De l'intérêt de la culture in vitro pour la conservation et la valorisation de la biodiversité végétale néo-calédonienne. B. Fogliani, V. Medevielle, Saliou Bouraïma-Madjèbi Laboratoire Insulaire du Vivant et de l'Environnement (L.I.V.E.), Université de la Nouvelle-Calédonie, BP R4 98851 Nouméa Nouvelle-Calédonie e-mail : [email protected] RESUME Les menaces naturelles ou anthropiques auxquelles doit faire face la biodiversité néo-calédonienne nécessite de mettre en place tous les moyens disponibles pour la conserver. L’utilisation de la culture in-vitro permet d’envisager la multiplication rapide et en quantités importantes de plantes menacées et/ou d’intérêt économique. L’étude de quatre espèces d’angiospermes, Lavoixia macrocarpa (Palmae), Captaincookia margaretae (Rubiaceae), Geissois pruinosa (Cunoniaceae), Myoporum crassifolium (Myoporaceae), a permis à partir soit d’embryons plus ou moins matures, de cotylédons, de feuilles ou de tiges de déterminer des protocoles optimaux conduisant à la formation de nouveaux plants prêts à être acclimatés. Seule l’espèce Pritchardiopsis jeanneneyii (Palmae) reste encore aujourd’hui au stade de cals non différenciés. Deux espèces de fougères, Lygodium reticulatum et Davallia solida var. solida peuvent être également produites en quantité importante à partir de leurs spores selon une méthode qui a été déterminée. pharmacologique ou horticole est réalisée. Ainsi, des espèces de la famille des Cunoniaceae (Geissois pruionosa) [3], à potentialité pharmacologique, utilisées en restauration écologique, des fougères natives et/ou endémiques d'intérêt horticole (Davallia solida var solida, Lygodium reticulatum) [4], une Myoporaceae (Myoporum crassifolium) [5] dont l'huile essentielle fait l'objet d'un brevet, ont toutes fait l'objet d'études approfondies. 2. MATERIEL, METHODES ET RESULTATS Les études menées ayant porté sur diverses espèces et selon diverses méthodes, les données seront représentées sous forme d'une figure récapitulative pour chaque espèce considérée. 2.1 Cas des deux palmiers en danger critique Quelle que soit l’espèce considérée, la première étape a consisté à extraire l’embryon plus ou moins mature du fruit dans des conditions de stérilité optimale (Fig. 1 B-E). Il est ensuite mis en culture sur milieu de maturation MS [6] dilué ou non additionné ou non d’hormones et/ou de saccharose à diverses concentrations (agar 6g/L, pH=5.8). Mots clés Conservation, valorisation, espèces menacées, espèces d’intérêt, Nouvelle-Calédonie 1. INTRODUCTION La Nouvelle-Calédonie est considérée comme l'un des 34 "hotspots" de la biodiversité mondiale du fait de l'originalité de sa flore. Ce territoire de 19000 km2 possède, en effet, 2432 espèces de plantes vasculaires endémiques (76.4% d'endémicité) se développant au sein d'une grande variété de végétation [1]. Malheureusement, la pression anthropique a conduit à la réduction et à la fragmentation de ces écosystèmes et de fait à la réduction du nombre de populations et d'espèces végétales, en particulier des plus originales. Notre laboratoire s'est positionné depuis 1996 comme le seul en Nouvelle-Calédonie à utiliser la culture in vitro comme moyen de multiplication d'espèces en danger. Divers programmes soutenus tant par les Provinces Nord, Sud et Iles de la Nouvelle-Calédonie que par le Programme Forêt Sèche ont ainsi permis de s'attacher à sauvegarder trois espèces appartenant à des genres endémiques; deux palmiers en danger critique Lavoixia macrocarpa et Pritchardiopsis jeanneneyii [2], provenant de forêts denses humides du Mont Panié et de la Forêt Nord ainsi qu'une Rubiaceae, Captaincookia margaretae [2], provenant de la forêt sclérophylle. Cette dernière présente par ailleurs un intérêt dans le cadre de la réhabilitation de ces forêts ainsi qu'un intérêt commercial. En effet, outre l'aspect sauvegarde d'espèces rares, la multiplication d'espèces d'intérêt économique, Figure 1. Etude en culture in vitro d’embryons de Pritchardiopsis jeanneneyii. A : Pied adulte ; B : Fruit mature ; C : Fruit disséqué révélant la graine ; D : Graine disséquée révélant l’embryon ; E : Embryon ; F-H : mise en culture d’embryons sur milieu MS non dilué transplanté après deux mois sur MS additionné de diverses hormones (H) ; I-J : mise en culture d’embryon sur milieu MS non dilué additionné de dinitrophénol puis transplanté après deux mois sur MS additionné de diverses hormones (J). D’après Fogliani et al. [2]. Figure 2. Etude en culture in vitro d’embryons de Lavoixia macrocarpa sur milieu MS pendant 9 mois jusqu’à régénération d’une plante entière. D’après Fogliani et al. [2]. 