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Les-Juifs-dAfrique-du-Nord-face-à-lAllemagne-nazie- Haïm-Saadoun- Saadoun -Haïm - z-lib.org

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Cette publication a reçu le soutien financier
de The Conference on Jewish Material Claims Against Germany.
Cette publication, et la conférence, qui est à l’origine de celle-ci, ont été
permises grâce au généreux soutien du Gertner Center for
International Holocaust Conferences, dôté par feu Danek D. et
Jadzia B. Gertner, ainsi que par le Gutwirth Family Fund.
© Perrin, un département d’Édi8, 2018.
Travailleurs juifs balayant un trottoir devant un baraquement de l’armée
de l’air, 1942-1943, Tunisie.
© Bundesarchiv / Dr. Stocker / Bild 101I-556-0937-28.
© Yad Vashem et Izhak Ben-Zvi, 2018. Ouvrage publié dans le cadre
d’une
coopération entre Yad Vashem et Yad Izhak Ben-Zvi.
12, avenue d’Italie
75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
EAN : 978-2-262-07626-9
Dépôt légal : avril 2018
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Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
Sommaire
Titre
Copyright
Avant-propos
Première partie - LES JUIFS D'AFRIQUE DU NORD ET LA SHOAH
1 - Le sort des Juifs d'Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale fait-il partie
de la Shoah ? - par Dan MICHMAN
LE TERME DE « SHOAH » : CONCEPT, EMPLOI DANS LE TEMPS
ET INTERPRÉTATION
L'ORGANISATION PRATIQUE DE « LA SOLUTION FINALE DE LA QUESTION
JUIVE » AVAIT-ELLE PRIS EN COMPTE LES JUIFS D'AFRIQUE DU NORD ?
ANNEXE
Deuxième partie - L'ALLEMAGNE NAZIE ET L'AFRIQUE DU NORD
2 - Les dynamiques de l'antisémitisme au Maghreb à la veille de la Seconde Guerre mondiale par Emmanuel DEBONO
DIVERSITÉ DES SOURCES DE L'ANTISÉMITISME
LE POTENTIEL EXPLOSIF DES TENSIONS JUDÉO-MUSULMANES
L'ENJEU PRIVILÉGIÉ DE L'ANTISÉMITISME MUSULMAN
LES CARENCES DES AUTORITÉS FRANÇAISES
3 - L'Afrique du Nord dans la stratégie du Troisième Reich - par Chantal METZGER
4 - La propagande du Troisième Reich en Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale par Martin CUEPPERS
5 - Le ministère des Affaires étrangères allemand et les Juifs d'Algérie de 1933 à 1936 :
l'antisémitisme nazi dans le contexte colonial - par Eli BAR-CHEN
Troisième partie - LE RAPPORT DES POPULATIONS LOCALES AUX JUIFS
6 - Sympathisants indifférents : nationalistes marocains et Juifs marocains durant la Seconde
Guerre mondiale - par Daniel ZISENWINE
7 - L'accomplissement d'un long cheminement antisémite : l'abolition du décret Crémieux
et la réaction de la population algérienne - par Filippo PETRUCCI
Quatrième partie - LES JUIFS D'AFRIQUE DU NORD DANS LE TUMULTE
DES ÉVÉNEMENTS
8 - Les Juifs de Mogador (Essaouira) pendant la Seconde Guerre mondiale : la terreur de Vichy
et sa gestion communautaire - par Joseph CHETRIT
INTRODUCTION
LA RÉACTION CONTRASTÉE DES COMMUNAUTÉS JUIVES DU MAROC
À L'HITLÉRISME
LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE MOGADOR SOUS LE RÉGIME DE VICHY
CONCLUSION
ANNEXES
9 - Hélène Cazes-Benatar et ses activités en faveur des réfugiés juifs au Maroc 1940-1943 par Michal BEN YA'AKOV
10 - Espionnage et contre-espionnage ; nazis et réfugiés : Tanger durant la Seconde Guerre
mondiale - par Mitchell SERELS
ANNEXE - Listes générales des espions suspectés
11 - Un havre maghrébin : réfugiés juifs à Tanger durant la Seconde Guerre mondiale par Isabelle ROHR
12 - La communauté juive de Nabeul sous l'occupation allemande - par Victor HAYOUN
ANNEXE 1 - Le témoignage d'Isaac Mamou traduit du judéo-arabe en français
ANNEXE 2 - Lettre du 11 mars 1954 à M. Aleman, ex-chef du poste de police de Nabeul
en 1943
Cinquième partie - IMAGES ET SOUVENIR
13 - Images de la guerre 1939-1945 dans la littérature judéo-maghrébine d'expression française par Guy DUGAS
L'AFRIQUE DU NORD DURANT LA GUERRE
SUR LA GUERRE EN EUROPE
AU-DELÀ DU DRAME : L'HUMOUR JUIF
14 - L'élaboration du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord. Première
période – expressions littéraires et historiographie - par Haïm SAADOUN
Notes
Avant-propos
On est généralement surpris d’entendre parler de Shoah au sujet des
Juifs d’Afrique du Nord. En effet, les nazis ont occupé seulement une partie
de cette région, le reste étant aux mains des Alliés. Pour les Juifs, la guerre
fut courte, l’extermination non systématique. Ils ont sans doute bien moins
souffert que les Juifs d’Europe. Cependant, ils ont aussi connu des
persécutions et leurs proches vivaient en France et en Italie.
Désireux de mieux faire connaître l’histoire des Juifs en Afrique du
Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, nous proposons ce recueil
d’articles intitulé « Les Juifs d’Afrique du Nord face à l’Allemagne nazie ».
Il semble bien qu’une telle étude apparaisse comme fondamentale. Il
existe en France un large public qui désire en savoir plus. En témoigne le
succès rencontré par le film d’Ismaël Ferroukhi, Les Hommes libres, sorti
en 2011, dont le scénario a été repris dans de multiples programmes
éducatifs. Le réalisateur a essayé d’y retracer l’attitude des musulmans face
à la Shoah en général et dans les pays d’Afrique du Nord en particulier. Le
message du film est clair : les musulmans ont été sensibles au sort des Juifs.
Un bel enseignement pour les efforts contemporains de réconciliation
judéo-arabe. Le film de Ferroukhi présente des qualités cinématographiques
indéniables. Malheureusement, il ne repose sur aucune source historique
fiable.
L’ouvrage que nous présentons ici propose l’état actuel des recherches
sur le sujet. En effet, les travaux sur les Juifs d’Afrique du Nord se sont
beaucoup développés ces trente dernières années. Parallèlement, les études
sur la Shoah ont connu un essor remarquable pendant les deux dernières
décennies. Les sources se sont multipliées surtout depuis la chute du bloc
communiste. Les méthodologies se sont diversifiées. On peut donc
aujourd’hui envisager de traiter la question de la Shoah dans les
communautés juives d’Afrique du Nord. Ce travail novateur qui s’appuie
sur des sources non exploitées jusqu’à présent vient enrichir et compléter
les travaux pionniers publiés par Michel Abitbol depuis 1983.
Dans le présent recueil, quatorze articles ont été écrits par des
chercheurs de différents pays. L’introduction tente de définir les termes du
débat. Y a-t-il eu une « Shoah » des Juifs d’Afrique du Nord ? En
s’appuyant sur de nouveaux documents, l’auteur démonte l’argumentation
selon laquelle un programme d’extermination systématique des Juifs
d’Afrique du Nord aurait été décidé à la conférence dite de « Wannsee » en
janvier 1942. Néanmoins, il faut aussi inclure dans la dénomination
« Shoah » les conditions faites aux Juifs en Afrique du Nord pendant la
guerre. Dans la première partie sont étudiées l’idéologie nazie en Afrique
du Nord et l’étendue de l’antisémitisme avant et pendant la guerre. Dans la
deuxième partie est analysé le comportement des populations locales vis-àvis des Juifs. La troisième partie est consacrée aux événements des années
1940-1944, comme la pression exercée par le gouvernement de Vichy, les
opérations de secours orchestrées par Hélène Cazes-Benatar au Maroc, le
sort de la communauté juive de Nabeul en Tunisie, ou encore le cas de
Tanger où se sont réfugiés des Juifs européens et où existait un réseau
d’espionnage et de contre-espionnage. Enfin, dans une dernière partie est
retracé le travail de mémoire dans la littérature judéo-maghrébine
d’expression française et dans l’historiographie après 1944.
Certes, ce livre ne répond pas à toutes les questions. Aussi, nous
espérons qu’il incitera d’autres chercheurs spécialistes de la Shoah, de
l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste ou de la France de Vichy à étudier les
Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous
espérons aussi que les chercheurs spécialistes des Juifs d’Afrique du Nord
trouveront de l’intérêt à ce livre qui dévoile des sources non exploitées et
qu’ils continueront le travail entrepris.
Dan MICHMAN, Yad Vashem et Université Bar-Ilan
Haïm SAADOUN, Université ouverte et Institut YadBen-Tzvi
Première partie
LES JUIFS D’AFRIQUE
DU NORD
ET LA SHOAH
HISTOIRE, HISTORIOGRAPHIE
ET DÉBAT PUBLIC
1
Le sort des Juifs d’Afrique
du Nord pendant la Seconde
Guerre mondiale fait-il partie
de la Shoah ?
par Dan MICHMAN
Dans cet article, nous allons nous pencher sur la question de savoir dans
quelle mesure il faut considérer le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant
la Seconde Guerre mondiale comme partie intégrante de l’événement
historique appelé Shoah. Cette question doit être examinée car elle a surgi
dans le cadre d’un débat public sur l’inclusion et l’exclusion de diverses
communautés dans la mémoire de la Shoah, notamment en Israël1, mais pas
seulement. Récemment, elle a fait l’objet de vives controverses dans des
blogs sur Internet2. Elle comporte deux aspects : l’un, conceptuel, porte sur
la sémantique du concept de « Shoah » et son utilisation, ses conséquences
pour l’historiographie et le débat public, notamment dans le monde juif ;
l’autre, historico-factuel, a trait à l’inclusion des Juifs d’Afrique du Nord
dans les plans nazis de la « Solution finale de la question juive » telle
qu’elle ressort des (très nombreux) documents découverts jusqu’à
aujourd’hui. Cet article traitera de ces deux volets.
LE TERME DE « SHOAH » : CONCEPT,
EMPLOI DANS LE TEMPS
ET INTERPRÉTATION
Le fait même d’utiliser un terme spécifique pour parler du sort des Juifs
sous le régime nazi, le distinguant ainsi, d’une part, de l’ensemble des
persécutions et crimes nazis et, d’autre part, des autres persécutions
antijuives à travers l’histoire, mérite notre attention. En effet, accorder un
nom distinct à un événement historique le différencie et indique qu’il faut le
considérer de façon spécifique et distincte, tant dans la mémoire que dans
l’historiographie. Le sentiment populaire parmi les Juifs, sous le Troisième
Reich, mais plus encore immédiatement après sa chute en 1945, était qu’il
s’agissait là d’un événement tout à fait particulier. Cela entraîna de fait,
sans qu’il y ait eu de décision officielle « parachutée d’en haut »
l’émergence d’un certain nombre de concepts : « (la) Shoah »
[= catastrophe, en hébreu], hourban/hourbn [= destruction, respectivement
en hébreu et en yiddish], « cataclysme », « catastrophe » [en URSS], ou
« catastrophe juive », « génocide » puis peu après « holocauste » et
« judéocide ». L’existence même de ces divers termes témoigne de
l’absence de consensus et de l’existence de diverses mutations de ces
termes en concurrence. Tous ne s’accordent pas non plus sur la teneur de
cet événement historique.
Termes indiquant l’événement : propagation
et mutations
Le mot « Shoah » en hébreu vient de la Bible, il signifie un grand
désastre, le plus souvent inattendu (« Et que ferez-vous au jour de la
revendication, du désastre qui s’avance de loin ? », Isaïe X, 3). C’est donc
ainsi qu’il fut utilisé dans l’hébreu renaissant du Yichouv de Palestine sous
le mandat britannique. Par la suite, nous le trouvons dans la presse et les
rapports institutionnels pour décrire le sort des Juifs en Allemagne après
l’avènement du régime nazi (30 janvier 1933). Plus les informations
concernant les persécutions se faisaient nombreuses et plus ces mêmes
informations témoignaient de l’horreur, plus la charge sémantique de ce
terme s’intensifia pour devenir la Shoah, avec un grand S, et ce,
essentiellement après la Seconde Guerre mondiale3.
En Eretz Israël, ce ne fut pas le seul terme utilisé pour décrire les
événements de l’époque. Le terme de « destruction » (hourban) possède
une signification symbolique dans la conscience juive : celui de la
destruction des Premier et Second Temples, événements symbolisant
l’effondrement des valeurs, la perte de l’autonomie nationale, l’exil et un
très grand nombre de victimes. Ce terme apparaît dans des rapports et des
descriptions des horreurs des persécutions en Europe pendant la Shoah
comme dans les articles du journaliste ultra-orthodoxe Moshé Prager4, ou
dans les propos de l’historien juif influent de la Palestine de l’époque, le
professeur Ben-Tsion Dinour (Dinabourg)5. Avec le temps, cette
appellation fut reléguée au second plan par le terme Shoah.
En Europe cependant, le terme hourban (prononciation yiddish :
Churbn) fut utilisé par les premiers survivants parlant le yiddish, pas
uniquement par les religieux. Le premier périodique sur la Shoah, publié
par des Juifs dans des camps de personnes déplacées en Allemagne,
s’intitule Fun letzten Churbn6 (« À propos de la dernière destruction »). Le
monde ultra-orthodoxe de l’après-guerre qui emprunta une grande partie de
ses concepts au monde yiddish (notamment en vue de souligner la
continuité avec la période d’avant la guerre) utilise de préférence ce terme7
(même si le mot « Shoah » s’impose peu à peu). Immédiatement après la fin
de la Seconde Guerre mondiale, certains utilisaient le terme « cataclysme »
mais ce terme ne prit pas8. Durant les années 1950, apparut en anglais le
terme « holocaust », venant du grec holokaustos, signifiant « sacrifice
entièrement consumé par le feu » (dans la traduction des Septantes
[Septuaginta], il est utilisé pour qualifier une offrande).
Dans les années 1970 et 1980, en raison de l’influence anglaise, ce
terme s’imposa aussi dans d’autres langues, notamment après la
télédiffusion de la série du même nom en 19789 (série basée sur l’ouvrage
de Gérald Green). Après le film médiatisé du cinéaste Claude Lanzmann,
Shoah10 (1985), ce terme hébraïque s’imposa dans le monde, notamment
dans les cultures française et allemande (orthographes respectives Shoah et
Schoa) mais au-delà également. En Russie, les Juifs ont longtemps utilisé le
terme « catastrophe », dont la signification est parallèle à celle de « Shoah »
(mais dont l’apparition n’est aucunement liée au terme « Shoah »).
Cependant, ces dernières années, le mot « holocauste » apparaît dans des
institutions, conférences et livres, ainsi que parfois le terme de « Shoah »11.
« Holokauszt » est également le terme utilisé aujourd’hui en Hongrie où,
pendant des dizaines d’années, on ne parlait pratiquement pas en public du
sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. En polonais, c’est le
terme « Zagłada Żydów » (catastrophe juive) qui tend à s’imposer12, bien
que, sous l’influence du monde anglophone, on trouve également le terme
« holocauste ».
La multiplicité des termes, l’évolution et diffusion de certains d’entre
eux au cours des ans, voire la concurrence qui existe entre eux, n’est pas le
fait du hasard mais bien celui de divers processus dans la formation et la
structuration de la mémoire de la Shoah, et ce, sous l’influence de divers
éléments de la culture populaire et de l’évolution de l’interprétation et de la
compréhension des événements. À noter qu’aucun des termes mentionnés
ne s’est imposé du fait d’un historien pour les besoins de la recherche. Les
divers termes sont tous nés, dans les différents lieux, du discours populaire.
En outre, ces termes nous indiquent qu’il est impossible d’apprendre
quelque chose sur le caractère et la teneur de l’événement historique qu’ils
décrivent. Le locuteur, en les utilisant, sous-entend que l’auditeur sait déjà
ce dont il s’agit. Leur signification première (catastrophe, victime/sacrifice
– en hébreu, c’est le même terme) nous permettrait de les utiliser sans
aucun problème pour qualifier d’autres événements, catastrophes ou
destructions. Ce fait amena l’historien judéo-américain Arno Meyer, en
1988, à créer un nouveau terme, qui à son sens représente correctement la
nature des événements : « judéocide », ou meurtre des Juifs13. Pour lui, ce
vocable représente ce qui est arrivé aux Juifs, un événement historique
faisant partie d’un phénomène plus vaste, celui du génocide. Le mot de
« génocide » a été inventé en 1943 par le juriste judéo-polonais Raphaël
Lemkin, arrivé en 1941 aux États-Unis. Cette idée d’un terme pour qualifier
l’extermination d’un peuple a germé chez Lemkin dès 1933 à partir du
génocide arménien de 1915 perpétré par les Turcs. Cependant, c’est son
expérience personnelle et les informations qui lui sont parvenues au sujet du
sort des Juifs d’Europe qui ont accéléré la cristallisation de sa pensée14.
Il semble cependant que le terme de « judéocide » ne s’imposa pas dans
le discours de la recherche (à ce sujet, certaines exceptions sont
surprenantes : en Belgique, la plupart des chercheurs étudiant la Shoah
utilisent ce terme, ce qui n’est pas le cas de la population juive de ce pays),
encore moins dans le discours populaire. À cela plusieurs raisons :
nombreux sont ceux qui considèrent la Shoah comme étant un événement
qui va au-delà du « simple » assassinat des Juifs et la considèrent comme
une lutte plus vaste, contre le judaïsme dans son ensemble, y compris contre
la culture juive. D’autres sont d’avis que ce terme doit inclure d’autres
groupes de populations persécutées par les nazis, tels que Tsiganes,
invalides, handicapés mentaux, homosexuels et autres15 (approche qui n’est
généralement pas acceptée dans le discours hébraïque et le monde juif). Il
semble de toute façon que les termes les plus vagues d’un point de vue
sémantique sont ceux dont l’utilisation est la plus commode. En effet, il n’y
a pas d’obligation de définition univoque de la signification de l’événement.
Et ce n’est qu’ainsi qu’il est possible d’avoir un dialogue vaste dans lequel
les avis des participants diffèrent sur plusieurs points mais concordent sur
les événements et leurs sous-définitions.
Controverses concernant le périmètre de l’événement
et sa signification
Au-delà du problème du choix du nom, il existe entre les historiens et
les commentateurs des controverses concernant l’essence même de cet
événement, et donc également son périmètre chronologique. Pour certains,
l’époque de la Shoah est identique à celle du régime nazi (1933-1945) et
comprend toutes les persécutions antijuives (ainsi, récemment Saul
Friedländer), ou du moins les persécutions organisées réalisées par le
système bureaucratique de l’Allemagne nazie (idée présentée par Raoul
Hilberg). D’autres calquent les limites de la Shoah sur les années de la
Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Pour eux, à la base de cette
définition, on trouve, non seulement la guerre mondiale et son contexte
nécessaire à la dégradation de la situation des Juifs, mais aussi le début de
l’occupation germano-nazie du territoire de la plus grande communauté
juive de cette époque, la communauté polonaise. Ces deux modèles sont les
plus connus mais parmi les historiens, d’autres adoptent diverses dates au
sein de la période nazie (1935-1945, 1938-1945, 1941-1945, voire même
1942-1945), certains encore font commencer la période de la Shoah à des
dates antérieures à 1933 (1919, 1870 et même 1789 !) et la terminent après
1945 (1948 par exemple). Le positionnement de ces bornes dépend de la
compréhension des événements : ne s’agit-il « que » de l’assassinat
systématique et global des Juifs (qui débuta en 1941-1942) ou aussi des
persécutions qui le précédèrent – atteinte portée à l’existence économique et
culturelle des Juifs ; l’assassinat des Juifs a-t-il pour essence des motifs
antisémites ou racistes (l’antisémitisme faisant partie du racisme), modernes
ou traditionnels ? etc. Au niveau géographique également16, la question de
l’essence de la Shoah a son importance : la délimitation qui en fait un
événement systématique allemand prive la Shoah des persécutions des
communautés juives situées hors des limites de la « Solution finale » qui se
sont déroulées chronologiquement à la même période (comme le sort des
Juifs de Roumanie, par exemple).
Gardant ces deux aspects à l’esprit – le terme qualifiant l’événement et
ce qu’il qualifie –, notons que les Juifs ne demandèrent pas un terme
spécifique dans tous les pays. En URSS, par exemple, la « catastrophe »
était partie intégrante de l’histoire de la « grande guerre patriotique » (19411945). Aux Pays-Bas, on parlera jusqu’aux années 1990 (et aujourd’hui en
partie aussi) du sort des Juifs dans la guerre (« de oorlog »). En effet, pour
les Hollandais, la seule guerre est celle de l’occupation allemande car ce
pays était resté en dehors de la guerre durant la Première Guerre mondiale,
et n’a pas connu de guerre sur son territoire depuis le XVIe siècle. Il avait, il
est vrai, connu quelques batailles au sujet de ses colonies (et dans les
années 1830 une guerre pratiquement sans combats pour la continuité de
son hégémonie en Belgique, pays qui venait de lui être accordé peu avant).
En France et en Belgique (de langue française et de langue néerlandaise),
pays ayant tous deux participé à la Première Guerre mondiale, on vit
s’installer après la guerre aussi les termes de « Seconde Guerre mondiale ».
Les Juifs utilisaient donc le même terme que les non-Juifs pour parler de
cette époque, celle de l’occupation allemande. Les termes « Holocauste » et
« Shoah » ne firent leur apparition que dans les années 1980 pour s’imposer
en 1990.
Appliquer le terme de « Shoah » à l’Afrique
du Nord :
dans la perception de soi et dans la recherche
Il n’est donc pas étonnant que tant les mémoires des Juifs d’Afrique du
Nord que la recherche, écrite en grande partie en français (et un peu en
italien), aient utilisé les termes en usage dans cette langue, soit « Seconde
Guerre mondiale », ou encore des termes qui y faisaient allusion, comme la
« botte » symbolisant l’Occupation17, ou plus spécifiques tels que « croix
gammée » pour parler de l’Allemagne nazie18 ou de « l’Occupation »19.
Ajoutons à cela le fait que de nombreux écrivains originaires de ces mêmes
pays reconnaissaient que le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant la
Seconde Guerre mondiale, bien que sous le régime allemand, différait de
celui des Juifs d’Europe. De leur point de vue, le sort des Juifs d’Afrique du
Nord entrait dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale et se basait sur
des limites assez précises de l’époque : pour cette partie du monde, dans le
vécu de la Seconde Guerre mondiale dans son ensemble, le sort des Juifs
était différent, spécifique, voire pire que celui des autres populations (les
Européens et les musulmans). Ainsi, les lois antijuives de Vichy, le
comportement de l’Italie fasciste envers les Juifs (qui alla d’un
comportement idéologique à un comportement intéressé) et les actions
antijuives allemandes. De ce point de vue, le paramètre déterminant le
rapport des Juifs d’Afrique du Nord (auxquels parvenaient certaines
informations sur les événements en Europe par les moyens de
communication et par la famille qui vivait en Europe avant la guerre et qui
partageait les souffrances des Juifs européens) était seul et unique : la
Seconde Guerre mondiale.
Cette perception s’exprime également dans l’historiographie
universitaire. Le meilleur exemple en est le très complet ouvrage qui
fait autorité en la matière sur l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord,
L’Histoire des Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, de Michel Abitbol.
Abitbol est un chercheur israélien connaissant parfaitement le terme
« Shoah » employé en Israël. Il a cependant préféré ne pas l’utiliser, ni pour
le titre de son ouvrage ni dans le texte même, ni dans l’édition française
publiée en 1983 (avant la sortie du film de Claude Lanzmann, Shoah, en
1985, date après laquelle il est devenu le vocable principalement utilisé en
français), ni dans l’édition hébraïque élargie, publiée en 1986. En français,
il utilisera « sous Vichy », bien que le chapitre VII traite du régime
allemand et en hébreu, les termes « Seconde Guerre mondiale ». Dans la
nouvelle édition française de 2008, Abitbol reprend l’intitulé L’Histoire des
Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy20. Il va même jusqu’à préciser, en
parlant du sort des Juifs tunisiens sous l’occupation allemande : « À
l’évidence, le sort des Juifs tunisiens n’allait ressembler en rien ou presque
aux traitements odieux dont furent victimes les Juifs d’Europe à l’heure de
la Solution finale21. »
Mais avec le développement et l’amplification des travaux sur la Shoah
dans le monde occidental et sa transformation en un sujet culturel de
premier ordre, notamment depuis les années 1980, avec la recrudescence
d’utilisation du terme « Shoah », notamment dans le monde francophone,
certains ont commencé à demander l’inclusion des Juifs d’Afrique du Nord
française – tous les Juifs d’Afrique du Nord, sans distinction entre les
différents pays – dans la Shoah. À noter que du point de vue public, dans le
monde juif, notamment en Israël, l’inclusion d’une communauté dans le
plus grand événement de l’histoire juive de ces dernières générations
possède une profonde importance cognitive. De plus, la définition de
« survivant » a également son importance. En effet, elle détermine le droit
aux indemnisations et à la retraite. Il y a donc ici un aspect pratique, bien
qu’à mon sens il ne soit pas essentiel dans l’implantation du terme
« Shoah ».
Cet argument est-il véritablement fondé ? La réponse à cette question
nous ramène au débat précédent : la définition de l’essence même de la
Shoah. Ce terme est-il plus ou moins synonyme des termes nazis « Solution
finale de la question juive » ou englobe-t-il toutes les persécutions des Juifs
par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs antisémites, notamment l’Italie
fasciste (avant l’occupation de l’Italie par les Allemands en 1943) et le
régime de Vichy ? À noter ici que le mot « Shoah » est utilisé différemment
en Israël et dans le reste du monde. En Israël, selon les « directives »
adoptées par Yad Vashem, la Shoah commence par l’avènement du nazisme
en 1933, bien avant que ne naisse l’idée de l’extermination. Ainsi, la
politique antijuive des années 1930 est considérée comme faisant partie
intégrante de la Shoah. Cependant, on constate à Yad Vashem au fil des ans
un questionnement concernant l’Afrique du Nord : d’une part, Yad Vashem
a publié l’ouvrage le plus complet à ce jour sur la Tunisie et la Libye à
l’époque de la Seconde Guerre mondiale dans le cadre de la grande
entreprise de commémoration des communautés juives disparues, le Pinkas
Hakehillot (Encyclopédie des communautés), premier projet de recherche
de Yad Vashem initié dans les années 195022 ; d’autre part, le sort des
communautés juives d’Algérie et du Maroc fut quelque peu laissé pour
compte. En raison de l’ingérence allemande en Tunisie et en Libye, les
communautés juives de ces pays étaient considérées comme victimes de la
Shoah. Le discours public sur la Shoah va dans le même sens23. À
l’extérieur d’Israël, la Shoah était un événement plus limité et les Juifs
d’Afrique du Nord n’étaient pas considérés comme l’ayant subie.
Cependant, en France, notamment dans le cadre des activités du Mémorial
de la Shoah à Paris, nous pouvons voir au cours des deux dernières
décennies une tendance croissante visant à inclure les Juifs d’Afrique du
Nord, notamment de Tunisie. La France tend donc à impliquer le vécu des
Juifs d’Afrique du Nord dans le terme « Shoah »24.
Une première conclusion sera qu’en général, la question de l’inclusion
dans le concept de « Shoah » dépend de la définition de sa nature et que ces
définitions sont nombreuses. Cela influe également non seulement sur
l’inclusion des communautés d’Afrique du Nord mais aussi sur celle des
Juifs allemands des années 193025.
L’ORGANISATION PRATIQUE DE « LA
SOLUTION FINALE DE LA QUESTION
JUIVE » AVAIT-ELLE PRIS EN COMPTE
LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD ?
Une autre question, non conceptuelle, mais relevant de l’analyse de
documents dont nous disposons, consiste à comprendre dans quelle mesure
les Juifs d’Afrique du Nord furent inclus dans les plans pratiques de la
« Solution finale de la question juive », c’est-à-dire de la politique
d’extermination qui se développa à partir de 1941. Qu’en dit
l’historiographie jusqu’à présent ?
Historiographie de la « Solution finale »
Précisons tout d’abord que l’étude des principes, du développement et
de la mise en forme de l’opération d’extermination des Juifs, qui a fait
l’objet de recherches considérables pendant les dernières décennies, a
abouti au cours des vingt dernières années à un consensus concernant
certaines questions de principe, malgré les divergences d’opinions sur de
nombreux détails. L’opération d’extermination ne s’est pas développée
suivant un plan ordonné, mais dans le cadre d’un processus progressif,
gagnant régulièrement en ampleur26. En premier lieu il y eut les préparatifs,
depuis l’été 1940, en vue de l’invasion de l’Union soviétique, tandis que
peu à peu prenait forme la position, fondée sur différents éléments de
l’idéologie hitlérienne datant de la fin de la Première Guerre mondiale,
selon laquelle cette guerre (l’opération Barbarossa) ne consistait pas en un
combat pour des terrains ou une influence mais prenait des dimensions
idéologiques : l’Union soviétique figurait le symbole du bastion « judéobolchevique ». C’est la raison de la nouvelle création des « groupes
d’intervention » spéciaux – Einsatzgruppen – au sein du Sicherheitsdienst,
le Service de sécurité de la S.S. La procédure d’élimination massive de
« rivaux politiques » ou jugés tels, se dessine dès les premières semaines de
l’opération Barbarossa. Cette procédure incluait également des Juifs,
principalement les hommes. À la mi-juillet 1941, tandis que se succédaient
les victoires militaires allemandes, il semble que Hitler aurait donné
instruction à ses proches, Himmler en tête, d’amplifier le conflit avec les
« Juifs » et d’examiner la possibilité d’une action globale contre eux. Cette
instruction aboutit à un document daté du 31 juillet 1941, dans lequel
Goering nomme officiellement Heydrich pour étudier la possibilité de la
mise en application d’une « solution d’ensemble » (Gesamtlösung) de la
question des Juifs en Europe (le document a de fait été rédigé par Heydrich
et présenté à Goering pour signature)27. Les rapports établis par les
Einsatzgruppen ainsi que d’autres sources laissent apparaître à partir de la
mi-août 1941 une évolution dans l’ampleur des assassinats et leur
systématisation : désormais, hommes, femmes et enfants sont exterminés en
masse, certaines régions sont entièrement épurées, les chiffres d’assassinats
de Juifs évoqués dans les comptes rendus des Einsatzgruppen grimpent
aussi. Un des records de ces opérations meurtrières est le massacre de Babi
Yar, près de Kiev (29 et 30 septembre 1941), où 33 771 Juifs ont trouvé la
mort. Les premiers plans pour la création du camp d’extermination de
Chelmno apparaissent déjà au cours de ce même mois, de même que la
programmation de la déportation des Juifs d’Allemagne, ainsi qu’une
aggravation des mesures prises contre eux. Pendant ce temps, les
assassinats dans les régions conquises de l’Union soviétique vont en
empirant. Le 29 novembre, Hitler rencontre le mufti de Jérusalem, Hadj
Amin El-Husseini, et lui laisse entendre que si les forces allemandes
arrivent à se frayer une voie dans le Caucase, les opérations contre les Juifs
s’appliqueront à ces régions également. Lors d’une rencontre de Hitler avec
les leaders du Parti (Reich- und Gauleiter) le 12 décembre, il avait déjà
déclaré devant un public assez important – d’après le témoignage écrit par
Goebbels le lendemain dans son journal – « qu’en ce qui concerne la
question juive » (Bezüglich der Judenfrage) il s’apprête à « débarrasser le
terrain » (reinen Tisch zu machen)28. L’idée de l’amplification de
l’extermination des Juifs et son application aux autres parties de l’Europe,
en commençant par la Pologne et l’Europe occidentale pour gagner par la
suite les autres régions, prend forme pendant les six premiers mois de
l’année 1942.
La « conférence de Wannsee » et sa signification
La réunion de travail (Besprechung) du 20 janvier 1942 réunissant un
groupe de hauts fonctionnaires délégués des divers ministères du Troisième
Reich dans une villa au bord du lac de Wannsee, à l’entrée de Berlin, pour
traiter de la « Solution finale de la question des Juifs en Europe »
s’inscrivait dans le contexte de la succession de ces événements29. Cette
réunion – prévue a priori pour le 9 décembre 1941 mais reportée suite à
l’offensive japonaise à Pearl Harbor – fut nommée après la Shoah
« conférence30 », ce qui lui conféra par la suite une image dépassant sa
réelle importance. Le rapport relatant cette réunion, rédigé par Adolf
Eichmann, fut intitulé « Protocole de la conférence de Wannsee », bien
qu’il ne soit pas le protocole fidèle du déroulement de la rencontre31 ; lors
de son procès à Jérusalem, Eichmann rapporta les faits de la rencontre, et
relata des propos différents de ceux figurant dans le « Protocole ». Pendant
les premières décennies de la recherche sur la Shoah, le document tenait
lieu de preuve d’une programmation organisée de la Solution finale, et
l’erreur – courante dans les milieux non scientifiques – affirmant que la
décision de la Solution finale avait été prise lors de cette conférence persista
sans raison.
Au cours des vingt dernières années, particulièrement lorsque les
recherches dans l’ex-Europe de l’Est communiste devinrent possibles, mais
aussi suite aux nouvelles orientations de la recherche, la conception
scientifique quant à l’évolution de la politique antijuive nazie d’une
manière générale et de la formation de la « Solution finale » en particulier –
comme nous l’avons décrit plus haut – changea. C’est ainsi que la réunion
de Wannsee fut réévaluée et que son rôle exact dans l’évolution des
événements donna lieu à des divergences entre les chercheurs. Il est
aujourd’hui clair que la Solution finale ne fut pas gérée comme un
processus organisé de décisions dirigé par Hitler, bien qu’il soit
complètement évident que Hitler donna ordre d’entamer l’extermination des
Juifs – comme le précise Heydrich dans la réunion de Wannsee : « Après
accord préalable du Führer » (nach entsprechender vorheriger
Genehmigung durch den Führer). Le fait que le protocole, document
interne et non public, ne comprenne pas le terme « extermination » ni même
les mots « tir » ou « exécution » (contrairement aux rapports des
commandants des Einsatzgruppen dans leurs campagnes en Union
soviétique) d’une part ni encore des expressions utilisées par Hitler en
d’autres occasions, éveille questionnements et débats32. Mais les chercheurs
s’entendent sur le fait qu’en réunissant cette assemblée, constituée de
représentants des ministères et autres autorités concernées par la « Solution
finale » en cours d’élaboration, Heydrich cherchait à établir son autorité
suprême dans la réalisation de l’opération, la nécessité de coordonner les
activités des participants, comme il apparaît dans ses propos au début de la
réunion.
Tableaux des Juifs inclus dans la « Solution finale »
selon leurs pays d’origine dans le protocole
de la conférence et problème des Juifs dans « la
France libre » :
les Juifs d’Afrique du Nord en faisaient-ils partie ?
L’un des extraits les plus connus de ce document, qui est le plus
important pour la question qui nous préoccupe concernant les Juifs
d’Afrique du Nord, est le tableau indiquant le nombre de Juifs dans les
divers pays, les Juifs destinés à être inclus dans la « Solution finale de la
question juive en Europe ». Ce tableau est composé de deux sections, la
section A, celle des pays directement sous occupation allemande et la
section B, celle des pays alliés de l’Allemagne ou satellites ainsi que des
pays non encore conquis (comme le Royaume-Uni, le Portugal, la Suède et
la Suisse). Pour la France, les deux zones – la zone occupée avec
165 000 Juifs et la zone non occupée (Vichy) avec 700 000 Juifs33 – font
partie de la section A.
Le chiffre de 700 000 est bien trop élevé pour la zone non occupée. Il
étonne et certains chercheurs l’ont expliqué en disant qu’il tient également
compte des Juifs de l’Afrique du Nord française. L’historien allemand Peter
Longerich affirme que « le chiffre de 700 000 Juifs en France non occupée
comptait les colonies d’Afrique du Nord » (« in der Zahl von
700 000 Juden aus dem unbesetzten Frankreich waren die Juden in der
nordafrikanischen Kolonien eingeschlossen »)34. Mais aucune explication
ni aucun calcul ne font suite à cette affirmation. En outre, plus avant dans
son ouvrage qui compte 772 pages, il ne mentionne les Juifs d’Afrique du
Nord que dans deux paragraphes et indique quelques données ; il ne
mentionne ni Wannsee ni la question de leur inclusion dans la « Solution
finale »35. Pour lui donc, les Juifs de ces pays ne faisaient pas vraiment
partie du plan. Saul Friedländer écrit également, avec moins d’assertivité il
est vrai, dans le deuxième volume de son ouvrage qui traite des années
1939-1945 que « s’agissant de la France, Heydrich, dans sa liste initiale,
avait fait état de 700 000 Juifs dans la zone de Vichy, incluant
probablement de la sorte les Juifs d’Afrique du Nord [française]36 » [les
italiques sont de moi]. Mais dans son livre, il ne parle pas de la Tunisie ni
de l’Algérie, et les Juifs du Maroc ne sont mentionnés qu’une fois, dans une
citation de Heydrich datant d’octobre 1941 où il est dit que « ces Juifs [les
Juifs de nationalité espagnole arrêtés au cours des mois précédents à Paris
que l’Espagne a proposé de transférer au Maroc] seraient trop loins pour
relever directement des mesures en vue d’une solution fondamentale de la
question juive prévue après la guerre ». La Solution finale (à appliquer
après la guerre !) a donc été définie comme européenne uniquement37. Ceux
qui expliquent le chiffre global par l’inclusion des Juifs de l’Afrique du
Nord française (ceux que nous avons mentionnés ne sont pas les seuls mais
Michel Abitbol n’en fait pas partie) n’apportent aucune preuve datant de la
période précédant Wannsee38. Face à eux, un autre groupe de chercheurs.
Le célèbre Raul Hilberg, dans la première édition de son ouvrage
L’Extermination des Juifs d’Europe (notons qu’ici « Europe » fait partie du
titre !), en traitant de la présence allemande en Tunisie en 1942-1943,
indique que « la Tunisie, c’était l’Afrique et la “Solution finale” par
définition n’était applicable qu’au continent européen39 » (« Tunisia was
Africa, and the “final Solution” by its very definition was applicable only to
the European continent »). Dans ses propos sur la réunion de Wannsee, il
n’en parle pas du tout40. Leni Yahil, elle non plus, ne mentionne pas les
Juifs d’Afrique du Nord lorsqu’elle traite de la réunion de Wannsee. Elle dit
du « nombre de Juifs qui vivaient en Europe » et qui apparaissent dans le
tableau mentionné ci-dessus qu’il est « problématique » (« dubiose Zahlen
über die in Europa lebenden Juden »)41. Dans son livre, elle ne mentionne
que secondairement les Juifs d’Afrique du Nord42. Même de grands
chercheurs français sur la Shoah n’acceptent pas l’inclusion des Juifs
d’Afrique du Nord dans le compte avancé pour Vichy. Michael Marrus et
Robert Paxton, dans leur livre révolutionnaire sur Vichy et les Juifs, en
traitant du procès-verbal de Wannsee, reconnaissent que le chiffre de
« 700 000 [pour la zone non occupée, est un] chiffre manifestement
absurde43 ». Asher Cohen dans son très complet ouvrage sur la Shoah en
France et Daniel Carpi dans son étude sur les autorités italiennes et les Juifs
de France et de Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale ont consacré
chacun une grande partie de leur ouvrage à la question du nombre des Juifs.
Selon eux, le nombre indiqué dans le procès-verbal est apparemment dû –
le mot « apparemment » étant frappant chez Carpi – aux estimations très
exagérées concernant le nombre des Juifs dans la France de Vichy dans les
premiers mois de 1941 par les experts du Commissariat général aux
questions juives et selon lequel Theodor Dannecker, représentant
d’Eichmann en France, mentionne dans son rapport du 1er juillet 1941 que
« l’estimation oscille entre 400 000 et 800 000 Juifs44 ». On trouve une
discussion plus détaillée sur les statistiques de Dannecker dans l’ouvrage
d’Ahlrich Meyer sur la Solution finale en France. Il arrive lui aussi à la
conclusion que le chiffre de 700 000 se rapporte uniquement aux Juifs du
sud de la France et ne comprend pas les Juifs d’Afrique du Nord et que ce
même chiffre se base sur une sorte de moyenne (Mittelwert) des calculs de
Dannecker. Il ajoute donc que le document est arrivé aux mains de Franz
Rademacher, responsable des Affaires juives (Referat D III) aux Affaires
étrangères allemandes, homologue d’Eichmann. Cependant, d’après Meyer,
« nous n’avons trouvé aucune autre filière de transmission ou de remise
directe des statistiques de Dannecker à Eichmann45 » (« Ohne daß sich der
weitere Übermittlungsweg oder eine direkte Weitergabe der Statistik von
Dannecker an Eichmann nachwiesen ließe »).
Comment avaient été préparées les estimations
en vue de la réunion de Wannsee ?
Malgré la place privilégiée accordée au procès-verbal dans la recherche
sur la politique antijuive en général depuis son commencement, et malgré
l’intérêt dominant pour l’importance de la réunion de Wannsee dans la
conception de la Solution finale, intérêt plus soutenu depuis le milieu des
années 1990, il est étonnant que pratiquement personne n’ait parlé de la
collecte des données dans les divers pays par Eichmann et ses assistants.
C’est en effet cela qui doit déterminer notre explication, et non l’inverse. À
ce titre, l’article de Christoph Kreutzmüller sur le nombre des Juifs aux
Pays-Bas sort de l’ordinaire46. Si l’on tient à vérifier la validité des chiffres
avancés, on s’aperçoit d’entrée de jeu, par exemple, que pour certains pays,
les chiffres sont assez précis – comme pour l’Allemagne, l’Autriche, les
Pays-Bas (le chiffre comprend également les Mischlinge – personnes
partiellement non allemandes) et l’Estonie (qualifiée de « purifiée de
Juifs »). Pour d’autres pays, notamment pour ceux non encore conquis en
URSS, le nombre est très exagéré : cinq millions de Juifs (pour les régions
déjà conquises de l’URSS, où des dizaines de milliers de Juifs avaient déjà
été tués, les Einsatzgruppen avaient rapporté le chiffre de 857 000 Juifs,
chiffre qu’Eichmann connaissait parfaitement ; ce chiffre tient également
compte du fait que l’Estonie, comme nous l’avons vu plus haut, ne compte
pas de Juifs47). Il faut donc vérifier chaque donnée. De plus, dans le tableau
présenté à Wannsee figure une grossière erreur que les participants n’ont
pas pu ignorer (et que Kreutzmüller a déjà soulignée) : la Serbie apparaît
dans la liste des pays non conquis alors qu’en fait, elle l’avait été neuf mois
plus tôt, en avril 194148.
Comment les chiffres ont-ils donc été calculés à l’approche de la
réunion ? Le 6 août 1941, les dirigeants de la Reichsvereinigung der Juden
in Deutschland, organisation regroupant de façon obligatoire toutes les
personnes de « race juive » selon les critères des lois de Nuremberg de
1935, se virent demander par le Bureau central de l’émigration juive
(Zentralstelle für jüdische Auswanderung) à Berlin, l’un des instruments du
bureau d’Adolf Eichmann (IVB4), de réunir rapidement des données
précises sur l’importance des communautés juives49. Cette requête survint
trois semaines après la réunion, le 16 juillet, entre Hitler et quelques
dirigeants du régime (Hermann Goering, Alfred Rosenberg, Hans Lammers,
Martin Bormann, Wilhelm Keitel), réunion considérée par une partie des
chercheurs d’aujourd’hui comme le début de la cristallisation de l’idée de la
Solution finale50, et quelques jours après la lettre de Goering à Reinhard
Heydrich, lettre vraisemblablement rédigée par Heydrich et Eichmann et
remise à Himmler pour signature (pour des raisons officielles) et qui
autorise Heydrich à examiner la possibilité d’une « Solution d’ensemble à
la question des Juifs dans la sphère d’influence allemande en Europe51 »
(« Gesamtlösung der Judenfrage im deutschen Einflußgebiet in Europa »)
(31 juillet).
Les directives du Bureau central de l’émigration juive à la
Reichsvereinigung der Juden in Deutschland le 6 août s’écartent
apparemment de la simple vérification technique du « terme “juif” »
(Judenbegriff) pour créer une uniformité dans le traitement général des Juifs
dont il est question. C’est ainsi qu’une partie des chercheurs entendent la
chose52. Il ne fait aucun doute que cela soit vrai. Cependant, notons que
dans l’« objet » de la réponse de la Reichsvereinigung, en date du 7 août, on
lit « Définition du terme “juif” dans les pays dans lesquels il existe des lois
juives » (« Betrifft : Begriffsbestimmung des “Juden” in Ländern mit
Judengesetzen »). Cependant, l’annexe à cette lettre, qui en constitue
l’élément principal, est intitulé : « Nombre de Juifs, en termes absolus et
relativement à la population globale dans certains pays et par continents,
ordre alphabétique, avec annexe sur la définition du terme “juif” dans les
pays où des lois juives correspondent à la réglementation publiée »
(« Anzahl der Juden, absolut und in Verhältnis zur Gesamtbevölkerung der
einzelnen Länder nach Erdteilen alphabetisch, mit Anhang über die
Befriffsbestimmung der “Juden”, in Ländern mit Judengesetzen anhand der
bekannt gewordenen Verordnungen »). Cela indique que ce qui importait
avant tout, c’était les statistiques et que les données communiquées
concernaient l’ensemble du monde et pas uniquement l’Europe ! Ça ne
s’explique que par une requête orale (téléphonique ?) qui aurait
accompagné la requête écrite, chose courante dans le régime nazi. Tout cela
témoigne d’un esprit d’entreprise, d’une volonté d’agir le plus rapidement
possible et du fait que la vision globale ne s’arrêtait pas à l’Europe, objectif
de l’époque. Six jours après la première réponse, la Reichsvereinigung
envoya une seconde lettre au Bureau central de l’émigration juive avec une
importante annexe contenant un complément d’informations statistiques et
de sources. Il s’agit de deux listes de statistiques (datées du 7 et du 13 août)
très détaillées et en partie manuscrites faisant état des pays et de continents
(la Nouvelle-Zélande a été oubliée et elle n’est pas la seule), une liste
détaillée concernant les États-Unis (par villes) et une liste concernant la
Palestine (par régions, dont le Néguev)53.
Les données recueillies pour l’Afrique du Nord
et le problème qu’elles posent
Les chiffres indiqués pour les Juifs d’Afrique du Nord dans la première
liste sont : Égypte – 70 000, Éthiopie – 80 000, Algérie – 115 000, Maroc –
181 000, Tunisie – 66 000. La Libye n’est pas mentionnée, sans que l’on
sache pourquoi, et un chiffre figure pour « le reste de l’Afrique » – 1 000
(sans l’Afrique du Sud, indiquée séparément avec 95 000 Juifs)54. La
deuxième liste reprend ces chiffres, mais détaille les « divers » : « Diverses
possessions britanniques 3 [mille], diverses possessions italiennes 43 [mille,
il semble qu’il s’agisse ici de la Libye], Tanger 12 [mille]55 ». Pour les pays
qui nous intéressent, les deux listes sont identiques. Si l’on ajoute le nombre
indiqué pour la France occupée et celui de la zone libre (les deux listes sont
identiques à ce sujet) – 280 000 – à celui du nombre des Juifs en Algérie, au
Maroc et en Tunisie, nous obtenons 643 000, ce qui diffère des chiffres
avancés dans le procès-verbal de la réunion de Wannsee (165 000 +
700 000 = 865 000). Le fait que la liste ne fasse pas la distinction entre les
zones occupée et libre a toute son importance, comme nous allons le voir
plus loin.
Eichmann, cependant, continuait à recueillir les données et à les mettre
à jour. Selon ses dires lors de son procès à Jérusalem, il termina les
préparatifs fin novembre/début décembre 194156, la réunion ayant été fixée
à l’origine pour le 9 décembre. Comme elle avait été repoussée en raison de
l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, Eichmann eut le temps de mettre à
jour les données. Cependant, le lendemain, l’ordre (Anforderung) fut donné
à la Reichsvereinigung d’envoyer des données supplémentaires. Le
11 décembre 1941, une rectification des données concernant les Juifs de
France arriva, basée sur les propos du Commissaire général aux questions
juives, Xavier Vallat, suite à la création de l’Union générale des israélites
de France (UGIF), à laquelle tous les Juifs étaient obligés d’adhérer. Ses
propos parurent dans le Frankfurter Zeitung le 4 décembre et Eichmann en
prenait maintenant connaissance. On peut y lire entre autres (voir annexe) :
« Sur le territoire français, il y a 335 000 Juifs
Répartis pratiquement à parts égales
en zone occupée 165 000
en zone libre 170 000
Dans les possessions françaises en Afrique du Nord
Vivent environ 360 000 Juifs comme suit :
Maroc 160 000
Algérie 150 000
Tunisie 50 00057. »
Tant les chiffres que le libellé ont leur importance. Si l’on additionne le
nombre des Juifs de la zone libre à ceux des territoires de l’Afrique du Nord
française, on obtient 530 000, chiffre qui est bien loin des chiffres (700 000)
mentionnés six semaines plus tard à Wannsee (mais assez proche du chiffre
indiqué dans la liste d’août, si l’on déduit le nombre des Juifs en France
occupée). Cependant le texte littéral reprend la répartition de la France en
zone libre et zone occupée, tout comme le procès-verbal de Wannsee. Il en
est de même pour le nombre des Juifs en zone libre. La seule différence ici
porte sur le chiffre lui-même : 170 000 dans ce document et 700 000 dans le
procès-verbal de Wannsee, qui, selon les données que possédait Eichmann
ne constituait pas le résultat de l’ajout des Juifs de l’Afrique du Nord
française. Que s’était-il donc passé ?
La Solution
Afin de résoudre la question du nombre contestable de Juifs, il nous
faut prendre en compte tout d’abord le libellé et la logique de l’ensemble du
document. Le procès-verbal de Wannsee parle de bout en bout de la
« Solution finale au problème juif en Europe » (Endlösung der
europäischen Judenfrage). Heydrich le mentionne dans son introduction et
la chose est mentionnée à quatre reprises. Dans les remarques concernant la
réalisation de la politique de la Solution finale, seuls les pays européens
sont mentionnés et en parlant de l’URSS, il est dit : « L’influence des Juifs
en URSS est bien connue dans tous les domaines. Cinq millions de Juifs
vivent dans la partie européenne, près d’un quart dans la partie asiatique. »
Les tableaux, quant à eux, précisent chaque fois que la chose pourrait être
ambiguë, s’il s’agit de l’Europe. Pour la Turquie, par exemple, on peut lire :
« Turquie (partie européenne) ». D’autre part, pour tous les pays qui
règnent sur un territoire qui s’étend au-delà de leur territoire d’origine, les
données sont également détaillées. La Sardaigne et l’Albanie sont indiquées
sous l’Italie. En ce qui concerne le nombre de Juifs en Roumanie, il est dit
qu’il comprend les Juifs de Bessarabie. Aucune donnée n’apparaît donc
pour des territoires situés hors de l’Europe et les territoires qui
n’appartiennent pas automatiquement à un certain pays sont spécifiés.
