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Lecture juridique de la délocalisation des bureaux de vote en temps de crise au Cameroun

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REVUE AFRICAINE DE LA
RECHERCHE JURIDIQUE
ET POLITIQUE
Numéro Varia
Une création de l’Association
Internationale des Jeunes Chercheurs
en Droits Africains (AIJCDA)
Mai 2020
REMERCIEMENTS AUX MEMBRES DU COMITE SCIENTIFIQUE
Nous tenons à remercier les différents membres du comité scientifique pour
l’accompagnement de ce projet. Grace à vous, nous avons pu donner corps à ce projet. Voici
sa toute première parution.
Nous tenons aussi à vous remercier pour votre patience, votre disponibilité, votre
rigueur scientifique ainsi que pour vos orientations qui ont été bénéfiques à la réalisation de
ce projet.
Trouver en ces quelques mots, toute la gratitude que mon équipe et moi avons pour
vous.
Nous remercions aussi en particulier le professeur James MOUANGUE KOBILA qui,
autour d’un échange très enrichissant, a suscité notre intérêt pour ce projet.
MIANO LOE Siastry Dorsey D’aquin
Doctorant en Droit public,
Directeur Exécutif de la RARJP
Comité Scientifique :
James MOUANGUE KOBILA (Maitre de conférences en Droit public, Université de
Douala-Cameroun) ;
Serge AKONO EVANG (Maitre de conférences en Science politique, Université de Douala-
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Cameroun) ;
AKONO OMGBA SEDENA (Maitre de conférences en Droit public, Université de Yaoundé
II-Cameroun) ;
LOGMO Aaron (Maitre de conférences de Droit public, Université de Douala-Cameroun) ;
Paterne MAMBO (Maitre de conférences en Droit public, Université de Cocody- CôteIvoire) ;
Lauréline FONTAINE (Maitresse de conférences en Droit public, Université de Paris 3
Sorbonne Nouvelle-France) ;
Virginie SAINT-JAMES (Maitresse de conférences en Droit public, Université de LimogesFrance) ;
Stéphane BOLLE (Maitre de conférences en Droit public, Université Paul VALERY
Montpellier 3- France) ;
Gilles J. GUGLIELMI (Professeur de Droit public, Université de Paris II Panthéon-AssasFrance).
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
1
A L’ATTENTION DES AUTEURS
Tout texte soumis à la Revue Africaine de la Recherche Juridique et Politique par un auteur
doit être conforme aux indications suivantes :
Les articles devront compter entre huit milles (8 000) et dix milles (15 000) mots.
Le format de la recension est limité à mille (1000) mots.
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envoyés par courriel aux adresses suivantes : [email protected] ou [email protected]
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Les références bibliographiques et les notes doivent être présentées de la manière
suivante :
NOMS (Première lettre du ou des prénoms), Titre de l’ouvrage, lieu d’édition, maison
d’édition, année, page/élément de la page cité. Exemple : CARTIER (E.), La transition
constitutionnelle en France (1940-1945) : La reconstruction révolutionnaire de l’ordre
juridique républicain, Paris, L.G.D.J., 2004, 643 pages/p. 256.
NB ; D’autres indications importantes existent et peuvent être téléchargées sur le site internet
de la revue : https://rajcsjp.wordpress.com (chercher la fenêtre « recommandations aux
auteurs »).
La revue reçoit aussi les articles en Anglais et venant du monde entier.
MIANO LOE Siastry Dorsey D’aquin
Doctorant en Droit public,
Directeur Exécutif de la RARJP
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
2
Sommaire :
Doctrine ……………………………………………………………………………….………………..4
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NDZINA NOAH (J.-M.-N.), ‘‘Le pouvoir législatif’’ dans les constitutions des Etats post-crise : le cas
centrafricaine », ……………………………………………………………………………………………... ……5
BIKORO (J.-M.), « les incompatibilités dans le droit de la fonction publique des Etats d’Afrique noire
francophone », ……………………………………………………………………………….………………….32
MVOGO (M.-C.) et ETALLA FOHOGANG (R.-D.), « Lecture juridique de la délocalisation des
bureaux de vote en temps de crise au Cameroun », .......................................…………………….……….65
EWANE BITEG (A.-G.), « le pouvoir d’injonction du juge constitutionnel africain. Cas des Etats
d’Afrique noire francophone », …………………………………………………………………….…………..86
EKO MENGUE (A.-S.), « Le statut constitutionnel de la communauté économique et monétaire de
l’Afrique centrale au Cameroun », ………………………………………………………………… ………118
BUNUNU NGONO (P.), « Les fonctions extra législatives du sénat dans les Etats d’Afrique noire
francophone. Réflexion à partir des exemples du Cameroun et du Gabon », ……………………………137
TAMA AYINDA (T.-O.), « Le conseil des ministres dans le constitutionnalisme des Etats d’Afrique
noire francophone », ………………………………………………………………………..............................161
SIMO (E.), « La constitution centrafricaine de 2016 et le « droit d’origine externe », ………………...191
Textes juridiques : Jurisprudences……………………………………………………………........................223
Thèses et Mémoires : ……………………………………………………………...........................................231
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
3
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DOCTRINE
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
4
LECTURE JURIDIQUE DE LA DELOCALISATION DES BUREAUX DE
VOTE EN TEMPS DE CRISE AU CAMEROUN
Maurice Cédric MVOGO
Doctorant en droit public,
Chercheur associé au Bureau des Études Stratégiques (BESTRAT),
Université de Douala (Cameroun)
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Et
Roméo Derrick ETALLA FOHOGANG
Doctorant en droit public,
Chercheur associé au Bureau des Études Stratégiques (BESTRAT),
Université de Douala (Cameroun)*
La démocratie a nécessairement une nature et une valeur1. Eu égard à ce double
postulat, elle pose la question du choix des normes et celle de la représentativité qu’offrent
l’organisation et la pratique des élections. De façon concrète, elle met en présence deux
catégories de participants, les électeurs auxquels il est demandé de se prononcer et les
candidats qui postulent pour l’acquisition d’un mandat ou d’une fonction 2. Des différents
modes de désignation des gouvernants qui ont été pensés, l’élection est aujourd’hui la voie la
plus usitée pour faire participer le citoyen à l’exercice du pouvoir aussi bien au plan national
qu’au plan local3. Il en est ainsi parce que son importance réside dans le large consensus dont
elle bénéficie comparativement aux autres procédés de désignation des dirigeants 4. Tout ceci
amène à souscrire à l’idée selon laquelle l’élection constitue le procédé par excellence de
légitimation du pouvoir5. Son organisation matérielle commande la définition des lieux où le
corps électoral qui d’après la formule de Raymond CARRÉ DE MALBERG, procèdera à la
* Pour citer cet article, MVOGO (M.-C.) et ETALLA FOHOGANG (R.-D.), « Lecture juridique de la
délocalisation des bureaux de vote en temps de crise au Cameroun », RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020, pp.
65-85.
1
KELSEN (H.), La démocratie, sa nature, sa valeur, Traduction de Charles EISENMANN, Présentation de
Michel TROPER, Paris, Economica, Coll. « Classiques », Série « politique et constitutionnelle », 1988, 98p.
2
MASCLET (J.-C..), Le droit des élections politiques, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992, p. 15.
3
GUIMDO DONGMO (B-R.), « Décors et envers de quelques aspects essentiels de l’organisation matérielle des
élections en Afrique et ailleurs. Le droit électoral en situation », Cahier africain des droits de l’homme, n° 12,
juin 2013, PUCAC, p. 39.
4
Ibid., p. 41.
5
MASCLET (J.-C.), Le droit des élections politiques, op. cit., p. 9.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
65
nomination des autorités à élire6. En matière d’élection, les citoyens exercent d’un point de
vue pratique leur droit de suffrage dans des bureaux de vote.
Une lecture de la doctrine donne à constater que le bureau de vote désigne deux
réalités juridiques différentes certes, mais convergentes7. En effet, dans un premier sens, il
désigne le groupe de personnes physiques chargées d’assurer le respect des procédures
électorales telles qu’elles sont consignées dans le Code électoral et dont le respect conditionne
la validité des résultats électoraux8. Dans un second sens, l’expression désigne le lieu où
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l’assemblée électorale se réunit et où le protocole du rituel électoral se déploie 9. Ce second
aspect se rapproche de la définition que formule Elections Cameron (ELECAM) à savoir que
« le bureau de vote est le lieu par excellence des opérations de vote menées le jour du scrutin,
et par conséquent, l’arène sur laquelle s’affrontent les candidats à travers les suffrages
accordés par les électeurs »10. C’est donc dire que le bureau de vote désigne le lieu, mieux
encore la zone de droit où se manifeste le sacro-saint principe de la souveraineté du peuple
qui est fondé sur le pouvoir de désignation des représentants. Il faut néanmoins préciser que,
pour que l’expression du suffrage des électeurs soit effective, il faut que ces derniers puissent
avoir accès aux différents bureaux de vote lors des élections 11 que ce soit en période normale
ou en période de crise.
