Telechargé par pierrealberthayen

L'ACTIVISME CONTEMPLATIF ET LA TRANSFORMATION DE LA COLERE - ED AND DEB SHAPIRO

L’ACTIVISME CONTEMPLATIF
ET LA TRANSFORMATION DE
LA COLÈRE
ED & DEB SHAPIRO
(Chapitre extrait de ‘’Be the change – How meditation can
transform you and the world’’)
‘’Nous devons en arriver à voir que la paix n’est pas seulement un but lointain que
nous poursuivons, mais un moyen via lequel atteindre ce but. Nous devons
poursuivre des objectifs pacifiques par des moyens paisibles.’’
- Dr Martin Luther King Jr
RUSSELL BISHOP1
‘’Nous sommes en 1971 et je me trouve à l’UC Berkeley où une manifestation bat son
plein au People’s Park, et le contexte est à la grève, mettre la clé sous la porte et au
pouvoir au peuple. Je suis frappé en pleine poitrine par une grenade lacrymogène
que je ramasse dans l’optique de la rebalancer sur les flics et dans le fil de l’action, je
me retrouve — hors de mon corps — en train de me regarder, et je vois ce hippie
barbu aux cheveux longs qui s’égosille, ‘’Pourquoi ne nous aimez-vous pas, bande
d’idiots ?’’ Puis je réintègre mon corps, en réalisant brusquement que le but était
l’amour, mais que la stratégie, c’était de crier, de gueuler et de balancer des objets. Je
m’éloignai du front des grévistes avec cette prise de conscience qui s’opérait.
Comment faire la différence dans le monde avec comme moyens la paix et la
tolérance ?’’
L’activisme se consacre à combattre l’injustice et à provoquer des changements
sociaux, mais l’activisme de la colère est-il réellement efficace ? L’activisme est-il
différent, s’il émane d’une réponse contemplative et compatissante plutôt que d’une
réaction colérique ? Comment notre motivation et notre comportement sont-ils
influencés, s’il y a la conscience de ne pas être séparés, mais que chacun est un reflet
de l’autre ? La méditation fait-elle réellement la différence, quand nous sommes
confrontés à des extrêmes, comme la pauvreté abyssale et des armes automatiques ?
LA TRANSFORMATION DE LA COLÈRE
SEANE CORN2
‘’Dans les années 80, je militais pour tout un tas d’organisations différentes, mais
j’étais une horrible activiste, parce que tout ce que je faisais, c’était projeter ma rage.
J’étais celle perchée sur une tribune improvisée avec un mégaphone et qui disait à
tout qui voulait l’entendre comment vivre sa vie, mais c’était totalement futile. Ce que
je réalise maintenant, c’est que le monde change en intégrant et pas en rejetant. La
rage rejette. C’est une énergie menaçante et aliénante. Aujourd’hui, en tant
qu’activiste, j’invite à intervenir en étant aussi honnête que possible.’’
La colère peut être une motivation primaire pour protester, mais elle n’apporte pas
souvent les changements que l’on escompte. Elle suscite plutôt généralement
davantage de négativité. La colère exclut et elle appelle à exclure encore davantage,
plutôt que d’inclure et donc d’œuvrer en direction de la plénitude. La méditation est
essentielle, car non seulement elle nous conduit à prendre conscience de notre
1
Russell Bishop est coach et consultant. Il écrit pour le Huffington Post et il est CEO de Insight Seminars.
Seane Corn est l’ambassadrice nationale du yoga pour YouthAIDS et cocréatrice de la campagne ‘’Off the mat
and into the world’’.
2
interconnexion, mais également à réaliser le caractère infructueux de la colère et le
bénéfice à opérer avec compassion. Alors, l'activisme nous informe sur le moment et
sur la manière de l'utiliser au mieux, plutôt que d'être utilisé par elle.
RAMA VERNON3
‘’Nous pouvons opérer un changement par l’intermédiaire de la colère, mais nous ne
pouvons pas opérer une transformation par le biais de la colère. La méditation
engendre la clarté d’esprit et lorsque nous avons l’esprit clair, nos actions sont mieux
ciblées et nous avons plus de force. Si notre esprit s’éparpille, toutes les actions que
nous entreprenons ne produiront que de la confusion. Il peut y avoir des moments
où il faut utiliser la colère, mais ce n’est pas pareil que d’être en colère. J’ai fait usage
de la colère avec le KGB, car c’était la bonne chose à faire sur le moment, mais j’ai
répondu avec colère sans réagir avec colère. Si nous réagissons avec colère, cela peut
remettre de l’huile sur le feu et nous devenons alors une partie du problème plutôt
que la solution.’’
Le pacifisme ou la non-violence ne signifie pas que nous sommes faibles et
impuissants ou qu’il est facile de profiter de nous. Cela signifie que les mêmes
problèmes qui provoquent de la colère peuvent à la place générer de la compassion.
Et même si la colère peut parfois être utilisée pour des raisons spécifiques, la
compassion peut être utilisée sans aucune hésitation, en toutes circonstances. C’est
tout particulièrement important pour les personnes qui s’engagent activement en
faveur du changement social.
ROBERT GASS ET JUDITH ANSARA4
"Les activistes sociaux sont des personnes engagées dans la construction d'un monde
meilleur. Lorsque vous pouvez leur démontrer qu'il y a certaines attitudes et certains
comportements qui vont réellement produire plus de résultats en faveur de la justice
et qui sont plus concourants, moins virulents, plus orientés vers le partenariat et que
cela marche de manière assez spectaculaire, ils sont toujours partants. La méditation
fait partie intégrante du processus, car elle permet d'assouplir les démarcations. Les
gens clarifient ce qu'ils servent, intensifient leur conscience d’eux-mêmes afin de voir
ce qui fonctionne et ce qui constitue un obstacle. Cela implique de desserrer
l'emprise du sentiment du petit moi. Pour certains, cela devient un sentiment de nous
3
Rama Vernon est professeur de yoga, ancienne rédactrice en chef du Yoga Journal, militante pour la paix et
médiatrice internationale.
4
Robert Gass est psychologue, coach en leadership et consultant en entreprise. Il est également maître de
chant et il a notamment réalisé une célèbre et magnifique version de ‘’Om Namaha Shivaya’’.
Judith Ansara est psychothérapeute, coach et formatrice en leadership, artiste-activiste et elle enseigne
également le yoga et la méditation.
avec leurs frères et sœurs ; ils se développent en ce sens. Pour d'autres, c'est vers un
sens plus large de l'objectif avec les communautés qu'ils servent."
Le feu de la fureur peut stimuler la motivation, mais il ne peut pas nous faire tenir
longtemps. Quand nous sommes gouvernés par la colère, nous nous épuisons vite.
L’épuisement est le revers inévitable de la médaille. La compassion, en revanche, est
une source constante d’énergie et de soutien. Plus nous donnons et plus nous
pouvons donner. Il n’y a jamais de moment où nous tombons à court de compassion.
JOSEPH GOLDSTEIN5
‘’J’ai donné des retraites pour des militants écologistes et des militants sociaux. L'un
des principaux problèmes des personnes qui s’engagent dans de telles actions et qui
sont souvent en première ligne des conflits, c’est l'épuisement énergétique. Cela
s'explique par le fait que leur travail est souvent alimenté par de la colère face aux
conditions d'iniquité et d'injustice, mais la colère n'est pas durable. C'est une
motivation qui nous consume, littéralement. La compassion est une énergie
beaucoup plus durable et qui peut motiver toute une vie d'engagement social actif."
