Choc des civilisations et conflit israélopalestinien

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LE CHOC DES CIVILISATIONS ET LE CONFLIT ISRAÉLO-
PALESTINIEN
Pascal Boniface
Armand Colin | « Revue internationale et stratégique »
2004/1 n° 53 | pages 11 à 23
ISSN 1287-1672
ISBN 2130543529
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-1-page-11.htm
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Pour citer cet article :
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Pascal Boniface, « Le choc des civilisations et le conflit israélo-palestinien », Revue
internationale et stratégique 2004/1 (n° 53), p. 11-23.
DOI 10.3917/ris.053.0011
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Le choc des civilisations
et le conflit israélo-palestinien
Pascal Boniface*
PASCAL BONIFACE
LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
L’accord de Genève signé le 1er décembre 2003 après trois ans de négociations
secrètes par l’ancien ministre israélien Yossi Beilin, et le palestinien, Yasser Abed
Rabbo, prévoyant un plan de paix au Proche-Orient, n’est certes pas un document
officiel, mais il constitue cependant un puissant motif d’espoir de régler un conflit qui
désespère les meilleures volontés. Il a été de ce fait largement salué et suscite un mou-
vement de soutien dans les opinions publiques du monde entier, même s’il n’est pas
accepté par Yasser Arafat et Ariel Sharon1.
Cet accord va bien plus loin dans les détails que tous ceux qui l’ont précédé. Il pré-
voit même de statuer immédiatement sur les questions les plus sensibles, telles que le
statut de Jérusalem et le problème des réfugiés palestiniens. Va-t-il amener enfin la
paix ou va-t-il rejoindre sur l’étagère des espoirs gravement déçus la « Feuille de
route » et les accords d’Oslo ? Il faut souhaiter que cette sombre perspective soit
écartée, et ce, pas uniquement pour le sort des peuples israélien et palestinien.
Désormais, ce qui se joue dépasse en effet ce seul enjeu. Ce qui ne constituait
qu’une prise de gages territoriale de circonstance en 1967 – le gouvernement israélien
voulant faire des territoires occupés un éventuel moyen de négociation avec les Pales-
tiniens – ou un peuple (les Palestiniens) dont personne, y compris dans le monde
arabe, ne se souciait guère, sont devenus, et sans qu’un événement particulier ne
vienne créer un marqueur de l’histoire, l’épicentre d’un éventuel choc des civilisa-
tions. Sans doute est-ce un effet dérivé de la globalisation, qui est également une réa-
lité pour les peuples arabes. Depuis la seconde moitié des années 1990, les télévisions
satellitaires arabes ont créé un espace public qui réunit les élites et les classes moyen-
nes des différents pays arabes, ainsi que les diasporas2. À force de voir chaque jour à
la télévision des chars israéliens dans les rues palestiniennes, des soldats tirant sur des
civils, des maisons détruites (9 000 depuis le début de la seconde Intifada), des oli-
viers arrachés, des files interminables d’attente aux check points, et d’entendre inces-
samment les récits concrets d’actes de répression, la cause palestinienne est devenue
la cause arabe et même musulmane.
La revue internationale et stratégique, n° 53, printemps 2004
* Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). L’auteur peut être contacté à
l’adresse e-mail suivante : [email protected]
1. À la date du 16 février 2004.
2. Alors même que les régimes gardent le contrôle sur les médias nationaux, les réseaux transnationaux
offrent une alternative. Plus que la « rue arabe », ce sont les élites intellectuelles et les classes moyennes qui
constituent l’enjeu en termes d’opinion. Voir Marc Lynch, « Taking Arabs Seriously », Foreign Affairs,
vol. 82, no5, septembre-octobre 2003.
