
Aussi la présidente indonésienne, Megawati Sukarnoputri, considérée comme la
dirigeante modérée du pays musulman le plus peuplé du monde, déplorait-elle, le
23 septembre 2003 devant l’Assemblée générale des Nations unies, qu’une politique
injuste et unilatérale au Proche-Orient ne développe un climat de violence. Elle esti-
mait que les puissances occidentales, dont les citoyens devenaient la principale cible
des groupes terroristes, devaient réviser leurs politiques antiterroristes notamment en
s’attaquant au problème israélo-palestinien et en s’assurant que toutes les parties
soient traitées de façon équitable.
Le problème palestinien est aujourd’hui à l’épicentre des principales fractures stra-
tégiques du globe : Orient/Occident, Nord/Sud, monde musulman/chrétiens.
L’unité arabe, quant à elle, c’est-à-dire la communauté des croyants musulmans,
est souvent mise en avant par les dirigeants de ces pays. Toutefois, ces derniers sont
en réalité profondément divisés politiquement, économiquement et stratégiquement.
Par l’effet du hasard et de la nécessité (trouver une cause commune), « la cause pales-
tinienne » a pris une importance suprême qui dépasse tous les clivages existants. Pour
les peuples arabes et même musulmans, plus encore que pour leurs dirigeants, la non-
création d’un État palestinien est perçue comme le symbole parfait et ultime du mau-
vais sort qui leur est fait, ainsi que du refus de leur reconnaître les mêmes droits
qu’aux autres peuples.
À cet égard, on peut affirmer que le conflit israélo-palestinien sert d’exutoire facile
à certains régimes arabes1, leur permettant de canaliser l’énergie des foules et la
détourner par ce biais des problèmes de politique intérieure2. C’est vrai, mais il n’en
reste pas moins qu’un constat s’impose de façon éclatante : en raison de la non-
résolution de ce conflit, le sort des Palestiniens est chaque jour un peu plus une cause
majeure de frustration dans les pays musulmans, ainsi que de ressentiment à l’égard
des pays occidentaux et principalement des États-Unis. Ces derniers donnent en effet
l’impression de laisser Israël absolument libre d’agir à sa guise. Ce sentiment est bien
sûr subjectif. Il est néanmoins devenu si fort au sein des opinions arabes et musulma-
nes – et dans de larges cercles des opinions européennes – qu’il constitue désormais
un élément objectif de ce conflit.
DEUX DANGERS : SELF-FULFILLING PROPHECY ET WISHFUL THINKING
En 1993, Samuel P. Huntington, universitaire sérieux et peu avide de sensationna-
lisme, lançait un pavé dans la mare en publiant dans la revue Foreign Affairs un
article intitulé : « Le choc des civilisations ? »3.
Au moment où les combats dans les Balkans faisaient rage dans une Europe
convaincue que la fin de la guerre froide avait mis fin à toute perspective de conflit
12 䊏LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
1. Le 20 octobre 2003, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publiait un
Rapport du développement humain dans le monde arabe 2003, New York, PNUD, 2003. Rédigé « par des
Arabes, à l’attention des Arabes », il mettait en avant trois handicaps : la liberté d’expression, l’accès au
savoir et l’émancipation des femmes. Selon le rapport, « l’effet le plus grave de la guerre contre le terro-
risme est peut-être d’avoir fourni [aux régimes arabes] une justification spécieuse à la réduction des libertés
par le biais d’une définition élargie du terrorisme ». Il mettait également en avant le fait que certains gou-
vernements exploitent le conflit israélo-palestinien en étouffant les libertés civiques et l’opposition inté-
rieure au nom d’une mobilisation contre l’ennemi. Corine Lesnes, « Le développement du monde arabe
s’est ralenti depuis le 11 septembre », Le Monde, 23 octobre 2003.
2. Ce n’est pas par hasard si c’est dans le monde arabe qu’il y a eu le moins de manifestations anti-
guerre avant le déclenchement du conflit. La liberté de manifester n’y existe guère et les gouvernements les
ont empêchées, craignant qu’elles ne se transforment en manifestations antirégime.
3. Samuel P. Huntington, « The Clash of Civilizations ? », Foreign Affairs, vol. 72, no3, été 1993,
p. 22-49.
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