Antigone-enligne Marivaux, Les Fausses Confidences
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Piste pédagogique 5
Marivaux, Les Fausses Confidences
Exemple d’analyse ciblée :
Acte III, scène XIII : le dénouement
1. Avant de visionner ces extraits : attirer l’attention sur une scène clef de la pièce
a. Sensibiliser l’œil et l’oreille
Tout autant que la scène d’ouverture, le nouement est un moment clef, surtout chez
un auteur comme Marivaux qui s’ingénie à faire sentir, sous la surface de la résolution
heureuse, les zones d’ombres qui subsistent derrière la mécanique bien huilée de la comédie.
C’est donc la tonalité singulière de ce dénouement qu’il importe d’observer dans chacune de
ces interprétations, en s’attachant à déceler sa part d’ambiguïté. Le metteur en scène donne-t-
il l’image d’une résolution pleine et entière du conflit ? Souligne-t-il au contraire les
frustrations et les pertes ?
En termes de dramaturgie également, le dénouement des Fausses Confidences est un
moment décisif. Dans la scène précédente, Araminte a pris conscience de son amour : elle se
l’est enfin avoué à elle-même et à son amant. La scène XII constitue de ce fait l’acmé de la
pièce, ce moment de l’aveu que l’on attendait tant. Le tour de force de Marivaux consiste
pourtant à proposer une scène XIII qui enchérit encore sur la précédente : tout reste à faire en
effet, puisqu’Araminte doit maintenant avouer publiquement son amour. On pourra observer
la manière dont elle assume de façon plus ou moins provocante sa passion devant le monde,
en l’occurrence devant sa mère et le Comte. Comment la mise en scène nous donne-t-elle à
voir les mouvements intérieurs d’Araminte ? Que nous dit-elle du désir, notamment féminin,
et de la manière dont cette jeune veuve décide de l’assumer ?
Si l’attention se porte d’abord sur les maîtres, elle se concentre ensuite sur les valets,
qui font tout le sel de la comédie. L’effet de bouclage opéré par la pièce est indéniable :
Arlequin et Dubois étaient présents dès les premières scènes de la pièce et ils en assument ici
la clôture. S’ils n’ont qu’une réplique chacun, elles constituent le mot de la fin. Comment la
mise en scène les met-elle en valeur ? On pourra considérer le choix effectué dans le
traitement du personnage d’Arlequin : son costume et son type de jeu revendiquent-ils,
détournent-ils ou actualisent-ils l’héritage de la commedia dell’arte ? Enfin cette dernière
scène des Fausses Confidences confirme le statut singulier du personnage de Dubois : quel
est, au moment du dénouement (qui est aussi celui où tombent les masques), son vrai visage ?
b. Le contexte des spectacles
Les deux mises en scène sont récentes : celle de Jean-Louis Thamin date de 2005,
celle de Didier Bezace de 2010. Elles ont toutes deux été enregistrées en public dans des
théâtres prestigieux : le théâtre Silvia-Monfort à Paris et le théâtre de la Commune à
Aubervilliers.
On sera sensible aux choix qu’ont opérés les metteurs en scène dans leur traitement du
personnage de Dubois, en particulier dans la distribution. Ce rôle, plus important pour son
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statut dans la pièce que pour la longueur de son texte, a été confié à des comédiens qui
incarnent chacun à leur manière tout un pan du théâtre : Patrice Kerbrat et Pierre Arditi. Par
un surprenant effet de mise en abyme, on remarque la tendance des comédiens qui incarnent
le personnage de Dubois à occuper aussi, simultanément ou ultérieurement, le poste de
metteur en scène. Didier Bezace, qui interpréta en 1993 le rôle de Dubois chez Christian Rist,
devient à son tour le metteur en scène de la pièce en 2010, opérant ainsi un étrange
prolongement de la fiction : le meneur de jeu devient directeur d’acteurs. On pourra relever la
manière dont chacun des comédiens rend plus ou moins sensible la distance ironique de
Dubois et dont il joue sur la connivence avec le public.
