research Peer-reviewed article Ecosystèmes tumoraux: implications thérapeutiques Marc Mareel et Indira Madani UER Radiothérapie et Recherche expérimentale sur le Cancer, UZ Gent, UG Les tumeurs malignes se composent de cellules cancéreuses et de cellules hôtes associées aux tumeurs, et forment ainsi un écosystème. Les tumeurs métastatiques forment, quant à elles, plusieurs écosystèmes qui communiquent en permanence. Les cellules hôtes associées aux tumeurs, qui jouent un rôle dans les caractéristiques malignes, comme l’invasion et le processus métastatique, englobent les cellules endothéliales et les péricytes, les macrophages et les leucocytes, les fibroblastes et les myofibroblastes, les adipocytes, les neurones, ainsi que les ostéoblastes et les ostéoclastes. Une partie de ces populations cellulaires provient de précurseurs recrutés dans la moelle osseuse. Sur le plan moléculaire, la communication entre toutes ces cellules se caractérise par une multitude de molécules et de réseaux souvent imbriqués. La tumeur primitive communique en permanence avec les métastases, un processus dans lequel interviennent également la moelle osseuse, le foie et les organes endocriniens. Un nouveau concept est celui de niche métastatique: des ligands provenant de la tumeur primitive et des cellules hôtes issues de la moelle osseuse préparent les sites métastatiques à l’arrivée des cellules cancéreuses. La circulation, dans laquelle on retrouve des cellules cancéreuses potentiellement métastatiques, des précurseurs de cellules hôtes associées aux tumeurs, des ligands et des récepteurs solubles impliqués dans le processus métastatique, joue un rôle essentiel dans cette communication. Les cellules hôtes sont la cible de médicaments tels que les bisphosphonates, les inhibiteurs de l’angiogenèse, les anti-inflammatoires et les immunomodulateurs. Les cellules hôtes associées aux tumeurs et leur matrice extracellulaire ont une influence sur l’effet des médicaments utilisés en chimiothérapie. Le concept d’écosystème implique que le traitement d’un certain élément, par exemple la tumeur primitive, peut avoir une influence négative sur l’ensemble du système: des effets secondaires pro-invasifs et pro-métastatiques ont été décrits pour la radiothérapie, la chimiothérapie et la chirurgie. Les auteurs plaident pour le développement d’un traitement du cancer ciblant les écosystèmes tumoraux. radiothérapie et la chimiothérapie ciblaient uniquement ces cellules cancéreuses. Aujourd’hui, les recommandations biologiques pour ces traitements reposent toujours en grande partie sur des expériences menées avec des cellules clonées («cloné» signifie «provenant d’une seule cellule»). Pourtant, cela fait maintenant déjà plus de 100 ans que Stephen Paget (1855-1926), chirurgien britannique et fils du célèbre pathologiste James Paget, s’est posé la question «What is it that decides what organ shall suffer in a case of disseminated cancer?» (Qu’est-ce qui détermine les organes qui seront touchés en cas de cancer métastatique?) et a abouti à la réponse suivante: «The microenvironment of each organ (the soil) influences the survival and growth of tumor cells (the seed)» [Le micro-environnement de chaque organe (le sol) influence la survie et la croissance des cellules tumorales (la graine)] (1). L’importance de cette théorie de «la graine et du sol», qui s’applique tant aux métastases qu’aux tumeurs primitives, ne doit pas être sous-estimée. Elle est à la base du concept actuel d’écosystème, qui façonne en grande partie notre vision de la biologie moléculaire des cellules cancéreuses et détermine de plus en plus nos stratégies thérapeutiques. Le concept d’écosystème Les tumeurs malignes, primitives ou métastatiques, se composent de cellules cancéreuses et de cellules hôtes qui communiquent en permanence et forment ainsi des écosystèmes. Les différents écosystèmes, comme les tumeurs primitives et les métastases, communiquent également entre eux. Ceci implique non seulement des réseaux intracellulaires et extracellulaires complexes au sein des tumeurs proprement dites et des organes ON0431F impliqués, comme la moelle osseuse, mais aussi une Introduction interaction entre les différents écosystèmes [pour des Les tumeurs malignes ont longtemps été considérées comme des ac- publications récentes, voir les références (2-4)]. La dor- cumulations de cellules cancéreuses, à savoir des cellules au génome mance (état de sommeil) avec dissémination tardive et modifié issues d’une