Nous pensons généralement que l’activisme consiste à être contre quelque chose,
qu'il s'agisse de la guerre, de la torture ou d'un gouvernement dictatorial, alors que
l'activisme fondé sur la contemplation consiste à être pour quelque chose, comme
l'équité, la liberté et la paix. Ceci nous offre une toute nouvelle perspective, non
seulement sur l'activisme, mais aussi sur les causes plus profondes de l'injustice et de
la violence et, plus spécifiquement, sur notre réponse normalement colérique ou
même agressive vis-à-vis d’un tel comportement. Être pour quelque chose nous fait
passer de l’entretien du négatif au soutien du positif.
RABIA ROBERTS6
‘’Dans ma jeunesse, j’étais imprégnée par la colère. Puis j'ai travaillé avec Martin
Luther King dans le cadre du mouvement des droits civiques pendant trois ans. Ce
que j'appris de King fut le commencement de l'activisme non violent, et que nous ne
sommes pas là pour vaincre, ni blesser qui que ce soit, mais pour révéler l'injustice
5
Joseph Goldstein est avec Jack Kornfield et Sharon Salzberg le cofondateur de l’Insight Meditation Society et il
a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation sur le bouddhisme. Il anime des retraites de méditation dans le
monde entier.
6
Rabia Roberts est une militante, une auteure, une éducatrice et une conférencière de renommée
internationale très engagée dans les domaines de la justice sociale, de la paix, de l’environnement et de la
spiritualité.
qui existe dans la situation et voir si on peut parvenir à une plus grande guérison. La
colère retomba, et le sentiment de devoir être contre quelque chose plutôt que pour
évolua radicalement. Sans armes à feu, notre outil le plus efficace est d’être prêt à
nous dresser collectivement face à la violence et à faire appel au témoignage du
monde entier de l’injustice qui se produit.
La pratique de la méditation retourne le regard afin de voir comment vous vous
inventez un moi et une histoire. Vous vous familiarisez avec la façon dont les pensées
et les émotions vous poussent. Alors, le moi égoïste perd de son emprise. Vous n’êtes
plus aussi impulsif, ni aussi réactif. Vous répondez à ce qui se passe, mais sans plus
réagir contre quoi que ce soit. Vous commencez aussi à comprendre l’équanimité,
comment préserver votre équilibre, quand des émotions ou des pensées troublantes
jaillissent. C’est rencontrer la personne en colère en vous disant : ‘’J’écoute ce que
vous dites, mais je ne le comprends pas avec toute cette colère’’. C’est ce qui faisait
que Gandhi et King étaient brillants et respectés, même par ceux qui les détestaient.
A l’instar du militantisme, la méditation veut révéler la réalité derrière l’illusion. Vous
voyez clair et vous ne vous laissez plus abuser par les histoires. Vous commencez à
réaliser que les soldats ne sont pas nécessairement des héros, mais des victimes.
Dans la vision du monde non-violente, il n’y a aucun blâme. Vous pouvez tenir
quelqu’un pour responsable, mais il n’y a pas de blâme pour ce qui se passe. En étant
plein d’agressivité et d’agitation, vous ne faites qu’ajouter de la négativité à la
confusion. C’est pourquoi la guerre ne peut pas engendrer la paix.’’
ON N’A PAS LE CHOIX !
L'impulsion d'aider les autres, de s'élever contre l'injustice, de faire une différence
dans la vie de ceux qui sont incapables de s'aider eux-mêmes et de le faire d'une
manière qui ne crée pas d'autres dommages fait partie intégrante de la vie
contemplative. Pour Ed, passer du monde de la drogue et des discothèques de New
York à l'Inde, où il est devenu un swami et un pratiquant du yoga résidant dans un
ashram où il a vu son maître donner tout le nécessaire aux plus pauvres d’entre les
pauvres, l'a relié au cœur du service. Pour Deb, le fait d’avoir été élevée comme une
quaker a profondément influencé son désir de participer à des activités non violentes.
Et pour Kirsten, c'est dû à son enfance bouddhiste, où on lui a appris à méditer,
quand elle n’était encore qu’une enfant et à toujours penser aux autres en premier.
KIRSTEN WESTBY7
"J'avais six ans, quand j'ai reçu mon premier enseignement formel de méditation. À
l'école, nous méditions tous les jours pendant un quart d’heure avant le début des
cours et à la fin de la journée. Quand j'étais jeune, ma mère nous lisait les nécrologies
dans le journal. Elle disait : "Ces gens sont morts aujourd'hui, Kirsten. Nous pourrions
mourir, à tout moment. Alors faisons quelque chose de bien de notre journée. Aidons
quelqu'un aujourd'hui.’’ Quand vous êtes élevée ainsi, il est naturel que vous vouliez
par la suite vous créer une vie dans laquelle vous faites tout ce que vous pouvez pour
les autres.
Je voulais faire quelque chose qui n'affecterait pas négativement quelqu'un d'autre.
L'été où j'ai quitté l'école, une amie et moi, nous sommes parties en voyage et huit
mois plus tard, nous étions au Cambodge. Pendant sept ou huit heures, nous avons
voyagé à l'arrière d'un pick-up avec dix-sept autres Cambodgiens, des sacs de riz et
des poulets, en plein milieu de la zone bombardée où les Khmers rouges étaient
encore très actifs, puis nous avons pris ce bateau lent pendant douze heures sur le
Mékong. J'ai vu mon premier camp de réfugiés et mon premier camp de la CroixRouge, et j'ai su que c'était pour moi. Je n'avais aucun problème à être là ; je n'avais
aucune crainte. Je savais simplement qu'aider de cette façon était ma voie ;
l'impulsion d'être utile ne me laissait pas le choix.
Je me suis rendue au Népal où j’ai aidé à gérer un abri pour jeunes filles victimes du
trafic d’êtres humains et exploitées sexuellement, situé à la frontière avec l’Inde. Soit
les filles s'étaient échappées, soit il y avait eu une descente de police dans les bordels
de Delhi ou de Bombay et nous allions les chercher. Certaines avaient huit ans ou
moins. Certaines avaient vingt ans et étaient dans le bordel depuis des années,
forcées de vivre dans des cages. Quatre-vingt-dix-sept pour cent d'entre elles étaient
séropositives. La souffrance la plus intense que l'on puisse imaginer est celle d'une
fillette de huit ans qui a été violée sans interruption depuis plus longtemps qu'elle ne
peut s'en souvenir et qui a sauté d'un immeuble de deux étages en se cassant la
jambe pour se rendre au refuge, avant d'apprendre que c'est sa famille qui l'a vendue
à la maison close et qu'elle n'a donc nulle part où aller. Et pourtant, nous pouvions
encore trouver des instants de bonheur et pour rire ensemble.
J’avais besoin de méditer avant même de pouvoir quitter ma chambre, le matin. Cela
me donnait la force de reconnaître que la souffrance est l'expérience humaine que
nous vivons tous sous une forme ou une autre, et de ne pas me sentir submergée par
elle pour ne pas perdre mon équilibre. Sans cette méditation et sans cet espace,
7
Kirsten Westby est une méditante et une militante des droits de l’homme de longue date. Elle avait
notamment fait la une des journaux internationaux pour avoir rappelé au monde – devant les caméras des Jeux
Olympiques, en Chine – les violations des droits de l’homme au Tibet, avant d’être arrêtée par les Chinois. Elle
écrit pour divers médias internationaux depuis une dizaine d’années et elle a aussi écrit un livre.
chaque matin, j'aurais été trop accaparée par la souffrance, j'aurais été paralysée par
elle. Ma maman m'a dit un jour qu'une fois que l'on a appris à méditer, c’était comme
un outil invisible que l'on a toujours à portée de la main et c'était sans aucun doute
l'outil le plus utile que je possédais.
