explication Cendrars

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Explication de texte n°4 : Blaise Cendrars, « Prose du Transsibérien » (vers 1 à 39)
Blaise Cendras est un auteur du début du XXème siècle, connu pour ses récits
d’aventures. Il est notamment l’auteur de romans, de récits autobiographique et d’un long
poème (plus de 500 vers) resté célèbre : « Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne
de France », publié en 1913.
Ce texte est écrit en vers libres : les lignes sont coupées, accordent une place aux sons et
au rythme (d’ailleurs le poème est « dédié aux musiciens ») mais ne ne se soumet pas
aux rimes systématiques ni à une longueur de vers régulière. Le texte est sans doute
d’inspiration autobiographique. Toutefois, l’impression qui domine est celle d’une écriture
poétique qui transforme la réalité par le regard du poète.
Dès lors, on s’interrogera en ces termes : comment Cendrars exprime-t-il son regard de
poète sur le monde ?
On peut diviser le texte en 2 parties :
1 ) v. 1 à 24 : le regard sur le monde extérieur
2 ) v. 25 à 39 : le regard sur soi
1 ) Le regard sur le monde extérieur
Si ce récit de voyage paraît plausible, il est surtout rendu poétique par le regard que le
poète porte sur le monde. On remarque que les phrases sont généralement longues :
Cendrars choisit les vers libres pour ne pas être limité, formaté par des formes déjà
existantes (comme le sonnet, par ex.).
v. 1 à 3 : l’emploi du « je » et l’indication « 16 ans » présentent ce voyage comme une
expérience réelle. L’âge du poète et la thématique du voyage font immanquablement
penser à celui de Rimbaud. « je ne me souvenais déjà plus de mon enfance » laisse
penser que Cendrars veut voler de ses propres ailes, commencer une nouvelle vie. Les
chiffres de « 16 « 16 000 » et le jeu de mots « lieues »/« lieu » accordent une
importance aux répétitions, essentielles en poésie. Pour le moment la manière de
s’exprimer est assez courante, quotidienne.
v. 4 et 5 : à nouveau Cendrars répètent les chiffres (1003 et 7), qui donnent une
impression d’immensité et de liberté possible. Le chiffre 1003 fait penser aux 1001 nuits et
le chiffre 7 est fréquent dans les contes : ces chiffres viennent de l’imaginaire de Cendrars,
non de la réalité des lieux.
v. 6 à 9 : les adjectifs « ardente » et « folle » ne sont pas sans rappeler « le coeur fou
robinsonne » de Rimbaud… Ces mots présentent Cendrars comme un poète lyrique,
enthousiasmé par le monde qui s’ouvre à lui. La métaphore hyperbolique du coeur qui
brûle va dans ce sens. Le parallèle entre le coeur du poète (l’intérieur) et le paysage
(l’extérieur) marquent une fusion du poète avec le monde, qui elle aussi rappelle la relation
de Rimbaud avec la Nature. Cendrars se présente toutefois comme un poète urbain et des
grands espaces. De fait, il deviendra un grand voyageur.
v. 10 à 13 : l’image des yeux qui « éclair(ent) des voies anciennes » est fantastique : elle
découle de la nuit après que le soleil s’est couché. Comment comprendre cette formule ?
Il semble vouloir dire qu’il ne parvient pas encore à écrire quelque chose de nouveau, ce
que confirme la phrase « j’étais déjà si mauvais poète », qui reviendra au vers 25 ; « je ne
savais pas aller jusqu’au bout » peut signifier son incapacité à écrire un poème entier. Ce
qui est paradoxal puisque Cendrars est précisément en train d’écrire un long poème !
v. 14 à 16 : La première description arrive et elle fait appel à l’imaginaire : le Kremlin est
comparé à un gâteau, ce qui renvoie au thème de la faim, présente au vers 27 : on peut
comprendre que Cendrars veut dévorer le mode, c’est-à-dire vivre plein d’expériences.
On peut noter que l’adverbe « Pourtant » (v.
25) oppose les 2 parties du texte
v. 17 à 24 : le thème de la soif apparaît après celui de la faim : là encore on peut
comprendre cette soif comme une soif d’expérience, comme du désir de vivre
intensément. L’imaginaire transforme l’environnement, comme si Cendrars avait des
hallucinations. Plusieurs images renvoient à un désir d’élévation : les pigeons du Saint-
Esprit, les mains qui s’envolent, l’albatros. Cendrars veut s’élever par le voyage : grandir,
devenir meilleur, devenir adulte… Le mot « albatros » dans la bouche d’un poète renvoie
immanquablement à Charles Baudelaire, auteur du poème « L’albatros » où il s’identifie à
cet oiseau. Les vers 22 à 24 sont mystérieux : on ne voit pas bien à quoi Cendrars fait
allusion puisque Moscou est très loin de la mer…
Ainsi, Cendrars transforme le monde qui l’environne par des images hallucinatoires et
exprime son désir de vivre intensément.
2 ) Le regard sur soi
La seconde partie de ce poème est davantage centrée sur le poète : on dénombre 8
marques de la 1ère personne en 14 vers. Cendrars y exprime à nouveau son désir de
vivre passionnément : les phrases longues (jusqu’à 10 vers) témoignent de son lyrisme.
v. 25-26 : ces 2 vers coupent l’élan du poème. Il expriment la lucidité du regard que
Candrars porte sur lui-même. Ils répètent les vers 11 et 12, avec lesquels ils forment
comme un refrain.
v. 27 à 37 : c’est la phrase la plus longue du texte. On remarque la répétition des mots
« tous » et « toutes », qui renvoient à l’appétit insatiable de Cendrars : il veut tout, sans
limite. Mais ce ne sont que des désirs, comme l’exprime l’emploi du conditionnel « j’aurais
voulu » (v.29). Cendrars déploie un flot d’images fantastiques où domine une certaine
violence : « casser », « plonger dans une fournaise de glaives », « broyer tous les os »,
« arracher toutes les langues », « liquéfier tous ces grands corps étranges ». Ce sont ici
des pulsions qui débordent le poète : l’écriture en vers libres, comme s’il rédigeait une liste
de ses envies, lui permet de s’exprimer librement.
v. 38-39 : le soleil est à nouveau mentionné, comme au vers 9. Il marque une certaine
chronologie dans ce texte (le soleil qui se couche puis se lève) , tout en restant vague.
L’image du feu qui termine ce poème fait écho au coeur qui brûle du vers 7. Ainsi, ce
poème est à la fois une avancée vers l’avant, l’avenir, et un retour, un cycle de certains
éléments, à l’image de la vie.
Pour conclure, ce poème relate un voyage initiatique : à travers l’expérience du voyage en
train, Cendrars exprime son désir de vivre sa vie en allant de l’avant, pour devenir un
adulte. Le voyage a des bases réalistes mais est surtout riche d’images fantastiques qui
font aussi voyager le lecteur. La liberté de composition et la diversité des vers sont les
marqueurs d’une modernité poétique, plus soucieuse de transmettre une émotion à la
lecture que de surmonter des contraintes formelles (respecter les strophes, les vers, les
rimes…).
Rimbaud, auquel ce poème fait penser, et Baudelaire, dont l’albatros plane au-dessus de
ces vers, avaient ouvert la voie : Cendrars prend ici le flambeau d’une poésie nouvelle.
Qu’est-ce qui a changé ? La présence du monde moderne (ici par le thème du train),
l’abandon de formes rigides qui contraignent le poète à un exercice de style, la nécessité
de toujours être bien compris… Ce poème a déjà plus de cent ans mais son désir
d’émancipation créatrice reste intact.
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