Cours d'apprentissage et émotions (les trois dernières séances) Niveau: 3eme année 1er semestre de l'année universitaire 2023/2024 Enseignant: Oussama Hazami Apprentissage et émotions Introduction La tradition didactique veut qu'on aborde la question des émotions dans l'apprentissage comme conditionnement, propre à une épistémologie rationnelle, qui semble ou bien assigner les émotions à une gérance intellectuelle ou bien les négliger en les mêlant aux sentiments et aux sensations. Dans ce sens, la didactique ne se substitue point à l'emprise des idées anciennes dont nous sommes encore victimes, surtout dans nos systèmes éducatifs. Platon et Descartes, en dépit des siècles qui les séparent, pensent que les sens, les sentiments, les émotions et les sensations sont sources de tromperies et que leur dissipation serait une action fondamentale pour acquérir la connaissance. Cette épistémologie a profondément affecté à la fois notre comportement intellectuel et celui socioculturel; ce que Pierre Bourdieu appelait : « l’habitus » et qui désigne l’inconscient socioculturel. Si notre intellectualité a sombré dans les amalgames de nos habitudes, c'est parceque nous sommes encore sous l'emprise des bidimensionalités de la pensée antique et médiévale invétérée d'ailleurs par l'église catholique. Séparation entre âme et corps, châtiment de toute sensibilité et ascétisme, font l'emblème des philosophes classiques. C'est de lui que nous tenons encore nos amalgames jusqu'à nos jours. Même les théories d'apprentissage ne s'en est vraiment pas sorties. La didactique reflète les théories d’apprentissage (comme le béhaviorisme), procédant par conditionnement et dédaigne ainsi l’expression émotionnel en masse chez l’élève, en considérant qu’elle nuit profondément à la maîtrise intellectuelle de l'élève en classe. Cette tendance qu’on peut considérer bénéfique à la gérance du temps et des émotions de la part des enseignants, ne cesse de montrer énormément d’inconvénients et prive l’élève de la passion d’apprendre. Ce que l’on ignore à propos des émotions, c’est qu’elles sont l’efficience (la motricité) de la connaissance. La réflexion qui n’est pas le conditionnement de la connaissance est une action instantanée, elle aborde le phénomène sous le signe de l’interprétation. I. Petite histoire de la relation entre pensées et émotions. L'histoire de l'émotion dans la pensée philosophique ne manque point de perspicacité et de profondeur, nonobstant leur ses amalgames. La majorité des philosophes effleurent la réalité des émotions, mais que l'emprise intellectuelle de leurs époques les prive d'en atteindre le le summum. Aristot par exemple, un philosophe et un penseur hors pair (384-322 av. J.-C.) ,classe les émotions dans son ouvrage "Rhétorique" en trois catégories : émotions causées par la perception, émotions causées par la situation, et émotions causées par les paroles. Il explore comment les orateurs peuvent utiliser ces émotions pour persuader. Cette vision spectaculaire du grand philosophe grecque manquait d'une association entre émotion et conscience, ce qui était presque impossible à son époque. C'est ainsi qu'il a légué l'émotion aux ruses et aux prouesses langagières des grands orateurs. Quant à Saint Thomas d'Aquin (1225-1274), dans son ouvrage "Summa Theologica", il confonds passion et morale rationnelle en parlant d'émotions. Il prends les émotions pour des passions, et les classes en deux parties: les passions conformes à la raison qu'il intitule vertueuses et celles qui la contredisent et qu'il considère comme vicieuses. Au début du 17eme siècle, René Descartes (1596-1650) a failli décrocher le titre du plus grand penseur de l'émotion. Mais que sa philosophie blâmant les perceptions et les sens, l'a privée d'aller au bout de sa pensée afin de découvrir la nature de la relation possible entre conscience et émotions. Dans "Les Passions de l'Âme", Descartes prends les émotions pour des mouvements corporels, autrement dit, comme des réponses automatiques liées à la survie, influencées par les perceptions et les jugements. Cet automatisme sombra malheureusement l'émotion dans le sensitif et la divergea de toute action consciente et susceptible de connaissances. D'ailleurs, dans ses "Méditations Métaphysiques", Descartes accordait étrangement la connaissance à l'intuition et non pas à la raison! Baruch Spinoza (1632-1677), alla plus loin que son illustre