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les limites des Optimisation Fiscale OF

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Optimisation Fiscale « OF »
Partie 2 : les limites de l’OF « Optimisation Fiscale » et les moyens de
lutte contre ces optimisations abusives
Chapitre I : Limites de l’OF
Une gestion fiscale optimale est autorisée par l’administration fiscale. Toutefois, il faut éviter qu’elle
se transforme en évasion fiscale qui est définie comme une violation directe et volontaire de la loi
fiscale. Ainsi, l’administration fiscale pourrait se référer aux dispositions du Code des obligations et
contrats pour invoquer des situations d’abus de droit, notamment dans le cas de contentieux judiciaire
opposant l’administration fiscale au contribuable.
Durant les dix dernières années, on assiste à une réaction sans précédent des Etats envers certains
groupes mondialisés leur réclamant des taxes dues, volontairement ou involontairement « évadées
». Le rappel au paiement est dans l’ensemble motivé par les montages fiscaux que les
administrations fiscales considèrent comme une déviation expresse, voire un abus de droit lésant
les ressources financières de leurs Etats, alors que les groupes mondialisés y voient plutôt une
optimisation
fiscale.
Ce qui a rendu la controverse encore plus visible, c’est la thèse d’incohérence de l’impôt réellement
payé par rapport au bénéfice consolidé des groupes. A titre d’exemple, il a été signalé en France que
les cinq cents plus grandes sociétés ne payent en réalité que 5,4% d’impôt sur les résultats alors que
le taux nominal est de 33%.
Section 1 : L’EVASION FISCALE ET LA FRAUDE FISCALE
A.
Fondements et conséquences de la fraude et l’évasion fiscales :
Le Code général des impôts ne prévoit pas de disposition définissant la notion d’évasion fiscale. Il y est
fait toutefois mention de la notion de fraude dans les articles 184, 187 et 206 traitant des sanctions pour
différents types d’irrégularités. La circulaire administrative précise que la fraude est considérée comme
telle lorsqu’elle est nettement caractérisée, telles que la dissimulation d'achats ou de ventes dont la
preuve est établie par l'administration (factures d’achat ou de vente non comptabilisées) ou la
comptabilisation d'opérations fictives (comptabilisation de factures ne correspondant pas à des
opérations réelles). C’est donc une violation intentionnelle de la loi en ayant recours à des moyens
illégaux
pour
se
soustraire
de
tout
ou
partie
de
la
matière
imposable.
L’optimisation fiscale consiste à utiliser les dispositions fiscales pour s’affranchir de l’impôt ou du
moins le minimiser par différents instruments légaux (régimes dérogatoires, utilisation des niches
fiscales, zones franches, etc.). Bien qu’elle soit légale, son utilisation peut être contestée en raison de
l’utilisation
des
failles
des
législations
nationales.
L’évasion fiscale, quant à elle, peut être définie comme la situation intermédiaire entre l’optimisation et
la fraude. Elle représente une zone grise, source de confusion. Elle s’apparente à une optimisation dès
lors que les procédés mis en jeu correspondent à des transactions réelles et régulières. Elle tend
cependant vers la fraude lorsqu’elle est conduite en connaissance de cause, c'est-à-dire manifestant la
mauvaise
foi
ou
les
manœuvres
frauduleuses
du
contribuable.
On déduit des définitions ci-dessus que les montages d’optimisation ou ceux à vocation d’évasion fiscale
s’appuient toujours sur les dispositions fiscales d’usage. Ils ne peuvent être controversés à notre sens
que s’il s’avère que les dispositions légales assoyant leur légitimité ont été utilisées à l’encontre de
l’esprit fondamental du texte juridique donnant ainsi naissance à un abus de droit.
La fraude et l’évasion fiscale font partie des actes ou des comportements qui ont pour finalité
la contestation du pouvoir fiscal : Ce sont des formes de résistance, conscientes ou non, à
l’ordre fiscal aussi bien national qu’international.
Il y a des ambigüités qui ont la vie dure. Il est évident que la fraude fiscale est un délit. Mais
l’évasion fiscale l’est-elle tout autant alors même que dans certains pays elle n’est pas
poursuivie ? Et quelle est la différence entre évasion et optimisation ? Est-ce que Google ou
Apple optimise, évade ou fraude ? En outre, pour couronner le tout, beaucoup confondent en
permanence évasion fiscale et exil fiscal. Il est donc nécessaire de revenir sur l’ensemble de
ces concepts.
a. Fondements théoriques :
La fraude, au sens international, se définit comme « un acte intentionnel commis par un
ou plusieurs dirigeants, par des personnes constituant le gouvernement d’entreprise, par des
employés ou par des tiers, impliquant des manœuvres dolosives dans le but d’obtenir un
avantage indu ou illégal. »
La fraude fiscale peut être définie comme une pratique illicite qui a pour objectif d’escamoter
des sommes imposables afin de ne pas payer les taxes dues. Autrement dit, c’est le fait ou la
tentative de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement de l’impôt par
dissimulation volontaire de sommes sujettes à l’impôt.
L’évasion fiscale correspond aux comportements visant à réduire le montant des
prélèvements obligatoires, mais sans l’existence de l’élément intentionnel. C’est
l’absence de cet élément qui permet de distinguer l’évasion fiscale de la fraude
fiscale. Autant dire que le juge ici a un rôle d’appréciation prépondérant. Si le contribuable a
recours à des moyens légaux, l’évasion devient de l’optimisation. A l’inverse, s’il s’appuie sur
des techniques illicites, l’évasion s’apparente à de la fraude.
Le terme « évasion » évoque une image dépeignant une réalité bien concrète : le fait de
réduire l’impôt en déplaçant un patrimoine vers un autre pays de type paradis fiscal et sans
déclarer les revenus générés par ces avoirs.
La confusion est permanente, notamment dans les médias, entre « évadé fiscal » et
« expatrié fiscal ». Et pourtant, le premier est interdit et peu décrié, le second est autorisé et
pourtant honni. Les deux poursuivent effectivement le même but, mais avec des moyens et
des actes différents.
-L’évadé fiscal pratique l’évasion fiscale, c'est-à-dire profite des lois et incitations pour réduire
son impôt, jusqu’à aller au-delà ce qui est permis.
-L’exilé fiscal se déclare officiellement dans un pays à faible taxation mais continue à vivre
dans son pays d’origine.
-L’expatrié fiscal, quant à lui, quitte réellement le pays pour trouver asile dans des contrées
plus agréables fiscalement.
Il y a souvent confusion entre tous ces termes. Celui de l’exilé est décrié car il sous-entend
que la pression fiscale est à l’0origine du départ, comme un bannissement, affranchissant
l’exilé de toute faute et accablant l’Etat d’origine.
L’optimisation fiscale n’est pas un délit puisqu’elle correspond à l’usage habile des lois et
des conventions pour réduire la charge fiscale. La stratégie d’optimisation se requalifie en
évasion fiscale dès lors que le montage juridique mis en place par l’entreprise apparaît artificiel
et aurait pour but unique d’échapper à l’impôt.
L’optimisation fiscale peut être considérée comme un élément de stratégie patrimoniale
internationale parfaitement légal ou de maximisation de la rentabilité des entreprises
totalement intelligent. La question réside dans la frontière entre fraude et optimisation.
Nous nous apercevons qu’il est parfois très compliqué de faire la part des choses entre ces
trois qualifications. Le débat sur le comportement de multinationales renommées comme
Google, Microsoft ou Amazon a mis sur le devant la scène cette problématique. Lorsqu’une
entreprise évite légalement l’impôt, que peut-on lui reprocher ? La notion de logique entre alors
en jeu. La question à se poser est la suivante : Y-a-t-il une logique commerciale à avoir une
filiale par exemple aux îles Vierges Britanniques ? Si tel est le cas, alors nous nous trouvons
dans une forme classique d’optimisation fiscale. Si l’installation sur ce territoire ne répond qu’à
une logique d’évitement de l’impôt, alors nous pouvons parler d’évasion fiscale, voire de fraude
fiscale, s’il est possible de démontrer que le montage est délictueux, par exemple, par une
facturation excessive des services ou des produits vendus.
Pour résumer, nous dirons que la fraude implique une tromperie, une escroquerie, une
falsification, une malversation. La fraude fiscale consiste en un détournement du système pour
ne pas acquitter l’impôt quel qu’il soit : c’est une infraction. Intentionnellement, un particulier
ou une entreprise ne respecte pas le droit fiscal par l’omission de déclaration ou l’organisation
d’insolvabilité. Le plus bel exemple est le blanchiment de fraude fiscale qui se pratique en deux
temps, d’abord une non déclaration de revenus au fisc du pays dont dépend le contribuable,
puis un placement de ces revenus non déclarés dans un paradis fiscal en acquérant un bien.
La fraude fiscale, qui est illégale, coûte au PIB ; Pour y remédier, des moyens sont mis en
œuvre : liste des Etats non coopératifs dans l’échange d’informations fiscales, création de
fichiers fiscaux, lutte contre le secret bancaire, …
L’évasion représente une délivrance, une échappatoire, une sortie pour trouver protection ou
profit. L’évasion fiscale consiste en un évitement institutionnalisé de l’impôt : elle est licite.
Délibérément, un particulier ou une entreprise cherche à minorer son impôt en utilisant les
niches fiscales autorisées par le droit fiscal afin d’optimiser sa situation.
Les plus beaux exemples sont la défiscalisation immobilière, la défiscalisation mobilière,
l’assurance-vie, l’épargne-retraite, la création d’entreprise, le mécénat, … L’évasion fiscale,
qui est légale, rapporte au PIB. Pour autant, on ne la combat pas mais on la limite : création
de l’exit taxe, mise en place de modèles de convention sur l’échange de renseignement en
matière fiscale, coup de rabot sur les niches fiscales pour les particuliers…
La fraude et l’évasion fiscale ne datent pas d’aujourd’hui. En effet, depuis l’antiquité, l’homme
a toujours refusé de payer l’impôt ; un refus souvent motivé par la lourdeur et l’injustice d’une
imposition, autrefois l’œuvre d’un pouvoir central despote et interventionniste.
§1 : Refus partiel :
Les libéraux ont été les premiers à évoquer la notion de refus partiel de l’impôt ; c’est ainsi
qu’Arthur Betz Laffer, célèbre économiste américain et chef de file de l’école de l’offre, tente
de montrer, par le biais de la courbe portant son nom, que « trop d’impôt tue l’impôt ». En effet,
selon la courbe de Laffer le rendement d’un impôt est relativement bas au-dessous d’un certain
seuil mais baisse au-delà d’un autre.
Le taux d’imposition optimum n’est donc pas nécessairement le taux le plus élevé possible,
mais celui qui ne provoque pas le refus du contribuable, son évasion, sa fraude et son
découragement.
D’après cette théorie, le contribuable ne refuse pas l’impôt en tant que tel, mais s’oppose
à un taux d’imposition qu’il estime trop élevé, alors sa marge de manœuvre se traduit par deux
cas de figure en vue d’alléger la matière imposable ; il s’agit de procéder soit par minoration
des recettes, soit par majoration des charges.
A- Le refus par minoration des recettes : deux cas à envisager dans cette hypothèse :
Cas 1 : Le contribuable diminue le montant de la matière imposable afin que la somme de
l’impôt soit réduite
Cas 2 : Le contribuable reporte les sommes qui lui sont dues à une date postérieure
B- Le refus par majoration des charges :
Le contribuable gonfle abusivement le montant de ses charges afin de réduire la
matière imposable, mais avec l’obligation que ces charges soient déductibles de ladite
matière.
En pratique, ce refus se traduit par l’achat, de la part du contribuable, de factures
fictives comportant des charges qu’il n’a pas supportées. Cette technique est très
sollicitée au Maroc et se conjugue souvent avec la passation de fausses écritures
comptables de la part des sociétés.
§2 Le refus total :
Si les théories économiques ont longtemps débattu de l’ampleur de l’imposition, aucune
d’entre elles n’exclut la présence de l’impôt comme principal moyen d’avoir financier de l’Etat.
Cette affirmation ne semble pas plaire à tout le monde, ainsi certaines personnes morales ou
physiques essaient de faire échapper la totalité de la matière imposable à l’impôt.
Deux possibilités se présentent :
-L’absence de distribution de bénéfices par les filiales : et ce dans le but que la société mère
échappe à l’impôt sur les dividendes.
-Le transfert de revenus et de la fortune : dans ce cas de figure, les revenus qui auraient dû
normalement être perçus par un contribuable résident, sont versés à une société qu’il contrôle
et qui est établie sur le territoire d’un Etat où elle jouit d’un régime fiscal privilégié. Le cas
échéant, ces revenus échappent à l’impôt dans l’Etat de résidence.
b. Conséquences et impact :
Les conséquences de la fraude fiscale sont colossales sur l’équilibre des nations et sur le
développement économique et humain. La crise de 2008, financière puis économique et
souveraine, a soulevé plusieurs interrogations en lien avec ce phénomène. Notamment, il s’est
agi de mieux comprendre les rouages de la finance et d’essayer d’en limiter les excès. Wall
Street à New York et la City à Londres ont démontré une complexité qui engendrait la
confusion, pour ne pas dire la manipulation, profitant de la déréglementation, du dumping fiscal
de certaines zones, du shadow banking, de sa puissance grandissante sur les états et de sa
possible prédominance sur le politique.
