Antigone-enligne Marivaux, Les Fausses Confidences
© SCÉRÉN [CNDP-CRDP], 2013. Page 3
On remarque aussi dans ces scénographies un jeu sur le rapport entre intérieur et extérieur et
on pourrait opposer les mises en scène en fonction de leur manière de s’affranchir ou non de
l’espace imposé que constitue le salon de Madame Argante. Alors que la pièce est d’ordinaire
située dans un intérieur bourgeois, Jean-Louis Thamin place cette scène sur un plateau très
dégagé figurant une terrasse ouverte qui laisse la part belle aux arbres et au ciel. On peut y
voir une forme de libération pour Araminte qui cède à une attraction naturelle pour l’homme
qu’elle désire en s’affranchissant des conventions sociales, et y lire en somme une victoire de
la nature contre la culture. Cette dramaturgie du décor est encore plus nette chez Didier
Bezace qui opère au moment du dénouement un bouclage scénographique en inversant les
éléments introduits lors de l’ouverture : alors que l’acte d’exposition nous a d’abord montré
un escalier, bien vite caché par un rideau et par les murs d’une maison, on voit ici les murs
s’élever dans les cintres et l’escalier réapparaître au milieu de ce plateau nu. C’est l’escalier
qui mène à la chambre d’Araminte. Il figure l’accès à l’intimité de celle-ci, au plaisir érotique,
mais aussi l’ascension sociale désirée plus ou moins consciemment par Dorante. Une nouvelle
strate apparaît enfin lorsque le rideau de fond de scène laisse passer Dubois et reste entrouvert
pour faire apparaître les guindes et révéler la mécanique du théâtre, ses trucages et tous les
ressorts de l’illusion. On ne peut qu’être frappé par l’impression de profondeur créée par cette
scénographie qui révèle, sous l’apparence sociale, l’intimité amoureuse, et sous l’intimité
amoureuse, la réalité du théâtre.
b. Dramaturgie et direction d’acteurs
Visages d’Araminte : Jean-Louis Thamin choisit de souligner la force de caractère de la
jeune femme et la réaction violente que provoque sa décision. Cécilia Sanz de Alba campe
une Araminte très affirmée et provocante : de manière assez impertinente elle parle au Comte
en regardant Dorante, ce qui fait de cette scène une déclaration d’amour assumée, adressée à
la fois à la société et à son amant. Ses intentions sont soulignées par les mouvements qu’elle
effectue : elle couvre sa tête d’un voile de tulle en parlant de mariage et se place d’elle-même
entre les bras de Dorante. Les deux jeunes gens, habillés de blanc et enlacés, composent un
parfait tableau de mariage. Face à eux, le dépit de Madame Argante et du Comte s’exprime
avec force : elle laisse tomber sa canne, il jette son contrat.
Didier Bezace, quant à lui, équilibre subtilement les tonalités, donnant à cette fin une
profondeur nouvelle. Araminte se montre d’un grand calme : nul sourire, nul enjouement dans
son expression. Elle apparaît concentrée, son attitude exprime une forme de gravité et sa
position montre sa force : elle fait rempart de son corps pour protéger son amant. À l’inverse,
l’arrivée du Comte et de Madame Argante est traitée sur un mode résolument comique : le
Comte porte la chienne de Madame Argante qui est parée d’un ruban rose et prend des poses
lascives. Tous deux forment un couple grotesque qui s’oppose au couple Araminte/Dorante.
La hargne de Madame Argante a un effet comique à la fois par sa violence et par contraste
avec la gravité de sa fille. Ce comique revendiqué est pourtant à nouveau atténué par une
tonalité finale extrêmement mélancolique. Si le Comte se montre magnanime et s’incline de
bonne grâce devant le choix d’Araminte, la dernière image de la mise en scène nous rappelle
que la véritable victime de ce complot n’est pas le Comte mais Marton, qui a aimé
sincèrement et a été trompée. Didier Bezace choisit de la faire revenir sur le plateau à la fin de