ou de plusieurs cellules initiatrices de tumeurs. la spécificité des organes touchés par les métastases Dès lors, jusqu’il y a quelques décennies, des traitements comme la sont des phénomènes cliniques connus qui peuvent 1 Onco-Hemato faire apparaître le rôle déterminant joué par l’hôte. La ten- laire, il est impossible de mettre en évidence leur caractère in- dance de certaines tumeurs à envahir l’un ou l’autre organe vasif. Toutefois, l’ajout de myofibroblastes issus de la même tu- spécifique à distance n’est pas seulement déterminée par la meur déclenche une invasion manifeste (5). En répétant cette circulation sanguine, qui, par exemple, transporte les cellules du expérience avec des macrophages à la place de myofibro- cancer du côlon vers le foie par le biais de la veine porte. Une blastes, les chercheurs ont démontré que cette activité pro- analyse de plusieurs modèles de métastases suggère que divers invasive ne se limitait pas aux myofibroblastes. types de tumeurs trouvent le terrain le plus fertile pour leurs métastases dans des organes différents, tels que les poumons Figure 1: Coupe histologique d’un adénocarci- pour le sarcome, le foie pour le mélanome, la moelle osseuse nome du rectum, colorée avec un anticorps pour le cancer de la prostate et le cerveau pour les cancers du dirigé contre l’aSMA (a-Smooth Muscle Actin – poumon et du sein. Des métastases peuvent apparaître plus de alpha-actine musculaire lisse), un marqueur des 10 ans après l’exérèse de la tumeur primitive, un phénomène myofibroblastes (marron). La flèche indique les cellules cancéreuses, et la pointe de la flèche les qui s’explique par la dormance tumorale. Certaines tumeurs, lymphocytes (petit noyau sombre). telles que le cancer du sein et le mélanome oculaire, ont mauvaise réputation à cet égard, si bien que pour ces types de Figure mise à disposition par le Dr Laurine Verset, Service cancer, le terme «guérison» doit être employé avec toute la d’Anatomie pathologique, Hôpital Erasme, ULB, Bruxelles. circonspection nécessaire. Il ne fait guère de doute que les cellules cancéreuses à l’origine des métastases proviennent de la tumeur primitive, d’où elles s’échappent probablement avant que l’invasion ne devienne évidente, comme dans le cas de carcinome au stade in situ. Mais où se cachent-elles pendant tout ce temps? Des métastases hépatiques tardives peuvent se former à partir de cellules cancéreuses qui se sont implantées dans l’écosystème du foie depuis la tumeur primitive, ou à partir de cellules qui dormaient dans la moelle osseuse et qui se sont ensuite dirigées vers le foie pour s’y réveiller, se développer et évoluer en métastases cliniquement patentes. Comment l’organisme contrôle-t-il ces micrométastases? Pourquoi se réveillent-elles? Autant de questions auxquelles des analyses biocellulaires et biomoléculaires approfondies d’écosystèmes tumoraux apporteront peut-être une réponse. Les cellules hôtes associées aux tumeurs sont variées (Figure Cellules tumorales: cellules cancéreuses et cellules hôtes associées aux tumeurs 2) et se rencontrent dans la plupart des tumeurs épithéliales, L’analyse histopathologique des cancers montre clairement la (angiogenèse); elles favorisent le métabolisme de la tumeur, présence massive de cellules hôtes, qui se mélangent avec les sont indispensables à sa croissance, transportent les cellules cellules cancéreuses (Figure 1). Ces cellules hôtes accom- hôtes circulantes et permettent aux cellules métastatiques pagnent les cellules cancéreuses sur le lieu de la tumeur avant d’accéder à la circulation. L’angiogenèse est régulée par des le début de l’invasion et du processus métastatique. Il est frap- équilibres entre promoteurs tels que le VEGF (Vascular Endo- pant de constater à quel point le rapport de l’anatomopatho- thelial Growth Factor) et suppresseurs comme l’angiostatine (6). logiste accorde généralement peu d’attention à ces cellules Dans la majorité des tumeurs, l’angiogenèse est associée à un hôtes. Pourtant, des observations expérimentales et cliniques pronostic moins favorable. L’angiogenèse ne se limite pas aux montrent bien qu’elles sont impliquées dans la croissance, l’in- cellules endothéliales. Les péricytes, qui stabilisent les vaisseaux vasion et la dissémination métastatique, des caractéristiques sanguins, y participent également. Dans le cadre du cancer du qui déterminent la malignité des tumeurs. Lorsque les cellules sein, un faible nombre de péricytes (associés aux vaisseaux