Le fait de frauder le fisc n’est peut-être pas l’élément le plus grave. Certes, le fraudeur se
met hors la loi et contrevient aux règles. Mais le plus choquant concerne l’impact d’un tel acte :
sur le développement économique et humain, sur les équilibres politiques et sociétaux, sur la
liberté elle-même.
En outre, la démocratie est mise à mal par la fraude fiscale et ses actions connexes :
corruption, spoliation des peuples, enrichissement personnel, petits arrangements au sommet
de l’Etat, …
Sur le plan macroéconomique, la fraude fiscale entraine des conséquences importantes
sur les équilibres généraux.
-D’une part, il convient de rappeler que dans un monde parfait, la somme algébrique des
balances des paiements de l’ensemble des pays doit être nulle, puisque tout ce qui sort d’un
pays entre forcément dans un autre. Or, chaque année, ce sont des centaines de milliards de
dollars qui manquent. Ils arrivent dans les paradis fiscaux mais nous sommes incapables de
dire précisément d’où ils sortent. Ce phénomène s’intitule le « trou noir » de la balance des
paiements. Ces centaines de milliards de dollars vont donc dormir dans les coffres forts des
îles Caimans, de Belize ou de Singapour et ne profitent aucunement au développement
économique et humain des pays d’origine.
-D’autre part, et dans le même champ d’analyse, les paradis fiscaux adossés à la fraude fiscale
et plus généralement à la criminalité, provoquent un accroissement du déséquilibre entre les
pays du Nord et ceux du Sud. Lorsque l’argent propre, gagné légalement et ouvertement, est
escamoté à l’administration fiscale ou tombe dans les activités criminelles, il passe dans
l’ombre. A cet instant, il appauvrit le pays car il ne sera pas dépensé et sortira de la masse
monétaire « utile ». Les pays les plus touchés sont les plus criminogènes et les moins
contrôlés c'est-à-dire en général les pays les plus pauvres. Une fois que ces sommes auront
été blanchies, elles réapparaitront dans les pays les plus intéressants en matière
d’investissement, autrement dit, les pays riches. Ce circuit va donc appauvrir les pays pauvres
et enrichir les pays riches.
En allant plus loin dans la démonstration, nous pouvons évoquer le cas de l’Afrique
subsaharienne. Plusieurs études théoriques et empiriques ont montré que lorsque l’Afrique
reçoit 1 euro d’aides et de subventions, il y a en même temps entre 2 et 10 euro provenant de
la corruption, des détournements et de la fraude fiscale qui partent en catimini dans les paradis
fiscaux. Ils serviront ensuite à des placements de confort de type BMA ou des placements de
sécurité de type financier. Cette mauvaise habitude de quelques potentats locaux dégrade
fortement l’économie régionale, rendant inutile toute velléité d’aider au développement du
continent.
Dans la même veine, la Grèce présente un cas intéressant. La fraude fiscale y est historique
et endémique. Pour exemple, en 2008, au moment de la crise et de la découverte des
manipulations des comptes par l’Etat grec, le revenu moyen d’un médecin généraliste athénien
était estimé officiellement à 10 000 euro annuels, c’est à dire très loin de la réalité. Dans un
pays, où tout se paie en liquide, la fraude se répand partout, du travailleur précaire jusqu’au
milliardaire. Les armateurs ne paient quasiment pas taxes, calculées forfaitairement et assises
sur le tonnage des navires. La crise a amené le gouvernement à leur demander une petite
contribution de l’ordre de 75 à 140 Millions d’euro par an, un pourboire pour ces milliardaires
qui menacent de délocaliser leurs activités en cas de trop forte taxation. Ce sont ici des
milliards qui s’envolent, non par la fraude fiscale mais par le lobbying pour échapper à l’impôt.
Plus drôle, dès qu’un richissime résident hellène achète une île, il y plante une croix ou y érige
une chapelle, transformant ainsi son ilot en terra religieuse et échappant par conséquent aux
taxes foncières.
De manière générale, la fraude fiscale aidée des paradis fiscaux casse les mécanismes
de régulation de redistribution des richesses. Evidemment, le débat sur la pression fiscale
excessive existe et l’argument peut être entendu, mais il ne doit pas occulter le véritable
problème de la fraude, et même de l’optimisation fiscale. A qui profite l’optimisation ? Aux seuls
grands groupes internationaux, aux multinationales se jouant des règles domestiques pour
finalement concurrencer toutes les entreprises qui ne peuvent bénéficier de ces montages,
notamment les plus petites et les plus fragiles. La distorsion de concurrence liée au dumping
fiscal est considérable et explique en partie l’hégémonie de certains grands groupes tels que
Google, H&M, Starbucks, Amazon, etc. De même, lorsque nous parlons de l’impact de la
fraude fiscale des particuliers, il ne s’agit pas de stigmatiser le petit artisan qui met quelques
milliers d’euros de côté ou le jardinier qui travaille au noir, mais le dirigeant politique ou
l’homme d’affaires qui va éluder l’impôt et ainsi contribuer aux difficultés financières de son
pays. La charge de l’impôt va alors se déplacer vers les autres, c'est-à-dire ceux qui ont déjà
du mal à le payer mais qui, souvent salariés, le paient pleinement.
Cependant, une question mérite d’être posée : » Quel est l’impact pour une société d’être
soupçonnée ou accusée de fraude ou d’évasion fiscale ? Quel est l’impact pour une société
lorsque ses montages d’optimisation fiscale sont médiatisés ? Peut-il y avoir par exemple une
désaffection du consommateur ? L’optimisation fiscale est-elle de la fraude fiscale ? » En
l’absence d’une définition claire de ce qu’est l’optimisation fiscale, la distinction entre ces deux
situations n’est pas aisée. Cependant, les récentes affaires concernant, entre autres,
Starbucks, Google, Facebook, Amazon, Apple et Microsoft interpellent. Elles sont d’autant plus
choquantes que, pour beaucoup, ménages et entreprises, la situation économique se tend. Il
apparait pour le moins curieux que tous les acteurs économiques ne contribuent pas à l’effort
de redressement des économies au niveau de leur richesse.
Si la distinction entre la fraude et l’optimisation fiscale permettra de distinguer les malins des
malhonnêtes, il n’est pas évident que tout le monde ait la subtilité du légiste. La question de
l’attitude des citoyens vis-à-vis des entreprises au comportement douteux mérite d’être posée.
Le citoyen, contribuable lambda, est en effet également consommateur potentiel de ces
sociétés. Comment réagit-il face à ces comportements ? Des écarts importants constatés
entre la richesse de certaines entreprises et l’absence ou la faible contribution fiscale sont
moins tolérés qu’auparavant, voire indignent les citoyens. Peuvent-ils les détourner des offres
de ces entreprises ? Une association anglaise contre l’austérité a en effet proposé une
campagne de boycottage de Starbucks suite aux révélations concernant son stratagème
destiné à réduire sa contribution fiscale. Peut-elle être suivie d’effets ? Des résultats de travaux
académiques indiquent que, lorsqu’une entreprise ou ses responsables ont eu un mauvais
comportement, l’attitude vis-à-vis de sa marque subit une baisse significative. Ce résultat
permet de comprendre la mésaventure de Starbucks qui, suite aux révélations sur ses
pratiques fiscales, a vu sa valeur boursière s’effondrer, l’image de sa marque s’effriter et, pour
la première fois, certains de ses points de vente fermer. Le cas de cette entreprise met en
évidence que même si la relation des consommateurs avec une marque est longue à
construire, elle reste un élément marketing fragile. Les résultats de cette étude montrent aussi
que les consommateurs attendent de leur marque transparence, respect et honnêteté. Ce
constat est d’autant plus important qu’il semble qu’un individu ne fasse pas de distinction entre
son statut de citoyen et son statut de consommateur…
Enfin, les conséquences de la fraude fiscale sur la société et les comportements
individuels se ressentent essentiellement depuis la crise financière de 2008. Les sentiments
paraissent désormais schizophrènes, avec d’un côté des citoyens qui refusent la tricherie, de
l’autre les mêmes qui estiment être ponctionnés au-delà du raisonnable. Mais cet apparent
dilemme s’explique aisément. Comment en effet accepter les montages des multinationales
qui se jouent apparemment de manière légale des lois pour optimiser le cout fiscal tout en
éprouvant à titre personnel des fins de mois difficiles ? A cela s’ajoute un sentiment de
gaspillage par l’Etat et plus ce sentiment est fort, plus le recours à la tricherie est important.
Section 2 : La notion d’abus de droit et l’acte anormal de gestion :
Au Maroc, la théorie de l’abus de droit fiscal et les procédures de sa répression ne sont pas codifiées.
Néanmoins, l’administration fiscale peut se référer aux dispositions de l’article 94 du Code des
obligations et des contrats (DOC) qui stipule que : « Il n’y a pas lieu à responsabilité civile, lorsqu’une
personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle avait le droit de faire. Cependant, lorsque l’exercice
de ce droit est de nature à causer un dommage notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou
supprimé sans inconvénient grave pour l’ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile, si on n’a pas fait
ce qu’il fallait faire pour le prévenir ou le faire cesser ». Par ailleurs, ce même code prévoit dans son
article 231: «Tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y est
exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa
nature».
De ces dispositions on peut relever deux conditions de l’abus de droit: (1) l’intention de nuire et (2)
l’existence
d’un
dommage
notable.
1L’intention
de
nuire
La responsabilité du contribuable peut être engagée s’il apparaît dans ses options fiscales des faits
manifestant sans équivoque l’intention de nuire aux intérêts de l’administration fiscale. Exemples.
L’usage
abusif
des
conventions
fiscales
Les cas classiques d’abus sont les sociétés relais ou sociétés écrans à créer dans un Etat, autres que les
deux Etats initiaux parties à la convention fiscale, qui se caractérise par une fiscalité faible pour lesdits
flux pour les deux pays. Ce troisième Etat est utilisé pour faire transiter les flux financiers et/ou
commerciaux
pour
bénéficier
d’une
exonération
ou
d’impôt
réduit.
Une
politique
agressive
du
prix
de
transfert
Il s’agit de tout processus d’optimisation transnational entraînant un déséquilibre abyssal entre les
charges et les produits de l’entreprise et qui se manifeste en général par la concentration:
• des charges fiscalement déductibles de l’assiette taxable dans les pays les plus taxateurs pour diminuer
le
résultat
imposable,
et
donc
l’impôt
dû;
• des produits au niveau des pays proposant le régime fiscal le plus favorable permettant ainsi à
l’entreprise
d’acquitter
l’impôt
le
plus
faible
possible
sur
ses
bénéfices.
2L’existence
d’un
dommage
notable
La qualification et l’appréciation du degré du dommage relèvent du juge en fonction des circonstances
de chacune des parties en litige. Néanmoins, on peut d’ores et déjà s’appuyer sur le principe général
selon lequel un dommage peut être qualifié de notable s’il excède par ses conséquences le préjudice que
devrait
normalement
subir
les
tiers
du
fait
de
l’exercice
d’un
droit.
En plus du dommage notable, l’article 94 précité stipule deux conditions pour qu’il y ait responsabilité
civile:
- l’existence d’alternatives parallèles permettant d’atteindre le but escompté de l’exercice du droit
initial et sans qu’elles présentent d’inconvénient grave pour le titulaire du droit. Ainsi, l’acte fiscal du
contribuable pourrait être controversé si le contribuable disposait d’alternatives lui permettant de
s’abstenir au choix fiscal en question et le compenser par le recours à un autre procédé applicable dans
des limites raisonnables ou présentant des effets n’affectant pas significativement les intérêts de
l’administration
fiscale.
- le défaut de mesures préventives du dommage. Le contribuable doit justifier l’absence des mesures
permettant
d’éviter
le
dommage
causé
à
l’administration
fiscale.
En conclusion, au vu des dispositions du DOC, il apparaît que l’étude de la légalité des montages
fiscaux reste une tâche complexe pour circonscrire les zones d’abus de droit. En l’absence d’un texte
spécifique prévu par le CGI sur l’abus de droit fiscal, la consultation de l’administration fiscale reste
une alternative à saisir pour apprécier la portée véritable des actes d’optimisation. Cette voie de
validation a le mérite de ne pas obéir à un formalisme particulier et permet au contribuable de poser les
jalons d’une politique fiscale transparente.
Si le principe de liberté de gestion de l’entreprise pourrait etre admis par l’administration fiscale, il faut
noter aussi que le risque existe d’abuser de cette liberté. Pour faire face à des situations d’exagération,
l’administration fiscale dispose de la possibilité de s’opposer aux abus de droit.
Quoique l’abus de droit se distingue de la fraude par une apparence juridique correcte, car il ne
constitue pas une violation délibérée d’une obligation fiscale, il ne peut être autorisé pour cette raison.