Le personnage d’Arlequin mérite aussi d’être observé en raison de la différence de
traitement dont il fait l’objet, lui qui renvoie tantôt à la tradition de la commedia dell’arte,
tantôt à une contemporanéité assumée.
Les deux scénographies ont en commun de se placer de manière à la fois ouverte et
discrète sous le signe du XVIIIe siècle, tout en se faisant le choix d’avouer leur nature de décor.
Mais on pourra rechercher en quoi l’une se donne comme pure surface, comme gravure,
tandis que l’autre se donne comme profondeur, suggérant l’espace intime et fantasmé sous
l’espace social.
2. Regarder ces extraits dans les trois mises en scène
3. Analyse :
a. L’univers scénique
Les deux décors s’inscrivent dans un XVIIIe siècle plus ou moins stylisé mais, pour cette scène
située à la fin de la pièce, Jean-Louis Thamin et Didier Bezace ont tous deux choisi
d’assombrir le plateau et de le placer dans une ambiance vespérale (Thamin) ou nocturne
(Bezace) propice au rapprochement amoureux. Chacun propose à sa manière une forme
d’épure dans la représentation de l’espace : un sol blanc carrelé, quelques colonnes et un banc
pour Thamin ; deux minces panneaux mobiles figurant une maison pour Bezace. Ce sont des
éléments de scénographie légers dont la fonction première est de rappeler au spectateur leur
nature factice dans une pièce il s’agit pour chacun de jouer un rôle : tous les éléments de
décor de Thamin sont dessinés sur des cartons blancs rehaussés de traits noirs aux étais
apparents et composent une gravure inspirée du XVIIIe siècle ; chez Bezace les deux minces
cloisons qui figurent une maison de pure convention sont facilement escamotables (on voit
Dubois « appuyer » pour l’envoyer vers les cintres, tandis qu’un escalier glisse de la cour vers
le centre du plateau). Ce qu’on observe, d’une mise en scène à l’autre, c’est une exhibition de
plus en plus nette de la théâtralité de la pièce : tout l’enjeu dans Les Fausses Confidences est
de se faire passer pour ce qu’on n’est pas, de jouer un rôle : l’espace est de plus en plus chargé
de nous le signifier.
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On remarque aussi dans ces scénographies un jeu sur le rapport entre intérieur et extérieur et
on pourrait opposer les mises en scène en fonction de leur manière de s’affranchir ou non de
l’espace imposé que constitue le salon de Madame Argante. Alors que la pièce est d’ordinaire
située dans un intérieur bourgeois, Jean-Louis Thamin place cette scène sur un plateau très
dégagé figurant une terrasse ouverte qui laisse la part belle aux arbres et au ciel. On peut y
voir une forme de libération pour Araminte qui cède à une attraction naturelle pour l’homme
qu’elle désire en s’affranchissant des conventions sociales, et y lire en somme une victoire de
la nature contre la culture. Cette dramaturgie du décor est encore plus nette chez Didier
Bezace qui opère au moment du dénouement un bouclage scénographique en inversant les
éléments introduits lors de l’ouverture : alors que l’acte d’exposition nous a d’abord montré
un escalier, bien vite caché par un rideau et par les murs d’une maison, on voit ici les murs
s’élever dans les cintres et l’escalier réapparaître au milieu de ce plateau nu. C’est l’escalier
qui mène à la chambre d’Araminte. Il figure l’accès à l’intimité de celle-ci, au plaisir érotique,
mais aussi l’ascension sociale désirée plus ou moins consciemment par Dorante. Une nouvelle
strate apparaît enfin lorsque le rideau de fond de scène laisse passer Dubois et reste entrouvert
pour faire apparaître les guindes et révéler la canique du théâtre, ses trucages et tous les
ressorts de l’illusion. On ne peut qu’être frappé par l’impression de profondeur créée par cette
scénographie qui révèle, sous l’apparence sociale, l’intimité amoureuse, et sous l’intimité
amoureuse, la réalité du théâtre.