san- cancéreuses du cancer du rectum illustré dans la figure 1, guins) est associé à une survie réduite. Dans un modèle murin, sont isolées et disséminées in vitro sur une matrice extracellu- Cooke et al. (7) ont constaté qu’une réduction des péricytes ainsi que dans des hémopathies malignes. Les cellules endothéliales forment de nouveaux vaisseaux sanguins et lymphatiques 2 Onco-Hemato conduit à davantage de métastases. Ces auteurs concluent que, hôtes; ils sécrètent notamment le VEGF et stimulent ainsi l’angio- dans l’écosystème de la tumeur primitive, les péricytes jouent genèse. Le contexte immunologique, tel que visualisé sur la base le rôle de «gatekeepers» (gardiens) contre la dissémination des TIL, des TAM et de leurs précurseurs, constitue un facteur métastatique. pronostique majeur qui varie d’un type de tumeur à l’autre (10). Figure 2: Représentation schématique des écosystèmes communicants dans une tumeur métastatique. Les «Organs at distance» (organes à distance) sont les sites des métastases et englobent également la moelle osseuse (métastases osseuses), le foie et les organes endocriniens, qui sont également présentés de manière individuelle comme sources d’hormones et facteurs de croissance. Glucocorticoids ENDOCRINE GLANDS LIVER BONE MARROW Insulin-like growth factor Oestrogen MSC Progesteron Testosteron HPC PRIMARY TUMOR Glucocorticoids Vascular endothelial growth factors Tumor antigens MCC Tumor necrosis factor MCC Lysyl oxidase LC LYMPH NODE Parathyroid hormone ORGANS AT DISTANCE MCC MCC HPC: cellules précurseurs hématopoïétiques; LC: leucocytes; MSC: cellules souches mésenchymateuses; MCC: cellules cancéreuses métastatiques. La figure ne se veut pas exhaustive. Modifiée d’après M. Mareel et S. Constantino (3). Les macrophages et les leucocytes sont des expressions d’une Les fibroblastes et les myofibroblastes sont des éléments es- inflammation et d’une immunité. Ils représentent la partie la plus sentiels de la desmoplasie observée (de manière réversible) importante et la mieux différenciée des cellules hôtes. Le mys- dans le processus de cicatrisation des plaies et (de manière ir- tère du «Dr Jekyll et Mr Hyde» s’applique bien à la diversité des réversible) en cas de chéloïdes, de fibrose hépatique, pulmo- leucocytes [Tumor Infiltrating Leukocytes (TIL)] et des macro- naire et rénale, et de tumeurs épithéliales. Dans les tumeurs, phages [Tumor Associated Macrophages (TAM)], les uns dévelop- ces cellules sont également appelées Cancer-Associated Fibro- pant une activité protumorale et les autres une activité anti- blasts (CAF) (11). Cette population cellulaire se compose pro- tumorale au sein de la même tumeur. Les effets opposés sur bablement de différents sous-types, comme ceux qui ont été l’invasion et la dissémination métastatique découlent de la décrits pour les macrophages. Les cancers du sein avec un pro- différenciation des monocytes en macrophages suppresseurs nostic plus défavorable se reconnaissent à leur signature géné- M1 ou promoteurs M2 (8). La plupart des TAM sont considérés tique fibroblastique. Nous avons écrit plus haut que les myofi- comme des macrophages favorisant l’invasion, dans la mesure où broblastes ont attiré notre attention sur le potentiel pro-invasif ils produisent des enzymes lytiques qui dégradent la matrice des cellules hôtes associées aux tumeurs (5). L’activation des extracellulaire et ouvrent ainsi la voie aux cellules cancéreuses fibroblastes constitue également un élément important dans la invasives (9). Les TAM interagissent également avec d’autres cellules formation de la niche pré-métastatique que nous décrirons 3 Onco-Hemato plus loin (12). Dans le cancer du sein, l’effet pro-invasif des CAF Des précurseurs CD34+ se développent dans la moelle os- est combattu par les cellules myoépithéliales; en cas d’évolution seuse, sont affectés (prédestinés) et acheminés vers la circula- du carcinome in situ en carcinome invasif, la couche basale or- tion, se transforment en monocytes, sont recrutés dans la tu- ganisée de cellules myoépithéliales disparaît. meur et se différencient en macrophages (TAM). La moelle osseuse forme donc un écosystème crucial, non seulement en Il existe des liens entre l’obésité et le cancer. Il n’est donc pas tant que site métastatique, mais aussi en tant que source de étonnant que les cellules graisseuses (adipocytes) figurent sur la cellules hôtes associées aux tumeurs et aux métastases (17). liste des cellules hôtes associées aux tumeurs. Les