« El Desdichado » de Gérard De Nerval (1854)

Telechargé par Paul ATTAL
« El Desdichado » de Gérard De Nerval
(1854).
El Desdichado
Gérard de Nerval
Je suis le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Questions possibles à l’oral de français sur « El Desdichado » :
Expliquez le titre du poème « El Desdichado« .
En quoi ce poème appartient-il au courant romantique ?
En quoi le poème « El Desdichado » est-il une quête d’identité ?
Quelle image du poète et de la poésie se dégage de ce poème ?
Introduction :
« El Desdichado » est issu du recueil Chimères publié en 1854 après deux crises
de folie que Gérard de Nerval, encore très affecté par la mort de Jenny Colon en
1842, a subies en 1851 et 1853.
Le poème porte les traces de cette souffrance affective et s’inscrit de ce point
de vue dans le romantisme.
Comment par l’écriture, le poète parvient-il à se reconstruire et à surmonter sa
souffrance ?
Plan de la lecture analytique :
Dans le cadre du romantisme, Nerval tente dans « El desdichado » de
reconstruire son identité fragmentée (I) à travers une langue poétique
nouvelle (II).
I Un poème romantique
A Un poème mélancolique
Le poème de Nerval est placé sous le signe de la mélancolie comme le
montre le champ lexical de la tristesse : « inconsolé », « mélancolie »,
« consolée », « cœur désolé ».
Le poète est marqué par le deuil, notamment celui de l’actrice Jenny Colon
décédée en 1842 et dont Gérard de Nerval a été amoureux.
La métaphore « Ma seule Etoile est morte, » assimile la femme aimée à une
étoile, une divinisation qui s’inscrit pleinement dans la poésie romantique.
Les termes du premier vers « Ténébreux », « Veuf » et « Inconsolé » portent
une majuscule. Ces majuscules font du poète une allégorie du veuvage et de la
souffrance.
Le substantif « Veuf » est d’ailleurs mis en valeur par sa place dans le vers : il
vient casser le rythme de l’alexandrin en (6//2/4), soulignant la brisure qui
s’est produite dans l’âme du poète.
Le champ lexical des couleurs accentue l’atmosphère mélancolique du poème :
« Ténébreux », « noir », « rose », « rouge », couleurs crépusculaires.
B Une quête d’identité
Le poème s’ouvre sur le pronom personnel « Je ».
Mais l’identité du poète est marquée immédiatement par l’éclatement.
Tout d’abord, le titre du poème – « El desdichado » en langue espagnole, crée
une impression énigmatique comme si le poète ne parvenait pas à se définir
avec la langue française.
Ensuite, le poète se définit par trois termes qui tournent autour de la
thématique du deuil : « Ténébreux », « Veuf », « Inconsolé ». L’affirmation
initiale « Je suis », péremptoire et presque théâtrale, évoque une identité
démultipliée.
Les tirets donnent l’impression d’un dialogue intérieur comme si le poète
utilisait plusieurs voix.
Cette polyphonie intérieure correspond bien à l’esprit romantique qui
privilégie l’expression des sentiments et la sensibilité, mais Nerval fait
entendre les multiples voix intérieures de l’âme.
Ainsi, la forme affirmative « Je suis » laisse place à la forme interrogative :
« Suis-je Amour ou Phebus ? …. Lusignan ou Biron ? ».
La conjonction de coordination exprimant l’alternative « …ou » souligne
aussi la perte d’identité du poète qui ne sait plus qui il est.
L’oxymore « le Soleil noir de la Mélancolie » accentue encore la contradiction
dans laquelle l’identité du poète se perd.
Transition : l’identité du poète est donc dispersée, éclatée. Mais le poète tente
de restaurer l’unité de son moi en empruntant des identités multiples.
C Un sentiment de dépersonnalisation
Dans « El Desdichado »,le poète prend des identités multiples.
Il se projette tout d’abord dans un univers médiéval :
« Le Prince d’Aquitaine » désigne Edouard Plantagenet (1330-1376) dit le
Prince Noir un personnage à l’identité problématique lui aussi, à la fois Prince
de Galles et Prince d’Aquitaine.