S’il est vrai que l’exercice du droit de vote ne pose pas fondamentalement de
difficultés en période normale, il en va autrement en période de crise. Celle-ci déteint
considérablement sur l’accès aux bureaux de vote et partant, elle restreint le droit de vote des
citoyens. Bien plus, le contexte d’insécurité fait naître une préoccupation : faciliter l’exercice
du droit de vote en procédant à une conciliation de l’impératif du respect des libertés
6
CARRÉ DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, spécialement d’après les données
fournies par le droit constitutionnel français, (Réédition des tomes 1 et 2 en seul volume), Paris, Dalloz,
coll. « Bibliothèque Dalloz », novembre 2003, p. 411.
7
DÉLOYE (Y.), « Le bureau de vote », Regards sur l’actualité, n° 329, p. 45.
8
Ibid.
9
Ibid.
10
ELECAM, Rapport général sur le déroulement de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018. Revu et
corrigé, p. 69.
11
La loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral, modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21
décembre 2012 dispose en son article 96 que « (1) Le Directeur Général des élections fixe, pour chaque
commune, la liste des bureaux de vote. (2) La liste indique le ressort de chaque bureau de vote. (3) Chaque
bureau de vote comprend cinq cent (500) électeurs au plus. (4) Tout bureau de vote doit se situer dans un lieu
public ou ouvert au public. »
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
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individuelles avec l’obligation de sécurité12. En considérant que le droit de vote est « un droit
que rien ne peut ôter aux citoyens »13, il devient impérieux non seulement pour l’organe en
charge de l’organisation des élections, mais aussi pour l’Administration de garantir son
effectivité en tout temps et en tout lieu. C’est à ce niveau qu’intervient la délocalisation.
Au Cameroun, la délocalisation des bureaux de vote ressortit implicitement de la
compétence d’ELECAM14. En fait le législateur lui attribue une clause générale de
compétences s’agissant de l’organisation, de la gestion et de la supervision du processus
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électoral et référendaire15. Cette compétence a d’ailleurs été confirmée par le Conseil
constitutionnel dans une affaire relative à l’élection présidentielle du 7 octobre 201816 qui a
été marquée par une grave crise sécuritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest17.
Cette crise a contraint la puissance publique à l’adoption et à la mise en exergue d’une légalité
d’exception18. Au sens du Conseil constitutionnel, la délocalisation est « une mesure de
"légalité exceptionnelle" dictée par un environnement marqué par l’insécurité » 19 et dont les
mesures administratives prises à cet effet visent « à garantir non seulement l’application des
principes de continuité et de mutabilité du service public des élections » 20. Cette importante
clarification de la notion de délocalisation, s’imbrique parfaitement à l’intérêt de la présente
étude qui est de l’analyser comme un des mécanismes juridiques œuvrant à assurer d’une part,
12
Le préambule de la loi n° 96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972, précise
que « La liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d’autrui et de l’intérêt
supérieur de l’État ».
13
ROUSSEAU (J.-J.), Du contrat social, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, Livre IV, Chapitre I, p. 147.
14
Il faut dire que le Code électoral adopté en 2012 tend à relativiser la monopolisation du processus électoral par
le pouvoir d’État que décriait il n’y a pas si longtemps la doctrine. Lire à cet effet NGUEMEGNE (J.-P.),
« Réflexion sur l’usage et le respect des droits de l’homme au Cameroun : le droit de vote depuis 1990 », dans
Vers une société de droit en Afrique centrale (1990-2000), dir. MAUGENEST (D.) et BOUKONGOU (J.D.),
Yaoundé, PUCAC, 2001, p. 158.
15
Voir l’article 3 de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral, modifiée et complétée par la loi
n° 2012/017 du 21 décembre 2012.
16
Dans le recours n° 038/SRCER/G/SG/CC du10 octobre 2018, Sieur Joshua NAMBANGI OSIH C/ELECAM,
RDPC, ADD, PURS, FPD, UDC, MCNC, le Conseil constitutionnel précise que « La délocalisation par
regroupement de 2343 bureaux de vote en 77 bureaux de vote opérée par Elections Cameroun relève de sa
mission d’organisation, de gestion et de supervision du processus électoral et référendaire prévu par l’article 3 de
la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21
décembre 2012 ».
17
De manière pratique il leur sera parfois substitué le sigle NOSO.
18
OWONA (J.), « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », Revue
Camerounaise de Droit, n° 6, Juillet-Décembre 1974, pp. 104-123.
19
Recours n° 038/SRCER/G/SG/CC du10 octobre 2018, Sieur Joshua NAMBANGI OSIH, op. cit.
20
Ibid.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
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la garantie des droits de l’Homme et d’autre part, l’efficacité 21 et l’effectivité22 non seulement
des normes mais aussi des principes électoraux et donc en un mot la démocratie.
Eu égard à ce qui précède, il sied de poser la question de savoir : quelle lecture
juridique peut-on faire de la délocalisation des bureaux de vote en temps de crise ?
Assurément l’on peut en faire une lecture binaire. Celle-ci permet d’entrevoir de façon
ponctuelle que la période de crise est un impératif de la délocalisation des bureaux de vote (I)
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qui elle-même se pose comme une garantie de la démocratie (II) de façon générale.
I.
LA CRISE : UN IMPERATIF DE LA DELOCALISATION DES BUREAUX
DE VOTE
Les situations de crise naissent très souvent dans les États à la suite des
mécontentements sociaux, des insatisfactions dues aux joutes électorales, de la redistribution
des richesses nationales ou des attaques des forces étrangères ou des groupes terroristes. Ces
stimulants crisogènes peuvent êtres repartis en facteurs internes à l’État et en facteurs qui lui
sont externes. L’Afrique est depuis des décennies, le théâtre de crises sécuritaires majeures
mêlant rébellions des bandes armées, insurrections djihadistes, coups d’État, trafics illicites de
23
drogue, d’armes et de migrants . De cet inventaire, la rébellion
21
24
25
et les attaques terroristes
L’efficacité d’une norme juridique désigne le rapport entre l’objectif officiellement recherché par son auteur
(législateur) et le résultat obtenu concrètement. Lire à ce sujet COHENDET (M-A.), « Légitimité, effectivité et
validité », dans La République, Mélanges en l’honneur de Pierre AVRIL, Montchrestien, 2001, p. 209 ; GAY
(L.), « L’exigence d’efficacité de la norme, facteur d’un nouvel âge d’or du comparatisme dans la production
juridique ? », dans L’efficacité de la norme juridique. Nouveau vecteur de légitimité ?, dir. FATIN-ROUGE
STÉFANINI (M.), GAY (L.) et VIDAL-NAQUET (A.), Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 108.
22
Selon la doctrine, « l’effectivité d’une norme peut être définie comme le rapport entre les comportements que
prescrit une norme et les comportements réels. Elle désigne le fait que la norme est respectée, c’est-à-dire
invoquée et appliquée, par les juges et/ou par les pouvoirs publics et/ou par les particuliers ». COHENDET (M.A.), « Légitimité, effectivité et validité », op. cit., p. 211.
23
Présentation du Colloque organisé par des étudiants issus du Master 2 Expertise des conflits armés (ECA) de
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et du Master 2 Géopolitique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne École Normale Supérieure de la Rue d’Ulm, avec le soutien de la Chaire des Grands Enjeux Stratégiques
Contemporains et de l’Institut Guerre et Paix de la Sorbonne, 2018, p. 1.
24
En janvier 2019, les militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) ont lancé une vaste
campagne de désobéissance civile avec les « marches blanches » pour dire non au « Hold-up électoral » imposé à
leur leader Maurice KAMTO. Il s’en est suivi une série d’arrestations fondées sur des motifs d’insurrection, de
terrorisme et de rébellion. D’après un communiqué venant du Ministère de la communication, « en dépit du
déroulement sans incident de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018, des responsables et des militants du
parti politique dénommé “Mouvement pour la Renaissance du Cameroun”, en abrégé MRC, ont, dans une
démarche insurrectionnelle, appelé les Camerounais de manière récurrente à descendre dans la rue pour en
contester les résultats ». Source : journal Le Monde publié le 30 janvier 2019 à 17h00.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
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n’ont pas épargné le Cameroun, brisant regrettablement son symbole le plus précieux, la paix
sociale.