cellules cancéprotéases qui contribuent à la survie des cellules cancéreuses Communication intratumorale: aspects moléculaires invasives dans le tissu adipeux péritumoral. Dans la moelle os- Multiplicité et redondance sont deux aspects caractérisant la seuse, les cellules graisseuses favorisent le développement de communication intercellulaire et intracellulaire. En effet, des plasmocytomes; elles inhibent l’apoptose et stimulent la crois- centaines de réseaux et un nombre toujours croissant de mo- sance, ainsi que l’adhérence et la migration cellulaires (13). lécules sont impliqués dans ce processus. Ainsi, le nombre de reuses stimulent la production, par les cellules graisseuses, de ligands impliqués dans la communication entre les cellules canL’invasion des neurones et de leur périphérie (invasion intra- céreuses et les myofibroblastes est passé de trois (18) à neurale et périneurale) entraîne une dispersion locale dans quelques dizaines (2, 5), une tendance qui s’applique également différents types de tumeurs tels que les cancers de la prostate, à d’autres cellules hôtes (19). Aux personnes s’intéressant aux du sein et du pancréas. La tumeur envoie aux neurones des mécanismes de base qui régissent ce type de réseaux com- signaux afférents qui non seulement causent des douleurs, mais plexes, nous recommandons le livre d’Uri Alon (20). de plus entraînent une néo-neurogenèse. Les neurones associés à la tumeur produisent également des signaux efférents, La communication intracellulaire détermine la réaction de la tels que l’endothéline, l’histamine et des prostaglandines, qui cellule aux stimuli externes. Les cellules cancéreuses et les cel- stimulent l’inflammation, l’angiogenèse et l’invasion (14). lules hôtes, de même que les cellules hôtes entre elles, échangent des signaux par l’intermédiaire de molécules sécré- Les ostéoblastes et les ostéoclastes sont des éléments impor- tées appelées ligands. La communication au sein de la cellule tants dans l’écosystème de la moelle osseuse et de la métastase s’effectue souvent comme suit: le signal extracellulaire (ligand) osseuse. Il s’agit des cellules hôtes associées aux métastases les qui, par exemple, stimule l’invasion, se lie à un récepteur spéci- plus étudiées et qui constituent des cibles majeures pour le trai- fique situé sur la face externe de la membrane plasmique. Ce tement (15). La niche ostéoblastique constitue un endroit idéal récepteur traverse la membrane plasmique; sa partie intracel- pour la nidification des cellules cancéreuses métastatiques. lulaire comporte un domaine kinase (une kinase est une enzyme qui catalyse la phosphorylation) qui induit l’autophos- Le biotope des cellules cancéreuses et de toutes ces cellules phorylation du récepteur. Cette activation marque le début hôtes associées aux tumeurs est la matrice extracellulaire d’une cascade de kinases qui, au final, va activer un facteur de (MEC). Cette dernière est un assemblage de macromolécules transcription de l’ADN. Ce dernier se lie à un promoteur spé- riches en sucres qui servent à la fois de substrat pour l’adhé- cifique, qui active le gène codant une protéine qui module des rence et la migration, et de ligand fixé pour la signalisation. La activités cellulaires impliquées dans l’invasion, telles que la mi- MEC est également un réservoir de ligands solubles (par gration, la prolifération, l’adhérence cellule/cellule et cellule/ exemple, les facteurs de croissance et les cytokines), qui sont matrice et la protéolyse. La dynamique de tels réseaux repose mobilisés par des protéases (16). sur des équilibres entre phosphorylation (kinase) et déphosphorylation (phosphatase). L’origine des cellules hôtes associées aux tumeurs: le rôle de la moelle osseuse La communication intercellulaire repose, quant à elle, sur l’inter- On estime qu’un quart des cellules hôtes associées aux tu- cellulaire dans les écosystèmes tumoraux. Notez que ces meurs sont recrutées en tant que précurseurs [cellules souches réseaux ne représentent qu’une partie de systèmes bien plus mésenchymateuses (CSM) et précurseurs hématopoïétiques complexes, dans lesquels sont impliqués plusieurs molécules (CPH)] au niveau de la moelle osseuse. et types de cellules. action de ligands avec des récepteurs spécifiques. Nous citons ici quelques exemples de scénarios de communication inter- 4 Onco-Hemato hôtes. Sa survie est assurée par des cellules souches cancé- En cas d’hypoxie, la concentration d’HIF-1a (Hypoxia-Inducible Factor) dans le