L’abus de droit n’est pas expressément régi par la législation fiscale marocaine, mais il serait possible
que l’administration fiscale marocaine recourt au dahir formant code des obligations et contrats (DOC)
pour invoquer cette notion. Le DOC prévoit dans son article 94 :
« il n’y a pas lieu à responsabilité civile, lorsqu’une personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle
avait le droit de faire .Cependant lorsque l’exercice de ce droit est de nature à causer un dommage
notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou supprimé,sans inconvénient grave pour l’ayant
droit, il y a lieu responsabilité civile, si on n’a pas fait ce qu’il fallait pour le prévenir ou le faire cesser.
»
Ce même DOC prévoit dans son article 231 :
« Tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et obligé, non seulement à ce qui y est exprimé,
mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation après sa nature. »
Ainsi, l’administration fiscale pourrait se référer aux dispositions du code des obligations et contrats
pour invoquer des situations d’abus de droit, notamment dans les cas d’un contentieux judiciaire
opposant.
A titre d’illustration, s’il est prouvé que les parties ont substitué à leur véritable contrat, un contrat
apparent et fictif, dans le cas, par exemple, ou des ventes bien réelles sont déguisées sous forme d’une
donation, un marché de travaux, une procuration … Pour avoir une taxation moins importante,
l’administration fiscale se trouve en droit de justifier par tous moyens de preuve en adéquation avec
la loi fiscale mise à sa disposition et chercher en dehors des actes eux-mêmes le véritable caractère de
la convention concernée.
Les cas où l’administration fiscale peut être amenée à rechercher le véritable caractère des
conventions sont nombreux. Nous citons, à titre d’exemple, les cas suivants :
 Les contrats de gérance de fonds de commerce avec paiement ou conditions faisant présumer
une vente déguisée de ce fonds de commerce ;
 Les ventes à une personne marchande de biens immobiliers (commerce d’achat et de vente
d’immeubles), consenties sous la forme de procuration pour vendre, doublées de promesse de
vente;
 Les ventes déguisées sous la forme de marchés de construction ou de donation ;
 Etc.
De même l’article 50 de la loi sur l’IS prévoit que : « tout personne convaincue d’avoir participé aux
manœuvres destinées à éluder le paiement de l’impôt, assisté ou conseillé une société dans l’exécution
desdites manœuvres, est passible d’une amende égale au minimum à mille dirhams (1000dh) et au
maximum à 100% du mentant de l’impôt éludé ».
1- le mode d’application de la loi fiscale :
Les lois fiscale doivent être, en principe, appliquées de manière rigoureuse et sans interprétation.
2-1- Interprétation de la loi fiscale :
En matière fiscale, le raisonnement par analogie n’est pas permis. Ainsi, les dispositions légales prévues
dans un texte ne peuvent etre étendues à un autre texte.
L’interprétation par analogie en droit fiscale impliquerait l’extension à un impôt, des règles légalement
prévues pour un autre.
De ce fait, il n’est pas possible, ni pour l’administration fiscale, ni pour le contribuable d’interpréter les
lois fiscales.
2-2- Application rigoureuse de la loi fiscale :
L’application rigoureuse de la loi fiscale consiste à retirer d’un texte, jusqu’à sa limite ; toutes les
conséquences possibles. Cependant, en pratique, l’administration fiscale juge parfois utiles d’adopter
l’esprit du législateur au lieu de se contenter de la lettre de texte de la loi. Cette interprétation va tenir
compte des travaux préparatoires des lois et de l’intention présumée du législateur.
Par ailleurs, la loi fiscale est exécutoire le jour même de sa publication au bulletin officiel sans qu’il soit
nécessaire de tenir compte de la date d’arrivée du bulletin officiel dans les différentes régions du
Royaume.
En outre, selon le principe constitutionnel imposé au législateur lui-même, la loi est non rétroactive.
En fait, une loi nouvelle créant ou supprimant des obligations fiscales ne régit que les situations et faits
juridiques existants après sa publication au bulletin officiel.
2- Optimisation fiscale et rapports de l’administration fiscale avec l’entreprise :
Ces rapports constituent dans certains cas des limites à l’optimisation fiscale, notamment lorsqu’il
s’agit de questions difficiles ou certaines. En fait, dans ces cas, il est difficile d’obtenir de
l’administration fiscale « des réponses qui engagent ».
Par ailleurs, d’autres situations constituent en elles mêmes limites à l’optimisation fiscale, nous
citerons à titre d’illustration les cas suivants :
 Pour certaines activités, l’entreprise se trouve en situation de devoir supporter définitivement
une partie de la TVA, normalement récupérable, en raison de la règle dite du « butoir » ;
 Une entreprise débitrice envers le Trésors public ne peut procéder à une compensation avec les
sommes dont celui-ci lui est redevable (excédents d’acomptes, TVA à rembourser), alors que le
percepteur peut retenir toute somme due à l’entreprise pour apurer les impôts réclamés y compris
ceux qui fait l’objet de contestation par entreprise ;
 L’entreprise se voit réclamer le paiement des pénalités en majorations sur des sommes ayant fait
l’objet dégrèvements ultérieurs ;
 Non-respect par le Trésor public des délais légaux en matière de restitution et de
remboursement d’impôts et de taxes, notamment en ce qui concerne :
 Le délai de restitution d’office du reliquat concernant l’excédent d’IS versé par la société ;
 Les délais de remboursement de la TVA.
 L’absence de la jurisprudence fiscale publiée. En effet, l’absence de la publication de la
jurisprudence fiscale marocaine, qui constitue une des sources du droit, est une grave lacune dans
notre droit fiscal.
Chapitre II : Moyens de lutte les optimisations abusives :
A. Les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale au Maroc :
Au Maroc, la fraude et l’évasion fiscale, dysfonctionnement du système fiscal, est un
produit des enjeux, des interactions et des interdépendances des demandes du système
politique exprimées en dépenses publiques en croissance permanente, et de réactions des
acteurs du système économique aux contraintes du système fiscal.
L’approche de la politique fiscale, alternant, simultanément, les modifications des taux
d’imposition et l’octroi d’exonérations fiscales, a contribué à la réunion des conditions
favorables à l’amplitude de la fraude fiscale qui sont :
-Une fiscalité pénalisante pour l’entreprise
-Des prélèvements fiscaux à la source qui grèvent lourdement les salaires ;
-Une fiscalité indirecte qui décourage la consommation.
Dans le contexte marocain, il nous semble que la fraude fiscale est une réaction défensive,
certes anormale, des contribuables contre l’instrumentalisation sélective et inégalitaire du
système fiscal.
Pour affirmer ces propos, il est opportun d’analyser les actions des pouvoirs publics pour les
comportements frauduleux des contribuables et d’évaluer leur performance et efficacité.
a. Les limites des dispositions classiques de lutte contre la fraude et l’évasion
fiscale :
La réforme fiscale a instauré un système synthétique déclaratif axé principalement sur le
monde de la retenue à la source au titre des revenus salariaux et des revenus de capitaux
mobiliers et du paiement spontané en ce qui concerne la TVA et l’impôt sur les sociétés.
Le fondement du système fiscal déclaratif est que l’acte fiscal accompli par le contribuable
au titre de la déclaration de ses revenus, de son chiffre d’affaires, sous sa propre
responsabilité, jouit de la présomption de sincérité jusqu’à preuve du contraire.
Cependant, les résultats du contrôle fiscal font observer que la fraude fiscale est une réalité
qui porte atteinte à la répartition équitable des charges publiques et qui fausse les règles de
la libre concurrence.
§1 : L’organisation administrative du contrôle fiscal :
Etablir l’équilibre entre les acteurs économiques et contribuer à la cohésion sociale
constituent l’enjeu du contrôle fiscal. De ce fait, le contrôle fiscal doit être une action
stratégique de la politique publique à objectifs multiples et variés dont l’exécution est assurée
par l’administration fiscale.
La logique du contrôle fiscal impose la recherche du meilleur rendement afin d’assurer à
l’Etat les ressources nécessaires pour couvrir les différentes charges.
L’objectif juridique du contrôle fiscal est de veiller à l’application de la loi fiscale dans le cadre
des procédures de taxation spécifiques qui sauvegardent les garanties des contribuables et
assurent la crédibilité du régime déclaratif du système fiscal.
L’objectif socio-économique du contrôle fiscal est de sauvegarder les règles de la concurrence
entre les opérateurs économiques mais aussi d’assurer l’application du principe de l’égalité
devant l’impôt et par l’impôt et la régulation de l’économie.
Le contrôle fiscal constitue donc un ensemble de moyens juridiques au service d’une
organisation publique dont les actions et les décisions administratives obéissent à une
rationalité de politique publique de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Ainsi, le contrôle fiscal requiert une superposition de plusieurs fonctions complémentaires
et hiérarchisées qui peuvent être regroupées dans les attributions :
-De conceptions, d’analyse et de suivi d’exécution des programmes de vérification, assurés
par les services de l’administration centrale ;
-De contrôle opérationnel des comptabilités des entreprises exercées par les brigades
régionales de vérification et du contrôle sur pièces par les inspecteurs de l’assiette.
§2 : Les procédures du contrôle fiscal :
A priori les déclarations souscrites par les contribuables sont présumées sincères.
Cependant, l’administration se réserve le droit de contrôler leur caractère probant dans la limite
du délai de reprise, afin de réparer les omissions et les irrégularités et de sanctionner les actes
frauduleux.
Ainsi, le contrôle fiscal a pour fonction principal de vérifier la sincérité des déclarations et
s’assurer, sur place, de l’existence matérielle des biens figurant à l’actif.
La vérification comprend deux phases distinctes mais complémentaires :
-Le contrôle de la déclaration fiscale effectué par l’agent d’assiette, dans son bureau : contrôle
sur pièces ;
-La vérification de la comptabilité qui est effectué sur place, selon des programmes préétablis :
le contrôle externe.
A la base du contrôle fiscal, il y a la collecte de renseignements permettant de déceler les
insuffisances et les dissimulations dans les déclarations fiscales. La recherche de
renseignements par l’administration auprès des tiers s’inscrit, par voie législative, dans le droit
de communication.
Lorsque, à l’issue d’une vérification comptable, l’inspecteur est amené à rehausser la base
d’une imposition primitive il doit, avant d’établir l’imposition supplémentaire et les sanctions
correspondantes, engager la procédure contradictoire des rectifications des impositions.
Comme toute infraction pénale, le délit en matière fiscale doit nécessairement être
constitué par la réunion de trois éléments :
-un élément légal reposant sur l’existence d’une disposition législative réprimant le fait
incriminé ;
-un élément matériel ayant trait à la preuve de l’infraction commise ;
-un élément intentionnel ayant trait à l’intention frauduleuse.
Les infractions considérées manœuvres frauduleuse, doivent avoir pour mobile, la volonté de :
-Se soustraire à la qualité de contribuable ou au paiement de l’impôt ;
- Ou d’obtenir des déductions ou des remboursements indus.
Les faits constitutifs des infractions sont les suivants :
-Délivrance ou production de factures fictives ;
-Production d’écritures comptables fausses ou fictives ;
-Vente sans factures de manière répétitive ;
-Soustraction ou destruction de pièces comptables légalement exigibles ;
-Dissimulation de tout ou partie de l’actif du redevable en vue d’organiser son insolvabilité.
Il appartient à l’administration fiscale d’apporter la preuve de l’existence de tels faits.
Ces infractions sont constatées par PV établi par deux agents de l’administration fiscale ayant
au moins le grade d’inspecteur, commissionnés à cet effet et assermentés conformément à la
législation en vigueur.
Cette constatation ne peut avoir lieu que lors d’un contrôle fiscal et à l’occasion d’une
vérification de comptabilité.
La loi prévoit l’application de sanctions pénales sous forme d’une amende de 5 000 à 50 000
dhs et, en cas de récidive, une peine d’emprisonnement de 1 à 3 mois, est-ce suffisant ?
L’initiative de la plainte, pour l’application des peines pénales appartient au Ministre des
Finances ou à la personne déléguée par lui à cet effet.
Cette plainte est obligatoirement soumise à l’avis préalable et constitutif d’une commission dite
« commission des infractions fiscales ».
Après avis de la commission des infractions fiscales, le Ministre des Finances ou la personne
déléguée par lui à cet effet peut saisir peut saisir le Procureur du Roi compétent du lieu de
l’infraction. Le procureur du roi saisi le tribunal compétent qui doit charger un de ses membres
en vue de procéder à un complément d’information, étant précisé que le caractère dudit
complément d’information est une dérogation aux règles de procédure pénale de droit
commun.
§3 : Les limites inhérentes au système de contrôle fiscal :
La performance du contrôle fiscal est tributaire de certaines difficultés et insuffisances liées
directement aux conditions d’exercice du droit de vérification des comptabilités par les
inspecteurs vérificateurs, et concernant tout particulièrement :
-Le cadre législatif et réglementaire régissant le droit d’appréciation de l’administration ;
-L’approche de programmation des entreprises à vérifier ;
-Les ressources du contrôle fiscal ;
Nul besoin de démontrer que le système fiscal doit tenir compte des caractéristiques du
système social. En retour, les mesures fiscales doivent aussi rétroagir sur le système social
pour répondre aux objectifs et aux exigences des systèmes économiques, financiers et
politiques. C’est cette dynamique des systèmes qui devra présider à l’effort de réforme et
d’adaptation du système fiscal à son environnement.