J’ai travaillé pour Urgent Action Fund pendant cinq ans. Je circulais dans des zones de
guerre et j’écoutais les récits de ce qui arrivait aux femmes et aux filles. Tous les
matins, je m’asseyais en méditation, car cela me permettait de ne pas réagir à toute
l’agressivité qui m’entourait. Au Congo, il m’a fallu traverser la frontière qui n’était
qu’un tronc d’arbre, avec des garçons de quinze ans assis dessus qui tenaient des
armes semi-automatiques. Je dis très posément : ‘’Je suis simplement ici pour parler
avec les filles.’’ Souvent, j’avais de l’argent scotché à mon abdomen ou dans une
pochette – de l’argent liquide pour les femmes pour qu’elles puissent fonder un
orphelinat, s’occuper des enfants – et je devais convaincre ces enfants-soldats que je
n’avais rien sur moi. Je n’aurais pas pu les croiser avec ne fût-ce qu’un soupçon
d’agressivité, sinon ils m’auraient abattue sans aucune hésitation. Je suis devenue très
habile pour traiter avec ces gamins armés !
Plus que toute autre chose, la méditation m’a libérée de la colère. Je pouvais sentir la
colère monter, mais je savais que ma façon de survivre et d’opérer dans ce contexte,
c’était de lui permettre de s’évacuer, de savoir que ces garçons n’étaient pas l’ennemi,
mais qu’ils étaient tout autant les victimes de toute cette machine de guerre,
embrigadés de force dans l’armée à un si jeune âge. Il n’y avait pas vraiment
d’ennemi ; c’était simplement tout un contexte de personnes qui avaient été utilisées
et dont on avait abusé. Je me remémorais constamment leurs qualités humaines pour
pouvoir démarrer ma journée sans aucune agressivité.’’
VOIR LE SOI DANS LES AUTRES
La méditation et les pratiques contemplatives nous changent. Elles ouvrent notre
cœur, en laissant entrer la douleur du monde qui nous entoure. Elles nous montrent
la réalité de la souffrance, comment nous faisons partie intégrante de cette
souffrance. Si une personne est dans le besoin, nous sommes tous dans le besoin.
Pour Seane, c’est cette prise de conscience qui l’a fait décoller de son tapis de yoga.
SEANE CORN
"Le yoga a d'abord changé mon corps, puis la méditation a changé mon attitude. J'ai
alors réalisé que le fait que ma pratique dure un quart d’heure ou quatre heures
n'avait aucune importance, car il ne s'agissait pas de savoir comment le yoga pouvait
me changer, mais comment, grâce à cette pratique, je pouvais commencer à changer
le monde. Ce que j'ai réellement ressenti, c’était comment oser ne pas m’engager et
faire preuve d’ouverture ?
J’ai d’abord commencé par travailler avec des enfants prostitués à Los Angeles. Je ne
savais pas à quel point ma vie allait changer, lorsque je suis entrée dans le refuge,
mais j’y ai rencontré mon ombre. Je détestais ces filles – et il n’y avait pas que des
filles, il y avait aussi de jeunes garçons – ils étaient tellement arrogants et
provocateurs, étant tous et toutes tellement blessés. Ils étaient aussi comme un
miroir dans lequel je voyais la partie de moi-même qui avait été abusée et comment
je n’avais pas réglé ma propre défiance, ma propre arrogance, ma propre blessure. Ils
ne m’ont pas du tout acceptée, au départ. Sans blague ! Cette nana blanche du New
Jersey avec une si grande gueule qui prétendait leur dire comment faire du yoga. Ils
me m’ont pas ratée ! Ce fut l’expérience la plus humiliante que j’ai jamais vécue,
parce que j’étais venue pour tenter de les rafistoler. Je n’étais pas rentrée là-dedans
en reconnaissant que j’étais eux. Ils m’ont zieutée et ils n’étaient absolument pas
impressionnés. Je ne voulais plus du tout y retourner. Je me suis assise dans ma
voiture et j’ai pleuré et pleuré. La fois suivante, j’étais vachement plus humble, ayant
reconnu que nous étions là pour nous servir les uns les autres.
Je dois aimer la prostituée en moi, la nécessiteuse en moi et l’ignare en moi, je dois
aimer les parties blessées de moi-même afin de pouvoir tenir quelqu’un d’autre en
réelle estime. Ces filles m’ont rejetée pendant des semaines. C’était particulièrement
pénible. Et puis un jour que je n’oublierai jamais, je suis entrée dans le refuge et il y
avait cette petite fan de gothique qui avait des troubles obsessionnels compulsifs et
qui se tailladait avec des lames de rasoir. Quand elle m’a vue, elle a bondi, elle a
couru vers moi et elle m’a serrée dans ses bras. J’étais bouleversée. Et puis, l’une
après l’autre, les autres filles se sont levées et elles m’ont serrée dans leurs bras. A
partir de là, j’ai dû venir au refuge dix minutes plus tôt pour les embrassades et j’ai dû
partir dix minutes plus tard à cause des embrassades, parce qu’une fois que nous
nous sommes rapprochées, tout ce qu’elles voulaient, c’était un contact approprié,
avec un moment de connexion qui était sûr.
J’étais confrontée à mon ombre. Je savais qu’en méditation, l’Esprit disait : ‘’Chérie, toi
qui veux être une guérisseuse, il te faut te guérir toi-même et entrer directement
dans ce brasier. C’est ton ombre, ce qui t’empêche de t’aimer. Tu ne seras d’aucune
utilité à ce monde, si tu ne t’y plonges pas et si tu ne découvres pas la petite fille qu’il
y a en toi.’’ J’ai fait sa connaissance et je l’ai guérie grâce à ces jeunes enfants.
Le défi suivant a été d'aller sur le terrain à la rencontre des enfants dans les pays du
tiers-monde. J'ai travaillé avec Youth AIDS dans le plus grand bidonville de toute
l'Asie du Sud-Est, spécialement dans les bordels, et j’ai travaillé non seulement avec
les prostituées, mais aussi avec leurs clients et leurs enfants, et il ne s'agissait pas
seulement de les informer sur le VIH/sida, mais aussi de les aider à faire de meilleurs
choix, car on ne peut pas leur demander de ne pas se prostituer. Avec la pauvreté,
vous avez le désespoir, et quand vous êtes désespéré, vous vous prostituez. C'est
comme ça que ça se passe. Il est très compliqué d'enseigner aux prostituées les
pratiques sexuelles sûres, car elles gagnent un dollar pour un rapport sexuel avec un
préservatif et deux sans préservatif. Si elles utilisent un préservatif, elles courent le
risque d'être violées, maltraitées ou de perdre leur clientèle. Nous essayons donc
d'amener toutes les femmes à se serrer les coudes et nous sensibilisons les hommes
au VIH et au SIDA. Il y avait un ‘’cinéma’’ porno dans le bidonville. J'ai dû grimper sur
une échelle pour y accéder et m’introduire par-dessus dans une salle obscure remplie
d'hommes. Nous avons interrompu leur film porno et nous avons mis notre propre
film sur les maladies sexuellement transmissibles, puis nous avons remis leur film et
nous sommes partis.
Être là constituait un véritable défi. C'est une chose d’être assise chez soi et de penser
que tout arrive pour une raison ou l’autre, mais en m’occupant d’une prostituée de
quinze ans qui mourait du sida, toute ma propre merde est remontée. Comme c’était
injuste, inique, inadmissible ! Il m’a fallu beaucoup prier et méditer pour pouvoir
continuer à circuler dans cet endroit sans jugement, ni colère.