Quand bien même nous dirions que les colonies françaises en Afrique
du Nord étaient considérées à l’époque comme faisant intégralement partie
de la France et qu’elles étaient incluses automatiquement dans le chiffre de
la France, l’exemple des Pays-Bas et de ses colonies avec les Indes
orientales néerlandaises (Indonésie), le Suriname, les Antilles
néerlandaises, les nombreuses colonies du Royaume-Uni, du Portugal et de
l’Espagne (notamment en Afrique du Nord) suffisent à réfuter cet argument.
Le chiffre mentionné ne concerne que l’Europe. N’oublions pas non plus
que toutes les colonies françaises n’avaient pas le même statut : l’Algérie
était un département intégral de la France, le Maroc et la Tunisie des
protectorats.
La restriction à l’Europe ne doit pas nous étonner. Toute documentation
antérieure à Wannsee souligne avec force qu’il s’agit d’une solution,
solution complète ou totale ou solution finale à la question juive en Europe.
Le grand changement survenu dans la seconde moitié de l’année 1941 était
que l’idée de l’assassinat systématique dans l’ensemble de l’Europe prenait
forme suite à la tentative réalisée en URSS à laquelle furent ajoutées
systématisation organisationnelle et technologie. C’est à cette époque que
débuta la réalisation de la vision que Hitler a mentionnée dans son célèbre
discours au Reichstag le 30 janvier 1939 :
« À nouveau, je vais être un prophète aujourd’hui. Si la juiverie
internationale réussissait, en Europe ou ailleurs, à précipiter les peuples
dans une guerre mondiale, le résultat n’en serait point une bolchévisation de
l’Europe et une victoire du judaïsme, mais l’extermination de la race juive
en Europe58. »
« La destruction de la race juive en Europe » est la vision connue et en
vigueur à l’époque (1941-1942). Notons que les propos de Hitler n’ont pas
été prononcés uniquement pour ce moment bien précis, le 30 janvier 1939.
Hitler les a réitérés à plusieurs reprises les années suivantes59 et dans la
deuxième semaine de septembre 1941, c’était « le mot de la semaine »
(Wochenspruch) du parti nazi, mot qui était affiché dans les bureaux du
parti60. En outre, au début de l’année 1941, le 21 janvier plus précisément,
Theodor Dannecker, l’envoyé d’Eichmann en France, écrit dans un
mémorandum (Denkschreiben) adressé à tous les départements de l’Office
central de la sécurité du Reich (RSHA, dirigé par Reinhard Heydrich) de la
SS : « Conformément à la volonté du Führer après [la fin de] la guerre sera
mise en place une Solution finale à la question juive dans les parties de
l’Europe dominées et contrôlées par l’Allemagne61. » Le rédacteur des
discours d’Heinrich Himmler, chef de la SS, Paul Zapp, écrivit que « le
leadership politique et diplomatique d’Adolf Hitler posa les fondements
pour une solution européenne de la question juive62 ». Fin 1941, cinq jours
avant la date d’origine prévue pour la réunion de Wannsee, Franz
Rademacher, le chef du département Allemagne (Referat Deutschland), soit
le département chargé des Juifs du ministère des Affaires étrangères,
homologue du département d’Eichmann au RSHA de la SS, rédige une
ébauche pour le discours du directeur général (Staatssekretär), Ernst von
Weizsäcker, que signera le sous-secrétaire (Unterstaatssekretär) Martin
Luther. On peut y lire : « Il faut profiter de l’occasion qu’offre cette guerre
pour traiter entièrement la question juive en Europe63. »
Si le procès-verbal de la réunion de Wannsee traite de la Solution finale
à la question juive en Europe uniquement, il est donc impossible de voir
dans le surprenant chiffre avancé pour la France libre une donnée qui
viendrait contredire l’esprit du document. Ce chiffre pourrait-il être dû à
une faute de frappe ? Cette éventualité est souvent écartée par les
chercheurs ou autres. Une faute dans un document de la direction
allemande ? Dans le procès-verbal d’une importante « conférence » dont
dépend, pour beaucoup, l’ensemble du programme de la Solution finale ?
Eh bien oui, des erreurs sont possibles dans des documents allemands (et
elles sont de fait nombreuses), tout comme dans tout autre document,
personnel ou administratif. Mais dans ce cas précis, nous avons déjà
mentionné des erreurs, des inexactitudes. Et le problème n’en est pas
vraiment un car d’une part, il ne s’agissait pas d’une « conférence » à
proprement parler et d’autre part, comme nous l’avons vu, les participants
n’y ont pas décidé de la mise en place de la Solution finale. L’objectif de
cette réunion était tout autre : asseoir le pouvoir de Heydrich et veiller à la
coopération des diverses autorités. Il est intéressant de noter qu’à propos de
ce document, nous avons le témoignage personnel de son auteur lui-même,
dix-neuf ans après sa rédaction, il est vrai. Il affirme qu’il comprenait des
erreurs, notamment en ce qui concerne notre propos. Lors du procès
d’Eichmann, le procureur, Gideon Hausner, et le tribunal lui posèrent de
nombreuses questions concernant le dit procès-verbal. Quand Hausner
l’interrogea à propos des chiffres, Eichmann répondit :
« En ce qui concerne les chiffres, ce n’est que maintenant, que
dernièrement, que j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas. Par exemple,
en ce qui concerne la France – mais je ne sais pas, il se peut aussi que je me
sois trompé en écrivant les chiffres64. »
C’est en fait la probabilité la plus plausible et la plus logique d’autant
plus que si l’on examine la lettre de rectification de la Reichsvereinigung
der Juden in Deutschland 1941 du 11 décembre en ce qui concerne les Juifs
de France, on constate qu’après le chiffre de 170 000, il y a à la fois un tiret
et un point, ce qui, de prime abord, peut être pris pour un chiffre
supplémentaire, le zéro. En recopiant ces chiffres à la main, on peut
supposer que la personne a ajouté ce dernier chiffre mais réalisa ensuite
qu’il s’agissait certainement d’une erreur dans le document d’origine, parce
que 1 700 000 est impossible. Elle a donc rectifié le 1 700 000 en biffant le
1, ce qui donne 700 000. C’est une des possibilités, bien que rien ne nous
permette de savoir ce qui s’est exactement passé. Ce qui est néanmoins
certain, c’est qu’il y a eu ici une erreur dans le compte rendu.
Si l’occupation allemande avait abouti,
les Juifs d’Afrique du Nord auraient-ils été inclus
dans la Solution finale ?
Est-ce à dire que la Solution finale n’aurait pas été appliquée aux Juifs
d’Afrique du Nord même si cela avait été possible ? Les historiens ne
peuvent pas répondre à des questions formulées au conditionnel. Nous
pouvons cependant, en nous basant sur les quelques données dont nous
disposons, avancer une hypothèse. Les chercheurs allemands KlausMichael Mallmann et Martin Cüppers ont révélé, il y a quelques années,
l’existence
d’une
unité
spéciale,
l’Einsatzkommando
Égypte
(Einsatzkommando Ägypten), dirigé par Walter Rauff et conçu pour agir
après le passage des troupes de Rommel en Égypte, puis en Palestine. La
chose ayant échoué, Rauff fut nommé en Tunisie65. Aussitôt, le Dr Gebhard
Walter, du consulat allemand à Tripoli (Libye), indique, le 12 mai 1942,
dans un rapport intitulé « Le problème juif en Libye », qu’« il ne fait aucun
doute que le problème juif sera résolu aussi en Tripolitaine66 ». Nous
savons maintenant que les plans maîtres de la Solution finale n’étaient pas
structurés et organisés et qu’ils se sont développés en fonction d’une
dynamique interne dès que Hitler a donné le feu vert, en parallèle à
l’élargissement des cercles meurtriers. Les premières mesures que nous
avons mentionnées indiquent donc qu’il est tout à fait vraisemblable que le
régime nazi ait appliqué la politique développée en Europe hors des
frontières européennes si cela lui avait été possible. En effet, Hitler se
battait en fin de compte contre le « judaïsme mondial » (Das
Weltjudentum), pas seulement contre les Juifs d’Europe67. Cela ne s’est pas
réalisé. La réunion de travail de Wannsee, appelée de façon erronée et
trompeuse « conférence », selon les dires de Ian Kershaw, spécialiste du
nazisme et biographe de Hitler, « était en soi une étape intermédiaire dans
la formulation de la Solution finale. En janvier 1942, les préparatifs en
étaient encore au stade préliminaire, mais la décision d’exterminer la
communauté juive européenne venait d’être prise68 ». Cette étape ne
concernait que l’Europe.
*
ANNEXE
Extrait du rapport du bureau central de l’émigration juive à Eichmann, dans
le Frankfurter Zeitung du 4 décembre 1941, avec une mise à jour du
nombre des Juifs en France, la distinction étant faite entre zone occupée,
zone libre et Afrique du Nord française.
Deuxième partie
L’ALLEMAGNE NAZIE
ET L’AFRIQUE DU NORD
2
Les dynamiques de l’antisémitisme
au Maghreb à la veille
de la Seconde Guerre mondiale
par Emmanuel DEBONO
Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ne sont pas épargnés par la
recrudescence de l’antisémitisme qui touche la métropole française – et le
reste de l’Europe – au cours des années 1930. Les questions soulevées par
les dynamiques du phénomène au Maghreb sont plurielles. Elles portent
tant sur les courants antisémites qui traversent la région, leurs contours et
leur consistance réels, que sur leurs effets concrets auprès des masses
indigènes ou encore sur l’attitude des autorités françaises face à un fléau
particulièrement corrosif et menaçant pour la cohésion de la société
coloniale.
L’ouverture de certains fonds d’archives de l’administration coloniale
française, ces dernières années1, permet d’apporter de nouveaux éclairages
sur ces questions. Dans les départements d’Algérie comme dans les
protectorats voisins, les divers échelons de l’autorité (administrateurs,
polices locales, sous-préfets, préfets…) rendent compte de la situation dans
une correspondance abondante et précieuse pour le chercheur. Ces sources
ne sauraient constituer la matière unique pour dresser un tableau détaillé de
l’antisémitisme au Maghreb à cette période. Elles permettent néanmoins
d’accéder à une batterie de faits relativement objectifs, d’apprécier
qualitativement le phénomène et de se risquer sur la voie de son estimation
quantitative. Elles ouvrent par ailleurs de stimulantes perspectives en ce qui
concerne l’importante question de la réactivité de l’État français devant le
danger et celle de la défense républicaine. Cette présentation, synthétique et
non chronologique, se veut en outre une contribution à une meilleure
appréciation du terreau sur lequel va s’abattre la persécution mise en place
par le régime de Vichy à partir de 1940.
DIVERSITÉ DES SOURCES
DE L’ANTISÉMITISME
Pas plus au Maghreb que dans la métropole française l’antisémitisme ne
se révèle un bloc monolithique. Ses sources sont diverses : populations
musulmanes traditionnellement méfiantes, sinon hostiles aux Juifs, Français
d’Algérie jugeant indigeste le décret Crémieux, agents hitlériens ou
mussoliniens travaillant à la décomposition de la société coloniale,
organisations nationalistes françaises, présence ou passage d’activistes
antisémites de la métropole (Henry Coston, Jean-Charles Legrand…),
ambiguïté des nationalistes arabes soufflant le chaud et le froid, intrigues de
certains potentats locaux… Les causes de l’antisémitisme sont historicoculturelles, idéologiques, quand elles ne relèvent pas du simple
opportunisme. Elles sont aussi la conséquence d’une situation sociale très
dégradée au cours des années 1930, d’aspirations politiques déçues avec,
notamment, la promotion et l’échec du projet Blum-Viollette2. Elles
s’inscrivent enfin dans un contexte international particulièrement tendu qui
est celui de la politique agressive des dictatures et d’une question
palestinienne devenant brûlante. À l’échelle régionale, les nuances
d’intensité et d’expression du phénomène s’expliquent par des
configurations historiques et géopolitiques propres à chacun des territoires.
Cette diversité des antisémitismes, dont le corollaire est la variété des
expressions, allant des insultes aux émeutes (Sfax, 1932 ; Constantine,
1934 ; Gafsa, 1936 ; Meknès, 1937 ; Meknès, 1939…), en passant par les
graffitis, l’affichage sauvage et les réunions de propagande, ne rend pas
aisée la lecture du phénomène, ni pour les contemporains (services de
police, milieux juifs, sphère politique…), ni, il faut bien le dire, pour le
chercheur. Ce que l’on perçoit en revanche, c’est l’interpénétration de ces
différents courants antisémites : les cris de « Vive Hitler » ou le
badigeonnage sur certains murs de croix gammées peuvent être le fait de
militants prohitlériens ou nationaux, mais aussi d’indigènes aux motivations
diverses, qui s’approprient avec plus ou moins de conscience symboles et
références nazis.
Les différents courants d’antisémitisme ont toutefois des rythmes et des
temporalités qui leur sont propres : mouvements de fond, fièvres passagères
et crises aiguës, mais aussi moments de reflux et d’accalmie. Nous
illustrerons ce constat par la présentation rapide de trois contextes : celui
des propagandes allemande et italienne, celui du pic d’antisémitisme
musulman faisant suite aux événements de Constantine d’août 1934, et
celui de l’exacerbation des tensions franco-françaises autour de la question
du Front populaire.
Les propagandes allemande et italienne
Elles sont une constante de la période. La propagande allemande sévit
assez tôt, notamment à partir du Maroc espagnol, par le biais d’agents
comme Adolf Langenheim3 qu’un journal de la métropole présente comme
le « Führer du Maroc espagnol à Tétouan4 ». Elle est également diffusée à
partir des ports algériens où mouillent des navires allemands, comme à
Bougie, en septembre 1934, lorsque des hommes d’équipage distribuent des
insignes hitlériens à des indigènes5. Des émanations de cette propagande
sont repérables tout au long de la décennie à travers les rapports policiers. Il
arrive qu’elles soient dénoncées sur la place publique, à l’instar des
exemplaires du journal Weltdienst, émanant du Service mondial d’Erfurt6,
exhibés le 28 octobre 1936 à la tribune du Conseil général d’Oran7.
Le basculement antisémite du régime fasciste italien en 1938 donne une
tonalité particulière à une propagande que l’on rencontre d’abord au Maroc
et en Tunisie. Un rapport du consul de France à Tanger, ville internationale
dans l’enclave espagnole, signale l’émotion de la population israélite devant
l’offensive antisémite d’un journal comme La Vedetta di Tangeri, offensive
qualifiée de « sans précédent8 ». Le même observateur note qu’« on
discerne de toutes parts des signes de désaffection et d’indignation à l’égard
de l’Italie infidèle, alliée de l’hitlérisme et excitant l’Arabe contre le Juif9 ».
Le discours de haine est aussi véhiculé par L’Unione, le quotidien fasciste
de Tunisie, et les émissions de Radio-Bari. La librairie italienne de Tunis,
avenue Jules-Ferry, provoque à plusieurs reprises l’émoi des israélites en
affichant des ouvrages antisémites. En novembre 1938, par exemple, la
Sûreté signale qu’elle expose cinq livres traitant de la question juive10.
Les massacres de Constantine de 193411
Ils constituent un moment qui voit culminer les manifestations
antijuives dans les trois pays. La psychose qui s’ensuit, aussi bien en
Algérie qu’au Maroc et en Tunisie, est alimentée par des provocations qui
sont le fait d’indigènes narguant les Juifs par l’usage de la référence à
Constantine. Le 3 septembre 1934, à Affreville (Algérie), au cours d’un bal,
un israélite surprend un musulman qui s’exclame : « C’est dommage que
nous ne soyions [sic] pas à Constantine, nous pourrions nous détendre les
nerfs12. » Le 8 septembre 1934, dans un restaurant franco-arabe de Tunis,
un Algérien s’écrie : « À Constantine les Arabes ont fait bravement leur
devoir ; ils ont raison d’avoir fait ce qu’ils ont fait13. » Au Maroc, Michel
Abitbol signale que des bruits courent selon lesquels des pogromes seront
commis pendant la journée du Kippour, le 19 septembre 193414… Citons
encore ce rapport du contrôleur civil de la région d’Oudjda (Maroc), qui
préconise la fermeté à l’encontre des indigènes à la suite d’agressions
commises dans cette commune contre des israélites en août 1934 : « Une
trop grande indulgence de la part du Tribunal risque à la fois de
mécontenter les israélites et d’inciter les musulmans des basses classes à
continuer leurs attaques contre les Juifs15. » Il est frappant d’observer que
les massacres paraissent avoir davantage échauffé les esprits qu’ils ne les
ont anesthésiés : c’est tout du moins ce que suggère la fréquence des
rapports qui mentionnent des accrochages dans les mois qui suivent.
Les répercussions locales des luttes politiques
françaises
Les mois qui précèdent et suivent l’arrivée au pouvoir du Front
populaire exacerbent l’antisémitisme des groupements de la droite
nationale. Le principal mouvement en cause est celui des Croix-de-Feu,
devenu Parti social français (PSF) après leur dissolution par le
gouvernement Blum en 1936. Leur antisémitisme n’est pas obsessionnel
comme peut l’être celui d’un agitateur comme Henri Lautier16 à Alger, mais
il se manifeste très ouvertement au cours de réunions publiques et lors
d’affrontements dans les villes d’Algérie au cours desquels les cris de « À
bas Blum » et « la France aux Français » sont souvent proférés. Il est à
noter que les attaques antisémites ne sont pas le simple fait d’une base
militante surexcitée17. Les cadres du parti et certains délégués parisiens
n’hésitent pas à investir ce terrain « argumentaire ». Le projet de loi BlumViollette cristallise les tensions contre Léon Blum que beaucoup
souhaiteraient voir « renvoyé au mont Sinaï18 ».
Plus discrète au Maroc et en Tunisie, notamment en raison d’une
législation restreignant l’exercice politique, l’activité du PSF n’en est pas
moins réelle. Au Maroc, il est significatif que la police mette à plusieurs
reprises sur le compte des Croix-de-Feu/PSF une propagande
particulièrement haineuse. Ainsi la police de Rabat attribue-t-elle la
paternité aux troupes marocaines du colonel de La Rocque, en
octobre 1936, d’un tract intitulé « À nos frères musulmans ». On peut
notamment y lire : « Dès qu’un Juif relève la tête, il faut la lui couper19 » ou
encore : « Nous devons tous ensemble, même par la force, faire rentrer les
Juifs dans leurs mellahs. » Plus tard, lorsque des papillons sont collés en
grand nombre sur les murs de Meknès, dans la nuit du 17 au 18 mai 1938,
le chef de la Sûreté régionale estime qu’ils ont été « vraisemblablement
fournis par le PSF20 ». Les messages délivrés sont radicaux : « Ici, maison
juive, maison de profiteurs21 » ou encore « Les Juifs appartiennent à une
race étrangère à la nôtre ; ils forment dans la nation un vaste consortium
d’exploiteurs et de voleurs22 ». Si l’inspiration antijuive de cette
propagande semble davantage le fait d’activistes prohitlériens, cette
désignation d’un mouvement dont le chef parisien se défend de tout
antisémitisme, donne une idée assez probante des dérives locales
engendrées par certains contextes.
LE POTENTIEL EXPLOSIF DES TENSIONS
JUDÉO-MUSULMANES
La proximité socioculturelle des communautés n’empêche pas la réalité
d’une animosité latente susceptible d’éclater dans le côtoiement quotidien.
Certains, comme le commissaire central de Philippeville (Algérie), en
août 1934, veulent en minimiser la portée : « Les quelques petits incidents
qui se produisent entre indigènes et israélites n’ont pas pour origine des
questions d’ordre confessionnel : il ne s’agit que de petits différends entre
marchands et acheteurs ou entre patrons et employés23. » Il est un fait
qu’une part non négligeable des incidents relevés par la police s’inscrit dans
de banales relations de coexistence, de voisinage, d’échanges commerciaux,
avec leurs lots de heurts, de mesquineries, d’insultes et de réconciliations.
Le recours à l’invective antisémite qui les accompagne très souvent et la
spontanéité de certaines agressions verbales ou physiques n’en sont pas
moins les signes d’un état d’esprit marqué par le mépris. Les insultes
proférées par des musulmans au passage de cortèges funèbres israélites,
dont témoignent plusieurs rapports au cours de la décennie, en sont peutêtre l’une des manifestations les plus significatives. Le 27 décembre 1938,
par exemple, à Gafsa (Tunisie), une vingtaine d’indigènes croisent l’un de
ces cortèges. Certains d’entre eux crachent alors à terre et l’on peut
entendre distinctement : « Encore une charogne de Juif qui ira en enfer24. »
Les accrocs de cette nature abondent et il n’y aurait pas grand sens à les
énumérer. Il nous semble préférable d’en définir les éléments communs tels
qu’ils émergent des rapports.
La réciprocité des attaques
Elle est notable, même s’il est certain que la population israélite est plus
souvent victime des agressions que la population musulmane. Les archives
livrent sur cet aspect quantité d’informations qui obligent à considérer la
question de l’antisémitisme non pas sous le seul angle de la brimade
unilatérale mais sous celui de l’intolérance, voire de la haine partagée,
auxquelles on se gardera bien toutefois de réduire le champ des relations
judéo-arabes.
Le 4 septembre 1937, une musulmane et une israélite se disputent dans
les rues de Tunis, pour un motif futile d’après la police. Des injures sont
échangées et la seconde crie soudain : « Maudite soit la religion
musulmane25. » Le 30 septembre de la même année, dans une rue de
Constantine, deux jeunes indigènes jouent avec un israélite de leur âge. Les
enfants se prennent de querelle et le jeune Juif se met à pousser des cris.
Une femme, probablement sa mère, injurie de son balcon les indigènes et
leur Prophète26. Le 25 novembre 1938, à Rabat, un groupe de jeunes Juifs
lance des pierres sur le convoi funèbre d’un notable indigène…
Sans qu’il soit question de renvoyer dos à dos les communautés, il est
certain que l’on trouve dans ces faits un principe dynamique qui alimente
un état de tension latente. La futilité, sinon la bêtise flagrante des motifs
d’empoignade doit être soulignée car elle est un indicateur, à notre sens,
d’une hostilité mutuelle qui s’énonce spontanément, à tout bout de champ et
sans retenue, de manière quasi infantile. Quand, dans un café de Djerba,
une partie de billard opposant un israélite et un musulman se termine par la
victoire de ce dernier, un consommateur s’écrie : « Vivent les Arabes ils ont
gagné les Juifs27. » La réflexion suffit à provoquer une bagarre, l’état
d’ébriété du client juif jouant son rôle dans le déclenchement du pugilat. On
notera d’ailleurs au passage la fréquence des frictions qui mettent en cause
des individus pris de boisson, et de celles dont les protagonistes sont des
jeunes, parfois des enfants, souvent en groupe, se livrant volontiers à des
provocations envers des individus de l’autre religion. À Tunis par exemple,
un rapport de police daté du 11 août 1934 signale cette ambiance
particulièrement délétère : « Les enfants et jeunes gens juifs […] avaient
pris depuis assez longtemps l’habitude de provoquer et même de lyncher les
passants musulmans qui venaient à s’égarer dans leur ghetto […]28. » À
Cherchell (Algérie), un policier note le 12 septembre 1934 que « de jeunes
indigènes âgés de 12 à 16 ans, rencontrant des israélites les appellent “sales
Juifs” surtout lorsqu’ils ont affaire à des jeunes filles et leur rappellent les
incidents de Constantine29 ».
Mesquine, dérisoire, anodine… l’origine des disputes est souvent tout
cela à la fois. Ce constat pousse d’ailleurs les fonctionnaires de police à
minimiser ces faits, à tort selon nous. On se souviendra en effet que la
provocation d’un israélite ivre fut un facteur déclenchant du pogrome de
Constantine, et l’on gardera à l’esprit qu’outre l’alimentation d’une
atmosphère lourde, sinon électrique, ces incidents demeurent négligeables –
et négligés – jusqu’au moment où ils placent brutalement les forces de
l’ordre en état d’alerte, ce qui survient plus d’une fois au cours de la
décennie, tant au Maroc et en Algérie qu’en Tunisie.
La réactivité des foules musulmanes
Il faut souligner la promptitude avec laquelle s’amassent les foules
autour des protagonistes. Lors de la dispute survenue le 4 septembre 1937 à
Tunis entre une juive et une musulmane, les paroles insultantes à l’égard de
l’islam sont suivies d’un cri d’alarme lancé par celle dont la religion est
bafouée30. Les deux femmes sont emmenées au commissariat mais un
attroupement de trois cents personnes environ se forme devant les bureaux.
Le 30 mai 1936, une altercation à Tunis a lieu entre un gargotier musulman
et un commerçant israélite. Le motif ? À l’occasion de la fête du Mouled31,
le gargotier décorant sa boutique a déposé momentanément quelques
branches de palmier sur le seuil de la boutique de son voisin israélite32. Les
insultes pleuvent à l’encontre du père du « fautif », de la fête du Mouled et
du Prophète. Les cris ont vite fait d’ameuter les indigènes aux alentours qui
se rassemblent pour régler son compte à l’insulteur. Parvenue sur les lieux,
la police disperse la foule ; des badauds, des curieux, certes, mais des
hommes et des femmes très sensibles quand on porte atteinte à leur religion.
Le rôle salutaire des forces de l’ordre
La capacité d’autorégulation de ces accès de fièvre est très limitée. La
police joue un rôle déterminant pour stopper les incidents : dispersion,
appel de renforts, arrestations pour neutraliser ces agglutinements porteurs
de risques. La présence des forces de l’ordre est salutaire, comme l’ont
démontré a contrario les événements de Constantine d’août 1934. Le
25 août 1937, à Alger, une tomate est lancée d’un balcon par un Juif sur un
indigène. L’agresseur est intercepté par la police, qui ne peut empêcher des
échanges de coups et les insultes entre les deux antagonistes. Le Juif
échappe au gardien de la paix et remonte chez lui. Le rapport de police note
qu’une cinquantaine d’Arabes se sont alors regroupés. L’un d’entre eux,
agitateur notoire qui, d’après la police, fréquente les réunions de Messali
Hadj, rudoie les policiers : « Faites donc descendre le Juif, vous aussi, si
vous ne voulez pas qu’on fasse comme à Constantine. Je ne quitterai pas
ces lieux et aucun Arabe ne bougera33. » La confrontation s’envenime et
plus de deux cents personnes sont bientôt sur place. L’arrestation du
provocateur met un terme à l’incident. Le commissaire rédige son rapport
en ces termes :
« J’estime que ces agissements doivent être réprimés très sérieusement,
en cette période d’agitation et de campagne contre la souveraineté française
en Algérie. J’ajoute, que sans l’intervention énergique des trois gardiens de
la paix précités, sa nervosité et son agitation auraient provoqué un conflit
sanglant de races, semblable à celui des événements de Constantine, en
193434. »
Ce dernier exemple met en valeur les connexions qui s’établissent entre
des indigènes, dont l’hostilité aux Juifs pourrait être qualifiée de banale, et
d’authentiques provocateurs qui s’efforcent d’échauffer les esprits. Il n’est
que de constater la forte réactivité des foules pour mesurer le danger
représenté par ceux qui effectuent un travail de sape en leur sein.
Le rôle de la rumeur
Il est important, dans chaque communauté, en amont comme en aval
des incidents. Le faux bruit annonçant la mort du docteur Bendjelloul à
Constantine n’a pas peu contribué au déclenchement des émeutes de
Constantine. Ces dernières constituent d’ailleurs un moment paroxystique
quant à la circulation de fausses nouvelles, phénomène qui contribue
notamment à entretenir une importante psychose chez les israélites du
Maroc, d’Algérie et de Tunisie. L’une de ses conséquences est leur
approvisionnement en armes, surveillé de près par la police. Dans ce
contexte, les bruits annonçant des massacres imminents sont nombreux. Le
11 août 1934, des habitants du quartier de Moulinville à Sfax viennent
trouver le contrôleur civil pour l’avertir des violences qui doivent prendre
pour cible les Juifs au cours de la nuit. Après une nuit calme, un
commissaire de police apprend qu’un Tunisien et un Juif ont eu la veille
une altercation après avoir plaisanté ensemble. Il a suffi que le premier dise
au second : « Je veux te faire voir35 » pour que la panique s’empare des
habitants juifs du quartier.
Les fausses nouvelles, les bruits les plus divers prolifèrent au cours de
la décennie. Les services de police en connaissent d’ailleurs parfaitement
les effets pervers sur les masses tant musulmanes qu’israélites. Stopper la
rumeur constitue pour eux un enjeu majeur.
L’ENJEU PRIVILÉGIÉ
DE L’ANTISÉMITISME MUSULMAN
Au cours de la décennie, tous les acteurs antisémites tentent d’inclure
les indigènes musulmans dans leur stratégie36.
Les dictatures
Le champ des colonies offre un terrain propice à une propagande qui
cherche à affaiblir la puissance française en jouant sur la contestation de
son autorité. On sait l’attention que les services de Goebbels portent depuis
Berlin à la diffusion de la haine antijuive au sein des populations arabes.
Michel Abitbol rappelle que le chef de la communauté musulmane de
Berlin, d’origine marocaine, fut à l’origine des liens qui se nouèrent entre
l’Islamischer Kulturband de Vienne et les dirigeants du mouvement
nationaliste marocain (al-Nasiri, al-Wazzani et Bannuna)37. En 1938, un
Comité pour la défense de la Tunisie est installé à Berlin où existe déjà un
Comité de défense du Maghreb arabe et un Comité des réfugiés politiques
de l’Afrique du Nord38. Des émissions radiophoniques en arabe et en
berbère, destinées au Maghreb, prêchent également aux colonisés un
discours hostile à la France. Sur place, les contacts avec la population
peuvent être directs, par le biais, entre autres, d’agents consulaires, mais ils
passent plus fréquemment par une propagande sous forme de tracts, de
papillons que signalent diverses sources. Il subsiste toutefois un doute sur
l’origine exacte d’une production qui ne porte pas toujours de signature.
Quid de ces appels au boycottage du commerce israélite diffusés sous forme
de papillons, dans le département de Constantine, en juillet 1933, qui
s’évertuent à exciter le nerf antisioniste : « Ô Arabes, sur chaque pièce de
cinq francs que vous verserez aux Juifs, cinq sous vont en Palestine pour
servir à l’achat d’armes en vue de tuer les Arabes39 » ou encore : « Ô
Arabe, le Juif est ton ennemi et l’ennemi de l’islam. Si tu achètes quelque
chose chez lui tu ne seras plus l’objet de la protection du Prophète40 » ?
Quid de cet autre tract, rédigé en arabe, intercepté par le consulat général de
France à Tanger en novembre 1936, et dont la traduction est la suivante :
« Musulmans. Il faut massacrer les Juifs, les dépecer ; n’entretenez plus
de relations avec eux. Il ne faut plus consentir à ce que vos coreligionnaires
travaillent à leur service, si vous avez des sentiments purement musulmans.
Dieu a dit “tous ceux qui se rapprochent des Juifs, sont des ennemis de la
religion”41. »
L’incertitude qui règne quant à la source émettrice nous éclaire d’une
certaine façon sur une forme d’interpénétration des différents courants
antisémites. Il y a l’activité effective des agents de l’Allemagne nazie, qui
jouent notamment sur la fibre antisioniste, et il y a les prolongements
qu’elle est susceptible de trouver dans les populations locales, européennes
ou indigènes. Il est clair que de ce point de vue, l’antisémitisme hitlérien
peut trouver sur place d’efficaces relais.
Les activistes français
C’est l’Algérie qui offre en la matière les exemples les plus édifiants de
ces milieux qui s’expriment par voie de tracts et de papillons, mais aussi par
des titres tels que Tam-Tam, Le Petit Oranais, Branlebas, Halte-là, Le
Dissous ou encore L’Éclair d’Henry Lautier. Dénigrement des Juifs, viles et
hypocrites flatteries des musulmans, appels à l’insurrection, les extrémistes
font feu de tout bois. « Il faut descendre dans la rue. Il faut se révolter42 »,
proclame en gros caractères un numéro du Dissous à l’été 1936 à l’encontre
des Juifs. « Musulmans ! Votre prophète Mohamed a dit que le Juif est
votre ennemi. Ne l’oubliez pas43 ! » peut-on lire sur des papillons couvrant
les murs de Constantine en mars 1937. « Il y a l’homme ; puis il y a le
dromadaire ; puis il y a le chien ; puis il y a le Juif44 », affirme le journal
Branlebas le 28 novembre 1938…
Une propagande d’inspiration hitlérienne d’origine métropolitaine
comme celle du Centre de documentation et de propagande dirigé à Paris
par Henri-Robert Petit circule également, comme en témoigne ce rapport de
la police de Tunis qui indique en décembre 1936 que des catholiques et des
musulmans de la ville ont reçu sous pli recommandé une brochure de
propagande intitulée Les Juifs au pouvoir45.
Les nationalistes français
Il faut pointer la stratégie et la rhétorique des groupements nationaux
européens tels que les Croix-de-Feu/PSF ou le Parti populaire français
(PPF) qui courtisent vivement les masses musulmanes. Après les
événements de Constantine, la ligue des Croix-de-Feu élargit son
recrutement aux sujets musulmans. Le potentiel subversif de
l’antisémitisme occasionnel du groupement apparaît nettement lorsque l’on
sait la présence régulière d’indigènes – plusieurs dizaines, parfois quelques
centaines – à des réunions où se trouvent distillées les attaques contre la
« Juiverie » auxquelles répondent les injures proférées par la foule… Que
penser dès lors des effets de la tournée algérienne de Jacques Doriot, chef
du PPF, en mai 1938, au cours de laquelle est réclamée à longueur de
réunions l’abrogation du décret Crémieux, sujet si sensible aux yeux des
indigènes musulmans ?
Les nationalistes arabes
Les musulmans se voient aussi excités par une propagande arabe qui se
fait de plus en plus offensive au cours de la décennie. À Tunis, le chef de la
Sûreté constate en juin 1936 qu’une effervescence se manifeste au sein de
la population musulmane à l’occasion des événements de Palestine. Des
mots d’ordre de boycottage du commerce juif circulent. Le 26 juin, toujours
à Tunis, après la prière, deux métouis46 prennent la parole et parlent à leurs
coreligionnaires des événements de Palestine, rappelant « les maux que les
Arabes ont toujours subis de la part des Juifs47 ». Le chef de la Sûreté note :
« L’assistance qui groupait au moins cinq cents personnes, paraissait assez
surexcitée48. »
Du matériel de propagande en provenance des régions arabes du Proche
et du Moyen-Orient circule. Des tracts antisémites rapportés par des
pèlerins marocains de La Mecque sont par exemple mentionnés par le
commandant de la région de Taza (Maroc) en mai 1935. En Tunisie, en
juillet 1939, la police évoque les références faites à la question
palestinienne dans la presse arabe locale mais également les publications
venues d’Orient amalgamant les Juifs et les Anglais.
Il faut dans le même temps prendre en compte, dans l’analyse de cette
judéophobie, l’activité de la propagande sioniste au Maghreb. Comme le
note un rapport de police tunisois au sujet de la parution des Cahiers du
Betar, favorables au sionisme révisionniste de Vladimir Jabotinsky : « Le
révisionnisme étant actuellement en progrès, cet organe a rencontré un
certain succès dans les milieux juifs, mais il menace de réveiller la lutte
antisioniste dans les milieux musulmans tunisiens49. » Les documents
concernant le Maroc, l’Algérie et la Tunisie font tous mention de
populations musulmane et juive attentives et réactives aux événements
palestiniens, l’été 1936 constituant sur ce plan un moment de tensions
paroxystiques.
Enfin, en Algérie, la vie politique locale et ses intrigues se caractérisent
par des tentatives notoires de manipulation des indigènes musulmans,
comme c’est le cas à Oran, dont le maire, Gabriel Lambert50, préconise le
boycottage des magasins juifs et crée, au sein de son organisation des
Amitiés latines, des sections musulmanes dans le but de les soulever contre
les israélites. À Constantine, le maire, Émile Morinaud51, utilise la même
stratégie, accusant les Juifs, au printemps 1936, de lui avoir fait perdre son
siège de député, avant que sa mairie ne lui échappe en 1938.
Après ce trop bref tour d’horizon des courants antisémites et du biais
privilégié emprunté par leurs attaques, il convient de s’interroger sur
l’attitude des autorités françaises face au phénomène.
LES CARENCES DES AUTORITÉS
FRANÇAISES
Et la France dans tout cela ? Où se trouve-t-elle au moment où les
ferments de division sont à l’œuvre dans des territoires convoités de
l’extérieur comme de l’intérieur ? Pour donner des éléments de réponse sur
ce point, il nous semble nécessaire de replacer le cas du Maghreb dans une
perspective nationale. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il faut attendre le
21 avril 1939 pour voir le gouvernement sévir contre les racistes et les
menées étrangères par deux décrets-lois (dits décrets Marchandeau)52. Des
perquisitions sont alors menées dans les mois qui suivent auprès des
groupements français les plus extrémistes. Elles sont loin d’assainir la
situation et l’on notera qu’il faut attendre le 29 août 1939 pour qu’un arrêté
interdise la diffusion d’un journal aussi redoutable que le Weltdienst53. Les
autorités gouvernementales se disent, certes, motivées par des questions
d’ordre public et de cohésion nationale. Mais ni l’esprit des décrets-lois
contre la diffamation raciale ni leur absence d’application dans les mois qui
suivent ne peuvent convaincre du fait que l’État français a pris la mesure de
l’essence destructrice du racisme et de l’antisémitisme pour le régime
républicain. L’antiracisme ne s’impose pas au cours de l’avant-guerre
comme un principe d’action apte à influencer ou à nourrir de façon
significative les actes et les discours gouvernementaux.
Assurément, l’antisémitisme au Maghreb pose problème aux autorités
françaises, et ce particulièrement depuis les émeutes de Constantine : ses
manifestations, surveillées de près, donnent lieu à de nombreux rapports, en
particulier en Algérie. Constantine justement, lieu pour le moins sensible,
nous offre l’exemple du positionnement équivoque de l’Administration face
aux troubles. Dans un rapport de la Sûreté de ce département daté du
30 juillet 1938, le chef du service décrit l’acharnement antisémite d’Émile
Morinaud depuis son échec aux élections municipales. L’appréciation qu’il
porte est la suivante :
« La campagne haineuse de M. Morinaud, contre les Juifs et le Front
populaire, pour si dangereuse qu’elle soit, ne me paraît pas, pour le
moment, destinée à obtenir beaucoup de succès. Nous aurons peut-être
quelques incidents sporadiques à déplorer, mais aucun mouvement profond
dans la masse54. »
Qu’en déduire ? D’abord que l’auteur du rapport, qui, de par ses
fonctions, n’est pas un observateur de second plan mais bien un des
principaux responsables du maintien de l’ordre dans le département, est
conscient de la nature pour le moins douteuse de l’activité de l’ex-maire de
la ville. Il en saisit parfaitement la dangerosité. Il accepte par ailleurs l’idée
que des incidents puissent éclater mais il les tient pour quantité négligeable
dans la mesure où la campagne malveillante n’est pas susceptible d’avoir,
d’après lui, un impact sérieux sur les masses. Tout aussi instructive est cette
autre appréciation tirée du même rapport, toujours au sujet de Morinaud :
« Malgré ses adjurations, malgré ses articles où le député de
Constantine rappelle complaisamment les incidents d’Oujda, et les
massacres palestiniens, entre Arabes et Juifs, il n’est pas arrivé à raviver
chez les musulmans ces sentiments de haine constatés chez eux au moment
du 5 août [date des pogromes de Constantine en 1934 (N.d.A.)]55. »
La nocivité de la stratégie décrite par le rapport, en l’occurrence
l’excitation de la sensibilité des indigènes musulmans, n’entraîne pas dans
les faits de mesures coercitives à l’encontre de l’agitateur. Il faut dès lors
s’interroger sur la place du curseur qui commanderait la réaction des
autorités, voire sur l’existence réelle d’une ligne rouge. Si l’on en croit ce
dernier rapport dont le constat se veut rassurant, il faudrait attendre que
s’expriment des sentiments de haine aux velléités destructrices pour que
l’alarme soit donnée. La formule utilisée par le rapport – « ces sentiments
de haine constatés chez eux au moment du 5 août » – ne signifie pas
absence de haine et d’animosité. Elle introduit en fait une gradation dans la
gravité de la situation, le degré redouté par l’administration française
paraissant être celui qui débouche sur un mouvement insurrectionnel animé
d’une haine collective. Les dérapages graves restent donc limités mais ils
n’excluent pas d’autres incidents, jugés bénins, sinon supportables, par
l’Administration. La minimisation des faits revient de fait fréquemment
sous la plume des fonctionnaires de police. Il y a pourtant un équilibre
précaire dont témoignent assez nettement des notes de police qui font
régulièrement état des risques latents, comme celle qui décrit la situation en
Oranie en 1938 : sans s’engouffrer dans la campagne antisémite, les
indigènes paraissent « demeurer dans l’expectative et le moindre incident
entre musulmans et israélites peut être susceptible d’engendrer des
troubles56 ».
À Meknès, le 17 juillet 1936, des incidents éclatent lors du passage
d’une nouba du 1er régiment de tirailleurs marocains. De jeunes Marocains
encadrent le défilé et prennent à partie quelques israélites se trouvant sur
leur passage. Une bousculade s’ensuit. À ce moment, d’après la police,
« quelques indigènes auraient lancé des pierres sur les israélites et en
direction de leurs habitations57 ». Sept israélites sont « légèrement
blessés ». La conclusion du fonctionnaire de police est pour le moins
subjective : « Il s’agit tout simplement d’un brusque contact entre israélites
et musulmans qui s’est produit dans le Mellah, alors qu’une musique
militaire traversait ce quartier58. » Il ajoute cependant que l’incident « aurait
pu prendre des proportions plus graves, si les israélites, pris de panique, ne
s’étaient réfugiés rapidement dans leurs demeures59 ». La remarque est
d’autant plus lucide que les faits se sont déroulés vers 19 h 30, au
commencement du Sabbat, à un moment où, comme le signale le rapport, la
foule est dense dans la rue. Comme tous les dérapages qui prennent une
certaine proportion, le général qui commande la région de Meknès
répercute le fait auprès de la Résidence générale par lettre, le jour même,
mais l’expédie en quelques lignes qu’il conclut par l’appréciation suivante :
« Il s’agit donc en définitive d’un incident fortuit et banal, entre
adolescents, sans lien aucun avec les événements politiques actuels60. »
Autre exemple, le 4 décembre 1936, à Tunis, dans les souks et dans le
quartier de la Hara, se déroule une manifestation antisémite. Vers 7 h 45,
d’après la police, une trentaine d’étudiants parcourent les rues du quartier.
Quelques-uns crient « À bas les Juifs ! » et « À bas le communisme ». Un
peu plus tard, quelques femmes israélites sont interpellées de façon
obscène. Aux yeux de l’auteur du rapport, rien ne justifie une intervention :
« En résumé, ces manifestations ridicules se déroulent toujours dans les
mêmes rues et les jeunes étudiants qui en sont les auteurs semblent être
animés du simple désir de faire parler d’eux et de se rendre intéressants61. »
L’impression fréquente qui ressort de la lecture de l’ensemble de ces
rapports dont nous n’avons livré ici que quelques exemples est que
l’antisémitisme, musulman ou européen, est perçu comme une donnée quasi
culturelle avec laquelle il faut composer : le réprimer fermement causerait
davantage de problèmes que cela n’en résoudrait. Cette position se traduit
avec netteté dans l’opinion du préfet d’Oran, Louis Boujard, dans une lettre
qu’il adresse au gouverneur général en juin 1938 : « Je crois volontiers que
le remède que l’on entend parfois de réprimer l’agitation antisémite
lorsqu’elle se traduit par des cris ou des inscriptions, serait pire que le mal
lui-même62. » Il arrive, certes, que les rapports des fonctionnaires de police
soient rédigés en termes peu amènes à l’égard des Juifs, voire qu’ils soient
empreints de préjugés, comme a pu le noter Michel Abitbol. On constate
néanmoins que des autorités locales tentent de prévenir certains émois et
d’éventuelles tensions en s’efforçant de tuer dans l’œuf une propagande
sulfureuse. Ainsi, une lettre reçue par la Résidence générale de Tunisie fin
septembre 1938 évoquant la mise en vitrine dans la librairie italienne de
Tunis, d’une revue italienne antisémite, La Razzia, comporte deux
annotations dans la marge : « M. Laporte. Pouvez-vous persuader, avant
que je fasse intervenir la police ? » et : « M. Maoui avez-vous fait le
nécessaire63 ? »
À l’été 1934, la Résidence générale de Tunisie fait connaître au ministre
des Affaires étrangères une plainte de la Ligue internationale contre
l’antisémitisme (LICA)64 à la suite de l’apposition, toujours à Tunis,
d’affiches antisémites émanant des Francistes ; l’autorité précise que ces
placards, qui ont été détruits, sont passés inaperçus et n’ont donné lieu à
aucun incident. L’ajout manuscrit clôt l’affaire : « Donc, ne pas donner
suite65. » Ailleurs, plus tard, on relèvera une réaction inverse comme celle
des services de police de la Goulette qui, après que des inscriptions « Mort
aux Juifs » et « Blum au poteau » ont été tracées sur les murs de la ville
dans la nuit du 21 au 22 mars 1937, ordonnent une enquête « pour découvrir
les coupables de ce délit d’excitation à la haine des races66 ». La police a
fait les choses consciencieusement : les inscriptions ont été effacées, un
échantillon de peinture a été prélevé et une surveillance spéciale mise en
place. En revanche, le 27 décembre 1938, le juge de paix de Gafsa a
« estimé que le délit d’excitation à la haine des races n’était pas
suffisamment établi » quand, fait que nous avons précédemment signalé,
des indigènes ont évoqué « une charogne de Juif qui ira en enfer » au
passage d’un cortège funèbre67.
En définitive les rapports donnent le sentiment d’une adaptation
constante aux événements fondée sur une estimation des rapports de force
et des enjeux du moment. Si l’ordre public demeure l’objectif ultime, les
chemins pour y parvenir empruntent toutefois des voies sinueuses, passent
par des compromis – quand il ne s’agit pas de compromissions – dont on
attend qu’ils tempèrent les esprits et fassent retomber les tensions. Une
sorte de politique du moindre mal est à l’œuvre, qui se traduit par une
navigation à vue. Manquant de volontarisme, l’attitude des autorités se
comprend à l’aune d’un contexte de mésentente chronique. Sans doute fautil interpréter sur un mode proche le manque de répondant devant les
activités européennes puisque à l’acharnement des uns répond
l’encaissement des invectives par les autres. L’absence d’une riposte
musclée des victimes incite probablement les autorités à s’accommoder de
la situation et à éviter la confrontation avec de larges pans de la société peu
amènes à l’égard des Juifs. Les autorités paraissent avoir fait leur l’idée
selon laquelle la lutte contre l’antisémitisme stimule l’antisémitisme. Leurs
interventions ponctuelles ne suffisent pas à masquer un défaut de volonté à
plus long terme, qui prendrait pour objectif le sauvetage de la paix sociale
et « raciale » dans les territoires d’Afrique du Nord. L’abandon du projet
Blum-Viollette constitue de ce point de vue un coup dur pour ceux qui
pensent que l’émancipation des indigènes est un rempart crucial contre la
désunion des communautés.
Le plus grave nous paraît être finalement la forme de feu vert, sinon de
caution, qu’octroie la faiblesse de l’intervention de l’État à ceux, nationaux,
indigènes ou étrangers, qui produisent et véhiculent un discours antisémite.
Les courants antisémites qui traversent le Maghreb au cours des années
1930 sont donc multiples dans leurs origines comme dans leurs expressions.
La révolution antisémite mondiale que cherche à instaurer le pouvoir
hitlérien ne constitue pas le principe explicatif de toutes choses mais elle ne
manque pas d’inspirer consciemment ou inconsciemment les acteurs locaux
les plus divers. L’action et les influences étrangères, germano-italiennes,
mais aussi orientales, sont néanmoins des données majeures de la période.
On notera donc l’interaction entre les différents courants, de même que
l’intensification du phénomène antisémite au cours de la décennie : elle est
particulièrement nette en Algérie mais n’épargne pas le Maroc et la Tunisie.
La radicalisation de la vie politique française et la politique coloniale de la
France y contribuent largement, tout comme les tensions internationales,
parmi lesquelles la situation palestinienne pèse toujours plus lourdement.
La crispation communautaire est palpable dans les rapports policiers et se
traduit par des formes de psychose de part et d’autre et une atmosphère
malsaine68 qui préoccupent les autorités : les sources policières
mentionnent de fréquents dérapages et accrochages qui dégénèrent parfois
en échauffourées. La tendance à la minimisation de ces incidents, pourtant
répétés, par les divers échelons administratifs, n’incite pas à la mise en
œuvre d’une politique qui aurait pour fin la stérilisation du terreau
antisémite et une plus grande cohésion de la société coloniale.
3
L’Afrique du Nord dans
la stratégie du Troisième Reich1
par Chantal METZGER
Le chancelier Bismarck déclare, en 1881, au comte Frankenberg :
« Tant que je serai chancelier du Reich, nous ne mènerons pas de politique
coloniale2. » Moins de trois ans plus tard, il accepte, pour des raisons
politiques et économiques, le principe d’une colonisation allemande. Et
quand il quitte la chancellerie, son pays possède un Empire colonial
correspondant à cinq fois sa propre superficie. Il est situé essentiellement
sur le continent africain, mais aucun territoire d’Afrique du Nord n’y figure.
Bismarck voulait laisser « le coq gaulois libre de gratter le sable du
Sahara » car c’était un dérivatif à la perte de l’Alsace et de la Moselle. La
conquête de l’Algérie par la France est ancienne, elle date de 1830. Depuis
les traités du Bardo du 12 mai 1881 et de La Marsa du 8 juin 1883, la
Tunisie est placée sous son protectorat et Bismarck a même félicité le
gouvernement français. Seul le Maroc, encore épargné, intéresse, depuis la
fin des années 1860, les hommes d’affaires allemands. L’explorateur
G. Rohlfs a envisagé, dès 1882, sa conquête. Et le premier traité de
commerce germano-marocain, fruit de l’initiative d’industriels, de
négociants et d’armateurs allemands, est signé en 1890. Les pangermanistes
et les membres de la Deutsche Kolonialgesellschaft, créée en 1887, pensent
que l’envoi de colons est possible dans la partie occidentale du pays. Mais
la politique de la canonnière de Guillaume II, à l’origine des deux crises
marocaines de 1905 et de 1911, n’aboutit pas. Le Maroc devient protectorat
français et espagnol. La vieille idée d’un Maroc occidental allemand est
cependant explicitement mentionnée, en 1914, dans les buts de guerre des
groupes de pression coloniaux et économiques.