En matière de contrôle fiscal, l’évolution d’amélioration des structures financière et
organisationnelle des entreprises impose à l’administration fiscale une dynamique
d’adaptation des règles et des techniques de contrôle aux finalités d’équité et d’efficacité du
système fiscal.
A ce titre, la plus part des vérificateurs perçoivent le cadre législatif contraignant en apportant
trop de garanties aux contribuables au détriment de la performance du contrôle. C’est le cas :
-du pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale ;
-de la procédure de taxation d’office.
Le contrôle fiscal, action opérationnelle de lutte contre la fraude fiscale, est un outil de
régulation du système économique et financier. Son efficacité dépend des règles et des
mécanismes régissant l’organisation et le fonctionnement des acteurs économiques et
financiers.
De même, l’objectif d’équité et d’efficacité du contrôle fiscal demeure tributaire de la
transparence des flux économiques et financiers des entreprises. Autrement dit, le rendement
du contrôle fiscal est conditionné par le niveau de développement du système informationnel
de l’économie.
b. Les voies nouvelles de lutte contre la fraude fiscale au Maroc :
La fraude fiscale est un phénomène social complexe dont la caractéristique principale
est « le manquement à l’éthique sociale ».
En effet, l’interdépendance et l’interaction des divers facteurs politique, économique,
administratif et culturel conditionnent les comportements frauduleux des acteurs du système
économique. Dans cette perspective, la fraude fiscale est perçue comme un
dysfonctionnement résultant à la fois des contraintes budgétaires et des exigences du système
politique d’une part, et des réactions des acteurs du système économique contre le poids de
la pression fiscale élevé au moyen de comportements frauduleux d’autre part.
La situation s’aggrave du fait que « la fraude fiscale a tendance à prendre aujourd’hui
des formes inédites, les structures juridiques sont plus complexes et plus opaques,
l’internationalisation des échanges engendre une délocalisation croissante de la matière
fiscale, les nouvelles technologies et le commerce électronique semblent ouvrir de nouveaux
chemins à la fraude et à l’escroquerie.
La réussite d’une stratégie de lutte contre la fraude fiscale dépend de l’importance attachée à
cette dernière au sein de la sphère sociale, économique et politique de la société.
Dans cette perspective, le Maroc doit faire face à un double défi :
-intégrer le processus de la mondialisation des échanges avec tout ce qu’il implique comme
changement culturel, économique, politique et organisationnel avec l’objectif affiché de
rattraper le gap de l’avance technologique pour réduire sa dépendance.
-puiser dans la fiscalité intérieure, dont le potentiel est encore peu exploité du fait de la pratique
de la fraude fiscale à grande échelle pour justement augmenter la capacité de financement du
Trésor public.
-contribuer à augmenter de façon continue les recettes fiscales.
-Développer chez les acteurs économiques, les décideurs politiques et les membres de la
société civile une nouvelle culture fiscale basée sur transparence, la participation et la
responsabilisation.
-Procéder à une réforme fiscale permettant à l’entreprise marocaine d’intégrer l’ère de la
mondialisation des échanges au moindre coût.
La complexité de la fraude fiscale et l’incapacité des pouvoirs publics par des actions
unilatérales, le plus souvent à caractère coercitif, ne s’inscrivant pas dans une démarche
globale pour juguler ce fait social, il nous semble qu’un processus d’interaction/négociation et
de coordination entre les divers intervenants dans le champ de la fraude fiscale est de nature
à créer les conditions favorables à l’élaboration et la mise en œuvre de voies nouvelles de
lutte contre la fraude qui intègrent deux actions complémentaires.
-La première action politico-administrative de lutte contre la fraude fiscale s’intéresse
principalement à la gestion du système fiscal. C’est une réflexion managériale en termes de
coût/efficacité de l’action publique de lutte contre la fraude intégrant l’ensemble des acteurs
du système fiscal. Cette nouvelle conception de la lutte contre la fraude fiscale sera
concrétisée par l’institution d’un conseil national de lutte contre la fraude fiscale qui aura la
charge d’élaboration d’une stratégie nationale en la matière.
- La deuxième action politique est une proposition de réforme fiscale qui amène un
changement, qualitatif dans le système fiscal et ce, dans le but d’assurer son adaptation à son
environnement dans le sens :
+De sécuriser les acteurs/contribuables ;
+De créer les conditions favorables de la légitimité de lutte contre la fraude fiscale en tant
qu’action collective.
B. Le rôle du droit international dans la lutte contre L’O.F :
Paradis fiscaux : les outils de lutte contre l’optimisation fiscale des entreprises
La plupart des sociétés du CAC 40 ont reconnu avoir des filiales détenues dans des paradis fiscaux. Elles
ne sont évidemment pas les seules au monde. La plupart des grands groupes internationaux font
pareil.
L’utilisation des paradis fiscaux par les groupes répond à des préoccupations diverses : bénéficier d’une
réglementation financière, juridique ou administrative plus souple pour certaines opé- rations,
répondre à une exigence du client ou d’un fournisseur pour certains types de marchés ou, tout
simplement baisser le poids de l’impôt payé par le groupe.
Sur le plan strictement fiscal c’est surtout ce dernier point qui pose problème. Des bénéfices qui
auraient dû être déclarés dans un Etat sont artificiellement délocalisés dans des pays où l’impôt est
très faible. Indépendamment même de l’aspect moral, le risque budgétaire est considérable et devient
intolérable dans une période où dans un contexte de crise, les grandes nations sont en situation de
déficit.
Pour la Direction générale des Finances publiques (DGFiP), qui assume la mission de contrôle fiscal,
lutter contre cette évasion fiscale est très difficile pour au moins quatre raisons :
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La première, c’est que la notion de paradis fiscal peut englober des situations très diverses. Il s’agit
en principe de pays à fiscalité très faible et qui refusent de donner des informations à des fins
fiscales. Mais cette définition est assez réductrice. D’ailleurs, le Code général des impôts (CGI) ne
comporte pas le terme de « paradis fiscal » mais, celui de « pays à régime fiscal privilégié » et
contrairement à de nombreux Etats comparables la France n’a pas publié de liste de « paradis
fiscaux ». La notion de régime fiscal privilégié est essentiellement définie par l’article 238 A du CGI.
Une entreprise est considérée comme soumise à un régime fiscal privilégié dans un Etat ou
territoire lorsqu’elle n’y est pas imposable ou lorsqu’elle y est assujettie à un impôt inférieur de
plus de la moitié à celui qu’elle aurait supporté en France. Ce qui permet de couvrir un champ
assez large et notamment d’inclure des Etats de l’Union européenne qui ont un impôt sur les
sociétés très faible, tels que l’Irlande, voire d’inclure certaines opérations financières bénéficiant
d’un régime très favorable aux Pays-Bas et au Luxembourg, notamment. Mais cette conception
large du paradis fiscal fait que le dispositif anti-abus est nécessairement plus complexe ;
La seconde, c’est que les paradis fiscaux refusent de donner des informations sur les opérations
réalisées dans leur juridiction. Les services de la DGFiP et des administrations fiscales des autres
Etats ne peuvent pas obtenir auprès d’eux des renseignements qui permettraient de déterminer
le montant des bénéfices délocalisés indûment. Il faut donc essayer d’obtenir des informations par
d’autres voies ;
La troisième, c’est qu’il peut y avoir dans certains cas une réelle activité économique déployée
localement. Un groupe français peut avoir intérêt à implanter une activité commerciale à Hong
Kong ou en Suisse, par exemple. Les bénéfices correspondants à ces activités sont alors
logiquement imposables dans le pays où s’exerce cette activité. Il faut donc faire le tri entre les
activités locales réelles et les activités artificiellement logées dans le paradis fiscal, ce qui n’est pas
toujours aisé ;
La quatrième, c’est que compte tenu des trois premières difficultés, il est nécessaire de mettre en
place un dispositif fiscal spécifique particulièrement « volontariste ». Mais celui-ci doit néanmoins
respecter nos engagements internationaux. Notamment le principe de libre établissement des
entreprises au sein de l’Union européenne posé par le traité de Rome et bien entendu l’ensemble
des engagements pris par la France dans les conventions fiscales bilatérales qu’elle a conclues avec
la quasi-totalité des Etats dans le monde à l’exception évidemment des paradis fiscaux puisque
ceux-ci refusent de fournir des informations à des fins fiscales.
C’est dans ce contexte qu’il faut examiner les outils fiscaux spé- cifiques dont dispose la DGFiP et voir
dans quelle mesure ils permettent d’atteindre l’objectif recherché. Ce qui permettra d’apprécier
l’intérêt des mesures nouvelles qui viennent d’être mises en place à la suite de la crise financière et de
divers scandales qui ont mis en exergue l’utilisation des paradis fiscaux à des fins d’évasion fiscale.
LA DGFIP DISPOSE D’OUTILS SPÉCIFIQUES
L’objectif recherché sur le plan fiscal n’est pas d’empêcher toute opération avec les paradis fiscaux
mais, de façon plus prosaïque, d’assurer la pérennité des rentrées budgétaires en taxant en France des
bénéfices qui y ont été artificiellement localisés. Par suite, le système mis en place repose sur deux
piliers.
Des moyens d’information
Les grandes sociétés imposables en France sont tenues de mentionner sur des déclarations
particulières toutes les sociétés avec lesquelles elles ont des liens de participation. Une obligation
déclarative spécifique est même prévue pour les filiales détenues à plus de 50 % et bénéficiant d’un
régime fiscal privilégié.
Par ailleurs, l’administration fiscale dispose de bases de données qui apportent des informations sur
les sociétés situées à l’étranger. Ces informations peuvent être complétées par les renseignements
obtenus auprès de l’Etat dans lequel est située la filiale de la société française.
Enfin, dans le cadre d’un contrôle fiscal, les vérificateurs peuvent rechercher à partir de l’examen de
la comptabilité l’existence de flux financiers et notamment de commissions, intérêts et dividendes à
destination ou en provenance de paradis fiscaux.
L’Administration n’est donc pas démunie de moyens d’information sur l’existence d’une entité dans
un pays à fiscalité privilégiée.
Une législation qui a pour but de contrer les montages d’optimisation
Il ne s’agit pas ici de recenser toutes les dispositions spécifiques du CGI qui peuvent s’appliquer à des
opérations réalisées par des entreprises françaises avec des paradis fiscaux. Certaines étant d’ailleurs
d’application très marginale.
L’essentiel poursuit deux objectifs. D’une part, taxer en France des bénéfices logés artificiellement
dans un paradis fiscal, d’autre part, ne pas autoriser la déduction sur l’impôt sur les bénéfices en France
de sommes versées sans justification précise via des paradis fiscaux.
La taxation à l’impôt sur les sociétés des bénéfices réalisés par des entités bénéficiant d’un régime
fiscal privilégié
Il est possible dans certains cas d’implantation dans un paradis fiscal de faire application du principe
fondamental de l’impôt sur les sociétés en matière de territorialité, posé par l’article 209-I du CGI, et
selon lequel sont imposables en France les bénéfices réalisés par des entreprises qui y sont exploitées.
Cette disposition peut être utilisée pour imposer en France tout ou partie des bénéfices réalisés par
une entreprise bénéficiant d’un régime fiscal privilégié lorsque la réalité de l’implantation à l’étranger
peut être remise en cause. S’il ne s’agit pas d’une vraie entreprise avec des moyens propres mais d’une
simple « boîte aux lettres » dirigée et administrée depuis la France, l’intégralité du bénéfice réalisé par
cette filiale pourra être imposée en France.
En outre, pour lutter contre la localisation de bénéfices dans des pays à fiscalité privilégiée, la France
comme plusieurs autres Etats de l’OCDE a introduit une exception au principe de territorialité. Cette
exception prévue par l’article 209 B du CGI consiste à imposer à l’impôt sur les sociétés les bénéfices
réalisés par une filiale étrangère exerçant réellement une activité mais bénéficiant d’un régime fiscal
privilégié.
Cet article permet d’imposer les bénéfices réalisés par cette entité étrangère à hauteur de la
participation détenue et sous déduction de l’impôt acquitté à l’étranger, sauf à démontrer que cette
entité exerçait principalement une activité effective sur le marché local.
Mais cette disposition d’exception a dû être sensiblement atténuée en 2005 pour la rendre compatible
avec nos conventions fiscales internationales et pour ce qui concerne les Etats de l’Union européenne
avec le principe de libre établissement.
L’article 209 B ne vise désormais que les filiales détenues directement ou indirectement à plus de 50
% et les bénéfices ne sont imposables pour les entités situées dans l’Union européenne que s’il est
possible de démontrer que le recours à cette entité constitue un montage artificiel dont le but est de
contourner la législation française. Quant aux entités situées hors de l’Union européenne, le dispositif
n’est pas applicable si l’entreprise a principalement une activité industrielle ou commerciale effective,
sauf si ses bénéfices proviennent pour plus d’une certaine proportion (20 ou 50 %) de transactions
financières ou de prestations intra-groupe. Mais même dans ce dernier cas, l’entreprise garde la
possibilité d’échapper à la mise en œuvre du dispositif en démontrant que les opérations effectuées
ont principalement un effet autre que fiscal.