2.1.1 Cas de Pritchardiopsis jeannenyii La figure 1 présente les résultats obtenus pour cette espèce. Les embryons placés sur milieu MS non dilué, additionné de saccharose à 30 g/L, présentent un développement racinaire après 2 mois (Fig. 1G). Si ce milieu est supplémenté de dinitrophenol, des cals embryonnaires se forment (Fig. 1I). Le moyen de provoquer un développement aérien est aujourd’hui encore recherché mais en attendant la production de biomasse est assurée. 2.1.2 Cas de Lavoixia macrocarpa La figure 2 présente le protocole optimal qui a permis, à partir d’embryons extraits de fruits matures, d’obtenir de nouveaux plants régénérés après 9 mois de culture. Huit milieux ont fait l’objet d’études, tous constitués de MS non dilué additionné ou non d’ABA à diverses concentrations (2, 5, 10 ng/L ; 0.01, 0.1, 1, 10 mg/L) mais aussi de saccharose à 20 g/L (agar 6g/L, pH= 5.8). Les embryons sont cultivés pendant 2 mois à l’obscurité avant d’être soit replacés à la lumière, soit conservés à l’obscurité. Il apparait que l’acide abcissique n’a pas d’effet notoire sur la germination et la croissance alors que la lumière apparait néfaste pendant les deux premiers mois mais indispensable par la suite. Figure 3. Etude en culture in vitro de Captaincookia margaretae. A : Graine ; B : Embryon ; C : Mise en culture de l’embryon ; D, E : Cotylédon (D) et feuille (E) placés sur milieu calogène ; F : Masse de cal ; G : Différenciation caulogène ; H : Séparation des parties aériennes et culture sur milieu rhizogène ; I : Développement racinaire ; J : plantule néoformée ; K : Acclimatation de la plantule. D’après Fogliani et al. [2]. 2.3 Cas de Geissois pruinosa (Cunoniaceae) La figure 4 récapitule comment à partir d’un échantillon de feuille ou de tige prélevé sur un plant adulte de Geissois pruinosa, il est possible d’obtenir un plant néoformé. Dans le cas des feuilles, un passage par un cal est indispensable sur milieu MS dilué au ½ additionné de 2-4D à 0.5 mg/l, d’ANA à 0.5 mg/l et de saccharose à 30 g/L, avant d’obtenir de nouveau une partie aérienne. Puis, la partie racinaire est développée sur milieu MS non dilué. Quant aux tiges, le milieu favorable (MS, saccharose 20g/L, ANA 0.5 mg/l, BAP 0.5 mg/L) conduit à un bourgeonnement multiple permettant d’envisager une séparation des différentes parties aériennes placées sur un milieu rhizogène de type MS non dilué. 2.2 Cas de Captaincookia margaretae (Rubiaceae) La figure 3 résume le protocole idéal à la multiplication de cette espèce. La première étape correspond à l’extraction de l’embryon (Fig. 3A&B) qui placé sur milieu MS non dilué, additionné de 30g/L de saccharose (Fig. 3C), permet d’obtenir une plantule capable de fournir cotylédons et/ou feuilles après 3 mois. Ces derniers (Fig. 3D&E) incubés sur un milieu MS dilué au ½ additionné de 30g/L de saccharose, d’ANA à 0.5 mg/L et de BAP à 0.5 mg/L (agar 7g/L) fournissent des cals (Fig. 3F). Ceux-ci sont utilisés soit pour fabriquer de la biomasse, soit pour obtenir de nouvelles plantules par différenciation en parties aériennes (Fig. 3G) qui sont alors subdivisées (Fig. 3H) et placées sur milieu MS non dilué conduisant au développement du système racinaire (Fig 3I) et à la néoformation d’une plantule entière (Fig. 3J) prête à être acclimatée (Fig. 3K). L’acclimatation se fait en trois étapes consistant en l’ouverture du tube puis le transfert dans un pot en verre plus large avant un transfert définitif en pot placé en serre. Figure 4. Etude en culture in vitro de Geissois puinosa. A : Echantillon de feuille sur milieu calogène ; B : Cal ; C : Cal après multiplication cellulaire ; D : Cal différencié en parties aériennes ; E : Séparation des parties aériennes et culture sur milieu rhizogène ; F : Bourgeonnement intensif à partir d’échantillons de tige ; G : plantule néoformée prête à 2.4 Cas des deux fougères natives d’intérêt économique : Lygodium reticulatum (Schizaeceae) et Davallia solida var.solida (Davalliaceae) être acclimatée. D’après Fogliani & Bouraïma-Madjèbi [3]. Les résultats obtenus au cours de l’étude de cette espèce ont fait l’objet d’un poster exposé au colloque et qui est présenté ici dans la figure 5. Figure 5: Poster présentant la multiplication de deux espèces de fougères natives de Nouvelle-Calédonie par utilisation de la culture in-vitro. D’après Médevielle et al. [4]. 