Ainsi, les essais démocratiques26 engagés par cet État depuis les indépendances avec
l’organisation constante et continuelle de la concurrence politique à travers les élections
pluralistes27, même s’ils ont connu des phases d’interruption avec le monopartisme, ont forgé
une tradition de tranquillité sociale. Celle-ci a muté depuis 2008 avec « les émeutes de la
fin », de tentatives de violence armée28 à une véritable situation de crise sécuritaire avec des
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conflits armées ouverts. Ce contexte d’insécurité a entrainé un déplacement massif des
populations dans les zones anglophones29 et dans le grand Nord du pays. Il s’en suit que les
populations de ces aires électorales se trouvent dans une situation qui rend quasi impossible
l’exercice de l’un de leurs droits le plus fondamental (A), ce qui a pour conséquence de retirer
un peu de sa notoriété à l’opération électorale (B).
A. LE DIFFICILE EXERCICE DES DROITS ELECTORAUX
L’hypothèse selon laquelle la démocratie est en train de connaître des développements
inédits en Afrique30 n’est pas scientifiquement démontable. Cette démocratie avance
lentement mais surement vers un idéal dont le visage apparait encore flou pour le moment.
Mais cette démocratie est menacée par des tensions incessantes dont l’origine principale est
fondée sur le refus des résultats des différentes élections qui y sont organisées. De ce fait, les
élections qui ont toujours été « considérées comme une voie privilégiée de sortie de crises et
d’expression du pluralisme retrouvé se voient attribuer la responsabilité des tensions voire des
ruptures »31 sociales qui naissent çà et là au Cameroun. Héritier d’un passé qui a légué des
25
En dehors des attaques sporadiques des anciens rebelles venant de la RCA, le Cameroun est en proie aux
incursions de la secte islamique Boko Haram dans l’Extrême-Nord débutées en 2014, des attaques des
mouvements sécessionnistes « ambazoniens » dans le NOSO depuis la fin d’année 2016.
26
KANT (E.), La Religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 1999, p. 202.
27
Le retour au multipartisme au Cameroun est marqué par l’adoption des lois sur les libertés de 1990 par
l’Assemblée nationale. Celles-ci portent sur les libertés de première, deuxième et troisième génération telles que
consacrées par les instruments juridiques universels et communautaires ratifiés par l’État camerounais.
28
MOUSSA TCHANGARI (A.-T.), « Sahel : aux origines de la crise sécuritaire. Conflits armés, crise de la
démocratie et convoitises extérieures », Communication d’Alternative Espaces Citoyens, Niamey, Août 2017, p.
2.
29
Les statistiques parlent de plus de 432.000 personnes déplacées selon le plan de réponse humanitaire 2019 de
l’ONU. Source Journal Jeune Afrique du 27 février 2019.
30
NZINZI (P.), « La démocratie en Afrique : l’ascendant platonicien », Politique africaine, n° 77, mars 2000, p.
72.
31
DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Les élections à l’épreuve de l’Afrique », Cahiers du Conseil
constitutionnel, n° 13, Janvier 2002, pp. 139-140.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
69
germes de conflits et d’un faible encadrement socioéconomique des populations 32 après ces
sorties d’indépendance mal négociées, les foyers de tensions activés et latents se posent
comme des freins pour les administrations chargées du processus électoral (1) comme pour les
citoyens qui désirent s’exprimer au moyen des urnes (2).
1. La complexification de l’organisation matérielle des élections
De par son importance et les enjeux qu’il génère, le jour du scrutin est un jour de
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tension légitime 33 qui peut amener un État à basculer d’un état de paix sociale vers un état de
déchirement qui l’entrainera dans un cycle renouvelable de crise. L’appréciation peut se
teinter davantage de complexification lorsque l’État en question se trouve en situation de crise
sécuritaire comme l’est le Cameroun à l’Est depuis la déstabilisation de la République
Centrafricaine34, à l’Extrême-Nord avec les attaques de la secte Boko Haram35, et les
revendications sécessionnistes dans sa partie anglophone 36. Ces foyers de tension induisent un
contexte conflictogène dans lequel il est difficile pour les institutions de se mouvoir et de
remplir leurs missions.
Cette difficulté impacte pleinement sur l’autorité électorale indépendante à qui la loi a
confié la lourde responsabilité d’organiser le processus devant conduire au choix des
dirigeants ainsi qu’aux élections référendaires37. Mais, il se trouve concrètement que depuis
les élections sénatoriales de 2017 au Cameroun, ces parties du territoire national n’offrent pas
un cadre propice pour l’organisation matérielle, effective et efficiente des opérations
32
Rapport de l’étude sur les Conflits et mécanismes de résolution des crises à l’extrême-nord du Cameroun, p. 1.
Consultable sur http://earlyrecovery.global/sites/default/files/rapport_de_letude_sur_les_conflits_et_mecanismes
_ final.pdf
33
PNDP, Guide pratique de l’agent du bureau de vote. Élections législatives 2012 en République du Congo, p.
4.
34
Le conflit se déroula en République centrafricaine entre décembre 2012 et mars 2013. Cette phase en reconnue
comme la Deuxième guerre civile du pays. Puis entre 2013 et 2014 qui marque la troisième guerre civile
centrafricaine.
35
Les premiers affrontements entre l’armée camerounaise les agents de la secte islamique Boko Haram se
déroulèrent le 2 mars 2014 à Fotokol. Pour plus d’information sur la secte Boko Haram, lire PEROUSE DE
MONTCLOS (M.-A.), « Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigéria : insurrection religieuse, contestation
politique ou protestation sociale ? », Questions de recherche, n° 40, juin 2012, 33p.
36
Le conflit dans les zones du NOSO a débuté en octobre 2016 à la suite d’une grève des avocats réprimée par
les forces de l’ordre camerounaises. Elle a subi une récupération perverse par des combattants indépendantistes.
Depuis lors, elle perdure et fait de nombreux morts tant dans le camp de l’armée nationale, des civils que des
séparatistes.
37
L’organisation, la gestion et la supervision du processus électoral et référendaire sont assurées par ELECAM
selon l’article 3 du Code électoral.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
70
électorales38. Toutes les élections qui sont organisées depuis lors, le sont dans un contexte très
difficile avec des zones impraticables politiquement et administrativement. Dans ces régions,
et particulièrement dans les zones du NOSO, il se développe un contexte tumultueux 39 qui,
couplé à la jeunesse de l’institution électorale – qui, de plus est, a une crédibilité à bâtir 40 –,
son manque d’expérience en matière d’organisation des élections dans des situations de crise,
rend davantage difficile l’exercice du droit de suffrage, malgré l’accompagnement des forces
de sécurité qui y sont postées.
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Lorsque les élections sont organisées dans des zones en insécurité sévère, les rapports
des missions internationales font souvent observer de nombreuses difficultés, liées au manque
de localisation et d’identification précise des bureaux de vote41, et même souvent à leur
absence dans les points indiqués pour leur emplacement. Pour éviter ces situations
perturbatrices, les autorités électorales prennent des mesures allant dans le sens de déplacer
les bureaux de vote des espaces non sécurisés vers des espaces sécurisés afin de protéger non
seulement le personnel, mais aussi le matériel électoral. Telle est l’idée qui ressort du
troisième point du communiqué du Directeur général d’ELECAM pour l’élection
présidentielle du 07 octobre 2018. D’après ce dernier, la délocalisation des bureaux de vote
« répond aux exigences de sécurisation […] des membres des différentes commission mixtes
électorales (Commission locales de vote et Commissions départementales de supervision) et
du matériel électoral » 42.
Il se trouve donc que le contexte de crise sécuritaire observé au Cameroun, impose un
surplus d’effort à ELECAM dans la mise sur pied de son dispositif matériel et humain pour
offrir aux Camerounais une élection crédible. La délocalisation du bureau de vote permet de
créer un espace sain, vidé de toute particule d’insécurité afin d’en faire un véritable sanctuaire
38
L’organisation matérielle des élections comporte principalement cinq étapes que sont : les opérations
préparatoires au scrutin, la campagne électorale et la propagande, l’organisation des opérations de vote et leur
déroulement dans les bureaux de vote, le recensement des votes, et enfin la communication directe des résultats
obtenus ou leur transmission à l’organe en charge de la proclamation des résultats le cas échéant. Les phases
contentieuses non juridictionnelles sont comprises à chaque étape du processus puisqu’elles sont réglées par
l’organe électoral indépendant.