La méditation était un élément essentiel pour pouvoir aller sur le terrain chaque jour,
car il y avait des épisodes qui suscitaient réellement ma rage. Par exemple, je
déambulais dans ce bidonville, un dédale crasseux construit sur une décharge, et j'ai
entendu un rire derrière moi. Je me suis retournée, et il y avait une petite fille. Je n’ai
aucune idée de son âge, mais elle était gravement handicapée, mentalement et
physiquement. La fille de mon partenaire est également mentalement et
physiquement handicapée, et j’avais donc une connexion très personnelle avec cette
fille. Je savais qu’aux Etats-Unis, grâce aux privilèges et aux soins médicaux dont nous
disposons, la fille de mon partenaire avait non seulement pu survivre, mais aussi
vraiment vivre. J’ai regardé cette petite fille du bidonville et je savais que si elle ne se
prostituait pas déjà, elle le ferait bientôt. C’était l’un de ces moments qui me vidaient
totalement de ma force vitale. La rage flamba, mais je savais que je ne serais utile à
personne, si je me laissais happer dans cette situation avec jugement et colère. Je dus
donc rentrer chez moi et pleurer. Je devais ressentir, connaître ma colère. Je devais
l’évacuer de mon système et me souvenir du tableau global : que nous sommes tous
ici pour apprendre ce qu’est l’amour et souvent, le processus, c’est en apprenant ce
que l’amour n’est pas.
Je travaille avec un orphelinat au Cambodge. L'homme qui dirige cette organisation,
Scott, était le président de Fox International. Il a commencé à faire du yoga, puis il a
participé à une retraite, et au milieu d'une posture de yoga, il a craqué. Et il a dit : ‘’Je
déteste ma vie, je déteste ce que je fais, il n’y a ni but, ni sens à ma vie. Je pense que
je dois démissionner.’’ Et j’ai pensé : Naturellement. Peut-être va-t-il rentrer chez lui
et puis rédiger un gros chèque en faveur d’une association caritative – ce qui serait
super – mais je crois qu’il va probablement simplement continuer sa vie et peut-être
méditer un peu plus qu’avant. Je me trompais. Il a quitté la Fox, puis il a vendu sa
belle demeure, son bateau et sa Porsche et à présent, il vit à plein temps dans un
petit appartement au Cambodge. Il y vient juste d’ouvrir son cinquième orphelinat. Il
n’a plus d’argent, mais il est totalement dévoué au service des enfants.
Scott m’a emmenée dans cette décharge de 5 ha au milieu de Phnom Penh. Des
enfants de trois ans à peine y travaillent. Ils ramassent du plastique et des métaux
pour les vendre 30 cents. Seuls 25 % des enfants survivent. Ils se font écraser par les
camions, tombent dans des fosses, attrapent l’hépatite à cause des aiguilles ou du
verre sur lesquels ils marchent ou ils sont amenés à se prostituer. Scott va chercher
ces enfants et les place dans des orphelinats qui les nourrissent et les éduquent.
D'autres sont simplement déposés à la porte de l'orphelinat. Certains ont des familles,
alors il négocie avec les parents, et les enfants rentrent chez eux, le soir, mais ils ne
pourront plus jamais travailler dans la décharge.
Scott a apporté de la nourriture à la décharge et je vais chercher une bouteille de lait
de soja dans le camion. Il n’y a qu’une cinquantaine de bouteilles et je suis bientôt
bousculée par environ 200 enfants. Je n’ai jamais vu un tel désespoir, jamais, pour
une bouteille de lait. Dois-je la donner à cet enfant de trois ans qui meurt de faim ou
dois-je la donner à cette femme enceinte qui porte deux enfants ? C’était
bouleversant. Je pouvais sentir mon cœur qui battait la chamade et la colère et la
rage qui montaient. C’était tellement injuste, tellement injuste ! – des jugements
systématiques. Les enfants me prennent la main pour m’emmener dans la décharge
et en moins de trente secondes, je suis recouverte de mouches, comme tout le
monde. Je n'ai pas pu me débarrasser de cette odeur pendant environ un mois,
tellement elle imprégnait mon nez.
Je parle à un groupe d’enfants avec l’aide d’un traducteur et soudain, un jeune
garçon me prend la main. Il a l’air d’avoir huit ou neuf ans, mais en raison de la
malnutrition, il pourrait bien avoir treize ans. Il fait une chaleur torride, mais il est
couvert de foulards de la tête aux pieds pour tenter d'éloigner les mouches de son
corps. Ce que je pouvais voir de son visage était maculé par la saleté. Je le regarde en
m'attendant à ce qu'il dise trois mots en cambodgien : l'un pour l'eau, l'autre pour la
nourriture, et le troisième pour l'étude — c'est-à-dire emmène-moi à l'orphelinat.
Mais il ne dit rien. Il me regarde simplement droit dans les yeux et il me fait un petit
sourire. J'ai pensé que c'était très particulier et je lui ai rendu son sourire. Il me serre
la main, puis il la lâche et il s'en va, mais il a laissé quelque chose dans ma main, qui
était couvert de terre.
J’enlève la saleté et c’était une breloque rouge vif en forme de cœur, entourée
d’argent. Elle provenait probablement d’un bracelet de montre. Ce fut l’un de ces
moments où je reçus une merveilleuse leçon d’humilité, parce que j’étais là, croyant
une fois de plus que j’allais sauver le monde, et à la place, ce que je reçois, c’est
‘’Vraiment, chérie ? Vraiment ? Parce que, moi, ce que je pense, c’est que tu pourrais
peut-être avoir un peu besoin d’être sauvée, maintenant…’’ Cet enfant était venu vers
moi pour me dire efficacement : ‘’Souviens-toi qu’il s’agit d’amour. C’est tout ce dont
il s’agit. Il s’agit d’amour.’’ Ce cœur restera avec moi pour le restant de mes jours. Il
me rappelle chaque jour ce qu’est mon travail.
Je ne puis prétendre changer quoi que ce soit, c’est pourquoi la méditation est si
essentielle. Elle me conduit constamment à l’acceptation. Mon job, c’est d’entrer dans
l’expérience, complètement remplie d’amour et de permettre à tous ceux et à toutes
celles à qui j’ai affaire d’expérimenter que l’amour qui est en moi est aussi en eux ou
en elles.’’
CE QU’UNE SEULE PERSONNE PEUT FAIRE
Une seule personne peut faire la différence, ainsi que nous l'avons vu à maintes
reprises au cours de l'histoire. En général, la seule chose qui nous empêche de sortir
et d'agir, c’est juste notre propre sentiment d'inadéquation ou le doute. Rama Vernon
avait la vision de rassembler les gens, et en conséquence, près de 10 000 citoyens
soviétiques et américains ont participé à ses programmes de sommets des citoyens,
et pourtant, au moment où elle a commencé ce travail, elle était femme au foyer et
professeur de yoga et elle n'avait aucune idée de la façon dont elle pourrait faire quoi
que ce soit.
RAMA VERNON
‘’La guerre froide était à son apogée. La catastrophe de la Korean Airlines venait de se
produire, en nous rapprochant d'une guerre nucléaire. Quand je mettais mes enfants
au lit, ils demandaient : '’Maman, est-ce que nous allons sauter ?'’ '’Non, bien sûr que
non'’, répondais-je, en les rassurant autant que moi-même. ‘’Notre gouvernement ne
permettra jamais qu’une telle chose se produire". Et puis, grâce à mon travail
d'enseignante de yoga, j'ai été invitée à voyager avec trente autres personnes dans le
cadre d'une mission de paix en Union Soviétique. Ainsi, de façon tout à fait
inattendue, je me suis retrouvée à Moscou au centre de ce que Reagan avait appelé
‘’l'Empire du Mal’’, derrière ce que Churchill avait appelé ‘’le Rideau de Fer’’. J'ai été
élevée dans la croyance que nos pensées créent notre réalité, et ce qui m'a le plus
effrayée, c'est que je n'étais pas seule à avoir peur, que des milliers d'Américains
partageaient ces mêmes peurs, et que si un nombre suffisant d'entre nous
continuaient à entretenir de telles peurs, nous créerions la chose même que nous
craignions le plus. J'ai réalisé que la seule façon de changer un tel stéréotype que
nous avions été conditionnés à croire, c’était de faire en sorte que les gens se
rencontrent, et comme nous ne pouvions pas amener les Russes aux États-Unis, je me
suis donc résolue à introduire les Etats-Unis en Russie.