b. Dramaturgie et direction d’acteurs
Visages d’Araminte : Jean-Louis Thamin choisit de souligner la force de caractère de la
jeune femme et la réaction violente que provoque sa décision. Cécilia Sanz de Alba campe
une Araminte très affirmée et provocante : de manière assez impertinente elle parle au Comte
en regardant Dorante, ce qui fait de cette scène une déclaration d’amour assumée, adressée à
la fois à la société et à son amant. Ses intentions sont soulignées par les mouvements qu’elle
effectue : elle couvre sa tête d’un voile de tulle en parlant de mariage et se place d’elle-même
entre les bras de Dorante. Les deux jeunes gens, habillés de blanc et enlacés, composent un
parfait tableau de mariage. Face à eux, le dépit de Madame Argante et du Comte s’exprime
avec force : elle laisse tomber sa canne, il jette son contrat.
Didier Bezace, quant à lui, équilibre subtilement les tonalités, donnant à cette fin une
profondeur nouvelle. Araminte se montre d’un grand calme : nul sourire, nul enjouement dans
son expression. Elle apparaît concentrée, son attitude exprime une forme de gravité et sa
position montre sa force : elle fait rempart de son corps pour protéger son amant. À l’inverse,
l’arrivée du Comte et de Madame Argante est traitée sur un mode résolument comique : le
Comte porte la chienne de Madame Argante qui est parée d’un ruban rose et prend des poses
lascives. Tous deux forment un couple grotesque qui s’oppose au couple Araminte/Dorante.
La hargne de Madame Argante a un effet comique à la fois par sa violence et par contraste
avec la gravité de sa fille. Ce comique revendiqest pourtant à nouveau atténué par une
tonalité finale extrêmement mélancolique. Si le Comte se montre magnanime et s’incline de
bonne grâce devant le choix d’Araminte, la dernière image de la mise en scène nous rappelle
que la véritable victime de ce complot n’est pas le Comte mais Marton, qui a aimé
sincèrement et a été trompée. Didier Bezace choisit de la faire revenir sur le plateau à la fin de
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la pièce, à l’écoute des rires sensuels qui s’échappent de l’étage, et il clôt la pièce sur cette
image de solitude amère et de mélancolie.
Dubois : spectateur, philosophe, metteur en scène ?
Marivaux accorde à Dubois et Arlequin le mot de la fin et les déclinaisons de ce couple sont
fort contrastées d’une mise en scène à l’autre.
Jean-Louis Thamin construit une opposition nette entre les deux personnages. Arlequin
assume l’héritage comique de la commedia dell’arte à la fois par son costume losangé et par
son jeu vif et impertinent (il enfourche la canne de Madame Argante pour donner à sa
réplique une connotation sexuelle), tandis que Dubois tire la fin de la pièce du côté de la
méditation : muni d’un modeste balluchon, il quitte le plateau en philosophe voyageur.
Didier Bezace choisit pour sa part de rompre avec l’héritage italien pour inscrire Arlequin
dans l’époque contemporaine. Ce personnage est incarné par un homme de petite taille au
crâne rasé qui arrive sur le plateau avec des vêtements d’aujourd’hui et un casque de moto,
autant dire sans son « costume », comme s’il était déjà sorti de la fiction. Entre lui et Dubois,
Didier Bezace instaure non plus un simple contraste comique mais une véritable concurrence,
voire une franche hostilité : les deux hommes se disputent comme deux cabots et enchaînent
les jeux de scène farcesques (menaces, aboiements, insultes). Cette scène dernière donne à
Dubois une épaisseur inédite, le présentant tour à tour comme comédien (il ôte ses cheveux
postiches), metteur en scène (il observe le déplacement des personnages, s’adresse au public,
allume la servante), voire comme l’auteur de la pièce (c’est lui qui en tire littéralement les
ficelles lorsqu’il appuie pour faire remonter le décor). Il incarne à lui seul le plaisir et
l’intelligence du théâtre.
c. Synthèse
D’une mise en scène à l’autre on voit finalement le personnage de Dubois prendre de
l’épaisseur : il est une sorte d’observateur philosophe chez Jean-Louis Thamin puis devient
une figure du metteur en scène chez Didier Bezace. Cette scène XIII a des durées très
différentes d’une interprétation à l’autre (elle dure deux minutes chez Jean-Louis Thamin et
passe à cinq minutes chez Didier Bezace), ce qui constitue un indice de l’importance qu’elle
acquiert progressivement. Cet allongement s’explique par la place de plus en plus notable qui
est accordée au personnage de Dubois : c’est sur son départ vers de nouvelles aventures que
se referme la pièce chez Jean-Louis Thamin ; chez Bezace il est le centre d’une séquence
silencieuse chargée de signifier sa maîtrise de la comédie jouée à Araminte.