La déductibilité des sommes versées à des personnes morales ou physiques situées dans des pays à
régime fiscal privilégié
L’article 238 A du CGI institue un renversement de la charge de la preuve. Pour les charges financières,
les redevances et les rémunérations versées à des personnes situées dans des paradis fiscaux ou sur
des comptes tenus par des établissements financiers établis dans des paradis fiscaux, c’est à
l’entreprise et non à l’Administration de justifier que les dépenses correspondent à des opérations
réelles et ne présentent pas un caractère normal ou exagéré.
Cet article a notamment pour objectif de dissuader les entreprises de verser des « pots de vin » à des
intermédiaires situés dans des paradis fiscaux dans le cadre de marchés internationaux. Il renverse la
charge de la preuve et oblige les entreprises à justifier de la réalité du service rendu.
Mais l’application de ce principe est délicate. L’Administration doit d’abord démontrer qu’on est bien
en présence d’un pays à fiscalité privilégiée, c’est-à-dire que l’imposition des sommes en cause est
inférieure à la moitié de l’imposition en France, soit aujourd’hui inférieure à 16,6 % du bénéfice. Par
ailleurs, l’Administration ne peut pas vérifier les éléments fournis par l’entreprise auprès de
l’Administration de l’Etat concerné puisque celui-ci refuse toute collaboration.
Quant à l’entreprise, elle s’appuie sur la jurisprudence très « libérale » du juge de l’impôt qui admet
que ces sommes soient déductibles dès lors qu’elles sont bien rattachées à l’obtention ou au
développement d’un marché, qu’elles ont effectivement permis d’obtenir ou de développer ces
marchés, que leur montant n’est pas exagéré et qu’il n’existe pas de soupçon de collusion d’intérêts
entre la partie versante et les bénéficiaires des versements.
Une seconde disposition prévue par l’article 39-2 bis du CGI est beaucoup plus radicale puisqu’elle
supprime la possibilité pour les entreprises de déduire de leurs résultats les sommes versées à un agent
public en vue d’obtenir ou de conserver un marché. Mais cette fois-ci la charge de la preuve incombe
à l’Administration qui doit démontrer que des agents publics ont bénéficié des avantages.
LES PARADES UTILISÉES POUR CONTOURNER LES DIFFICULTÉS
La DGFiP est fortement mobilisée sur les problématiques d’optimisation fiscale internationale. Les
résultats en témoignent. Aujourd’hui, plus d’un contrôle sur trois des grandes entreprises se traduit
par au moins un rappel se rapportant à un sujet international.
Cela étant, comme on l’a vu, l’exercice est difficile et évolutif. Pour contourner ces difficultés des voies
de contournement sont utilisées.
Le recours aux prix de transfert
Les changements apportés en 2005 à l’article 209 B pour le rendre compatible avec nos engagements
internationaux en ont réduit sensiblement la portée. Dans l’Union européenne, les entreprises sont
attentives à donner un minimum de consistance aux entités susceptibles de relever du 209 B. Hors
Union européenne, les entreprises se réfugient derrière la réalité de l’implantation locale et sa finalité
autre que locale.
Cela étant, il est possible de contourner l’obstacle en utilisant une autre disposition destinée à lutter
contre le transfert de bénéfices à l’étranger. Il s’agit de l’article 57 du CGI dont le principe est
comparable à celui de l’article 9 du Modèle de convention de l’OCDE.
Cette démarche consiste à démontrer qu’une société à mis en place une politique de prix avec sa filiale
située à l’étranger qui n’est pas normale au regard des prix pratiqués entre deux sociétés
indépendantes et qui aboutit à une répartition déséquilibrée de la base d’imposition entre les Etats.
Cette disposition n’est pas spécifique aux délocalisations de bénéfices au profit de paradis fiscaux. Elle
s’applique quel que soit le régime fiscal du pays dans lequel est établi la filiale, mais il est
particulièrement opportun de l’appliquer lorsque la filiale est établie dans un pays à fiscalité
privilégiée. Dans ce dernier cas, il n’est d’ailleurs pas nécessaire à l’Administration de montrer
l’existence d’un lien de dépendance entre les deux entreprises participant à l’opération.
La mise en œuvre de la notion de prix de transfert est assez complexe. Elle est très encadrée par
l’OCDE. L’Administration doit démontrer l’existence d’avantages accordés indûment à la filiale
étrangère compte tenu de la politique de prix pratiquée, du versement anormal de redevances ou des
prêts consentis. C’est souvent un débat d’experts, délicat, mais qui est à l’origine aujourd’hui de
rappels considérables.
L’utilisation de l’abus de droit
Les schémas d’optimisation mis en place par certaines entreprises sont très sophistiqués. Ce sont des
montages qui mettent en œuvre les réglementations juridiques et fiscales de plusieurs Etats qui
interposent plusieurs entités juridiques et qui utilisent des produits financiers de plus en plus
complexes. En outre, les monteurs de ces schémas anticipent les questions qui seront posées par les
administrations fiscales en prenant un certain nombre de précautions.
A titre d’exemple de montage, on peut évoquer :
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Le changement de mode juridique d’exploitation : il s’agit de transformer une société bénéficiaire,
distributeur ou producteur en France, en un simple commissionnaire ou façonnier rémunéré par
une faible marge et qui travaille pour une entreprise principale qui a été implantée dans un pays à
fiscalité privilégiée ;
L’endettement artificiel : une entreprise bénéficiaire en France va distribuer des dividendes
exceptionnels et réemprunter immédiatement la même somme à une société du même groupe. Il
n’y aucun apport financier nouveau pour la société française mais son bénéfice est réduit pour
longtemps par les charges d’intérêt d’emprunt dont le remboursement n’est pas imposable chez
la prêteuse ;
L’utilisation de produits financiers hybrides traités différemment entre les Etats (prêt d’un côté,
capital de l’autre) ou sociétés considérées comme transparentes d’un côté ou opaques de l’autre,
permettent dans le cadre de montages internationaux de créer une charge financière en France
sans que les produits soient imposables chez les sociétés bénéficiaires du groupe situées à
l’étranger ;
Le treaty-shopping : il s’agit de montages reposant sur l’interposition d’une société écran située
entre la société française et la société établie dans un paradis fiscal et située dans un Etat lié à la
France par une convention fiscale permettant de ne pas appliquer une retenue à la source ;
La localisation d’incorporels (prêts, brevets, marques, etc.) dans des pays qui appliquent un régime
favorable à ces opérations.
Face à ces montages d’optimisation, l’Administration utilise dans certains cas la procédure dite de
l’abus de droit dont les conditions de mise en œuvre sont fixées par l’article 64 du Livre des procédures
fiscales. Il s’agit alors pour l’Administration de démontrer la fictivité du montage ou que le schéma a
été mis en place dans un but exclusivement fiscal. L’Administration peut alors requalifier l’opération
et appliquer l’impôt qui aurait dû être acquitté. Ce moyen est d’application délicate mais c’est une
force de dissuasion très puissante puisque les rappels sont alors accompagnés d’une pénalité égale à
80 % des droits rappelés.
L’assistance administrative internationale
Pour taxer à l’impôt sur les sociétés en France des opérations artificiellement logées dans un pays à
fiscalité privilégiée, il est nécessaire d’avoir des informations précises sur le montant et le traitement
fiscal et comptable des sommes en cause.
C’est pour cette raison que les Etats regroupés au sein de l’OCDE ont prévu d’introduire dans les
conventions fiscales bilatérales un mécanisme d’échanges de renseignements qui donne la possibilité
aux Etats contractants de demander des informations sur les opérations réalisées par une société.
Cette procédure est de plus en plus utilisée par l’administration fiscale française. S’agissant des
grandes entreprises, près de 15 % des contrôles font aujourd’hui l’objet de cette procédure.
Il s’agit là d’un moyen très efficace d’information et donc de lutte contre l’évasion fiscale
internationale. Certes cette procédure ne peut pas être utilisée avec les Etats qui n’ont pas signé de
conventions fiscales avec la France. Mais les schémas d’optimisation mettent fréquemment en jeu
plusieurs Etats et il possible dans certains cas grâce à l’assistance administrative de contourner les
Etats qui rechignent à donner des renseignements. Reste la lenteur des réponses qui est difficilement
compatible avec les efforts effectués pour limiter la durée des contrôles des entreprises.
L’ARRIVÉE DE NOUVEAUX OUTILS EST OPPORTUNE
La voie choisie : amener les « paradis fiscaux » à coopérer
Les entreprises qui mettent en place des schémas d’optimisation consistant à localiser les bénéfices
dans les Etats où la pression fiscale est la plus faible arguent qu’elles n’y sont pour rien si la fiscalité
n’est pas harmonisée entre les Etats et qu’il est donc normal au plan de la rationalité économique de
profiter de cette situation.
Mais l’alignement des fiscalités dans l’ensemble des pays du monde serait vain et irrationnel. Les
situations financières, économiques, sociales et géopolitiques des Etats sont diverses et il est normal
que la fiscalité qui reflète ces situations ne soit pas partout la même. Au sein même de l’Union
européenne, les fiscalités directes restent très différentes dans leur composante et leur nature, et leur
harmonisation n’est pas d’actualité.
En revanche, il faut que les Etats veillent à conserver les impôts qui leur reviennent pour des motifs
évidents d’équité entre leurs ressortissants et de préservation des ressources budgétaires.
Pour cela, la meilleure arme est l’intensification de la coopération entre les Etats. Il faut mettre à mal
l’opacité des transactions qui n’a aucune justification. C’est l’objectif recherché par les dirigeants du G
20 qui en 2009 ont décidé de sanctionner les Etats ou territoires qui se soustrairaient aux standards
internationaux de transparence en matière fiscale.
Dans ce cadre, un dispositif nouveau a été mis en place en France dans la loi de finances rectificative
pour 2009. Il repose sur un principe fort : les Etats qui refusent la transparence seront lourdement
sanctionnés.
Le système mis en place
Désormais, on définit les Etats qui vont faire l’objet de mesures de rétorsion. Ces Etats non
transparents sont appelés « Etats ou territoires non coopératifs » (ETNC). Il s’agit pour l’essentiel des
Etats non membres de l’Union européenne et qui n’ont conclu ni avec la France ni avec au moins douze
Etats une convention d’assistance administrative permettant l’échange de renseignements en matière
fiscale. Ont été ainsi recensés par la France dix-huit Etats dans un arrêté du 12 février 2010.
Un régime dissuasif est mis en place pour ces ETNC avec notamment pour ce qui concerne les sociétés,
une retenue à la source portée à 50 % des rémunérations versées à des personnes situées dans un
ETNC, la suppression du régime des sociétés mères et filiales pour les dividendes en provenance
d’entités situées dans ces Etats, la preuve mise à la charge des sociétés pour apporter la démonstration
que les conditions de non-application de l’article 209 B sont remplies et le durcissement de la charge
de la preuve pour l’entreprise dans la mise en œuvre de l’article 238 A.
Tous les Etats feront l’objet d’un contrôle effectué par leurs pairs sur la bonne exécution de leurs
engagements en matière d’assistance administrative internationale. Il s’agira notamment de s’assurer
que les renseignements demandés sont fournis et ceci dans un délai rapide de 90 jours en principe.
Deux dispositions complémentaires
Par ailleurs, le même texte de la loi de finances contient deux dispositions qui fournissent des outils
supplémentaires à la DGFiP. D’une part, les grandes entreprises devront désormais tenir à la
disposition de l’administration fiscale une documentation permettant de justifier leur politique de prix
de transfert. Cette mesure qui existait déjà dans de nombreux Etats montre qu’on touche là à un point
essentiel en matière de lutte contre l’optimisation fiscale internationale. La documentation obligatoire
permettra d’éviter des investigations parfois fastidieuses et irritantes pour les deux parties en cas de
contrôle. Le dialogue s’engagera sur la base de la documentation et donc de façon plus opérationnelle.
D’autre part, une procédure d’enquête judiciaire pour les cas de fraude fiscale les plus graves est
désormais instituée à l’instar de ce qui existe déjà dans de nombreux pays de l’OCDE. Désormais il sera
possible en France dans les cas de présomption de fraude et sous certaines conditions de procéder à
des enquêtes judiciaires utilisant les moyens d’investigation de la police (perquisitions, gardes à vue,
etc.). Les cas de fraude utilisant des paradis fiscaux font évidemment partie des situations qui pourront
faire l’objet de cette procédure.
La nécessité de lutter contre l’utilisation des paradis fiscaux n’est pas une découverte récente. Les
rapports internationaux et français sur cette question se sont succédé et ont démontré la nocivité du
recours à ces pratiques notamment sur le plan fiscal. Mais les progrès n’étaient pas réels.
La crise, les scandales, la situation budgétaire déficitaire de nombreux Etats ont créé une volonté
partagée de progresser et de lutter contre cette compétition fiscale déloyale. Désormais outre les
outils existants de lutte contre le blanchiment de l’argent sale, les Etats se dotent de l’arme fiscale.