39
DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Les élections à l’épreuve de l’Afrique », op.cit., p. 140.
40
NDJOCK (J.-A.), « ELECAM : une dynamique pour la transparence électorale au Cameroun ? », RASJ, vol. 8,
n° 1, 2011, pp. 272-273.
41
AGBANTOU (S.), « Les différentes étapes techniques du scrutin », Symposium international de Bamako, Les
pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dabs l’espaces francophone (Bamako+5), du 6 au 8
novembre 2005, p. 170.
42
Communiqué – Radio – Presse n° 001/ELECAM/DGE du 21 septembre 2018.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
71
électoral43 pour le citoyen. La finalité recherchée étant d’éviter que la pression sécuritaire
créée devienne un cocktail explosif44 capable de dissuader le potentiel électeur.
2. La dissuasion perverse de l’électorat
En prenant en compte la vérité contemporaine selon laquelle « la participation civile
(permet une) implication véritable de la population au processus démocratique » 45, tous les
obstacles qui pourraient empêcher un individu d’accomplir son devoir électoral doivent être
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supprimés. Dans la réalité, il n’est pas toujours facile de venir à bout d’une crise lorsqu’elle
prend la forme d’une rébellion, d’une insurrection, d’une attaque terroriste ou d’une tentative
de sécession. Or, c’est sous ces deux dernières formes que se présentent les crises sécuritaires
qui perturbent la vie sociale au Cameroun46. D’après les officines électorales, le pays se
trouve dans un contexte politique marqué par une crise sécuritaire entrainant une
« perturbation assortie du déplacement des populations éprouvées par les exactions » 47.
Ainsi, la crise apparait visiblement comme un élément dissuasif pour le citoyen. Elle
impose à ce dernier de faire prévaloir la protection de son intégrité physique sur
l’accomplissement de son droit de vote. Lorsque les deux droits sont mis en comparaison, la
balance pèse forcément vers le droit de vivre, et vivre dignement en disposant de toute son
intégrité physique et mentale. Ce que ne permet ni la guerre en générale, ni le terrorisme en
particulier. On comprend donc pourquoi malgré l’absence de consensus autour du concept de
terrorisme48, on peut le définir prosaïquement comme tout acte qui suscite la terreur chez un
groupe défini de personnes49. Il s’agit précisément d’actes visant à « intimider la population,
de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une
organisation nationale ou internationale, à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte
43
JOIGNANT (A.), « Un sanctuaire électoral. Le bureau de vote et l’invention du citoyen-électeur au Chili à la
fin du XIXe siècle », Genèses, n° 49, Vol. 4, 2002, pp. 29-47.
44
Briefing Afrique de Crisis Group, Cameroun : Mieux vaut prévenir que guérir, n° 101, 4 septembre 2014, p. 2.
45
HEYDT (J.-M.), « Le code de bonne pratique pour la participation civile au processus décisionnel », in
Systèmes électoraux : renforcer la démocratie au XXIe siècle Forum pour l’avenir de la démocratie, Session
2009, Kiev (Ukraine), 21-23 octobre 2009, p. 53.
46
Pour un complément d’information sur les différentes crises qui minent le Cameroun, lire Briefing Afrique de
Crisis Group, Cameroun : Mieux vaut prévenir que guérir, op.cit., p. 7.
47
ELECAM, Rapport général sur le déroulement de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018, op.cit., p. 11.
48
HENNEBEL (L.) et LEWKOWICZ (G.), « Le problème de la définition du terrorisme », dans Juger le
terrorisme dans l’État de droit, dir. HENNEBEL (L.) et LEWKOWICZ (G.), Bruxelles, Bruylant,
coll. « Magnacarta », 2009, p. 58.
49
UNODC, Lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel : cadre juridique, techniques d’enquête et
coopération policière, Nations Unies, New York, juillet 2012, p. 3.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
72
quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains
principes »50.
Par ailleurs, après les années 1980 annonçant le début de la décennie 90, on a noté une
forte pression populaire en vue d’une participation accrue à la vie politique 51. Cette volonté
s’est manifestée par l’accroissement considérable du nombre de personnes inscrites sur les
listes électorales de 1992 à 201152 avant que ne soit observée une décroissance en 2018 avec
6.667.754 inscrits. La raison peut en partie être attribuée à la situation sécuritaire qui prévaut
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dans certaines zones du pays où les populations déplacées ne peuvent pas s’inscrire sur les
listes électorales, encore moins voter. Pour les régions du NOSO en particulier, on enregistrait
respectivement les chiffres de 507.188 et 330.521 inscrits en 2013 ; ce taux a quelque peu
augmenté en 2018 avec 627.068 pour la première et 374.227 pour la seconde région. Le
paradoxe se trouve au niveau du pourcentage de la votation. Si ELECAM ne donne les
chiffres pour les élections de 2011 et 2013, il reste qu’en 2018, sur 627.068 personnes
inscrites au Nord-Ouest seulement 33.582 ont effectivement voté, soit 5,36%53. Quant au SudOuest, 59.647 personnes ont exprimé leurs voix sur 374.227 inscrites, soit un taux de
15,94%54. Ces deux régions enregistrent les pourcentages les plus bas loin derrière le Littoral
qui arrive en troisième position avec 54,78%55.
Par ailleurs, il faut également noter que les activités illicites de Boko Haram entrainent
des enlèvements de plusieurs citoyens nationaux, ainsi que de nombreux ressortissants
occidentaux, pour la plupart français, et des Chinois 56. Si dans une période pas très ancienne
et même en ces temps, le plus grand défi en matière d’organisation d’élections libres,
50
Art. 2 al. 1(a) de la loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme.
Groupe des Sages de l’Union africaine, Les conflits et la violence politique résultant des élections. Consolider
le rôle de l’Union africaine dans la prévention, la gestion et le règlement des conflits, La collection Union
africaine, New York : International Peace Institute, décembre 2012, p. 13.
52
De manière évolutive, on dénombre 4.195.687 de personnes en 1992 ; 4.036.000 en 1997 ; 4.570.290 en
2002 ; 4.657.748 en 2004 ; 5.067.836 en 2007 et 7.251.651 en 2011. Ces chiffres sont tirés des différents
rapports produits par les organismes en charge des élections durant les périodes considérées.
53
V. ELECAM, Rapport général sur le déroulement de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018, op.cit., p.
197.
54
Ibid.
55
Ibid.
56
MOUSSA TCHANGARI (A.-T.), « Sahel : aux origines de la crise sécuritaire. Conflits armés, crise de la
démocratie et convoitises extérieures », op. cit., p. 48. Les cas les plus connus sont ceux de la famille Tanguy
MOULIN-FOURNIER et du père Georges VANDENBEUSCH ; il y a également le cas de religieux italiens et
canadiens, Gianpaolo MARTA, Gianantonio ALLEGRI et Gilberte BUSSIER, tous enlevés au Cameroun.
51
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
73
inclusives, équitables et apaisées au Cameroun était lié aux limites du Code électoral57, la
survenance des menaces sécuritaires se situe au premier plan des éléments de dissuasion des
électeurs. Cette dissuasion apparaît sous la forme des attaques Kamikazes, des mines piégées,
des enlèvements, des intimidations58 et autres procédés, qui engendrent autant la psychose que
la crainte des populations, laquelle crainte peut être temporaire pour des rares cas, et
permanente pour la majorité d’entre eux.
Face à ces situations d’intimidation précaires, les pouvoirs publics s’attèlent à faire en
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sorte que le vote public ne soit pas un grand effort de courage pour les citoyens 59, mais plutôt
un moment d’apaisement et de jouissance pour le devoir citoyen accompli. Car, le
comportement de l’électeur face à un bureau de vote60 varie selon le degré de sécurité qui peut
lui être physiquement et moralement garanti mais aussi, et cela est important, à la sécurisation
de son vote. L’absence de l’une de ses garanties est de nature à entraver son courage électoral
et installer à la place une crainte révérencielle des menaces sécuritaires et de leurs promoteurs.