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Aussi la présidente indonésienne, Megawati Sukarnoputri, considérée comme la
dirigeante modérée du pays musulman le plus peuplé du monde, déplorait-elle, le
23 septembre 2003 devant l’Assemblée générale des Nations unies, qu’une politique
injuste et unilatérale au Proche-Orient ne développe un climat de violence. Elle esti-
mait que les puissances occidentales, dont les citoyens devenaient la principale cible
des groupes terroristes, devaient réviser leurs politiques antiterroristes notamment en
s’attaquant au problème israélo-palestinien et en s’assurant que toutes les parties
soient traitées de façon équitable.
Le problème palestinien est aujourd’hui à l’épicentre des principales fractures stra-
tégiques du globe : Orient/Occident, Nord/Sud, monde musulman/chrétiens.
L’unité arabe, quant à elle, c’est-à-dire la communauté des croyants musulmans,
est souvent mise en avant par les dirigeants de ces pays. Toutefois, ces derniers sont
en réalité profondément divisés politiquement, économiquement et stratégiquement.
Par l’effet du hasard et de la nécessité (trouver une cause commune), « la cause pales-
tinienne » a pris une importance suprême qui dépasse tous les clivages existants. Pour
les peuples arabes et même musulmans, plus encore que pour leurs dirigeants, la non-
création d’un État palestinien est perçue comme le symbole parfait et ultime du mau-
vais sort qui leur est fait, ainsi que du refus de leur reconnaître les mêmes droits
qu’aux autres peuples.
À cet égard, on peut affirmer que le conflit israélo-palestinien sert d’exutoire facile
à certains régimes arabes1, leur permettant de canaliser l’énergie des foules et la
détourner par ce biais des problèmes de politique intérieure2. C’est vrai, mais il n’en
reste pas moins qu’un constat s’impose de façon éclatante : en raison de la non-
résolution de ce conflit, le sort des Palestiniens est chaque jour un peu plus une cause
majeure de frustration dans les pays musulmans, ainsi que de ressentiment à l’égard
des pays occidentaux et principalement des États-Unis. Ces derniers donnent en effet
l’impression de laisser Israël absolument libre d’agir à sa guise. Ce sentiment est bien
sûr subjectif. Il est néanmoins devenu si fort au sein des opinions arabes et musulma-
nes – et dans de larges cercles des opinions européennes – qu’il constitue désormais
un élément objectif de ce conflit.
DEUX DANGERS : SELF-FULFILLING PROPHECY ET WISHFUL THINKING
En 1993, Samuel P. Huntington, universitaire sérieux et peu avide de sensationna-
lisme, lançait un pavé dans la mare en publiant dans la revue Foreign Affairs un
article intitulé : « Le choc des civilisations ? »3.
Au moment où les combats dans les Balkans faisaient rage dans une Europe
convaincue que la fin de la guerre froide avait mis fin à toute perspective de conflit
12 LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
1. Le 20 octobre 2003, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publiait un
Rapport du développement humain dans le monde arabe 2003, New York, PNUD, 2003. Rédigé « par des
Arabes, à l’attention des Arabes », il mettait en avant trois handicaps : la liberté d’expression, l’accès au
savoir et l’émancipation des femmes. Selon le rapport, « l’effet le plus grave de la guerre contre le terro-
risme est peut-être d’avoir fourni [aux régimes arabes] une justification spécieuse à la réduction des libertés
par le biais d’une définition élargie du terrorisme ». Il mettait également en avant le fait que certains gou-
vernements exploitent le conflit israélo-palestinien en étouffant les libertés civiques et l’opposition inté-
rieure au nom d’une mobilisation contre l’ennemi. Corine Lesnes, « Le développement du monde arabe
s’est ralenti depuis le 11 septembre », Le Monde, 23 octobre 2003.
2. Ce n’est pas par hasard si c’est dans le monde arabe qu’il y a eu le moins de manifestations anti-
guerre avant le déclenchement du conflit. La liberté de manifester n’y existe guère et les gouvernements les
ont empêchées, craignant qu’elles ne se transforment en manifestations antirégime.