Il a fallu plus ou moins cinq ans pour développer et instaurer la confiance et créer des
liens avec les gens et finalement, nous avons organisé la première conférence
soviéto-américaine. Après cela, nous avons effectué des voyages tous les mois.
Durant tout ce processus, je suis entrée dans le dédale du système soviétique. Je
n'avais plus guère le temps de méditer pendant des heures, comme avant ; à l’inverse,
ceci introduisait la méditation au cœur de l’action et je méditais les yeux grands
ouverts. Mais c'était compliqué. Je me suis véritablement énervée contre le KGB, car
lors d'un voyage, nous avions organisé trois concerts pour Kris Kristofferson, et à
chaque fois, à la dernière minute, alors qu'il était déjà sur la scène, ils
l’interrompaient. Et pendant ce temps-là, ils m'invitaient à dîner ailleurs ! Quand j’ai
appris ça, j'étais furieuse. Je leur ai sonné les cloches, à Moscou ! Je les appelés à
minuit, vraiment énervée et je leur ai dit : "Ça suffit ! Vous n'allez plus faire ça. Vous
ne pouvez pas continuer avec ces vieux schémas. Ça ne marche pas !’’ Je suis allée
voir d'anciens membres du KGB, et je leur ai dit : "Vous devez arrêter ça maintenant !"
J'ai élevé la voix très, très haut. Par la suite, ils ont dit qu'ils avaient tremblé pendant
des mois, quand ils apprenaient que j'étais à Moscou. Ils avaient les jetons ! C'était
quand j’utilisais consciemment la colère comme outil du changement.
Je suis allée en Russie quarante-neuf fois en sept ans. Lors de notre dernière visite, un
membre de l'équipe de Gorbatchev a dit : "Vous avez donné votre vie, tout, pour
notre peuple. Certains ont essayé de vous couper l'herbe sous le pied ou de vous
poignarder dans le dos, mais vous avez continué et vous ne vous êtes laissée arrêter
par rien, et maintenant, notre peuple est libre". Cependant, au même moment, il y
avait une grande dépression là-bas. Les gens affluaient vers les villes à la recherche
de nourriture. Il n'y avait pas de chauffage dans notre grand bureau. Nous étions
assis avec nos gants et nos manteaux, et nous pouvions voir notre souffle dans l'air,
et j'avais même peur de pleurer, parce que je pensais que mes larmes pourraient
geler. J'ai dit : "Je suis triste, parce que les gens ont faim". Il m'a répondu : "Votre
mission ici était de libérer notre peuple, pas de le nourrir".
Je n'avais pas prévu de faire cela. J'avais toujours pensé que si je pouvais juste
méditer et trouver ma propre paix, ce serait le plus beau cadeau que je pourrais offrir
au monde. Quand toute cette affaire russe a commencé, j'ai su que ma vie allait
changer et que je marchais sur le fil du rasoir. Je ne cessais d'avoir une vision où
j’empruntais des sentiers dans la jungle en coupant les broussailles, puis j'arrivais au
bord d'une falaise. Quand je regardais, l'autre côté était très loin, mais si je regardais
en arrière, le chemin s'était refermé derrière moi. Je me tenais au bord, avec un
précipice obscur en dessous, et l'autre côté était si loin qu'il faudrait un saut
quantique de conscience pour pouvoir l'atteindre. J'ai eu cette vision pendant quatre
mois, à répétition.
J’ai finalement rassemblé toutes mes forces et tout mon courage, tout ce que j’avais
en moi après des années de discipline yoguique et de méditation – et même alors, je
ne savais pas si j’aurais cette témérité. J’ai rassemblé le tout et je me souviens avoir
fait le bond, tout en sachant que je ne pourrais peut-être pas m’étirer suffisamment
loin pour atteindre l’autre côté — mais il fallait que je le fasse. Alors j'ai sauté, sans
tomber. J’ignore comment je suis arrivée dans cet autre endroit de la conscience,
mais j'ai franchi une énorme frontière de peur en moi. On ne peut pas faire un tel
travail, si l’on n’est pas prêt à tout donner. Dans les années qui ont suivi, les généraux
soviétiques avec lesquels j'avais traité m'ont qualifiée de femme courageuse, parce
que je suis allée quatre fois là-bas, alors que j'étais enceinte, et que j'avais ensuite
amené ma fille de trois mois. Mais je n'étais pas courageuse. Mes genoux tremblaient,
de peur de commettre une erreur qui heurterait les gens.
Aller sur le front est devenu ma pratique spirituelle. Ce que nous faisons dans le yoga,
c'est prendre une posture et nous familiariser avec elle, puis nous passons à la
posture suivante, qui représente l'inconnu. Ensuite, cela devient le connu, et nous
adoptons une nouvelle variante, qui est de nouveau l'inconnu. Nous sommes donc
toujours en train d'élargir notre conscience jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de limites. Au
moment où nos frontières disparaissent, en percevant le monde comme une seule
famille globale, nous ne pouvons plus jamais nous faire la guerre. Si nous laissons les
violations des droits de l'homme continuer, nous perpétuons le problème par notre
inaction."
MILITANTISME POLITIQUE
L'action politique est profondément influencée par nos principes et par nos
convictions. Le fléau de la Chine qui envahit et qui régit le Tibet est une situation qui
a provoqué la colère de nombreuses personnes, beaucoup de violence et
d'innombrables morts. Ce problème a toujours été cher au cœur de Kirsten, alors
lorsqu’une opportunité s'est présentée de participer à une manifestation pacifique,
elle n'a pas su résister. Les autorités chinoises étaient dans un camp de base au Népal
et elles se préparaient à faire passer la flamme olympique par le Tibet. Le monde
entier allait regarder, et c'était donc l’occasion idéale de leur voler la vedette.
KIRSTEN WESTBY
‘’Nous nous rendions au camp de base du Mont Everest. Je devais rencontrer Tenzin
Dorjee, premier Tibétain en exil à retourner au Tibet pour y faire une manifestation
très médiatisée. Je pris un vol pour la Chine. Je cherchais un Tibétain qui tenait un
bouquet de fleurs, et il était supposé chercher une fille qui portait un foulard orange.
Notre histoire était la suivante : nous étions deux amis très proches en vacances pour
une dizaine de jours. Il y avait d'autres personnes dans le groupe, mais nous ne les
avons rencontrées qu’ultérieurement.
Le matin de la manifestation, nous avons beaucoup médité, car j’en avais bien besoin
pour ce que nous nous apprêtions à faire. Tout en marchant l’heure et demie de
marche jusqu’au camp de base, depuis l’endroit où nous avions séjourné, Tenzin
chantait le Tara mantra. Nous manifestions contre le projet chinois d'amener la torche
olympique au sommet de l'Everest, de la faire passer à Lhassa et devant le palais du
Potala. Nous voulions montrer que le Tibet ne fait pas partie de la Chine. Nous avions
une bannière, que nous avions transportée en pièces détachées, puis assemblée à
différents moments dans différentes chambres d'hôtel. Une partie de la bannière
proclamait "FREE TIBET", et elle était écrite en tibétain et en chinois. Le simple fait de
dire ça à l'intérieur du Tibet est punissable de dix ans de prison et je portais cette
pièce dans mon soutien-gorge.
Lorsque nous sommes arrivés là, la montagne était entièrement couverte de brume.