Sans le vote de l’électeur, on obtient une falsification du pluralisme61 représentatif que la
démocratie libérale promeut comme moyen de légitimation des autorités publiques.
B. L’ATTEINTE AU PROCESSUS DE LEGITIMATION DES
REPRESENTANTS
Au cœur de la démocratie et plus particulièrement au sein des régimes représentatifs,
le peuple occupe une place fondamentale qui n’a d’égale que son autorité. En effet, comme le
précise Georges BURDEAU « ce qui fait l’autorité du peuple, ce n’est pas le chiffre des
individus qu’il englobe, c’est le fait qu’en lui, par l’entremise des citoyens qu’il rassemble,
siège un pouvoir indiscutable parce qu’il procède de la volonté d’être libres » 62. Le pouvoir
dont il est question provient de la souveraineté. À partir du moment où pour des raisons
d’insécurité, les électeurs ne peuvent pas normalement exercer leur droit de vote, l’on constate
57
La Plateforme « Femmes Camerounaises pour des élections pacifiques », Rapport d’observation des facteurs
conflictogènes, violences électorales et violences électorales faites aux femmes pendant le processus électoral,
Rapport pour l’élection présidentielle d’octobre 2018, décembre 2018, p. 8.
58
Au NOSO, les intimidations prennent la forme des interdictions de sortir, de circuler, d’exercer toute activité
commerciale. Elles sont connues sous l’appellation de « Ghos town ».
59
Avis aux électeurs sur le secret des votes, Marseille, Typographie de Feissat Aîné et Demonchy, Rue
Canebière, n° 19, p. 1. Source gallica.bnf.fr
60
BEAUGUITTE (L.) et COLANGE (C.), Analyser les comportements électoraux à l’échelle du bureau de vote,
ANR Cartelec, Mémoire scientifique. 2013, 84p.
61
NZINZI (P.), « La démocratie en Afrique : l’ascendant platonicien », Politique africaine, op.cit., p. 73.
62
BURDEAU (G.), La démocratie, Seuil, coll. « Points Politique », 1966, p. 27.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
74
une fragilisation de la légitimation des gouvernants au plan interne (1) et une décrédibilisation
de leur légitimité au plan international (2).
1. La fragilisation de la légitimation au plan interne
Aux termes de l’alinéa 1 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, la souveraineté
nationale appartient au peuple camerounais qui l’exerce soit par l’intermédiaire du président
de la République et des membres du Parlement, soit par voie de référendum et en outre,
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aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. L’alinéa 2 de la
même disposition précise que les autorités chargées de diriger l’État tiennent leurs pouvoirs
du peuple par voie d’élections au suffrage universel direct ou indirect. C’est par l’exercice de
cette souveraineté que le peuple procède à la désignation de ces représentants, mieux à leur la
légitimation. Il est un fait qu’en régime démocratique, la légitimité légale-rationnelle 63 des
représentants n’implique pas qu’ils soient choisis par le peuple tout entier. En effet, il suffit
juste qu’une fraction de celui-ci se prononce majoritairement en leur faveur pour qu’elle soit
acquise. Néanmoins, lorsqu’une bonne partie du corps électoral ne participent pas aux
élections du fait d’une situation de crise, cela fragilise leur légitimité. Il en est ainsi pour deux
principales raisons.
La première est la perte de confiance des citoyens en l’État qui, n’ayant pas pu assurer
l’exercice de leur droit, démontre sa faillite et rompt de ce fait le pacte social qui les lie. La
seconde raison est que la fraction du peuple qui n’a pas participé à la désignation des
représentants, ne se reconnaîtra pas en leur autorité. En guise d’illustration, lors de l’élection
présidentielle du 7 octobre 2018 et conformément aux statistiques qui ont été indiquées plus
haut, l’on a enregistré un faible taux de participation des personnes inscrites sur les listes
électorales dans les régions du NOSO. Au-delà de traduire ce simple fait, ces données
témoignent d’une légitimité assez relative du président élu, toute chose qui amène à
s’interroger sur sa crédibilité au plan international.
2. La décrédibilisation de la légitimité au plan international
La légitimité est cette qualité qui fonde en droit l’autorité des gouvernants et leur
permet de demander l’obéissance des gouvernés sur une autre base que la raison du plus
fort64. Vue sous cet angle, une norme ne peut être posée que par l’organe compétent, c’est-à-
63
64
Sur l’appréhension de la légitimité lire Max Weber, Économie et société, Paris, 1922, p. 102.
RIVERO (J.), « Consensus et légitimité », Pouvoirs, n° 5, 1978, p. 58.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
75
dire habilité à cet effet, que parce qu’une norme supérieure le prévoit 65. Bien plus, la
légitimité garde une résonance juridique en ce qu’elle implique la conformité à une norme et
comporte, du moins, en principe, des effets au plan du droit 66. Lorsqu’on prend en
considération l’attrait que suscitent l’organisation et la tenue des élections politiques
nationales au niveau de la communauté internationale, il n’est pas rare de constater que cette
dernière remet très souvent en cause leur crédibilité dans certains États africains en situation
de crise. Il en est ainsi du fait de l’impossibilité pour les États à l’heure actuelle d’évoluer en
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vase clos.
Le droit international est de plus en plus un droit qui conditionne et détermine le
fonctionnement interne des États notamment en ce qui concerne le domaine des élections.
Cela est tout à fait légitime lorsque l’on sait que nombreux de ses instruments et de ses
principes, ont été constitutionnalisés par les États africains67. Cette internalisation du droit
international68 conduit inévitablement à la question d’une double action : l’assistance
électorale multilatérale69 et aussi et surtout l’observation internationale des élections 70. La
première permet le transfert des conflits armés vers leur expression pacifique dans la sphère
politique71. La seconde quant à elle permet de rendre compte de l’objectivité et de la
transparence des élections afin d’assurer une légitimité aux dirigeants élus 72.
65
KELSEN (H.), Théorie pure du droit, Traduction de la 2e édition de la « Reine Rechtslehre » par Charles
EISENMANN, Paris, Dalloz, coll. « Philosophie du droit », 1962, p. 367.
66
RIVERO (J.), « Consensus et légitimité », op. cit., p. 61.
67
Sur la question de la constitutionnalisation des droits de l’homme, lire KAMTO (M.), « Charte africaine,
instruments internationaux de protection des droits de l’homme, Constitutions nationales : articulations
respectives », in L’application nationale de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dir.
FLAUSS (J-F.) et LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), Bruylant, 2004, pp. 30-46.
68
Sur la question des rapports entre le droit international et le droit interne, lire ATANGANA AMOUGOU (J-L)
(dir.), Le Cameroun et le droit international, Colloque des cinquantenaires de l’Indépendance et de la
Réunification du Cameroun organisé à Ngaoundéré du 2 et 3 mai 2013, A. Pedone, 2014, 376 p. VIRALLY
(M.), « Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes », dans Le droit
international en devenir. Essais écrits au fil des ans, VIRALLY (M.), Graduate Institute Publications,
coll. « International », Open Edition Books, 25 juin 2015, pp. 103-117.AHJUCAF, Internalisation du droit,
internalisation de la justice, 3ème Congrès, Ottawa, 21-23 juin 2010, 190 p. PELLET (A.), « Vous avez dit
« monisme »? Quelques banalités de bon sens sur l’impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la
française », dans L’architecture du droit, Mélanges en l’honneur de Michel TROPER, Paris, Economica, 2006,
pp. 827-857.
69
NESTOROVIC (S.), L’assistance électorale multilatérale. Promouvoir la paix par la démocratie, Paris,
L’Harmattan, coll. « Logiques Juridiques », 2012, 251p.
70
SIMMALA (D-G.), « La notion d’observation internationale des élections », Cahier africain des droits de
l’homme, n° 12, juin 2013, PUCAC, pp. 73-100.
71
NESTOROVIC (S.), L’assistance électorale multilatérale. Promouvoir la paix par la démocratie, op. cit., p.
40.
72
SIMMALA (D-G.), « La notion d’observation internationale des élections », op. cit., p. 73.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
76
Il apparaît que dans un contexte marqué par l’universalisation des droits de l’homme,
des valeurs et des principes de la démocratie, que l’impossibilité pour un peuple d’exercer son
droit de vote du fait d’une crise sécuritaire, tendrait inévitablement à jeter un discrédit sur la
crédibilité du processus électoral en lui-même, mais aussi et surtout sur la légitimité des
représentants qui en seraient issus au plan international. C’est la raison pour laquelle la
délocalisation des bureaux de vote se pose comme une impérieuse nécessité pour l’assurance
de la démocratie en temps de crise.