Pendant la Première Guerre mondiale, une importante propagande
allemande se développe non seulement au Maghreb mais aussi sur le front
européen, où des officiers allemands arabophones tentent de débaucher les
tirailleurs musulmans. Comme ce sera le cas durant la Seconde Guerre
mondiale, les Allemands envoient, depuis leurs bases du Maroc espagnol,
des armes aux dissidents nationalistes marocains, au chef touareg Ikazkazen
Khaucen dans le Sud algérien et au sultan d’Agadès, Tegama3. C’est à
Berlin que se constitue, en 1916, le Comité pour l’indépendance de
l’Afrique du Nord. Mais à Versailles, l’Allemagne devient un pays sans
colonies. Cette perte, une humiliation de plus, relance dans le pays l’intérêt
pour la question coloniale. L’Allemagne n’a plus de colonies mais, dans le
cadre de leur politique révisionniste, les gouvernements de la République de
Weimar ne réclament que la rétrocession de leurs colonies africaines de
Mittelafrika. En Afrique du Nord, les Allemands, et notamment les hommes
d’affaires, sont victimes de discriminations. Ils n’ont pas le droit de revenir
dans les territoires du Maghreb même à titre privé, alors que l’établissement
de relations commerciales avec ces pays pourrait compenser la perte des
colonies. La France craint, à juste titre, la propagande et la concurrence
allemandes.
De l’arrivée au pouvoir de Hitler, le 30 janvier 1933, à l’armistice signé
avec la France le 22 juin 1940, on constate une continuité de la politique
allemande face aux États d’Afrique du Nord. La priorité reste la reprise des
relations commerciales avec le Maroc et, dans une mesure moindre, avec
les deux autres pays du Maghreb. Les services de renseignements allemands
cherchent aussi à avoir des informations sur la situation politique de ces
États.
Mais Hitler juge dépassées les thèses wilhelminiennes. Guillaume II a
échoué en essayant de mener parallèlement une politique coloniale et
continentale et il ne veut pas commettre la même erreur. Il affirme dans
Mein Kampf qu’il veut mettre « enfin un terme à la politique coloniale et
commerciale d’avant-guerre, pour passer à une politique territoriale de
l’avenir4 » qu’il situe sur le continent européen. Pour obtenir les bonnes
grâces de l’Angleterre et pour s’assurer au minimum de sa neutralité, il
« faut renoncer aux colonies, à la puissance navale et cesser de
concurrencer l’industrie britannique ». D’ailleurs, ajoute-t-il, la force du
peuple allemand « n’a pas ses fondations aux colonies mais chez lui en
Europe5 ». Hitler doit cependant ménager les partisans d’une politique
coloniale, et notamment les impérialistes wilhelminiens qui, à l’instar du
Dr Weigelt6, l’ont rejoint.
Face à leurs pressions, Hitler décide un partage des tâches. Tout en
axant sa politique extérieure sur l’expansion vers l’est, il confie la
propagande coloniale aux ligues et associations, qui recevront des
instructions directement du gouvernement. Son ami, le général Franz Xaver
Ritter von Epp, cumule les fonctions de chef du Kolonialpolitisches Amt
(KPA) du NSDAP et du Reichskolonialbund (RKB), ligue qui rassemble
tous les groupuscules coloniaux nés après la Grande Guerre. Hitler peut
ainsi manipuler les partisans d’une action coloniale, et notamment les
conservateurs, éléments moteurs de ces ligues. Seul le KPA définit, sur
ordre du Führer, la politique coloniale du RKB. Or pour lui, le Lebensraum
indispensable à l’Allemagne se situe à l’est du continent européen, et non
en Afrique. L’acquisition de colonies est souhaitable mais non
indispensable et les revendications – quand il y en a – ne portent que sur des
territoires précédemment allemands ou appartenant à des puissances
coloniales plus faibles que la France ou la Grande-Bretagne, comme la
Belgique ou le Portugal. L’Afrique du Nord n’est donc pas concernée. C’est
l’Italie qui s’y intéresse. Pourtant, en 1938, la presse allemande ne soutient
pas les revendications de son allié italien. Il n’est pas question d’envenimer
les relations franco-allemandes au moment où, en décembre 1938,
Ribbentrop vient signer à Paris un accord avec Georges Bonnet visant à
renforcer les liens commerciaux entre l’Allemagne et l’Afrique du Nord.
L’amélioration des relations commerciales a été demandée au
lendemain de la guerre par les hommes d’affaires, car, par l’article 141 du
traité de Versailles, l’Allemagne doit renoncer à tous ses droits et
prétentions – même au statut de la « porte ouverte » – au Maroc, attaché à
l’acte d’Algésiras7. L’entrée de l’Allemagne à la SDN8 modifie peu la
situation. Son retrait, en 1933, en revanche, a quelques conséquences : le
commerce germano-marocain ne s’opère plus que de façon indirecte. Il faut
camoufler les sociétés allemandes sous le nom de firmes tchécoslovaques
ou suisses9. C’est notamment le cas d’une fabrique de machines et d’articles
de minoterie de Hambourg qui se fait passer pour suisse alors que l’on peut
voir sur le matériel livré un petit « Made in Germany10 ». La dégradation
des relations est liée à la politique française de préférence impériale et à la
crainte qu’ont les responsables politiques de voir revenir au Maghreb des
sociétés qui, comme Mannesmann avant 1914, auraient pu les concurrencer
aisément, surtout dans les protectorats du Maroc et de Tunisie.
Un échange de lettres entre Paris et Berlin, le 11 mars 1935, permet aux
représentants de sociétés allemandes de commerce ou de transport maritime
d’obtenir un visa d’entrée et le droit de résider au maximum un an au
Maroc et à Tanger. Mais ce retour des Allemands doit se réaliser par étapes
successives pour ne pas nuire au prestige de la France ni ébranler la
situation politique au Maroc. Les relations franco-allemandes se dégradant
avec le rétablissement du service militaire, la remilitarisation de la
Rhénanie et l’intervention en Espagne à partir des bases du Maroc
espagnol, ces mesures seront peu appliquées. Les hommes d’affaires se
plaignent à plusieurs reprises de cette discrimination au consul allemand de
Tétouan, le Dr Brosch, qui les représente aussi en zone française. Ils veulent
revenir dans celle-ci pour y commercer avant que les émigrants juifs
allemands ne viennent leur prendre ce marché potentiel11. L’évolution
politique en Allemagne et l’application des lois raciales vont amener
certaines entreprises allemandes à couper leurs contacts avec leurs
intermédiaires juifs. La Maison Renschhausen & Cie de Casablanca, seule
société allemande installée en zone française, représente de nombreuses
firmes allemandes. Elle envoie en 1936 en zone espagnole ses agents pour
substituer des semi-grossistes indigènes aux négociants israélites qui ont le
quasi-monopole du commerce du thé, qui traitent avec les importateurs de
Casablanca et surtout qui refusent à présent de commercer avec la firme
allemande. Mais de tels exemples sont rares. En général, les sociétés
allemandes restent fidèles à leur clientèle israélite, car elles la jugent très
efficace.
En novembre 193812, le comte von Welczeck, ambassadeur
d’Allemagne à Paris, demande à Georges Bonnet, ministre des Affaires
étrangères français, l’ouverture d’un consulat en zone française et l’accès
libre à Tanger13. L’ambassadeur de France en Allemagne Robert Coulondre
soutient cette demande14. Cette concession, suite logique des accords
Bonnet-Ribbentrop du 6 décembre 1938, aurait une signification forte, à la
fois politique et économique.
Les rapports commerciaux avec la Tunisie sont tout aussi délicats.
L’Allemagne importe de l’huile d’olive, de l’alfa et des phosphates, qu’elle
achète à la Compagnie de Gafsa ou aux Phosphates tunisiens. Les mines de
fer de Djerissa, de Douaria et de Slata ainsi que les forages entrepris en vue
de trouver du pétrole intéressent aussi les industriels allemands.
L’Allemagne est le deuxième fournisseur de charbon du protectorat après la
Grande-Bretagne15, elle exporte aussi des machines-outils, des moteurs
diesel, des articles en verre et en cristal, des produits pharmaceutiques et
des montres. Elle vend enfin des postes de radio, qui seront par la suite
utilisés pour diffuser la propagande allemande16. Mais tous ces échanges
sont inférieurs à ceux qui existent entre la Tunisie et l’Italie, premier
partenaire commercial du protectorat, après la France.
En Algérie, l’Allemagne s’intéresse uniquement aux mines de fer de
l’Ouenza. Ce n’est que le 6 juin 1939 que l’exportation de cette matière
première stratégique en Allemagne sera définitivement suspendue17. Les
hommes d’affaires allemands ne peuvent pas lutter contre la préférence
impériale18 et achètent peu de produits locaux. Un autre facteur explique
l’échec allemand : de nombreuses sociétés algériennes appartiennent à des
Juifs ou à des musulmans. Or les deux communautés sont classées dans une
catégorie « raciale » inférieure. Choqués par le racisme à leur encontre,
connu grâce à la contre-propagande française, les commerçants musulmans
et juifs ont pu refuser de commercer avec des Allemands.
Le Maghreb intéresse aussi le haut commandement militaire et les
services de renseignements. Les consuls sont d’excellents agents. Celui de
Tunis évoque, en 1936, les travaux d’aménagement du port de Bizerte et
l’arrivée de trois nouveaux corps de troupes chargés de la défense
antiaérienne et destinés à renforcer l’aviation française sur place, dans les
principaux aéroports militaires de Sidi Ahmed et de Karouba19. Comme
l’Allemagne a du mal à implanter ses consulats, ce sont des Vertrauenleute,
camouflés en représentants de sociétés allemandes de commerce ou de
transport maritime, qui les remplacent. De Tanger et du Maroc espagnol, et
notamment des présides de Ceuta, Tétouan et Melilla, les services du
contre-espionnage croient, par leur truchement, surveiller tout le Maghreb.
En réalité, ils n’ont pas encore, en 1939, le matériel nécessaire pour vérifier
les assertions de leurs honorables correspondants. Ils n’obtiennent que des
renseignements de contact, souvent sujets à caution20.
Les voyages de personnalités allemandes en Afrique du Nord suscitent
en France de vives inquiétudes. En 1935, la visite du Kronprinz Wilhelm,
trente ans après celle de son père, le Kaiser Wilhelm II, ravive les souvenirs
des Marocains. L’ambassade de Madrid signale, le mois suivant, une
recrudescence des voyages de personnalités allemandes en Afrique du
Nord, tout particulièrement au Maroc21, où se rend aussi l’ambassadeur
d’Allemagne en France, le comte von Welczeck. Pendant la guerre civile
espagnole, la venue de navires de guerre allemands devant Tanger et en
zone espagnole « produit une vive impression sur les indigènes y compris
ceux de la zone française22 ». Le voyage effectué du 1er janvier au
15 février 1939 par un officier de l’OKW, le capitaine von Xylander en
Algérie et dans le nord de la Tunisie avec l’autorisation du 2e Bureau
français23 est d’une autre nature. Accompagné et surveillé par un officier
français, il recueille des renseignements militaires relevant de la simple
observation ou de discussions. Ils permettent de préciser, voire d’infirmer,
les connaissances que l’Oberkommando der Wehrmacht a sur l’armée
française d’Afrique ou sur les « fortifications côtières24 ». Le Maroc, qu’il
n’a pas visité, lui semble le plus « propice à la subversion contre la France à
l’issue d’une mise en condition bien menée par l’Allemagne25 ». Il conseille
donc une manipulation des populations par le biais d’une propagande
active, mais il sait qu’un soulèvement ne pourrait avoir lieu qu’en cas de
défaite complète de la France.
Cette propagande, menée par les V-Leute, honorables correspondants
agissant sous une couverture commerciale26, a des effets dans les régions
les plus reculées du protectorat. Elle suscite « chez les Marocains la plus
vive admiration pour la grandeur et la puissance de la nouvelle
Allemagne27 ». Les agents utilisent des thèmes très porteurs : notamment
l’amitié indéfectible unissant Allemands et Arabes depuis la fin du
XIXe siècle et la haine du Juif, leur ennemi commun. Hitler, à l’instar de
Guillaume II, se proclame protecteur des populations musulmanes. Privée
de colonies, l’Allemagne apparaît aux populations maghrébines comme la
championne de l’anticolonialisme. Elle dénonce l’oppression coloniale de la
France et ses méthodes de pacification, notamment au Maroc, lors des
émeutes de Meknès, Khemisset et Fès en 193728. Si leur origine
économique est évidente, les agents allemands installés au Maroc espagnol
ne sont pas totalement étrangers à ces troubles. D’El Ksar29, une
personnalité allemande déclare devant un vaste auditoire de chefs et de
notables indigènes : « Nous sommes au courant du sort malheureux de
certains de vos frères, des injustices qu’ils subissent mais la tyrannie ne
saurait durer… Trois Nations peuvent, en Europe, vous venir en aide. Des
promesses vous ont été faites, elles seront tenues30. » Cet argument est de
poids au moment où les autorités françaises incitent le sultan à durcir sa
position à l’encontre des chefs nationalistes.
Ce sont les attaques contre les Juifs, le capital « judéo-ploutocrate » et
la mise en exergue du conflit arabo-juif en Palestine qui séduisent le plus
les populations du Maghreb. Les véritables buts du national-socialisme sont
camouflés. Tous les passages concernant les Arabes et les dénigrant ont été
supprimés de la version arabe de Mein Kampf, même si ses lecteurs sont
rarissimes ! En 1936, le consul général d’Allemagne à Alger, Karl Richter,
signale la montée de l’antisémitisme et l’hostilité grandissante des
populations face au décret Crémieux du 24 octobre 1870 qui faisait des
Juifs nés en Algérie des citoyens français. Cet antisémitisme atteint
musulmans et Européens, il touche villes et campagnes. À Détrie, village
situé à 12 km de Sidi Bel Abbès, on aurait joué le Deutschland über alles,
lors d’une fête locale, en août 1936, et les colons, levant le bras à
l’hitlérienne, auraient crié « Mort aux Juifs et vive Hitler31 ». Les agents
allemands ne sont pas seuls à l’origine de cette vague d’antisémitisme, elle
est aussi due à l’animosité née par suite du projet Violette. Pour Karl
Richter, c’est le moment idéal pour intensifier la propagande. Les services
de l’Auslandsorganisation et ceux du Deutsche Arbeitsfront, dirigés, en
Algérie, par Czeskleba, un Allemand d’origine polonaise, s’y emploient. En
Tunisie aussi éclatent de graves incidents antisémites. L’armée doit
intervenir lors du pillage et de la destruction de magasins juifs à Gafsa et la
presse locale, pour expliquer cette violente poussée antisémite, parle
d’influences étrangères. Or, c’est essentiellement l’Italie qui fait de la
propagande active et antifrançaise en Tunisie, celle de l’Allemagne est
nettement plus limitée !
Journaux, brochures et tracts allemands sont facilement interceptés.
C’est sur les ondes courtes que se diffusent les campagnes de dénigrement
de la France. Ces émissions constituent de solides courroies de transmission
du nazisme et du fascisme. Même si les indigènes possèdent peu de postes
personnels, on en trouve dans les cafés et le « téléphone arabe » fonctionne
très bien : « un bruit mis en circulation, à Alger, le matin parvenait
simultanément le soir à Tlemcen, Souk-Ahras et Batna » par l’intermédiaire
de « maquignons », de « courtiers en grains et de tous les artisans exerçant
des métiers ambulants… sans oublier les maddâh (conteurs populaires)32 ».
Les nouvelles se transmettent également dans le cadre des marchés
hebdomadaires, des rassemblements de femmes et des bains maures. RadioStuttgart, Radio-Berlin installée à Zeesen et Radio-Tétouan émettent, dès
1934, sur ondes courtes, en langue française, en arabe littéraire, mais aussi
en arabe parlé, en kabyle et en berbère. Les présentateurs, souvent d’origine
arabe, promettent à leur auditoire la libération, l’émancipation et même
l’indépendance ; ils affirment « que le Maroc ne retrouvera sa prospérité et
sa liberté que le jour où l’occupant ou plutôt l’usurpateur français aura été
bouté dehors33 ». Les fausses rumeurs se multiplient, la radio allemande
parle, en 1937, d’un débarquement de 6 000 Allemands à Ceuta. L’aide
militaire apportée par l’Allemagne au gouvernement de Burgos explique
l’intensification de la guerre des ondes. Après la victoire franquiste, le
général Noguès estime nécessaire de pratiquer une contre-propagande34 ;
les émissions de Radio-Berlin qui doublent celles de Radio-Bari « sont
devenues actuellement une arme de guerre redoutable pour le moral des
populations indigènes35 ».
Si l’impact de cette guerre des ondes est important, les contacts
entretenus par les nationalistes maghrébins et la communauté musulmane
de Berlin constituent un autre moyen de pression et d’action. L’émir Chekib
Arslan36 préside le Club oriental, le Club arabe et l’Union pour la
sauvegarde de l’islam ou Ettihad Sellemati Islam, trois associations fondées
entre 1920 et 1922. Il est la figure de proue de la lutte pour
l’affranchissement des peuples musulmans et s’appuie sur les adversaires de
la France. Il participera à de nombreuses émissions en langue arabe de
Radio-Bari37 et un de ses lieutenants, le Dr Takki ed-Din al-Hilali,
répétiteur de langue arabe à l’université de Bonn et habile polémiste,
devient un des speakers les plus écoutés de Radio-Berlin en Tunisie et au
Maroc. Certains membres du Parti populaire algérien (PPA) vont même
s’entraîner, en juin 1939, dans des camps militaires du Reich38. Et le
CARNA (Comité d’action révolutionnaire nord-africain) a pour
responsables Cherif Bellamine et Abderrahmane Yassine, l’un des
présentateurs de Radio-Berlin. Mais l’aide allemande apportée aux
nationalistes arabes est limitée et les dirigeants nord-africains qui se rendent
à Berlin en 1939 pour réclamer armes et fonds n’obtiendront rien. Ces pays
font partie, pour le Führer, de la zone de propagande et d’action de l’allié
italien et le gouvernement allemand se contente de protestations d’amitié en
lieu et place d’envoi d’armes.
Dès le début de la guerre, les services allemands développent une active
propagande afin de jeter le trouble parmi les populations musulmanes. Ils
insistent sur le rôle joué au front par leurs compatriotes, qui « auraient
remplacé les porcs et les vaches pour la détection des mines39 ». S’ajoutent
aux thèmes développés précédemment par la radio allemande des appels à
l’insurrection contre les puissances coloniales. Les objectifs du Troisième
Reich sont donc clairs : appeler les troupes indigènes à la révolte sur le
front et provoquer des troubles sur place, au Maghreb.
Hitler songe-t-il à une double offensive sur le continent et outre-mer ?
Tout laisse à supposer qu’il procède par étapes et la première, la conquête
d’un Empire continental, lui paraît essentielle. Pendant la drôle de guerre et
immédiatement après l’armistice, de nombreux plans sont élaborés dans
tous les ministères. Ils insistent tous sur l’intérêt économique que revêt le
continent africain pour le Grand Reich. Ces projets ont été préparés dans
l’euphorie des premières victoires allemandes. Le plus ambitieux, celui de
la Kriegsmarine, est le seul à réclamer des bases au Maroc, celui des
milieux d’affaires reste conforme aux traditionnels centres d’intérêt de ce
puissant lobby, celui de l’Auswärtiges Amt est plus réaliste et plus
modéré40. Pourquoi Hitler laisse-t-il ses services perfectionner ces plans
délirants alors qu’il ne prévoit aucune conquête outre-mer au départ ? S’estil laissé influencer par son entourage, par les hauts dignitaires de l’armée,
par le puissant lobby colonial ou par les milieux d’affaires ? Ses
déclarations, et tout particulièrement son discours du 24 février 1940,
prouvent bien que seule une rétrocession des anciennes colonies afin de
laver l’honneur de son pays lui semble envisageable. Pour l’Afrique du
Nord, il faut tenir compte des visées italiennes en Tunisie et même en
Algérie, et espagnoles au Maroc. Laisser quelques morceaux de son Empire
à la France n’est pas totalement exclu.
Le général Karl-Heinrich von Stülpnagel, président de la Commission
allemande d’armistice (CAA), transmet, le 15 juillet 1940, au général
Huntziger une note comportant de nouvelles exigences du Führer41. Hitler
réclame huit bases aériennes pour la Luftwaffe au Maroc, l’utilisation sur
toute sa longueur du chemin de fer Casablanca-Tunis, des postes de garde,
des stations radio et météorologiques et le droit pour la Wehrmacht de se
servir de l’ensemble des ports méditerranéens de la France. Les
gouvernements allemand et italien entendent ainsi profiter de l’occasion –
l’attaque de Mers el-Kébir – et des rares concessions faites à la France
après l’attaque britannique, pour réviser leurs rapports avec le
gouvernement de Vichy, non seulement sur le plan des conventions
d’armistice mais aussi sur celui de la politique générale. Le maréchal
Pétain, très impressionné par ce véritable ultimatum, confie le jour même à
Henri du Moulin de Labarthète : « Les Allemands regrettent déjà d’avoir
laissé l’Afrique du Nord en dehors de l’armistice. Ils sentent qu’ils se sont
trompés. Mais nous ne céderons pas42. » Pétain, tout comme le général
Weygand, est partisan de la fermeté. À l’issue du Conseil des ministres, il
signifie par une lettre son refus à Hitler43. Si les Allemands prennent pied
en Afrique du Nord, la France perdra tout prestige et toute autorité aux yeux
des indigènes. Cette lettre n’a pas été retrouvée dans les archives
allemandes saisies après-guerre. On n’en possède qu’une minute et deux
copies. Le Führer apprit pourtant la fin de non-recevoir française et il
n’insista pas. Cette attitude suggère que, conformément à son habitude,
Hitler a lancé un ballon d’essai44.
Son entourage, et notamment le haut commandement de l’armée, ne
partage pas son point de vue. Un entretien, en juillet 1940, entre le général
Hans Guderian et le général Franz Ritter von Epp confirmerait cette
hypothèse. Guderian déclare que l’Allemagne, en occupant l’Afrique,
s’assurerait les concessions minières et pétrolifères indispensables à la
victoire sur l’Empire britannique. La Seekriegsleitung veut des points
d’appui sur la côte atlantique de l’Afrique et l’Oberkommando der
Wehrmacht veut exploiter les ressources de l’Afrique du Nord. Goering luimême souscrit à la thèse d’une Afrique travaillant dans l’intérêt d’une
Europe nouvelle, placée sous la tutelle de l’Allemagne.
Mais Hitler envisage-t-il véritablement l’occupation de certains
territoires riverains de l’Atlantique comme le Maroc et les ports de
l’Afrique-Occidentale française ? Des projets en ce sens se trouvent dans
les fonds d’archives allemands. Étaient-ce de simples hypothèses de travail,
des plans concrets d’action préventive, voire d’occupation définitive, de ces
territoires ? L’action menée par les services de renseignements allemands
dans les territoires de l’Empire et surtout en Afrique du Nord et au Levant,
zone dont l’intérêt géostratégique n’est pas à démontrer, semble entrer dans
le cadre de la première proposition. La propagande menée auprès des
populations arabes et les rares actes de sabotage ne sont destinés qu’à nuire
à l’avancée des troupes britanniques. L’action des services du contreespionnage français restreint d’ailleurs la liberté de manœuvre des agents
allemands, qui sont peu efficaces vu les rivalités existant entre les différents
services.
Hitler impose sa ligne politique à son état-major. Il refuse donc de
s’engager autrement que verbalement à l’égard des pays arabes et d’armer
les nationalistes du Maghreb, avant et pendant la guerre, sans tenir compte
des demandes de grands leaders comme Chekib Arslan et le grand mufti de
Jérusalem, Amine el-Husseini45. Les rivages méditerranéens ne sont qu’un
objectif auxiliaire de ses plans. Il ne veut ni nuire aux intérêts de l’allié
italien qui considère l’Afrique du Nord comme son théâtre d’opérations, ni
détériorer la position du gouvernement de Vichy dans les quelques
territoires de l’Empire restés sous sa souveraineté. Hitler agit avec
circonspection. Il aligne sa politique sur celle de Mussolini, qui refuse la
moindre aide aux nationalistes pour éviter toute révolte dans son futur
Empire colonial.
L’intervention des forces allemandes sur le front sud est imposée aux
Allemands par l’incapacité des Italiens à dominer les rives de la
Méditerranée, elle ne répond pas à un plan établi d’avance. La guerre d’Irak
et les défaites italiennes ont modifié au début de l’année 1941 la situation.
L’arrivée de Rommel et de l’Afrika Korps sur le continent africain, des
commissions de contrôle allemandes au Maroc et des détachements de
liaison envoyés en Algérie et en Tunisie pour suppléer l’allié défaillant
coïncident avec des préparatifs, en Allemagne, visant à créer un ministère
des Colonies sous la direction de Franz Xaver Ritter von Epp. Vu la
concomitance de ces événements, les partisans de la colonisation et les
membres du futur ministère des Colonies croient avoir enfin gagné le
Führer à leur cause.
Sur le terrain, au Maghreb et en Afrique-Occidentale française, les
hommes d’affaires allemands cherchent des réalisations concrètes.
Constituer un bloc économique eurafricain46 permettrait au Troisième
Reich d’affronter le bloc anglo-saxon. Des projets communs francoallemands sont élaborés, comme ceux de la Transsaharienne, ils sont
contrés par les gouvernements des deux pays47. Les commerçants et
industriels allemands ne réussissent pas non plus à reprendre pied sur le
continent africain. Les accords Murphy-Weygand, signés à Alger le
26 février 1941, expliquent en grande partie cet échec. L’Afrique du Nord a
besoin de produits importés des États-Unis, or la présence d’Allemands,
fût-ce pour des motifs commerciaux, risque d’entraîner un arrêt des
livraisons américaines. Même si Hemmen, le président de la section
économique de la CAA, n’ignore pas les buts politiques de cet échange
franco-américain : l’espionnage et la propagande, il juge les livraisons
américaines en Afrique du Nord et en Afrique-Occidentale française
indispensables à la fois pour des motifs militaires et d’économie de
guerre48. Les interdire risque de faire basculer ces territoires dans la
dissidence. Pour éviter tout trouble politique et social, difficile à réprimer,
une occupation de l’Afrique du Nord n’étant pas à l’ordre du jour,
l’Auswärtiges Amt et la Seekriegsleitung permettent la poursuite des
navettes maritimes entre les ports américains et Casablanca49. Certaines
précautions seront prises pour contrer une infiltration d’agents américains
au Maroc. Les livraisons de produits essentiels pour l’économie de guerre
sont soumises à une autorisation de la CAA, et seuls seront exportés vers
les États-Unis les produits conciliables avec les intérêts allemands.
Au moment où Rommel et l’Afrika Korps se battent en Afrique du
Nord, outrepassant les accords germano-italiens du 28 juin 1940, Hitler
remplace, en mars 1941, la Commission d’armistice italienne au Maroc par
une Commission de contrôle allemande ; il n’a confiance ni dans les
autorités françaises, ni dans l’efficacité de son allié italien. L’Afrique du
Nord revêt désormais, aux yeux de Hitler, de certains membres de son
entourage et surtout de ses généraux, une valeur politique et stratégique non
négligeable. Ces territoires risquent d’être utilisés comme bases par
l’ennemi britannique. Après l’installation de ces commissions, Hitler donne,
une nouvelle fois, carte blanche au Dr Hemmen pour exploiter l’Empire.
Les Allemands ne sont pas maîtres des mers et ils craignent en permanence
l’entrée en guerre aux côtés des Alliés de l’ensemble des possessions
africaines de la France. Des contrats sont conclus, assurant à l’Allemagne,
par priorité, le bénéfice des ressources, et notamment des matières
premières stratégiques des parties de l’Empire restées sous souveraineté
française. Le Dr Hemmen s’intéresse tout particulièrement aux produits qui
faisaient déjà l’objet de commerce avant-guerre : phosphates du Maroc,
bois et métaux non ferreux d’Afrique du Nord et d’Afrique-Occidentale
française. L’économie de guerre allemande en profitera réellement entre
1941 et 1942. Par ses réquisitions et ses achats, le gouvernement allemand
aggrave la situation économique du Maghreb et profite, en usant du droit du
vainqueur, de ses richesses.
Mais, le 4 novembre 1942, les Alliés percent le dispositif italo-allemand
à El-Alamein et Rommel bat en retraite ; quatre jours plus tard, les Alliés
débarquent sur les côtes d’Afrique du Nord. C’est un des tournants de la
guerre. Certes, fin novembre 1942, d’importants effectifs allemands se
trouvent en Tunisie, mais la présence des Alliés rend difficile tout contact
avec les autres pays du Maghreb et tout accès aux matières premières
stratégiques. Le conseiller Rudolf Rahn50, un fin diplomate qui avait déjà
fait office de syndic de faillite en Syrie en juin-juillet 1941, arrive en
Tunisie. Il cherche à éviter toute exaction et à maintenir l’ordre. Les troupes
de l’Axe vivent des maigres ressources du pays et emploient les habitants,
volontaires ou réquisitionnés, à des tâches de défense. Il s’agit d’une
véritable occupation, aux niveaux militaire et politique. La correction des
forces occupantes, évoquée par Gide dans son Journal, la libération des
leaders nationalistes, notamment de Habib Bourguiba, et surtout l’active
propagande constituent un élément de la stratégie militaire de Hitler et de
ses conseillers. Mais seules quelques centaines d’indigènes s’engageront
dans la Deutsch-Arabische Lehrabteilung et le haut commandement
allemand n’obtiendra jamais le recrutement de sept mille volontaires pour la
Phalange africaine ; elle était pourtant ouverte à tous les Français désirant
collaborer les armes à la main à la défense et à la reconquête de l’Empire.
En mai 1943, la défaite en Tunisie revêt une valeur psychologique,
symbolique et surtout politique, après celle de Stalingrad. Pour la Marine et
pour l’ensemble de l’armée allemande, la perte de ce territoire est grave.
Hitler venait à peine de prendre conscience, en mars, de l’importance de la
tête de pont tunisienne. À la veille du départ des troupes allemandes,
l’amiral Dönitz déclare encore à Adelchi Ricciardi, un conseiller de
l’ambassade d’Italie à Berlin : « Tant qu’un soldat des forces de l’Axe se
battra en Afrique du Nord, il ne faudra pas le laisser tomber51. » Pourtant,
pour Hitler, la campagne de Tunisie n’est qu’un échec militaire sur un
terrain secondaire. L’abandon complet de l’Afrique et le fait que la
Méditerranée redevienne une mer anglaise ne l’affectent pas. Il lui reste la
forteresse Europe.
Le départ des troupes de l’Axe du continent africain annonce l’abandon
de tous les grands projets coloniaux. Il va aussi avoir d’autres
conséquences, notamment d’ordre économique. Jusqu’en mai 1943, malgré
l’arrivée des troupes anglo-saxonnes en Afrique du Nord et malgré le
conflit, un semblant d’activité commerciale a pu être maintenu avec le
continent africain et quelques produits indispensables à l’économie de
guerre du Reich parviennent par l’Italie en Allemagne. Quitter la Tunisie
représente aussi une rupture complète des relations entre l’Europe
allemande et l’Afrique du Nord. Après cette défaite, seuls restent sur place
quelques agents chargés de se renseigner sur l’ouverture d’un
deuxième front. De Tunisie, du Maroc espagnol ou de Tanger, ils
surveillent le détroit de Gibraltar.
En mai 1944, après la fermeture du consulat général de Tanger, on
constate une légère évolution de la politique arabe de l’Allemagne. Les
services de renseignements allemands, réfugiés à Tétouan et à Ceuta,
envisagent de fournir des armes aux nationalistes, qui leur en demandaient
depuis 1937. Mais il est trop tard. Ces promesses ne peuvent pas être
tenues. Hitler n’y a jamais été favorable pour les questions d’alliance, il ne
voulait pas non plus devoir la victoire de son pays, même partielle, à des
peuples jugés, conformément à ses thèses raciales, « inférieurs ».
Pourtant, à la fin de la guerre il regrette cette politique et accuse les
« génies de la Wilhelmstrasse, des diplomates du style classique, des
militaires d’ancien régime, des hobereaux52 », de l’avoir incité à jouer « la
carte française contre les peuples qui subissaient le joug de la France53 ».
Moqueur, le Führer rejette la faute sur les gentlemen de l’Auswärtiges Amt
qui préféraient « entretenir des rapports avec des Français distingués plutôt
qu’avec des révolutionnaires hirsutes, avec des officiers à badine qui ne
songeaient qu’à nous flouer plutôt qu’avec les Arabes54 ». En émancipant
les populations du Moyen-Orient et du Maghreb dès 1940 au lieu d’y
consolider le pouvoir de la France, les Allemands auraient soulevé tout le
Moyen-Orient contre les Britanniques et remporté une rapide victoire.
Hitler rend aussi Mussolini responsable de l’échec de la politique arabe de
l’Axe. Il « nous paralysait », déclare-t-il à Bormann, empêchant le Reich
« de faire une politique révolutionnaire55 » en Afrique du Nord. La
présence de l’Italie aux côtés de l’Allemagne « créait un malaise chez nos
amis de l’islam, car ils voyaient en nous les complices volontaires ou non
de leurs oppresseurs56 ». Haï et méprisé, Mussolini s’est ridiculisé en
s’affublant du titre de « Glaive de l’islam ». Il ne fallait ni soutenir de façon
inconditionnelle la politique arabe de l’Italie ni maintenir l’intégrité de
l’Empire français. Hitler reconnaît donc une erreur de tactique. Sans aller
jusqu’à penser, comme l’avait déclaré Colin Ross, qu’à l’Allemagne
revenait « la mission d’introduire dans la nouvelle organisation de l’espace
grand européen le monde musulman57 », Hitler estime qu’il aurait pu
utiliser le monde musulman comme un allié de sa nouvelle Europe dans sa
lutte contre la Grande-Bretagne.
4
La propagande du Troisième Reich
en Afrique du Nord durant
la Seconde Guerre mondiale
par Martin CUEPPERS
Tandis que six millions de Juifs en Europe se faisaient assassiner par les
nazis et leurs collaborateurs, les communautés juives nord-africaines
survécurent aux sombres années de la Shoah. La Wehrmacht arriva dans la
région en 1941. Suite à cela, les autorités d’occupation allemande
imposèrent aux Juifs libyens et tunisiens le travail obligatoire et
commencèrent à dépouiller leurs communautés. Cependant, ni en Égypte, ni
en Libye ou en Tunisie, les Allemands ne perpétrèrent des meurtres de
masse.
Pourquoi les mesures antisémites du Troisième Reich en Afrique du
Nord différaient-elles tant de la politique meurtrière menée en Europe ? La
haine des Allemands pour les Juifs en Afrique du Nord n’était certainement
pas moins virulente que dans le Reich ou les autres pays occupés.
L’auteur se propose ici de montrer que durant la Seconde Guerre
mondiale, la propagande du Troisième Reich en Afrique du Nord visait
également en grande partie les communautés juives de la région. Cela n’a
rien d’étonnant puisque le national-socialisme était une idéologie
profondément antisémite. En outre, en utilisant un contenu de propagande
judéophobe, le Reich tenta d’introduire des préjugés antisémites auprès de
la population à majorité arabe pour la rallier à sa propre cause. La thèse à
formuler par ailleurs est que la propagande allemande évoque également
l’élimination programmée des Juifs d’Afrique du Nord. Si cela n’a pas eu
lieu, c’est parce que la guerre s’est terminée par la défaite des nazis.
Dans ce contexte, il nous faut mentionner l’excellente étude de Jeffrey
Herf, The Jewish Enemy. Il y décrit d’une manière très convaincante le
contenu totalement irrationnel de la propagande du Troisième Reich et
démontre que la guerre des nationaux-socialistes contre les Alliés a toujours
été indissociable de leur guerre contre l’imaginaire conspiration juive
mondiale1. Cela est vrai également pour l’Afrique du Nord.
Le présent article se divise en trois. La première partie traite du
développement de la propagande jusqu’à l’intervention militaire allemande
en Libye, c’est-à-dire de 1939 à février 1941. La deuxième partie couvre le
point culminant de la campagne allemande en Libye et en Égypte et s’étend
de février 1941 à l’automne 1942, date de la défaite de la PanzerarmeeAfrika à El-Alamein. Enfin, dans la troisième partie, l’auteur analyse le
développement des mesures de propagande depuis la retraite d’Égypte de
Rommel et l’établissement de la tête de pont allemande en Tunisie jusqu’à
la reddition des troupes allemandes en Afrique du Nord en mai 1943.
Quelques précisions concernant nos sources : les tracts, prospectus et
cartes postales d’Afrique du Nord se trouvent dans divers fichiers des
Archives politiques du ministère des Affaires étrangères à Berlin et dans les
Archives militaires de Fribourg-en-Brisgau ; ensemble, ils donnent une
image assez claire de la propagande allemande en Afrique du Nord. En
outre, une partie de la propagande radiophonique allemande en arabe des
années 1940 et 1941 se trouve dans les Archives fédérales à Berlin.
Cependant, ce qui constitue de loin le plus important recueil de propagande
allemande pour le monde arabe a été découvert par Jeffrey Herf dans les
Archives nationales des États-Unis à College Park. Il s’agit des
enregistrements de la radiodiffusion de propagande allemande en langue
arabe réalisés par Alexander C. Kirk, ambassadeur des États-Unis au Caire,
de septembre 1941 à mars 1944.
La première phase : de 1939 au début 1941
De 1939 au début de l’année 1941, la radio était le premier moyen de
propagande du Reich dans le monde arabe. La radio allemande sur ondes
courtes située à Zeesen, au sud de Berlin, était considérée à l’époque
comme l’une des stations émettrices les plus puissantes. Elle commença à
émettre en avril 1939 des programmes en langue arabe à destination de
l’Afrique du Nord et de l’ensemble du Moyen-Orient. La division Orient de
la station, qui comptait quatre-vingts employés, dont vingt traducteurs et
annonceurs de langue arabe, fut bientôt considérée comme la plus
importante rédaction de la radio allemande en langue étrangère2. Le
contenu diffusé était soigneusement coordonné entre le Département radiopolitique du ministère des Affaires étrangères, chargé de la propagande et le
Département IV du haut commandement de la Wehrmacht, responsable de
la propagande à l’étranger. Dans ce domaine, le ministère de la Propagande
du Reich n’avait qu’une fonction consultative3. À partir du 24 octobre
1941, la station de Berlin ajouta deux émissions quotidiennes en langue
arabe en provenance de radio Athènes. Elles étaient produites sur place par
l’équipe spéciale F (F pour Felmy, du nom de son commandant) de la
Wehrmacht. Là aussi, des Arabes étaient impliqués directement dans
l’élaboration des programmes4.
Il ne reste presque aucun élément de la première phase de la propagande
allemande dans le monde arabe. Il n’en est pas de même pour les sources
datant de la fin 1940. En décembre de cette même année, dans ce qui était
appelé « Le débat religieux hebdomadaire », le programme en arabe était
consacré à une série de litanies absurdes sur l’islam. L’émission du
5 décembre traita par exemple de la piété arabe5. Deux semaines plus tard,
le débat religieux hebdomadaire déclara : « Oh, servants de Dieu ! L’islam
vous appelle, Mahométans, il vous ordonne même de vous conduire en
frères, de faire le bien, et d’éviter le mal6. »
La publication de la « déclaration d’Arabie » du Reich allemand eut lieu
en décembre 1940. Elle constitue une étape politique importante. Dans la
Directive no 18 du 12 novembre, Hitler avait ordonné de préparer une
division blindée pour l’Afrique du Nord en raison des revers militaires de
son alliée, l’Italie7. La déclaration d’Arabie du 4 décembre jette les
fondements de la propagande pour l’intervention militaire allemande au
Moyen-Orient, encore en suspens. Dans ce document, le Reich confirme
l’« entière sympathie allemande » pour « la lutte des territoires arabes
désireux d’obtenir leur indépendance »8.
Les jours suivants, les annonceurs des programmes en arabe de RadioZeesen employèrent un ton bien plus extrémiste. Pour faire suite à la
déclaration d’Arabie, on souligna des similarités entre l’Allemagne et le
monde arabe ; les deux parties furent décrites comme des victimes des
conséquences de la Première Guerre mondiale. En outre, les Allemands
déclaraient ouvertement leur sympathie pour la révolte arabe en Palestine et
désignaient les Juifs comme responsables de l’escalade de la violence9.
Le 7 février 1941, une émission mentionna la mémoire des nombreux
Arabes qui dans plusieurs secteurs avaient été tués par les prétendus
opposants à l’islam. Parmi les « martyrs » – c’est ce terme qui fut utilisé –,
Izz al-Din al-Qassam, honoré au nom de la Palestine. C’est ce même
homme qui aujourd’hui sert d’éponyme aux groupes kamikazes terroristes
du Hamas et à leurs roquettes de fabrication artisanale. L’émission disait
que Dieu avait choisi ces hommes « pour lutter à l’épée contre les ennemis
de l’humanité, les Juifs et leurs alliés, les Anglais10 ».
Les exemples mentionnés ici témoignent pour la plupart de la transition
vers la deuxième phase de l’offensive allemande en Afrique du Nord.
Même si les chroniqueurs radio n’étaient pas impliqués directement dans la
planification de la campagne, la publication même de la Déclaration
d’Arabie indiquait clairement que la politique étrangère allemande en
Orient allait passer à la vitesse supérieure, pour devenir plus active et bien
plus concrète.
La deuxième phase : de février 1941
à novembre 1942
Avec le débarquement de l’Afrika Korps, le corps expéditionnaire
allemand en Afrique, et ses 25 000 hommes, sous le commandement du
major général Erwin Rommel en février 1941 à Tripoli, en Libye, un autre
moyen de communication de taille vint s’ajouter à la propagande de la radio
allemande11. Des tracts et des cartes postales imprimés en quantités
énormes étaient maintenant lâchés par les avions allemands au-dessus de
l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
La teneur de ce type de propagande était en partie déterminée sur place.
Comme pour les autres théâtres de bataille, un officier de liaison du
ministère des Affaires étrangères détaché auprès de la Panzerarmee-Afrika
de Rommel était chargé de la coordination avec l’armée et le département
de l’Information du ministère des Affaires étrangères à Berlin, responsable
de la propagande avec le département de la Radio-Propagande. Cet officier
de liaison – et non pas le ministère de la Propagande du Reich de Josef
Goebbels – déterminait le contenu de la propagande allemande en Afrique
du Nord. À partir de mai 1941, l’officier de liaison pour le commandement
de Rommel était Konstantin Freiherr von Neurath, fils du dernier ministre
des Affaires étrangères de la république de Weimar et premier ministre des
Affaires étrangères du Troisième Reich. D’autres représentants du ministère
des Affaires étrangères lui étaient subordonnés. Ce département disposait
également d’un organe de propagande de la Wehrmacht. Cependant, en
règle générale, les projets de textes étaient envoyés au bureau central à
Berlin pour être revus et traduits12.
À l’apogée de l’avance allemande, à la mi-novembre 1941, von Neurath
soumit à l’avis du ministère des Affaires étrangères plusieurs propositions
de tracts. Il en recommanda expressément un sur « la question raciale » qui
lui semblait convenir tout particulièrement pour être distribué en Égypte13.
Ce texte antisémite louait ouvertement les politiques nationales-socialistes à
l’encontre des Juifs :
« L’Allemagne s’est lassée de ses innombrables Juifs qui pourrissent sa
chair. » Depuis 1933 cependant, le Führer avait « fait le ménage ». Le tract
poursuit : « Le Juif emploie toujours des moyens détournés. C’est
maintenant à votre tour, fils de la nation arabe, Égyptiens, Syriens,
Irakiens ! » Dans ce qui suivait, on trouvait une explication de l’« idée
raciale » et une solution était préconisée : « Elle (l’Allemagne) reconnaît
que toute nation est donnée par Dieu, exception faite de la nation
corrompue et parasite juive. Et elle reconnaît en particulier les valeurs
ethno-nationalistes qui ont mené les nations arabes à leur grandeur. » Le
document conclut catégoriquement : « Dans tous les cas, l’Allemagne
rejette les mensonges juifs qui vous causent préjudice. Elle se tiendra à vos
côtés dans votre lutte contre les Anglais et les Juifs, animée d’une
chaleureuse sympathie et – si Dieu le veut ! – de bien plus14. »
Peu après le feu vert donné à la diffusion de cet appel, une contreoffensive britannique – l’opération Croisade – mit fin pour un temps à
l’avance allemande et ramena les troupes de l’Axe à leur point de départ.
Dans une nouvelle offensive, en février 1942, Rommel réussit à reprendre
le littoral de la Cyrénaïque orientale libyenne15.
En réaction à la réussite de l’opération militaire allemande, von Neurath
faisait part ce même printemps du climat de plus en plus antibritannique qui
régnait en Égypte. Rommel fut acclamé à plusieurs reprises lors de
manifestations de la population locale. Von Neurath recommanda d’aller
dans ce sens et d’intensifier la propagande « en ratissant large16 ». Un autre
rapport datant de la même période évoque « un véritable changement d’état
d’esprit en Égypte ». Selon le rapport, on entendait fréquemment Heil
Rommel dans les rues du Caire17.
Fin mai, les troupes allemandes et italiennes déployèrent finalement une
offensive décisive contre les Britanniques. Rommel réussit à percer
l’importante position de Gazala début juin. La prise de Tobrouk suivit le
21 juin, puis ce fut au tour de l’invasion de l’Égypte et l’avancée de
Rommel vers les lignes établies à la hâte et faiblement défendues autour de
la gare d’El-Alamein, dernière étape avant Alexandrie, la capitale
égyptienne, et le canal de Suez18.
L’avancée de la Panzerarmee-Afrika, qui dépassa tous les espoirs, fut
accompagnée d’une propagande massive de la part de l’Axe. Aux côtés des
bombes allemandes et italiennes, des tonnes de tracts, de cartes de
propagande et d’appels furent lancés sur l’Égypte, la Palestine et la Syrie
durant ces mêmes semaines. Le 25 juin, date à laquelle les troupes
allemandes traversèrent la frontière égypto-libyenne, un message de von
Neurath parvint au ministère des Affaires étrangères à Berlin : Rommel
demandait le « déploiement immédiat de la propagande active en
Égypte19 ». Le commandant de la Panzerarmee-Afrika n’eut pas à attendre
trop longtemps.
À cette date, 1 100 000 tracts de propagande avaient été préparés. Ils
furent immédiatement expédiés en Afrique pour être lancés sur les villes
d’Égypte20. Quelques jours plus tard, von Neurath informa le ministère des
Affaires étrangères que les tracts avaient bien été mis en circulation « en
grandes quantités21 ». Le 12 juillet, 760 000 tracts furent envoyés. Ils
comptaient 200 000 appels du mufti de Jérusalem et de Rashid Ali alGailani d’Iraq22. Un mois plus tard jour pour jour, le conseiller général du
Département des informations du ministère des Affaires étrangères, Walther
Wüster, fournit à ses supérieurs de nouveaux éléments pour les tracts
destinés au Moyen-Orient : ces nouveaux tracts furent tirés à 1,3 million
d’exemplaires23.
Ce matériel comprenait également un tract destiné à l’Égypte et à la
Syrie intitulé « Appel à la jeunesse arabe » visant à convaincre les jeunes
Arabes de ne pas s’engager dans l’armée britannique. Le tract disait que
l’Angleterre avait besoin de forces armées « afin de défendre sa politique
d’occupation, de colonisation et de tyrannie sous le même étendard que les
bolcheviks et les Juifs ; [l’Angleterre] cherche à vous plonger dans le
carnage pour que vous saigniez à mort et sacrifiiez votre prime
jeunesse24 ». En outre, plus de 100 000 exemplaires de cartes postales
intitulées « Les frontières du nouveau royaume sioniste » furent lancées sur
les territoires arabes. On y voyait une caricature de Chaïm Weizmann avec
Churchill et Roosevelt en face d’une carte sur laquelle étaient tracées les
frontières du futur État sioniste. Ces frontières englobaient l’ensemble de la
Transjordanie et de la Syrie ainsi qu’une grande partie de l’Irak et de
l’Arabie saoudite. Le message de ce dessin est évident : ce n’est qu’en
s’alliant à l’Allemagne que les Arabes seront à même de contrecarrer
l’intention britannique et américaine de remettre aux Juifs les territoires
arabes25. L’attitude de Rommel est sans équivoque. À noter qu’il était tenu
au courant dans les moindres détails de cette propagande et qu’il
l’approuvait26.
C’est pendant cette phase décisive que l’administration allemande tenta
de se faire une idée de l’efficacité de la propagande. Dans un rapport au
ministère des Affaires étrangères, Walter Schellenberg, le nouveau chef des
renseignements étrangers (SD) à l’Office central de la sécurité du Reich,
écrivit le 7 juillet que suite à l’avance de Rommel et à la prise de Marsa
Matruh, on constata en Égypte des réactions très positives aux tracts de
propagande allemande. Du côté des probritanniques, déclare Schellenberg,
une atmosphère générale de panique s’est installée ; les Juifs et les Grecs
quittent même Alexandrie27. Von Neurath indiqua à Berlin cinq jours plus
tard que la propagande allemande faisait réfléchir et que les masses
accueilleraient sans aucun doute à bras ouverts une invasion allemande28.
Tandis que se faisait plus concrète la perspective d’une occupation
allemande de l’ensemble de l’Égypte et d’une offensive sur la Palestine, la
propagande allemande adopta une attitude plus radicale. Le 7 juillet 1942,
au beau milieu de la première bataille d’El-Alamein, le programme en
langue arabe de Radio-Zeesen lança un appel sans équivoque au MoyenOrient. L’annonceur déclara :
« Il est du devoir des Égyptiens d’annihiler les Juifs et de détruire leurs
biens. L’Égypte ne peut pas oublier qu’ils sont la source de tous les
désastres qui se sont abattus sur les pays de l’Orient. Les Juifs ont
l’intention d’étendre leur domination à tous les pays arabes, mais leur
avenir dépend de la victoire britannique. C’est la raison pour laquelle ils
tentent de sauver l’Angleterre de sa destinée et c’est la raison pour laquelle
la Grande-Bretagne leur fournit des armes qui tuent les Arabes et sauvent
l’Empire britannique.
« Vous devez tuer les Juifs avant qu’ils ne vous tirent dessus. Tuez les
Juifs, ce sont eux qui se sont approprié vos biens et qui complotent contre
votre sécurité. Arabes de Syrie, d’Irak et de Palestine, qu’attendez-vous ?
Les Juifs ont l’intention de violer vos femmes, de tuer vos enfants et de
vous détruire. Selon l’islam, défendre sa propre vie est un devoir qui ne
peut être accompli qu’en exterminant les Juifs. Voilà une occasion
exceptionnelle de vous débarrasser de cette sale race qui a usurpé vos droits
et a amené malheur et destruction sur vos pays. Tuez les Juifs, incendiez
leurs biens, détruisez leurs commerces, annihilez ces supporters de
l’impérialisme britannique. Votre seule chance de survie est de les
exterminer avant qu’ils ne vous exterminent29. »
Difficile de formuler plus clairement un appel au meurtre de masse.
Aujourd’hui, nous savons qu’au même moment, des préparatifs pour de tels
meurtres étaient en cours du côté allemand. Un Einsatzkommando de
l’Office central de la sécurité du Reich venait juste d’être créé et deux
semaines plus tard, son commandant, le SS Obersturmbannführer
(lieutenant-colonel) Walther Rauff rencontrait le chef d’état-major de
Rommel à Tobrouk pour discuter en détail de l’utilisation de ses troupes au
Moyen-Orient. Quelques jours auparavant, la direction de la Wehrmacht
avait émis un ordre à l’intention de Rommel lui annonçant l’arrivée du
commando de Rauff et indiquant dans les grandes lignes quelle était sa
mission.