Nous nous sommes mis à prier, à réciter des mantras et à faire tout ce en quoi les
gens croyaient pour honorer les dieux de la montagne et puis soudain, les nuages se
sont fendus, le vent a cessé de souffler et les caméras ont pu fonctionner. Le soleil est
apparu au-dessus de la crête et il a rayonné sur nous. Nous avons déployé la
bannière qui disait ‘’ONE WORLD ONE DREAM FREE TIBET 2008’’, et nous avons
chanté l'hymne national tibétain. Ceci fut retransmis en direct à New York et par
Radio Free Asia, que la plupart des Tibétains écoutent dans le monde entier, et
apparemment les gens se sont levés, ont tiré leurs chapeaux et se sont mis à pleurer,
car leur hymne n'avait plus été chanté publiquement au Tibet depuis l'invasion
chinoise, il y a plus de cinquante ans.
Malgré cette manifestation bien organisée, nous avons été pris et nous avons été
incarcérés dans une prison chinoise durant cinq jours. Ils nous ont déplacés la nuit
dans des véhicules séparés. Une gardienne ne cessait de me susurrer à l’oreille : ‘’Tu
ne reverras plus jamais ta famille et tu vas passer le restant de ta vie en prison !’’ Cela
m’a cassée en moins de vingt minutes. Ils nous faisaient regarder pendant qu'ils
emmenaient un de nos amis dans une autre pièce et alors, on entendait crier. Nous
étions terrifiés à l'idée d'être torturés. A un moment donné, j'ai vu tout le monde être
tiré en dehors des voitures, sauf moi, et j'ai entendu mon amie Shannon crier,
"Arrêtez, vous me faites mal !". J'ai enjambé quelqu'un, j'ai sauté de la voiture et je
me suis mise à courir tout autour de la cour de la police, au milieu de nulle part à 3
heures du matin, comme un poulet à qui on aurait coupé la tête, en les traitant de
tous les noms. J'ai utilisé tous mes gestes de basketteuse pour éviter au moins une
dizaine de policiers qui tentaient de me coincer. J'avais réellement perdu la tête !
Mais alors, j’ai entendu un autre manifestant qui a juste dit : "Pense aux ondes qui se
propagent tout autour du monde, en ce moment. Les gens entendent parler de nous
et ils prient pour nous. Pense à toutes les personnes qui vont entendre parler du
Tibet demain matin et qui n'ont peut-être jamais entendu parler du Tibet auparavant.
Accroche-toi à ces ondes et ne laisse pas ceci te déphaser.’’
A partir de là, je me suis complètement ressaisie. J’ai retrouvé la tête et je me suis
reconnectée. Il s’en est suivi environ cinquante-cinq heures d’interrogatoire, sans
nous laisser dormir et sans nous donner à manger. Ils nous ont gardés dans une pièce
surchauffée sans nous laisser enlever nos couches de vêtements du camp de base et
on crevait de chaud, on transpirait, et j’avais cette horrible éruption cutanée sur les
fesses, après avoir été brinquebalée pendant douze heures dans des véhicules, mais
pendant tout ce temps-là, j’ai tenu bon. Je n’ai plus craqué. Je n’ai pas pleuré. Je
m’étais plongée dans cet endroit tranquille à l’intérieur et je n’ai plus craqué.’’
ÊTRE AVEC CE QUI EST
Ce que nous avons vu dans ces histoires, c’est la contradiction apparente d’être avec
ce qui est, combiné avec un profond désir de changement. L’un de nos maîtres de
méditation a dit que nous devons absolument être en paix avec ce qui est et que
nous devrions aussi nous dresser et protester contre l’injustice. Il s’agit d’unir la
passivité et l’activité, l’être et l’agir. Dans l’acceptation de ce qui est, nous trouvons de
l’espace, du détachement. Si nous n’acceptons pas ce qui est, si nous luttons contre,
personne ne gagne. Dans cet espace, l’action contemplative a la possibilité d’apporter
un changement réel. En étant avec ce qui est dans le moment présent, nous avons la
capacité d’entrer dans des zones de douleur, voire même de torture et d’en
témoigner.
BERNIE GLASSMAN8
‘’Auschwitz a exemplifié une manière de se débarrasser des autres en les tuant tous.
La première fois que j'ai guidé une retraite à Auschwitz, j'ai invité des personnes de
diverses traditions, des enfants de survivants, d’officiers SS et de commandants de
camps, des gitans, des homosexuels…Il y avait autant de diversité que possible. Dans
notre société, nous fabriquons des peuples et des gens, nous en emprisonnons
certains, nous en pendons d’autres, nous en tuons et nous en évitons beaucoup, mais
là, nous nous sommes assis ensemble et nous avons partagé, et à la fin de la retraite,
nous n’étions plus qu’une seule famille dans toute notre diversité. Essayer
d’expérimenter l’unité avec ce qui s’était passé là fut très fort. Auschwitz vous amène
à un endroit où vous ne pouvez pas rationnellement concevoir ce qui se passe, votre
mental ne peut pas le cerner, et donc vous glissez dans cette inconnaissance et
quand vous vous y ouvrez, vous faites l'expérience de l'unité".
8
Bernie Glassman était un maître et un auteur zen américain, pionnier d’un zen socialement engagé.
FLEET MAULL9
"Les gens viennent de toute l'Europe et des États-Unis — des chrétiens, des
musulmans, des bouddhistes, des juifs, des enfants, des personnes qui ont perdu des
membres de leur famille à Auschwitz. Nous avons eu des enfants d'anciens gardiens
nazis de là-bas. Nous passons cinq jours dans le camp. Nous formons un cercle de
méditation sur le site du triage et nous méditons là deux fois par jour, puis nous
lisons les noms des personnes qui sont mortes là. Nous récitons une prière juive pour
les morts plusieurs fois par jour en différents endroits. Nous effectuons des services
religieux et des cérémonies de purification et nous déambulons en prenant le pouls
des lieux. Je pense que la majorité des gens qui viennent s'adonnent à un genre
d'assise silencieuse, qui constitue le contexte le plus fort de cette retraite, qui capte
tout le monde. Il y a d'autres éléments de la retraite, mais c'est vraiment l'assise sur le
site du triage qui réunit le plus profondément tout le monde".
En nous faisant témoins de la douleur, qu’elle soit passée ou présente, nous créons
l'espace nécessaire à la guérison. La douleur est vue et entendue ; elle devient
connue. Nous ne pouvons pas toujours appliquer une compréhension logique à ce
dont nous sommes témoins ; au lieu de cela, cela nous amène plutôt à ce lieu
d’inconnaissance, mais à partir de là, nous pouvons intégrer tout ce qui a besoin
d'être intégré. Connaître quelque chose construit les frontières de l'identification c'est une sécurité limitée ; l’inconnaissance nous laisse grand ouvert et beaucoup plus
disponible et inclusif.
ROSHI JOAN HALIFAX10
‘’Que signifie se situer dans l’inconnaissance ? Cela signifie se situer dans l’ouverture
absolue et l’esprit du débutant, dans ce que les mystiques chrétiens appellent
l’expérience de l’amour ou de la non-dualité ou le nuage d’inconnaissance. Cette
inconnaissance est une chose si miraculeuse et si fraîche. Ce n’est pas comme un
esprit qui repose sur des concepts ou sur des idées ou qui cristallise nos pensées ou
nos croyances. Il est simplement très ouvert et réceptif, à l’image de l’esprit d’un
enfant. Dans cet esprit d’inconnaissance, nous sommes présents à la joie et à la
souffrance du monde, sans nous attacher à des idées fixes sur la manière dont sont
les choses. Mais être le témoin d’une telle souffrance, être réellement présent
d’instant en instant réclame une action compatissante, qui est la capacité de pouvoir
répondre aux choses, juste telles qu’elles sont. Ces trois éléments – se situer dans
9
Fleet Maull est un ancien prisonnier et un maître de méditation bouddhiste qui a fondé le Prison Dharma
Network et la National Prison Hospice Association, aux Etats-Unis.