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II.
LA DELOCALISATION DES BUREAUX DE VOTE : UN IMPERATIF
POUR L’ASSURANCE DE LA DEMOCRATIE EN TEMPS DE CRISE
La délocalisation des bureaux de vote, du fait qu’elle constitue un impératif pour
l’assurance de la démocratie en temps de crise, traduit l’immanence de la puissance de
l’État73. Celle-ci découle de sa souveraineté. En tant que pouvoir suprême de domination de
l’État sur les personnes qui entrent dans le cercle de sa juridiction, la souveraineté contribue
au quadrillage du territoire par le droit74. C’est d’ailleurs dans cette logique que le constituant
précise que, « la liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des
droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de l’État ». En clair, au regard du caractère
fondamental du droit de vote reconnu aux citoyens et de l’impératif d’assurance de la sécurité
au motif de l’intérêt général, la délocalisation se pose comme la garantie de l’exercice effectif
des droits politiques (A) et un facteur de la crédibilisation des opérations électorales (B).
A. LA GARANTIE DE L’EXERCICE EFFECTIF DES DROITS POLITIQUES
Considérer la délocalisation des bureaux de vote comme une garantie de l’exercice
effectif des droits politiques, revient à reconnaître sa spécificité. En effet, celle-ci réside dans
sa double nature. Au sens du Conseil constitutionnel camerounais, la délocalisation des
bureaux de vote est certes une restriction du droit de vote, mais il n’empêche qu’elle est aussi
une garantie de l’exercice des droits politiques et même des droits tout court75. En d’autres
73
Lire LAVIALLE (C.), « De la pérennité de la puissance publique », La semaine juridique (JCP), éd. G, n° 31,
1992, pp. 339-345.
74
BEAUD (O.), La puissance de l’État, Paris, PUF, coll. « Léviathan », novembre 1994, p. 53.
75
Relativement à la crise sécuritaire dans les régions du NOSO, le Conseil constitutionnel dans le recours du
Sieur Joshua NAMBANGI OSIH sus-évoqué, précise que : « Attendu que la délocalisation par regroupement des
bureaux de vote opérée par ELECAM, a participé à la restriction du droit au suffrage et à l’exclusion des
minorités anglophones ;
Mais attendu que les mesures strictement nécessaires, prises par ELECAM et mal perçues par le requérant,
avaient pour but bien compris, de permettre aux populations concernées d’exercer leur droit de vote et non de les
exclure du processus électoral ;
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
77
termes, elle s’inscrit dans une logique d’assurance de l’intérêt général76 de façon générale et
surtout dans l’application des principes de continuité et de mutabilité du service public des
élections en particulier. Eu égard à ces aspects, l’on entrevoit clairement qu’elle participe à la
certification de l’expression du suffrage (1) et elle assure aux différents partis politiques et/ou
candidats en lice dans une élection, l’obtention des suffrages éventuels (2).
1. La certification de l’expression du suffrage
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En procédant à la délocalisation des bureaux de vote dans une région géographique en
proie à l’insécurité, l’Administration – ELECAM en tant qu’organisme distinct de l’État
chargé de la gestion des opérations électorales et les administrations d’État 77 – favorise la
certification de l’expression du suffrage des citoyens sans aucune discrimination. En réalité,
cette certification qu’elle opère atteste de la vérification de la conformité du processus
électoral avec les normes tant nationales qu’internationales, mais aussi avec les mesures
sécuritaires mobilisées. L’article 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de
1945, dispose que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ;
cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu
périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure
équivalente assurant la liberté du vote ». L’obligation de la tenue périodique des élections que
pose cette disposition, est à n’en point douter un des éléments qui justifient l’objectif de
garantie du principe de la continuité du service public des élections. Dit autrement,
l’assurance de ce principe par les différents acteurs de l’organisation et de la gestion du
processus électoral, garantit l’effectivité de l’exercice du droit de vote reconnu aux citoyens.
L’on retrouve cette idée dans la décision du Conseil constitutionnel qui considère qu’ « en
regroupant les populations dans les bureaux de vote, l’Administration a pris des mesures
d’ordre général pour assurer la protection de tous les électeurs de la région concernée, fussentelles majoritaires ou minoritaires, sans discrimination aucune, et permettre à ceux-ci d’exercer
Qu’au surplus, les mesures de sécurité prises par l’Administration visaient à protéger les électeurs et à garantir
leur liberté d’aller et venir dans les deux régions ».
76
PONTIER (J-M.), « L’intérêt général existe-t-il encore ? », Dalloz, 1998, pp. 327-333.
77
Le Code électoral du 21 décembre 2012 dispose en son article 43 que « (1) Les administrations de l’État
apportent leur collaboration et leur appui à Elections Cameroon dans le cadre de l’exécution des missions qui lui
sont assignées. (2) Le Ministère chargé de l’administration territoriale assure la liaison permanente entre le
Gouvernement et Elections Cameroon. Il reçoit notamment de ce dernier, copies des procès-verbaux de séances
et des rapports d’activités ». Lire AKONO EVANG (S.P.), « L’administration et le processus électoral au
Cameroun : Le désir étatique constant de l’administration », SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de
démocratie, vol. III, n° 7, août 2013, pp. 71-94.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
78
librement leur droit de vote »78. Cela assure par conséquent les candidats auxdites élections de
pouvoir bénéficier éventuellement des suffrages exprimés.
2. L’assurance d’un bénéfice éventuel des suffrages
L’assurance d’un bénéfice éventuel des suffrages que permet la délocalisation des
bureaux de vote, découle de manière générale du principe d’égalité devant le suffrage et du
principe de l’égalité des chances entre les candidats à l’élection. Ce principe qui a été formulé
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par le Conseil constitutionnel et convoqué dans différentes affaires relatives aux erreurs
constatées dans les bulletins de vote revêt un certain particularisme 79. Il s’agit en fait
d’accorder un traitement identique à tous les candidats qui sont en compétition dans une
élection déterminée. De ce fait, dès lors que l’Administration assure la continuité du service
des élections par des mesures exceptionnelles, elle assure du même coup la possibilité pour
les différents électeurs et/ou candidats en compétition, d’obtenir des suffrages éventuels dans
une zone géographique particulière.
Il ne faut pas omettre qu’au Cameroun le vote a une certaine coloration
communautaire. L’implantation régionale des partis est attestée par la distribution territoriale
80
des votes qui reflète la mobilisation communautaire . Au regard à ce fait, certains partis
politiques disposent de « fiefs électoraux » dans certaines zones géographiques et pas dans
d’autres81. Cet aspect communautaire laisse observer une coloration ethno-régionale des
suffrages parce que le choix des électeurs se porte très souvent envers des candidats avec
lesquels ils partagent les mêmes affinités ethniques et régionales 82. En clair pour ces partis
politiques, la délocalisation des bureaux de vote leur assure d’engranger le maximum de
suffrages dans une zone géographique où ils disposent d’une véritable base électorale comme
78
Recours n° 038/SRCER/G/SG/CC du10 octobre 2018, Sieur Joshua NAMBANGI OSIH op. cit.
Dans l’arrêt n°54/CE/01-02 du 17 juillet 2002, affaire Social Democratic Front (SDF), Union Nationale pour
la Démocratie et le Progrès (UNDP) c/ État du Cameroun, le Conseil constitutionnel précise qu’
« Attendu que ces griefs ont été constatées par la Commission Nationale de Recensement Général des votes ;
Qu’en effet il résulte du procès-verbal de cette commission que : ‘‘des bulletins de vote présentés par le
commissaire représentant l’UNDP, il ressort que les noms des candidats qui y figurent ne sont pas ceux
officiellement retenus ; Que trois procès-verbaux détenus par l’ONEL attestent que les bulletins de vote de
l’UNDP sont arrivés avec un retard de plus de quatre heures après l’ouverture du scrutin’’ ;
Attendu que ces irrégularités ont porté atteinte à la sincérité du scrutin et à l’égalité de chances ;
Qu’il s’ensuit que les recours sont fondés ». voir également l’arrêt n° 37/CE/01-02 du 17 juillet 2002, Affaire
Action pour la Méritocratie et l’Égalité de Chances (AMEC) c/ État du Cameroun.
80
MENTHONG (H.-L.), « Vote et communautarisme au Cameroun : ‘‘un vote de cœur, de sang et de raison’’ »,
Politique africaine, n° 69, mars 1998, p. 43.