Certes, certains observateurs restent sceptiques et attendent de voir. Des questions restent posées :
jusqu’où chaque Etat est-il prêt à aller pour traduire dans les faits la volonté des mesures proposées
au sein du G 20 ? Pourquoi certains Etats ou territoires ne sont-ils pas sur les listes des ETNC ?
Mais l’enjeu est de taille. Il s’agit d’aller vers une concurrence internationale plus loyale et d’assurer
aux Etats les moyens financiers auxquels ils sont en droit d’attendre. La DGFiP s’investit pleinement,
avec les nouveaux moyens dont elle dispose, dans cette lutte pour renforcer l’équité fiscale.
Section 1 :
ABSection 2 :
SECONDE PARTIE : CE QUI A ÉTÉ FAIT, CE QUI RESTE À FAIRE
I. UNE CAPACITÉ D’ACTION LIMITÉE AU NIVEAU NATIONAL
A. DES MESURES LÉGISLATIVES RÉCENTES CONTRE L’OPTIMISATION PAR LE FINANCEMENT
Les débuts de la législature en cours ont été marqués, en matière de fiscalité des entreprises, par
l’adoption d’une série de mesures ayant pour objectif de limiter certaines pratiques d’optimisation
contribuant à éroder l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Si aucune de ces mesures ne concerne
exclusivement les entreprises multinationales, certaines ont néanmoins pour objet de réagir à des
problématiques fiscales qui se révèlent plus préoccupantes dans un contexte d’internationalisation
des échanges et des activités économiques.
Seules deux de ces mesures, issues de la loi de finances initiale (LFI) pour 2013 (1), seront développées
en détail ici : d’une part, car elles ont été évoquées précédemment, d’autre part, car ce sont celles
dont les effets, notamment sur le plan budgétaire, sont les plus significatifs. La présentation détaillée
des autres mesures alourdirait à l’excès le présent rapport, dont l’objet est davantage de tracer des
pistes de réformes à venir que de s’attarder sur l’ensemble des mesures déjà prises. Pour mémoire,
on pourra retenir que la deuxième loi de finances rectificative pour 2012, adoptée en août de la même
année, contient plusieurs dispositifs anti-abus, notamment l’interdiction de déduire du bénéfice
imposable, sauf exception, les abandons de créance à caractère financier (article 17) (2).
1. La limitation de la déductibilité des charges financières
Comme cela a été décrit supra, le fait de pouvoir déduire les charges financières de l’assiette imposable
en France (au taux de 33,1/3 %) peut constituer un intéressant vecteur d’optimisation fiscale, surtout
lorsque ces charges sont afférentes à l’acquisition – y compris dans des filiales étrangères – de titres
dont les produits – notamment l’éventuelle plus-value de cession ultérieure – sont exonérés d’impôt.
Une série de dispositifs anti-abus préexistait à la loi de finances initiale pour 2013 (3).
L’article 23 de la loi de finances pour 2013 a ajouté à ces règles antiabus un dispositif d’encadrement
de portée générale, sous la forme d’une réintégration forfaitaire. Une fraction (15 % puis 25 % à
compter de 2014) des
(1) Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
(2) Pour plus d’information, cf. Christian Eckert, Rapporteur général au nom de la commission des
Finances, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, n° 79, juillet 2012, pages 258
à 265 (commentaire de l’article 14) : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r0079.pdf
(3) Idem, pages 270 à 300 (commentaire de l’article 15).
charges financières nettes (1) doit désormais être réintégrée au résultat imposable. Pour l’application
de ce nouveau dispositif, la notion de charges financières s’étend, au-delà des charges financières «
classiques » (essentiellement les intérêts d’emprunt), à certains éléments de loyer (loyers de créditbail, loyers de location avec option d’achat, loyers simples de biens mobiliers payés entre entreprises
liées). Afin de préserver les petites et moyennes entreprises, il est cependant prévu que le mécanisme
de réintégration ne s’applique que lorsque le montant des charges financières nettes de l’entreprise
excède 3 millions d’euros.
2. Un régime des plus-values de cession à long terme de certains titres de participation rendu
plus rigoureux
Un temps envisagée, l’idée d’une réintégration généralisée dans le revenu imposable des charges
financières afférentes à l’acquisition de titres dont les produits sont exonérés (donc une extension de
l’amendement Carrez) a finalement été écartée par le Gouvernement car « l’asymétrie à laquelle elle
cherche à remédier (charges déductibles, produits exonérés) est traitée en partie par le durcissement
du régime fiscal des plus-values sur titres de participation » (2). De fait, l’article 22 de la LFI 2013 a
significativement modifié le régime fiscal de ces plus-values.
En application du a quinquies du I de l’article 219 du code général des impôts, les plus-values de cession
de titres de participation détenus depuis plus de deux ans (sous le régime dit de long terme) sont
exonérées d’IS depuis le vote d’un amendement sénatorial au projet de loi de finances rectificative
pour 2004.
Une quote-part du montant des plus-values est toutefois réintégrée à l’assiette de l’impôt : elle est
supposée compenser pour partie la déductibilité des charges afférentes à l’acquisition et à la gestion
des titres. La quote-part était initialement de 5 % du montant net des plus-values, soit la différence
positive entre les plus-values et les moins-values de l’exercice. Le taux de la quote-part a été porté à
10 % par l’article 4 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2011.
La loi de finances pour 2013 a procédé à deux modifications substantielles :
Le taux de la quote-part a été porté à 12 % ;
Surtout, la quote-part est désormais assise sur le montant brut des plus-values, et non plus sur leur
montant net.
(1) Soit le résultat positif de la différence entre les charges financières brutes et les produits financiers.
(2) Évaluation préalable annexée à l’article 15 du projet de loi de finances pour 2013.
B. LES PRINCIPAUX OUTILS DE CONTRÔLE DES PRATIQUES D’OPTIMISATION ABUSIVES
1. Des outils généraux : l’abus de droit et l’acte anormal de gestion
a. L’abus de droit fiscal
Comme le résument joliment Maurice Cozian et Florence Deboissy, « l’abus de droit, c’est le péché des
surdoués de la fiscalité » (1). Cette construction permet à l’administration fiscale d’ignorer les actes
dont l’apparente régularité juridique dissimule leur objet véritable et exclusif : l’évitement de l’impôt.
En droit français, cette notion et la procédure qui permet sa mise en œuvre sont codifiées à l’article L.
64 du livre des procédures fiscales (LPF).
Article L. 64 du livre des procédures fiscales
« Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant
pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit
que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des
objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder
ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait
normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est
soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut
également soumettre le litige à l'avis du comité.
Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé
de la rectification.
Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public. »
Deux comportements distincts, visant un but unique, sont susceptibles de constituer un abus de droit:
–
–
–
La simulation. Le contribuable tente ici d’opposer à l’administration des actes qui « ont un
caractère fictif », qui n’ont en réalité aucune substance juridique et/ou concrète (2) ;
La fraude à la loi (3). Le contribuable recherche « le bénéfice d'une application littérale des textes
ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » ;
Dans tous les cas, le seul et unique but recherché est la minoration ou l’annulation de l’impôt, les
actes n’ayant été « inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges
fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement
supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
(1) Maurice Cozian et Florence Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, LexisNexis.
(2) Exemples : création d’une société fictive ; qualification volontairement erronée d’un acte.
(3) Cette expression usuelle peut être trompeuse ; elle signifie en réalité « contournement de l’esprit de
la loi ».
La procédure d’abus de droit est actionnée par l’administration fiscale à l’occasion d’un contrôle. Si le
contribuable conteste les rectifications notifiées par le fisc, il peut saisir pour avis le comité de l’abus
de droit fiscal (1). Cette saisine est également ouverte à l’administration.
L’abus de droit est lourdement sanctionné, le contribuable subissant :
–
–
–
Le rétablissement de l’impôt normalement dû ;
Le paiement d’intérêts de retard à hauteur de 0,40 % par mois (2) ;
Une majoration égale à 80 % des sommes lorsqu’il est établi que le contribuable a eu l'initiative
principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire
(ramenée à 40 % lorsqu’une telle preuve n’a pu être apportée) (3).
Utilisation de la procédure d’abus de droit en matière de fiscalité internationale
La Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), chargée du contrôle fiscal des plus
grandes entreprises, a mis en œuvre la procédure d’abus de droit à 10 reprises au cours des cinq
dernières années, en matière de fiscalité internationale.
Selon les informations transmises à la mission, « les mécanismes combattus consistent principalement
à endetter artificiellement des structures françaises, ou à dissimuler des prêts en apport de capital
pour bénéficier du régime mère-fille, ou à créer des structures-écrans sans substance économique
pour dissimuler des revenus ».
Les redressements se répartissent de la sorte entre les différents types de montage :
–
–
–
–
–
Remise en cause de la substance de sociétés situées dans des paradis fiscaux pour dissimuler
des opérations spéculatives : 1 100 millions d’euros en base et hors pénalités ;
Montage mis en place pour bénéficier du régime mère-filles : 328 millions d’euros ;
Remise en cause de boucles fictives de financement (intérêts notionnels) : 256 millions d’euros
;
Remise en cause de montages d’endettement artificiel : 163 millions d’euros :
Lutte contre des abus conventionnels : 23 millions d’euros.
Les conditions permettant aux vérificateurs d’engager un redressement sur le fondement de l’abus de
droit sont lourdes, puisqu’ils doivent cumulativement :
–
Prouver que le contribuable a soit sciemment menti, soit consciemment détourné l’intention
du législateur ;
(1) L’article 1653 C du code général des impôts prévoit que le comité de l’abus de droit fiscal est
composé des personnalités suivantes, nommées par le ministre chargé du budget : un conseiller d’État
(président), un conseiller à la Cour de cassation, un avocat ayant une compétence en droit fiscal, un
conseiller maître à la Cour des comptes, un notaire, un expert-comptable et un professeur des
universités (agrégé de droit ou de sciences économiques). Le ministre nomme également un rapporteur,
fonctionnaire de catégorie A de la Direction générale des Finances publiques.
(2) En application de l’article 1727 du code général des impôts.
(3) En application de l’article 1729 du code général des impôts.
–
Démontrer qu’il l’a fait dans l’unique but de réduire son imposition. Or il peut être assez aisé
pour l’entreprise d’opposer à l’administration ne serait-ce qu’un seul argument de caractère
non fiscal, même ténu, à l’appui de l’acte contesté (nécessité économique ou de gestion, fûtelle vague).
Afin de faciliter le contrôle et le redressement des situations abusives et pour appréhender plus
aisément les cas de manipulation de prix de transfert, il pourrait être envisagé d’assouplir l’article L.
64 du LPF, en précisant que les actes constitutifs d’un abus de droit ont « principalement » – et non
pas « exclusivement » – pour but de minorer l’imposition que le contribuable aurait normalement
supportée.
Proposition n° 1 : Renforcer la portée de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales en précisant que
les actes constitutifs d’un abus de droit n’ont pas « exclusivement » mais « principalement » pour but
d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que le contribuable aurait normalement supportées.
b. L’acte anormal de gestion
Contrairement à l’abus de droit, notion législative codifiée, l’acte anormal de gestion résulte d’une
construction jurisprudentielle (1) et le demeure. En principe l’administration n’a pas vocation à
s’immiscer dans la vie de l’entreprise ou dans sa gestion quotidienne. Le fait qu’un dirigeant gère mal
son entreprise n’est pas fiscalement répréhensible. Encore faut-il que cette mauvaise gestion soit la
conséquence d’actes, certes maladroits ou mal avisés, mais pris dans l’intérêt de l’entreprise et non
dans l’intérêt particulier de ses dirigeants ou de tiers.
En substance, on peut définir l’acte anormal de gestion comme celui qui accroît les charges de
l’entreprise ou qui la prive d’un produit, sans que cet acte soit justifié par les intérêts de l’exploitation
de la société. Il a donc pour effet de créer un préjudice pour le Trésor public, soit en minorant les
recettes, soit en majorant les charges déductibles de l’entreprise.
Il serait impossible de dresser une liste exhaustive de tous les agissements susceptibles de constituer
des actes contraires à l’intérêt de l’entreprise. On se bornera ici à en évoquer quelques exemples, de
manière à éclairer la notion. De tels actes peuvent recouvrir :
–
–
Des dépenses injustifiées : octroi d’avantages à un tiers personne physique (parent, ami) ou
morale (société liée au sein d’un même groupe par exemple) ;
Des dépenses exagérées : le paiement d’un prix manifestement surévalué pour la
rémunération d’un actif vendu par une société d’un groupe à une autre société appartenant
au même groupe (par exemple : la société A achète à la société B au prix de 100 un tracteur
déprécié acheté 20 ans plus tôt par la société B au prix de 50) ;
(1) Cf. notamment Conseil d’État, 7ème, 8ème et 9ème sous-sections réunies, 27 juillet 1984, SA Renfort
Service, requête n° 34588.
–
La renonciation à des recettes : en reprenant l’exemple inverse du précédent, dans l’hypothèse où
A transfère à B, à titre gratuit, le dernier modèle de tracteur acheté la veille pour une valeur vénale
de 100.