Dans un extrait clé de ce document, l’unité de Rauff était « autorisée,
dans le cadre de sa mission, à entreprendre, sous sa responsabilité, des
mesures exécutoires contre la population civile30 ». Cet énoncé et d’autres
furent tout simplement copiés du décret négocié entre la Wehrmacht et la
SS indiquant la fonction des Einsatzgruppen en Union soviétique – ce
même document qui avait servi de base au meurtre de 500 000 Juifs dans
les six premiers mois de la guerre en Europe de l’Est31.
En fin de compte, la situation militaire en Égypte s’avéra différente de
ce qu’avait anticipé la propagande allemande. Les chars de Rommel ne
réussirent pas à traverser El-Alamein et les Britanniques lancèrent leur
offensive fin octobre, percèrent les lignes allemandes et italiennes début
novembre et obligèrent les troupes de l’Axe à battre en retraite32. Il est tout
à fait probable que seul le revers militaire d’El-Alamein sauva les vies de
milliers de Juifs égyptiens et palestiniens.
La troisième phase : de novembre 1942 à mai 1943
Tandis que l’armée de Rommel battait en retraite en Égypte, les forces
américaines et britanniques, commandées par Dwight D. Eisenhower
débarquèrent sur les côtes du Maroc et en Algérie. Le lendemain, Hitler
ordonna d’établir une tête de pont autour de la capitale tunisienne33. Fin
novembre était déployé l’Einsatzkommando de l’Obersturmbannführer SS
Rauff, qui des mois auparavant avait attendu en vain que l’on fasse appel à
lui en Égypte et qu’on lui ordonne d’avancer sur la Palestine. Rauff donna
l’ordre de créer des Conseils juifs dans la capitale tunisienne et dans
d’autres villes. L’unité SS lança aussi des mesures radicales concernant le
travail obligatoire auquel des milliers de Juifs étaient désormais astreints.
Les communautés juives de Tunisie furent entièrement dépouillées de leurs
ressources financières34. Outre l’application de ces mesures antisémites,
Rauff recommanda début décembre l’intensification de la propagande
radiophonique, notamment pour « souligner plus avant l’antagonisme entre
les Arabes et les Juifs35 ».
Ces recommandations furent appliquées sans tarder. La propagande,
visant maintenant plus la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, était fortement
antisémite. « Écoutez, oh nobles Arabes ! » – c’est ainsi que débutait un
appel à la population arabe – « Libérez-vous des Anglais, des Américains et
des Juifs ! Défendez vos familles, vos biens et votre foi ! À cause des
Anglais et des Américains, les Juifs et leurs alliés sont les plus grands
ennemis de l’existence arabe et de l’islam36 ! » Au Maroc, un texte diffusé
à la radio et par tracts demandait : « Que veulent les Américains ? Ils
veulent aider les Juifs. Les Américains sont les ennemis de l’Allemagne,
elle veut vous débarrasser, vous et toutes les nations, du danger…
Marocains ! Si vous œuvrez pour l’Amérique, vous œuvrez pour les Juifs et
vous vous asservissez d’autant plus… Vous savez que vous avez des amis
puissants en la personne d’Adolf Hitler et de ses soldats… Prenez les armes
chaque fois que vous le pouvez. Frappez l’ennemi chaque fois que vous le
pouvez. Livrez-vous au sabotage37 ! »
De tels appels ne furent pas sans conséquence. Un pilote américain fut
abattu au-dessus de la Tunisie. Lors de son interrogatoire, début
janvier 1943, il indiqua que sa colonne de ravitaillement avait souvent
trouvé des pneus lacérés et des réservoirs d’essence percés. Concernant
l’attitude de la population musulmane, le prisonnier déclara que plus la
guerre se poursuivait, plus les Alliés en Afrique se voyaient confrontés à
l’imprévu problème arabe38.
Dans leur propagande, les Allemands firent amplement usage du Coran
et du symbolisme islamique. Un des textes, encadré par une Hamsa (main
de Fatima), citait une sourate des saintes écritures mahométanes et
poursuivait dans la même veine : « Ceux qui nourrissent la haine la plus
violente contre les Fidèles sont les Juifs et les idolâtres (Sourate 5 : 85). Les
Juifs et les usuriers, ils prennent ce que possèdent les Fidèles et doivent être
punis pour cela. Les Américains et les Anglais qui ont envahi le Maghreb
sont amis des Juifs ; Roosevelt et Churchill leur mangent dans la main.
Celui qui est contre les Juifs doit aussi être contre les Américains et les
Anglais39. »
Par la diffusion de leur propagande, les Allemands espéraient inciter à
la révolte contre les Américains et les Britanniques et comptaient, à dessein,
éveiller l’antisémitisme et encourager les Arabes à attaquer la minorité
juive. Les instructions allemandes pour faire circuler « des rumeurs
clandestines » au Maroc disaient assez ouvertement : « L’élément juif est
une étincelle supplémentaire pour déclencher les hostilités entre la
population et l’occupation américaine. La population indigène doit être
encouragée à [participer à des] émeutes contre les Juifs : étant donné que les
Américains devront inévitablement protéger les Juifs, le conflit souhaité
avec les indigènes sera ainsi obtenu. » La mise en œuvre d’une telle
stratégie en termes concrets était expliquée dans le document : « Incitation à
des manifestations, conflits et pogroms contre les Juifs. Appel au pillage
des entreprises juives, refus de payer des intérêts et de rembourser des prêts.
Réinstauration du mellah (ghetto) et port obligatoire des vêtements
traditionnels juifs, etc.40. »
Ces efforts portèrent leurs fruits et eurent un certain effet sur le
Maghreb. Un diplomate allemand au Maroc indiqua fin novembre 1942 :
« Sur la base des incidents qui se sont dernièrement répétés, les autorités
d’occupation à Casablanca ont ordonné le bouclage du quartier juif, le
mellah, par des moyens militaires. Cette mesure sera tout d’abord appliquée
sur une période de deux semaines. Ainsi, elle devrait éviter de nouvelles
émeutes contre les Juifs de la part de la population marocaine. » Il fut
également rapporté que l’interdiction de port d’armes par les Américains
n’était pas sans rapport avec ces émeutes antisémites41.
Tout comme l’été précédent en Égypte, les Allemands ne s’arrêtèrent
pas à la propagande antisémite radicale ; ils prônèrent des mesures pratiques
pour que les actes fassent suite aux émissions radiophoniques et aux tracts.
Outre l’établissement obligatoire des Conseils juifs, des mesures radicales
pour le travail obligatoire et le dépouillement des ressources financières des
communautés juives, mesures appliquées par les Einsatzkommandos, des
préparatifs concrets étaient en cours pour exterminer les Juifs tunisiens de
façon systématique.
Après la guerre, un officier naval allemand déclara qu’il connaissait
Rauff par son service dans la marine du Reich au début des années 1930.
Fin 1942, il le rencontra à nouveau en Tunisie dans une commission
préparatoire composée de diverses autorités d’occupation. D’après l’officier
naval, cette commission était supposée organiser la déportation en masse
des Juifs de Tunisie en Italie, par voie maritime42. Ajoutons que ce voyage
bien préparé avait certainement pour destination des centres
d’extermination en Italie, et non en Pologne. Étant donné la situation
militaire précaire de la Tunisie, le manque de moyens de transport et les
décisions prises par le commandement de l’armée suite à la situation sur le
front, ce plan de déportation fut abandonné.
Ainsi, la plupart des Juifs tunisiens survécurent à l’occupation
allemande bien que la propagande du Reich ait eu d’autres objectifs et que
des plans très concrets pour leur extermination en masse aient déjà été
amorcés. L’offensive alliée du 31 mai eut pour conséquence la capitulation
des troupes allemandes et italiennes en Tunisie. Cela signifiait la fin de la
présence allemande en Afrique du Nord43. La propagande allemande dans
le monde arabe se poursuivit, mais suite à cette défaite, elle n’avait plus
grande signification.
Résumé
Dans le cadre de l’ensemble des mesures prises durant l’intervention
militaire du Reich entre 1941 et 1943, la propagande antisémite occupait
une place de choix. Il est possible de démontrer qu’elle fut élaborée en des
termes de plus en plus radicaux et visait plus particulièrement les Juifs
d’Afrique du Nord au fur et à mesure que les options militaires des nazis se
faisaient plus concrètes. La diffusion de la haine des Juifs semblait être un
moyen prometteur d’enthousiasmer les Arabes pour la cause allemande et
ainsi, les pousser à collaborer.
La
propagande
et
les
sources
allemandes
concernant
l’Einsatzkommando SS Rauff indiquent également que l’Afrique du Nord
ne constituait pas une exception dans le comportement belligérant des
nationaux-socialistes. Là aussi, la propagande antisémite extrême du
Troisième Reich avait des intentions des plus sérieuses et visait
l’extermination des Juifs, dans le cadre de sa lutte contre les Britanniques et
les Américains.
5
Le ministère des Affaires
étrangères allemand et les Juifs
d’Algérie de 1933 à 1936 :
l’antisémitisme nazi dans
le contexte colonial1
par Eli BAR-CHEN
Introduction
Les 4 et 5 août 1934, un pogrom eut lieu à Constantine, ville d’Algérie
dont la population, principalement juive et arabe, comptait
100 000 habitants. Au cours des émeutes, vingt-trois Juifs et Juives, âgés de
4 à 60 ans, furent assassinés ; des dizaines d’autres, blessés, des magasins et
maisons appartenant à des Juifs pillés et incendiés. Les Arabes déploraient
quatre morts et une vingtaine de blessés2. Six mois après ce pogrom, des
émeutes d’une moindre ampleur3, eu égard au nombre des victimes et aux
dégâts physiques, éclatèrent également à Sétif, dans le département de
Constantine. Contrairement à cette ville à majorité juive et arabe comptant
relativement peu de colons français, une grande communauté française
vivait à Sétif. Cependant la violence de la foule arabe était dirigée contre les
Juifs. Ce n’était pas la première fois depuis la conquête de l’Algérie par la
France en 1830 que les Juifs étaient victimes d’émeutes. Lors du
soulèvement arabe contre les Français en 1871, les Arabes s’en prirent aux
Juifs, tandis que pendant l’affaire Dreyfus, ce furent les colons français qui
les attaquèrent. Pourtant, les émeutes de Constantine et de Sétif marquaient
la première confrontation d’importance entre Juifs et Arabes depuis la prise
du pouvoir par Hitler. L’importance spéciale accordée par le régime nazi à
la « question juive » amena les diplomates du ministère des Affaires
étrangères allemand en Algérie à être particulièrement attentifs à la
situation des Juifs de ce pays, avant même que ces pogroms n’eussent lieu.
Toutefois, ces derniers augmentèrent encore l’intérêt pour l’analyse de la
condition des Juifs dans la colonie française. D’autre part, après les
pogroms, les fonctionnaires allemands étudièrent la question juive dans un
contexte plus vaste. Le sujet était traité comme faisant intégralement partie
de la question du statut civil des indigènes arabes, préoccupation devenue
essentielle dans la documentation du ministère des Affaires étrangères
allemand. En conséquence, tout document traitant de ce sujet, même s’il ne
s’intéressait pas spécifiquement aux Juifs, contribue indirectement à la
compréhension de leur situation. La riche correspondance entre le consulat
général d’Allemagne en Algérie, Berlin et l’ambassade d’Allemagne à Paris
ainsi que les échanges de courrier entre le ministère des Affaires étrangères
et d’autres ministères – tels ceux de la Propagande et de l’Économie – au
sujet de l’Algérie permettent de bien retracer l’élaboration de la politique du
Troisième Reich envers les Juifs d’Algérie, depuis ses débuts au pouvoir en
1933 jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et la
fermeture des légations allemandes en France et en Algérie4.
Cet article, utilisant la documentation conservée dans les archives du
ministère des Affaires étrangères à Berlin, tente de retracer la politique
officielle de l’Allemagne nazie envers les Juifs d’Algérie durant ces années.
Il démontre comment le contexte colonial a pu influencer la politique
allemande envers les Juifs de la colonie française, à travers trois périodes
différentes. La première va de la montée au pouvoir des nazis le 30 janvier
1933 jusqu’aux émeutes de Constantine. À cette époque, l’analyse des
relations entre Juifs, Arabes et colons français amena le ministère des
Affaires étrangères à adopter une attitude passive envers les Juifs et à éviter
la diffusion de la propagande nazie et le soutien direct de facteurs
antisémites en Algérie. En effet, l’attitude des Arabes et des Français envers
les Juifs étant fondamentalement antisémite, elle n’avait nullement besoin
d’encouragements ou de soutien allemands. La deuxième période débute
pendant les émeutes de Constantine et prend fin vers le milieu de l’année
1936. Pendant cet intervalle, et en conséquence immédiate des émeutes de
Constantine, la « question juive » en Algérie fit l’objet d’un nouvel examen,
suite auquel elle tint lieu d’indicateur et de symptôme de l’ensemble des
tensions agitant les différents groupes ethniques d’Algérie, opposant
principalement les institutions et les colons français aux indigènes
musulmans et au mouvement national arabe. Les émeutes de Constantine
firent donc de la question juive le reflet des relations coloniales en Algérie
et inversement : les relations coloniales reflétaient la situation des Juifs.
Durant cette période, les Français rejetèrent sur l’ingérence de l’Allemagne
dans les affaires françaises internes la responsabilité du déferlement des
émeutes de Constantine. Le présent article tentera de démontrer comment
ces accusations amenèrent le ministre des Affaires étrangères allemand à
adopter une attitude des plus prudentes en ce qui concerne la diffusion de la
propagande antisémite ou le soutien de facteurs pronazis – arabes ou
français – en Algérie : politique déjà de mise avant les événements de
Constantine mais plus rigoureusement respectée après eux. La troisième
période commence à la seconde moitié de l’année 1936 pour prendre fin à
la veille de la Seconde Guerre mondiale. C’est là que l’on pourra constater
l’influence croissante de l’idéologie nazie sur l’analyse de la situation des
Juifs en Algérie et la disparition de l’ordre récurrent du ministère des
Affaires étrangères allemand d’éviter la propagande nazie ou les relations
avec des facteurs proallemands au sein de la colonie française. La fin de
l’article tente d’expliquer les évolutions de l’attitude envers les Juifs
d’Algérie en étudiant des mutations de personnel au sein du corps
diplomatique allemand en Algérie et en examinant l’attitude envers les Juifs
de ce pays dans le contexte de la politique des affaires étrangères
allemandes au Maroc, placé sous protectorat français.
La politique envers les Juifs d’Algérie depuis
la montée du nazisme au pouvoir jusqu’à la période
précédant les événements de Constantine
La première étude approfondie de la question juive en Algérie ne fut
pas une initiative du consulat général d’Allemagne dans ce pays mais plutôt
du ministère de la Propagande allemand qui tenta de diffuser de la
propagande antisémite dans le monde par l’intermédiaire du ministère des
Affaires étrangères allemand. Le 9 août 1933, le ministère de la Propagande
envoyait au ministère des Affaires étrangères un manuel de propagande
intitulé : « La lutte de l’Allemagne pour la culture occidentale5 »
(Deutschlands Kampf für die abendländische Kultur). Ce manuel antisémite
nazi mentionnait notamment l’influence néfaste des Juifs sur la morale et
l’esprit. Les Juifs y étaient associés au communisme et présentés comme
des exploitants capitalistes. Les statistiques et éléments visuels qui
s’ajoutaient au manuel étaient censés confirmer « objectivement » les
arguments exposés. Dans la lettre jointe à la publication, le ministère de la
Propagande se vantait de ce que « le manuel serait à présent publié en
centaines de milliers d’exemplaires et, de fait, dans toutes les langues6 », et
priait ses collègues du ministère des Affaires étrangères d’indiquer le
nombre et les langues des exemplaires à envoyer aux légations allemandes7.
À la suite de cette demande, le ministère des Affaires étrangères envoya le
25 août à toutes ses légations une copie du manuel, décrit comme une
« explication sur la question juive et [une] défense contre la diffamation
juive8 ». Les légations étaient priées d’indiquer le nombre d’exemplaires
qui leur étaient nécessaires, les langues dans lesquelles le manuel serait
diffusé dans les différents pays et, surtout, les organes allemands devaient
se prononcer sur les conséquences positives ou négatives sur les intérêts
allemands que pourrait avoir la diffusion du manuel9.
La plupart des délégations allemandes formulèrent un avis positif sur le
manuel de propagande, indiquèrent le nombre d’exemplaires et les langues
désirés et expliquèrent brièvement comment les idées du manuel serviraient
l’intérêt de l’Allemagne10. Certaines légations, notamment en Union
soviétique, émirent des réserves sur la diffusion du manuel qui établissait
un lien entre Juifs et communistes11. D’autres légations se montrèrent
réticentes, pour des raisons totalement différentes : antisémitisme et
sympathies pour l’Allemagne régnaient déjà dans le pays hôte de la légation
et la diffusion du manuel risquait d’entraîner une contre-réaction juive peu
souhaitable12. Il est important de mentionner que parmi toutes les réponses
adressées au ministère des Affaires étrangères, celle du consulat général
d’Allemagne en Algérie, datée du 27 octobre 1933, était la plus longue et la
plus détaillée, et constitue en fait le premier rapport détaillé sur la situation
des Juifs en Algérie rédigé après l’avènement de Hitler au pouvoir13. Le
consulat émettait des réserves claires quant à toute diffusion de propagande
nazie ; l’argumentation était fondée sur l’analyse des relations entre les
divers groupes ethniques – Juifs, Arabes et colons français – entre eux et
avec la métropole.
Le consulat commençait son rapport par un avertissement sous-entendu
en précisant que « l’examen de la question juive et de la défense contre la
diffamation juive en Algérie est une mission particulièrement délicate14 ».
Tout de suite après cette mise en garde, les auteurs du rapport exposaient
l’histoire des Juifs en Algérie en mentionnant qu’ils y vivaient depuis au
moins le premier siècle de l’ère chrétienne. Depuis la conquête arabe, les
Juifs vivaient dans des conditions précaires et étaient l’objet de mépris et de
haine de la part des musulmans. La conquête française, continuait le
rapport, apporta un certain soulagement, sans créer de changement
fondamental dans les conditions de vie des Juifs. Le décret Crémieux,
édicté en 1870 par le ministre de l’Intérieur de la Troisième République,
Adolphe Crémieux, également président de l’Alliance israélite universelle,
accordant d’emblée aux Juifs algériens la nationalité française, était décrit
comme marquant un tournant décisif dans la condition juive. Peu de temps
après sa publication, les Juifs mesurèrent la nature de l’opportunité qui se
présentait à eux avec la nationalité française. Ils changèrent leurs coutumes
vestimentaires, apprirent le français, sans oublier l’arabe, comprirent la
signification du droit de vote et commencèrent à jouer de leur influence
auprès du Parlement français – « le Juif […], si l’on peut dire, s’était vu
s’élever en l’espace d’une nuit d’un groupe marginal de parias persécutés et
méprisés au rang de facteur presque prépondérant sur les plans politique et
économique15 ». « Les conséquences de cette ascension imprudente et
effrénée étaient inévitables16 », ajoutait le consulat. La population indigène
arabe, qui jusqu’au décret Crémieux faisait preuve de haine et de mépris
vis-à-vis des Juifs, voyait dans leur sortie du ghetto une offense personnelle
qui ne faisait qu’aiguiser leur sentiment d’impuissance. Les auteurs du
rapport ajoutaient que le décret Crémieux avait été l’un des motifs du
soulèvement arabe contre la France, en 1871. Ce décret avait eu des
implications importantes également sur les relations des Juifs avec les
colons français. Ces derniers ayant compris que l’octroi de la nationalité
française positionnait les Juifs en tant que rivaux tenaces. La montée de
l’antisémitisme en Algérie – à laquelle prirent part les Arabes indigènes – et
les émeutes des colons français contre les Juifs, à la fin du XIXe siècle
avaient eu lieu en réaction au décret Crémieux, et bien que dissipés, leurs
motifs, dont les Juifs étaient conscients, continuaient d’exister. Sachant que
les modifications des conditions extérieures étaient susceptibles d’éveiller à
tout moment une nouvelle vague de violence contre eux, ils avaient décidé
d’éviter de traiter la question juive en public. C’est aussi ce qui les avait
incités à éviter autant que possible la provocation contre l’Allemagne. En ce
qui concernait les Juifs d’Algérie, et non le Consistoire de Paris, précisait le
consulat général d’Allemagne, ils préféraient s’abstenir d’une action
antiallemande, connaissant la haine ancestrale animant la population locale
ainsi que l’antisémitisme des colons français.
Le consulat général tirait ses conclusions quant à la diffusion de
propagande antisémite en Algérie et aux mesures à prendre pour éviter les
incitations juives à l’égard de l’Allemagne, de l’analyse des relations entre
les différents groupes ethniques. Il mentionnait qu’étant donné que les Juifs
se gardaient d’attiser ouvertement les passions contre l’Allemagne, il n’y
avait pas d’urgence à mettre en œuvre des mesures de prévention. D’autre
part, le consulat mettait en garde : une propagande antisémite diffusée
ouvertement – notamment par l’intermédiaire du manuel La Lutte de
l’Allemagne pour la culture occidentale – pourrait favoriser dans certains
milieux français le soutien des Juifs. Non pas à cause de l’affection qui leur
serait vouée mais plutôt par crainte de l’Allemagne. Le consulat préconisait
la diffusion « individuelle17 » et recommandait de laisser agir la haine
locale à l’égard des Juifs, déjà existante en Algérie.
En conséquence de son analyse de la situation des Juifs en Algérie et
contrairement à la majorité absolue des légations allemandes dans le
monde, le consulat général d’Allemagne en Algérie ne demanda à recevoir
aucune copie du manuel. Rien dans le recueil de documents concernant la
diffusion du manuel ne dévoile que le ministère des Affaires étrangères
aurait décidé d’adopter l’attitude de son délégué en Algérie. Mais la liste du
nombre d’exemplaires diffusés dans le monde laisse entendre que Berlin
accepta la position des diplomates allemands en Algérie et se garda
d’imposer la diffusion d’une propagande que ces derniers jugeaient néfaste
aux intérêts allemands. Des tableaux mentionnant le nombre et la langue
des exemplaires envoyés à chaque légation furent joints au dossier de
correspondance concernant la diffusion du manuel. Aucun de ces tableaux
ne mentionne le consulat général d’Allemagne en Algérie, claire indication
que cette propagande nazie ne parvint pas par l’intermédiaire du réseau
allemand à la colonie française18. Un autre rapport rédigé par le consulat,
portant sur « Le mouvement national chez les indigènes en Algérie19 »,
renforce cette hypothèse. Ce rapport, réalisé en réponse à un article publié
dans l’édition du soir du Journal de Cologne (Die Kölnische Zeitung) du
23 juin intitulé : « L’Algérie s’agite » (Algerien wird unruhig) soulignait
dans son sous-titre, « L’éveil du mouvement national chez les indigènes »
(Anwachen der nationalen Bewegung unter den Eingeborenen), que
l’évolution du mouvement national algérien était un facteur essentiel de
perturbation de la stabilité de la colonie française. Dans sa réponse, le
consulat abordait la situation des Juifs, entre autres sujets. Un mois environ
avant le déferlement du pogrom de Constantine, les représentants allemands
avaient signalé l’existence de tensions et d’agitation entre les populations
juive et arabe de la ville. Comme motif de détérioration des relations entre
les deux ethnies, le consulat citait des journaux arrivés d’Égypte contenant
des photos d’Allemagne. Les auteurs du rapport ne mentionnent pas
l’implication du consulat ou de toute autre institution allemande officielle
dans la diffusion de ces journaux. Ils ne font pas davantage état d’une
activité de propagande allemande en Algérie. Au contraire, les autres motifs
de l’hostilité grandissante à l’égard des Juifs, telle que décrite dans le
rapport sur le nationalisme arabe, démontrent que l’analyse de la situation
des Juifs en Algérie n’avait pas changé au cours des huit mois écoulés entre
le premier rapport sur la question juive, datant du 27 octobre 1933, et celui
du 28 juin 1934.
La partie du rapport consacrée à la tension à Constantine avant le
pogrom du 5 août n’accordait pas une grande importance à la cause
nationaliste. Cette position caractérise également l’ensemble du rapport
dans les parties qui n’abordent pas la question juive. Le rapport décrit à
deux reprises le « mécanisme » régissant l’attitude envers les Juifs
d’Algérie. Il suppose une hostilité fondamentale des Arabes envers les
Juifs, expliquée par une haine ancrée dans la tradition et par leur
changement de statut dû à la conquête française, et non résultant de la
recrudescence du mouvement nationaliste algérien. Toute tentative juive
d’inscrire la question juive à l’ordre du jour public – telle que la
mobilisation des Juifs d’Algérie pour les Juifs d’Allemagne et la campagne
expliquant les dangers du régime nazi – prend dans le cadre de cette
hostilité fondamentale l’allure d’une provocation justifiant une offensive
arabe contre les Juifs. L’antisémitisme des colons était également perçu
comme une constante des relations au sein de la colonie. À cet égard, le
consulat ne considérait pas les hostilités arabes envers les Juifs comme une
mesure antifrançaise, mais plutôt comme un acte alliant les Arabes aux
Français. Ainsi, le consulat mentionnait l’accueil favorable de la
propagande nazie par les Arabes, en réaction automatique à la diffamation
de l’Allemagne par les Juifs : « La diffamation de l’Allemagne par les Juifs
ne pouvait en aucun cas rester sans réponse : l’indigène perçoit toute
accusation (à l’encontre des Juifs) avec une grande satisfaction interne20. »
Le rapport exprime également son « étonnement quant au fait qu’à
l’exception d’événements tels que ceux de Constantine envers la majorité
établie des Juifs de sa population, aucune autre émeute d’indigènes n’avait
été signalée21 », indiquant que « de nombreux cercles de la population
française étaient unis (dans leur haine des Juifs) aux indigènes et ne les
auraient certainement pas freinés (dans leur agression des Juifs)22 ». Au
début de son rapport, le consulat décrivait comment les Arabes s’étaient
organisés pour boycotter une usine de cigarettes française. Il est étonnant
dans ce cas de constater le peu d’importance qu’accordait le consulat au
mouvement nationaliste en Algérie. Le boycott qui avait causé des
dommages importants à l’usine n’était pas interprété dans le cadre de la
lutte arabe contre le pouvoir français, mais plutôt comme une réaction arabe
aux provocations juives contre l’Allemagne, trouvant ses origines dans « le
vieil antisémitisme algérien23 ». Le rapport laissait entendre que les Arabes
avaient adopté comme modèle les modes de comportement réactifs juifs,
faisant apparemment allusion à leurs appels à la lutte contre le boycott
antijuif en Allemagne et à l’organisation du boycott des marchandises
allemandes en Afrique du Nord. En réaction à des rumeurs, que le consulat
définissait comme « pure invention24 », selon lesquelles l’usine aurait
licencié des employés arabes pour embaucher des réfugiés juifs
d’Allemagne, les Arabes décidèrent de s’abstenir de fumer des cigarettes
fabriquées dans l’usine française.
Après les émeutes de Constantine, l’analyse de la situation des Juifs
d’Algérie par les diplomates allemands fut entièrement revisitée. Les
pogroms dévoilaient clairement le lien entre la situation des Juifs et le
nationalisme algérien qui occupait une place d’honneur dans la
correspondance du consulat général d’Allemagne en Algérie et son
ministère des Affaires étrangères. Les sources allemandes rapportant les
émeutes et analysant leur signification quand le calme fut revenu laissent la
place à un paradigme nouveau dans la compréhension de la question juive.
En d’autres termes : les événements de Constantine constituèrent un
tournant dans la politique étrangère de l’Allemagne en Algérie.
Nouveau modèle de l’analyse de la question juive
en Algérie après les émeutes de Constantine
Moins d’une semaine après le pogrom des Juifs de Constantine, le
consulat général d’Allemagne en Algérie rédigeait un compte rendu détaillé
de huit pages divisé en quatre sections25. Ses premières lignes laissent déjà
entendre que les diplomates allemands considéraient que les émeutes
dépassaient largement la question des relations entre Juifs et Arabes : « Les
émeutes qui ont eu lieu la semaine dernière à Constantine, capitale de l’Est
algérien dont la population s’élève à 100 000 habitants, comportent une
signification symptomatique plus lourde que celle que la censure des
fonctionnaires (français) ont bien voulu lui accorder26. » Toutefois, les
auteurs du rapport précisent que la confusion engendrée par les rumeurs et
la diffusion d’informations tendancieuses rendaient difficile la
compréhension de la signification politique des événements avant la fin de
l’enquête officielle. La première section du rapport – les faits – décrit la
structure de la population de Constantine et fait état d’une majorité
démographique arabe au sein de laquelle vit une minorité juive occupant
des fonctions clés dans la vie économique ainsi que d’une présence
française insignifiante. D’autre part, le rapport remarque qu’en ville, le
nationalisme arabe est un mouvement particulièrement développé.
Jusqu’aux émeutes de Constantine, le consulat d’Allemagne n’accordait pas
une importance fondamentale à ce fait dans le contexte des relations en
Algérie. Après avoir exposé le motif direct du déclenchement des émeutes –
offense faite par un soldat juif à un groupe de fidèles musulmans lors de la
prière du jeudi –, on mentionne le fait que les émeutiers ne s’en sont pas
pris aux Français. La section suivante traite des mesures prises par les
autorités au cours du pogrom. Le rapport mentionne l’impuissance des
autorités françaises qui, pour calmer les esprits, avaient donné ordre aux
forces de sécurité de ne pas intervenir violemment. Les deux blindés dont
les forces de Constantine disposaient et qui auraient suffi à rapidement
ramener l’ordre n’avaient pas été utilisés. C’est ainsi que ceux qui étaient
chargés de la sécurité observèrent le massacre des Juifs sans lever le petit
doigt. Le consulat sous-entend que la raison de ce comportement provenait
de la composition ethnique des forces de sécurité françaises à Constantine,
représentatives de la structure démographique de l’Algérie. Armée et police
confondues, elles étaient composées en majeure partie d’Arabes et de Juifs.
Craignant que des soldats ou agents de police arabes n’aient à tirer sur des
coreligionnaires, le commandement français s’opposa dès le début des
émeutes à l’emploi de la force. La troisième section résume brièvement
l’explication française officielle des émeutes. Les émeutes étaient de
caractère local, ne s’étendant pas au-delà de Constantine. Les motifs
avancés étaient la « bêtise » du soldat juif et la réaction fanatico-religieuse
des musulmans. La section précisait que les émeutes n’étaient pas dirigées
contre les Français. De plus, il était souligné que certains avis français
établissaient un lien entre les émeutes et une intervention allemande
extérieure, attitude qui, comme nous le verrons plus loin, influença
grandement la politique allemande en Algérie. « On ne peut pas dire que
cette description officielle ait convaincu la population algérienne. Les
émeutes avaient été trop graves27. » C’est dans ces termes que le consulat
exprimait ses doutes quant aux explications fournies par la France avant
d’exposer aux supérieurs de Berlin, dans une quatrième section, « les
profonds (motifs) souterrains » des émeutes. Cette partie du compte rendu
en dit long sur l’analyse de la question juive en Algérie par les diplomates
allemands.
L’explication des émeutes revient sur l’impact du décret Crémieux sur
l’évolution des relations entre Juifs et Arabes et sur l’hostilité croissante de
ces derniers à l’égard de la communauté juive. Tandis que quelques mois
avant les émeutes de Constantine, le décret Crémieux occupait une place
centrale dans l’analyse de l’attitude envers les Juifs d’Algérie, après cellesci, les diplomates allemands avertissaient « qu’il ne fallait surtout pas
ignorer les raisons plus profondes. En attaquant les Juifs, les musulmans
voulaient certainement s’en prendre aux Français bien qu’ils comptassent
sur le soutien silencieux de certains Français d’Algérie, pas seulement de la
ville de Constantine, parmi lesquels régnait un antisémitisme notoire28 ».
Parmi les raisons profondes de l’hostilité arabe à l’égard des Français, le
consulat citait l’assurance grandissante qu’avaient acquise les Arabes après
la Première Guerre mondiale. L’éducation française, les études en France,
l’intégration d’Arabes dans les rangs des forces de sécurité et la satisfaction
des revendications salariales des employés n’avaient pas débouché, comme
l’avaient espéré les Français, sur l’assimilation des Arabes dans la culture
française. Bien au contraire. Toutes ces mesures avaient contribué à
approfondir la différence entre eux et les occupants français – différence
amplifiée notamment par la montée en puissance du nationalisme dans
d’autres pays arabes – et avaient encouragé une vague de nouvelles
revendications. Dans les périodes de crise économique telles que celle qui
frappait l’Algérie au début des années 1930, affectant particulièrement la
région de Constantine, cela engendra un déferlement de violence dont les
Juifs furent victimes, bien qu’il visât principalement les Français.
La sympathie des Arabes à l’égard des Allemands fut également
interprétée dans ce sens. Elle provenait du fait que le Troisième Reich était
perçu comme l’ennemi des Français et par là, proche des aspirations des
Arabes de la colonie française.
Ainsi, les émeutes de Constantine conduisirent la diplomatie allemande
à procéder à une nouvelle évaluation de la situation des Juifs en Algérie. On
ne considérait plus leur attitude comme découlant de la traditionnelle haine
arabe, comme une conséquence du décret Crémieux ou de l’antisémitisme
français. Ces facteurs étaient définis comme marginaux dans le cadre d’un
conflit beaucoup plus large opposant la France et la population arabe et
dans lequel intervenaient « en bloc des questions d’ordre économique,
social et politique29 ». Le pogrom du 5 août fit de la question juive
l’indicateur des relations au sein de la colonie française et vice versa :
l’ensemble des relations en Algérie se reflétaient dans la situation des Juifs.
Cette perception des choses apparaît explicitement dans le rapport du
consulat général du 30 août 1934, adressé au ministère des Affaires
étrangères30. Cette étude de la question juive dépasse les rapports
précédents envoyés d’Alger à Berlin, sur le plan du volume et des détails.
Le rapport revient sur la description des relations traditionnelles entre Juifs
et Arabes et sur le poids du décret Crémieux. Mais il ajoute entre autres des
informations sur le développement démographique de la communauté juive
en Algérie, le taux de mariages mixtes après le décret Crémieux, la part des
Juifs dans l’économie du pays ou le refus des Français d’étendre le décret
Crémieux au Maroc et à la Tunisie. L’étude rappelle l’antisémitisme
français et décrit les différents mouvements antisémites. Là aussi, comme
dans le rapport du 11 août, la question juive est examinée dans la
perspective élargie des relations dans la colonie – comme en témoigne son
titre « Le problème Juif algérien dans le cadre de la politique colonialiste
française ». Cette approche est clairement indiquée dès l’introduction, qui
d’emblée fait état de la particularité du pogrom du 5 août : « Avec les
émeutes de Constantine, la question juive en Algérie prend une véritable
dimension politique. Les déclarations communes de sympathie et solidarité
émanant de Juifs et d’Arabes dans plusieurs régions du pays témoignent de
l’importance qu’accordent les leaders de certains milieux à cette source de
danger. Les appels au soutien de la France lancés par certains insurgés
arabes ne trompent pas les milieux dominant l’opinion quant à la
signification lourde de sens de la colère grondante de la foule arabe. […]
Ainsi, la question juive se pose (pour les Français) en baromètre du prestige
de la France aux yeux des indigènes. D’autre part, on ne peut ignorer
l’antisémitisme de la population française, même s’il existe surtout sous une
forme dissimulée et retenue31. » Les diplomates allemands en Algérie
avaient entièrement cerné la dynamique des relations triangulaires ArabesJuifs-Français et toute la gravité du fait que l’attitude des Arabes envers les
Juifs était l’indication, le baromètre de leur opposition au gouvernement
français. Ils décrivent comme trompeuse la confiance affichée par des
hommes politiques juifs socialistes et marxistes : « s’ils croient
sérieusement que le judaïsme ne sera pas la première victime de
l’insurrection arabe32… » et exposent clairement à leurs supérieurs
berlinois l’équation suivante : « Tout soulèvement arabe contre la France
impliquera toujours nécessairement une atteinte aux Juifs. »
La nouvelle approche à l’égard de la question juive en Algérie n’était
pas un phénomène éphémère appelé à se dissiper une fois le calme revenu à
Constantine, mais un mode de pensée nouveau qui devait s’ancrer dans les
rangs de la diplomatie allemande. Le rapport politique annuel sur l’Algérie
pour 1934 faisait état des émeutes de Constantine dont les résultats « sont et
ont été impressionnants ». Mais l’explication de l’origine des événements
ne mentionne pas l’antisémitisme arabe traditionnel ou le décret Crémieux.
Les émeutes sont décrites comme « une réussite arabe face aux Juifs et en
fin de compte face aux Français. L’échec des institutions françaises a eu un
effet psychologique notoire et a entamé l’image de marque de la France33 ».
Cette attitude nouvelle se refléta dans la description des faits ainsi que dans
l’interprétation d’une nouvelle vague de violences et du déroulement de
certains événements jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Six mois environ
après les émeutes de Constantine, le 1er février 1935, des émeutes
sanglantes agitèrent Sétif. Elles firent l’objet d’un rapport détaillé que le
consulat d’Allemagne envoya à Berlin quatre jours plus tard34. Le rapport
débute par la cause directe de cette vague de violence, non liée aux
Juifs. Lors d’un affrontement, un policier français tire sur un zouave ivre,
engagé dans les forces de sécurité algériennes. Civils et militaires arabes
déchaînés poursuivent le policier jusqu’au commissariat, où ils le lynchent
et blessent ses collègues. Dès son début, le rapport souligne l’origine
ethnique du policier (français), qui a tiré une balle sur un soldat ivre (arabe)
et de la foule de civils et militaires arabes qui s’en prennent à l’un des
symboles les plus évidents du pouvoir français (le commissariat). D’emblée
cette présentation des faits indique que les motifs des émeutes dépassent
largement un simple affrontement entre un représentant de la loi et un
délinquant et se rapportent au conflit, de caractère national et
communautaire, avec les autorités. Les Arabes donnent à cette occasion
libre cours à leur colère envers les policiers mais également remettent en
question la légitimité des représentants de l’ordre français.
Après la description de l’attaque du commissariat, le compte rendu
évoque une rumeur rapportant que le policier était juif. Cela entraîna les
émeutiers à s’en prendre à la communauté juive en attaquant des passants
ou en pillant des commerces juifs. Si au début la police fit preuve
d’impuissance, elle parvint en fin de journée à ramener l’ordre avec l’aide
de militaires français. Le décompte des victimes – sur ce point, le rapport se
fonde sur le journal français La Dépêche algérienne et non sur les rumeurs
qui faisaient état de chiffres plus élevés – se monte à deux morts, cinq
blessés, dont trois policiers, cinq commerces et un appartement saccagés.
La description de l’agression des Juifs situe celle-ci comme s’inscrivant
dans le cadre de l’insurrection arabe contre le pouvoir français.
Contrairement aux rapports allemands concernant les émeutes de
Constantine, l’antisémitisme traditionnel ou le changement de statut des
Juifs suite au décret Crémieux ne sont pas mentionnés comme une
explication plausible des attaques. En revanche, le rapport précise que ce
sont des soldats « français » qui ont protégé les Juifs, et non pas des soldats
« tout court », parmi lesquels auraient pu se trouver des musulmans.
Indirectement, le document établit un rapport clair entre l’insurrection arabe
contre les Français et l’attaque des Juifs, entre la protection des Juifs
assurée par les autorités françaises et la protection du pouvoir français face
aux Arabes le remettant en question.
Cette relation est immédiatement confirmée par la suite du rapport, qui
souligne l’inquiétude régnant dans les milieux français et mentionne :
« Sétif est tout de même une des villes principales de la région de
Constantine avec 37 000 habitants, dont 9 000 Européens, siège d’un
commandement de brigade et d’un aéroport […]. L’inquiétude (des
Français) provient surtout du fait que plus de 300 soldats (arabes)
collaborèrent avec les émeutiers et qu’une patrouille passa dans l’autre
camp pour participer, avec renfort d’armes, à l’attaque du commissariat en
s’opposant à toute tentative de négociation35. » Les doutes des Français
quant à la loyauté des zouaves arabes s’expriment à travers l’exigence
formulée par le maire de Sétif (Morinaud) et par certains militaires de
remplacer les soldats arabes, recrutés en Afrique noire par des forces
françaises. La violence à Sétif, bien que dirigée contre les Juifs, créa un
climat d’inquiétude au sein de la population française. Le consulat
mentionne « l’antisémitisme de la population européenne de Sétif », mais
l’agression des Juifs – « plus d’un tiers de la population (européenne) – fut
interprétée par les Français comme dirigée principalement contre euxmêmes. Les joyeuses réactions à l’annonce de centaines de victimes arabes
expriment fondamentalement les sentiments de la population française en
Algérie36 ».
La description de la réaction des autorités françaises, qui, face aux
attaques des Juifs, s’étaient vues dans la nécessité de s’engager dans une
nouvelle voie sur la question des indigènes arabes37, reflète la volonté des
diplomates allemands d’atténuer la distinction entre attaque des Juifs par les
Arabes et contestation du pouvoir français par des nationalistes arabes ainsi
que celle d’intégrer la question juive à celle des relations entre Européens et
Arabes. C’est ce que démontre un rapport détaillé de dix pages portant sur
« La création d’une commission pour l’Afrique du Nord et la situation
politique en Algérie » daté du 25 février 1935, dans lequel le consulat
analyse la condition des Juifs en Algérie à la lumière des événements de
Constantine et Sétif38. Ces deux émeutes étaient dirigées contre les Juifs.
Néanmoins, la question juive n’y est presque pas abordée et les Juifs y sont
mentionnés une fois, au sujet de leur tendance à exagérer le poids de
l’armée dans les émeutes de Sétif. Par contre, le rapport traite de sujets tels
que l’évolution du nationalisme arabe, la politique française envers les
indigènes, la conjoncture économique, la presse, les mesures de sécurité
prises suite aux émeutes et la visite en Algérie du ministre de l’Intérieur
français. Un autre compte rendu, encore plus fourni (14 pages), rédigé à
l’occasion de cette visite, envoyé vingt jours plus tard à Berlin, ne fait
qu’une seule et brève allusion aux Juifs39. Il comprend deux paragraphes
sur « l’attitude des Juifs » qui traitent surtout de la question des relations
entre les différentes ethnies de la colonie. Les diplomates allemands
décrivent succinctement la protestation des Juifs à l’égard de
l’antisémitisme des milieux de droite français, mais font surtout état de leur
opposition à l’octroi d’un plus grand nombre de droits aux Arabes et
mettent en garde contre une propagande qui « dans ce pays de races et
religions différentes40 » serait particulièrement dangereuse. L’attitude
envers la question juive en Algérie comme faisant partie de l’ensemble des
relations au sein de la colonie, et non comme un phénomène distinct, resta
inchangée, même lorsque les diplomates allemands discernèrent les signes
d’un antisémitisme croissant. Le 26 février 1936, le consulat général
d’Allemagne envoyait à Berlin un bref rapport au titre évocateur : « Le
problème juif en Algérie dans le cadre de la politique colonialiste
française41 ». Le document commence par établir que l’antisémitisme s’est
renforcé en Algérie, particulièrement au sein de la société française, dans le
contexte de la crise économique et de l’éternelle concurrence avec les Juifs.
Mais selon le rapport, cet antisémitisme reste latent et non exprimé lors de
débats publics sur le sujet dans le cadre « du désir général d’éviter des sousentendus raciaux dans ce pays colonialiste42 ». Pour le rapport, si les propos
antisémites sont limités aux entretiens privés, c’est aussi à cause de
l’affaiblissement du mouvement antisémite des Croix-de-Feu et de l’attente
de la montée en force de la gauche en Algérie.
Les débats du Sénat français sur les émeutes mettent en évidence la
fusion presque absolue de la question juive avec celle du statut civil de la
population arabe en Algérie et la recrudescence du mouvement nationaliste
arabe. L’agence de presse Deutsches Nachrichtenbüro, qui suivait de près
le déroulement de ces débats, en informa le consulat général d’Allemagne
en Algérie. Il est important de noter qu’aucun de ces comptes rendus
n’évoque, ne serait-ce qu’une fois, les Juifs victimes des émeutes. Dans le
premier briefing du 21 mars 1935, il est fait état de la position du sénateur
Violette, ancien gouverneur d’Algérie, qui avait vivement critiqué la
politique française envers la population arabe43. Pour lui, la raison
principale des émeutes était le refus du statut de « sujets » par les Arabes
qui désiraient devenir citoyens. Il s’opposait à l’idée de créer deux
organismes représentatifs en Algérie, l’un pour les Arabes et l’autre pour
les Français, craignant la formation d’une minorité au sein de la France. Il
conseillait plutôt d’accorder la nationalité française à 500 ou 600 Arabes
ainsi qu’aux officiers et sous-officiers arabes servant dans les rangs de
l’armée française, aux Arabes décorés de guerre, aux bacheliers et à
quelques commerçants et paysans arabes. Violette finissait son discours en
exigeant « que la France en termine avec ses préjugés raciaux44 ». Une
autre mise à jour de l’agence de presse allemande, datant du 22 mars 1935,
prouve que Violette avait aussi proposé d’octroyer aux Arabes une certaine
autonomie juridique en ce qui concernait la vie de famille et que ce fut
justement à ce sujet qu’il fut critiqué. Ses opposants refusaient l’idée
« qu’un juge arabe ayant quatre femmes inculpe de bigamie un citoyen
français45 » et la possibilité de la coexistence de deux systèmes de normes
légales pour deux groupes ethniques différents. Tandis que l’ancien
gouverneur plaçait les émeutes qui avaient agité la colonie dans un contexte
ethnique et juridique, le bureau de presse allemand soulignait que les
opposants à la naturalisation des Arabes au Sénat attribuaient aux émeutes
sanglantes des causes extérieures et évoquaient le communisme et les
interventions allemandes susceptibles de provoquer de l’agitation parmi les
Arabes. Cette explication fut avancée immédiatement après les émeutes
mais elle donnait à la question juive en Algérie une autre dimension.
Comme en témoigne le consulat général d’Allemagne, ses appréciations
sur la question juive reflètent celles du pouvoir français46. En effet, le fait
que les émeutes de Constantine soient perçues comme le « baromètre »,
pour reprendre le terme des Allemands, des relations au sein de la colonie et
que l’attaque de Juifs ait été interprétée comme une atteinte au prestige de
la France a eu son influence sur la politique française en Algérie. Dans ce
contexte, toute approche de la question juive ou toute action revêtait une
signification plus lourde. Il s’agissait d’ingérence dans les affaires internes
de la France et de remise en question de sa souveraineté en Algérie. En
d’autres termes, les émeutes de Constantine avaient transformé la question
juive en « baromètre » des relations entre les Français et les Allemands en
Algérie. Le ministère des Affaires étrangères allemand et le consulat en
Algérie étaient conscients de cette nouvelle signification et suivaient de
près et avec attention les mesures des Français après les émeutes, surtout
suite aux accusations formulées contre l’Allemagne, à laquelle il était
reproché d’agiter les esprits en Algérie.
Déjà, dans son premier compte rendu détaillé du 11 août, la mission
diplomatique prévenait ses correspondants berlinois des reproches sousjacents à l’égard des Allemands, tels que publiés par L’Écho d’Alger du
7 août, au sujet des tentatives d’incitation de la population d’Afrique du
Nord contre la France, en établissant un rapport entre le déferlement des
émeutes de Constantine et les activités allemandes47. Ces accusations, qui
commençaient à se répandre parmi les communautés juives dans le monde,
entraînèrent leur mobilisation contre l’Allemagne et en faveur des Juifs
d’Algérie48. Un rapport du consulat allemand datant du 30 août 193449 fait
brièvement état de ces accusations. Près d’un mois plus tard, le
24 septembre 1934, le consulat général d’Allemagne à Alger envoyait son
premier rapport détaillé sur « Le manque de confiance algérien à l’égard
d’une éventuelle ingérence allemande dans la politique à l’égard des
indigènes » qui expliquait pourquoi les Allemands étaient accusés du
déclenchement des émeutes50.
Selon ce document, l’hostilité à l’égard des Allemands était
profondément enracinée pour des raisons historiques antérieures à la
Première Guerre mondiale. On trouvait couramment dans la littérature
française d’Algérie et dans tous les milieux la tendance à accuser
l’Allemagne de tous les maux de la colonie française ; même parmi ceux
qui s’inquiétaient de l’annexion de l’Algérie par la France. La haine des
Allemands parmi les Français d’Algérie ne fit que croître avec la Première
Guerre mondiale et reprit de plus belle avec les émeutes de Constantine.
Elle fut aussi présentée comme un refus français de reconnaître l’échec de
la politique française envers les Arabes et d’admettre l’idéologie raciale
nazie. Ainsi, « on peut constater que toute mesure et marque de sympathie
germano-arabe affecte les sentiments nationaux français51 », signalent les
auteurs du rapport et ils ajoutent : « Derrière toute provocation arabe, le
Français d’Algérie a tendance à supposer une influence allemande. La
politique française, commençant par l’assimilation, puis par une
collaboration entre les races en Algérie est gênée par l’idée que “les
principes de la politique raciale allemande” puissent trouver écho sur cette
terre52. » Pour étayer l’hypothèse que l’hostilité envers l’Allemagne
provient du désir de la tenir pour responsable de l’échec des Français, le
consulat mentionne les réserves émises par le quotidien La Dépêche
algérienne, qui avait osé s’opposer au point de vue selon lequel l’Algérie
était envahie par « un océan d’agents allemands53 ». Le rapport fait
également état de l’avis des Juifs, exprimé lors d’entretiens avec des
hommes d’affaires allemands et la presse juive. Les auteurs du rapport
décrivent le pessimisme et l’inquiétude croissante des Juifs après les
émeutes et rapportent que, pour eux, ils résultaient de « l’exportation de la
propagande hitlérienne54 ». Le rapport mentionne aussi les propos de la
revue Le Réveil juif, classée comme insignifiante et selon lesquels « même
si l’Allemagne n’en a pas été le principal organisateur, c’est à elle que
revient l’initiative du massacre de Constantine55 ». Le rapport cite
également l’article d’un écrivain juif algérien, socialisant, dont le nom n’est
pas mentionné, qui, dans un article publié dans une revue anonyme, « va
plus loin56 » en accusant le parti nazi d’incitation antisémite et
antifrançaise57.
Néanmoins, le consulat estimait qu’en Algérie ce genre d’accusations
formulées par des Français et des Juifs resteraient modérées « pour ne pas
donner à la métropole (la France), à laquelle aucune bonne intention n’est
prêtée vis-à-vis de l’Algérie ni quant à son désir de lui venir en aide,
l’occasion de se décharger à l’aide d’un slogan trop facile (faire porter à
l’Allemagne la responsabilité des maux de l’Algérie) de la nécessité de
trouver une solution aux problèmes économiques de l’Algérie et de lui
permettre de s’en tenir au renforcement de ses forces militaires58 ».
Toutefois, il semble que les estimations du consulat étaient optimistes. Le
11 janvier 1935, le consulat général d’Allemagne rapportait que l’article
intitulé « L’offensive en Afrique du Nord », paru en décembre dans le
numéro 12 de L’Afrique française, abordait à nouveau, après une
interruption temporaire, la question du « danger allemand » en Afrique du
Nord, « dans des dimensions qui n’étaient pas prévisibles jusqu’alors59 ».
Le consulat avertit que « vu le prestige dont jouit cet organe des milieux
colonialistes français, il est à supposer que (l’article) ne sera pas sans
influence sur l’opinion algérienne60 ». L’article lui-même faisait allusion à
l’emplacement stratégique du siège du consulat et aux relations entre
Allemands et organismes arabes antifrançais, tels que « Al Ouma ».