cytoplasme de la cellule cancéreuse augmente. reuses. Les ganglions lymphatiques constituent un site métasta- On assiste également à ce phénomène en cas de perte de la tique fréquent en cas de tumeur épithéliale. Ils contiennent protéine VHL (Von Hippel-Lindau), par exemple en raison d’importantes cellules hôtes associées aux tumeurs, à savoir d’une mutation génétique dans le cancer du rein; VHL induit la des macrophages, ainsi que des lymphocytes B et T. Le premier dégradation du facteur HIF-1a. Des concentrations accrues contact de la tumeur primitive avec le système immunitaire de d’HIF-1a entraînent la production et la sécrétion de VEGF, qui l’hôte a lieu dans les ganglions lymphatiques sentinelles. Des se lie au VEGFR (récepteur du VEGF) sur les cellules endothé- antigènes tumoraux solubles atteignent les ganglions lympha- liales avec, comme conséquence, l’activation du récepteur par tiques avant que les cellules cancéreuses métastatiques n’y par- phosphorylation, la transduction des signaux et la stimulation viennent. La nidification des cellules cancéreuses dans les gan- de la survie, de la migration et de la prolifération (6). glions lymphatiques implique des récepteurs (par exemple, L’extravasation des cellules cancéreuses est assistée par les CXCR4) sur la cellule cancéreuse et leurs ligands (comme la macrophages. La cytokine IL-1 (interleukine-1) stimule l’ex- chimiokine CXLCL12) dans les ganglions lymphatiques. pression, par les cellules endothéliales, de la VCAM-1 (Vascular Cell Adhesion Molecule-1) et de la sélectine E. Ces molécules Comme Paget (1) l’a décrit, les tumeurs ont tendance à métas- d’adhérence cellule/cellule hétérotypiques captent les cellules taser vers des organes bien spécifiques. Pour certains de ces cancéreuses métastatiques circulantes et leur offrent la possibi- sites de prédilection, une explication d’ordre moléculaire a été lité de quitter la circulation et d’aller se nicher dans un nouvel trouvée. Ainsi, les cellules du cancer de la prostate se nichent écosystème potentiellement fertile. Les macrophages pro- dans la moelle osseuse, là où se trouvent normalement les duisent l’EGF (Epidermal Growth Factor), qui, après s’être lié à cellules souches hématopoiétiques (22). De manière similaire, l’EGFR (récepteur de l’EGF) sur les cellules cancéreuses, agit des cellules du cancer du sein exprimant divers récepteurs de comme facteur de motilité. Les cellules cancéreuses produisent chimiokines (appelés CXCR ou CCR selon leur motif d’acides le CSF-1 (Colony Stimulating Factor-1), qui stimule l’expression aminés) se logent dans le foie (CXCR4), le cerveau (CXCR1), de l’EGF par les macrophages. D’autre part, l’EGF stimule l’ex- la plèvre (CCR6) ou la peau (CCR7). La niche pré-métasta- pression du CSF-1 par les cellules cancéreuses (21). Initiale- tique est un nouveau concept important. Celui-ci veut qu’avant ment, cette boucle de rétroaction positive a été découverte l’arrivée des cellules cancéreuses sur le site de la métastase, le par le biais de l’analyse de l’EGF et du CSF-1. A l’heure actuelle, terrain est fertilisé par des cellules recrutées dans la moelle elle implique une vingtaine de ligands. osseuse, en réponse à des signaux (tels que le VEGF-A et le Les cellules cancéreuses produisent le TGF-β (Transforming TNF-a) envoyés par la tumeur primitive (19, 20). Par la suite, Growth Factor-β), qui favorise la transformation des fibroblastes les cellules cancéreuses forment les cellules stromales pour en myofibroblastes. Ces derniers produisent le SF/HGF (Scatter qu’elles entretiennent les cellules souches cancéreuses qui sont Factor/Hepatocyte Growth Factor) et la tenascine C, qui se lient nécessaires au développement de métastases (25). à des récepteurs sur les cellules cancéreuses et, conformément aux réseaux intracellulaires décrits plus haut, stimulent des acti- La moelle osseuse joue un rôle majeur dans la communication vités cellulaires associées à l’invasion (5). entre les écosystèmes tumoraux. Elle produit des précurseurs Les cellules graisseuses produisent un certain nombre de cyto- pour les cellules hôtes observées dans la tumeur primitives et kines appelées adipokines. L’une d’elles, la leptine, stimule la les métastases, est elle-même un lieu où se développent sou- sécrétion, par les macrophages, de cytokines pro-inflamma- vent des métastases et constitue un lieu d’habitat pour les toires telles que l’IL-1 et le TNF-a (Tumor Necrosis Factor-a); CTD (cellules tumorales