prédécesseur en matière de penser sur les émotions. Contrairement à Descartes, Spinoza parle d'une immanence entre âme et corps et ce, par le biais de l'affect. Dans son grand ouvrage "Éthique", il considère les émotions comme des variations du pouvoir d'agir de l'individu. Son approche éthique, suggère que comprendre les émotions conduit à une vie plus éthique et raisonnable. Les émotions, pour Spinoza, sont des affects conscients. Cela signifie que lorsque nous sommes conscients des changements dans notre pouvoir d'agir, nous éprouvons des émotions. Les émotions sont donc des affects portés à un niveau de conscience. Spinoza identifie différentes émotions, telles que la joie, la tristesse, l'amour et la haine. Ces émotions découlent des relations complexes entre les individus et les idées qu'ils entretiennent. Au XlXeme siècle, Charles Darwin (1809-1882) étudie les expressions faciales liées aux émotions Dans "L'expression des émotions chez l'homme et les animaux". Il avance que les émotions ont une fonction adaptative, favorisant la survie et la reproduction. William James (1842-1910) propose plutôt la théorie de James-Lange, affirmant que les réponses physiologiques (comme l'accélération du rythme cardiaque) précèdent l'expérience émotionnelle. Il explore le lien entre le corps et l'esprit dans la genèse des émotions en tenant compte de ce qu'il appelle la réverbération végétative. En psychologie humaniste, Carl Rogers (1902-1987) insiste sur l'importance d'exprimer et de comprendre les émotions pour atteindre l'authenticité et la croissance personnelle. Il développe le concept de considération positive inconditionnelle. On développera d'avantage les théories de James et de Rogers, en abordant le thème des émotions de par les neurosciences. Il. Nomenclature et définition des émotions. 1. Définition des Émotions Définir les émotions pose toujours un défi, vu l'absence de consensus malgré les classifications variées. On considère généralement que ces expériences sont rapides et fluctuent en intensité. Elles s'accompagnent de modifications physiologiques, expressions faciales, variations vocales, et gestuelles, avec une coloration émotionnelle pouvant osciller entre le plaisir et le déplaisir. Il s'agit de souligner le fait qu'il n'existe point d'emotions négatives et autres positives, mais plutôt des émotions agréables et d'autres désagréables. Paul Ekman nous propose six émotions de base, et qui sont: la peur, la surprise, la joie, la tristesse, la colère, et le dégoût. Quelques autres spécialistes en voit encore plus, celles qu'Ekman considère comme composées, comme la jalousie, la nostalgie et l'enthousiasme. L'utilité des émotions va au-delà de l'individu qui les ressent, servant aussi à l'expression envers autrui. Leur influence sur les fonctions cognitives, les choix, et les comportements est palpable. Antonio Damasio souligne la synergie entre raison et émotion dans la prise de décision. De plus, elles orchestrent des réponses comportementales adaptées et constituent une base essentielle à la communication humaine, renforçant les liens sociaux au sein d'une communauté. Les déclencheurs émotionnels sont aussi divers que les émotions d'autrui, les situations variées, voire la fiction. Les émotions fictionnelles, qu'elles proviennent de livres, théâtre, films...etc, offrent des expériences uniques tout en contribuant à la préparation mentale pour des événements réels. 2. Conscience et fonctionnement cognitif des Émotions : Rappelons nous d'abord de la classification basique des émotions selon Ekman. On a bien précisé qu'elles en comptent six; à savoir la peur, la joie, le dégoût, la surprise, la colère et la tristesse. On remarque que les cinq premiers font preuve d'une réponse à un stimuli ou à une situation quelconque. Quant à la tristesse, elle peut relever d'une déclencheur extérieur, comme elle peut émaner d'un état d'âme intérieur et qu'on pourrait qualifier d'ambigu. L'enjeu réside en fait dans le rapport entre émotion et conscience. Au XIXeme siècle, l'émotion fût parfois considérée comme susceptible d'un trouble de conscience. Il faut attendre la date de 1884 pour que les choses commencent à changer progressivement. William James a révolutionné notre compréhension des émotions en soulignant qu'elles ne se limitent pas à des états mentaux, mais s'accompagnent de transformations physiologiques et comportementales. Il a introduit