Surtout, l’article exigeait de redoubler la surveillance d’éléments
antifrançais en Afrique du Nord, en provenance d’Allemagne. De plus, le
consulat faisait brièvement mention du courrier d’un lecteur de La Presse
libre décrivant une grande opération de transfert d’armes et d’argent au
leader des Arabes de Constantine.
Les sources du ministère des Affaires étrangères allemand ne disent pas
si la publication dans L’Afrique française fut faite en coordination avec des
institutions officielles françaises. Toutefois, deux semaines environ après
l’appel à une surveillance plus étroite des activités allemandes en Afrique
du Nord, le Journal officiel de l’Algérie publiait dans le numéro 4 du
25 janvier 1935 un décret du gouverneur général de France, en date du
11 janvier, concernant « la création du service actif des recherches
administratives, sociales et économiques » au sein de la direction de la
Défense générale, rattaché au bureau du gouverneur. Tous les départements
de la gouvernance devaient rendre compte à ce nouvel organisme central,
qui jouissait de prérogatives opérationnelles illimitées. Il était chargé de la
surveillance des mouvements sociaux, des étrangers et des personnes
suspectes de propagande antifrançaise, parmi les colons européens et les
indigènes et de tout ce qui concernait l’ordre public61. En commentant ces
nouvelles mesures, le consulat allemand établit que « trois groupes sont
désormais placés sous contrôle de la nouvelle institution : leaders religieux
(ulémas), hommes politiques musulmans et milieux français d’extrême
gauche62 ». Bien que l’annonce officielle de la création du service se garde
de mentionner les Allemands comme suspectés de diffuser la propagande
antifrançaise, les propos des politiciens français confirmaient l’hypothèse
du consulat allemand qui avançait qu’il s’agissait « sans aucun doute »
d’Allemands et que les décideurs à Paris estimaient que des directives
allemandes étaient à l’origine des événements de Sétif et Constantine. Dans
un mémo adressé à l’ambassade d’Allemagne à Paris, le consulat rapportait
la position du ministre de l’Intérieur – chargé des affaires coloniales – au
cours de sa visite en Algérie, suite aux émeutes. Dans une conférence de
presse, le 4 mars 1935, il déclarait : « On ne peut dénier que des forces
étrangères essaient de créer un nouveau climat d’insurrection. On ne peut
dénier que certaines de ces forces sont animées par des forces étrangères
qui essaient de provoquer des émeutes dans ce beau pays63. » De plus, on
mentionnait que le parti radical, dont le ministre était proche, lui avait
transmis un document reprenant la même accusation et que la Chambre
agricole en Algérie avait présenté des preuves d’une activité de propagande
étrangère en Algérie. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les
accusations à l’égard de la responsabilité de l’Allemagne dans les émeutes
avaient dépassé les frontières de l’Algérie. Cette accusation fut à nouveau
émise lors des débats du Sénat le 22 mars 1935 et faisait part du discours
parlementaire et public en France, si bien que le ministère des Affaires
étrangères allemand se trouva dans la nécessité d’expliquer pourquoi les
Français avaient choisi d’accuser l’Allemagne et de décider quelle serait la
réaction allemande officielle à ces accusations.
Un mémo du ministère des Affaires étrangères allemand, adressé à
l’ambassade allemande à Paris et à son consulat en Algérie, explique pour
la première fois pourquoi la France accuse les Allemands d’avoir provoqué
les émeutes64. Selon ce document, la France, comme toute autre puissance
coloniale (le mémo compare le pouvoir français en Algérie au pouvoir
britannique aux Indes), a été confrontée à la difficulté d’appliquer les
mêmes normes à des races différentes. En faisant de l’Allemagne un bouc
émissaire, par l’intermédiaire de la presse française et à l’aide de certains
sénateurs, en l’accusant sans fondement de soutenir le mouvement panarabe
et de diffuser de la propagande destinée à ébranler les relations
intercommunautaires au sein de la colonie, la France tentait, selon le
ministère allemand, d’expliquer les difficultés qui étaient de fait le lot de
tout pouvoir colonialiste en général et les échecs du pouvoir français en
Algérie en particulier. Une lettre du ministère des Affaires étrangères
allemand adressée à son ambassade à Paris, une semaine après le débat au
Sénat, laisse entendre que la réaction officielle allemande avait fait l’objet
d’un dilemme65. D’une part, la diplomatie allemande se refusait « à faire
des propos de quelques parlementaires un sujet de controverse officielle
(entre les deux pays)66 ». D’autre part, le ministère des Affaires étrangères
craignait qu’en les ignorant, des accusations qui selon sa propre définition
« n’avaient ni queue ni tête » et qui étaient systématiquement diffusées dans
la presse française en Afrique du Nord, soient susceptibles de devenir à
long terme néfastes aux intérêts allemands dans cette région. L’ambassade à
Paris était donc priée de demander au consulat général en Algérie de faire
part au ministère des Affaires étrangères français de son étonnement quant
aux propos des sénateurs. Il incombait également à l’ambassade de formuler
une protestation à l’encontre du ministère des Affaires étrangères français67.
Dans un entretien du 2 août 1935, le diplomate allemand Forster faisait part
à son homologue français, Saint-Quentin, de son mécontentement au sujet
des accusations formulées par la presse française à l’égard de l’Allemagne
quant à sa responsabilité dans le déclenchement des émeutes en Algérie et
demandait au ministère français d’intervenir pour prévenir de tels propos à
l’avenir68. Mais la contestation allemande fut inutile. Le diplomate français
expliqua à Forster que la France avait le sentiment que certains milieux
allemands avaient tendance à diffuser en Afrique du Nord une propagande
desservant les intérêts allemands69. Lorsque Forster demanda à SaintQuentin si le ministère avait reçu des plaintes concrètes concernant la
diffusion de propagande allemande en Algérie, le diplomate français
répondit que, d’une manière générale, les émeutiers arabes avaient avancé à
plusieurs occasions « qu’ils pouvaient compter sur les Allemands70 ».
La méfiance à l’égard des Allemands et leur surveillance ne restèrent
pas à l’état de déclarations. Le 23 avril, la police française arrêtait trois
anthropologues suisses, en mission de recherche dans le Sud algérien, les
accusant d’espionnage pour l’Allemagne. Les trois chercheurs furent
transférés à Marseille pour compléter leur interrogatoire71. La presse
française s’empara de l’affaire et rapporta l’incident en détail, présentant les
suspects comme citoyens allemands et non suisses : ce fait fut souligné par
le consulat allemand en Algérie. Dans le même contexte, la presse décrit
l’arrestation d’un Allemand, propriétaire d’un restaurant à Oran, accusé de
servir des boissons alcoolisées illégales à des légionnaires français et de
recel d’armes et munitions72. Moins d’un mois après son arrestation, il était
expulsé du territoire, ainsi que sa famille73. Les Français commencèrent
également à limiter les déplacements des citoyens allemands, à faire preuve
de méfiance à l’égard d’activités culturelles allemandes telles qu’un
spectacle donné par des danseuses allemandes74, et à surveiller de plus près
la colonie allemande en Algérie, constituée majoritairement d’anciens
soldats allemands de la Légion étrangère75, ainsi que ses relations avec le
consulat d’Allemagne76. Ces mesures ainsi que le climat général
antiallemand en Algérie amenèrent le ministère des Affaires étrangères
allemand à redoubler de prudence, notamment en cherchant à éviter la
diffusion de la propagande antisémite nazie.
Le 17 août 1935, un an environ après le déclenchement des émeutes de
Constantine, le consulat général rédigea un rapport sur la diffusion
d’imprimés (Druckschriften) allemands en Algérie, à l’intention de
l’ambassade d’Allemagne à Paris77. La rédaction de ce rapport était
motivée par la confiscation de 80 exemplaires d’un discours de Hitler au
Reichstag, envoyés par une société allemande (le nom n’est pas mentionné)
à un éminent homme d’affaires français qui la représentait en Algérie.
Malgré les protestations de ce dernier, la police insista pour affirmer qu’« il
s’agit de propagande interdite ». Suite à cet incident, le consulat général
d’Allemagne demandait à l’ambassade à Paris de prier les sociétés
allemandes actives en Algérie de faire preuve de prudence dans leurs envois
d’imprimés à des destinataires en Algérie et « dans la mesure du possible
[de] laisser cette activité aux consulats (allemands) et aux antennes du parti
(nazi), rompus aux mœurs locales78 ». Le consulat qualifiait également des
cas de diffusion de documents antisémites parmi les commerçants juifs, par
des sociétés allemandes, de diffusion non contrôlée et inutile de la
propagande allemande. Toutefois, le désir d’éviter une diffusion incontrôlée
de la propagande était motivé davantage par la crainte de la réaction
française que par les erreurs qu’auraient pu commettre certains organismes
allemands privés. Selon le consulat, l’envoi de documentation antisémite
allemande à l’intention de commerçants arabes ne pouvait qu’étayer les
accusations des Français, voire amener à l’expulsion des Allemands
d’Algérie ; cela même sans mentionner la propagande comme chef
d’accusation79 justifiant l’expulsion. L’ambassade d’Allemagne à Paris
envoya le rapport du consulat d’Algérie au ministère des Affaires
étrangères allemand et ajouta qu’elle « soutenait vivement les
recommandations (du consulat) quant à la prudence exigée des entreprises
allemandes lors d’envois d’imprimés en Afrique du Nord80 ». Le ministère
des Affaires étrangères ne resta pas indifférent aux estimations de ses
représentants à Alger et Paris et, le 23 septembre 1935, envoyait au
ministère des Transports du Reich allemand et de Prusse, à celui de la
Propagande, au Département des relations publiques du ministère de la
Guerre et enfin au ministère de l’Économie, une lettre qui reprenait
largement le rapport du consulat général et la position de l’ambassade qui
se montraient favorables à ses recommandations81. La missive, adressée
individuellement à chaque ministère, se terminait sur une demande du
ministère des Affaires étrangères invitant à respecter les recommandations
du consulat, accompagnée d’un avertissement sur le danger que couraient
les citoyens allemands, non seulement en Algérie mais dans d’autres pays
d’Afrique du Nord, notamment au Maroc, placé sous protectorat français.
Les efforts de la diplomatie allemande en vue d’éviter tout ce qui
pourrait fournir à la France des raisons de s’en prendre à des résidents
allemands se traduisirent aussi par des tentatives du consulat général en
Algérie de resserrer la surveillance autour de la petite communauté
allemande présente dans le pays. Les organismes et représentants allemands
officiels actifs en Algérie étaient tenus, de par leur fonction, de respecter les
consignes de leurs supérieurs. Un diplomate du consulat ou un délégué du
ministère de l’Économie en poste en Algérie, par exemple, devait se plier
aux instructions de son ministère et se garder d’activités de propagande. Par
contre, un citoyen allemand vivant en Algérie n’ayant pas de fonction
officielle pouvait faire de la propagande de sa propre initiative. Le consulat
général d’Algérie fut particulièrement attentif à ces cas de figure. Des
rumeurs, mentionnées dans un rapport officiel envoyé d’Algérie à Berlin,
faisaient état de l’intention des Français d’expulser les Allemands vivants
dans la colonie82. De plus, le consulat signalait que les Français avaient
renforcé leur surveillance, notamment par l’écoute des lignes téléphoniques
des institutions allemandes ou des perquisitions à l’improviste, suite à des
dénonciations83. En conséquence, on commença à craindre que l’activité de
certains particuliers – propagande allemande, propos antifrançais rapportés
à la police française, recel d’armes ou relations dans les milieux
nationalistes arabes – « tienne lieu de pièce à conviction84 » et entraîne une
réaction française d’ensemble. Le consulat faisait part des efforts engagés
pour refréner toute activité allemande privée et mentionnait auprès des
supérieurs de Berlin les difficultés à appliquer la politique officielle du
ministère des Affaires étrangères à l’encontre des personnes privées.
Raffermissement de l’idéologie nazie dans
la perception de la question juive en Algérie 19361939
Pendant le deuxième trimestre 1936, la diplomatie allemande en Algérie
connut un autre tournant significatif dans sa perception de la question
juive85, comme en témoigne un rapport sur le mouvement antisémite dans
le pays. « Il est entendu que la question juive joue un rôle particulier dans
tous les pays arabes. Avant la colonisation européenne, la population arabe
attaquait régulièrement le quartier juif pour reprendre par la violence ce
qu’elle estimait que les habiles commerçants juifs avaient su s’approprier
avec le temps86 », établit le rapport dans son introduction, reprenant sous
plusieurs angles l’analyse habituelle de la question juive avant les émeutes
de Constantine. Le rapport soulignait donc l’hostilité traditionnelle entre
Juifs et Arabes comme facteur permanent des relations entre les deux
communautés. Mais contrairement aux rapports publiés avant les émeutes,
les attaques des Juifs ne sont pas expliquées par des motifs religieux mais
par des raisons liées à l’antisémitisme moderne : les Juifs, détenteurs de
capitaux, oppriment la population arabe. Les auteurs du rapport poursuivent
la description de l’évolution de la situation des Juifs après la conquête
française qui avait mis fin à l’agression régulière des Juifs et mentionnent à
cet égard le décret Crémieux : « Cette interdiction (d’agression des Juifs)
d’une part et la préférence marquée pour les Juifs, d’autre part (voir décret
Crémieux de 1870 : naturalisation des Juifs), aggravèrent l’hostilité des
Arabes à l’égard des Juifs87. » Là aussi, on pourra constater le retour aux
anciennes positions sur la question juive, conformément aux opinions en
vigueur avant les émeutes. Mais surtout, notons que le consulat allemand
dissocie la condition des Juifs et l’attitude des Arabes envers eux de la
question du statut des indigènes arabes et de la lutte du mouvement
nationaliste arabe. Cette nouvelle position n’était pas éphémère. Deux mois
après la publication du rapport sur l’antisémitisme en Algérie, le consulat
envoyait un dossier détaillé sur le climat politique dans le pays88. Tandis
que dans les communiqués politiques envoyés d’Algérie après les émeutes
de Constantine, et jusqu’au deuxième semestre 1936, on constatait que
l’attitude visant à isoler la question juive tendait à diminuer. Le rapport du
1er septembre 1936 y accorde une attention particulière : sur les six pages
du rapport, deux sont consacrées aux Juifs et à l’antisémitisme. Là aussi, la
haine des Arabes est présentée comme un facteur permanent des relations
entre les deux groupes. La recrudescence de l’antisémitisme en Algérie est
également expliquée par des motifs apparemment socio-économiques,
empruntés à l’antisémitisme moderne : « Le prolétariat indigène est devenu
de plus en plus hostile à l’égard des Juifs au fur et à mesure de son
appauvrissement89. » Le décret Crémieux est également mentionné comme
facteur de montée en puissance de la haine des Juifs. Dans les rapports
précédant les émeutes, la modification paradigmatique de la question juive
survenue après les émeutes de Constantine, les conséquences sociales,
économiques, juridiques, culturelles et même familiales du décret Crémieux
faisaient l’objet d’une étude approfondie, accompagnée d’explications sur
la façon dont celles-ci avaient influencé les relations entre Juifs et Arabes.
Par contre, au deuxième semestre 1936, les implications du décret étaient
brièvement résumées. Le consulat d’Allemagne établissait que la haine des
Arabes à l’égard des Juifs avait augmenté à cause de l’opportunisme de ces
derniers, qui avaient profité de la conquête pour améliorer leur condition.
De plus, le rapport mentionnait d’autres facteurs d’antisémitisme arabe
non relevés auparavant dans les rapports rédigés en Algérie, mais faisant
intégralement partie de l’idéologie nazie. Le rapport décrivait les Juifs
comme lâches, déserteurs et tirant parti de la guerre et de ses victimes non
juives. Il disait également que l’antisémitisme arabe en Algérie résultait
« d’un ressentiment à l’encontre du Juif qui s’enrichit pendant la guerre
(Première Guerre mondiale) tandis que l’Arabe se bat pour la France et est
obligé de verser son sang (pour elle)90 ». De plus, le rapport utilisait pour la
première fois la fameuse corrélation de la propagande nazie visant à établir
un lien entre les Juifs, le marxisme et le communisme et s’en servait pour
analyser les relations au sein de la colonie française. Il avait sans doute été
précédemment expliqué que les militants communistes d’Algérie étaient
socialisants. Mais les rapports décrivaient d’autre part en détail les opinions
politiques répandues dans les milieux juifs et soulignaient surtout le désir
d’assimilation des Juifs dans la société française. Aucun rapport auparavant
n’avait établi de lien entre l’antisémitisme et le judaïsme et la condition
juive n’avait jamais été analysée dans cette optique.
L’évolution de la perception de la question juive en Algérie et la
retenue que s’imposèrent les Allemands en ce qui concerne la propagande
nazie et le soutien de l’antisémitisme local en Algérie suscitent
l’étonnement et soulèvent plusieurs questions. Depuis la montée au pouvoir
du nazisme en Allemagne et jusqu’au premier semestre 1936, la persécution
des Juifs en Allemagne se renforça de manière dramatique. L’idéologie
nazie devint le prisme à travers lequel étaient examinées des questions
d’ordre politique, économique, social et même culturel, tant pour la
compréhension des problèmes internes de l’Allemagne qu’au niveau de sa
politique étrangère. Parallèlement, le consulat général faisait preuve d’une
objectivité remarquable et d’une vision pertinente de la réalité, qui, même
entachées d’antisémitisme, tentaient de donner à la question juive des
proportions adaptées et de la placer dans le contexte plus large des sujets
ayant trait à la colonie française. Comment expliquer cet écart entre la
perception de la question juive en Algérie et en Allemagne ? Pourquoi,
jusqu’en 1936, les rapports ne font-ils pas état, par exemple, du décret
Crémieux en le présentant comme la preuve d’une conspiration juive
mondiale et de la subordination de la politique française aux intérêts juifs ?
Pourquoi n’est-il fait aucune référence au judaïsme de Léon Blum ? La
recommandation du consulat préconisant d’éviter la propagande nazie en
Algérie et de ne pas soutenir les milieux pronazis ainsi que les efforts
investis pour appliquer ces mesures dans d’autres ministères n’étonnent pas
moins. Il semble que la réponse à ces questions et l’explication de l’attitude
du ministère des Affaires étrangères allemand en Algérie soient liées à des
questions personnelles – nomination du consul général en Algérie – ainsi
qu’à l’influence de discussions entre les ministères des Affaires étrangères
français et allemand au sujet du statut des citoyens allemands au Maroc.
Environ cinq mois avant le déferlement des émeutes de Constantine, le
ministère des Affaires étrangères allemand nomma un nouveau consul
général en Algérie – le Dr Hermann Terdenge. Ce poste n’était pas sa
première nomination au sein de la fonction publique. Un an après avoir
brillamment terminé son doctorat à l’université de Munich, il était admis au
ministère du Trésor où il avait occupé plusieurs postes depuis le 28 janvier
1921 : il avait notamment été employé au service des statistiques, au service
de presse, et à 30 ans, il était déjà conseiller financier du gouvernement91.
Son avancement ne s’arrêta pas là. En 1925, il est nommé conseiller
financier principal du Reich. Terdenge fait l’objet d’avis très favorables qui
mettent en valeur sa personnalité et son professionnalisme, malgré son
jeune âge92. Cela n’échappe pas à l’attention des autres ministères. Le
24 février 1926, le ministère des Affaires étrangères demande au ministre
du Trésor allemand la mutation du Dr Terdenge à son département de la
Culture93. La demande est acceptée, non sans regret des supérieurs de
Terdenge, qui déplorent la perte d’un des fonctionnaires les plus talentueux
de leur ministère94.
Cette mutation dépassait le simple événement interministériel. Elle fut
mentionnée dans la presse, qui applaudit au talent du jeune fonctionnaire du
Trésor95, tout en critiquant les considérations qui l’avaient mené au
ministère des Affaires étrangères. Dans un article intitulé : « Carte blanche :
contribution à la politique de lucidité nationale », signé par le rédacteur du
Deutschen Rundschau le 22 avril 1926, il est fait allusion au fait que le
Dr Terdenge a été muté au ministère des Affaires étrangères en tant que
sympathisant du Zentrum et suite à l’intention de ce parti catholique
d’influencer la politique culturelle de l’Allemagne dans le monde, en
nommant un de ses proches à un poste distingué du ministère des Affaires
étrangères96. Si le dossier de Hermann Terdenge confirme les motifs
politiques de sa mutation, celle-ci s’inscrit aussi dans le cadre de conflits
internes au sein du ministère97. Après la Première Guerre mondiale,
plusieurs réformes permirent la nomination de personnalités venant de
l’extérieur, particulièrement à des fonctions élevées. Il s’agissait surtout
d’experts en économie, universitaires et hommes politiques. Ces
changements survenaient suite aux critiques formulées par des milieux
économiques, politiques et bourgeois quant aux piètres résultats des
Affaires étrangères expliqués par le fait que les fonctionnaires supérieurs
étaient surtout issus des familles de la noblesse allemande. En permettant à
d’autres couches sociales de rejoindre les rangs de la diplomatie, la réforme
menée par Edmund Schöler, directeur du personnel (Personalabteilung), se
proposait de remédier à ces maux. Cependant elle se heurta à l’opposition
des anciens du corps diplomatique. La mutation de Hermann Terdenge –
expert financier et sympathisant du Zentrum – étant rendue possible en
grande partie grâce aux réformes du ministère, les critiques à son égard
s’inscrivaient dans le contexte du phénomène général de « parachutage » de
fonctionnaires98.
Le 30 mars 1926, Hermann Terdenge rejoignait officiellement le
ministère des Affaires étrangères, où il était nommé conseiller du
département de la Culture. Là aussi, il fit preuve d’un grand dynamisme. Il
refusa les nominations à l’étranger et, au dire de ses supérieurs, essaya
systématiquement d’accéder au poste de chef du département de la Culture :
« qui était… en grande partie déjà sous la responsabilité de
M. Terdenge99 ». Mais ses ambitions se heurtèrent à l’opposition de ses
collègues qui avançaient surtout son appartenance politique au Zentrum et
son jeune âge100. De plus, la presse, qui eut vent des tensions au sujet de la
direction du service de la culture, critiqua l’éventuel avancement de
Terdenge et exprima la crainte que les tendances politiques et religieuses du
jeune candidat l’entravent dans l’acquittement honnête de ses fonctions101.
Une note jointe au dossier précise qu’une nouvelle vérification des attaques
dénuées de tout fondement (concernant la nomination de Terdenge) dans la
presse semble inutile, car le ministère n’a jamais douté de la gestion
autonome (et indépendante) dénuée de considérations partisanes,
personnelles et (de relations) avec des institutions religieuses de
M. Terdenge102 ». Il ne réussit cependant pas à accéder au poste de
directeur du service de la Culture du ministère et le 15 mai 1933, trois mois
et demi après l’accession de Hitler au pouvoir, il fut envoyé par ordre du
ministère en mission spéciale, pour la première fois en dehors du territoire
allemand, à Paris. Il y fut chargé d’étudier les méthodes de propagande
françaises en général et contre l’Allemagne en particulier et d’exposer au
ministère les moyens à employer pour la contrecarrer103. Moins d’un an
plus tard – le 3 mars 1934 –, Hermann Terdenge était nommé consul
général d’Allemagne en Algérie104. Son dossier révèle qu’il fut nommé sans
l’entretien oral imposé à tout nouveau consul : le travail de Terdenge avait
« prouvé indiscutablement » ses aptitudes à la fonction de consul105. Mais il
semble que les motifs de la mutation en Algérie aient été d’ordre plus
idéologique que professionnel.
Dix-huit mois après son arrivée en Algérie, Adolf Hitler, président du
Reich, signait un avis mentionnant la suspension du consul général
Terdenge et sa mise à la retraite anticipée106. Trois jours après, Bülow,
ministre des Affaires étrangères, envoyait à Alger la lettre de
licenciement107, dans laquelle il expliquait les motifs de la décision par des
raisons bureaucratiques – restructuration au sein du ministère et plan de
rentabilité. Mais des documents réunis après la guerre démontrent qu’il ne
s’agissait que de prétextes. Les lois régissant l’emploi des fonctionnaires
dans les ministères allemands permettaient le licenciement uniquement dans
des cas extrêmes, tels que les fautes criminelles graves ; les emplois étaient
accordés à vie. (Ces lois sont d’ailleurs toujours en grande partie en vigueur
dans la fonction publique en Allemagne.) Avec l’accession du nazisme au
pouvoir, la loi se dota de nouvelles clauses permettant de licencier des
fonctionnaires pour cause d’appartenance raciale – Juifs, d’origine juive ou
mariés à un Juif, pour raisons politiques et dans le cadre de mesures de
rentabilité. Dans le cadre de l’article 6 de la loi de la fonction publique
(Gesetz zum Wiederherstellen des Beamtentums) le licenciement dans le
cadre de la dernière raison interdisait à l’organisme licencieur (le ministère
dans le cas de Terdenge) de pourvoir le poste dont le fonctionnaire avait été
démis. Le ministère passa outre à cette restriction en lui nommant un
successeur. Dans de nombreux cas, l’article 6 devint un moyen élégant de
suspendre les fonctionnaires dont les tendances antinazies ne s’exprimaient
pas par une opposition politique franche ; ainsi ils étaient licenciés mais
touchaient leur retraite. Terdenge faisait partie de cette catégorie de
fonctionnaires. Moins de deux mois après la fin de la guerre, il exigea du
ministère des Affaires étrangères le paiement de sa retraite et les arguments
employés dévoilent les motifs du licenciement. Il mentionne qu’au-delà des
raisons juridiques « il existe une raison morale particulière justifiant le
paiement de la retraite d’État » à laquelle il a droit108. En effet, il avait été
licencié pour des raisons politiques uniquement, bien que les membres du
parti nazi l’estimassent. En 1934, il refusa expressément l’invitation du
Département étranger (Auslandsabteilung) à rejoindre les rangs du parti. En
1937, il refusa à nouveau une invitation semblable présentée par la
représentation locale (Ortsgruppe) du parti du quartier de Dahlem, à Berlin.
En 1938, il perdit son emploi dans l’entreprise industrielle (le document ne
précise pas laquelle) où il travaillait, suite aux pressions exercées par un
industriel proche de Himler. Enfin, Terdenge mentionne qu’il aida pendant
des années le groupe d’opposition formée autour de Popitz, ministre du
Trésor, condamné à mort par les nazis peu de temps avant la fin de la
guerre. La demande de Terdenge fut acceptée par le ministère des Affaires
étrangères de la République d’Allemagne de l’Ouest, qui reprit le diplomate
déchu dans ses rangs109.
La biographie du consul général d’Algérie a son importance pour la
compréhension de la manière dont les événements de Constantine ont été
rapportés et dont la question des Juifs en Algérie était abordée. Terdenge
était doué d’une exceptionnelle capacité professionnelle à dépasser les
considérations idéologiques et politiques qui lui avait déjà valu l’éloge de
ses supérieurs. Son adhésion au Zentrum, parti non dénué d’antisémitisme,
peut sous-entendre une attitude négative fondamentale à l’égard des Juifs.
Mais même si c’était le cas chez Terdenge – aucun document du ministère
n’y fait référence –, elle ne pourrait en aucun cas être définie comme un
antisémitisme nazi. Son refus d’adhérer au parti nazi, en sacrifiant sa
carrière et sa sympathie pour l’opposition, témoigne de sa réticence
évidente à rejoindre le parti de Hitler. La tentative pour analyser les
émeutes en Algérie non à la lueur de l’idéologie nazie mais avec la plus
grande objectivité, en prenant compte les relations complexes existant entre
les ethnies de la colonie française et le poids de la condition des indigènes,
la recommandation d’être attentif aux craintes des Français et d’éviter la
propagande nazie en Algérie, le désir de réprimer les éléments nazis qui
auraient enfreint cette approche et les avertissements permanents sur les
dommages que ceux-ci causaient en Allemagne – tous ces points relèvent
sans doute du professionnalisme et de la personnalité de Terdenge.
L’approche personnelle est édifiante pour la compréhension des
rapports du consulat général d’Allemagne en Algérie au sujet de la question
juive. Mais elle n’explique pas pourquoi les recommandations de Terdenge
à propos de la propagande nazie en Algérie ont été respectées par le
ministère des Affaires étrangères allemand, et ce au point qu’il a engagé des
efforts pour appliquer les recommandations d’un diplomate dont la loyauté
vis-à-vis du régime nazi était contestée par d’autres ministères. La
compréhension de la structure bureaucratique du ministère des Affaires
étrangères allemand et le poids de ses débats avec son homologue français
au sujet des citoyens allemands au Maroc sont susceptibles d’éclaircir ces
questions.
La politique du ministère des Affaires étrangères allemand à l’égard de
l’Algérie n’était pas indifférente aux questions diplomatiques concernant
les protectorats français d’Afrique du Nord, en Tunisie et principalement au
Maroc, et aux relations entre la France et l’Allemagne. Les communiqués
du consulat général en Algérie étaient adressés au service qui recevait
également les rapports des deux autres pays cités et l’ambassade
d’Allemagne en France considérait l’Algérie comme appartenant à un
ensemble plus large où se posait la question du statut de l’Allemagne en
Afrique du Nord, et de ses relations avec la France110. Les diplomates
allemands voyageaient à travers tout le Maghreb français111 et certains de
leurs rapports ne concernaient pas que les pays pour lesquels ils avaient été
nommés, mais l’ensemble de la région112. Les événements de Constantine,
comme nous le montrerons par la suite, eurent des répercussions sur la
politique allemande au Maroc et en Tunisie. Ces émeutes firent aussi l’objet
de débats au Sénat français et les accusations contre l’Allemagne, suspectée
d’agiter les esprits en Algérie, devinrent un sujet de polémique entre les
diplomates français et allemands. Néanmoins, les évolutions en Tunisie et
au Maroc, et particulièrement au sujet du statut juridique des citoyens
allemands au Maroc, contribuèrent à définir la politique étrangère
allemande au sujet de l’Algérie et de ses Juifs.
Outre l’amputation de territoires, les réparations économiques et les
restrictions imposées sur l’armement de l’armée allemande, le traité de
Versailles comprenait des clauses moins connues, concernant le Maroc. Les
clauses 141-146 accordaient au gouvernement chérifien entière liberté
d’action pour régler le statut et les conditions de l’établissement des
ressortissants allemands au Maroc113. Le 11 janvier 1920, le chérif du
Maroc signait un dahir ordonnant l’obtention d’un accord préalable pour
toute visite, tout séjour ou tout droit légal de citoyens allemands. De plus,
les autorités marocaines étaient à tout moment en droit d’annuler un visa
octroyé à un Allemand. Cela impliquait qu’un résident allemand au Maroc
devait dans les six mois suivant l’annulation de son visa liquider tous ses
biens dans le pays. Toute infraction à ce décret était sanctionnée par des
peines d’emprisonnement allant de trois mois à deux ans et par une amende
de 2 000 à 10 000 francs ou la confiscation des biens114. Ces ordonnances
furent appliquées également à Tanger, où le tribunal international interdisait
aux Allemands de faire appel à ses différentes instances. Ainsi, il leur était
impossible de s’y établir, malgré le statut international particulier de la
ville115. Ces restrictions s’inscrivent dans le contexte des conflits coloniaux
opposant la France et l’Allemagne au sujet du pouvoir sur le Maroc dans la
période précédant la Première Guerre mondiale, conflits au terme desquels
le Maroc fut placé sous pouvoir colonial français. Au cours de ce conflit, les
deux puissances utilisèrent leurs activités commerciales pour étendre leur
pouvoir. La crainte de voir grandir l’influence allemande au Maroc, même
après la défaite, amena la France à jouer de son pouvoir auprès du dirigeant
arabe afin qu’il interdise à l’Allemagne toute activité commerciale et
économique dans son pays au moyen des restrictions de séjour116. Ainsi,
comme le constata le ministère des Affaires étrangères allemand dans une
« Note sur la discrimination des citoyens allemands au Maroc », ces
ordonnances eurent pour effet de limiter l’activité économique allemande
dans ce pays et leur annulation devint le premier objectif de la diplomatie
allemande à l’égard du Maroc117. Cela non seulement à cause des
dommages économiques mais aussi parce que les Allemands ne
supportaient pas que le Maroc soit le seul pays du monde refusant
totalement leur présence sur son territoire118. En 1927, la France et
l’Allemagne entreprirent des discussions sur l’abolition de cette
discrimination, mais ce n’est qu’en août 1931 que la diplomatie française
commença à envisager l’amendement des ordonnances119. Deux ans plus
tard, le 11 mars 1933, la discrimination des Allemands au Maroc était en
partie abolie120 et faisait l’objet d’un nouveau dahir publié quatre jours
après. Le 17 mars, un communiqué à la presse annonçait le nouvel
accord121 et les nouvelles dispositions entrèrent immédiatement en
vigueur122. Les Allemands pouvaient désormais recevoir sans restriction
des visas valables six mois, que les Français ne s’engageaient pas à
renouveler automatiquement. Ceux-ci exigèrent de remettre la décision
d’octroyer aux citoyens allemands les droits dont jouissaient les résidents
étrangers originaires d’autres pays à la reprise des discussions, fixée deux
ans plus tard, en mars 1935. Ce report était surtout dû à la lutte armée des
tribus marocaines qui s’opposaient au pouvoir français et à la volonté des
Français de normaliser les relations avec l’Allemagne uniquement après la
répression des insurrections locales123.
Le lendemain de la ratification de l’accord, le ministère des Affaires
étrangères allemand envoyait à son ambassadeur à Paris une lettre de
félicitations ne laissant aucun doute sur l’importance accordée à
l’événement. Les nouveaux accords n’offraient pas aux Allemands au
Maroc tout à fait le même statut qu’à d’autres étrangers et les Français se
réservaient le droit de reconsidérer la présence d’un citoyen allemand sur le
territoire. Ces nouveaux accords rendaient donc difficile la création d’une
légation diplomatique, qui nécessitait l’obtention de visas pour plusieurs
années. Ils étaient toutefois considérés comme un pas important vers la
normalisation du statut des Allemands au Maroc et comme une avancée en
vue de la réouverture des portes du pays au commerce allemand. Les
Allemands y voyaient aussi une contribution à l’effort général de révision
du traité de Versailles et comparèrent cette réussite diplomatique à celle des
accords de Locarno qui permirent l’adhésion de l’Allemagne à la Société
des Nations124. Néanmoins, le moment choisi pour la levée des restrictions
était primordial pour le ministère des Affaires étrangères allemand.
Les nouveaux accords furent signés un mois et demi environ après la
prise du pouvoir par les nazis, le 30 janvier 1933. Le régime nazi éveillait
d’anciennes craintes chez les Français, remontant au début du siècle,
époque des conflits coloniaux avec l’Allemagne. Pour beaucoup d’entre
eux, l’avènement du nazisme prouvait que les nouveaux accords étaient une
mauvaise affaire, qui permettrait aux Allemands de saper la domination
française au Maroc125. Cependant, s’ils amélioraient le statut des Allemands
au Maroc ils n’abolissaient toutefois pas totalement les restrictions. Ainsi,
dans les régions du Maroc sous contrôle français – contrairement au Maroc
espagnol –, l’implantation de consulats allemands était interdite. L’opinion
publique française risquait de retarder les débats franco-allemands portant
sur l’annulation totale de la discrimination, prévus pour 1935, ainsi que la
création de légations allemandes126.
Les incidents en Algérie avaient une influence directe sur l’avenir des
débats entre les deux pays sur la question du statut des résidents allemands
dans ce pays. Le ministère des Affaires étrangères allemand craignait que
les accusations de manipulation de la population arabe et de diffusion de
propagande nazie en Algérie par les Allemands fournissent aux Français un
prétexte pour faire échouer les discussions prévues entre les deux pays.
Cette crainte fut exprimée clairement dans une note jointe au rapport du
consulat général d’Allemagne en Algérie, sur l’ingérence de l’Allemagne
dans la politique des indigènes en Algérie, envoyée le 29 janvier 1935127.
Le ministère allemand mentionnait à ses délégués dans la capitale française
la date prévue pour la reprise des nouvelles discussions sur le statut des
citoyens allemands au Maroc : mars 1935, soit deux ans après la signature
des nouveaux accords franco-allemands au sujet du Maroc, les avertissant
que « la diffusion incessante de ce type d’informations (concernant
l’implication de l’Allemagne dans les émeutes en Algérie) avait pour
objectif de rendre le plus difficile possible la réalisation de notre espoir
d’un compromis du gouvernement français au sujet de la résidence de
citoyens allemands au Maroc128 ». Cet avertissement revient dans une note
envoyée par le ministère des Affaires étrangères aux différents ministères,
le 23 septembre129. Le début de la note prie les ministères de modérer la
propagande allemande en Algérie – aspect que nous avons amplement
exposé plus haut –, mais la fin du document comprend une mise en garde
destinée à leurs homologues : « Comme vous le savez, dans les zones
dominées par la France, la situation au Maroc est plus grave qu’en Algérie,
car les négociations (au sujet) du Maroc doivent reprendre et j’attire à ce
sujet votre attention sur mon mémo du 10 octobre 1934130. »
Les opinions du consul général d’Allemagne avaient été controversées
par ses supérieurs, ce qui avait finalement amené à son licenciement, mais
ses recommandations au sujet de la restriction de la propagande nazie en
Algérie s’alignaient sur la position du ministère des Affaires étrangères, qui
joua de toute son influence pour les faire appliquer par d’autres organismes.
La perception de la question juive par la diplomatie allemande fut à
nouveau bouleversée, comme nous l’avons vu, au cours du deuxième
semestre 1936. « L’idéologisation » de l’attitude envers les Juifs d’Algérie
fut certainement influencée par l’échec allemand au sujet de la
normalisation du statut des résidents allemands au Maroc. L’escalade dans
les relations entre les deux puissances européennes, due à la violation du
traité de Versailles par l’Allemagne, avec sa prise de pouvoir de la
Rhénanie démilitarisée, lâcha la bride qui avait modéré la politique
antijuive dans la colonie française. Néanmoins, les changements de
personnel au sein du corps diplomatique allemand en Algérie contribuèrent
certainement à cette aggravation.
Après le limogeage du Dr Terdenge, Johan Richter fut nommé consul
général d’Algérie, le 14 mai 1936. Contrairement à Terdenge, qui avait été
muté du ministère du Trésor, Richter avait toujours évolué dans les rangs
des Affaires étrangères, qu’il avait rejoints en 1911 après un an passé dans
les services juridiques de la Saxe131. Formé dans les universités de
Grenoble, Berlin, Leipzig et au Séminaire des langues orientales de Berlin,
il avait suivi des études de droit, de langues arabes et était spécialiste du
dialecte marocain. En 1919, il obtint le titre de docteur en droit. Sa
formation universitaire traça sa carrière dans le domaine de la traduction
des langues étrangères au ministère des Affaires étrangères132
(Dragomanatslaufbahn). Le ministère recrutait généralement pour cette
formation des juristes experts en langues étrangères, dont les traductions
avaient valeur juridique. Ils étaient souvent issus de milieux socioéconomiques modestes, et le ministère représentait pour eux un moyen
d’ascension sociale. En 1911, pour sa première mission à l’étranger, Richter
fut nommé interprète de la délégation allemande à Tanger, puis muté en
1913 au consulat de Casablanca. Au cours de la même année, il fut envoyé
à Fez pour diriger le secrétariat du consulat et, début 1914, il retourna à
Tanger où il resterait jusqu’à la guerre. Après sa démobilisation, Richter
reprit ses fonctions au ministère au service des informations. Deux ans
après, il rejoignit le service II, chargé de l’Europe occidentale, où il était
affilié à une section responsable des territoires conquis, perdus par
l’Allemagne suite à la guerre. De 1921 à 1930, il quitta les Affaires
étrangères et fut rattaché au Reichsausgleichsamt, bureau chargé des
problèmes juridiques de l’Allemagne après la perte de l’Alsace-Lorraine, et
particulièrement des biens allemands. Cette mutation était due à des
questions de manque de personnel juridique133. Il continua à se charger de
certains dossiers liés à cette activité, deux ans après la dissolution du
bureau, en 1930, et reprit ses fonctions aux Affaires étrangères en 1932, au
sein du Service I, chargé du personnel et de la gestion, où il fut surtout
préposé à des dossiers budgétaires. Cinq mois après, il devint Legationsrat
(chef de mission) et le 1er août 1932, il adhéra au parti nazi en tant que
Fachschaftsgruppenleiter (leader d’un groupe professionnel).
Cet engagement et le moment choisi pour le prendre sont d’une grande
signification pour comprendre les opinions de Richter. Employé au
ministère des Affaires étrangères, son statut de fonctionnaire (Beamter) lui
interdisait toute appartenance politique. Il semble qu’il ait contourné cette
interdiction en utilisant un nom d’emprunt. D’autre part, la victoire du parti
nazi, malgré sa solidité en août 1932, n’était pas certaine six mois plus tard.
Les adhérents au parti étaient des nazis convaincus, contrairement aux
nouveaux membres qui, après le 10 janvier 1933, l’avaient pour beaucoup
rejoint pour des raisons pratiques. Le destin de Richter après la guerre
prouve bien ses convictions. Sa dernière fonction aux Affaires étrangères
fut le poste de consul général à Lausanne. Après la guerre, il fut transféré et
emprisonné dans un camp de Lausanne pendant un an, jusqu’en mai 1946.
Contrairement à d’autres diplomates, tel Terdenge, Richter ne fut jamais
réintégré dans le corps diplomatique de la RFA, malgré son passé
professionnel prestigieux. Il semble que ses idées nazies aient contribué à
l’avancement de sa carrière. Bien qu’il se soit présenté aux examens pour
devenir vice-consul en 1921, il n’accéda jamais à cette fonction et ce n’est
qu’en 1932 qu’il fut nommé conseiller de légation. Mais sept mois après la
prise du pouvoir par Hitler, le 26 août 1933, sa carrière prit son envol. Il fut
élevé au titre de conseiller supérieur et, le 14 mai 1936, nommé consul
général d’Algérie. La nomination d’un fervent idéologue nazi au poste le
plus élevé dans la plus grande des colonies françaises ne tarda pas à se
refléter dans les rapports envoyés d’Alger à Paris en général et dans
l’attitude envers la question juive en particulier.
Résumé
L’étude de l’attitude allemande envers les Juifs d’Algérie reflète deux
grandes évolutions. La première se situe après les émeutes de Constantine,
suite auxquelles la diplomatie allemande cessa de considérer la condition
des Juifs d’Allemagne à travers les modes de pensée antisémites
traditionnels, qui soulignaient l’hostilité fondamentale islamique envers les
Juifs et commença à analyser la question sous un angle plus large, dans le
contexte de la lutte nationaliste arabe contre la domination française. La
seconde engendra une attitude selon laquelle les Juifs d’Algérie étaient de
plus en plus perçus selon les modes de pensée caractéristiques de
l’antisémitisme moderne et nazi en Europe. Néanmoins, au-delà de ces
résultats, l’étude des Juifs en Algérie après l’avènement du nazisme offre
des informations sur l’ensemble des relations ethniques dans ce pays, les
relations diplomatiques franco-allemandes, l’influence des événements
d’autres pays d’Afrique du Nord sur la politique allemande et enfin sur les
remaniements de personnel et les restructurations au sein du ministère des
Affaires étrangères, qui eurent des répercussions immédiates sur la
politique allemande à l’égard des Juifs d’Algérie. Cette étude démontre
comment la recherche approfondie sur le passé de l’Algérie – pays dont
l’histoire est rarement étudiée dans la perspective de la Shoah – durant la
période concernée est susceptible de devenir un outil méthodologique
éclairant des questions dépassant le seul contexte de ce pays.
Troisième partie
LE RAPPORT
DES POPULATIONS LOCALES
AUX JUIFS
6
Sympathisants indifférents :
nationalistes marocains et Juifs
marocains durant la Seconde
Guerre mondiale
par Daniel ZISENWINE
Pour la communauté juive marocaine, la Seconde Guerre mondiale fut
une expérience complexe qui l’affecta à plusieurs niveaux. Entre 1940 et
1942, les Juifs connurent persécutions juridiques, maltraitances physiques
et difficultés économiques diverses. Bien qu’il soit évident que leur
situation sous le protectorat français de Vichy était de loin bien supérieure à
celle des Juifs d’Europe de l’Est durant les mêmes années, il faut cependant
se pencher sur leur histoire. En effet, pour les chercheurs, cela fait quelques
décennies que l’histoire des Marocains et autres Juifs d’Afrique du Nord
pendant la guerre fait l’objet d’un intérêt accru. Nombre d’événements et de
développements ont maintenant été documentés, ouvrant la voie à de
nouvelles approches et posant de nouvelles questions concernant le vécu
juif marocain pendant la guerre. Cette étude porte sur un aspect de la vie
juive marocaine qui n’a pas encore été entièrement traité dans le cadre du
discours actuel : la position des nationalistes marocains envers la
communauté juive marocaine durant la guerre. Cet article réexamine la
situation sociale et politique des Juifs marocains pendant la guerre dans une
perspective musulmane et présente un chapitre supplémentaire de la
complexe histoire des relations judéo-musulmanes au XXe siècle au Maroc.
S’inscrivant dans le cadre d’une tentative plus vaste visant à retracer la
réorientation des nationalistes marocains pendant la guerre, cette étude
porte sur leur intérêt pour le sort des Juifs marocains à cette époque. Nous
soulignerons l’approche émergente du mouvement nationaliste envers la
communauté juive et débattrons de thèmes portant sur ce sujet au sein du
nationalisme marocain. De nombreux nationalistes n’étaient pas indifférents
ou fondamentalement hostiles à la communauté juive marocaine. Dans
l’ensemble, ils étaient profondément détachés des événements que vivait la
communauté et n’étaient pas en position de tendre la main à la population
juive, si toutefois ils l’avaient désiré. En ce sens, leur approche ne différait
pas de celle de la plupart des musulmans nord-africains envers les Juifs telle
qu’elle apparaît dans des recherches récentes.
Cette attitude reflète le fondement idéologique religieux du
nationalisme marocain. L’empreinte religieuse de l’islam sur le
nationalisme marocain laissait peu de place aux non-musulmans dans ses
rangs, d’où la rupture croissante entre musulmans et Juifs et l’exclusion des
Juifs marocains de l’expérience nationaliste du pays. Les nationalistes
marocains étaient éloignés et détachés du vécu juif pendant la guerre, bien
qu’ils n’aient pas été ouvertement hostiles aux Juifs. Par leur attitude envers
la communauté juive, ils devinrent donc des « sympathisants indifférents ».
En fait, la situation de la communauté juive pendant la guerre n’occupait
pas une place prépondérante dans la littérature nationaliste marocaine de
ces mêmes années ; elle fit même rarement l’objet de débats. Diverses
sources de l’époque indiquent que la plupart des leaders nationalistes ne
considéraient pas les épreuves imposées aux Juifs comme un phénomène
unique et particulier mais comme une manifestation supplémentaire de la
politique coloniale de répression imposée par la France au Maroc. Les
nationalistes, eux aussi, étaient soumis à diverses formes de répression. Ils
ne considéraient pas les mesures françaises prises envers les Juifs comme
un fait saillant. Ainsi, pour eux, les difficultés que connut la population
juive en temps de guerre ne différaient pas véritablement de la situation
sociale et politique des musulmans marocains. Au moins pendant la période
de la guerre, ils ne considéraient pas la condition des Juifs comme
fondamentalement distincte de celle du reste de la population. Par la suite,
la Shoah et la création de l’État d’Israël devenant des sujets politisés dans le
monde arabe, les anciens leaders nationalistes adoptèrent un autre ton pour
établir une différence entre la présence religieuse juive au Maroc, qu’ils
approuvaient, et le nationalisme juif – le sionisme –, qu’ils rejetaient
catégoriquement1.
Nombre des déclarations se référant aux Juifs marocains et venant des
personnalités politiques marocaines d’après la guerre correspondent aux
positions arabes générales envers la Shoah, qui ont dernièrement fait l’objet
d’études et d’analyses. Alors qu’elles ne reflètent pas nécessairement les
politiques nationalistes durant la guerre et immédiatement après, elles ont
affecté l’approche générale d’un grand nombre d’hommes politiques
marocains sur l’Holocauste, le sort des Juifs marocains pendant la guerre et
la place de la communauté juive dans l’ensemble de la communauté
marocaine. Là encore, l’attitude marocaine est conforme à celle adoptée ces
dernières décennies par l’ensemble de la nation arabe envers la Shoah.
Les interventions et positions de la monarchie à l’égard de la
communauté juive, constituant à elles seules un sujet de débat, sont
également absentes de la littérature nationaliste de la guerre et de son
lendemain. Pendant la guerre, les nationalistes étaient avides du soutien de
la monarchie et se firent ouvertement, par la suite, les avocats du sultan et
de ses décisions. Dans de telles circonstances, il était peu probable qu’ils
revisitent ou contestent le comportement du monarque dans n’importe quel
domaine, qui plus est en ce qui concernait la communauté juive. Tous ces
facteurs correspondent aux tendances générales du nationalisme marocain à
cette même époque, qui servirent de toile de fond à l’attitude des
nationalistes marocains envers la communauté juive.
Pour comprendre celle qu’ils adoptèrent pendant la guerre, il faut bien
cerner ce que fut le nationalisme marocain avant et pendant le second
conflit mondial. Pour les musulmans marocains, la guerre fut un événement
transformateur. Brève période dans l’histoire contemporaine du Maroc, son
impact sur la politique du pays n’en demeure pas moins considérable. Elle
introduisit de nouvelles idées dans le discours politique marocain, modifia
les points de vue et transforma les structures politiques. Son influence sur le
nationalisme fut particulièrement profonde. Avant la guerre, les
revendications des nationalistes portaient principalement sur des réformes à
réaliser dans le cadre du protectorat français qui, établi en 1912, était de
plus en plus critiqué. La politique coloniale de la France au Maroc les
décevait. Elle n’était pas à la hauteur des attentes du passé selon lesquelles
le régime colonial imposé au Maroc le mènerait à la modernité et au
développement et réorienterait les structures politiques et sociales du pays,
en les conduisant vers de nouveaux horizons. Dans l’ensemble, la
domination française au Maroc n’était guère différente du colonialisme
français dans les autres territoires. Elle était notamment caractérisée par la
priorité accordée aux intérêts français et aux besoins des colons par rapport
à ceux de la population indigène. Le peu d’attention et de ressources
allouées à l’amélioration de l’existence de la population marocaine était un
objet de frustration pour de nombreux jeunes Marocains, qui adoptèrent
l’idéologie nationaliste émergente au début des années 1930.
Cette idéologie, cependant, était loin d’être entièrement définie. Elle
manquait de cohésion, de leadership uni et de direction politique. Tout au
long des années 1930, les nationalistes marocains organisèrent contre la
politique de l’administration française plusieurs manifestations qui
suscitèrent l’intérêt du public. Elles ne se concrétisèrent cependant pas en
un mouvement nationaliste à part entière. Les activistes nationalistes
manquaient encore de soutien populaire et n’avaient pas l’aval de
l’establishment politique marocain. En outre, ils étaient encore incertains de
leurs objectifs à long terme et leurs revendications portaient surtout sur des
réformes gouvernementales dans le cadre du protectorat, censées améliorer
la situation des musulmans marocains. Nonobstant les incertitudes
concernant les objectifs idéologiques du nationalisme marocain, un certain
nombre des caractéristiques de ce mouvement émergent se dessinaient déjà.