81
On citera notamment le cas du SDF dont la base électorale principale se trouve dans ces zones du NOSO.
82
Ibid.
79
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
79
si jamais elle était en proie à l’insécurité. Le bénéfice qui en résulte est celui de la
crédibilisation des opérations électorales.
B. LA CREDIBILISATION DES OPERATIONS ELECTORALES
La délocalisation des bureaux de vote n’a pas été prise en compte de manière
normative par le législateur camerounais. On observe un certain silence du Code électoral sur
la question. Seule la déduction permet de comprendre que celle-ci ressortie des compétences
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de l’autorité chargée de l’organisation matérielle des élections, et spécifiquement de la
création et l’organisation des bureaux de vote. C’est donc au Directeur général d’ELECAM 83
que revient la lourde tâche de crédibiliser les élections dans les zones à risque en prenant des
mesures de délocalisation84. Ainsi cette dernière se présente comme une alternative électorale
valable85 en situation de crise face à la soif de démocratie86 que manifeste les populations
camerounaises qui malgré les menaces terroristes et sécessionnistes parviennent à s’inscrire
sur le fichier électoral.
Sous un prisme plus rassurant, les élections sont une question de pouvoir. En cela, leur
réalisation détermine qui aura le pouvoir et qui dirigera la communauté nationale ou locale 87.
Cela impose que des dispositions soient prises en vue d’une compétition politique saine
88
devant consolider les principes de la démocratie électorale (1) tout en normalisant du même
coup le processus qui y conduit (2).
1. La consolidation des principes électoraux
La concurrence politique imposée par l’ouverture démocratique de la gouvernance aux
individus qui bénéficient de la confiance populaire, place au centre de la vie politique le vote
populaire. Le vote se situe alors au confluent de tous les principes électoraux posés dans les
83
Cf. article 26 al. 1 du Code électoral.
À l’exemple du Communiqué – Radio – Presse n° 001/ELECAM/DGE du 21 septembre 2018.
85
DEMERS-LABROUSSE (N.), La démocratie en Afrique subsaharienne : Le cas du Cameroun, Mémoire de
maîtrise en sciences politiques cheminement relations internationales, Université de Sherbrooke, 2012, p. 86.
86
ANNAN (K.-A.), « La soif de l’Afrique pour la démocratie », The International Hernld Tribune, 5 décembre
2000, En ligne, http://www.un.org/french/
87
Arsène BADO, cité par MUSAU (Z.), « De l’art des élections en Afrique. Des institutions électorales crédibles
nécessaires à la paix et à la stabilité », Afrique Renouveau, Août – Novembre 2016, p. 8.
88
Groupe des Sages de l’Union africaine, Les conflits et la violence politique résultant des élections…, op.cit., p.
21. Ces auteurs constatent que « les conflits électoraux et la violence politique ont caractérisé les processus de
démocratisation en Afrique, révélant des faiblesses dans la gestion des élections et dans les règles ». On pourrait
attribuer cela à l’inexpérience de ces États à la démocratie pluraliste et le tâtonnement à trouver une formule
électorale crédible.
84
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
80
instruments juridiques internationaux89, communautaires90, étrangers91 et surtout nationaux92
qui se déclinent en sincérité, transparence, régularité et participation. Cette opération étant
l’aboutissement de la participation des individus au processus électoral, elle doit être protégée
en tout temps, en tout lieu et en toute situation93. C’est la raison pour laquelle, lorsque les
conditions sécuritaires l’exigent, le lieu de votation doit être délocalisé pour empêcher que
l’on ne violente la conscience timide du citoyen94. C’est la finalité première de la
délocalisation qui participe à la « sécurisation des électeurs » 95.
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C’est ainsi que pour tenter de décrédibiliser l’élection présidentielle organisée en
octobre 2018, différents candidats demandaient son annulation au motif que les populations
des zones anglophones n’ont pas voté et donc par conséquent « le Président issu de l’élection
du 07 octobre 2018 ne sera pas l’élu de la Nation toute entière ». À ce moyen, le Conseil
constitutionnel a répondu explicitement que « l’élu de la Nation, est l’élu de la majorité qui
incarne la nation dans son entièreté en vertu du principe représentatif ; Que l’élu de la Nation,
n’est pas l’élu de chacun des Camerounais pris individuellement, mais l’élu du plus grand
nombre »96. Ainsi, malgré la situation de crise, certains citoyens ont pu se déplacer pour voter
et donc donner du crédit à l’élection même si le taux de participation était très bas 97. La
participation étant basée sur les suffrages exprimés et non sur les suffrages potentiels ou
attendus, la position adoptée par la juge trouve sa logique. Ces zones étant qualifiées de base
électorale pour le recourant, sa requête reposait sur la perte de suffrages éventuels, non pas sur
89
Cf. art. 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui précise que : « (1) Toute personne a le
droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de
représentants librement choisis. (2) Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions
publiques de son pays. (3) La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette
volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel
égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».
V. également le Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.
90
Art. 13 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981. Consulter également la
Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance du 30 janvier 2007 dans son
préambule et ses articles 2 al. 3, 3, 8, 10 et 11 etc.
91
Art. 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
92
Lire la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 en son article 3 et le Code électoral de 2012.
93
C’est la position adoptée par le Conseil constitutionnel camerounais face au recours du sieur Joshua
NAMBANGI OSIH précité.
94
Avis aux électeurs sur le secret des votes, op.cit.
95
Communiqué – Radio – Presse n° 001/ELECAM/DGE du 21 septembre 2018.
96
Recours n° 038/SRCER/G/SG/CC du10 octobre 2018, Sieur Joshua NAMBANGI OSIH op. cit.
97
On note un taux de participation de 5,36% au Nord-Ouest et de 15,94% au Sud-Ouest. Cf. Rapport général sur
le déroulement de l’élection présidentielle du 07 octobre 2018. Version revue et corrigée, op.cit., p. 197.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
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des chances réelles. Argumentaire assez léger pour bénéficier de l’hypothèse de la perte de
chance en matière électorale.
Telle qu’envisagée par l’autorité électorale camerounaise, la délocalisation permet de
protéger l’intégrité de la personne en tant que être humain98, mais surtout comme électeur 99.
Prenant en compte l’idée que la validité d’une élection dépend de la bonne compréhension de
l’électeur sur les enjeux100 et la confiance qu’il exprime à l’endroit des autorités qui doivent
lui permettre de s’exprimer librement et pleinement, elle se pose comme une mesure
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électorale incitative. La crédibilité de l’élection découle de la sécurité de l’électeur qui est
d’ordre public. Ce dernier ne peut en aucun cas y renoncer, car elle n’est pas ordonnée dans
son intérêt personnel101, mais plutôt dans celui de l’ensemble du processus électoral. La
violence électorale102 est proscrite quelle que soit son ampleur. Elle peut conduire à une
annulation partielle ou totale de l’élection, si une alternative comme celle de la délocalisation
n’est pas trouvée. C’est ainsi que dans un autre contexte, le Conseil d’État français avait
décidé, que le changement de localisation d’un bureau vote peut aboutir à l’annulation de
l’élection si celui-ci a une influence réelle sur le vote103. Le juge constitutionnel camerounais
n’a pas évacué cette éventualité, il se trouve juste que celui-ci n’a pas trouvé crédible les
éléments portés à son attention. Ils étaient d’après lui insuffisant pour conduire à une
quelconque annulation de l’élection104.
Au demeurant, la délocalisation se présente comme une stratégie de sortie de crise 105
car, elle permet de rapprocher les bureaux de vote des électeurs 106 qui se retrouvent dans des
conditions difficiles. En d’autres termes, elle se présente aussi comme un outil indispensable à
98
Art. 4 de la Charte Africaine des Droit de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981.
Communiqué – Radio – Presse n° 001/ELECAM/DGE du 21 septembre 2018.
100
QUANTIN cité par BABO (A.), in « Réflexions sur la (re)construction de la paix par les élections en Côte
d’Ivoire », Repères Internationales, n° 2, MENAIBUC, 2009, p. 2.
101
GRÜN (A.), Jurisprudence électorale parlementaire : recueil de décisions du Corps législatif (de 1852 à
1864) en matière de vérification de pouvoirs, Paris, Durand Librairie, 1864, p. 8.
102
Groupe des Sages de l’Union africaine, Les conflits et la violence politique résultant des élections…, op.cit.,
p. 22.
103
CE, Erone, 9 janvier 1885, 20 mars 1885.