3. Samuel P. Huntington, « The Clash of Civilizations ? », Foreign Affairs, vol. 72, no3, été 1993,
p. 22-49.
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armé, il donnait une grille de lecture globale des guerres à venir. Cette thèse allait
certainement être la plus abondamment commentée en relations internationales au
cours de la décennie suivante. La grande majorité des commentateurs la réfutaient,
mais rarement une thèse aussi contestée n’aura été (et demeure aujourd’hui encore)
aussi largement débattue.
Ainsi, selon l’auteur, les affrontements entre civilisations constituent la dernière
phase dans l’évolution des conflits. Ces derniers opposaient auparavant princes et
rois, puis les nations entre elles après la Révolution française. Au XXesiècle, les guer-
res se sont déroulées entre idéologies antagonistes (fascisme, nazisme, communisme,
démocraties). Au XXIesiècle, les guerres se feront entre les civilisations, à savoir prin-
cipalement entre la civilisation occidentale, dominante, et la civilisation musulmane,
en expansion et contestant cette domination.
Deux erreurs sont fréquemment commises en rapport avec cette théorie. La pre-
mière est de croire à son inéluctabilité, au fait de penser qu’il s’agit d’un futur auquel
on ne peut échapper, et auquel il faut donc se préparer. Rien n’est plus faux. Il n’y a
pas plus d’automaticité ou de déterminisme de conflit entre les civilisations qu’il y en
a entre les États. L’histoire est faite par les hommes, les peuples et les dirigeants, et
leurs actions et leurs décisions peuvent aussi bien conduire à la guerre ou l’éviter.
L’affrontement entre musulmans et Occidentaux n’est donc pas écrit à l’avance. Le
risque est d’ailleurs de transformer cette idée en prophétie autoréalisatoire (self-
fulfilling prophecy) : à force d’en parler comme d’un événement qui doit nécessaire-
ment se produire, on facilite les conditions de sa survenance. Si Occidentaux et
musulmans s’habituent à des discours qui les présentent comme des ennemis irréduc-
tibles, ils croiront de plus en plus à cette hypothèse et ils développeront des relations
qui deviendront véritablement antagonistes.
Mais l’autre erreur est de réfuter cette thèse pour des raisons « politiquement cor-
rectes » et de confondre ce que l’on souhaite éviter et ce qui est impossible. Dire que
la guerre entre civilisations serait une catastrophe est une chose. Affirmer qu’à trop
en parler on remplit les conditions qui pourraient permettre sa survenance en est une
autre. Mais conclure, au seul motif qu’elle n’est pas souhaitable, qu’elle ne surviendra
pas serait une grave erreur. Il faut évidemment éviter la perspective de guerres entre
civilisations. Mais il ne suffit pas pour cela de se contenter de jeter l’anathème sur
cette idée, encore faut-il remplir les conditions politiques pour qu’elle ne se trans-
forme pas en réalité. La simple condamnation morale ou la politique des vœux pieux
ne peuvent être des armes efficaces. Bref, pour ce qui est de la guerre des civilisations,
il faut éviter à la fois la self-fulfilling prophecy et le wishful thinking, qui peuvent avoir
pour résultat commun de rendre possible un affrontement dont la survenance n’était
pas écrite à l’avance.
Or le terrible constat que l’on peut faire aujourd’hui, c’est que, malheureusement,
au cours des derniers mois, on a avancé vers le choc des civilisations.
La thèse de S. P. Huntington est bien sûr plus subtile que la présentation caricatu-
rale qui en est souvent donnée par des commentateurs qui très souvent ont lu les
comptes rendus du livre, et non le livre lui-même. S. P. Huntington écrit par
exemple : « Les Occidentaux doivent admettre que leur civilisation est unique mais
pas universelle et s’unir pour lui redonner vigueur contre les défis posés par les socié-
tés non occidentales. Nous éviterons une guerre généralisée entre civilisations si, dans
le monde entier, les chefs politiques admettent que la politique globale est devenue
multicivilisationnelle et coopèrent à préserver cet état de fait. »1
PASCAL BONIFACE 13
1. Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, coll. « Poches Odile Jacob »,
2000, p. 18.