La première concerne sa composition sociale. Ses membres venaient pour la
plupart d’un milieu urbain, aisé et conservateur. Ils ne considéraient pas le
nationalisme comme une force révolutionnaire mais plutôt comme un
moyen de rétablir la gloire passée du pays. Ces premiers jeunes
nationalistes n’avaient pas été influencés par la culture française et
occidentale ; ils appartenaient plutôt au milieu « traditionnel », ayant étudié
dans des madrasas de Fez, qui considéraient le protectorat comme une
menace pour l’identité culturelle du Maroc. Ce milieu avait de tout temps
exprimé son intérêt pour la politique (même durant l’époque précoloniale)
mais il n’avait que peu l’occasion d’influencer les actes du gouvernement
marocain.
Dans ce sens, leurs activités n’étaient pas vraiment différentes des
activités traditionnelles et ne s’écartaient pas des structures politiques
marocaines. L’activité nationaliste des années 1930 ne pénétra pas d’autres
couches sociales, tel le prolétariat émergent dans les zones urbaines, mais
continua plutôt à se développer conformément à la politique marocaine
ancestrale : peu d’ingérence publique dans les prises de décision et débats
idéologiques tenus par un petit groupe d’intellectuels, nettement à l’écart de
tout rôle actif dans les affaires gouvernementales.
Cependant, le nationalisme marocain ne se développa pas en un
mouvement de masse qui attira une vaste partie de la population. Ajoutons à
cela la teinte islamique du mouvement nationaliste, sur laquelle il comptait
pour constituer un élément liant. Ce choix de l’islam reflétait les valeurs
traditionnelles des nationalistes marocains et constituait également un
moyen efficace de gagner le soutien d’un public qui n’était pas familier
avec le nationalisme moderne mais parfaitement versé dans la rhétorique
religieuse. Cette rhétorique fut employée au cours des manifestations
nationalistes des années 1930, décrites comme une lutte contre les menaces
perçues envers l’islam. La place de l’islam dans les manifestations
nationalistes écartait donc quasi naturellement les Juifs marocains de toute
participation active à ces protestations. Bien que la plupart des Juifs ne
désirassent pas rejoindre les rangs des nationalistes (pour diverses raisons,
notamment l’identification avec le protectorat français et leur implication
dans les activités sionistes, comme le souligne Yaron Tsur dans son étude
sur la communauté et le nationalisme juifs marocains), l’adoption de l’islam
par les nationalistes comme pilier idéologique excluait toute possibilité
réelle de participation juive au mouvement. Elle contribua également à
l’éloignement croissant entre musulmans et Juifs dans la vie du Maroc au
XXe siècle2.
Dans son livre sur les mouvements nationalistes nord-africains, le
dirigeant nationaliste marocain Alal al-Fasi reconnaît que les Juifs du
Maroc avaient montré « peu d’enthousiasme envers le mouvement
nationaliste » dans les années 1930, que leur position avait été influencée
par les Juifs tunisiens et algériens en quête d’assimilation (dans la culture
française) et qu’ils s’étaient donc exclus de cette tendance nationaliste. AlFasi souligne que les nationalistes avaient fait des efforts pour convaincre la
communauté juive qu’ils étaient des citoyens marocains à part entière et
qu’ils ne devaient pas chercher une solution à leurs problèmes « en dehors
de la voie nationaliste commune ». Un comité juif spécial, établi à la
demande d’al-Fasi, déclara son soutien aux revendications nationalistes3.
Cependant, en général, la coopération politique entre les Juifs et les
musulmans au sein du mouvement nationaliste marocain dans les années
1930 resta très restreinte. Le profond attachement à l’islam marqua
l’ensemble des activités des mouvements.
Tout au long des années 1930, les relations entre musulmans et Juifs
marocains connurent de sérieux revers. Comme le révèle l’étude
révolutionnaire de Michel Abitbol sur les Juifs d’Afrique du Nord durant la
Seconde Guerre mondiale, ce tournant sera ultérieurement considéré
comme un prélude au dernier chapitre de l’histoire de la communauté juive
du Maroc qui débuta durant la Seconde Guerre mondiale. Avec le temps, la
propagande antisémite s’intensifia et exacerba les tensions entre Juifs et
musulmans, tensions alimentées plus par des événements extérieurs que par
des phénomènes internes. Les musulmans marocains, et par extension les
nationalistes marocains, étaient influencés par la lutte naissante pour la
Palestine ainsi que par les idéaux panislamiques, qui générèrent un certain
nombre d’incidents antisémites. Les activistes nationalistes tenaient
constamment des propos antisionistes et antisémites qui gâtèrent les
relations entre les nationalistes et la communauté juive. Ils s’élevaient
également contre ce qu’ils percevaient comme une prédilection française
pour les Juifs et contre la possibilité qu’avaient les organisations sionistes
de fonctionner librement au Maroc4.
La défaite française en 1940 et les attentes croissantes d’un nouvel
ordre international après la guerre menèrent les nationalistes marocains à
reconsidérer leurs revendications qui ne portaient plus sur des réformes du
protectorat mais sur des appels à l’abrogation du traité qui l’avait instauré et
au rétablissement de l’indépendance du pays. La création du parti
nationaliste Istiqlal (Indépendance), à la fin de 1943, reflète les
changements idéologiques et structurels que connut le mouvement
nationaliste.
Traiter de l’attitude des nationalistes marocains envers la communauté
juive pendant la guerre nécessite une profonde compréhension de la
situation générale des nationalistes marocains tout au long de cette période.
La partie suivante portera sur les rebondissements du mouvement
nationaliste durant la guerre puis sur son attitude envers la communauté
juive.
La réalité politique qui se dessina au Maroc après la défaite de la France
dans la Seconde Guerre mondiale créa un sentiment d’incertitude chez les
musulmans marocains. Ils craignaient essentiellement pour leur avenir
politique après la capitulation française. En effet, la France était considérée
au Maroc comme une superpuissance invincible. Elle était maintenant
faible et vulnérable. Pour la première fois depuis l’établissement du
protectorat, la domination française au Maroc n’était plus évidente. De
nombreux Marocains s’attendaient à un changement de la nature et de la
structure de la domination française après la guerre et pensaient que les
nouvelles superpuissances, notamment les États-Unis, adopteraient un rôle
plus actif au Maroc. Certains allèrent plus loin en envisageant même un
retrait total des Français du pays. Même après le débarquement des forces
alliées au Maroc et leur victoire contre les forces de l’Axe sur d’autres
fronts, de nombreux Marocains restèrent convaincus que la France ne
pourrait plus maintenir la position qu’elle avait avant la guerre. Pour les
activistes nationalistes marocains, c’était là l’occasion de se préparer à la
réalité émergente de l’après-guerre, de promouvoir leur cause et leurs
objectifs, quoiqu’ils fussent encore flous à ce stade. Tout cela
s’accompagna de modifications dans la structure organisationnelle du
mouvement nationaliste et au niveau de ses ambitions idéologiques. La
plupart des Marocains, cependant, étaient indifférents à la défaite française,
plus préoccupés par leur survie matérielle en temps de guerre. Dans de
telles circonstances, il est peu probable qu’ils aient exprimé des opinions
concernant la situation des Juifs au Maroc.
Le manque de coordination entre activistes et dirigeants caractérise les
activités nationalistes durant la guerre. À ce propos, un douloureux sujet
inscrit à l’ordre du jour du mouvement était celui de la position des
nationalistes envers l’Allemagne. Tandis que certaines personnalités
nationalistes étaient en contact avec l’Allemagne dès le début de la guerre,
d’autres adoptèrent une position plus neutre et s’abstinrent de tout contact
avec des étrangers. Les dirigeants nationalistes ne prirent aucune décision
concernant les contacts avec l’Allemagne. Chacun faisait comme bon lui
semblait. Alal al-Fasi note dans son livre sur les mouvements
d’indépendance arabes en Afrique du Nord (publié en 1948) que les
Allemands n’ont pas réussi à recruter un seul collaborateur parmi les
nationalistes. Ceux-ci, insistait-il, n’étaient pas aveuglés par les promesses
allemandes d’accorder aux Marocains plus de liberté et de justice5. Les
contacts allemands avec les nationalistes marocains ne concernaient pas les
Juifs marocains, élément qui là encore influença l’attitude des nationalistes
envers la communauté juive pendant la guerre.
L’exemple le plus frappant de contact entre des nationalistes en vue et
des fonctionnaires allemands concerne Abd al-Salam Belafredj, descendant
d’une célèbre famille de Rabat qui quitta le Maroc avant le début de la
guerre et se retrouva à Berlin en juin 1940. Il fut autorisé à retourner au
Maroc en 1943, après avoir assuré s’abstenir de toute activité politique
jusqu’à la fin de la guerre. Son séjour à Berlin souleva des questions
concernant les relations en temps de guerre entre le mouvement nationaliste
et l’Allemagne nazie. Ses contacts avec les fonctionnaires allemands furent
ultérieurement présentés par la France comme une preuve de l’influence
allemande sur le mouvement nationaliste marocain. Les fonctionnaires du
protectorat français soutenaient que le mouvement nationaliste marocain ne
représentait pas les aspirations marocaines et n’était rien d’autre qu’un outil
de propagande créé artificiellement par les services de renseignements
allemands6. Des accusations concernant la participation allemande aux
activités nationalistes furent formulées contre les leaders nationalistes
marocains en 1944 ainsi que contre Belafredj lui-même, qui fut arrêté et
exilé en Corse après la création du parti Istiqlal.
De fait, les contacts de Belafredj avec les fonctionnaires allemands
étaient bien moins clairs que les accusations françaises à son égard. Des
sources rapportent qu’il entretenait des contacts avec des fonctionnaires
allemands subalternes. Al-Fasi indique que son voyage en Allemagne était
destiné à évaluer les intentions allemandes à l’égard du Maroc et que
Belafredj mit en garde ses collègues nationalistes contre les intrigues et
tentations allemandes. Il est important de noter que Belafredj n’adopta pas
l’idéologie nazie et ne devint ni un porte-parole ni un apologiste
proallemand actif. Ses contacts avec les fonctionnaires allemands ne
marquèrent pas vraiment le mouvement nationaliste marocain ni aucun de
ses dirigeants. À l’encontre des activités nationalistes arabes en Égypte et
en Irak, qui furent influencées par l’idéologie allemande, le nationalisme
marocain ne rechercha pas activement des contacts avec l’Allemagne et
garda ses distances vis-à-vis des nazis. Rien n’indique une participation
allemande aux activités nationalistes en temps de guerre, pas plus que des
contacts à grande échelle et à long terme entre les nationalistes et les
Allemands. Toute marque de soutien marocain à l’égard de l’Allemagne fut
assez superficielle et de courte durée. Cela va à l’encontre des arguments
français selon lesquels les nationalistes auraient cherché à contrecarrer les
efforts de guerre des Alliés et seraient intervenus dans les affaires
marocaines. Les relations entre les nationalistes et les Allemands étaient
avant tout d’ordre pratique et furent initiées à la lumière d’une éventuelle
prise de pouvoir de l’Axe en Afrique du Nord. En conséquence, elles
diminuèrent une fois que les forces alliées eurent la supériorité sur le champ
de bataille et que l’éventualité d’une victoire allemande en Afrique du Nord
se fit de moins en moins concrète.
Sur le plan idéologique, les dirigeants nationalistes marocains furent
influencés par les déclarations des leaders britanniques et américains, qui
tout au long de la guerre soulignèrent le droit de toutes les nations à la
liberté. Ce fut l’un des objectifs idéologiques des Alliés, mentionné dans la
Charte de l’Atlantique de 1941. Ces principes ouvrirent la voie aux
changements idéologiques qui se produisirent au sein du mouvement
nationaliste et qui émergèrent tandis que la guerre semblait toucher à sa fin.
Les principaux aspects de ce changement, comme nous l’avons vu, étaient
que les revendications ne portaient plus sur la réforme du protectorat mais
sur une demande claire et nette d’indépendance.
La baisse de l’activité nationaliste durant la guerre reflète la situation du
mouvement à la fin des années 1930. Au début de la guerre, le mouvement
était divisé en plusieurs factions ; il ne pouvait pas fonctionner
correctement. Un employé marocain du consulat américain à Casablanca
rapporta, après une visite à Fez en mars 1940, que les activités nationalistes
avaient totalement cessé bien que certains tentassent de les ranimer. La
plupart des Marocains, disait-il, craignaient qu’une défaite ou une retraite
française trop hâtive du Maroc mène au chaos et à l’anarchie7. Dans ces
circonstances, la plupart des nationalistes préféraient éviter toute action
contre les Français.
Tout au long de la guerre, les activités nationalistes demeurèrent
limitées et la plupart des dirigeants furent exilés ou emprisonnés. L’un des
leaders, Alal al-Fasi, passa la guerre en exil au Gabon. Il fut écarté de la vie
quotidienne au Maroc et ne put maintenir un contact suivi avec les
activistes nationaux. Un autre dirigeant nationaliste, Muhammad Hasan alOuazzani, fut exilé dans le désert du Sahara et coupé, lui aussi, de
l’actualité. Dans son ouvrage sur les mouvements d’indépendance de
l’Afrique du Nord, Alal al-Fasi consacre un chapitre aux événements qui se
sont déroulés au Maroc pendant la guerre. Il accuse le Résident général
français, Noguès, d’avoir fait usage de répression, loi martiale et
« d’accusations insensées contre des innocents ». Il avance aussi que
Noguès souffrit pendant la guerre de « lâcheté morale » et refusa d’adopter
une politique qui aurait dévié des diktats de Vichy8.
Malgré ces accusations contre le Résident français, al-Fasi resta absent
de la scène marocaine en temps de guerre. Lui et les autres leaders
nationalistes, détachés des événements quotidiens au Maroc, gardèrent le
silence sur la situation des Juifs, sujet qui, même avant la guerre, ne les
préoccupait pas particulièrement. S’il se peut que ces dirigeants n’aient pas
eu totalement conscience de ces faits, les études indiquent que la population
musulmane du Maroc ne pouvait ignorer les difficultés que connaissait la
population juive et que des rumeurs ou bribes d’informations la concernant
seraient parvenues aux leaders nationalistes en exil. Le fait de savoir s’ils
étaient désireux ou non d’exprimer une opinion sur le sort des Juifs
marocains est une autre question. De toute façon, les nationalistes avaient
des difficultés à faire connaître leurs opinions, quel que soit le sujet, qui
plus est en ce qui concernait la communauté juive, en raison des restrictions
dont les publications faisaient l’objet.
Néanmoins, divers rapports faisant état de déclarations antisémites au
Maroc pendant la guerre soulignent l’approche musulmane générale envers
les Juifs, qui influença indirectement les nationalistes. Elle était le résultat
de la propagande allemande mais tenait en grande partie à l’incertitude
politique quant à l’avenir du Maroc, incertitude qui réveillait les tensions
ethniques latentes. Les Juifs étaient accusés de tirer financièrement parti
de la guerre, suite à la hausse du prix des denrées alimentaires de base et
bénéficier d’une guerre initiée par leurs frères européens. Comme le note
Abitbol, ces accusations étaient partie prenante d’une attitude plus générale
de harcèlement de la population juive, dont la promotion sous le protectorat
français avait irrité plus d’un musulman. Ceux-ci étaient nombreux à
considérer la communauté juive comme un élément faible, une proie facile
pour la rhétorique anticoloniale, reflétant la perception selon laquelle elle
s’était alliée au régime colonial français9. On ne sait cependant pas dans
quelle mesure les nationalistes approuvèrent ou non ces allégations. Ils ne
s’y opposèrent pas, ne les décrièrent pas mais ne les adoptèrent pas
ouvertement non plus. Leur position envers les Juifs ne différait pas
vraiment de l’attitude générale des musulmans marocains à cette époque,
bien qu’ils n’aient entrepris à leur égard aucune forme d’activité organisée.
Toujours selon la littérature générale sur l’attitude arabe nord-africaine
envers les Juifs pendant la guerre, le terme qui caractérise le mieux
l’attitude nationaliste marocaine envers les Juifs pendant la guerre est le
mot « indifférence10 ». Les nationalistes marocains n’étaient pas
intrinsèquement antisémites mais étaient détachés de la communauté juive
et préoccupés essentiellement par l’établissement d’un mouvement
nationaliste qui œuvrerait à la promotion de leur cause contre le régime
colonial français. Les souffrances des Juifs marocains durant la Seconde
Guerre mondiale n’étaient donc pas à leur ordre du jour. Ignorant les
diverses déclinaisons du terme « nationalisme », les dirigeants nationalistes
ne traitèrent pas directement de ce sujet pendant la guerre. Leurs
déclarations ultérieures à ce propos appartenaient déjà à un discours
d’après-guerre qui reflétait de nouvelles inquiétudes et réalités politiques, le
tout enchevêtré dans le nouveau conflit israélo-arabe.
Pour en revenir aux commentaires d’al-Fasi sur les événements de la
guerre, son ouvrage ne comprend très curieusement aucune discussion sur
la situation de la communauté juive marocaine pendant la guerre, à
l’exception d’une phrase qui dénote le refus du sultan « d’appliquer les
décrets raciaux que le général Noguès avait tenté d’appliquer contre les
Juifs marocains11 ». Al-Fasi ne présente pas l’ensemble des mesures
antisémites proposées mais souligne qu’elles provenaient intégralement de
la Résidence française et n’étaient en aucune façon liées au sultan ou au
Makhzen, l’establishment politique marocain. Dans le cadre d’une tentative
plus générale de glorification du sultan, al-Fasi note que celui-ci s’opposa
au décret de Noguès demandant que les Juifs évacuent leurs maisons dans
les quartiers européens. Pas un mot sur les autres mesures antisémites, sur
les arrestations des Juifs et l’existence de camps de travail forcé dans
lesquels certains Juifs étaient envoyés. Al-Fasi évite également de parler de
l’ingérence ou de la distance du sultan par rapport à ces mesures, ce qui
peut être lié à une tentative nationaliste plus vaste en vue de renforcer des
relations avec la monarchie et d’adopter le sultan en tant que leader
national.
Nous ne savons pas dans quelle mesure al-Fasi était conscient de la
ligne française antisémite et s’il la considérait comme étant suffisamment
significative pour être associée à la lutte nationaliste émergente au Maroc. Il
est cependant clair qu’il l’associa directement à la France et la considérait
comme faisant partie de la rude politique française contre l’ensemble de la
population marocaine. Al-Fasi, comme d’autres dirigeants nationalistes,
rejeta dans ses écrits et déclarations ultérieures toute possibilité de
persécution musulmane marocaine à l’encontre de la population juive. Mais
ils évitèrent également d’aborder ouvertement ce sujet. L’absence pendant
la guerre d’un large débat au sein des dirigeants nationalistes sur le sort de
la communauté juive en temps de guerre est le résultat de leurs limites et de
leur situation objectives à cette époque. Peu nombreux, les nationalistes
faisaient l’objet de restrictions de la part de la France et étaient incapables
de revendiquer leurs opinions, quel qu’en soit l’objet. La guerre au Maroc
s’étant terminée avec le débarquement des forces alliées en novembre 1942,
les nationalistes marocains se tournèrent vers l’avenir, cherchant à tirer parti
du nouvel ordre émergent d’après-guerre pour promouvoir leur propre
cause et se penchèrent sur la situation politique et diplomatique du Maroc.
Cela les amena à réviser leur position, ne demandant plus des réformes dans
le cadre du protectorat mais revendiquant de façon claire et nette
l’indépendance. C’est sur cette toile de fond que fut créé le parti nationaliste
Istiqlal (indépendance), qui publia son manifeste début 1944.
Pour notre propos, le manifeste et les principes de l’Istiqlal ont leur
intérêt car ils représentent la position émergente des nationalistes envers la
communauté juive à l’époque de l’après-guerre. Les principes du parti, tels
que définis à cette époque, soulignent le désir d’établir un État indépendant
basé sur l’égalité « sans aucune discrimination religieuse ou raciale ». En ce
qui concerne plus particulièrement la « question juive », le parti souligne
qu’elle était « inexistante au Maroc ». L’Istiqlal déclarait que les Juifs
marocains étaient « membres de la famille marocaine tout comme l’étaient
les Coptes en Égypte ». Dans un Maroc indépendant, les Juifs
continueraient à jouir de leur liberté religieuse, notamment en ce qui
concernait leurs tribunaux religieux, qui seraient maintenus12. Se faisant
l’écho du vocabulaire politique de la guerre, ce document d’avenir fait
indirectement référence à la « question juive » et la situe dans un contexte
marocain local, reléguant les mesures antijuives de la guerre à la France au
passé colonial qu’il cherchait à oublier.
Et en effet, plus la lutte nationaliste de l’après-guerre prenait de l’essor,
plus la position des nationalistes se cristallisa envers la communauté juive
marocaine. Nous pouvons dire qu’en général ils reconnurent l’existence de
la communauté au sein de la société marocaine tout en rejetant toute
manifestation de nationalisme juif. L’un des grands dirigeants nationalistes,
Mohamed Hasan Ouazzani, résuma succinctement leur position en notant
que le parti nationaliste considérait les Juifs marocains comme faisant partie
de la société marocaine mais ne tolérerait aucune forme de contact avec « le
sionisme international » ni aucune activité sioniste au Maroc13. Mais cela
appartient déjà à un autre domaine qui dépasse le périmètre du présent
article.
Tout au long de la guerre, les dirigeants nationalistes marocains ne
firent pas de distinction entre la communauté juive et la population
musulmane marocaine. Elles étaient toutes deux soumises à la répression
française et c’est dans ce contexte que les dirigeants nationalistes
considéraient la chose. Ils n’adoptèrent pas une échelle de valeurs différente
pour la situation sociale, économique et, dans une certaine mesure,
politique, de la population juive. Cette position ne dura pas et changea très
rapidement après la guerre, avec le développement de la lutte nationaliste
marocaine. Les conséquences de la Shoah et la création de l’État d’Israël
sont également pour quelque chose dans ce changement de ton (qui, en
effet, pourrait bien n’être que de la simple rhétorique) et dans l’approche
des leaders nationalistes envers la communauté juive marocaine. Enfin,
cette attitude de « sympathisants indifférents » ne marqua que brièvement
l’histoire du Maroc, et ne fut qu’une des nombreuses fluctuations qui ont
marqué les relations judéo-musulmanes au XXe siècle. Cela nous laisse,
nous les historiens, avec des questions sans réponse quant à ce qu’aurait pu
être la situation si les circonstances avaient été différentes.
7
L’accomplissement d’un long
cheminement antisémite :
l’abolition du décret Crémieux
et la réaction de la population
algérienne
par Filippo PETRUCCI
On peut parler de l’accomplissement d’un long cheminement, parce que
l’antisémitisme a caractérisé depuis toujours les relations entre la France et
les Juifs d’Algérie ; l’abolition du décret Crémieux le 7 octobre 1940 est
seulement le but d’un effort et d’une lutte qui se sont développés à partir de
1870, mais qui, de fait, avec des dynamiques différentes, ont toujours
existé. Je tenterai ici de montrer l’histoire de ces relations particulières sous
une perspective différente en cherchant à mettre en évidence l’ambiguïté
qui a toujours existé en Algérie entre la France et la minorité juive.
L’Algérie française, une histoire d’antisémitisme
Au début de la colonisation française, les nouveaux dirigeants n’étaient
pas enthousiastes s’agissant des Juifs. On pouvait trouver ce type de
commentaires : « Dans les villes [il y a] les Turcs, les Couloughlis (fils des
Turcs et des Mauresques), les Maures, les Juifs et les esclaves […]. Le Turc
est le premier et le Juif le dernier dans cette échelle sociale. » Même si « le
Juif » était reconnu compétent dans le commerce (surtout pour sa
connaissance des différentes langues), De la Pinsonnière écrivait que : « Le
Juif est un être bas et méprisable, toute son âme se résume en argent1. »
Dans ces analyses, une idée semble évidente, celle de civiliser cette
population (même si les auteurs soulignent l’importance de ne pas irriter les
Arabes), car les Juifs étaient les plus disposés à accepter la colonisation
française, commencée avec la création des consistoires2 et la réorganisation
à la française des communautés religieuses algériennes3. Malgré ces efforts,
en 1852 seulement les Juifs furent admis dans le service des milices, ce
retard étant dû au mépris des militaires français pour ceux-ci4.
En quelques années, la France avait été confrontée au monde juif, dont
les élites avaient fait un gros effort pour se franciser. Le premier succès des
Juifs remonte au 14 juillet 1865, quand Napoléon III, après son deuxième
voyage en Algérie5, publia un senatus-consulte selon lequel « les indigènes
israélites et musulmans d’Algérie sont français ». Ils sont régis par leur
statut personnel, admis à servir dans les armées de terre et de mer, ainsi que
dans la plupart des emplois publics en Algérie. Ils peuvent acquérir les
droits des citoyens français sur leur demande à 21 ans accomplis, par décret
impérial rendu en Conseil d’État ». Mais très peu de Juifs (et encore moins
de musulmans) devinrent citoyens. Ce ne fut qu’en 1870, pendant la
capitulation de Napoléon III à Sedan et quand le gouvernement fut transféré
à Tours, qu’une réorganisation de l’Algérie fut faite à travers neuf décrets :
l’Algérie devenait un territoire soumis au régime civil (et non militaire),
une nouvelle administration était créée et le système administratif
changeait, tous les Juifs étant naturalisés français. Le premier signataire
était Isaac Moïse Crémieux (1796-1880), connu comme Adolphe
Crémieux6. Avec cette loi la volonté de la France était claire : elle acquérait
34 574 nouveaux citoyens7, des sujets fidèles et liés à cette nouvelle patrie
qui, premier pays au monde, avait octroyé l’émancipation aux Juifs après la
Révolution. Pourtant, à partir de ce jour se développa une forme de
schizophrénie entre l’action de l’État français (au niveau des lois) et la
réalité française en Algérie.
On a avancé ci-dessus que l’opposition à l’octroi de la citoyenneté aux
Juifs algériens avait pris immédiatement effet, car c’est aux Juifs qu’avait
été attribuée la faute de l’insurrection de 18718 : pour les généraux, le
décret Crémieux avait fourni le prétexte du début d’une révolution sur une
base nationale en Algérie. L’amiral Gueydon, par exemple, dès son arrivée
en Algérie, s’était déclaré contre la naturalisation des Juifs, déclarant :
« L’élément français doit être l’élément dominant ; c’est à lui seul
qu’appartient la direction de l’administration du pays. Ni l’élément
indigène, arabe ou israélite, ni l’élément étranger ne peuvent prétendre à
une influence ou à une part quelconque dans la direction politique ou
administrative du pays […]9. » En réalité, le décret Crémieux était essentiel
pour maintenir le lien entre l’Algérie et la France : vu l’état d’émergence de
ce pays, ces changements étaient essentiels pour éviter que la situation
n’empire. Surtout, la France disposait ainsi « de 30 000 nouveaux citoyens
français acquis à la cause nationale10 ».
Plutôt que d’admettre les fautes de l’administration militaire
précédente, les généraux11 avaient donc préféré expliquer la révolte kabyle
par la colère qui s’était propagée dans la communauté musulmane12. En
réalité, l’octroi de la naturalisation étant un long parcours, plusieurs
rencontres avaient eu lieu avec les chefs musulmans, qui avaient donné leur
autorisation à ce changement13 ; le problème venait plutôt du côté français,
étant donné que les Juifs étaient naturellement proches des institutions
républicaines, position non appréciée en Algérie à l’époque.
C’est de ce moment que l’on peut dater l’explosion de l’antisémitisme
ainsi que d’un antirépublicanisme particulier (qui continuera jusqu’en 1900)
qui sera caractéristique des colons français d’Algérie.
La première ligue antisémite est fondée à Miliana en juillet 187114 ; le
même mois, le nouveau ministre de l’Intérieur Lambrecht essaye d’abroger
les dispositions du décret Crémieux sans y parvenir en raison de
l’opposition du Parlement. En 1871 lors des élections législatives à
Tlemcen, les premières violences antijuives ont lieu.
Après cette première initiative, toute une classe politique fondera sa
carrière sur la seule utilisation du mot « antisémitisme » (ou
« antijudaïsme »). Même lorsque les justifications politiques évolueront, la
cible restera toujours le Juif : d’abord attaqué parce que républicain, par la
suite accusé de vouloir détruire les principes de la république15, ou encore
attaqué par des groupes réactionnaires et cléricaux.
Selon Michel Ansky, pour la masse des colons français, « […] les Juifs
algériens restaient, malgré et surtout à cause de leur rapide assimilation, une
race inférieure qu’on tolérait dans le commerce et l’artisanat, qu’on voyait
sans plaisir dans les professions libérales et que l’on regardait avec une
certaine répugnance dans l’enseignement. Mais on ne voulait pas les
admettre dans les affaires publiques ni subir leur influence dans la vie
politique et surtout compter avec eux aux élections, domaine réservé aux
seuls maîtres du pays16 ». Celui-ci était l’humus social où vivaient les Juifs
néo-citoyens.
Pour en arriver à la Seconde Guerre mondiale, on énumérera les
événements de la période correspondante : vague antisémite avec violences
et ligues antijuives à Constantine en 1895, à Oran en 189617, et élections
remportées par la droite ; à la même période, même la gauche18 et les
radicaux attaquent les « capitalistes » juifs ; en 1898, fondation de la
« Ligue antijuive d’Alger » par Maximilien Régis19, qui gagnera très jeune
les élections comme maire d’Alger et dans les mêmes années Firmin Faure,
Drumont, Marchal et Morinaud, qui remportent les élections avec des
programmes politiques incluant insultes et menaces vis-à-vis des Juifs.
Après un recul et une pause dus au déclenchement de la Première Guerre
mondiale, il y aura une nouvelle vague d’antisémitisme, sous l’influence du
docteur Molle, maire d’Oran en 1921 et directeur politique du Petit
Oranais20 (qui portait en premier page la croix gammée), de Coston, de
Doriot et parfois d’un ex-prêtre, l’abbé Lambert (qui sera aussi maire
d’Oran)21. Il y aura en plus le mouvement des « Chemises vertes » de
Dorgères (dans la zone d’Oran), et surtout le puissant mouvement des
Croix-de-Feu du colonel de La Roque, qui organisera des manifestations et
des parades très similaires à celles des fascistes et des nazis. Les Croix-deFeu étaient un mouvement nationaliste fondé sur la devise Travail-FamillePatrie, mais qui tentait de se démarquer des autres mouvements et partis
extrémistes en Europe. Même si dans ses programmes on ne parlait pas
d’antisémitisme, il y avait des débats publics (juillet 1935) où les cris contre
les Juifs étaient poussés bien fort22.
Le paradoxe était que la gauche, même quand elle défendait les Juifs,
utilisait des stéréotypes antisémites. L’antisémitisme apparaissait comme un
sentiment, plutôt qu’une idée politique, capable d’abolir les différences
entre les partis. Dans une brochure du Parti communiste en Algérie
(probablement d’octobre 1935)23, le PC accuse les partisans de La Roque
d’être proches des riches et pas du peuple et l’on peut y lire : « Tandis que
les Croix-de-Feu développent une haine inhumaine contre les petits
commerçants juifs, n’ont-ils pas dans leurs organisations de gros
capitalistes et usuriers juifs qui les subventionnent ? » De cette façon, même
si l’idée était de secourir les Juifs, en réalité la propagande antisémite
continuait à fonctionner.
À cette période, les Juifs seront aussi accusés de ne pas avoir pris part à
la guerre : l’Action française, un autre groupe antisémite, fera afficher des
manifestes où est écrit que seuls 35 Juifs français ont pris part à la guerre.
En réalité, la communauté juive a compté 6 500 morts sur 28 000 soldats24
(le plus haut pourcentage par rapport aux autres communautés en Algérie –
musulmans et européens –, environ 23 %25).
Dans cet environnement de violence verbale se déclencha aussi un acte
barbare de violence physique, dans l’indifférence totale des autorités
françaises, le pogrom du 5 août 1934 à Constantine (avec un total de
24 victimes juives). Il est intéressant de noter comment deux journaux ont
justifié cet acte barbare : L’Éclair algérien, dirigé par Henry Lautier,
attribue la faute aux Juifs, qui auraient « provoqué » les Arabes ; Le TamTam, dirigé par Laurent Barre et Oscar Latine, passe sur les morts et accuse
les Juifs, qui se sont plaints de l’absence de la police, « d’attaquer la France
et de ne pas être des vrais Français26 ». Pour donner encore une fois le
climat de l’époque, voici un rapport du commissariat central de Constantine
daté du 21 août 1934 (soit seize jours après la tragédie) : « Il est à signaler
que les agents français répugnent à servir sous l’autorité dégradée tant
d’Israélites que d’Indigènes et le service et la sécurité auraient tout à gagner
à n’avoir que des gradés français aussi bien dans les commissariats
d’arrondissement que sur la voie publique27. » Même dans les forces de
police locales d’une ville où une bonne partie de la population était juive (et
intégrée) et où avaient éclaté ces violences quelques jours auparavant,
dominait encore ce fort sentiment de haine.
Cette situation tendue perdurera dans toute l’Algérie, et surtout en
Oranie28, jusqu’à la révolution nationale de Pétain, et elle connaîtra des
développements pendant la période du Front populaire et de la proposition
Blum-Viollette29.
Outre l’antisémitisme français, il en existait un autre, complètement
différent, d’origine espagnole et arabe musulmane.
À ce propos, il est important de souligner que ces formes
d’antisémitisme (espagnol et arabe musulman) avaient en commun
l’absence d’une organisation politique structurée (comme l’antisémitisme
français), et les élites espagnoles et arabes restaient en général loin de
l’activisme et de la propagande, fournissant surtout les gros bras pour les
bagarres de rue où les Espagnols et les Arabes étaient souvent en première
ligne30.
Cette brève introduction était importante pour donner une idée de la
situation en Algérie : un pays où une minorité qui avait trouvé dans l’État
français un mode de vie idéal devait affronter une réalité où ses premiers
adversaires étaient ces Français qui auraient préféré garder une distance visà-vis de cette population à laquelle ils rechignaient à concéder une réelle
intégration dans leur communauté.
Vichy, les lois raciales et les réactions des peuples
d’Algérie
L’application des lois raciales fut extrêmement rapide en Algérie.
D’abord la liberté de diffamer et la possibilité d’insulter les Juifs à travers la
presse31 furent rétablies, avec l’abrogation du décret Marchandeau du
21 avril 1939, qui avait (justement) le but d’arrêter la propagande raciste en
France : cette abrogation, instituée sous le gouvernement Daladier, est
significative, car la loi Marchandeau était née dans le but de contraster
surtout la presse algérienne pourrie d’antisémitisme, et de protéger « un
groupe de personnes appartenant par leur religion à une race ou à une
religion déterminée ».
Ensuite, au mois d’octobre 1940, il y eut l’abrogation du décret
Crémieux (7 octobre), qui enlevait la citoyenneté à environ
117 000 individus, et la proclamation de la loi portant statut des Juifs32
(3 octobre, mais publiée au Journal officiel le 18 octobre), « loi applicable à
l’Algérie, aux colonies, pays de protectorat et territoires sous mandat » ; le
11 octobre, une nouvelle loi était publiée, selon laquelle « […] est
suspendue, en ce qui concerne les israélites indigènes des départements
d’Algérie, la procédure instituée par les articles 3 à 11 de la loi du 4 février
1919 sur l’accession des indigènes de l’Algérie aux droits politiques33 ».
En moins de deux semaines, ceux qui avaient été des citoyens français
devenaient des hommes sans aucun droit. En plus, les règles pour
comprendre qui était juif étaient complexes et très peu claires. Le 1er article
du statut de 1940 affirmait : « Est regardé comme juif, pour l’application de
la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou
de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est
juif34. » Toutes ces lois étaient nées en complète autonomie à Vichy : il est
important de souligner cet aspect, même s’il est connu, pour comprendre un
point essentiel, c’est-à-dire la volonté raciste française, qui n’attendait que
le moment propice pour éclater avec violence. Et il est encore plus
important de voir qu’en Algérie régnait une espèce d’ultravichysme car :
« Le régime de Vichy en Algérie ne se contentait pas, seulement,
d’appliquer les décisions gouvernementales ou de donner corps aux idées
ou pensées du maréchal Pétain. Souvent les premières étaient appliquées
avec une rigueur inconnue en métropole tandis que les secondes étaient
admirées en des termes “divins”. Souvent, le régime de Vichy en Algérie
exagérait, accentuait, élargissait la portée de ces décisions35. »
Si le but du premier statut (après avoir déterminé qui était juif) était de
chasser les Juifs du domaine public et du journalisme (avec quelques
dérogations pour les anciens combattants36 et pour ceux qui étaient français
depuis cinq générations), le deuxième statut du 2 juin 1941, né par l’action
de Xavier Vallat37, bloquait en pratique tous les accès aux autres métiers :
le but final était une « stérilisation » de la société française et algérienne. À
partir de novembre 1941, un numerus clausus fut appliqué (2 %) aux
avocats, médecins38 et sages-femmes, en février 1942 le même fut appliqué
aux architectes, et le 8 septembre également aux dentistes. En pratique, les
Juifs pouvaient travailler seulement dans l’artisanat et le petit commerce.
En 1941 eut lieu aussi un recensement39 (de la population et des biens)
où l’appellation religieuse/raciale était rétablie : si la plupart des Juifs dans
le recensement de 1931 s’étaient refusés à dire s’ils étaient des « israélites
naturalisés » en 1870 en se définissant directement comme « Français
d’origine »40, ce choix de Pétain les obligeant à un énorme pas en arrière.
Avec le numerus clausus pour les étudiants de l’université et des lycées41
(3 %), et ensuite pour les écoles primaires (14 %), se réalisait le
« nettoyage » commencé plus tôt avec les professeurs, en accord avec l’idée
de Vallat : si les Juifs ne peuvent pas travailler dans certains domaines,
pourquoi devraient-ils étudier pour le faire ? Le 19 août 1941, par l’action
de Maxime Weygand (antisémite farouche mais aussi antiallemand), fut
créé un « Service algérien des Questions juives »42 (l’équivalent du
« Commissariat général aux questions juives » – le CGQJ – créé en France).
Ce nouveau dispositif, qui restera en fonction jusqu’à fin mars 1943 (cinq
mois après l’arrivée des Alliés au Maroc et en Algérie), devait s’occuper de
« l’aryanisation et de la spoliation rationnelles des bien juifs43 ».
Les réactions des communautés
Dans ce contexte, nous pouvons observer les réactions des
communautés qui vivaient à l’époque en Algérie.
S’agissant de la communauté française, Michel Ansky nous rapporte un
commentaire de Morinaud publié dans Le Républicain de Constantine :
« La joie s’est emparée des Français quand ils ont appris que le
gouvernement Pétain abrogeait, enfin, l’odieux décret44. » Nous
soulignerons ici l’utilisation du mot « joie ».
En fin de compte, toute la haine raciale algérienne avait trouvé la
possibilité de s’épancher de plein droit et avec l’approbation des autorités
de Vichy. C’était une espèce de soulagement, car enfin existait la possibilité
de donner libre cours à ces sentiments refoulés et violents.
Au niveau politique et ministériel il y avait en Algérie un groupe de
fidèles exécutants de la politique antisémite de Vichy : le général Maxime
Weygand, le gouverneur général de l’Algérie Yves Châtel (18 novembre
1941-17 janvier 1943) et son conseiller Canavaggio. Même après la
libération, Marcel Peyrouton45, successeur de Châtel, continuera à mener
une politique antisémite.
S’agissant des partis politiques et de la société civile, le climat restait
fortement antisémite. En septembre 1940, pendant la tournée de
réorganisation du PPF opérée par Jean Fossati, il y aura plusieurs bris de
vitrines et des affichages de tracts hostiles ; la Légion française des
combattants se distinguera pour ses positions, moins violentes mais
extrêmement antisémites (une section de Blida en juillet 1942 demandera à
Pétain de faire appliquer en Algérie aussi le port de l’étoile jaune et
d’interdire la sortie des Juifs le dimanche et les jours fériés46).
La société civile fut en pratique absente. Il y eut très peu de gestes de
solidarité du côté français (ou européen en général) : Mgr Leynaud,
archevêque d’Alger, qui proposa au gouvernement d’accueillir dans des
écoles catholiques privées des enfants écartés des écoles publiques, les
scouts européens qui soutinrent le scoutisme juif, la Banque d’Algérie qui
ne licencia pas son personnel juif.
Cette situation n’est peut-être pas étonnante : comme l’a récemment
écrit Robert Satloff, toute la législation antijuive de Vichy a été autonome et
spontanée, l’Allemagne n’avait aucun rôle dans cette édiction de lois
raciales47, donc il était plutôt normal (et encore plus en Algérie) d’avoir une
population qui ne s’intéressait pas à la vie des Juifs et qui soutenait plutôt le
procès antisémite. Les lettres de respectables citoyens français, citées par
Michel Abitbol, qui critiquaient Xavier Vallat48 sont tout à fait
intéressantes. À leur avis, ce dernier était trop indulgent et ces honorables
Français lui demandaient d’être plus dur avec les Juifs49. Dans ce contexte,
on ne peut oublier qu’après le numerus clausus de 3 % pour les étudiants de
l’université, le docteur Costa écrivait d’Alger à son ami René Gazagne,
directeur du statut des personnes au Commissariat général aux questions
juives à Vichy, en ces termes : « […] les étudiants français d’Algérie ont
accepté douloureusement le 3 %. Ce qu’ils désiraient, c’est en réalité le
0 %50. »
La volonté d’écarter les Juifs de tous les domaines en arriva à des
situations absurdes : à Alger, le préfet (le 21 juillet 1942) interdit aux Juifs
d’exercer la profession de dépositaire de lait parce que, selon une enquête,
ils étaient accusés de consommer trop de lait (5 000 litres par jour pour une
population de 25 000 Israélites) par rapport aux Européens et aux
musulmans (7 000 litres pour 270 000 individus51). Une telle
invraisemblance dans les quantités prouve qu’il ne s’agissait là que d’une
nouvelle occasion de dépouiller les Juifs d’une activité économique et de
leur rendre la vie encore plus difficile.
En conclusion, cette phrase de Cantier éclaire la réaction de la
population française : « Une poignée d’hommes de bonne volonté, une forte
fraction d’antisémites convaincus ou opportunistes, une masse intoxiquée
par la propagande qui suit avec complaisance ou indifférence le
développement de la persécution, ainsi semble pouvoir être résumé le profil
de l’opinion publique européenne face à la question juive52. »
Quant aux attitudes face à la possibilité d’expropriation des biens juifs,
elles ont différé entre Français et Algériens musulmans : très peu des
musulmans ont profité de l’aryanisations des biens juifs53. Les indigènes
musulmans – ces vocables étaient employés par le gouvernement français
pour désigner les Algériens arabes – ont eu en général un comportement
plus correct que les Français envers les Juifs : selon le témoignage de José
Aboulker, cité par Robert Satloff, aucun Arabe ne se serait approprié des
biens spoliés aux Juifs, un « exemple admirable de dignité
collective54 ». En réalité, il ne faut pas faire l’erreur de glorifier l’attitude
des musulmans : comme le rappelle bien Yves-Claude Aouate, il y avait
aussi une partie de la population – l’élite intégrée – qui se plaignait de ne
pas pouvoir participer aux séquestres de biens et qui « bien contente de la
déchéance des Juifs attendait des résultats pratiques55 ».
Donc il faudrait distinguer ceux qui n’ont pas profité parce qu’ils
voulaient être corrects et ceux qui, plus simplement, n’ont pas pu participer.
À côté de ceux qui recherchaient leur propre profit, il y avait aussi la
grande masse populaire musulmane : cette partie de la population était
intimement satisfaite de l’abrogation du décret Crémieux. Son
antisémitisme était plutôt lié à l’idée du traditionnel mépris envers les Juifs,
une sorte de revanche au niveau social56.
Néanmoins, il faut souligner que les élites intellectuelles et nationalistes
soutenaient une position totalement contraire. Pour plusieurs leaders
politiques, il n’y avait aucune raison de se réjouir de l’humiliation des Juifs,
car la perte de tous les droits de citoyenneté après soixante-dix ans était
signe d’une dégradation et d’une totale déviance du droit français57.
Ferhat Abbas, Alì Boumendjel (tous les deux en soulignant que les
Arabes ne pouvaient pas suivre une politique raciale, vu qu’eux-mêmes
étaient discriminés) étaient opposés à cet antisémitisme, et jusqu’à Messali
Hadj, chef du PPA (Parti du peuple algérien), qui affirmait que
« l’abrogation de Crémieux ne peut être considérée comme un progrès pour
le peuple algérien vu qu’en ôtant leurs droits aux Juifs, vous n’accordez aux
musulmans aucun nouveau droit58 ». L’ouléma réformiste Cheikh El Oqbi,
pour montrer son opinion et sa volonté d’être proche des Juifs, fonda avec
ces derniers et des chrétiens une « Union des croyants monothéistes59 ».
On peut donc mettre en évidence les différences entre Français (et plus
généralement Européens) et musulmans, soit au niveau de la masse
populaire, soit au niveau des élites.
La masse française était plus touchée par la propagande et, après des
dizaines d’années d’antisémitisme organisé, attendait le moment pour
pousser les Juifs dehors ; la masse musulmane (à part les Kabyles qui,
pendant un moment, ont pensé pouvoir prendre la place des Juifs dans la
société algérienne) était moins intéressée et comprit bientôt qu’elle ne
pouvait rien gagner à cette situation.
La grande différence s’est manifestée entre les élites, car dans ce
domaine on peut mieux comprendre la politique d’un État. Les élites
européennes, y compris l’Église catholique, étaient en pratique absentes :
pas de prises de position, ni de déclarations ou d’exemples formels de
solidarité.
En revanche, les élites musulmanes ont ouvertement déclaré leur
opposition et de cette façon ont mis en évidence leur objection à des
dispositions qu’elles trouvaient contraires à la loi et à la morale.
Là encore on a pu voir la différence entre la métropole, où une
solidarité s’était quand même manifestée en certains domaines (au moins
dans quelques cas), et l’Algérie ; le fait que les classes bourgeoises
algériennes étaient liées à l’idée d’exclusion des Juifs, idée présente depuis
toujours, et à une société bloquée qui n’avait jamais toléré l’acquisition de
la nationalité par les Juifs, avait donné lieu à un système plus extrême et
violent que dans tous les autres départements français.
Joëlle Allouche-Benayoun et Doris Bensimon écrivaient à propos de la
réaction juive après la vague antisémite du début de 1900 : « […] la crise
antijuive, tout en marquant la génération qui l’a vécue et qui en transmet le
récit à ses descendants, n’a pas freiné le processus de francisation de la
judaïcité algérienne. Bien au contraire, elle a plutôt stimulé son aspiration à
une intégration plus complète à la société française60. »
De fait, cette attitude, quelquefois étonnante, fut celle des Juifs
algériens.
Dans les témoignages contemporains (Pages vécues d’Eisenbeth ou
dans le Bulletin de la fédération des Sociétés juives d’Algérie géré par Élie
Gozlan) jamais on ne ressent de haine envers la France : la période de
Vichy semble être considérée comme une erreur, une pause dans la
progressive assimilation française, et l’envie de rester à l’intérieur de cette
culture est tellement forte qu’elle fait oublier les discriminations subies.
Dans un document du CDJC, on trouve au moins une critique de la
période de Vichy : « On pouvait espérer que la guerre de 1939-40, à l’instar
de celle de 1914-18, provoquerait une union sacrée à la faveur de laquelle
les haines s’apaiseraient. Il n’en fut rien. Loin de se calmer, elles
s’attisèrent. Les Juifs furent les boucs émissaires de la défaite61. »
Ce document est important car il met en lumière ce que beaucoup
d’autres auteurs n’ont pas le courage de soutenir : la France, qui avait utilisé
les Juifs d’Algérie pour acquérir de nouveaux citoyens, les utilisait
maintenant comme boucs émissaires. Ils avaient été internés parce que
Juifs, même si soldats de l’armée française, ils étaient restés dans les camps
d’internement bien après l’arrivée des Alliés, ils n’avaient récupéré leurs
droits (y compris la citoyenneté et le rétablissement du décret Crémieux)
que bien des mois après que l’Algérie était redevenue libre62.
Mais malgré tout, et c’est justement cet aspect qui pourrait surprendre,
les Juifs algériens sont restés profondément liés à la France, à leur passé et à
l’émancipation que ce pays leur avait octroyée soixante-dix ans auparavant.
En conclusion, je citerai Tocqueville, évoqué par Xavier Yacono dans
un petit livre sur l’histoire de la colonisation française. Alexis de
Tocqueville écrivait en 1841 : « En général, en Afrique, comme partout
ailleurs, toutes nos alliances ont amené la destruction ou la diminution de
ceux qui mettaient en nous leur confiance63. »
Bien que précédant d’un siècle la situation de l’Algérie de Vichy, cette
phrase est parfaite pour décrire la relation, souvent pénible, entre les Juifs
d’Algérie et la France, ainsi que l’attitude ambiguë que la France a toujours
eue envers cette communauté.
Quatrième partie
LES JUIFS D’AFRIQUE
DU NORD
DANS LE TUMULTE
DES ÉVÉNEMENTS
8
Les Juifs de Mogador (Essaouira)
pendant la Seconde Guerre
mondiale :
la terreur de Vichy et sa gestion
communautaire1
par Joseph CHETRIT
INTRODUCTION
Avec l’ouverture progressive des archives administratives,
diplomatiques et communautaires, la douloureuse période de la Seconde
Guerre mondiale pour les Juifs d’Afrique du Nord sort à présent de l’ombre
– et peut-être même d’une certaine occultation – historique dans laquelle
elle était maintenue depuis la fin de la guerre. Différentes études générales2
ou particulières3 ont été consacrées ce dernier quart de siècle à ces années
de terreur, de menaces et de périls pour tous, et de calvaire pour ceux qui
ont connu les affres et souvent même l’enfer des camps d’internement ou de
travail français (en Algérie et au Maroc) et nazis (en Libye et en Tunisie)4.
Ces travaux lèvent le voile sur les mesures discriminatoires et violemment
antisémites qui ont été imposées aux communautés juives d’Afrique du
Nord et sur le lot de souffrances et d’angoisse que celles-ci ont vécues sous
le régime de Vichy. Comme on le sait maintenant, cette période de
restrictions, de contraintes, d’injustices, de brimades et de persécutions ne
s’est pas terminée avec le débarquement des troupes américaines le
8 novembre 1942 à Casablanca et à Alger. Elle a continué bien au-delà, en
fait jusqu’à la victoire finale en 1945 sur Hitler et les nazis, avec un certain
répit tout de même à la fin de l’année 1943, après l’accord passé en Algérie
entre le général de Gaulle et le général Giraud, la restauration de la
citoyenneté française qui s’en est suivie pour les Juifs algériens et
l’annulation des autres décrets de Vichy pour l’Algérie, la Tunisie et le
Maroc5.
