v. 17 à 24 : le thème de la soif apparaît après celui de la faim : là encore on peut
comprendre cette soif comme une soif d’expérience, comme du désir de vivre
intensément. L’imaginaire transforme l’environnement, comme si Cendrars avait des
hallucinations. Plusieurs images renvoient à un désir d’élévation : les pigeons du Saint-
Esprit, les mains qui s’envolent, l’albatros. Cendrars veut s’élever par le voyage : grandir,
devenir meilleur, devenir adulte… Le mot « albatros » dans la bouche d’un poète renvoie
immanquablement à Charles Baudelaire, auteur du poème « L’albatros » où il s’identifie à
cet oiseau. Les vers 22 à 24 sont mystérieux : on ne voit pas bien à quoi Cendrars fait
allusion puisque Moscou est très loin de la mer…
Ainsi, Cendrars transforme le monde qui l’environne par des images hallucinatoires et
exprime son désir de vivre intensément.
2 ) Le regard sur soi
La seconde partie de ce poème est davantage centrée sur le poète : on dénombre 8
marques de la 1ère personne en 14 vers. Cendrars y exprime à nouveau son désir de
vivre passionnément : les phrases longues (jusqu’à 10 vers) témoignent de son lyrisme.
v. 25-26 : ces 2 vers coupent l’élan du poème. Il expriment la lucidité du regard que
Candrars porte sur lui-même. Ils répètent les vers 11 et 12, avec lesquels ils forment
comme un refrain.
v. 27 à 37 : c’est la phrase la plus longue du texte. On remarque la répétition des mots
« tous » et « toutes », qui renvoient à l’appétit insatiable de Cendrars : il veut tout, sans
limite. Mais ce ne sont que des désirs, comme l’exprime l’emploi du conditionnel « j’aurais
voulu » (v.29). Cendrars déploie un flot d’images fantastiques où domine une certaine
violence : « casser », « plonger dans une fournaise de glaives », « broyer tous les os »,
« arracher toutes les langues », « liquéfier tous ces grands corps étranges ». Ce sont ici
des pulsions qui débordent le poète : l’écriture en vers libres, comme s’il rédigeait une liste
de ses envies, lui permet de s’exprimer librement.
v. 38-39 : le soleil est à nouveau mentionné, comme au vers 9. Il marque une certaine
chronologie dans ce texte (le soleil qui se couche puis se lève) , tout en restant vague.
L’image du feu qui termine ce poème fait écho au coeur qui brûle du vers 7. Ainsi, ce
poème est à la fois une avancée vers l’avant, l’avenir, et un retour, un cycle de certains
éléments, à l’image de la vie.
Pour conclure, ce poème relate un voyage initiatique : à travers l’expérience du voyage en
train, Cendrars exprime son désir de vivre sa vie en allant de l’avant, pour devenir un
adulte. Le voyage a des bases réalistes mais est surtout riche d’images fantastiques qui
font aussi voyager le lecteur. La liberté de composition et la diversité des vers sont les
marqueurs d’une modernité poétique, plus soucieuse de transmettre une émotion à la
lecture que de surmonter des contraintes formelles (respecter les strophes, les vers, les
rimes…).
Rimbaud, auquel ce poème fait penser, et Baudelaire, dont l’albatros plane au-dessus de
ces vers, avaient ouvert la voie : Cendrars prend ici le flambeau d’une poésie nouvelle.
Qu’est-ce qui a changé ? La présence du monde moderne (ici par le thème du train),
l’abandon de formes rigides qui contraignent le poète à un exercice de style, la nécessité
de toujours être bien compris… Ce poème a déjà plus de cent ans mais son désir
d’émancipation créatrice reste intact.