le concept de "réverbération végétative" pour illustrer ces réponses automatiques du corps face aux émotions. Selon lui, ces réactions physiologiques émergent souvent avant que nous ne soyons pleinement conscients de l'émotion en cours. En somme, la perspective novatrice de William James suggère que les manifestations corporelles préfigurent la reconnaissance consciente des émotions. Ainsi, les réverbérations végétatives; dans le langage scientifique "viscérales", n’entraînent-elles pas nécessairement un trouble de conscience. On peut comprendre par là que l’association du viscéral et du cérébral pourraient bien entrainer un état de conscience. Cette découverte ingénieuse trouvera son essort avec l'idée Cannon 1927/1928, qui conditionne l’état de conscience provoqué, en guise d'une motricité émotionnelle, par une synchronisation viscérale. La synchronisation viscérale, selon la perspective de Walter Cannon, fait référence à l'alignement des réponses du système viscéral (comme le système nerveux autonome) avec une émotion ou une situation particulière. Selon Cannon, cette synchronisation viscérale peut influencer l'état de conscience. Lorsqu'une émotion est déclenchée, le système viscéral réagit de manière coordonnée, engendrant des changements physiologiques tels que l'accélération du rythme cardiaque, la libération d'hormones, etc. Cette synchronisation, selon Cannon, pourrait être un facteur clé dans l'émergence d'un état de conscience associé à une émotion spécifique. En d'autres termes, les réponses viscérales cohérentes pourraient agir comme des signaux pour le cerveau, contribuant à la perception consciente de l'émotion. Ainsi, la synchronisation viscérale propose un lien étroit entre les changements physiologiques et l'état de conscience, renforçant l'idée que notre expérience émotionnelle est profondément interconnectée avec nos réponses corporelles. Celà nous ramène nécessairement à considérer l'émotion comme susceptible de conscience, car elle est une réponse à une situation ; encore, elle est action dans une situation. Nous savons pertinemment que situation et action font preuve indubitablement de conscience. De même, cela prouve que l'émotion est tout à fait différente des sentiments et des sensations dont l'apport semble réactif NB: a/ L'émotion est une conscience car elle est action dans une situation qui la déclanche. (L'émotion est active et non réactive). L'émotion nous provienne ainsi d'une situation extérieure. b/ Le sentiment est un état d'âme qui provient d'un déclanchement intérieur, du fond nous même, c'est ainsi qu'il serait réactif et non actif. c/ la sensation est l'expression d'un état émotif palpable sur notre cops, comme les larmes, les rougeurs, la pâleur, les frissons...etc. Elles sont aussi réactive comme les sentiments. Le fonctionnement des émotions sur le plan cognitif se fait de la manière suivante : 1ère phase : la perception sensible -C’est la phase responsable de la réception sensorielle, de l’information en relation avec le phénomène. -Il s’agit d’une idée vive plus qu’une action et prend plus de temps que la deuxième phase. Exemple: le goût d’un aliment. 2ème phase : l’interprétation des émotions -Il s’agit de la phase où l’émotion va s’emparer des idées vives apportées par la perception sensible pour les interpréter, à savoir leur donner les possibles dimensions. -Les émotions se chargent de l’effectuation des schèmes cognitifs représentant les dimensions possibles de l’objet ou du phénomène. 3ème phase : la représentation -Il s’agit de la reconstruction des schèmes cognitifs sous forme de concepts et de définitions initiant par le biais de la représentation : c’est la zone cervicale responsable de la représentation phénoménologique du monde. Cette action n’est possible que par l’intervention des schèmes cognitifs des émotions. -La représentation a pour rôle de conceptualiser les schèmes en question afin de servir de base de données, certes à renouveler. III. Manoeuvre cérébrale des émotions 1. Le contrôle par augmentation et diminution du cortex sur les émotions Le cerveau limbique, souvent appelé système limbique, est impliqué dans le traitement des émotions et la formation des souvenirs. Il comprend des structures telles que l'amygdale et l'hippocampe. Les émotions sont souvent associées à la libération d'hormones, notamment l'adrénaline et le cortisol. Lorsque le cortex, la partie plus évoluée du