10
Joan Halifax est une roshi zen, anthropologue, écologiste, militante des droits civiques, soignante en hospice,
et elle est l’auteure de plusieurs livres sur le bouddhisme et sur la spiritualité.
.
l’esprit d’inconnaissance, être témoin et agir avec compassion – nous permettent
d’accompagner chaque situation. Si par exemple, je dois aller à l’hôpital pour rendre
visite à un ami qui est très malade, je voudrai entrer dans cette chambre d’hôpital
avec l’esprit du débutant, un esprit d’inconnaissance et à ce moment-là,, je pourrai
participer à son expérience sans aucun jugement, ceci étant ce qui est. Alors, je
pourrai répondre d’une façon qui pourra donner une perspective à son expérience et
l’aider à l’accepter.’’
Lorsque nous sommes témoins d’une injustice, nous pouvons réagir de trois
manières : en ne faisant rien, en réagissant à cette injustice par une dose égale de
colère, ou en observant avec compassion et calme, tout en protestant contre
l’injustice. La méditation nous relie si profondément à tous les autres êtres que nous
ne pouvons pas simplement rester les bras croisés et ne rien faire face à l’injustice,
pas plus que nous ne pouvons répondre avec une quelconque violence. Le besoin de
protester et d’exprimer son désaccord, et de le faire d’une manière qui n’engendrera
pas des maux supplémentaires, est puissant et incontournable.
SILVIA BOORSTEIN11
‘’J’ai été arrêtée pour la première fois de ma vie à la veille de l’invasion de
l’Afghanistan. J’étais à San Francisco avec un groupe de membres du clergé qui
organisait une veillée de paix devant les bâtiments fédéraux et nous faisions un
sitting de désobéissance civile. Tous les membres du clergé portaient l’habit du clergé
approprié, de sorte que l’on savait qu’il s’agissait de personnes religieuses qui étaient
agenouillées là. Nous avons été arrêtés pour avoir bloqué l’entrée et détenus pendant
deux heures, mais cela indiquait bien que dans le cadre de notre engagement à voir
la vérité sur la vie et la souffrance, et à nous occuper des maux des gens dans le
monde, nous devons également prendre position socialement. Nous devons sortir et
protester contre les événements politiques. Nous devons participer à des piquets de
grève, à des veillées de paix, à des marches pour la paix12 et signer des pétitions.
Méditer ne signifie pas être en dehors de la mêlée, mais être capable d'entrer dans la
mêlée avec un esprit clair, sans haine dans notre cœur, sans faire de l'autre notre
ennemi ; c'est faire une déclaration au nom d'un monde paisible qui émane
réellement d'un cœur paisible.
La méditation a une obligation d’action sociale. Nos yeux sont ouverts. Nous pouvons
voir ce qui se passe dans le monde. Il est effrayant de sortir et de se faire arrêter,
11
Sylvia Boorstein est psychothérapeute, enseignante bouddhiste et l’auteure de plusieurs livres sur le
bouddhisme.
12
A ce propos, on pourra consulter le très bel article intitulé ‘’La marche pour les valeurs touche le cœur de
Toronto’’, de Radio Sai Global Harmony. C’est une marche qui est organisée chaque année, et d’autres villes lui
ont emboité le pas, de par le monde. https://saiuniverse.sathyasai.org/topics/public-outreach/walk-forvalues/, NDT
d'être menotté et de devoir s'asseoir sur un sol en ciment, mais la méditation nous
donne la force et le soutien. Si vous voyiez vos enfants s'entretuer dehors, alors vous
ne les laisseriez pas faire ; vous sortiriez en courant pour leur dire d'arrêter. De la
même manière, si nous voyons des gens s'entretuer et ruiner le monde, nous devons
nous précipiter et dire "s'il vous plaît, ne faites pas ça", et nous devons le faire, de
sorte que les dommages n’augmentent pas plus.
J’ai 71 ans et je ne serai plus là, lorsque les calottes glaciaires auront totalement
fondu, comme ce sera le cas pour mes enfants ou pour mes petits-enfants, mais je
peux faire une différence. Nous partageons ce petit monde et ce qui arrive de l’autre
côté m’arrive à moi aussi.13
NE PAS RÉPARER CE QUI N’EST PAS CASSÉ
Ultimement, l’activisme contemplatif consiste à percevoir la plénitude dans les parties
brisées, à entretenir la vision de l’unité, alors même que nous protestons contre
l’ignorance résolue à détruire. Rien n’est cassé essentiellement, rien n’a besoin d’être
changé, la plénitude est présente, chaque fois que nous choisissons de nous
concentrer dessus. Nous gardons cette vision équanime afin que l’ignorance n’ait
aucun pouvoir de levier.
RABIA ROBERTS
‘’J’en suis arrivée à voir que le fait de réparer ou d’aider implique une sorte de
déconnexion : vous êtes cassé et je viens pour vous réparer, ce qui signifie que je suis
meilleure que vous. Servir le monde signifie que je sers avec mes blessures, avec
humilité, et que je sers quelque chose de sacré, et pas parce que c’est cassé. La
première chose à faire, c’est venir, simplement se rapprocher de la douleur, des
désaccords, des conflits. C’est ce que nous avons fait en 1987, au Nicaragua. Nous
avons été dans la zone de guerre au Nicaragua pour être témoins de la souffrance
que la population subissait de la part des contras qui étaient soutenus par le
gouvernement américain. Nous en avons été témoins. Nous étions présents, nous
avons vu et nous avons écouté. La méditation vous entraîne à être présent aux
pensées, aux sentiments et aux actions qui surviennent, sans commentaire,
intervention ou interférence. Nous pouvons alors poser des questions bienveillantes :
De quoi souffrez-vous ? Que pouvons-nous faire pour vous ? Nous écoutons
attentivement dans le respect et l’ouverture. C’est le cœur de la méditation — vous
13
Sur ce thème, on pourra aussi consulter l’article de LLewellyn Vaughan-Lee, ‘’La responsabilité spirituelle en
temps de crise globale’’, NDT.
ne pouvez pas méditer sans accueillir ce qui vient, faire tomber tous les murs, tout le
savoir, ni écouter profondément."
L’activisme contemplatif émane de la conscience que nous ne sommes pas différents
des autres, que nous sommes tous victimes de l'avidité et de la haine, et cependant,
nous avons aussi cette même capacité à nous élever au-dessus de cela pour donner
et pour prendre soin des autres. Et dans son intention la plus pure, l'activisme
consiste simplement à sensibiliser, à compatir et à embellir les endroits qui en ont
besoin.
ELIAS AMIDON14
"Ce que j'ai constaté chez les personnes qui sont de vrais croyants ou des
fondamentalistes, qui se sont simplement très fortement attachées à leur point de
vue particulier, c'est qu'il y a quelque chose au cœur de leurs croyances qui est très
précieux pour elles, quelque chose qui leur est très cher. D'une certaine façon, nous
avons tous un cœur innocent. Le cœur est tendre, même s'il est immature, et si elles
sont confuses, égarées ou tortueuses, il y a quelque chose qui leur tient
profondément à cœur.