disséminées), lesquelles sont prédic- cette activité est combattue par une autre adipokine appelée tives d’une maladie métastatique au niveau des os ou d’autres adiponectine. (22) localisations. Communication entre écosystèmes: tumeur primitive, niche métastatique, moelle osseuse et circulation (Figure 2) Il est évident que la circulation assure la communication entre La tumeur primitive est la source des cellules métastatiques. et non métastatiques, des précurseurs de cellules hôtes asso- Elle contient des cellules cancéreuses ainsi que des cellules ciées aux tumeurs (y compris des cellules de niche prémétas- les divers écosystèmes. Nous la considérons comme un écosystème à part entière comprenant des éléments de cancers métastatiques, à savoir: des cellules cancéreuses métastatiques 5 Onco-Hemato Figure 3: Représentation schématique d’un écosystème tumoral avec médicaments ciblés. Cellules cancéreuses: CSC: cellules souches cancéreuses, MCC: cellules cancéreuses métastatiques, nMCC: cellules cancéreuses non métastatiques. Cellules hôtes: AC: adipocytes; APC: cellules présentatrices d’antigènes; BC: lymphocytes B, CAF: fibroblastes associés au cancer, EC: cellules endothéliales, GC: granulocytes, MF: macrophages, NC: neurones, NKC: cellules tueuses naturelles, OB: ostéoblastes, OC: ostéoclastes, PC: péricytes, TC: lymphocytes T; TregC: lymphocytes T régulateurs. Les précurseurs de ces cellules hôtes ne sont pas représentés sur la figure. Des cellules sont nichées dans la matrice extracellulaire (vert). Les mécanismes de fonctionnement des médicaments sont décrits dans le texte. tatiques), ainsi que des ligands et des récepteurs solubles, tels pour la première fois pour le cancer du sein métastatique en que le VEGF et le sVEGFR (s correspond à soluble), qui dirigent 1979 (27) et sont toujours employés fréquemment aujourd’hui l’invasion et le processus de développement de métastases. (le plus connu est le zoledronate). Des médicaments plus ré- Certains éléments indiquent que l’analyse des cellules au sein cents, à savoir l’ostéoprotégérine (qui agit comme récepteur de la circulation permettrait de distinguer les tumeurs métasta- «leurre») et l’anticorps monoclonal dénosumab, bloquent l’in- tiques des tumeurs non métastatiques (26). teraction entre les cellules cancéreuses et les ostéoblastes/ostéoclastes via le RANKL (Receptor Activator of Nuclear Factor Cellules hôtes associées aux tumeurs: cible thérapeutique kappaB Ligand). L’atrasentan est un antagoniste du récepteur A Etant donné que les cellules hôtes associées (Figure 2) céreuses et les cellules hôtes médiée par l’ETAR (Endothelin-A jouent un rôle essentiel dans le comportement malin des tu- receptor) (28). meurs (croissance, invasion, métastases) et qu’il existe des don- D’autres médicaments fréquemment employés sont les inhibi- nées cliniques prouvant que des marqueurs au niveau du stro- teurs de l’angiogenèse, comme le bevacizumab, un anticorps ma influencent le pronostic, il convient naturellement de tenir monoclonal qui cible le ligand VEGF, ainsi que le sunitinib, le compte de ces cellules hôtes associées aux tumeurs dans le sorafinib et le pazopanib, des inhibiteurs de la tyrosine kinase développement de stratégies thérapeutiques (19). Il en va de qui ciblent le VEGFR. même pour le concept des écosystèmes communicants; d’ail- Des inhibiteurs des CAF sont actuellement en cours de déve- leurs, en référence à ce concept, certains auteurs emploient le loppement. Ceux-ci (AP12009, AMD070 et IPI926) ont pour terme «ecotherapy» (écothérapie) (4). Notre but n’est pas ici principales cibles moléculaires respectivement les ligands d’aborder les études cliniques qui analysent le rapport coût/ TGF-β et hedgehog, et le récepteur CXCR4 (11). bénéfice des médicaments cités. Les nouveaux développements dans l’immunothérapie du can- Un des écosystèmes connus depuis longtemps dont les cellules cer méritent que l’on s’y attarde tout autant, mais ce n’est pas hôtes servent de cible thérapeutique est la métastase osseuse. l’objectif du présent article. Nous avons toutefois repris Des bisphosphonates ciblant la matrice osseuse ont été utilisés quelques exemples dans la figure 3. Le bindarit et le célé- de l’endothéline, qui bloque l’interaction entre les cellules can- 6 Onco-Hemato coxib sont des médicaments anti-inflammatoires, respective- l’inflammation, de l’angiogenèse et de la fibrose, activités qui ment inhibiteurs des MCP (Monocyte Chemotactic Proteins) et peuvent favoriser l’invasion (36). Naturellement, tous ces élé- de COX-2 (cyclo-oxygénase-2). L’ipilimumab est un anticorps ments ne signifient pas que ces traitements doivent être négli- monoclonal humain dirigé contre CTLA4 (Cytotoxic T Lympho- gés. Ils nous poussent toutefois à réfléchir à des moyens de cyte-associated Antigen 4), un antigène qui agit contre la des- neutraliser ces effets secondaires pro-tumoraux. truction des cellules cancéreuses par les LTc (lymphocytes T cytotoxiques). L’ipililumab cause une déplétion des lympho- Conclusion cytes T régulateurs. Le sipuleucel-T est une préparation à base Les nouvelles connaissances relatives à l’interaction entre les dif- de cellules dendritiques [cellules présentatrices d’antigènes férents types de cellules dans les tumeurs constituent une base (CPA)] prélevées sur le patient et incubées avec le PSA (anti- solide pour le développement de nouveaux traitements. La gène prostatique spécifique), qui est utilisée pour l’immunothé- communication entre les différents écosystèmes des tumeurs rapie cellulaire (29). métastatiques jette une nouvelle lumière sur les effets secon- Le stroma tumoral a une influence sur l’assimilation et la sensibi- daires des traitements existants. Heureusement, nous disposons lité aux agents de chimiothérapie. Des observations expérimen- de nouveaux médicaments prometteurs. Nous plaidons en fa- tales et cliniques montrent que le paclitaxel stimule l’infiltration veur d’une exploitation optimale du potentiel de ces médica- des macrophages ainsi que la production de protéases, et pro- ments, en les utilisant autant que possible dans le cadre d’études. tège ainsi les cellules cancéreuses contre l’effet toxique de l’agent Références 1. Paget S. The distribution of secondary growths in cancer of the breast. Lancet 1898;1:571-3. 2. Mareel M, Oliveira MJ, Madani I. Cancer invasion and metastasis: interacting ecosystems. Virchows Arch 2009;454:599-622. 3. Mareel M, Constantino S. Ecosystems of invasion and metastasis in mammary morphgenesis and cancer. Int J Dev Biol 2011;55:671-84. 4. Camacho DF, Pienta KJ. Disrupting the networks of cancer. Clin Cancer Res 2012;18:2801-8. 5. De Wever O, Demetter P, Mareel M, Bracke M. Stromal myofibroblasts are drivers of invasive cancer growth. Int J Cancer 2008;123:2229-38. 6. Kerbel R. Tumor angiogenesis. N Engl J Med 2008;358:2039-49. 7. Cooke VG, LeBleu VS, Keskin D, et al. Pericyte depletion results in hypoxia-associated epithelialto-mesenchymal transition and metastasis mediated by met signaling pathway. Cancer Cell 2012;21:66-81. 8. Sica A, Mantovani A. Macrophage plasticity and polarization: in vivo veritas. J Clin Invest 2012;122:787-95. 9. Opdenakker G, Van Damme J. The countercurrent principle in invasion and metastasis of cancer cells. Recent insights on the roles of chemokines. Int J Dev Biol 2004;48:519-27. 10. Fridman WH, Pagès F, Sautès-Fridman C, Galon J. The immune contexture in human tumours: impact on clinical outcome. Nat Rev Cancer 2012;12:298-306. 11. Hinz B, Phan SH, Thannickal VJ, et al. Recent developments in myofibroblast biology: paradigms for connective tissue remodeling. Am J Pathol 2012;180:1340-55. 12. Strell C, Rundqvist H, Ostman A. Fibroblasts – a key host cell type in tumor initiation, progression, and metastasis. Ups J Med 2012;117:187-95. 13. Caers J, Van Valckenborgh E, Menu E, Van Camp B, Vanderkerken K. Unraveling the biology of multiple myeloma disease: cancer stem cells, acquired intracellular changes and interactions with the surrounding micro-environment. Bull Cancer 2008;95(3):301-13. 14. Mantyh PW, Clohisy DR, Koltzenburg M, Hunt SP. Molecular mechanisms of cancer pain. Nature reviews Cancer 2002;2(3):201-9. 15. Vakaet L, Boterberg T. Pain control by ionizing radiation of bone metastasis. Int J Dev Biol 2004;48:599-606. 16. De Wever O, Mareel M. Role of tissue stroma in cancer cell invasion. J Pathol 2003;200:429-47. 17. Kaplan RN, Psaila B, Lyden D. Niche-to-niche migration of bone-marrow-derived cells. Trends in Molecular Medicine 2007;13(2):72-81. 18. Augsten M, Hägglöf C, Peña C, Ostman A. A digest on the role of the tumor microenvironment in gastrointestinal cancers. Cancer Microenvironment 2010;3:167-76. 19. Alon U. An Introduction to Systems Biology. Design Principles of Biological Circuits. Chapman & Hall/CRC Mathematical and Computational Biology Series, 2007. 20. Goswami S, Sahai E, Wyckoff JB, et al. Macrophages promote the invasion of breast carcinoma cells via a colony-stimulating factor-1/epidermal growth factor paracrine loop. Cancer Res 2005;65:5278-83. 