cerveau responsable de la réflexion et de la prise de décision, exerce un contrôle excessif (augmentation) ou insuffisant (diminution) sur les réponses émotionnelles du cerveau limbique, cela peut conduire à des actions émotionnelles non réalisées. Par exemple, une suppression excessive des émotions pourrait entraîner une accumulation de tension émotionnelle non exprimée, potentiellement conduisant à l'angoisse. À l'inverse, un manque de contrôle du cortex pourrait entraîner des réactions émotionnelles impulsives. Le cerveau limbique, constitué de structures clés comme l'amygdale, joue un rôle crucial dans le traitement des émotions. Lorsqu'un événement déclencheur est perçu, l'amygdale réagit rapidement, stimulant la libération d'hormones du stress telles que le cortisol. Le cortex, en revanche, est impliqué dans la régulation consciente des réponses émotionnelles. Des études, comme celles menées par Joseph Ledoux, spécialiste en neurosciences, mettent en lumière l'importance de l'amygdale dans l'évaluation rapide des stimuli émotionnels, tandis que le cortex préfrontal exerce un contrôle inhibiteur. Un déséquilibre, soit par une hyperactivation du cortex entraînant une suppression excessive des émotions, soit par une sous-activation conduisant à des réponses émotionnelles impulsives, peut entraîner des conséquences néfastes. La théorie de la régulation émotionnelle, développée par David M. Fresco et ses collègues, suggère que le dysfonctionnement dans la régulation émotionnelle peut contribuer à des troubles tels que l'angoisse. Une incapacité à moduler efficacement les émotions, souvent liée à des perturbations dans les connexions entre le cortex et le cerveau limbique, peut entraîner une accumulation de stress non résolu. Les approches thérapeutiques, comme la thérapie cognitivo-comportementale, visent à rétablir cet équilibre en enseignant des stratégies de régulation émotionnelle. Il est crucial de reconnaître que la compréhension de ces mécanismes est en constante évolution, mais les recherches actuelles soulignent l'importance d'une interaction équilibrée entre le cortex et le cerveau limbique pour maintenir une santé émotionnelle optimale. 2. Rapport entre les trois cerveaux; reptilien, limbique et néocortex. Paul D. MacLean, dans sa théorie révolutionnaire du cerveau tripartite formulée dans les années 1960, offre une perspective qui éclaire de manière approfondie la dynamique entre les différentes composantes cérébrales. *Cerveau Reptilien : Automatisme pour la survie naturelle primitive : Le cerveau reptilien, comprenant le tronc cérébral et le cervelet, fonctionne en automatisme pour assurer notre survie naturelle primitive. Programmé pour des réponses instinctives cruciales, cet automatisme opère souvent de manière inconsciente afin de garantir des fonctions vitales. *Cerveau Limbique : Nature de la conscience et automatisme social : Le cerveau limbique, en particulier l'amygdale et l'hippocampe, joue un rôle clé dans nos interactions sociales, assurant notre survie sociale et socioculturelle. Il opère simultanément dans la conscience émotionnelle au moment de l'action et dans un automatisme abstrait lié à notre survie sociale. Cette dualité entre conscience et automatisme caractérise l'inconscient du cerveau limbique. Abstraction pour la survie sociale : Le limbique, dans sa fonction abstraite, échappe aux mécanismes linguistiques, logiques et rationnels. Les réponses émotionnelles sont ancrées dans des connexions abstraites avec des expériences passées, formant un automatisme complexe lié à notre survie sociale. *Néocortex : Langage, raisonnement et logique : Le néocortex, siège du langage articulé, du raisonnement logique et de la pensée systématique, joue un rôle central dans la planification consciente, la résolution de problèmes complexes et la prise de décision rationnelle. Réflexion ordonnée : Facilitant une réflexion plus ordonnée et structurée par rapport aux composants plus anciens du cerveau, le néocortex permet un traitement séquentiel des informations, favorisant des réponses réfléchies et élaborées, particulièrement cruciales dans des contextes sociaux et culturels complexes. Cette vision plus nuancée offre une compréhension approfondie des interactions entre les trois entités cérébrales, soulignant comment chacune contribue spécifiquement aux aspects automatiques, émotionnels et cognitifs du comportement humain.