Dans cette étude, nous nous intéresserons exclusivement aux
événements, aux processus, à l’ambiance d’insécurité et d’angoisse, aux
réactions des individus et des collectivités, ainsi qu’aux comportements qui
ont marqué le judaïsme marocain à la période de l’avant-guerre et de la
guerre, c’est-à-dire à partir de la montée de Hitler au pouvoir jusqu’à la fin
de la guerre6. Après l’évocation des conditions générales qui ont prévalu
dans ces communautés à la suite de la montée du nazisme et des réactions
que cet événement et ses conséquences ont suscitées dans les milieux juifs,
nous étudierons en détail la manière dont les années de guerre 1940-1942 et
une partie de 1943, période durant laquelle les communautés juives étaient
sous la coupe du régime de Vichy, ont été vécues par une communauté
particulière, celle de Mogador (aujourd’hui Essaouira). Pour cela, nous
mettrons à contribution des documents d’archives que nous venons de
découvrir, les circulaires communautaires notamment par lesquelles le
président du comité de la communauté ainsi que le président du tribunal
rabbinique transmettaient aux membres de la communauté les directives de
l’administration française et essayaient de gérer du mieux qu’ils pouvaient
des situations et des contraintes bien difficiles pour tous7. Mogador est
aussi la seule communauté pour laquelle nous disposons, pour le moment,
du rapport de synthèse officiel des déclarations de biens juifs que les chefs
de famille devaient remplir et remettre jusqu’au 8 novembre 1941 ainsi que
de la liste complète de ceux qui les ont remplies et déposées8. Nous
utiliserons aussi des textes poétiques en judéo-arabe et en français qui ont
été écrits à Mogador avant la publication de la législation antijuive au
Maroc par des poètes locaux sur ces événements, ainsi que des témoignages
oraux que j’ai recueillis voilà une trentaine d’années auprès de personnes
originaires de la communauté.
LA RÉACTION CONTRASTÉE
DES COMMUNAUTÉS JUIVES DU MAROC
À L’HITLÉRISME
La réaction des intellectuels, des commerçants
et des couches populaires
Contrairement à ce que certains pourraient penser sur la connaissance
réelle que les communautés juives du Maroc avaient du danger que
représentaient le régime nazi et l’hitlérisme triomphant en Allemagne pour
les Juifs allemands et l’ensemble du monde juif, elles étaient bel et bien
conscientes de la politique nazie antijuive et des persécutions et spoliations
menées contre les Juifs d’Allemagne dès la montée du nazisme au pouvoir
en 1933. Elles furent d’ailleurs parmi les premières à réagir à ces
persécutions par un boycott public des marchandises allemandes et des
firmes allemandes implantées au Maroc, boycott qui a eu un certain effet
sur les responsables allemands9. D’autre part, les couches francisées des
différentes communautés suivaient régulièrement l’actualité française à
travers la presse française et la presse nord-africaine publiée en français et
répercutaient leurs informations, leurs craintes et leurs appréhensions dans
les autres couches. Dans ce relais de transmission des nouvelles du monde,
le monde français et européen en particulier, le rôle des maîtres des écoles
de l’Alliance (l’AIU) fut inestimable. Par leur formation comme par leur
profession, ils étaient au courant des développements politiques concernant
la France et les affaires françaises, comme la tension avec l’Allemagne, tels
qu’ils étaient perçus non seulement par la presse mais aussi par la direction
parisienne de l’Alliance et sa correspondance ininterrompue avec les
directeurs d’école. Aussi est-ce tout naturellement qu’un instituteur à
l’école de l’Alliance à Meknès10 a choisi de consacrer son travail
trimestriel, que tout maître de l’Alliance se devait d’envoyer à la direction
parisienne de l’AIU, à la triste renommée que s’était faite Hitler dans sa
communauté en 1934. Dans son rapport, qu’il a intitulé « Hitler chez
nous », il écrit :
« Il est tout à fait curieux de remarquer chez les Juifs moyens de chez
nous l’état d’esprit qu’a créé l’avènement de Hitler au trône de la barbarie.
« Le nom du champion du crime collectif et officiel est dans toutes les
bouches. Tout ce qui peut avoir rapport à l’Allemagne hitlérienne, à la
malchance, à un objet ou à une personne quelconque pouvant porter un
préjudice matériel ou moral, prend le nom de Hitler, l’Aman du XXe siècle.
Il n’est pas jusqu’aux enfants qui ne connaissent ce nom de triste
réputation11. »
Dans cette première phase du nazisme, ce sont donc des instituteurs et
ceux qui pratiquaient des professions libérales, des intellectuels en général,
qui se seraient mobilisés les premiers et qui auraient manifesté leurs
craintes et leur condamnation du régime nazi et de sa politique antijuive. Ils
furent particulièrement actifs à Casablanca, capitale économique du
royaume sous le Protectorat, et à Rabat, sa capitale politique. Pour l’un des
connaisseurs les plus avisés du judaïsme marocain de l’époque, le
journaliste Jacob Ohayon12, c’est cette mince couche de la communauté qui
a été principalement secouée et même horrifiée lors de la montée des périls
nazis, les couches populaires étant soi-disant résignées par « atavisme » à
leur destin juif incertain :
« En 1933, dès l’avènement de Hitler et les premières mesures raciales,
les Juifs marocains ont voulu protester – marquer le coup, comme l’on dit.
Tandis que les Juifs du ghetto accueillaient l’avènement avec l’indifférence
atavique des persécutés endémiques, protégés qu’ils étaient contre les
vexations antijuives, grâce à une carapace religieuse et traditionnelle, les
assimilés par contre, atteints d’un complexe d’infériorité conséquente du
peu de confiance en leur résistance et de l’absence de toute foi religieuse
commençaient à trembler, les uns pour leurs biens, les autres pour leur
confort : aucun à mon avis ne songeait qu’un événement quelconque,
imprévu, pouvait les amener au stade où commençaient à s’empêtrer les
Juifs d’Allemagne.
« La manifestation du Régent Cinéma13, en mars 1933, était considérée
par beaucoup comme purement symbolique. On n’y vit pas figurer les
rabbins, les orthodoxes, mais les avocats, les commerçants, toute une foule
de gens pour la plupart ignorants de l’histoire juive, et ne se faisant aucune
idée de la menace sourde et continue qui allait les poursuivre partout14. »
L’écriture antinazie au Maroc
Malgré ces assertions péremptoires du journaliste, il est permis de
douter de cette présentation dichotomique, caricaturale et condescendante15,
des sentiments des différentes couches sociales et des différents milieux
juifs au Maroc face aux périls du nazisme. Si les couches populaires n’ont
pas manifesté publiquement et bruyamment leur indignation et leur
réprobation de la politique nazie, c’est que les dirigeants communautaires
ne les ont pas encouragées à le faire, ceux-là mêmes qui étaient inféodés
aux autorités du Protectorat et enrégimentés par leurs services sourcilleux.
Les couches populaires avaient d’autres moyens plus traditionnels, et moins
visibles, de manifester leurs sentiments d’indignation, à travers notamment
leur poésie populaire en judéo-arabe ou à travers leur dire formulaire,
comme le soulignait l’instituteur de Meknès dans son rapport trimestriel.
C’est ainsi que dans la poésie orale du genre Aroubi, chantée surtout par les
femmes mais aussi par des hommes lors des veillées du Tahdid16, qui se
déroulaient durant les nuits d’avant la circoncision du nouveau-né juif, la
figure rhétorique et virtuelle commune de l’ennemi, qui y apparaît
fréquemment et contre laquelle sont lancées des invectives et des
malédictions, a pris le nom emblématique de Hitler dans des collections de
textes imprimées à Casablanca avant la guerre17.
Des poètes populaires ont aussi composé des chants satiriques contre
Hitler et ses acolytes. C’est le cas du chansonnier Albert Levy de
Mogador18. Dans son long poème judéo-arabe, qu’il a composé bien avant
la guerre, à un moment où les rigueurs de Vichy et de ses représentants au
Maroc n’avaient pas encore paralysé l’expression juive, l’auteur relate les
exactions et les persécutions de Hitler dirigées contre les Juifs allemands,
en accompagnant ses descriptions de violentes imprécations contre cet
ennemi implacable du peuple juif, et évoque le boycott des marchandises
allemandes par les Juifs du Maroc. À la fin de son texte, il n’oublie pas de
vanter les bienfaits de la France, protectrice des Juifs19.
C’est un autre poète de Mogador, Isaac Knafo, dont la verve créatrice
en français fait de lui le poète de sa ville natale et du judaïsme marocain
d’avant la guerre, qui a consacré en septembre-octobre 1939 toute une
plaquette de onze poèmes pamphlétaires contre Hitler et le régime nazi et
leur implacable cruauté. Cette plaquette, il l’a aussitôt publiée sous le titre
Les Hitlériques, et elle connut un succès certain20. À côté de textes
satiriques et moqueurs, où il évoque la soif de pouvoir de Hitler et ses vices
monstrueux et grotesques, ainsi que ceux de ses lieutenants nazis, il a écrit
un des poèmes les plus significatifs sur l’avant-guerre, où il décrit avec
grande sensibilité, compassion et émotion le calvaire de ceux qui étaient
déjà internés et humiliés dans les camps de concentration d’avant la
Solution finale. Dans ce poème comprenant douze quatrains de quatre
alexandrins chacun, au rythme bien frappé et aux rimes embrassées et
intitulé « L’enfer », dont nous donnerons en annexe le texte intégral, il écrit
dans les deux premières strophes :
Tout là-bas, quelque part dans la triste Allemagne,
L’enfer est dénommé Camp de Concentration.
Pour les seuls innocents, ce lieu de détention
Est, ainsi qu’il se doit, plus cruel que le bagne.
Mal nourris de déchets, couchés sur des grabats
— quand ce n’est pas sur le sol —, dans d’infâmes baraques,
Les prisonniers fourbus que l’on torture et traque
Doivent, le long des nuits, aux rats livrer combat21.
Cette écriture antinazie, aussi bien populaire que savante, relayait en
fait les informations et commentaires qui s’étalaient de temps à autre dans
les pages de l’hebdomadaire juif de Casablanca L’Avenir illustré22, dont le
directeur, Jonathan Thursz, avait fait l’organe sioniste central d’Afrique du
Nord, et appelaient les lecteurs à la plus grande vigilance et à la solidarité
active avec les Juifs d’Allemagne.
Les menées antijuives au Maroc avant la défaite
de la France
Cette mobilisation générale des esprits à la veille et au début de la
guerre, avant que ne fût arrêtée la législation antijuive de Vichy, se traduisit
par un afflux de milliers de jeunes Juifs aux centres qu’avaient ouverts, à
Casablanca et dans d’autres villes de Maroc, les autorités françaises pour
recruter des volontaires qui combattraient dans les rangs de l’armée
française, bien sûr avant que la France défaite ne signât l’armistice de
juin 1940. Mais leur fougue et leur volonté de combattre l’armée allemande
furent vite déçues, les autorités coloniales ayant refusé de les enrôler sous
toutes sortes de prétextes, dont les sentiments antisémites des agents du
Protectorat n’étaient pas les moindres23.
C’est qu’en effet, pendant l’avant-guerre, les Juifs du Maroc ne vivaient
pas que dans la hantise de la montée du nazisme et de ses périls de plus en
plus pressants, mais étaient aussi en butte à la montée de l’antisémitisme
des colons français et de leurs sentiments racistes, qui se déployaient à
travers des organes de presse officiels en français. Ce racisme de plus en
plus virulent des colons, répercuté même par quelques activistes
nationalistes musulmans, ne faisait que répondre à l’antisémitisme
endémique que cultivaient un grand nombre d’agents du Protectorat, aussi
bien dans l’administration civile qu’au sein de l’armée française
d’occupation24. Pendant ces années, les autorités françaises cherchaient à
rapprocher les élites musulmanes de la politique française et multipliaient
leurs efforts dans ce sens en faisant abstraction des élites juives et des
populations juives, considérées comme devant gêner ces efforts25. La
création de tels cercles franco-marocains formalisa même par avance
l’étude et la préparation de mesures antijuives, avant même la déclaration
de la guerre et bien avant la législation antijuive de Vichy, comme le
rapporte le journaliste J. Ohayon :
« Chaque fois, il n’était question que de l’amitié, du rapprochement
“franco-musulman”, et non “franco-marocain”. Les Juifs saisissaient la
nuance. On ne pouvait pas mieux les exclure de la vie marocaine. »
Un cercle franco-marocain, dirigé par un comité français, refusa
d’admettre les Juifs marocains. Ce cercle devint un foyer politique où, sous
prétexte de rapprochement franco-marocain, on fit de la politique raciale.
C’est là que fut préparé un statut futur du judaïsme marocain, prévoyant
même le numerus clausus, l’exclusion de certains postes, etc. Si l’on
considère que ces événements se passaient en 1938, l’on comprendra
facilement le chemin parcouru dans les esprits par la propagande raciale. Et
ce cercle politique prenait, aux yeux des Juifs, ses inspirations, ses
directives, de Français26…
C’est dans cet état d’esprit antisémite et cette ambiance antijuive que
les Juifs du Maroc ont appris, effarés, la défaite de la France et sont entrés
sous la coupe du régime de Vichy. Le général Noguès, Résident général du
Maroc, s’est rallié à la cause du maréchal Pétain alors qu’il avait été nommé
à son poste par le gouvernement Léon Blum et était considéré comme un
homme de gauche. À la tête de l’administration coloniale, animé d’un excès
de zèle, il joua un rôle déterminant dans l’application exemplaire et rapide
aux Juifs du Maroc de la législation antijuive de Vichy de juin et
octobre 1940. Commenceront alors pour les Juifs les spoliations, le renvoi
ou la limitation d’exercice des professions libérales, la fermeture de
maisons de commerce intérieur et extérieur et le transfert de leurs activités à
des Français ou à des musulmans, les quotas dans les écoles non juives, le
soupçon généralisé, les harassements, les brimades et l’instauration d’une
ambiance d’incertitude et de peur, bref, tous les ingrédients d’un régime de
terreur doublé d’une grande dose de précarité27. Par la suite, par application
du dahir du 5 août 1941, tous les Juifs devaient remplir leurs déclarations
de biens financiers et de biens immeubles et les déposer auprès des services
municipaux jusqu’au début novembre de la même année, sous peine de
fortes amendes et d’emprisonnement28.
Dès l’été 1940 et jusqu’après la fin de la guerre, ce sera aussi la pénurie
des denrées et des produits de consommation de première nécessité, comme
les tissus ou le savon, avec un système de rationnement qui tentera de la
gérer : les Français seront les premiers et les mieux servis, les Juifs les
derniers et les moins bien, alors que les populations musulmanes seront
parfois mieux loties pour certaines denrées de base29. Avec la pénurie
fleurira aussi le marché noir, que les Juifs seront accusés en premier
d’alimenter et de faire prospérer. Ils seront châtiés en conséquence pour
leurs forfaits, graves ou bénins30, certains d’entre eux envoyés même dans
les camps d’internement et les camps de travail du Sud-Est marocain et
d’ailleurs31.
Une autre question préoccupa les grandes communautés juives
urbaines. C’est celle de l’aide qu’elles se devaient d’apporter aux réfugiés
juifs venus d’Europe au Maroc, à Casablanca et Tanger surtout, en route
pour l’Amérique et d’autres lieux d’accueil, mais se retrouvant souvent
bloqués sans papiers et sans ressources. Ceux qui n’étaient pas internés par
les autorités coloniales étaient répartis par le Comité d’accueil aux réfugiés
juifs, lequel a été fondé et dirigé par maître Hélène Cazes-Benatar, et
envoyés dans différentes communautés du littoral marocain, dont les
dirigeants se chargeaient de leur trouver des lieux ou des familles
d’accueil32.
LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE MOGADOR
SOUS LE RÉGIME DE VICHY
La mise au pas de la communauté et des familles
Mogador était parmi ces communautés qui ont accueilli des réfugiés
juifs d’Europe, et les souvenirs de cet accueil sont encore vivaces dans la
mémoire de ceux qui en ont bénéficié33. Après l’installation du protectorat
français en 1912, la ville a beaucoup perdu de son poids économique, son
port ayant été au XIXe siècle le premier du pays, et par suite a perdu de sa
population juive aussi. D’après le recensement d’août 1940, qui a servi à
l’établissement du rationnement des denrées et produits de première
nécessité, la communauté juive comptait 1 251 familles et 6 270 membres,
qui étaient autant de rations34. Ces chiffres reflètent les vagues d’émigration
qu’a connues dans le premier tiers du XXe siècle une grande partie de la
communauté et la dispersion des familles, surtout dans les villes du littoral
atlantique, Agadir, Mazagan, Safi et Casablanca, alors qu’au début du siècle
elle comptait près de 10 000 âmes35.
Comme toutes les autres communautés juives du Maroc, Mogador entra
elle aussi à l’été 1940 dans le cercle de la pénurie et de l’angoisse.
L’instituteur Prosper Cohen, qui y a été muté de Meknès, brosse ainsi, bien
des années après, l’atmosphère qui s’y est alors installée :
« À Mogador, nous attendons notre tour comme toutes les autres
communautés. L’angoisse injectée goutte à goutte dans les nerfs fait
doucement son travail d’érosion. À partir de juin 1940, la tension monte. La
déroute de l’armée française, la capitulation, la fuite du gouvernement,
l’exode de la population, l’avènement de Pétain et sa reddition, telles sont
les tristes péripéties du drame de la mort de cette Civilisation qui tente
vainement d’éloigner l’homme du fauve simiesque, son ancêtre.
« […] La radio clandestine nous tient informés du sort réservé à nos
malheureux frères d’Europe. Les lois de Vichy commencent à instiller leur
poison au Maroc : le numerus clausus, invention diabolique à l’usage des
antisémites unis de tous les climats, est de mise. L’image du Juif parasite et
multiple, suçant impitoyablement le sang du pauvre Gentil innocent,
ressurgit dans la presse et à la radio, pénètre dans tous les foyers, exacerbe
les nerfs et affûte la haine qui sommeille au fond des âmes36. »
Commence alors la mise au pas continue de la population juive par
l’entremise du comité de la communauté et du président du comité. Les
instances juives serviront dorénavant de courroies de transmission et de
coercition des directives émanant des autorités coloniales, par l’entremise
des autorités locales, et ne se contenteront plus de garnir la galerie soidisant démocratique du régime colonial ni de jouer aux figurants dans les
réceptions et cérémonies de la vie publique locale. Il leur incombait de bien
prendre conscience des instructions et des ordres assénés à la population
juive, de les traduire en judéo-arabe et de les diffuser par le moyen le plus
efficace, c’est-à-dire les circulaires lues dans les synagogues à l’office du
samedi, à un moment où toute l’assemblée des fidèles (y compris des
vieilles dames) était présente.
Ces directives ont concerné d’abord l’enregistrement obligatoire de
toutes les naissances sous les quarante-huit heures auprès du comité, sous
peine de privation de leur ration37. D’autre part, une lettre du contrôleur
civil enjoint au président du tribunal rabbinique de « faire surseoir à toute
opération de vente ou cession immobilière, jusqu’à la présentation par les
parties intéressées d’une autorisation spéciale émanant des autorités de
contrôle, spécifiant le domicile des acquéreurs et des vendeurs, quelle que
soit leur nationalité38 ». Non seulement les ventes de biens immobiliers
seront strictement contrôlées mais même les fêtes familiales. Tous ceux qui
comptaient organiser une fête familiale où il était prévu de jouer de la
musique ou de danser devaient en demander l’autorisation préalable aux
services municipaux par lettre exprès sur papier officiel et déposée au
moins vingt-quatre heures à l’avance39. De même, dans les convois
funèbres, le cortège juif devra faire attention de ne pas s’étaler sur toute la
largeur de la rue mais seulement sur une partie, afin de ne pas gêner la
circulation de passants40. Avertissement a été adressé aussi aux parents de
surveiller la conduite de leurs enfants dans la rue, sous peine d’être tenus
pour responsables des désordres ou des délits qu’ils auront commis41. Au
nom des directeurs d’école, une autre circulaire demande aux parents de
retenir leurs enfants à la maison jusqu’à un quart d’heure seulement du
début des classes et de les empêcher de jouer dans la rue42.
Parmi ces circulaires communautaires reproduisant les instructions des
maîtres français, une retient particulièrement l’attention. Elle fait état de
l’agitation et du mécontentement de certains éléments de la population
juive, qui ne se cachaient pas de le faire savoir par écrit, mais de façon
anonyme, aux autorités. Elle est datée du 8 novembre 194143, date bien
significative, celle-là même qui a été fixée comme dernier délai pour le
dépôt des déclarations de biens. Dans sa missive, le président du comité,
Meir Melca, annonce que « les autorités (le “Makhzen”) ont reçu des lettres
contenant des propos malpropres contre tous les agents du pouvoir, et après
enquête il s’est avéré que les auteurs en étaient des enfants ». Il ajoute que
« ce sont là des choses déplacées outre mesure, qui salissent la face de la
communauté entière » et il engage chacun au nom des autorités « à ce qu’il
surveille bien sa bouche et évite des dires superflus ». Les parents en
particulier devraient « s’abstenir de tenir des propos malpropres en présence
de leurs enfants, surtout concernant le pouvoir et les autorités ». Il avertit
enfin les destinataires que « si des enfants se trouvaient coupables de tenir
des propos qui ne leur sont pas propres, non seulement ces enfants seraient
arrêtés mais leurs parents aussi seraient punis sévèrement ». Il termine sa
missive en demandant aux parents, au nom du commissariat de police, de
bien surveiller leurs enfants, qui détruisent les plantes et les arbres, jouent et
jettent des pierres dans la rue.
Les déclarations de biens
Les déclarations de biens ont fait l’objet, quant à elles, de différentes
circulaires. Après une première missive qui annonçait l’arrivée prochaine
des formulaires de ces déclarations devant être remplis en vertu du dahir du
5 août 194144, le président du comité demande par une lettre ultérieure45,
bien détaillée, aux membres de la communauté d’aller aux services
municipaux retirer ces formulaires et de les remplir soigneusement en
veillant à « une écriture bien nette » et à répondre à toutes les questions. Le
chef de famille devait remplir le formulaire au nom de sa femme et de ses
enfants, et les tuteurs au nom des enfants sans parents. Les Juifs qui
n’étaient pas marocains devaient fournir le détail des biens de chacun des
membres de leur famille et de leurs biens immeubles avec leur
emplacement, leur valeur et leurs dimensions, de même que des
marchandises qu’ils détenaient, en y joignant un inventaire ou un bilan. Les
Juifs marocains, quant à eux, ne devaient pas fournir le détail de leurs biens
si leur fortune ne dépassait pas 50 000 francs, les meubles, les vêtements et
les objets de valeur à usage personnel n’ayant pas à être inscrits. Ceux dont
la fortune dépassait 50 000 francs devaient inscrire leurs biens, la nature de
ces biens, maison, magasin, etc., avec l’adresse et la valeur actuelle. Les
marchandises possédées aussi devaient être détaillées, leur nature, leur lieu
de dépôt et leur valeur. Les sommes d’argent déposées dans les banques,
soit privées soit en association, devaient être déclarées avec les parts de
chacun dans des sociétés ou des compagnies et leur valeur. La circulaire se
termine par un avertissement lancé au nom du chef des services municipaux
pour que personne ne s’abstienne de faire sa déclaration, sous peine d’un
mois à un an de prison en plus d’une amende de 100 à 10 000 francs. Les
déclarations devaient être déposées avant le 8 novembre 1941.
Comme il a été dit, Mogador est la seule communauté juive du Maroc
pour laquelle nous disposons non seulement des directives concernant ces
déclarations46 mais aussi du rapport de synthèse rédigé par le chef des
services municipaux et envoyé au contrôleur civil de la ville sur la base des
déclarations qui ont été déposées et en réponse à un questionnaire
d’orientation officiel47. Concernant l’état d’esprit de la population juive, le
rapport fait état du calme dans lequel ont été remplies et déposées les
déclarations ainsi que la « soumission entière [des “israélites”] sans aucune
intention de protestation ou de rébellion », en faisant manifestement
abstraction des lettres anonymes de protestation ou même d’insultes qui ont
été reçues par les autorités. Il ajoute cependant que parmi les « israélites »
réside « un sentiment de crainte que cette mesure ne soit qu’une étape vers
un prélèvement sur les biens ». En accord avec les préjugés racistes de
Vichy, il souligne qu’« à cette occasion aussi s’est ranimé dans ces milieux
un sentiment, qui ne cesse d’y exister à l’état latent depuis que les éléments
juifs ont été écartés du pouvoir en France : c’est le sentiment de revanche,
revanche qui suivra immédiatement la victoire, en laquelle on espère
ardemment ». Il juge généralement sincères les déclarations de biens mais
ajoute que les bijoux n’ont pas été déclarés, alors qu’ils représentent une
bonne part de l’avoir des familles juives. Le rapport souligne aussi la
satisfaction des milieux européens et des milieux musulmans de la ville,
sans que ces derniers l’eussent cependant exprimée par des incidents ou des
actes antijuifs.
Toutefois, le Pacha de la ville, représentant le Makhzen sous contrôle
colonial et profitant de la situation d’insécurité et de crainte, a fait du zèle à
l’occasion de ces déclarations. Selon des sources orales48 corroborées par
des témoignages écrits, il a confisqué des bijoux à son profit en ordonnant à
des personnes aisées de détailler leurs capitaux et leurs bijoux en carats,
sous prétexte que leur grande quantité n’était pas exclusivement destinée à
un usage personnel. Durant cette période, il a aussi manifesté par d’autres
moyens ses sentiments antijuifs49.
« Mais à Mogador, le zèle du Pacha local témoigne de son aversion
pour les Juifs et de sa sympathie pour l’ordre nazi. Certaines mesures
vexatoires (collecte de bijoux, déclarations de biens, interdiction
d’employer une domesticité musulmane) sont prises à la même époque,
mais heureusement, l’opposition du sultan stoppe cette ardeur50.
« À Mogador, des exactions furent commises par le Pacha – et l’on dit
même que le grand rabbin n’y était pas étranger, ce qui est un comble51.
Des mesures étaient promises par les autorités d’Alger, à qui des propos
furent rapportés52, mais personne n’osa nous adresser des précisions et des
témoignages, ce qui dénote, chez la communauté de Mogador, un certain
abaissement. Au demeurant, on nous dit qu’actuellement le Pacha a fait
mettre beaucoup d’eau dans son vin. Ce n’est pas la faute aux Juifs.
N’avait-il pas, en pleine période de persécution raciale, monnayé à son
profit le recensement des fortunes ? N’a-t-il pas fait emprisonner un
Rosilio ? Mais sans doute ce Rosilio-là méritait-il d’être emprisonné,
puisqu’il avait tant peur de la prison53. »
La gestion communautaire de la solidarité
et de la précarité
Selon ce rapport de synthèse, la communauté comptait 6 506 âmes en
novembre, dont 6 308 étaient marocaines et 198 de nationalité étrangère.
Parmi les 58 Polonais recensés, une grande partie devait être formée de
réfugiés juifs qui ont été accueillis par la communauté. Lors du recensement
de l’été 1940, la communauté comptait 6 270 membres54, soit une
augmentation de près de 3 % en un an et demi. Le nombre de familles
déclarées passait par contre de 1 251 à 1 544, sans doute pour mieux
répartir les fortunes familiales des déclarants. Les chiffres sont aussi
éloquents sur la décadence économique de la communauté. Seules
157 déclarations sur les 1 544 souscrites comportaient une description des
biens (d’une valeur de plus de 50 000 francs), alors que dans
763 déclarations il n’y avait aucune mention de profession, autrement dit,
près de la moitié des chefs de famille vivaient d’expédients. Dans l’autre
moitié, le nombre des commerçants et des marchands (plus de la moitié),
des couturiers (62), des cordonniers et savetiers (60) et des bijoutiers (57)
est significatif de l’économie juive et des professions juives qui prévalaient
dans les différents centres urbains du Maroc jusqu’après la Seconde Guerre
mondiale. Cependant, la fortune déclarée des 157 familles aisées n’est pas
complètement représentative des fortunes juives dans les autres
communautés urbaines. Elle se concentre d’une part, à Mogador comme
ailleurs, dans deux secteurs d’activités traditionnels : des exploitations
commerciales, avec des avoirs de 14 814 480 francs, soit 27 % du total (ce
chiffre assez faible en somme témoignant à lui seul de la chute économique
de la communauté), et dans des biens immobiliers, titres, comptes courants,
espèces, d’une valeur de 16 327 744 francs, soit près de 30 % du total. Par
contre, un autre secteur économique, celui des immeubles en rapport, avec
une valeur de 17 762 629 francs, soit près de 32 % du total, n’était pas aussi
important dans les autres communautés. Cela est dû essentiellement à
l’histoire spécifique de l’habitat juif à Mogador, où les familles aisées de la
Kasba détenaient depuis le XIXe siècle des maisons dans le Mellah, dont
elles louaient les chambres aux gens le plus souvent sans ressources fixes.
Au XXe siècle, avec le recul des activités d’export-import dans le port de
Mogador, les loyers de ces maisons constituaient une part importante des
revenus de ces familles55.
C’est surtout sur la générosité de ces familles aisées et leur
consommation en viande et en vin casher que reposaient les efforts du
comité de la communauté pour venir en aide aux nombreuses familles
pauvres, dont le nombre augmentait en cette période de crise économique
généralisée, alors que les recettes communautaires baissaient. Mais les
efforts du comité n’ont pas été vains. La communauté a d’abord collecté des
sommes au profit de campagnes générales d’aide et de prévoyance. Elle a
ainsi recueilli en janvier 1942 la somme de 31 300 francs pour contribuer au
Secours national d’hiver56.
L’aide aux nécessiteux devient particulièrement pressante lors des
grandes fêtes juives du début de l’automne et du printemps. À cette
occasion sont lancés par les rabbins de la communauté en particulier des
appels chargés d’émotion (et parfois de manipulations) à la compassion et à
la solidarité juives pour décider les récalcitrants à contribuer à la collecte
des maigres fonds indispensables. Les documents concernant les collectes
de 1942, en pleine crise morale et économique, ont été conservés. À partir
de cette année-là, les circulaires sont envoyées au nom du grand rabbin et
président du tribunal rabbinique de la ville, R. Haïm David Séréro,
originaire de Fès, qui a pris ses fonctions en 1941. À la mi-mars 1942, il a
envoyé une circulaire mobilisatrice pour recueillir les fonds nécessaires à la
distribution des pains azymes et de quelques victuailles aux pauvres en
rappelant la collecte de l’année précédente, qui avait rapporté la somme de
quelque 20 000 francs, alors qu’il en fallait bien plus cette année-là à cause
des prix qui avaient flambé depuis. Il rappelle aussi la collecte de l’été
précédent, qui a été heureuse, et exhorte les membres de la communauté à
remplir leur devoir de charité et de commisération57. Par une circulaire
ultérieure, il a manifesté sa satisfaction des résultats de la collecte, qui ont
dû certainement dépasser ses espoirs, puisqu’il demande à ceux qui
connaîtraient des gens dans le besoin de les déclarer afin qu’ils reçoivent
leur lot de Pessah58.
Le comité avait aussi la charge d’organiser la distribution aux membres
de la communauté des denrées et produits rationnés. Des circulaires
indiquent ainsi les personnes auprès desquelles et les adresses auxquelles on
pouvait retirer les tissus, la qualité (bien médiocre) de ces tissus59, ou bien
prendre du vin (un litre rationné). Le comité a aussi servi dorénavant
d’intermédiaire entre différents services privés, à Mogador, comme pour la
fixation du prix de la mouture de blé dans un moulin privé pour les pains
azymes, et les membres de la communauté et la demande faite à
l’administration d’alimenter le moulin en courant électrique à cette
occasion60.
La pénurie des denrées et des produits n’a pas pris fin avec la guerre ;
elle s’est prolongée bien au-delà, à cause des désordres économiques et des
déséquilibres créés par la guerre sur une grande partie du globe. Le manque
de pain a ainsi continué de préoccuper la communauté jusqu’en 1945 et le
comité est intervenu à différentes reprises pour le régler ou au moins le
soulager. C’est ainsi qu’il a rappelé à l’ordre ceux qui avaient des rations de
blé et leur a demandé de ne pas revendre leurs rations sous forme de
matière première mais d’en faire du pain, comme ils s’y sont engagés, sous
peine de perdre leur ration. Ce problème touchait d’ailleurs la seule
communauté juive, tandis que les musulmans étaient disciplinés et
fabriquaient le pain qu’il leur fallait à partir des grains qui leur étaient
rationnés61. Par une autre circulaire, il a été rappelé aux gens qui pouvaient
se permettre de fabriquer eux-mêmes leur pain de ne pas passer leur carnet
de rations de pain à des tierces personnes, qui jouissaient ainsi d’une double
ration alors que d’autres en manquaient complètement62.
La reprise en main religieuse de la communauté,
ou la récupération interne de la crise
La législation antijuive de Vichy et son application stricte au Maroc ont
institué de fait une corporatisation raciale forcée des individus formant la
communauté juive, ce qui les faisait appartenir dorénavant à un agrégat aux
membres indifférenciés. Ce statut informel a eu pour effet premier de
renforcer le pouvoir du leadership communautaire, et plus particulièrement
l’autorité morale et pratique du grand rabbin. Ses fonctions de président du
tribunal rabbinique touchant un salaire fixe du Makhzen lui avaient déjà
procuré un haut prestige aux yeux de la communauté et en faisaient
l’autorité suprême pour toutes les questions concernant les croyances et les
pratiques juives63. Son nouveau statut de dirigeant communautaire suprême
aux yeux de l’administration lui accordait de nouveaux pouvoirs qu’il a
essayé d’utiliser pour réformer les comportements non conformes aux
normes religieuses et aux traditions juives orthodoxes. Cette tentative de
reprise en main était aussi favorisée par la situation de crise permanente et
de désarroi profond dans laquelle était plongée la communauté depuis la
législation antijuive de Vichy. La récupération interne de cette situation
critique advenait dans une communauté où l’ouverture sur l’extérieur
accompagnée d’un certain relâchement des comportements orthodoxes
datait déjà du XIXe siècle64.
C’est ainsi que le grand rabbin Séréro a adressé différentes circulaires
pour faire respecter les normes de la Halakha au sein de la communauté,
sous peine de dénonciation aux autorités ou de punitions
intracommunautaires. Ces mesures concernaient en particulier l’observance
stricte du shabbat et la vente de boissons casher, et étaient accompagnées de
moyens coercitifs65.
Pour le shabbat, il a profité de l’annonce faite par les autorités
d’interdire, les jours de fête et de shabbat, les attroupements de Juifs dans
les rues du Mellah pour rappeler aux boutiquiers de fermer leurs échoppes
avant l’entrée du shabbat. Des agents de la société « Les Gardiens du
Shabbat » passeraient dorénavant dans les boutiques et enjoindraient de les
fermer à l’heure réglementaire. Il a aussi annoncé la prise en charge par
cette société de la distribution gratuite d’eau chaude le shabbat de façon à
stopper l’achat de cette eau à des non-Juifs, et a demandé aux fidèles de
venir renforcer les rangs de cette société pour l’aider dans ses nobles
tâches66. Dans une circulaire ultérieure, il a rappelé l’interdiction absolue
d’acheter le shabbat de l’eau chaude à des non-Juifs et a annoncé qu’en
accord avec les autorités le musulman qui menait ce commerce aux abords
du Mellah était désormais empêché de le faire. Quiconque continuerait
d’acheter de l’eau le shabbat ou enverrait ses enfants en acheter se verrait
déclaré indigne de témoigner ou de prêter serment selon la Halakha67. Dans
une troisième missive, il a annoncé qu’il a fait fermer les bains publics juifs
dès le vendredi après-midi pour arrêter la profanation du jour saint par ceux
qui venaient s’y laver tard le vendredi ou même après l’entrée du shabbat. Il
a mis en garde les propriétaires de ces bains et a nommé un agent du
tribunal rabbinique pour en récupérer les clés avant l’entrée du shabbat et
les leur remettre le lendemain à la nuit68.
Quant aux boissons casher, il a rappelé aux destinataires que la bière
était casher à la consommation pendant l’année mais interdite les jours de
Pessah parce que fabriquée à partir de matières fermentées69. Il a de même
interdit aux débiteurs de boissons alcoolisées de vendre dans le même local
du vin casher et du vin non casher pour ne pas prêter à confusion et induire
en erreur des clients juifs non vigilants. Dorénavant, il était interdit, en
accord avec les autorités administratives, à ceux qui voulaient faire le
commerce de vin casher, de vendre dans le même magasin du vin non
casher. Il a aussi institué la délivrance d’un certificat du tribunal rabbinique
pour la vente du vin casher. Quiconque vendrait du vin casher sans
l’autorisation officielle serait dénoncé aux autorités70.
Après la défaite définitive des nazis au printemps 1945 et la
normalisation progressive de la vie juive, à Mogador comme ailleurs, ces
circulaires de crise, émanant du comité de la communauté ou du président
du tribunal rabbinique, ont cessé de paraître. Avec elles ont pris fin sans
doute les velléités de réforme du grand rabbin pour une totale restauration
des règles de la Halakha et leur respect par l’ensemble des membres de la
communauté. Les comportements divergents au sein de la communauté ont
repris leur cours, et le grand rabbin a dû se cantonner à ses tâches
importantes de président du tribunal rabbinique.
L’impact du débarquement allié sur les Juifs
de Mogador
Les esprits à Mogador n’ont pas attendu, comme d’ailleurs partout dans
les autres communautés, la cessation définitive des hostilités en 1945 pour
éprouver un soulagement et retrouver en partie leur sérénité. Le
débarquement américain sur les plages marocaines le 8 novembre et la
signature le 11 de l’armistice avec les troupes françaises après des combats
assez durs entre les deux armées ont été considérés par les Juifs du Maroc
comme un miracle annonçant leur salut et la fin de leurs souffrances et de
leur mauvais traitement par les agents de Vichy au Maroc. Aussi les scènes
publiques de joie et même d’allégresse n’ont-elles pas tardé à se manifester,
avec des débordements antivichyssois et antimusulmans dus à l’excitation
extrême de ceux qui se considéraient comme des rescapés in extremis et au
défoulement brusque de tant de peur et même de terreur. Cependant,
contrairement à d’autres villes, comme Casablanca, Rabat, Fès ou Sefrou,
des incidents, graves ou moins graves, entre les Juifs et les musulmans ou
les Français n’ont pas été signalés71. Les autorités eurent vite fait d’essayer
de calmer les esprits et ont demandé au comité de la communauté d’exercer
son influence pour un retour au calme immédiat.
Le comité obtempéra et envoya le 13 novembre 1942 une circulaire
dans ce sens rappelant aux destinataires que la guerre était loin d’être
terminée et que d’autres épreuves pouvaient surgir, qui mettraient en danger
la vie de certains et la communauté entière. Vu l’importance de ce texte
avec sa rationalisation argumentée et l’accumulation de ses non-dits, nous
donnons ici in extenso cette circulaire judéo-arabe en traduction française72.
Assemblée sainte et élue, peuple béni de Dieu
Nous avons l’honneur de vous annoncer qu’après avoir été conviés
par les autorités du Makhzen pour nous mettre au courant de la fin
des combats, comme vous le savez, ces autorités ont insisté pour
que nous intervenions auprès des membres de notre communauté et
les presser à se tenir calmes, à vaquer à leurs occupations et à laisser
de côté les paroles superflues, les fausses informations et les
attroupements. Elles nous ont précisé que nous étions toujours en
état d’urgence. Les peines encourues pour de tels agissements sont
lourdes, aucune excuse ni aucun regret ne les fera pardonner.
C’est pourquoi, chers frères, nous vous demandons d’avoir la
présence d’esprit et de comprendre qu’il nous est imparti de nous
conduire en conséquence de notre propre initiative, même si le
Makhzen ne nous y contraignait pas. Nous devons garder le silence
de notre propre gré et louer Dieu, béni soit-Il, qui nous a délivrés et
a épargné à nos maisons les risques de cette guerre, et prier pour que
l’issue en soit heureuse jusqu’à l’arrivée de notre saint Messie.
Amen.
Il nous incombe de ne pas parler du tout de cette affaire et de ne pas
donner notre avis là-dessus, car ces paroles et ces opinions ne
portent à coup sûr aucune utilité, mais peuvent par contre être bien
nuisibles, que Dieu nous en préserve. C’est à ce propos que le sage a
dit : « Si la parole est d’argent, le silence est d’or73. » De même,
lisez les affiches qui sont collées dans les rues de la part de son
Excellence le Résident général et rendez-vous compte à quel point il
insiste sur ce que nous venons de dire.
Aussi, supplions-nous chacun des membres de notre communauté,
que Dieu a gratifié d’intelligence, pour qu’il exerce son influence
sur ses enfants et ses amis ainsi que sur les personnes connues pour
leur goût des discussions et des attroupements, les amène à s’en
abstenir par les temps qui courent, et leur fasse comprendre que
nous sommes toujours en pleine mer et que nous ignorons ce que
Dieu, béni soit-Il, compte faire dans son univers. Aussi, ouvrez bien
vos esprits et comprenez quel est le résultat de paroles sans
fondement, comme ont dit nos sages : « Est intelligent celui qui
prévoit les conséquences de ses actes74. »
Quiconque contreviendra à nos recommandations, en dehors de la
peine qu’il encourt de la part des autorités et contre laquelle nous ne
pourrons rien faire, met en danger la communauté, que Dieu nous en
préserve, et en endosse la pleine responsabilité sur lui. C’est pour
des temps pareils que nos sages ont affirmé : « Le silence convient
aux sages, à plus forte raison aux gens stupides75. » Quant à nous,
peuple des enfants d’Israël, notre survie et notre sécurité dépendent
de la paix, comme il est écrit : « Dieu procurera la force à son
peuple, il octroiera à son peuple la bénédiction de la paix76. » À bon
entendeur, salut et sécurité.
Fait à l’occasion de la section [biblique où il est écrit] : « Dieu le
Tout-Puissant te bénira, te fructifiera, te multipliera, et tu deviendras
un grand peuple77. »
Ce sont là les paroles de celui qui prie Dieu en votre faveur, le
serviteur de Dieu Haïm David Serero, que Dieu lui donne longue
vie et le préserve,
Président du tribunal rabbinique de Mogador et de sa région, que
Dieu la consolide.
Comme les recommandations verbales et les exhortations n’ont pas dû
suffire à calmer les esprits et à éviter les éclats de voix et les attroupements
les jours du shabbat et des fêtes en particulier, les autorités de Mogador ont
fait surveiller les rues du Mellah ces jours-là par des agents qui y
patrouillaient et interdisaient tout attroupement et toute discussion, sous
peine d’être conduit devant les autorités et être puni. La circulaire qui en
fait cas a été envoyée bien des mois après la précédente, en rapport avec
l’abrogation des mesures antijuives et à l’occasion des fêtes successives de
l’automne78.
CONCLUSION
Sous la juridiction raciste et antijuive arrêtée par Vichy et appliquée
brutalement au Maroc par les agents du protectorat, les Juifs ont perdu leur
essence d’individus jouissant d’un statut personnel en tant qu’humains et
sont devenus membres d’une entité sociale considérée comme une
corporation raciale, sans statut non plus, sinon celui d’un agrégat digne de
soupçons, de brimades et de discriminations. Les documents de Mogador
que nous avons passés en revue montrent comment a été mise en œuvre
cette mise au pas de la communauté à travers les directives transmises au
comité de la communauté et au président du tribunal rabbinique de la ville
et comment ce dernier a tenté de récupérer la situation critique de la
communauté et restaurer des comportements orthodoxes pour l’ensemble de
ses membres.
Comparée au martyre incommensurable de la Shoah en Europe, la
reconstitution de la vie juive à Mogador sous la terreur de Vichy pourrait
sembler insignifiante, sinon anodine. Mais on ne saurait comparer les
incomparables, l’holocauste des Juifs européens étant unique et tellement
monstrueux qu’aucun génocide ni aucun autre « capital de souffrance » ne
saurait être mis sur le plateau de la balance. Il n’en reste pas moins que les
trois longues années durant lesquelles a sévi la législation antijuive de
Vichy et son application brutale au Maroc ont constitué pour ceux qui les
ont vécues une période bien sombre de leur histoire personnelle et
communautaire, où les angoisses du statut raciste et antijuif et la peur
cultivée par ces agents de l’incertain et de l’inconnu ont conduit certains au
désespoir le plus sordide, que nous peinons aujourd’hui à comprendre, nous
qui n’avons pas vécu une telle expérience tendue et psychotique. Mais des
rares témoignages sont là qui nous interpellent et nous invitent à méditer ce
qui s’est passé à Mogador, au Maroc et dans les autres pays d’Afrique du
Nord durant ces trois années de plomb et d’angoisse et à respecter la
souffrance de ceux qui étaient là-bas. C’est seulement en nous représentant
les situations extrêmes et dramatiques qu’ils ont vécues que nous pourrions
comprendre le témoignage suivant, étrange à coup sûr pour ceux qui n’y
étaient pas, de Prosper Cohen :
« Il m’arrive souvent de deviser avec un de mes collègues de ce
tragique problème juif. Il a l’idée, ne croyant ni en Dieu ni en ses envoyés,
d’en envisager la solution dans la stérilisation massive des hommes. Faire
perdre aux hommes toute énergie procréatrice tout en maintenant leur
sexualité, n’est-ce pas la solution idéale autant pour les non-Juifs qui
n’auraient plus d’objet de haine, le peuple juif devant nécessairement
disparaître grâce à cette mesure, que pour les Juifs eux-mêmes qui
n’auraient d’autre chagrin que celui de ne pouvoir plus procréer ? Leur
héritage culturel, ils n’auraient pas à le regretter, car après leur
anéantissement quelle importance peut avoir la qualité ou l’identité de
l’héritier ? Mon collègue, il est vrai, est un matérialiste peu commun. Sa
logique touchante et simpliste fait fi de tout sentiment et de toute sensiblerie
plus ou moins outrée. Partant de l’int[a]ngible principe de son incroyance, il
en tire toutes les conséquences, si cruelles et si impitoyables soientelles79. »
Dans l’étude de ce genre d’événements totaux ou globaux, comme la
Seconde Guerre mondiale, et de leur impact sur les populations, il est
souvent difficile de reconstituer, sinon d’interpréter à distance, les
processus et réactions des groupes et des sujets concernés. Ces événements
totaux concernent l’ensemble des conditions sociales, politiques,
économiques et humaines des sociétés ou des communautés impliquées, y
compris le conditionnement psychologique ou même psychotique continu
de groupes et d’individus. Ceux-ci ont vécu au quotidien des situations
extrêmes qui ont bouleversé leur forme de vie et parfois même leurs modes
de vie, et y ont injecté des tensions, des déséquilibres, des angoisses que les
documents les plus exhaustifs d’archives institutionnelles ne sauraient
réfléchir totalement ou même partiellement. La vie intérieure et
passionnelle ou psychotique des gens laisse rarement des traces dans les
archives, sauf dans les annales judiciaires parfois, en cas d’affaires
criminelles importantes qui sont accompagnées d’enquêtes, de dépositions
et de témoignages directs, ou bien dans les écrits – peu nombreux –
d’auteurs doués et moins doués sous forme de journaux personnels ou de
récits autobiographiques. De tels documents et témoignages personnels sont
rares pour les communautés juives du Maroc (comme d’ailleurs pour
l’ensemble des communautés d’Afrique du Nord), et cette rareté contribue à
l’occultation de cet univers de souffrances et de tensions extrêmes dans
lequel ont vécu ces communautés pendant plus de trois ans (1940-1943)
sous le régime de Vichy. Or ce « capital de souffrances et de tensions
extrêmes » n’est pas moins important, pour une étude historique globale de
la vie de ces communautés, que les conditions économiques et les
bouleversements sociopolitiques qui ont déterminé leur forme de vie durant
cette période. Dans cette étude somme toute assez modeste, j’espère que
j’aurai donné une idée de cette « histoire à visage humain » que j’appelle de
mes vœux.
*
ANNEXES
1. Poème d’Isaac D. Knafo, Mogador
L’enfer80
Tout là-bas, quelque part dans la triste Allemagne,
L’Enfer est dénommé : Camp de Concentration.
Pour les seuls innocents, ce lieu de détention
Est, ainsi qu’il se doit, plus cruel que le bagne.
Mal nourris de déchets, couchés sur des grabats
— Quand ce n’est pas sur le sol –, dans d’infâmes baraques.
Les prisonniers fourbus que l’on torture et traque
Doivent, le long des nuits, aux rats livrer combat.
Leur moment de repos est un vain simulacre
Interrompu souvent par un gardien joyeux
Qui projette un rayon de lumière en leurs yeux
Trouvant à leur supplice une jouissance âcre.
La nuit, ce n’est pour eux qu’un cauchemar total,
Qu’un rêve entrecoupé de visions horribles.
Et le jour leur réserve un sort des plus terribles
Réglé par un sadique ingénieux et brutal.
Le travail harassant, durant de longues heures,
Double de ce que fait le commun des humains,
Qui leur brise l’épaule et leur meurtrit les mains,
Paraît une odieuse et sinistre gageure.
Les geôliers sont là, spécialement dressés,
Pour faire dans le camp cette besogne infâme
De les frapper au corps et de blesser leur âme
En donnant libre cours à leurs pervers excès.
Leur sourire est hideux, et sinistre leur blague,
Maniant le gourdin comme on fait d’un jouet,
Frappant de leur matraque, appliquant le fouet.
Ils ne semblent heureux qu’en donnant de la schlague.
Ici, la botte est reine, et le coup de pied roi.
Et sûrs d’être impunis, avec un air bravache,
Ils semblent s’amuser de voir, sous la cravache,
Un visage cinglé se convulser d’effroi.
Vingt-cinq coups de fouet pour quiconque veut boire,
Si c’est un aryen blond. Soixante pour un Juif,
Quand on ne saute pas au-delà du tarif
Lorsqu’un gai spectateur assiste à son déboire.
Un cardiaque fourbu tombe sur le chemin.
Alors le geôlier charge ses camarades
De traîner par les pieds le trop faible malade,
Trouvant meilleur ainsi le supplice inhumain.
N’étant jamais repus des suprêmes délices
Que procure à leurs sens la souffrance d’autrui,
Ils savent rappeler au moderne Aujourd’hui
Ce que l’Âge barbare inventa de supplice.
Un jour leur cruauté deviendra sans objet.
Travaillant pour la mort au visage livide,
Chaque jour un peu plus, le vaste camp se vide
Perdant par extinction ses malheureux sujets.
(I. D. Knafo, Les Hitlériques)
2. Rapport de synthèse des déclarations de biens des Juifs
de Mogador
Ville de Mogador
Services municipaux
Mogador, le 15 avril 1942
Le Chef des Services municipaux
à M. le Contrôleur Civil, Chef du Cercle Mogador
J’ai l’honneur de vous adresser les renseignements demandés par la
lettre de M. le général Chef de la Région (Secrétariat général) nº 18816
RMA/3 du 6 janvier 1942 objet de votre transmission nº 139/8 du 9 janvier.
I. Conditions dans lesquelles se sont effectués le recensement des
Juifs et la déclaration de leurs biens.
Les Juifs résidant à Mogador ont été avisés par voie d’affichage, de
publication en langue arabe par les dellal, et par lettres lues dans les
synagogues à retirer aux Services municipaux les modèles de déclaration.