21. Mareel M. De Meerleer G. Oligometastasen: Biologische Basis en Therapeutische consequenties. Andrologic 2012;8(4):8-13. 22. Vona-Davis L, Rose DP. Adipokines as endocrine, paracrine, and autocrine factors in breast cancer risk and progression. Endocrine-related Cancer 2007;14(2):189-206. Epub 2007/07/20. 23. Hiratsuka S, Watanabe A, Aburatani H, Maru Y. Tumour-mediated upregulation of chemoattractants and recruitment of myeloid cells predetermines lung metastasis. Nat Cell Biol 2006;8:1369-75. 24. Kaplan RN, Rafii S, Lyden D. Preparing the ‘soil’: the premetastatic niche. Cancer Res 2006;66:11089-93. 25. Malanchi I, et al. Interactions between cancer stem cells and their niche govern metastatic colonization. Nature 2012;481:85-9. 26. Jones M, Siddiqui J, Pienta KJ, Getzenberg RH. Circulating fibroblast-like cells im men with metastatic prostate cancer. Prostate 2012 Jun 21 [Epub ahead of print] 27. van Breukelen FJ, Bijvoet OL, van Oosterom AT. Inhibition of osteolytic bone lesions by (3-amino-1-hydroxypropylidene)-1, 1-bisphosphnate (A.P.D.). Lancet 1979;1:803-5. 28. Mizutani K,Taichman R, Pienta K: Prostate Cancer Metastasis:Thoughts on Biology and Therapeutics. In: Lyden, Welch & Psaila, eds; Cancer Metastasis. Cambridge University Press, 2011; 456. 29. Boudreau JE, Bonehill A, Thielemans K, Wan Y. Engineering dendritic cells to enhance cancer immunotherapy. Molecular Therapy 2011;19:841-53. 30. Shree T, Olson OC, Elie BT, et al. Macrophages and cathepsin proteases blunt chemotherapeutic response in breast cancer. Genes Dev 2011;25:2465-79. 31. Roodhart JM, Daenen LG, Stigter EC, et al. Mesenchymal stem cells induce resistance to chemotherapy through the release of platinum-induced fatty acids. Cancer Cell 2011;20:370-83. 32. Zhang N,Yang Q. Primary tumor resection may improve prognosis for nonoperable advanced breast cancer. Med Hypotheses 2009;73:1058-9. 33. Madani I, De Neve W, Mareel M. Does ionizing radiation stimulate cancer invasion and metastasis? Bull Cancer 2008;95:292-300. 34. Daenen LG, Roodhart JM, van Amersfoort M, et al. Chemotherapy enhances metastasis formation vis VEGFR-1_expressing endothelial cells. Cancer Res 2011;71:6976-85. 35. Park SI, Liao J, Berry JE, et al. Cyclophosphamide creates a receptive microenvironment for prostate cancer skeletal metastasis. Cancer Res 2012;72:2522-32. 36. Ceelen WP, Bracke ME. Peritoneal minimal residual disease in colorectal cancer: mechanisms, prevention and treatment. Lancet Oncol 2009;10:72-9. de chimiothérapie. Les auteurs plaident en faveur d’un «integrated targeting» (ciblage intégré) des cellules cancéreuses et de leur écosystème, en visant, en l’espèce, à la fois les cellules cancéreuses et les TAM (30). Le platine favorise la production, par les cellules souches mésenchymateuses, de deux acides gras relativement inconnus qui provoquent un phénomène de résistance à différentes formes de chimiothérapie (31). Le concept d’écosystème a un impact sur les stratégies thérapeutiques. D’une part, la modification d’un seul élément peut ruiner un écosystème tout entier et, d’autre part, des réseaux redondants complexes peuvent protéger les écosystèmes contre la perte d’éléments individuels. Ainsi, en cas de cancer du sein avancé, l’exérèse de la tumeur primitive pourrait favoriser la maladie métastatique (32). Les écosystèmes constituent une cible thérapeutique, mais ils peuvent également être à l’origine d’effets secondaires indésirables. Les stratégies thérapeutiques devraient tenir compte de la question suivante: «De quelle manière le traitement influence-t-il les écosystèmes et leur communication?». La radiothérapie peut entraîner l’activation de réseaux moléculaires pro-invasifs et pro-métastatiques (33). La chimiothérapie mobilise les cellules souches de la moelle osseuse, qui constituent des précurseurs des cellules hôtes associées aux tumeurs. Dans un modèle murin, la chimiothérapie accroît l’expression du VEGFR-1 sur les cellules endothéliales, ainsi que la captation des cellules cancéreuses dans les poumons (30). Dans un autre modèle murin, l’administration de cyclophosphamide donne lieu à la création, en raison d’une augmentation temporaire des cellules myéloïdes et des cytokines, d’un écosystème dans la moelle osseuse plus propice à la formation de métastases os- Reçu: 01/10/2012 – Accepté: 07/11/2012 seuses du cancer de la prostate (35). La chirurgie provoque de 7 Onco-Hemato