Dubois n’est pas le seul à gagner quelque chose à cet allongement de la scène, ce sont
finalement tous les personnages secondaires qui s’en trouvent augmentés : Arlequin s’autorise
un comique grivois chez Jean-Louis Thamin et il se dispute avec Dubois chez Bezace. Cette
dernière mise en scène se singularise par la place qu’elle accorde à Marton dans le
dénouement alors que la jeune femme est précisément la seule, si l’on se fie à la didascalie de
personnages, qui ne devrait pas à être sur le plateau. Choisir d’en faire la dernière apparition
de la pièce, c’est souligner la cruauté de l’univers de Marivaux : le bonheur des uns se
construit sur l’amertume des autres.
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Pistes d’utilisation des documents annexes
En dehors de la mise en scène de Jean Piat pour la Comédie-Française, il existe peu de
captations intégrales des Fausses Confidences. On pourra pourtant mener un travail de
comparaison avec d’autres propositions par l’observation d’extraits vidéo ou de photographies
et par l’écoute des propos que les metteurs en scène ont tenus sur leur travail, en particulier
lorsqu’ils explicitent leur conception du personnage de Dubois.
1. Scénographies des Fausses Confidences : de l’espace plein à l’espace vide
Documents :
- Photographie de la mise en scène des Fausses Confidences par Charles Gantillon,
théâtre des Célestins, Lyon, 1959 © Archives Le Progrès.
- Maquette plane du décor des Fausses Confidences réalisé par Thierry Vernet pour la
mise en scène de Jean Piat, Comédie-Française, 1969 © Collections de La Comédie-
Française, photo : © Pascaline Noack.
- Photographie d’une scène des Fausses Confidences dans la mise en scène de Jacques
Lassalle, scénographie Yannis Kokkos, théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis, 1979
© Marc Enguérand CDDS.
- Maquette en volume du décor réalisé par Jean-Pierre Miquel pour Les Fausses
Confidences, mise en scène Jean-Pierre Miquel, Comédie-Française, 1996
© Collections de La Comédie-Française, photo : © Patrick Lorette.
Ces différents documents révèlent un dépouillement progressif de l’espace depuis la mise en
scène de Jean Piat jusqu’à celle de Christian Rist.
Le décor proposé par Jean Piat à la Comédie-Française montre un intérieur bourgeois chargé
en boiseries et en mobilier (chaises, bureaux, consoles, miroirs). Il s’agit avant tout de donner
l’illusion de l’époque et le plaisir de la reconstitution historique.
La mise en scène de Charles Gantillon au théâtre des Célestins, l’une des plus anciennes,
opère en revanche très tôt un décalage intéressant, dont on retrouvera l’esprit dans les mises
en scène ultérieures : son décor s’inscrit à la fois sous le signe de la verticalité (un escalier à
cour et un premier étage visible dans l’angle supérieur gauche de la photographie) et sous le
signe de la théâtralité (le plateau s’apparente à une salle de théâtre : on aperçoit un vaste
rideau et on devine la présence d’une loge). D’emblée, c’est le thème du jeu qui est mis en
avant dans cette scénographie et qui pointe à la fois la comédie qu’on joue à Araminte et celle
qu’elle se joue à elle-même.
Jacques Lassalle exploite pour sa part pleinement l’image de l’escalier : le plateau est tout
entier occupé par un monumental escalier aux courbes féminines qui coupe en deux l’espace,
permet des effets d’opposition ou de symétrie et symbolise autant ce qui sépare Araminte de
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