104
Se référer à la position adoptée par ce sujet dans le recours du sieur Joshua NAMBANGI OSIH concernant le
cinquième moyen du requérant.
105
SAWADOGO (A.), Les stratégies de sortie de crises politiques au Burkina Faso, Thèse de doctorat en
Science politique, Université de Versailles Saint-Quentin-En-Yvelines, 2018, 528p.
106
AGBANTOU (S.), « Les différentes étapes techniques du scrutin », op.cit., p. 173.
99
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
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l’accomplissement du geste électoral107, un moyen dérogatoire de donner de la valeur à
l’expression du suffrage, mais surtout de ramener un semblant de normalité à une situation
critique.
2. La normalisation du processus électoral
Présentée unanimement par les démocrates comme un rituel important de la vie
politique108, l’élection structure le fondement du droit de gouverner pour les gouvernants109,
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parce qu’elle leur permet d’obtenir le consentement franc et éclairé des gouvernés. Situées
dans un contexte de crise qui instaure un climat électoral anormal, certaines parties du
Cameroun sont sorties de la normalité juridique, politique, sécuritaire, économique et sociale.
Leur essence naturelle doit leur être restituée au moins temporairement pour faciliter le choix
de leurs représentants. Cela passe par une normalisation, corolaire du changement
géographique du lieu initial de vote. Alors, aborder la normalisation nécessite de voguer sous
un double plan, en l’envisageant comme une conformité aux dispositions normatives, mais
également comme ce qui est normal en soi.
Ainsi, le premier aspect de la normalisation du processus électoral par la délocalisation
consiste, pour les autorités en charge des questions électorales, à organiser les élections en
respectant les règles et les principes électoraux afin que la crédibilité supposée de l’élection se
transforme en une crédibilité avérée. Dans cette optique, le Sénégal a trouvé utile de mettre
sur pied un « Guide du bureau de vote » par le concours du Ministère de l’intérieur 110. Au
Cameroun, un tel manuel n’existant pas, la normalisation se limite au respect des textes
régissant l’organisation des élections et la stricte limitation aux fonctions attribuées à chaque
organe, tout cela sous l’œil vigilant du juge constitutionnel. La certitude qui guide les
autorités participant au processus électoral est qu’il doit y avoir vote, quel que soit le contexte
sécuritaire. Alors la délocalisation des bureaux de vote ne devient crédible que si elle ne
107
JOIGNANT (A.), « Un sanctuaire électoral. Le bureau de vote et l'invention du citoyen-électeur au Chili à la
fin du XIXe siècle », op.cit., p. 29.
108
MENTHONG (H-L.), « Vote et communautarisme au Cameroun : ‘‘un vote de cœur, de sang et de raison’’ »,
op.cit., p. 40.
109
TRAORE (P.), « La légitimité des gouvernants dans la constitution du 25 février 1992 de la troisième
République du Mali », op.cit., p. 584.
110
Cf. Ministère de l’intérieur de la République du Sénégal, Guide pratique. Organisation et fonctionnement du
bureau de vote, Élection présidentielle du 24 février 2019, octobre 2018, 62 p.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
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perturbe en aucune façon la régularité des opérations électorales et si aucun électeur
manifestant le désir, n’est empêché de prendre part au vote111.
La délocalisation des bureaux des votes peut sauver ou déstabiliser une élection. Elle
n’a pas toujours une portée utile en cela qu’elle peut optimiser les maux qu’elle tentait de
résoudre. Si les échéances électorales sont appréhendées comme le respect d’un ensemble des
règles du jeu politique qui constitue autant une contrainte qu’une ressource pour les acteurs112,
il faut tenir compte de toutes les sensibilités lorsqu’on s’engage à changer les règles au cours
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du jeu. C’est ce qui ressort des analyses des différentes demandes des candidats qui
semblaient signifier qu’ils n’ont pas été consultés par les instances électorales pour se
prononcer sur les délocalisations des bureaux de vote dans les régions en conflit. Même si le
juge considère que « La délocalisation […] des bureaux de vote opérée par Elections
Cameroon relève de sa mission d’organisation, de gestion et de supervision du processus
électoral et référendaire »113, ces candidats estimaient qu’un consensus aurait été nécessaire
pour que chacun se sente concerné pour mieux accepter les résultats qui sortiront des urnes.
Concernant le second aspect de la normalisation par la délocalisation, il s’agit pour les
autorités compétentes d’organiser l’espace de vote de manière à donner l’impression aux
électeurs affectés dans ces lieux délocalisés qu’ils votent dans des conditions normales,
semblables à celles des personnes situées dans les zones non concernées par la crise. La
normalité ici étant de façade au regard de ce que la délocalisation est considérée par le juge
constitutionnel comme « une mesure de ‘‘légalité exceptionnelle’’ dictée par un
environnement marqué par l’insécurité »114, et visant à minimiser la modification des
comportements politiques vis-à-vis de l’élection115.
Pour aider les institutions compétentes à mieux organiser les élections, le législateur a
dû tenir compte des circonstances exceptionnelles qui pourraient perturber la participation
111
BERGE (F.), Guide pratique pour les élections législatives et municipales à l’usage des électeurs et des
bureaux de vote, 2e éd., Librairie spéciale de la Réveil Commerciale, Toulouse, 1982, p. 8.
112
SAWICKI (F.), « Partis politiques et mouvements sociaux : des interdépendances aux interactions et retour…
», http://ceraps.univlille2.fr/fileadmin/user_upload/enseignants/Sawicki/Partis_et_mvts_sociaux.pdf, p. 9.
Consulté le 07 décembre 2019.
113
Recours n° 038/SRCER/G/SG/CC du10 octobre 2018, Sieur Joshua NAMBANGI OSIH C/ELECAM, RDPC,
ADD, PURS, FPD, UDC, MCNC.
114
Ibid.
115
DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Les élections à l’épreuve de l’Afrique », op.cit., p. 139.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
84
personnelle de l’électeur116 et leur aménager subrepticement une marge de manœuvre dans
l’article 26 du Code électoral. Ce créneau leur permet d’accompagner les citoyens dans
l’accomplissement de l’une des fonctions essentielles de l’ordre constitutionnel et politique 117
à savoir la fonction électorale. Mais également, la délocalisation contribue à faciliter la
participation citoyenne dans un contexte de crise 118 prolongée comme dans le NOSO
Cameroun. La situation sécuritaire a imposé une adaptation de circonstance, mais aussi un
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précédent nécessaire pour les ajustements lors des futures échéances électorales.
De ce qui précède, on constate qu’il est évident qu’avec l’avènement du pluralisme,
les élections sont devenues un élément déterminant pour la démocratie eu égard au fait
qu’elles permettent aux populations d’exprimer leur volonté, facilitent l’alternance et
confèrent la légitimité aux gouvernements élus 119. C’est une réalité qui ne peut se concrétiser
que si ces élections sont organisées sans un cadre idéal, facilitant aux citoyens l’expression de
leurs suffrages. Par conséquent, la conjoncture ambiante ne permet plus de soutenir que des
élections libres et honnêtes sont la seule voie par laquelle une démocratie trouve sa légitimité
et sa consécration
120
, car celles-ci doivent être sécurisées, certaines et garantir au votant
l’assurance de préserver son intégrité physique. À défaut, il faudra convenir que
l’implantation de la démocratie au Cameroun est un souhait irréalisable 121 à cause de
situations délétère dans certaines régions.
116
MANDENG (D.), La procédure contentieuse en matière électorale : recherches sur le contentieux des
élections au Cameroun, Thèse de doctorat en droit public, Cotutelle Université de Potiers et Université de
Douala, 2017 p. 59. Disponible sur Internet http://theses.univ-poitiers.fr
117
LA GRASSERIE (R.), Systèmes électoraux des différents peuples : étude comparative, scientifique et
politique, Paris, Librairie, Felix Alcan, 1911, p. 1.
118
BABO (A.), « Réflexions sur la (re)construction de la paix par les élections en Côte d’Ivoire », op.cit., p. 2.
119
Groupe des Sages de l’Union africaine, Les conflits et la violence politique résultant des élections…, p. 14.
120
VASAK (K.), « Réflexion sur l’observation internationale des élections », Symposium international de
Bamako, p. 299.
121
DEMERS-LABROUSSE (N.), La démocratie en Afrique subsaharienne : Le cas du Cameroun, op.cit., p. 85.
RARJP, Numéro 1, Varia, Mai 2020.
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