L’acte anormal de gestion est, le cas échéant, doublement sanctionné :
–
–
Les bénéfices de l'entreprise sont rehaussés du montant des charges indues ou du manque à
gagner injustifié ;
Le bénéficiaire de l’acte est imposé sur les sommes indûment reçues.
Par rapport au dispositif de l’article 57 du code général des impôts, spécifique aux prix de transfert (cf.
infra), la procédure de l’acte anormal de gestion présente un avantage non négligeable : elle n’exige
pas l’établissement d’un lien de dépendance entre la société française et la société étrangère pour
réintroduire au résultat imposable de l’entreprise française les bénéfices indûment transférés à
l’étranger.
2. Les dispositions spécifiques relatives au contrôle des prix de transfert
Le droit national prévoit un dispositif de contrôle spécifique aux prix de transfert, dont le fondement
est l’article 57 du code général des impôts.
Article 57 du code général des impôts
« Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou
qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés
à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout
autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à
l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant
également le contrôle d'entreprises situées hors de France.
La condition de dépendance ou de contrôle n'est pas exigée lorsque le transfert s'effectue avec des
entreprises établies dans un État étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime
fiscal est privilégié au sens du deuxième alinéa de l’article 238 A.
En cas de défaut de réponse à la demande faite en application de l’article L. 13 B du livre des
procédures fiscales ou en cas d'absence de production ou de production partielle de la documentation
mentionnée au III de l’article L. 13 AA et à l’article L. 13 AB du même livre, les bases d'imposition
concernées par la demande sont évaluées par l'administration à partir des éléments dont elle dispose
et en suivant la procédure contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 du même livre.
À défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième
alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires
exploitées normalement. »
L’application de l’article 57 est conditionnée à l’existence de liens de dépendance (ou,
symétriquement, de contrôle) entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère. La dépendance,
dont les critères ne sont pas définis par la loi, peut être de droit ou de fait :
–
–
La dépendance de droit est constatée lorsqu’une entreprise détient une part prépondérante du
capital ou la majorité des droits de vote dans une autre entreprise ;
La dépendance de fait, par définition plus difficile à établir, peut être par exemple constatée par
les liens contractuels (notamment en cas de sous-traitance) ou encore par la capacité d’une
entreprise à dicter à l’autre les conditions économiques de leurs relations.
La charge de la preuve d’un lien de dépendance incombe à l’administration. Toutefois, cette condition
n’est pas exigée lorsque le transfert est effectué vers une entreprise établie dans un État ou territoire
à fiscalité privilégiée. Curieusement, cette condition reste exigée lorsque l’entreprise est établie dans
un ETNC.
Proposition n° 2 : Prix de transfert – Modifier l’article 57 du code général des impôts afin de supprimer
la condition de dépendance ou de contrôle lorsque les transactions s’effectuent avec des entreprises
établies dans des États et territoires non coopératifs.
Une fois que l’administration a démontré le lien de dépendance, il lui faut encore prouver l’existence
d’un transfert indirect de bénéfices. Pour ce faire, elle doit établir que la transaction (1) en cause fait
apparaître au profit d’une entreprise un avantage anormal, non justifié par une gestion rationnelle de
ses intérêts par l’autre entreprise. Pour prendre un exemple permettant d’incarner quelque peu ces
notions aux contours nécessairement flous, le fait pour une filiale française de verser à sa société mère
étrangère une redevance manifestement surévaluée est constitutif d’un transfert indirect de
bénéfices, dont le montant peut être réintégré à l’assiette taxable de la filiale. Mais la tâche de
l’administration pour démontrer l’écart à la norme est ardue, notamment du fait du caractère assez
général des dispositions législatives.
La jurisprudence (2) a quelque peu précisé les contours de l’action de l’administration :
–
–
Par priorité, l’existence d’un avantage doit être établie par comparaison avec les pratiques des
entreprises similaires exploitées normalement, c’est-à-dire sans lien de dépendance ;
A défaut, l’administration doit réussir à prouver un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur
réelle du service rendu.
(1) La rédaction de l’article 57 invite en effet à une analyse transaction par transaction, davantage qu’à
une comparaison générale du comportement des entreprises liées et des entreprises indépendantes.
(2) Conseil d’État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 7 novembre 2005, Ministre d’État, ministre des
finances, de l’économie et de l’industrie contre Société Cap Gemini, requête n° 266436.
La démonstration ainsi apportée par l’administration permet d’établir une présomption de transfert
de bénéfices. Mais cette présomption n’est pas irréfragable : en effet, elle peut être renversée si
l’entreprise administre la preuve contraire, en établissant le caractère normal de l’avantage et
l’existence de contreparties. Si la preuve contraire n’est pas apportée, les bénéfices indûment
transférés sont réintégrés à l’assiette taxable en France, soit sur la base d’éléments précis (méthode
d’évaluation directe), soit de manière forfaitaire par comparaison avec les pratiques d’entreprises
similaires exploitées normalement (méthode d’évaluation subsidiaire).
Lorsque, au cours d’une vérification de comptabilité, l’administration a des raisons de croire qu’une
entreprise a procédé à un transfert de bénéfices susceptibles d’être réintégrés à son résultat en
application de l’article 57 du CGI, elle peut demander à cette entreprise une série d’informations
spécifiques, sur le fondement de l’article L. 13 B du livre des procédures fiscales : nature des relations
entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère, méthode de détermination des prix de transferts
et éventuelles contreparties, activités exercées par l’entreprise étrangère, traitement fiscal des
transactions dans son État de résidence. Il s’agit de permettre à l’administration de réaliser, en début
de vérification, l’analyse fonctionnelle propre aux contrôles « prix de transfert ». À la différence d’un
contrôle « classique », il ne s’agit pas de vérifier le juste traitement fiscal d’opérations comptables,
mais de connaître et ventiler l’activité économique d’un groupe d’entreprises au niveau mondial, afin
de s’assurer que les prestations de chacune des entreprises sont justement rémunérées, sans que leur
facturation permette un transfert de bénéfices à des fins fiscales.
Au-delà de cette obligation de coopération dans le cadre des contrôles, l’article 22 de la dernière loi
de finances rectificative pour 2009 (1) a créé à la charge de certaines entreprises une obligation
permanente de documentation des prix de transfert, codifiée à l’article L. 13 AA du LPF. Cette
obligation pèse sur les plus grandes entreprises, définies comme celles dont le chiffre d’affaires ou
l’actif brut du bilan est supérieur à 400 millions d’euros (2). Elles doivent tenir à disposition de
l’administration une documentation permettant de justifier des prix de transfert pratiqués avec des
entreprises associées (3).
(1) Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.
(2) L’obligation touche également : − les personnes qui dé ennent directement ou indirectement une
entreprise vérifiant ce critère de 400 millions d’euros ; − celles dont plus de la moi é du capital ou des
droits de vote est détenue par l’une de ces entreprises ; − les entreprises appartenant à un groupe
fiscalement intégré comptant en son sein une entité vérifiant le critère.
(3) Les entreprises associées étant définies par référence au 12 de l’article 39 du CGI (cf. supra).
Cette documentation, dont la composition s’inspire des principes posés par l’OCDE, comporte deux
volets :
–
–
Un « masterfile » comportant des informations générales sur le groupe, notamment la liste de ses
actifs incorporels, et une description générale de sa politique de prix de transfert ;
Des informations spécifiques concernant l’entreprise objet du contrôle en France, relatives
notamment à ses méthodes de détermination des prix de transfert (cf. supra).
L’obligation documentaire est renforcée en cas de transaction avec des entreprises associées établies
dans un ETNC : dans ce cas, la documentation relative à ces entreprises doit comprendre l’ensemble
des informations exigibles des entreprises redevables de l’IS, y compris le bilan et le compte de résultat
(article L. 13 AB du LPF).
Si la documentation n’est pas tenue à disposition de l’administration, celle-ci peut mettre l’entreprise
en demeure de la produire. Si cette mise en demeure n’est pas suivie de la transmission complète de
la documentation, l’article 1735 ter du CGI prévoit une amende d’un montant minimum de 10 000
euros par exercice vérifié, pouvant atteindre, en fonction de la gravité des manquements, jusqu’à 5 %
des bénéfices transférés.
Sauf en cas d’accord préalable de prix de transfert, le constat par l’administration fiscale d’un transfert
indirect de bénéfices sur le fondement de l’article 57 peut donner lieu à une négociation avec l’État de
résidence de la société réputée bénéficiaire du transfert. Il s’agit là d’un exemple typique des
procédures amiables d’élimination des doubles impositions, dont le principe est posé par l’article 25
du Modèle OCDE. Depuis 2005, l’article L. 189 A du LPF prévoit que pendant la durée de la procédure
amiable, l’administration fiscale française suspend l’établissement de l’impôt, sauf si les revenus
réputés transférés ont bénéficié d’un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI.
Dans son récent rapport sur les prix de transfert, l’Inspection générale des finances constate que «
l’administration fiscale française est en décalage par rapport à ses homologues s’agissant du cadre
juridique ».
Tout d’abord, à la différence des autres États visités par la mission d’inspection (1), le principe de pleine
concurrence n’est pas explicitement évoqué par le droit positif. Sur cette base, l’Inspection propose
d’introduire une référence au principe de libre concurrence dans la législation française, et de profiter
de cette modification pour construire une véritable doctrine administrative sur le sujet. Cette
proposition, dont les fondements sont détaillés dans l’encadré ci-après, semble en réalité satisfaite par
les pratiques existantes, ainsi que par la jurisprudence précitée du Conseil d’État (2005, Cap Gemini).
(1) Allemagne, Canada, États-Unis, Pays-Bas et Royaume-Uni.
Extraits du rapport de l’Inspection générale des finances, pages 20 et 21
« Dans les faits, [la France] prive ainsi son administration de la possibilité de revendiquer à son profit
la doctrine de l’OCDE en vigueur à l’époque des exercices vérifiés. À l’inverse, les contribuables
peuvent quant à eux y puiser nombre de règles et de méthodes qui, sans être opposables à
l’administration, forment un corpus de principes difficiles à contourner dans le cadre de la procédure
de vérification.
Dans le cadre d’une vérification, l’administration fiscale et les contribuables n’argumentent donc pas
sur le même terrain : l’administration cherche prioritairement à comparer des transactions et à faire
valoir leur éventuelle anormalité, afin de faire peser sur le contribuable la charge de la preuve du nontransfert de bénéfices ; les contribuables contre-argumentent par des raisonnements économiques en
faisant valoir des échantillons d’entités comparables, plus simples à constituer et à documenter que
des échantillons de transactions. Or, cette seconde approche est à la fois plus fondée et mieux reçue,
soit dans le cadre des négociations potentielles avec d’autres États partenaires, soit pour emporter la
conviction du juge dans l’hypothèse d’une procédure contentieuse. »
Les autres propositions formulées par l’Inspection des Finances ont davantage retenu l’attention du
Rapporteur. Ainsi, l’administration fiscale française est la seule à ne pas avoir accès à la comptabilité
analytique des entreprises, alors que « celle-ci fournit des informations déterminantes pour
appréhender le périmètre des comparaisons entre transactions et entre entités, ainsi que le calcul des
taux de marge » (1). Il est donc proposé de ménager un accès de l’administration fiscale à la
comptabilité analytique des entreprises (2). Cette proposition pourrait être utilement étendue à la
comptabilité consolidée, qui fournit d’importantes informations sur les groupes.
Proposition n° 3 : Prévoir la mise à disposition de la comptabilité analytique et consolidée des
entreprises soumises à l’obligation de documentation des prix de transfert en application de l’article
L. 13 AA du livre des procédures fiscales.
Enfin, à la différence de la France, aucun des États visités ne suspend l’établissement de l’impôt
pendant la durée de la procédure amiable. Le rapport de l’IGF suggère en conséquence de supprimer
cette disposition que rien ne semble justifier, sauf le coût pour l’État du remboursement des sommes
qu’il aurait perçues, si la procédure amiable s’avère lui être défavorable. Afin de réserver à
l’administration fiscale une marge d’appréciation en fonction de la situation des entreprises, il pourrait
être envisagé – sous réserve d’une expertise juridique fine – de supprimer a minima le caractère
automatique de la suspension de l’établissement de l’impôt.
(1) Inspection générale des finances, Mission de comparaisons internationales sur la lutte contre
l’évasion fiscale via les échanges économiques et financiers intra-groupe, 2013, page 26.
(2) La commission d’enquête du Sénat sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses
incidences fiscales proposait la transmission des comptes consolidés du groupe, et non des seuls
comptes sociaux de l’entreprise vérifiée : Éric Bocquet, rapporteur au nom de la commission d’enquête,
L’évasion fiscale internationale, et si on arrêtait ?, rapport d’information n° 673, tome 1, juillet 2012,
page 437 : http://www.senat.fr/rap/r11-673-1/r11-673-11.pdf
Proposition n° 4 : Supprimer le caractère automatique de la suspension de l’établissement de l’impôt
pendant la durée de la procédure amiable prévue dans les contrôles de prix de transfert.