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Mais il estime que l’Occident doit s’efforcer et s’efforcera à l’avenir de maintenir sa
position prééminente et de défendre ses intérêts en les présentant comme ceux de la
« communauté mondiale ». Cette expression, admet-il, est un euphémisme collectif
– qui remplace « le monde libre » – censé donner une légitimité globale aux actions qui
reflètent en réalité « les intérêts des États-Unis et des autres puissances occidentales »1.
« L’Occident est et restera des années encore la civilisation la plus puissante.
Cependant, sa puissance relative par rapport aux autres civilisations décline. »2Par
ailleurs, S. P. Huntington admet parfaitement que ce qui apparaît comme de
l’universalisme aux yeux des Occidentaux passe pour de l’impérialisme ailleurs. Il ne
se fait donc aucune illusion – moins en tout cas que de nombreux dirigeants occiden-
taux – sur le caractère très subjectif de l’universalisme occidental et sur ses perspec-
tives de déclin relatif pour l’avenir.
OCCIDENT/MONDE MUSULMAN : L’ANTAGONISME EST-IL INÉLUCTABLE ?
Sur la base de statistiques étudiant l’emploi de la force dans la gestion des crises3,
l’universitaire américain affirme que les États musulmans ont plus souvent que
d’autres recours à la violence, et lorsqu’ils y ont recours, ils l’emploient avec plus
d’intensité. Le caractère belliqueux et violent des pays musulmans à la fin du
XXesiècle est donc un fait que personne, musulman ou non-musulman, ne saurait,
selon lui, nier. Mais la période historique étudiée s’étend de 1928 à 1979 et, par ail-
leurs, S. P. Huntington ne fournit pas la liste des crises en question. De plus, on
pourrait lui objecter que les deux guerres mondiales et leur cortège d’horreurs n’ont
pas été générées par les musulmans, pas plus que le génocide nazi. La responsabilité
du monde musulman n’est pas plus évidente dans la guerre du Viêtnam, les exactions
des Khmers rouges, la mise en place des dictatures latino-américaines, le goulag
soviétique, la mise en coupe réglée par l’URSS des démocraties populaires ou les
délires de la grande révolution culturelle prolétarienne de Mao Zedong. Le monde
musulman est donc loin d’avoir le monopole de la violence politique.
S. P. Huntington entend être guidé non par des choix idéologiques, mais par le
seul réalisme – bien que celui-ci semble discutable – qui le conduit à un certain pessi-
misme, et il n’entend pas en tout cas être entravé dans sa démarche intellectuelle par
le « politiquement correct ».
« Certains Occidentaux, comme le président Bill Clinton, soutiennent que
l’Occident n’a pas de problèmes avec l’islam, mais seulement avec les extrémistes isla-
mistes violents. Quatorze cents ans d’histoire démontrent le contraire. Les relations
entre l’islam et le christianisme, orthodoxe comme occidental, ont toujours été agi-
tées. Chacun a été l’autre de l’autre. Au XXesiècle, le conflit entre la démocratie libé-
rale et le marxisme-léninisme n’est qu’un phénomène historique superficiel en compa-
raison des relations sans cesse tendues entre l’islam et le christianisme. »4
L’opposition entre le monde musulman et le monde occidental est donc selon lui fon-
damentale, inéluctable et supérieure en intensité à ce qu’a représenté la guerre froide.
Une fois encore on peut, au regard des conflits réels les plus meurtriers du passé et
du présent, contester que le clivage entre le monde musulman et le monde occidental
ait été jusqu’ici le plus déterminant en termes de conflictualité.
14 LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
1. Ibid., p. 266.
2. Ibid.,p.24.
3. Ibid., p. 387.
4. Ibid., p. 306.
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