Nous sommes des expressions de ce merveilleux silence qui est derrière tout. Les
soufis ont un mot, ‘’ihsan’’, que l’on traduit parfois par de bons actes ou par de
bonnes actions, mais la traduction que je préfère est ‘’ce qui est beau’’. Que la
gestuelle de notre vie soit telle que, même si cela ne change rien du tout, au moins
chaque geste ait sa propre beauté. C'est tout ce que nous pouvons faire. Alors la
beauté de notre vie s'harmonise avec la beauté de l’univers et s'y ajoute.15 La
14
Elias Amidon est un pir soufi qui mène une vie engagée aux facettes multiples. Il a notamment travaillé
comme instituteur, charpentier, architecte, professeur, écrivain, éducateur à l'environnement, militant pour la
paix, guide nature et enseignant spirituel, et il a fondé, cofondé ou aidé à développer plusieurs écoles ou
instituts et divers programmes aux Etats-Unis. Il a aussi travaillé pendant de nombreuses années dans les
domaines de la paix et de l'activisme environnemental au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est et il continue à
voyager dans le monde entier pour enseigner la voie soufie.
15
Le maître spirituel franco-bulgare, Omraam Mikhaël Aïvanhov, disait : ‘’Un geste n’est jamais isolé, un geste
est l’aboutissement de toute une histoire qui montre comment on s’est développé, comment on a vécu, senti,
agi. Oui, un simple geste. Pour celui qui sait le situer, un geste est le reflet de tout un monde, la conséquence de
tout un enchaînement de pensées, de sentiments, d’actes préalables. Tant qu’ils ne sont pas habitués à faire ce
genre d’observations, les humains qui voient un phénomène isolément, ne peuvent comprendre le sens profond,
caché, de toutes les manifestations : formes, mouvements, couleurs, sons, paroles, regards…Ils doivent
apprendre cette science de l’unité qui leur révélera le lien entre toutes les choses’’.
Et l’Allemand, Karlfried Graf-Dürckheim disait : ‘’La constitution corporelle d’un homme, les gestes qui la
manifestent, expriment l’homme de façon certaine et fort nuancée : on sait ainsi dans quelle mesure ‘’il est là’’,
comment ‘’il est là’’ et ‘’s’il est là’’ en conformité avec son Être authentique, ou non’’.
Et encore : ‘’ Le point atteint par l’homme dans sa maturation sur la voie de l’intégration avec son Être essentiel
s’exprime dans sa façon ‘’d’être là’’. Ainsi, un homme qui du point de vue corporel est malade, peut ‘’être là’’ de
façon juste, c’est-à-dire qu’il est perméable à son Être essentiel. Inversement, un sportif en parfait état physique
peut ‘’être là’’ de façon erronée, par exemple par une attitude arrogante et pleine d’illusions sur soi. Cet
méditation est au cœur de tout cela, la méditation ne consistant pas uniquement à
s'asseoir tranquillement, mais à faire sauter cette distinction primitive entre soi et
l'autre, à supprimer la limite ou la frontière. Cela peut se produire en s'asseyant
tranquillement, mais également au milieu de l'action dans le monde. C'est pourquoi
je ne vois pas de réelle division entre la méditation et l'action contemplative."
LA PRATIQUE DE LA MÉDITATION : COMBLER LE FOSSÉ DE
L’ALTÉRITÉ
ELIAS AMIDON & RABIA ROBERTS
‘’Tout activisme requiert de l’engagement. Nous répondons à un appel intérieur, celui
de prendre soin, de soulager la souffrance et de faire de notre vie une bénédiction
pour autrui.16 La plupart des formes d'activisme nous engagent auprès de ceux que
nous considérons comme '’autres’' - des personnes ou des groupes avec lesquels
nous pouvons être en désaccord ou qui nous mettent mal à l'aise. L'activisme
contemplatif vise à combler ce fossé d'altérité entre les gens et à nourrir la guérison
personnelle et communautaire. Cette pratique nous permet d'appliquer cette
compréhension à notre propre vie.
IDENTIFIER L’AUTRE
Commencez par vous asseoir confortablement dans un endroit calme. Vous pouvez
utiliser une technique de méditation qui vous est familière pour calmer votre esprit.
Une fois que vous vous sentez bien installé, posez-vous cette question : Qui est
"l'autre’’ dans ma vie ? Qui est-ce que je désapprouve, en qui n’ai-je pas confiance ou
avec qui est-ce que je ne me sens pas en sécurité ? Il s'agira très probablement d'une
personne avec laquelle vous évitez généralement d'entrer en contact.
ENTRER EN CONTACT
homme-là est coupé de son Être et bloqué sur la voie du devenir intérieur. Cet état ‘’juste’’ de l’homme n’est
jamais une structure définitive mais une formule de mouvement, donc de vie, de l’homme tout entier. Il reste,
en elle, ouvert à son Être authentique, même dans cette forme conditionnée, temporelle. Cela signifie qu’il est
capable de suivre la poussée de son Être qui cherche à se manifester. Cela signifie qu’il est capable de se garder
dans un état de disponibilité permanente qui rend possible la métamorphose, afin d’être de plus en plus
perméable à l’ETRE. Cette disposition se révèle et se développe dans l’unité du geste. De même qu’on peut
parler d’un ‘’état juste’’, on peut parler d’un ‘’geste pur’’ par lequel se manifeste ‘’l’état juste’’, NDT.
16
A ce propos, il m’apparaît que pour ce faire, il est très important de connaître ce que la Bhagavad Gita
appelle son swadharma ou devoir personnel de l’homme, qui est bien détaillé dans l’article de Swami
Abhayananda intitulé, ‘’Le swadharma ou devoir personnel de l’homme dans la Bhagavad Gita’’, NDT.
A présent, prenez l'engagement de contacter cette personne ou ce groupe d'une
manière appropriée. Il pourra s'agir d'engager la conversation avec des sans-abri ou
avec une personne appartenant à un groupe dont vous êtes fondamentalement
opposé aux croyances. Il pourra s'agir de prendre contact avec un membre de votre
propre famille qui vous a fait souffrir et dont vous vous êtes senti étranger. Quel que
soit votre choix, engagez-vous à prendre contact en temps et lieu opportuns.
FIXER VOTRE INTENTION
Le jour où vous remplissez votre engagement, commencez par une période de
contemplation durant laquelle vous faites le vœu d’écouter l’autre en profondeur,
sans jugement, ni reproche. Respirez calmement et reposez dans votre
inconnaissance essentielle – le fait est que nous connaissons rarement la vérité sur la
vie des autres, telle qu’ils la voient. C’est l’occasion de faire l’expérience directe de la
réalité de la vie d’un autre sans besoin de réagir, corriger ou régler quoi que ce soit.
Au moment de votre rencontre effective, vous souhaiterez peut-être expliquer
pourquoi vous avez voulu vous rencontrer, par exemple votre désir de mieux les
comprendre, sans jugement ni polémique.
POSER DES QUESTIONS BIENVEILLANTES
Vous êtes maintenant prêt à combler le fossé de l'altérité. Ici, vous posez simplement
ce que l'on appelle des "questions bienveillantes", qui révèleront graduellement ce
qui compte le plus pour cette personne. La clé pour les poser réside dans votre
capacité d’écoute en profondeur et sans jugement. En écoutant, vous pourriez
prendre conscience de la douleur que cette personne a endurée, de ses déceptions
ou de son chagrin, de son désir de bonheur qu'elle a essayé de satisfaire ou de ce
qu'elle apprécie le plus, et de la manière dont ces valeurs ont influencé ses actions. Si
le désir de corriger ou d’argumenter surgit en vous, remarquez cette impression et
respirez profondément.
Voilà votre pratique, une simple présence face à ce que vous ne connaissez pas ou
face à ce que vous ne comprenez pas. Soyez gentil ici - vous n'essayez pas de
convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Le contexte dénué de jugement de
vos questions bienveillantes ouvre un espace dans lequel toutes sortes de révélations
peuvent se produire. L’idée essentielle de cette rencontre contemplative n'est pas de
changer le point de vue de quelqu'un. Il s'agit de combler le fossé d'altérité qui s'est
creusé et de permettre l'émergence de possibilités de guérison plus profondes.’’
Partage-pdf.webnode.fr