L’Inspection propose par ailleurs de modifier les règles de calcul de la pénalité applicable en cas de
manquement à l’obligation documentaire. En l’état du droit, la pénalité est au maximum de 5 % du
montant de l’éventuelle rectification. En l’absence de rectification, il n’y a donc pas de pénalité, alors
même que le manquement à l’obligation documentaire peut expliquer l’absence de rectification, faute
d’informations suffisantes à la disposition de l’administration… Il est donc proposé de décoreller la
pénalité du montant de la rectification, et de l’asseoir sur l’ensemble des flux entrants et sortants
déterminant le bénéfice de l’entreprise.
Proposition n° 5 : En matière de prix de transfert, délier la pénalité pour manquement à l’obligation
documentaire de l’existence d’une rectification.
L’IGF propose enfin de renverser la charge de la preuve dans certaines situations jugées à risque
(notamment réorganisation d’entreprises, existence d’une entité établie dans un État à fiscalité
privilégiée, constat de pertes récurrentes). Il appartiendrait alors au contribuable de démontrer que
les prix de transfert ne sont pas établis pour exporter des produits ou importer des charges. Le rapport
est toutefois très prudent dans la formulation de cette proposition, soulignant qu’ « un renversement
complet de la charge de la preuve soulève des enjeux d’attractivité du territoire » (1). Cette
intéressante proposition méritera d’être affinée pour parvenir à identifier juridiquement les situations
visées.
Proposition n° 6 : Dans certaines situations « à risque » (business restructuring notamment), faire
peser sur le contribuable la charge de prouver le caractère normal des prix de transfert.
C. LA LIMITATION DES FLUX FINANCIERS VERS DES CIEUX FISCAUX PLUS CLÉMENTS
1. Les régimes spécifiques aux États et territoires à fiscalité privilégiée ou non coopératifs
L’optimisation fiscale par transfert de revenus est d’autant plus efficace, du point de vue du
contribuable, que l’État vers lequel les revenus sont transférés pratique une fiscalité faible. Afin de
dissuader ces comportements, qui confinent parfois à l’évasion fiscale, le législateur a prévu des
dispositions spécifiques lorsque l’État de destination d’un revenu est un État à fiscalité privilégiée ou
un ETNC.
(1) Inspection générale des finances, Mission de comparaisons internationales sur la lutte contre
l’évasion fiscale via les échanges économiques et financiers intra-groupe, 2013, page 25.
a. La non-déductibilité de certaines charges versées dans des « paradis fiscaux »
L’article 238 A du CGI encadre strictement la déductibilité de certaines charges lorsqu’elles sont payées
ou dues par des résidents fiscaux français à des personnes soumises, dans leur État ou territoire de
résidence, à un régime fiscal privilégié. Sont concernées les charges financières, les redevances et la
rémunération des prestations de service.
Ces charges ne sont admises en déduction que si le débiteur (l’entreprise française) apporte la preuve
qu’elles correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou
exagéré.
Le régime est encore plus strict lorsque l’État de destination des charges est un ETNC : le principe est
celui de la non-déductibilité, sauf si le débiteur :
–
D’une part, apporte la preuve exigée pour les États à fiscalité privilégiée ;
–
D’autre part, démontre que les dépenses constitutives des charges ont « principalement un objet
et un effet autres que de permettre la localisation de ces dépenses dans un État ou territoire non
coopératif ».
Dans un cas comme dans l’autre, il faut relever que le régime de preuve est plus sévère pour les
entreprises que celui prévu à l’article 57 du CGI, puisque ce sont elles qui doivent justifier du caractère
normal des transferts opérés.
Proposition n° 7 : Modifier l’article 238 A du code général des impôts afin d’aligner les conditions de
déductibilité des charges logées dans des États à fiscalité privilégiée sur celles, plus exigeantes, des
charges logées dans des États et territoires non coopératifs.
b. Les règles spécifiques aux versements effectués dans des États et territoires non coopératifs
Les revenus passifs versés à une société (ou à une personne physique) établie hors de France sont
soumis à une retenue à la source (RAS). Si le taux de cette RAS peut être diminué par application des
conventions fiscales bilatérales – dont c’est d’ailleurs l’un des objectifs, dans un souci d’élimination
des doubles impositions –, il est en revanche significativement augmenté en présence d’un ETNC,
puisqu’il atteint 75 % s’agissant :
–
–
–
Des dividendes, alors que le taux hors ETNC varie selon les produits de 15 à 30 % (article 187 du
CGI) ;
Des intérêts, alors que le taux de droit commun est de 24 %. Une « clause de sauvegarde » permet
d’écarter l’application du taux majoré si le débiteur démontre que l’opération a « principalement
un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces revenus et produits dans un État
ou territoire non coopératif » (article 125 A du CGI) ;
Des redevances (1) (article 182 B du CGI). (
(1) Mais aussi d’un certain nombre d’autres revenus, comme les rémunérations de prestations de
service.
Par ailleurs, certains régimes « de faveur » sont exclus en présence de filiales établies dans un ETNC :
–
–
1
Les plus-values de cession à long terme de certains titres de participation ne sont pas exonérées
lorsque les titres sont détenus dans une société établie dans un ETNC (article 219 du CGI) ;
Le régime mère-fille n’est pas applicable aux dividendes provenant d’une société établie dans un
ETNC (article 145 du CGI).
Les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées : l’article 209 B du code général des impôts
Par exception au principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés, et sous réserve des stipulations
conventionnelles, l’article 209 B du CGI permet de soumettre à l’IS :
–
–
Les bénéfices réalisés par une entreprise établie dans un État ou territoire à fiscalité privilégiée,
lorsque cette entreprise est exploitée par une société redevable de l’IS établie en France ;
Les revenus d’une entité juridique constituée dans un État ou territoire à fiscalité privilégiée, et
dont la société redevable de l’IS détient, directement ou indirectement, plus de 50 % des actions,
parts, droits financiers ou droits de vote.
L’impôt acquitté dans l’autre État et les retenues à la source opérées sur les revenus perçus par l’entité
établie dans ce même État sont imputables sur l’IS calculé en France, pour éviter les doubles
impositions. Les RAS ne sont pas imputables si l’entité est établie dans un ETNC.
Le dispositif n’est en principe pas applicable au sein de l’Union européenne, sauf si est démontrée
l’existence d’un « montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française »
(1).
L’article 14 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 a simplifié le régime des autres
exceptions (2). Désormais, le dispositif ne s’applique pas lorsque l’entreprise redevable de l’IS en
France démontre que l’implantation à l’étranger a principalement un objet et un effet autres que de
permettre la localisation de bénéfices dans un État à fiscalité privilégiée ; cette condition est
notamment vérifiée lorsque l’entreprise étrangère a principalement une activité industrielle ou
commerciale effective. L’un des principaux changements introduits l’année dernière est le
renversement de la charge de la preuve : c’est désormais à la société redevable de l’IS en France
d’établir que les activités conduites à l’étranger n’entrent pas dans le champ du dispositif de taxation.
(1) Le dispositif français est ainsi conforme au droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour
de Justice de l’Union européenne (12 septembre 2006, Cadbury Schweppes plc., affaire C-196/04).
(2) Pour plus d’information, cf. Christian Eckert, Rapporteur général au nom de la commission des
Finances, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, n° 79, juillet 2012, pages 219
à 227 (commentaire de l’article 11).
D. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DES EXPÉRIENCES INTERNATIONALES D’ENCADREMENT DES
PRODUITS ET ENTITÉS HYBRIDES
Comme on l'a vu précédemment, les produits et entités hybrides peuvent constituer un levier
important d'optimisation fiscale, à tel point que certains États ont instauré des règles d'encadrement
de ces instruments. Les développements qui vont suivre se fondent essentiellement sur un rapport
publié par l'OCDE en 2012 intitulé Dispositifs hybrides – Questions de politique et de discipline fiscales.
Il s'agira ici de présenter succinctement quelques-unes des solutions nationales apportées à cette
problématique. Toutes les règles instituées par ces États visent à priver le contribuable de l’avantage
en impôt résultant du recours à l'hybride, en ignorant les conséquences fiscales normalement
attachées à ce produit en application des différentes législations nationales.
1. Limiter les possibilités de déduction multiple d'une même dépense
Il s'agit, pour l'État du siège de l'entreprise, de refuser la déduction de dépenses déjà déduites dans un
autre pays.
En Allemagne, une société mère enregistrant une perte ne peut la déduire dans le cadre du régime
d'imposition de groupe si cette perte est également déductible dans un État étranger, dans des
conditions d'imposition similaires à celles existant en Allemagne. Il s'agit d'éviter que les sociétés à
double résidence puissent obtenir une double déduction pour la même perte, en Allemagne et à
l'étranger.
La législation néo-zélandaise est encore plus contraignante à l'égard des sociétés à double résidence,
en interdisant toute déduction d'une perte en Nouvelle-Zélande, même si aucune déduction n'est
effectivement opérée dans l'autre pays.
2. Limiter la déduction de flux non imposables
La législation danoise offre ici un exemple intéressant. Elle vise particulièrement les titres qui, du fait
des différences de législations, passent du statut de titre de dette (intérêt déductible) à celui de titre
de participation (dividende exonéré) dès l’instant qu'ils franchissent une frontière.
Soit une société A établie au Danemark endettée auprès d'une société étrangère B. L'intérêt – qualifié
comme tel par le droit danois – que A doit verser à B est considéré comme un titre de participation par
l'État d'établissement de la société prêteuse B. Sous certaines conditions, qu'il serait superflu de
détailler ici, l'administration fiscale danoise opère un changement de classification du titre. L'intérêt
devient donc dividende au regard de législation danoise, ce qui emporte deux conséquences : d’une
part l'intérêt versé, qui n'en est juridiquement plus un, cesse d’être déductible de l'impôt au Danemark
; d’autre part, l'éventuelle retenue à la source opérée sur le versement à la société prêteuse s'effectue
au taux applicable aux dividendes.
3. Limiter l’exonération, au titre de l’impôt « national », de flux déductibles à l'étranger
Les dispositions présentées ci-après constituent en quelque sorte le miroir des précédentes.
Le Danemark, manifestement très volontariste sur la question des hybrides, n'admet pas en
exonération les dividendes perçus par une société mère danoise dès lors que la filiale à l'origine du
versement est en mesure d'obtenir une déduction sur ces mêmes flux en application de la législation
de son État d'implantation (hors Union européenne).
En Allemagne, le principe d'exonération des dividendes reçus par la société mère est applicable, sauf
si ces dividendes ont constitué ex ante des dépenses déductibles pour la société distributrice.
Comme le rappelle l'OCDE dans le rapport précité, cette problématique de « l’exonération-déduction
» fait l’objet d’une attention particulière du Groupe « Code de conduite » de l'Union européenne
(fiscalité des entreprises) (1).
4. Les leçons tirées des expériences étrangères
Dans son rapport, l'OCDE dresse un rapide bilan de ces initiatives nationales en relevant que la plupart
des États cherchent à apporter des réponses à des cas spécifiques tels que ceux présentés supra, mais
que très peu « appliquent un ensemble de règles prévoyant un traitement d'ensemble des questions
posées par les dispositifs hybrides » (2). De fait, force est de constater que la matière est complexe et
mouvante et que tous les législateurs n'ont pas la vocation de Sisyphe.
Il n'en demeure pas moins que « l'expérience des pays qui ont instauré des dispositions refusant
expressément le bénéfice des dispositifs hybrides a été dans l'ensemble positive. » (3).
Proposition n° 8 : Envisager l’instauration de mesures visant à empêcher la déduction ou l’exonération
en France d’un flux ou produit déjà déduit ou exonéré dans un autre État (produits dits « hybrides »).
Si le rapport de l’OCDE se concentre sur la question des produits hybrides, les principes qui viennent
d’être exposés sont transposables mutatis mutandis aux entités hybrides. Ainsi, il pourrait être
envisagé de réfléchir à l’instauration de mesures d’encadrement analogues. Il s’agirait de faire en sorte
qu’une société ne puisse plus être considérée comme opaque dans un État si elle est considérée
comme transparente dans un autre État, échappant ainsi deux fois à
(1) Cf. rapport n° 1033/10 FISC 47 du Groupe « Code de conduite » (fiscalité des entreprises) au conseil
ECOFIN du 8 juin 2010. Aux termes de ce code, adopté en 1997, les États membres s’engagent à ne plus
instaurer de nouvelles mesures fiscales « dommageables » et à modifier les dispositions ou pratiques
jugées « préjudiciables ». Le Groupe de suivi, créé en 1998, s’assure de la bonne application de cette
initiative.
(2) OCDE, Dispositifs hybrides – Questions de politique et de discipline fiscales, 2012, page 23.
(3) Idem.
l’impôt (cf. supra). Pour reprendre l’exemple précité de Google, une mesure de ce type aboutirait à ce
que la société holding située en Irlande mais dirigée depuis les Bermudes (Google Ireland Holdings) ne
soit plus regardée dans ce pays comme étant de droit bermudien, mais de droit irlandais, donc
imposable.
Proposition n° 9 : Envisager l’instauration de mesures visant à empêcher une entreprise de tirer un
bénéfice fiscal résultant d’une différence de qualification juridique de son statut dans deux États
différents (entités dites « hybrides »).
AB-
CONCLUSION
TABLE
BIBLIOGRAPHIE
DES
MATIERES
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