2.5 Cas de Myoporum crassifolium (Myoporaceae), espèce d’intérêt économique Pour Myoporum crassifolium, les plants néoformés (Fig. 5 C), sont reproduits uniquement à partir de bourgeons axillaires obtenus par débourrement de boutures d’une dizaine de cm mises dans l’eau. Ces bourgeons sont placés directement sur un milieu solide de type ESA (Eau+sucre+agar) pour la sélection des explants désinfectés (Fig. 5A) puis après 15 jours sur un milieu favorable à la rhizogénèse, constitué de MS non dilué supplémenté d’ANA à 0.5 mg/L, ce choix ayant été effectué en fonction des résultats obtenus en bouturage classique. Après obtention de racines denses et longues (Fig. 5B&C), le sevrage a lieu sur un mélange terreau et sol provenant de la zone de développement du pied mère en proportion 1:1. Il s’effectue en plusieurs étapes dans un pot en verre, tout d’abord fermé (Fig. 5D) puis ouvert dans la salle de culture in vitro avant d’être transféré dans une salle non aseptisée et enfin les plants sont mis dans des pots (Fig. 5E) avant d’être transférés en serre (Fig. 5F). Chaque étape nécessitant une période d’une quinzaine de jours. Au final, la multiplication par culture in vitro, le sevrage et la croissance en serre avant d’obtenir un plant apte à être planté nécessite près de 12 mois. 3. CONCLUSION ET PERSPECTIVES L'ensemble des résultats obtenus permet de montrer combien la méthode de culture in vitro est essentielle pour prévenir l'extinction d'espèces très particulières dans le cadre de la conservation de la biodiversité des écosystèmes néo-calédoniens et de leur valorisation. Il est aujourd'hui à envisager des perspectives de production et il revient aux pouvoirs publics qui ont soutenu cette démarche d’inciter la création d’un laboratoire qu’il soit public ou privé. Le transfert de technologie de notre laboratoire vers cette entreprise se fera tout naturellement. Les fiches techniques déjà émises et les communications scientifiques y contribueront pleinement. Il ne fait en effet aucun doute que face aux enjeux environnementaux des années futures, la demande dans ce domaine ira en augmentant et il faudra la satisfaire dans un souci de conservation et de sauvegarde de la biodiversité néocalédonienne. 4. REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier les Provinces Nord, Sud et Iles de la Nouvelle-Calédonie ainsi que le Programme de Conservation des Forêts Sèches de Nouvelle-Calédonie pour leurs soutiens financiers dans le cadre de ces études. 5. REFERENCES [1] Jaffré, T., Morat, Ph., Veillon, J-M., Rigault, F. and Dagostini, G. 2004. Composition et caractérisation de la flore indigène de Nouvelle-Calédonie. Documents Scientifiques et Techniques, volume spécial II 4, Institut de recherche pour le Développement, centre de Nouméa, 133 p. [2] Fogliani, B., Bouraïma-Madjèbi, S. and Médevielle, V. 2007. In vitro germination and development of three endangered species of Rubiaceae and Palmae from New Caledonia. Biodiversity extinction crisis Conference, an Australasian and Pacific response, Sydney, Australia, 10-12 juillet 2007. [3] Fogliani, B. and Bouraïma-Madjèbi, S. 2003. Multiplication of Cunonia macrophylla and Geissois pruinosa (Cunoniaceae), species with potential economic interests growing in New Caledonian «maquis minier». Preservation and ecological restoration in tropical mining environments, Noumea, New Caledonia, 15-20 juillet 2003. Figure 6. Etude en culture in vitro de Myoporum crassifolium. A : Mise en culture sur milieu ESA (eau+sucre+agar) ; B, C : Rhizogénèse après 20 jours sur milieu MS supplémenté en ANA à 0.5mg/L ; D, E, F : Etapes de sevrage. D’après Fogliani et al., [5]. [4] Médevielle, V., Bouraïma-Madjèbi S. and Fogliani B., 2008. Multiplication de fougères natives de NouvelleCalédonie d’intérêt horticole : Lygodium reticulatum et Davallia solida var. solida. Cinquième C.I.P.A.M., Nouméa, Nouvelle-Calédonie, 3-6 novembre. [5] Fogliani, B., Médevielle, V., Klein, N., Dubois, E. and Bouraïma-Madjèbi, S. 2009. Propagation of Myoporum crassifolium Forst. f. (Myoporaceae): a new caledonian shrub with potential applications. New Forest. (soumis) [6] Murashige. T. and Skoog, F. 1962. A revised medium for rapid growth bioassays with tobacco tissue cultures. Physiologia plantarum. 15, 473-497.