont équivalentes:
i. V est admissible.
ii. Le dual de Pontryagin V ∨ restreint à H est un OL [[H]]-module
de type fini, pour tout sous-groupe ouvert compact H de G.
iii. Le dual de Pontryagin V ∨ restreint à U est un OL [[U ]]-module
de type fini, pour un pro-p-groupe ouvert U de G.
iv. V U est fini pour pour un pro-p-groupe ouvert U de G.
2) Si U est un pro-p-groupe ouvert de G et si U ′ est un sous-groupe
d’indice fini distingué dans U , alors
′
dOL (V U ) ≤ dOL (V U ) ≤ [U : U ′ ]dOL (V U ).
Admissibilité des représentations p-adiques et lemme de Nakayama
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Preuve. La dualité de Pontryagin respecte la propriété d’être fini (et
non d’être un OL -module de type fini), d’être annulé par pk (et non
d’être de torsion), et échange U -invariants et U -coinvariants (proposition 1). Un OL -module de torsion est de type fini si et seulement s’il
est fini. On en déduit que V est admissible si et seulement si (V ∨ )H
est un OL -module de type fini, pour tout sous-groupe ouvert compact
H de G. On applique alors les corollaires 2, 3.
Un quotient W de V est annulé par pk . La dualité de Pontryagin
est contravariante donc W ∨ est un sous-module de V ∨ . L’anneau
OL [[U ]] est noetherien pour tout sous-pro-p-groupe ouvert U de G,
donc si V ∨ est un OL [[U ]]-module de type fini, il en est de même du
OL [[U ]]-sous-module W ∨ . Si V est admissible, W l’est aussi par le
théorème 3. Le théorème 2 est démontré.
Bibliographie
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/ Progress in Math. 137. Birkhäuser 1996.
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