« Lusignan » et « Biron » désignent des familles nobles et suggèrent les valeurs
chevaleresques du Moyen Age.
Cette fascination pour le Moyen Age est une caractéristique du Romantisme.
Ensuite, Nerval semble prendre l’identité de Jesus. En effet, plusieurs
références font songer à la passion de J.C :
Le « front rouge » et les « Soupirs de la Sainte » évoquent l’épisode la
crucifixion.
Enfin, des références aux mythes gréco-latins :
« Amour », fils de Venus, déesse de l’amour;
« Phébus », dénomination latine d’Apollon;
La « treille » qui fait référence à Dionysos;
« l’Achéron »;
« la lyre d’Orphée »
Ce champ lexical de la mythologie montre le caractère protéiforme du poète.
En endossant toutes ces identités, le poète dépasse son existence dans une
sublimation du moi.
Transition : Mais c’est aussi grâce à une langue poétique nouvelle que le poète
reconstruit son identité fragmentée.
II La quête d’une nouvelle langue poétique
A Une versification traditionnelle
Nerval se définit comme le « Desdichado », c’est-dire le déshérité.
Mais il semble vouloir retrouver un enracinement en convoquant la
mythologie gréco-latine.
«Pausilippe », « mer d’Italie », la « treille », « la Grotte » sont des espaces
géographiques qui rappellent les Géorgiques de Virgile comme si Nerval
tentait de faire revivre la poésie latine.
On peut être surpris de voir que la versification est très traditionnelle dans
ce poème. En effet, Nerval compose un sonnet (deux quatrains suivis de
deux tercets). Les rimes des deux quatrains sont croisées (ABAB) et
les deux tercets sont conçus selon le modèle rimique traditionnel (CDD
CAA).
En reprenant cette versification traditionnelle, Gérard de nerval s’ancre dans
la tradition. Mais il reste « Veuf » car cette langue originelle est morte et il
se met en quête d’une langue nouvelle.
B Le poète, un nouvel Orphée
Dans « El desdichado », Nerval se compare à Orphée. La poésie devient une
expérience.
Dans la mythologie grecque, Orphée est un poète et musicien qui joue de la
lyre. Sa femme Eurydice meurt le jour de leur mariage. Il parvient à aller
aux enfers pour la retrouver mais échoue à la faire revenir du monde des
morts. Inconsolable, Orphée passe le restant de ses jours à errer et
chanter accompagné de sa lyre.
Orphée traverse le fleuve qui entoure les enfers pour retrouver Eurydice.
Le poète, lui, traverse l’Achéron, qui semble être une allégorie de la folie.
En effet, le vers 12 « Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron » rappelle
que Gérard de Nerval a traversé deux crises de folie en 1851 et 1853.
Enfin, comme Orphée, Nerval transforme cette douleur en beauté par la
poésie et la musique comme le montre le champ lexical de la musique :
«luth », « modulant », « lyre ».
Les allitérations et assonances créent une musicalité qui donne une uni
harmonieuse à un poète menacé de dissolution :
Allitération en [m] : « Ma seule Etoile est morte, et mon luth constellé /
Porte le Soleil noir de la Mélancolie »
Allitération en [s] : « Les soupirs de la Sainte »
Assonances en [ou] et [on] « Suis-je Amour ou Phébus ? … Lusignan ou
Biron ? / Mon front est rouge encor du baiser de la Reine »
De plus, certains mots se dédoublent et se répondent comme « Tour » (v.2)
et « tour à tour » (v.13) .
C L’invention d’une nouvelle langue
Besoin de sortir d’une langue enfermée dans la logique ou dans les
principes rationnels. Nerval souhaite donner à la langue une liberté nouvelle.
Nerval invente une nouvelle langue poétique.
S’il a recours à un sonnet traditionnel,il perturbe néanmoins la syntaxe des
phrases :
« Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie »;
« Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron ».
Il semble sortir des codes d’écriture de la langue française. Le titre du
poème est espagnol « El Desdichado » et l’utilisation presque systématique
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