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TOUTE LA PLANÈTE EST CONCERNÉE PAR L'ETHIQUE - SUSAN MURPHY

TOUTE LA PLANÈTE EST CONCERNÉE PAR L’ÉTHIQUE
SUSAN MURPHY
Le Dr Susan Murphy est une enseignante zen australienne, ancienne productrice de radio
indépendante, réalisatrice de films et l'autrice de plusieurs livres, dont ‘’Minding the Earth, mending
the world : Zen and the art of planetary crisis’’, duquel provient cet extrait.
Une réévaluation éthique de la manière dont les lois et les gouvernements humains sont en
mesure de protéger et de servir les biens communs dont dépend l'ensemble de la
communauté de vie - à savoir un climat fiable, de l'air pur, de l'eau propre, de l'espace vital,
des sols fertiles et des écologies résilientes - ne nécessite aucune défense philosophique
approfondie. Car c'est là une évidence, à la base même de l'éthique humaine, que de ne pas
détruire le substrat de la vie. Les déclarations de mission des entreprises, qui sont
pratiquement interchangeables et que l'on retire rapidement de la table pour que les
affaires continuent, ne présentent aucun véritable rapport avec l'éthique. Les formules
toutes faites des relations publiques et de la communication ont dévalué la devise du
discours moral. L'idée même que l'éthique est essentielle à la survie humaine et à
l'épanouissement de la communauté doit être réhabilitée après avoir été longtemps
négligée.
Il est trop facile de vivre en faisant des dégâts, à un certain niveau. Aucune raison d'éprouver
un sérieux malaise moral, dès lors que l’unique principe qui nous motive est notre survie
exclusive en tant qu'individu et en tant qu'espèce, mais plus profondément, on paie un lourd
tribut à la peur — peur de la mort, peur de la nature et de ses représailles justifiées, peur
des laissés-pour-compte et de leur rage compréhensible, peur de tout le stress que nous
endurons pour éviter de savoir que nous ne sommes pas tout à fait dans la réalité. Tout cela
alimente des niveaux insensés de consommation et de dette sans issue. Le fait de n'avoir
aucune moralité, ni aucune option ou aucune question dans l'univers en dehors de notre
propre survie et de notre intérêt personnel fait de nous la créature la plus mortifère et la
plus impitoyable sur Terre — l'image même de l'Alien qui oblitère le visage de son hôte pour
se développer au cœur de ses entrailles.
Tant que nos comportements politiques et économiques ne voient pas d'autre alternative
que de vivre en faisant des dégâts par la croissance à tout prix, il nous faut réprimer
activement toute véritable éthique pour empêcher qu'elle ne revitalise nos cœurs.
Cette performance est réalisée en faisant
des courbettes en direction de la main
"neutre", mais bienveillante de ce dieu béni
et sans culpabilité qu'est le marché, qui
s'occupera de tout. Cela vaut, bien sûr,
lorsqu'il n'est pas en train de faire du yoyo,
de plonger ou de flouer un public docile
avec des "produits financiers"
économiquement toxiques. Une telle foi
religieuse en ce que Ronald Reagan appelait
"la magie du marché" impose de négliger à
grand peine le fait que la véritable ligne de
fond économique est la dotation unique
d'une atmosphère qui fonctionne, d'océans,
de rivières et de lacs propres, de forêts et
de sols fertiles, de ressources minérales et
l'épanouissement intelligent des êtres
humains aux côtés de plusieurs millions d'autres espèces.
L'Alien que nous sommes devenus doit se
parer de gadgets, de vêtements et
d'accessoires de marques, se délecter de
mets gastronomiques et remplir à craquer
sa maison de brol pour se distraire de la
laideur que chaque objet clinquant masque.
Cela constitue une forme virulente d'intérêt
égoïste qui dévorera la Terre — aussi
désespérément accro que ne le fut jadis
Erysichthon1. Si nous suivons le
mouvement, nous sommes comme ce roi
fou : nous nous consommons/consumons
nous-mêmes ainsi que la vie de nos
descendants. Au moins Alien s'est battu
avec acharnement pour assurer la survie de
sa progéniture. Prenons-nous seulement la
peine d'essayer de justifier le mal fait en
notre nom et les pressions exercées sur
d'autres vies par nos modes de
consommation ? La pleine mesure de notre
auto-aliénation pourrait être qu’en tant que
1
Dans la mythologie grecque, roi condamné à une faim insatiable et perpétuelle par la déesse Déméter pour
avoir abattu un magnifique chêne sacré apprécié des nymphes. Après avoir dévoré toutes ses provisions et
perdu tous ses biens, il finira par se dévorer lui-même, NDT.
culture, nous ne nous donnons guère de mal pour tenter de le justifier et préférons ignorer
totalement les questions éthiques. Selon Levinas2, c'est la justification du préjudice causé à
un autre être sensible qui révèle toujours la racine de ce qu'il faut appeler l'immoralité. En
ne cherchant même pas à justifier le mal que nous faisons, nous nous tenons strictement à
l'écart du terrain de la moralité.
Il estime que le simple fait de posséder et d'être conscient de posséder une sensibilité est un
"appel à l'éthique". Cet appel émane de la reconnaissance même de la sensibilité en soi et
chez l'autre. Avant même que des parents, des codes moraux, des lois, des traditions
sociales, des commandements ou des préceptes religieux et l'ordre social dominant puissent
nous appeler à la conscience éthique et à une plus grande considération des autres, le fait
existentiel primaire de notre sensibilité l'a déjà fait.
Alors, si nous nous tournons vers un
mode de vie terrestre et vers un univers
considéré, non pas comme une collection
d'objets, mais comme une communion de
sujets, à quoi sommes-nous appelés ? Et
le cadre éthique dont nous disposons estil suffisamment solide pour surmonter le
flot de doutes et de désespoir face à
l'énormité de ce qui nous attend en tant
qu'espèce ? Pouvons-nous parvenir à une
éthique qui comprenne non seulement la
valeur de la conservation de la nature,
mais également la force sacrée de la
proposition selon laquelle, en fait, c'est la
nature qui nous conserve ?
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2
Emmanuel Levinas, philosophe français du 20ème siècle, NDT.