Ces imprimés après avoir été complétés devaient être déposés dans ces
mêmes bureaux avant le 8 novembre 1941.
a) État d’esprit de la population israélite – empressement ou résistance à
se soumettre aux prescriptions légales – impression d’ensemble en ce qui
concerne la réaction provoquée par l’enquête sur les biens et la sincérité des
déclarations souscrites à cet égard :
À la parution de ce dahir, la population israélite a été consternée,
mais aucun des éléments de cette population n’a manifesté
ouvertement cette consternation. De l’observation d’ensemble de
cette population résulte une soumission entière sans aucune
intention de protestation ou de rébellion. Un examen plus
approfondi des réactions des israélites réellement touchés par [l]e
dahir a tout de même révélé chez ceux-ci un sentiment de crainte
que cette mesure ne soit qu’une étape vers un prélèvement sur les
biens. À cette occasion aussi s’est ranimé dans ces milieux un
sentiment, qui ne cesse d’y exister à l’état latent depuis que les
éléments juifs ont été écartés du pouvoir en France : c’est le
sentiment de revanche, revanche qui suivra immédiatement la
victoire, en laquelle on espère ardemment.
En ce qui concerne la sincérité des déclarations souscrites,
l’impression d’ensemble recueillie est que, par crainte, les intéressés
se sont attachés à fournir des déclarations exactes. À noter que les
bijoux n’ont pas été déclarés et que pour certaines familles, la valeur
des bijoux possédés représente une fraction notable de l’ensemble
des biens.
b) Milieux européens. – Dans l’ensemble, cette mesure a été très bien
accueillie dans les milieux européens qui ont été heureux d’y voir une
preuve tangible de la réaction antijuive du gouvernement du Maréchal.
Aucune critique n’a été formulée dans ces milieux, sur les conditions dans
lesquelles le recensement a été effectué ; l’attention des Européens a été
attirée par le principe du recensement et non par la méthode suivie pour le
réaliser.
Milieux musulmans. – Cette mesure a provoqué dans ces milieux une
très vive satisfaction. Ce fut pour eux comme une victoire sur les Juifs et
une preuve du fait que sous le gouvernement actuel, les Juifs sont appelés à
jouer un rôle secondaire. Malgré cet état d’esprit des indigènes, aucun
incident entre eux et les Juifs ne s’est produit à l’occasion de la parution de
ce dahir ni à l’occasion de son application.
c) Difficultés particulières rencontrées : néant
Incidents de toute nature qui ont pu se produire : néant
Fraudes ou tentatives de fraudes constatées : un certain nombre
d’enfants célibataires majeurs des deux sexes vivant avec les parents n’ont
pas fait leur déclaration.
II. Résultat du recensement des personnes et des biens
a) Au point de vue démographique :
1º Nombre de déclarations souscrites : 1 544
2º Nombre de personnes effectivement recensées : 6 506
3º Répartition des Juifs d’après leur nationalité :
Français
30
Palestiniens
8
Sujets français
19
Turcs
6
Polonais
58
Grecs
3
Espagnols
9
Italiens
5
Lithuaniens
3
Tunisiens
6
Anglais
31
Égyptiens
4
Portugais
24
Marocains
6 308
b) Au point de vue économique :
1º Nombre de déclarations de biens par rapport au nombre des déclarations
souscrites :
Déclarations avec biens : 157
2º Répartition des déclarations d’après la profession (individus sans
profession : 763 déclarations).
Commerçants : marchands de tissus indigènes : 62 – de thé, olives,
huile d’olives : 2 – de sucre et de thé : 24 – de thé vert : 19 – de sucre :
10 – de bougies, savon, thé : 2 – de sandaraque : 2 – d’articles
indigènes : 2 – d’œufs : 4 – de babouches : 10 – Importation et
exportation : 9 – Couturiers : 62 – Entreprises de transports : 5 –
Bijoutiers : 57 – Épiciers : 35 – Conserves de piments : 1 – Marchands
de sacs usagés : 2 – de chaussures : 1 – soukiers : 8 – Infirmiers : 2 –
Commerces non précisés : 3 – Marchands de volailles : 3 – de Mahia :
2 – Gargotier : 3 – d’articles de musique : 2 – Tailleurs d’habits : 13 –
Tailleur de diamants : 1 – Matelassiers : 7 – Tripiers : 4 – Marchands
de poissons : 2 – de bois : 2 – de vieux meubles : 1 – de bouteilles
vides : 1 – de fèves et pépins grillés : 7 – de fruits : 1 – Détaillants (?) :
13 – Café maure : 1 – Marchands de légumes : 26 – de peaux : 1 – de
beignets : 2 – de vieux fers : 4 – de résine : 1 – de jouets : 1 – de
nouveautés et confection : 3 – de cotonnades : 4 – de lait : 1 – de vins :
7 – de verrerie, faïencerie : 2 – de tabac : 4 – de thé et cotonnades : 2 –
de sucre, thé, farine : 2 – de cire, huile d’olive et bois : 3 – de poissons
salés et fumés : 1 – de fûts en bois : 1 – de boyaux : 8 – de charbon : 1
Bourreliers : 4 – Électriciens : 3 – Coiffeurs : 9 – Bouchers : 5 –
Exploitants forestiers : 1 – Boulangers : 9 – Pâtissiers : 8 – Fourreurs :
5 – Plombiers : 2 – Hôtel restaurant : 4 – Fripiers : 1 – Agent
maritime : 1 – Céréalistes : 15 – Négociant (?) : 1 – Limonadiers : 6 –
Droguistes : 6 – Imprimeurs : 4 – Professeur d’hébreu : 1 – Ébéniste :
1 – Représentant de maisons de commerce : 2 – Quincailliers : 7 –
Merciers : 3 – Garagistes : 1 – Papetier : 1 – Transitaire : 2 –
Cordonniers et savetiers : 60 – Entrepreneurs de travaux publics : 2 –
Ferblantiers : 11 – Cafetiers : 2 – Cyclistes : 3 – Instituteurs ou
institutrices : 7 – Forgerons : 1 – Employés de bureau, de commerce,
de banque : 33 – Couturières : 9 – Ajusteurs : 1 – Dégraisseurs,
teinturiers : 3 – Directeurs de banque : 2 – Ajusteurs : 1 – Jardiniers :
1 – Chauffeurs : 11 – Rabbins : 24 – Garçons de cafés : 2 – Peintres :
13 – Juges : 2 – Horlogers : 3 – Pêcheurs : 3 – Relieur : 1 – Concierge :
1 – Cuisinier : 1 – Ferronnier : 1 – Photographe : 1 – Tonneliers : 6 –
Menuisiers : 3 – Musiciens : 4 – Comptables : 5 – Mécaniciens : 2 –
Selliers : 1 – 781 déclarations.
3º Importance et valeur globale des biens déclarés :
(Voir tableau ci-joint)
III. Cas particuliers – Questions diverses :
a) Personnes ayant négligé ou refusé systématiquement de faire leur
déclaration (indiquer leur nationalité) : 397 enfants célibataires majeurs des
deux sexes vivant avec leurs parents ont négligé de faire leur déclaration. Ils
ont été, toutefois, compris parmi les enfants déclarés par les chefs de
famille.
b) Liste des personnes ayant commis des fraudes ou des tentatives de
fraudes dans la rédaction de leur déclaration (indiquer leur nationalité) :
Aucun renseignement n’a pu être obtenu sur cette question.
c) Sanctions envisagées et propositions motivées à cet effet : Néant.
Ci-joint en retour 1 544 déclarations.
Mogador, le 16 avril 1942
Le Chef des Services municipaux
[a]
[b]
[c]
[d]
Superficie
et Nombre
et
valeur
des valeur
des
exploitations
exploitations
agricoles
commerciales
Nombre
et Nombre
valeur
des valeur
exploitations
immeubles
industrielles
rapport
et
des
en
69
108
7
275
521 750 F.
14 814 480,96
273 219,75
17 762 629,50
[e]
[f]
[g]
[h]
Nombre
et Biens
Terrains nus
valeur
des immobiliers
maisons
titres, comptes
d’habitation
courants,
espèces…
102
4 895 300
Total des valeurs
70
16 327 744,99
90 000 F.
54 685 125,20
N.B. Pour les exploitations agricoles la superficie a été rarement
indiquée, par ailleurs bon nombre de déclarants n’ont pas fourni
l’évaluation de leurs biens immobiliers.
9
Hélène Cazes-Benatar
et ses activités en faveur
des réfugiés juifs au Maroc
1940-1943
par Michal BEN YA’AKOV
Avec le slogan « Le sauvetage par l’émigration », les organisations de
réfugiés œuvrèrent pour sauver les personnes persécutées par le régime nazi
en Europe pendant les années 1940 en les aidant à atteindre des havres de
paix1. L’Espagne et le Portugal, puis le Maroc, devinrent des « sorties de
secours2 » de l’Europe en flammes, par lesquelles des milliers de réfugiés
espéraient poursuivre leur fuite vers l’ouest, traverser l’océan et atteindre
l’Amérique du Nord et du Sud. Des dizaines de réfugiés arrivèrent sur la
côte atlantique du Maroc, seuls ou en groupe, à dessein ou par hasard : les
réfugiés étaient « en rade » dans les ports marocains, les navires en partance
d’Europe pour les Amériques refusant de les embarquer ; d’autres avaient
été envoyés par la HICEM, l’organisation d’immigration et d’entraide juive,
et se trouvaient là en transit en route pour l’ouest où ils seraient en sécurité ;
d’autres encore arrivèrent à Casablanca, Tanger et dans les autres villes du
littoral ou de l’arrière-pays via diverses routes et divers moyens de
transport. Après la défaite de la France et durant les années du régime de
Vichy (1940-1942), le nombre de réfugiés augmenta sensiblement au
Maroc. Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord en
novembre 1942, le flux en provenance d’Europe alla décroissant suite à la
fermeture des filières de fuite et à l’accroissement de l’activité militaire en
Méditerranée. Cependant, les Juifs incarcérés dans les camps de travail et
les anciens soldats de la Légion étrangère, relâchés peu à peu au Maroc,
vinrent grossir le fardeau des responsabilités et de l’aide octroyée par les
organisations d’entraide. Bien qu’il soit difficile, voire impossible,
d’indiquer le nombre exact des réfugiés qui fuirent les nazis via le Maroc,
nous savons qu’ils furent des milliers, 60 000 au maximum3.
En juillet 1940, après la défaite de la France, une femme de Casablanca
entendit l’appel au secours des réfugiés. Non seulement elle leur vint en
aide personnellement mais elle établit un Comité d’assistance aux réfugiés
étrangers, qui s’étendit au niveau national et obtint un soutien international.
Me Hélène Cazes-Benatar, qui avait pris des cours de secourisme au début
de la guerre, rencontra les réfugiés juifs d’Europe dans le port de
Casablanca en tant que volontaire de la Croix-Rouge internationale. Elle
s’attela à organiser d’urgence une aide financière, administrative et
matérielle dont les réfugiés avaient désespérément besoin. Elle intervint en
leur nom auprès de tous les échelons des autorités civiles et militaires,
fournit les garanties nécessaires, obtint des permis, organisa hébergement et
soins médicaux et bien d’autres choses encore. En août, elle avait pris
contact avec des organisations d’entraide internationales, notamment
l’organisation new-yorkaise American Jewish Joint Distribution Committee
(AJJDC, JDC ou Joint, dont elle devint rapidement la représentante au
Maroc), l’HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society), les bureaux européens de
l’Association de l’émigration juive HICEM4 à Marseille et Lisbonne, puis
l’association quaker de Philadelphie, l’American Friends Service
Committee (AFSC). Le nombre des réfugiés augmentant, les ressources
communes de la communauté juive de Casablanca se firent de plus en plus
rares, devant répondre à la fois aux besoins de la population juive souffrant
de l’application des lois de Vichy et à ceux causés par la guerre.
Mme Benatar développa ses contacts ainsi que la coopération avec des
organisations locales d’entraide non juives et des communautés juives dans
les grandes villes et bourgades, envoyant de nombreux réfugiés en dehors
de Casablanca.
Cet article portera sur Hélène Cazes-Benatar et ses nombreuses activités
au Maroc au début des années 1940, et étudiera les relations tissées avec les
organisations internationales d’entraide au cours de cette période. Nous
examinerons ses réalisations et ses difficultés à la lumière de son statut de
femme et de veuve dans un monde dominé par les hommes, tant au sein du
gouvernement civil que dans les autorités militaires et les organisations
internationales d’entraide mais aussi au sein de la communauté juive
traditionnelle et de sa composante moderne francophone. Bien que les
femmes aient toujours été actives dans le domaine du social et les
programmes d’entraide au niveau local, les postes clés étaient en général
occupés par les hommes, qui étaient les décideurs dans ces organisations et
dominaient les relations avec les autorités gouvernementales. Il semble
cependant que la réalité en temps de guerre offrit de plus grandes occasions
et une plus grande mobilité aux femmes, situation qui ne fut propre ni à
Hélène Cazes-Benatar, ni au Maroc, ni à la période de la Shoah. Il faut
cependant se demander pourquoi une femme si active et impressionnante –
ainsi que ses activités en vue d’aider des milliers de Juifs et de non-Juifs
durant ces terribles années – a été ignorée et pratiquement oubliée.
Comment se fait-il qu’à la fois la sphère de ses activités au Maroc et ses
efforts aient été pratiquement exclus des récits concernant l’aide apportée
aux réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale ainsi que de l’histoire des
Juifs marocains5 ?
Sources
Quelques années avant son décès, en 1979, Nelly Cazes-Benatar donna
aux Archives centrales de l’histoire du peuple juif (CAHJP), à Jérusalem6,
plusieurs cartons contenant des centaines de dossiers concernant ses
activités pour les réfugiés au Maroc. Ces cartons furent l’étincelle qui fit
démarrer ce projet. Ces fascinants dossiers détaillés ont été examinés par
d’autres chercheurs, dont Isaac Gershon qui, dans un article en hébreu de
19807, donne une analyse détaillée et très claire de leur contenu.
Jusqu’alors, Mme Benatar et ses activités n’avaient été mentionnées
qu’indirectement8. Des documents provenant des archives de l’AJJDC, de
l’AFSC quaker ainsi que des rapports journalistiques de l’époque et des
mémoires, apportent des informations et éclairent d’un nouveau jour les
descriptions et les dilemmes concernant son travail. Si les activités de
l’AJJDC en Afrique du Nord avaient déjà été étudiées, l’accent portait en
général sur des projets de l’après-guerre ; à ma connaissance, les activités
de l’AFSC au Maroc, mentionnées dans les mémoires personnels des
représentants qui y travaillèrent, n’ont pas été étudiées dans le contexte des
réfugiés juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans son étude, Michel
Abitbol a fait grandement appel aux archives du Centre de documentation
juive contemporaine (CDJC), qui fournissent des informations sur la
situation des Juifs en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre
mondiale, notamment concernant les actions officielles des divers
ministères et services civils, mais semblent ignorer l’œuvre de Benatar.
D’autres sources, y compris celles des archives de l’Alliance israélite
universelle (AIU), doivent encore être étudiées.
Malgré l’abondante correspondance et les rapports détaillés des
archives, celles-ci ne dévoilent pratiquement aucune information
biographique sur Hélène Cazes-Benatar. Il en est de même des documents
publiés sur les Juifs du Maroc. Seuls quelques commentaires apparaissent
dans les dossiers des organisations avec lesquelles elle coopéra étroitement
pendant la guerre : JJDC, HIAS-HICEM ou AFSC. Parmi ces quelques
commentaires sur la personnalité de Cazes-Benatar, voici ceux du
Dr Joseph Schwartz, directeur du siège européen du JDC, dans le rapport de
février 1943, après une visite effectuée au Maroc en vue d’évaluer la
situation des réfugiés dans ce pays :
« Ce rapport ne serait pas complet sans un hommage au magnifique
travail réalisé par notre comité des réfugiés dirigé par Mme Benatar. C’est
une personne pleine d’énergie, de dévouement, dotée d’une grande capacité
de direction. Bien qu’elle soit l’un des plus grands avocats du Maroc, elle
consacre une grande partie de son temps au problème des réfugiés avec un
succès remarquable. Elle est hautement appréciée des autorités américaines,
britanniques et françaises et très estimée de la communauté juive locale9. »
Un an et demi plus tard, en novembre 1944, Sonia Levine, une
Américaine travaillant pour l’organisation sioniste américaine des femmes,
Hadassah, et servant dans une unité de l’administration des Nations unies
pour le secours et la reconstruction (UNRRA) en Afrique du Nord, se fit
l’écho de ces commentaires dans une lettre aux bureaux du JDC :
J’ai eu le privilège de rencontrer Madame Benatar et de
m’entretenir longuement avec elle [effacé/censuré]. C’est une
personne extraordinaire, de petite taille, rondelette aux yeux noirs
très vifs. Elle passa cinq jours avec nous et travailla avec les
réfugiés, depuis le matin jusqu’à 22-24 heures. Nous n’avons pu
nous l’accaparer qu’à deux reprises, le soir, pour l’écouter. Bien
qu’avocate célèbre, c’est l’assistante sociale la plus humaine et la
plus bienveillante qui soit – surpassant l’assistante sociale théorique
et professionnelle la plus rigoureuse. Il semble qu’elle ait consacré
tout son temps et toute son énergie aux problèmes des réfugiés. La
sincérité de son plus profond intérêt est assez évidente. Elle doit
certainement être un agent de liaison qui vous [le JDC] est très utile
avec les autorités françaises en Afrique du Nord. Ses récits
concernant les problèmes des réfugiés et les camps de réfugiés
depuis 1940 constitueraient sans aucun doute une lecture très
intéressante. Ce fut un honneur de la connaître10.
Tout respire son travail, sa vie privée est occultée. Peu de choses ont été
écrites sur la vie personnelle d’Hélène Cazes-Benatar, même l’année de sa
naissance n’est pas connue avec précision11, tout comme sa vie scolaire et
familiale. Il ne fait aucun doute que c’était une femme dynamique, sûre de
soi et très capable dont le dévouement pour le peuple juif l’emporta sur sa
vie privée, voire sur sa vie de famille ainsi que sur sa carrière
professionnelle.
La biographie récemment découverte d’Hélène Cazes-Benatar, écrite
aux environs de 1983 par son gendre, le Dr Serge Lapidus (qui en envoya
une copie au bureau du JDC12 de New York), quelque quatorze ans après sa
disparition en 1979, est donc d’une importance capitale. Cet article portera
sur les activités d’aide aux réfugiés de Benatar pendant les années 19401943, le document biographique rédigé par Lapidus éclairant d’un jour
nouveau ces activités. Bien que nous attendions encore la parution d’une
biographie complète et critique sur cette femme intriguante et dynamique,
nous espérons que ce premier article sur Hélène Cazes-Benatar et ses
activités durant les premières années de la Seconde Guerre mondiale
apportera notre pierre à cet édifice.
Esquisse biographique
Rachel Hélène Cazes est née à Tanger le 27 octobre 1898. Nelly (c’est
ainsi que sa famille l’appelait) était la deuxième des cinq enfants de Miriam
Nahon et Amram Cazes, homme d’affaires qui était également l’assistant du
consul du Brésil. La jeune Nelly étudia à l’école des filles de l’Alliance
israélite universelle de Tanger, l’une des premières écoles de l’Alliance. En
1917, sa famille déménagea pour s’installer dans la cité portuaire de
Casablanca, alors en plein essor. Là, son père devint l’un des notables de la
communauté juive. Nelly poursuivit ses études au lycée de filles de la ville
et y obtint son baccalauréat. Ce fut l’une des premières jeunes filles juives à
obtenir ce diplôme au Maroc. En 1920, âgée de 22 ans, elle épousa Moysès
Benatar, jeune homme d’affaires et dirigeant de la communauté juive qui
devint ensuite président de l’association des anciens élèves de l’Alliance
israélite universelle du Maroc (1934-1939) et membre des comités exécutifs
de plusieurs organisations sionistes13. Le couple eut trois enfants : Annette,
née en 1921, qui décéda dans son enfance ; Myriam, née en 1925 et Marc,
né en 1930, qui mourut à l’âge de 39 ans14. Pendant que ses enfants étaient
encore petits, Benatar décida de poursuivre ses études par correspondance,
elle obtint son diplôme de la Faculté de droit de Bordeaux15. Ensuite, elle
fut reçue au Barreau de Casablanca, et là encore ouvrit la voie aux Juifs et
aux femmes, étant la première avocate du Maroc. Elle se lança dans son
travail avec l’enthousiasme et la ferveur qui caractérisèrent ses activités.
Benatar s’investit non seulement dans sa vie professionnelle mais
s’impliqua également avec passion dans les comités de bienfaisance de la
communauté juive, comme il convenait à son statut social. Elle fut active à
« La Goutte de Lait », « La Maternelle » et « L’Aide scolaire » pour les
Juifs défavorisés du Mellah. Elle fut l’une des fondatrices de la WIZO
(Women’s International Zionist Organization) à Casablanca, devint sa
première présidente et fut membre des comités exécutifs du Keren
Kayemet, Keren HaYesod, et autres organisations sionistes16. Elle donna
des conférences à divers groupes sur des sujets variés portant sur la vie sous
le Mandat en Palestine et le sionisme, soulignant plus particulièrement les
activités des femmes et leur implication dans l’entreprise sioniste. Elle fut
également active, ainsi que son mari, dans l’association des anciens élèves
de l’Alliance israélite universelle ; en devint la vice-présidente en 1937,
époque à laquelle son mari devint président. Ce fut l’une des personnalités
les plus marquantes de ce petit groupe de l’élite juive marocaine, sionistes
convaincus, tout en prônant la réforme et l’intégration de la communauté
juive locale dans le milieu francophone de la société marocaine17. À cet
égard, il faut aussi considérer ses activités à la lumière de son statut social
et de son idéologie politique.
Bien que ses dossiers personnels et tout ce qui fut écrit par la suite sur
Mme Benatar, donnent l’impression qu’elle devint sensible à la cause des
réfugiés ce jour de 1940 où elle rencontra dans le port de Casablanca des
réfugiés fuyant l’Europe, Lapidus parle de réunions et de travail pour les
réfugiés juifs allemands dès novembre 1938, lorsque Sasia Ehrlich,
présidente de la section française de la WIZO, lui demanda d’organiser la
collecte de fonds et d’autres moyens d’entraide pour les réfugiés d’Europe.
Elle s’attela donc, avec son mari et les dirigeants communautaires S. D.
Lévy et J. R. Bénazéraf, à la difficile et frustrante tâche d’obtenir des
permis pour ces activités et des rendez-vous avec les autorités dans les
bureaux du chef de la Région civile de Casablanca. Ses efforts étaient
destinés non seulement à aider les réfugiés juifs européens mais aussi à
tenter de garantir la position des Juifs marocains dès que les hostilités
seraient déclarées. Pour cela, et pour poursuivre sa vie publique, elle
recourut abondamment à ses contacts professionnels, usa de ses
compétences et connaissances en tant qu’avocate, et ce, malgré le fait
qu’elle abandonna sa carrière pendant douze ans pour se dévouer
entièrement aux activités de bienfaisance pour les réfugiés juifs.
La mort de Moyses Benatar en janvier 1939 l’affecta profondément et
elle se lança dans le travail avec la communauté juive et les réfugiés avec
une plus grande ferveur, laissant ses deux enfants âgés de 13 et 9 ans aux
mains de sa famille : sa belle-sœur célibataire, Mimi, qui vivait avec eux, sa
mère, veuve depuis 1930, et sa tante, Clémence18. Un mois après le décès
de son mari, Mme Benatar le remplaçait au poste de président de
l’association des anciens élèves de l’AIU. La guerre interrompit le projet
qu’elle avait de faire construire par l’association un centre culturel et sportif
à son nom et dédié à sa mémoire.
Les vicissitudes de la guerre et les contraintes imposées par leur
veuvage permirent aux femmes, voire leur imposèrent, d’instaurer de
nouvelles relations avec leurs voisins, leurs employeurs, ainsi qu’avec les
représentants officiels du gouvernement et de la communauté, malgré les
discriminations et contraintes auxquelles elles étaient soumises en raison de
leur sexe. Tant la guerre que le veuvage donnèrent à ces femmes
l’opportunité d’élaborer une autre image d’elles-mêmes, de se redéfinir et
de se considérer autrement que dans le cadre des grandes communautés
dans lesquelles elles avaient été confinées et de se créer une nouvelle
identité sociale. Ces définitions inédites ne représentaient pas seulement
une possibilité d’indépendance, mais modifièrent leur statut au sein de leurs
familles. Ces processus peuvent transcender l’individu et refléter des
changements plus vastes au niveau du contexte et de la signification des
catégories sociales. La conjonction de ces deux grandes ruptures – dans le
statut familial suite au décès du conjoint et les bouleversements de la
guerre – constituent des circonstances uniques pour l’étude des activités de
Mme Benatar, la façon dont elle élabora ses relations sociales et l’absence
de contraintes sociétales dont elle bénéficia. Si le contexte de ses activités et
sa biographie rendent son histoire unique en son genre, elle ne fut pas la
seule femme active dans le sauvetage des réfugiés et l’aide qu’elle leur
apporta, ni la seule veuve entreprenant un travail qui allait au-delà de ce que
réalisaient les organisations féminines de bienfaisance traditionnelles.
Fidèle à ses idéaux, cette femme passionnée chercha le moyen d’être
impliquée plus avant dans les efforts de guerre. Elle se porta volontaire à la
Croix-Rouge locale et après la défaite de la France en juin 1940, elle offrit
ses services à la Grande-Bretagne19. Dans le cadre de ses activités au sein
de la Croix-Rouge, elle se trouvait dans le port de Casablanca en juillet
quand elle reçut un appel écrit de réfugiés juifs européens (appel en fait
envoyé à son mari, les expéditeurs ignorant qu’il était décédé) qui ne
pouvaient débarquer d’un navire accostant à Casablanca. Ils avaient faim,
avaient besoin de soins et n’avaient pas de permis pour débarquer. À partir
de ce jour, et pendant cinq ans, elle consacra tout son temps et toute son
énergie à venir en aide aux réfugiés, juifs en majorité, mais pas uniquement,
s’assurant personnellement que l’on s’occuperait d’eux et en amenant
même certains chez elle pour les héberger avant leur départ pour les ÉtatsUnis20. Elle mit en place un cadre organisationnel, le Comité d’assistance
des réfugiés étrangers, tout d’abord à Casablanca, puis dans d’autres villes.
L’organisation, cependant, était principalement le fait d’une seule personne,
Hélène Cazes-Benatar, aidée de quelques autres, dont sa fille Myriam, alors
adolescente, et d’une amie, également leader de la communauté et
philanthrope à Casablanca, Celia Bengio21.
En août 1940, elle avait pris contact avec les bureaux du JDC à New
York. Elle entamait là une relation qui durerait quinze ans, devenant leur
représentante de facto au Maroc puis dans toute l’Afrique du Nord ainsi que
leur conseillère juridique pour le Maroc, de 1950 à environ 195322. Elle
collabora étroitement avec la HICEM, notamment après l’arrivée de
Raphaël Spanien et de Jacques Oettinger au Maroc, ainsi qu’avec l’AFSC
qui, en 1942, envoya au Maroc son premier représentant en la personne de
Leslie O. Heath, mais aussi avec les associations locales de bienfaisance.
Après la création de l’État d’Israël en mai 1948, elle continua à
travailler avec le JDC et en coopération avec l’Agence juive ; elle joua un
rôle dans l’émigration des Juifs libanais en Israël au début des années 1950.
En son honneur, et en l’honneur de sa contribution au judaïsme libanais,
une nouvelle institution financée par le JDC fut ouverte à Tripoli en 1950 :
le foyer Hélène-Cazes-Benatar pour les invalides et les personnes âgées de
Tripoli23. Elle retourna ensuite au Maroc et œuvra pour l’émigration en
Israël des Juifs, principalement ceux des régions rurales du Maroc. Elle
participa à diverses réunions internationales et à des conférences
européennes du JDC et devint sa conseillère juridique pour le Maroc. En
1952, son travail avec le JCD prit fin. Elle se rendit aux États-Unis en 1953
pour une période de trois mois à la demande du Dr Joseph Schwartz, alors
vice-président exécutif de l’Appel juif unifié (UJA) et ancien directeur, en
temps de guerre, du siège européen du JDC à Lisbonne. Elle donna des
conférences dans tout le pays, dans le cadre d’une campagne de collecte de
fonds pour Israël24. À son arrivée à New York, elle rencontra Eleanor
Roosevelt, qui loua ses efforts pendant la guerre, ainsi que son activité en
faveur des Juifs d’Afrique du Nord.
En 1954, Mme Benatar reprit sa carrière juridique. Ce ne fut pas chose
aisée, en raison des sentiments nationalistes croissants dans le pays,
notamment après l’indépendance du Maroc en 1956 et les demandes de plus
en plus pressantes de travailler uniquement en arabe et selon les lois de
l’islam. Pendant de nombreuses années, elle répartit son temps et sa carrière
entre Casablanca et Paris, et finit par s’installer définitivement en France en
1962. Là, elle s’investit immédiatement dans des activités communautaires
juives et devint membre du conseil exécutif du Fonds social juif unifié
(FSJU) et d’autres organisations. Cofondatrice de l’Association des Juifs du
Maroc à Paris, elle fut nommée à sa présidence en 1967. Lapidus indique
qu’elle fut réélue trois fois, d’autres sources indiquent qu’elle ne le fut pas
parce que c’était une femme25. Bien qu’elle ait réussi à plusieurs reprises en
tant que première ou seule femme, là, elle ne parvint pas à surmonter
l’attitude traditionnelle des membres les plus conservateurs de
l’organisation. En décembre 1967, elle se rendit en Israël pour la première
(et la seule) fois, malgré sa longue vie d’efforts pour ce pays. Elle y fut
reçue avec tous les honneurs qui lui étaient dus26.
En 1969, une autre tragédie la frappe. Son fils Marc meurt à l’âge de
39 ans, l’âge exact de la mort de son mari. Elle commence à se retirer de sa
carrière professionnelle et des activités communautaires et à organiser les
divers documents et dossiers portant sur l’ensemble de ses activités. Le
7 juillet 1979, Hélène Cazes-Benatar s’éteint à son domicile à Paris, à l’âge
de 80 ans. À ses modestes funérailles participèrent des représentants des
diverses organisations dans lesquelles elle fut active. Sa fille Myriam et son
gendre Serge Lapidus ont fait graver sur sa tombe une épitaphe des plus
éloquentes : « À notre mère, femme légendaire qui secourut tant de
détresses27. »
Les Juifs de Casablanca, 1940-1943
La communauté juive de Casablanca était relativement nouvelle, la
plupart des Juifs s’étant installés en ville au cours des premières décennies
du XXe siècle, dans le cadre de l’urbanisation croissante des grands centres.
Le développement économique du port moderne et les opportunités
attirèrent les Juifs de l’ensemble du pays, notamment la famille Cazes, ainsi
que Moyses Benatar. La population juive de la ville n’était pas homogène.
Bien que la majorité fût religieuse et vécût selon les mœurs
traditionnelles, la nouvelle élite juive francophone, composée de
professionnels et d’hommes d’affaires, influença grandement le
développement de la nouvelle structure communautaire28. Les nécessités de
la guerre et la législation de Vichy touchèrent tous les Juifs, mais de
différentes façons. À partir de la fin des années 1930, les Juifs marocains
souffrirent d’un antisémitisme croissant s’inspirant des nazis tout comme
dans les autres pays colonisés par la France, notamment dans des grands
centres tels que Casablanca, où vivaient un nombre important de colons
français29. Le statut des Juifs, publié par le gouvernement de Vichy le
3 octobre 1940 et étendu aux colonies françaises d’outre-mer, bannit ceuxci des postes politiques, de pratiquement tous les postes administratifs, de
l’enseignement dans les écoles non juives et du travail dans les entreprises
d’utilité publique. Cependant, un dahir (décret royal) marocain promulgué
par le sultan Mohammed V permit à la communauté juive de maintenir son
statut semi-autonome et aux Juifs de continuer à être employés dans ses
institutions et organisations. Par la suite, le sultan se conforma au second
statut des Juifs, publié en juin 1941 et promulgué par Xavier Vallat et le
Commissariat général, et publia, le 5 août 1941, un dahir limitant encore
davantage les activités économiques juives mais permettant aux artisans et
petits détaillants du secteur privé de continuer leurs activités30. Un numerus
clausus fut établi pour les médecins, les avocats et autre professions. Bien
que nous n’ayons aucune indication claire sur le statut de la carrière
professionnelle d’Hélène Cazes-Benatar, il est probable que le strict
numerus clausus qui s’appliqua aux avocats juifs du Maroc l’empêcha de
travailler, officiellement du moins. À Casablanca, seuls quatre avocats juifs
sur trente furent autorisés à exercer leur profession31.
Paradoxalement, les Juifs au Maroc sous le régime de Vichy, en raison
de leur statut légal et social inférieur d’avant la guerre et du libellé plus
général des dahirs marocains durant la guerre, souffrirent moins que ceux
de Tunisie et d’Algérie. Cependant, l’effet général fut déstabilisant. On sait
que les magasins juifs furent pillés, sans que la police intervienne pour
rétablir l’ordre32. Accusés de soutenir la France libre, des Juifs furent
incarcérés33. Le chômage sévissait, la pauvreté s’aggravait, non seulement
en raison de la législation antisémite et des sanctions économiques mais
aussi en raison de la discrimination dans la distribution des produits de
première nécessité tels que nourriture et fuel34. La majorité de la population
juive de Casablanca était en mauvaise santé. La classe moyenne et l’élite
continuèrent à aider les membres de la communauté et à intensifier leurs
efforts pour fournir éducation, soins et autres services sociaux. Durant les
longs mois qui suivirent l’opération Torch, le débarquement des Alliés en
Afrique du Nord, la situation s’améliora quelque peu. L’administration
locale demeura en place et les fonctionnaires conservèrent leurs postes, la
presse antijuive continua à attaquer les Juifs, ajoutant le soutien des Alliés
aux « crimes » qu’elle leur reprochait, des émeutes éclatèrent et le
harcèlement quotidien continua, non seulement à Casablanca, mais aussi
dans les Mellah de Meknès, de Fez et dans les autres communautés35.
L’arrivée massive des réfugiés durant les années 1940 ne fit qu’alourdir
le fardeau pesant sur les structures d’aide et de bienfaisance et demanda non
seulement plus de ressources mais aussi des solutions originales. Les
réfugiés européens et ceux qui leur venaient en aide durent faire face non
seulement aux nécessités de base telles que logement, nourriture et emploi
mais aussi aux labyrinthes bureaucratiques et aux complexités juridiques
des résidents étrangers en temps de guerre, et ce, souvent sans disposer
d’une langue commune et sans partager les mêmes espérances.
Les réfugiés juifs à Casablanca 1940-1943
Les réfugiés européens au Maroc français, notamment à Casablanca,
commencèrent à arriver en nombre significatif uniquement après
l’occupation nazie en juin 1940, contrairement à ceux qui étaient arrivés
dans la zone internationale de Tanger à la fin des années 1930 et au début
de la guerre, et qui, souvent, avaient instauré des contacts commerciaux ou
personnels dans la communauté36. Les réfugiés arrivant à Casablanca
étaient d’une grande diversité, de par leur pays d’origine, leur nationalité,
leurs niveaux socio-économiques et leurs professions. Certains étaient
arrivés par leurs propres moyens, d’autres avaient été envoyés à Casablanca
ou y avaient été transférés ; certains venaient seuls, d’autres en groupe. Il y
avait aussi ceux qui fuyaient l’Europe pour le Maroc, ainsi que d’anciens
membres de la Légion étrangère venant des camps de travail, et des Juifs
étrangers incarcérés au Maroc, libérés par la suite. Il est possible
d’identifier trois grandes catégories de réfugiés :
1. Les réfugiés européens indépendants au Maroc : Une première
catégorie de réfugiés était les Juifs européens qui se retrouvèrent au Maroc
au début de la guerre sans papiers officiels ni visas d’émigration. Après la
publication du dahir de janvier 1940, avant les décrets de Vichy, ils étaient
passibles d’emprisonnement dans des camps d’internement spéciaux
(semblables aux camps qui existaient en France métropolitaine). Ce décret
autorisait l’arrestation, la détention ou l’incarcération de toute personne
définie comme dangereuse pour la sécurité publique et la sécurité du pays,
ainsi que de toute personne qui n’était pas en possession de documents lui
permettant de résider dans le pays ou d’émigrer37. Bien que le nombre des
Juifs étrangers au Maroc fût encore peu important, les obstacles aux vagues
de réfugiés qui arriveront après la défaite de la France étaient déjà en place,
tout comme le système permettant de les incarcérer. Dans cette catégorie,
on compte non seulement des Juifs mais aussi des non-Juifs, des
communistes s’opposant au régime nazi et de nombreux républicains
espagnols, opposants de Franco. À partir de juin 1940, le nombre des Juifs
européens au Maroc qui avaient réussi à fuir l’Europe occupée augmenta
sensiblement, mais ils se retrouvèrent à la merci des griffes des autorités
marocaines puis de celles de Vichy.
Des centaines de Juifs arrivèrent à Casablanca ne l’ayant ni prévu ni
choisi, les bateaux sur lesquels ils étaient les ayant débarqués au port. Les
capitaines de ces navires, inquiets à l’idée que les passagers juifs ne soient
pas autorisés à entrer dans la ville de destination, les débarquaient. Là, sans
statut officiel et souvent sans nourriture ni argent, ils sollicitaient l’aide de
Mme Benatar et de son comité. Le paquebot français Alsina, par exemple,
quitta Marseille en janvier 1941, à destination de Buenos Aires, avec
quelque 600 réfugiés, un quart environ étant juifs. Le navire fut arrêté par
les autorités de Vichy et immobilisé dans le port de Dakar pendant cinq
mois. Le JDC et divers consuls d’Amérique du Sud tentèrent d’obtenir des
permis pour ceux qui avaient des visas afin qu’ils poursuivent leur voyage,
sur l’Alsina ou sur un autre navire, mais en vain. En juin, les passagers
furent finalement autorisés à débarquer à Casablanca. Le comité de
Mme Benatar, soutenu par le JDC et les contacts de la HICEM, s’occupa de
cette nouvelle vague de réfugiés38.
2. Les réfugiés envoyés par des organisations internationales de
bienfaisance : C’est dans ce contexte de discrimination et de modération, de
travail forcé et d’internement, de privations et de liberté relative,
d’occasions d’émigrer et d’obstacles bureaucratiques que débarquèrent les
Juifs d’Europe, poussés par la nécessité de fuir le continent à la recherche
de solutions d’émigration. Des milliers de réfugiés de la zone libre
s’adressèrent à des organisations internationales d’entraide, juives et non
juives, telles que la HICEM, le JDC, l’AFSC ainsi qu’au centre américain
de secours du journaliste américain Varian Fry à Marseille, le tout nouveau
Emergency Rescue Committee39, cherchant de nouveaux moyens de fuir.
Lorsque les États-Unis fermèrent leurs consulats à Vichy en juillet 1941
et que l’Espagne interdit à ses consuls de délivrer des visas de transit aux
détenteurs de visas de transit portugais, la « sentence de mort » qui
menaçait les réfugiés juifs se trouvant encore dans la France de Vichy fut
quelque peu allégée par l’autorisation qu’obtinrent les émigrants de se
rendre à l’étranger via le Maroc français40. Si les autorités de Vichy
autorisèrent officiellement la délivrance de visas de transit pour des réfugiés
passant par ses territoires d’outre-mer, elles dressèrent des obstacles
bureaucratiques et exigèrent que les diverses organisations, JDC, HICEM et
le Comité d’assistance aux réfugiés étrangers de Mme Benatar, prennent en
charge l’alimentation, le soin et le transport ultérieur des réfugiés. De fait,
c’était généralement Benatar qui se portait garante personnellement de
chaque réfugié auprès du contrôleur en chef de la Région civile et des autres
autorités civiles et militaires, qui dictaient les conditions auxquelles
l’association de Mme Benatar devait se soumettre41.
3. Les Français de la Légion étrangère : Au début de la guerre, en
septembre 1939, des milliers de Juifs polonais, autrichiens et
tchécoslovaques résidant en France s’engagèrent dans la Légion étrangère,
soit pour des raisons patriotiques car ils ne pouvaient s’engager dans
l’armée française, soit pour échapper à la législation appliquée en France
contre les résidents étrangers. Après la conquête de la France et
l’établissement d’un nouveau gouvernement à Vichy en juin 1940, les
légionnaires français, dont des Juifs étrangers engagés volontaires pour la
durée de la guerre (EVDG), furent officiellement démobilisés mais
rarement libérés42. Le JDC estima que plus d’un millier de légionnaires
juifs se trouvaient au Maroc lors de la défaite française43. Avec leurs
camarades non juifs, dont de nombreux républicains espagnols, ils furent
envoyés au Maroc et en Algérie avec l’approbation des Allemands pour
servir les objectifs coloniaux, notamment le chantier grandiose du
Transsaharien reliant Dakar à la côte méditerranéenne, projet autorisé par le
maréchal Pétain en mars 1941. Là, ils devinrent de véritables esclaves,
faisant un travail physique épuisant dans le désert, dans des conditions
désastreuses. On infligeait à ces « volontaires » des punitions cruelles et
inhumaines. Ils étaient détenus dans des camps clos, tristement célèbres –
camps de travail et de concentration à tous points de vue. Le Maroc
comptait à lui seul plus de onze camps de ce type44. Julius Wolf, un avocat
de Vienne, avait été envoyé à Casablanca pour s’engager dans la Légion
étrangère mais fut interné suite à l’intervention du consul américain à
Casablanca, car il détenait un visa pour entrer aux États-Unis. Son histoire
fut rapportée dans le New York Times en mai 1941, après son arrivée à New
York, avec quelque 500 réfugiés à bord du Magallanes. Il parla des
conditions désastreuses des camps : « À Bou Arfa, sur la frontière
algérienne, un millier d’anciens légionnaires juifs travaillent comme des
esclaves45. » Son histoire fut corroborée par des centaines d’autres réfugiés.
En mars 1941, le JDC, alerté sur les conditions dans lesquelles vivaient
certains anciens membres juifs de la Légion étrangère au Maroc, demanda à
Mme Benatar, qui œuvrait déjà pour aider les réfugiés européens à
Casablanca, de voir ce qu’il en était et de « nous conseiller quoi faire et
nous dire si vous êtes en mesure de faire quelque chose46 ».
Le réseau d’entraide d’Hélène Cazes-Benatar
Hélène Benatar finança personnellement ses premières opérations, avec
l’aide d’amis. Réalisant qu’il fallait entreprendre une action de bien plus
grande envergure, elle contacta les dirigeants de la communauté juive et ses
relations au gouvernement civil. L’aide fut immédiate et spontanée mais
avec le temps, la gravité et l’urgence de la situation nécessitèrent une aide
encore plus grande. La première vague des réfugiés arriva durant les
grandes vacances ; ils purent être logés dans les écoles de l’Alliance et dans
les autres institutions communautaires. H. Benatar forma un comité local
composé notamment des dirigeants communautaires tels que S. D. Levy,
Jules Nataf et leurs épouses, son amie Celia Bengio étant sa principale
source de soutien47. Les Juifs locaux se chargèrent au début de fournir le
gîte et le couvert aux réfugiés puis, le temps passant, les aidèrent à trouver
un emploi. Les possibilités se faisant de plus en plus rares, les réfugiés
furent redirigés vers Mogador, Marrakech, Safi et Fez48.
En août 1940, H. Benatar contacta le JDC. Une première somme de
1 000 dollars arriva, bientôt suivie d’un autre soutien financier, accru. À la
fin de 1941, l’AJJDC avait envoyé 15 500 dollars au comité de
Mme Benatar49. Un rapport du JDC note qu’entre juin et juillet 1940
seulement, quelque 3 500 à 4 000 réfugiés arrivèrent au Maroc50 et que
durant la seconde moitié de 1940 ils furent 10 00051. La HICEM et le JDC
soulignèrent l’importance vitale de Casablanca en tant que porte vers
l’émigration car les filières de fuite par l’Espagne et le Portugal devinrent
plus malaisées. Le siège du JDS à Lisbonne fonctionnait via Benatar. La
branche marseillaise de la HICEM créa un bureau à Casablanca en 1941, au
début pour sauver les 1 200 réfugiés qui devaient être internés dans des
camps au Maroc52. Après avoir reçu des rapports médicaux sur les
conditions au Maroc, notamment sur les personnes internées dans les
camps53, l’AFSC décida d’envoyer une équipe sur place. En juillet 1942,
quatre mois avant le débarquement allié, Leslie O. Heath arriva à
Casablanca pour diriger une équipe de trois quakers, dont David Hartley et
Kenneth Kimberland54. L’une de leurs premières entrevues avec Hélène
Cazes-Benatar eut lieu ; ce fut le début d’une étroite collaboration entre eux
et leurs deux organisations. Après un rapide tour d’horizon, Heath conclu
que, pour parer au plus pressé, il fallait s’occuper des 6 000 hommes
internés dans les camps et à qui l’AFSC pouvait fournir des vêtements et
des couvertures.
En décembre 1942, le JDC indiqua que 10 000 réfugiés étaient passés
par le port de Casablanca en moins de deux ans, de janvier 1941 jusqu’au
débarquement des Alliés en Afrique du Nord, en novembre 194255. Abitbol
avance qu’avec les 5 000 à 10 000 réfugiés civils et « travailleurs
étrangers », le comité aida environ 20 000 réfugiés juifs de 1940 à 1942
dans le Maroc français, à Tanger et en Algérie56. Les rapports cités cidessus semblent tous indiquer des chiffres supérieurs à ceux d’Abitbol, en
prenant en compte les divers groupes de réfugiés et l’ensemble de la
période de la guerre. Quel que soit le nombre, il représente un effort
impressionnant, quoique oublié, considérant le nombre de Juifs autorisés à
émigrer via toutes les filières à cette époque.
Fin avril 1941, les autorités de Vichy au Maroc décrétèrent qu’aider les
réfugiés était un acte criminel et fermèrent le bureau de Mme Benatar57.
Bien qu’ils aient demandé à cette dernière de leur remettre ses registres, elle
refusa et les cacha58. Nelly poursuivit son travail, soutenue non seulement
par une aide accrue du JDC, mais aussi de la HICEM, Raphaël Spanien
venant juste d’être envoyé pour représenter cette organisation à Casablanca.
Les opérations se déroulaient maintenant dans le cadre d’une nouvelle
organisation : « Hélène Benathar – Réfugiés étrangers », avec Celia Bengio
en tant que secrétaire, et avec l’aide de réfugiés et de fidèles assistants,
Marguerite Fuchs, Ernest Baden, Erich Polak et autres, chacun travaillant
jusqu’à son émigration. Au printemps 1942, avec la hausse sensible du
nombre des réfugiés cherchant à transiter par le Maroc, les bureaux de la
HICEM à Marseille et à Casablanca établirent des directives très claires
pour les opérations à Casablanca, en coordination avec Mme Benatar.
L’argent était versé à l’avance par la HICEM de Marseille et des bons
d’alimentation et d’hébergement furent distribués à Casablanca. On
collectait une somme fixe, au début 50 francs par jour et par personne, en
général pour cinq à dix jours59. Les réservations pour la traversée se
faisaient par la HICEM de Marseille. Chaque passager recevait des
instructions écrites concernant les réservations, l’argent, les préparatifs pour
le départ, les bagages, le courrier, des conseils médicaux et des conseils sur
ce qu’il fallait emporter. Les réfugiés signaient des formulaires standard
déclarant qu’ils acceptaient ces instructions60.
Heureusement, les bateaux portugais allaient encore de Lisbonne et
Casablanca à Cuba, Mexico, Saint-Domingue, au Brésil, en Argentine et
aux États-Unis. La compagnie espagnole Ybara allait également au
Venezuela, au Brésil et en Argentine61. Parmi les nombreuses listes, carnets
de reçus et rapports des archives de Mme Benatar, on trouve les noms de
centaines, voire de milliers de passagers des divers navires en partance de
Marseille, Oran et Lisbonne, en direction de Casablanca et des Amériques.
La HICEM organisa les traversées sur tous les navires et toutes les
compagnies maritimes possibles62. Les Nyassa, Guinée et Serpa Pinto
firent plusieurs fois la traversée entre la Méditerranée et les ports de
l’Atlantique. Les convois arrivaient chaque semaine, voire chaque jour. Le
Nyassa, par exemple, fit des traversées le 25 juin, le 2 juillet et le 6 juillet.
Certains voyages étaient de courte durée, de port à port, d’autres étaient à
destination des États-Unis, du Mexique et de divers ports d’Amérique du
Sud. David Izbotsky, par exemple, s’embarqua à bord du Serpa Pinto à
Lisbonne le 17 novembre 1941, neuf mois après avoir quitté son domicile à
Anvers. Dans ses mémoires, il relate comment son navire jeta l’ancre à
Casablanca pour accueillir des réfugiés de tous les pays, dont des amis de sa
ville d’origine, qui avaient été internés dans un camp près de Mazagan63.
On trouve sur les listes des réfugiés de tous les âges, toutes les professions
et toutes les nationalités. Jules Wallerstein était l’un des enfants réfugiés qui
embarquèrent à bord du Guinée à Casablanca. En février 1941, il arriva à
Marseille avec ses parents, après avoir fui sa Bavière natale, via Anvers. Là,
la famille avait demandé un visa pour les États-Unis, qu’elle reçut
finalement à Marseille, après avoir quitté la Belgique dès l’invasion
allemande. La HICEM s’occupa de leur trouver une traversée sur le navire
portugais le Guinée, qui partait de Casablanca. La famille dut trouver le
moyen de venir de Marseille, via Oran, en Algérie. Les Wallerstein
arrivèrent à Casablanca quelques jours avant le départ et à New York le
20 janvier 194264. À cette époque, le transfert sur des navires
transatlantiques était immédiat, comme pour les passagers du Lipari, qui
arrivèrent à Casablanca de Marseille le 23 mars 1942 et furent directement
transférés sur le San Thome qui les attendait, en partance pour Cuba, New
York et Vera Cruz. Cependant, la plupart d’entre eux étaient obligés
d’attendre sans date précise, pour obtenir visas, laissez-passer et organiser
leur traversée. Leurs finances en souffraient et cela nécessitait une aide de
plus en plus grande. D’autres étaient incarcérés ou internés dans des camps
de travail durant cette période intermédiaire65.
Après l’opération Torch, la première campagne alliée en Afrique du
Nord, qui débuta dans la nuit du 8 au 9 novembre 1942, il devint clair pour
tout le monde, ou pratiquement tout le monde, qu’avec l’occupation alliée,
les restrictions concernant les Juifs et le mouvement des réfugiés seraient
levées et que les prisonniers des camps de Vichy seraient libérés.
Cependant, aux États-Unis, le gouvernement et les autorités militaires
considéraient que ce problème ne faisait qu’un avec l’éradication du
nazisme dans la région et ajournèrent leur action66. Dix jours après le
débarquement, le 17 novembre 1942, le président Franklin Delano
Roosevelt annonça la libération des personnes emprisonnées en Afrique du
Nord par le régime nazi. Cependant, il y avait loin entre la déclaration
officielle et la réalité au Maroc, et les espoirs des Juifs furent cruellement
déçus. Un prisonnier du camp de travail de Djelfa écrivit : « Nous savons
que la radio a annoncé notre libération mais les directeurs du camp ne
veulent rien savoir67. » Les organisations juives américaines et leurs
dirigeants firent pression sur le gouvernement américain, rédigeant de
puissants appels, organisant des rassemblements et publiant des avis sur des
pages entières dans les quotidiens nationaux, rejetant le motif de « raisons
militaires » avancé par les fonctionnaires du gouvernement.
Pendant ce temps, Mme Benatar commença à contacter les autorités
militaires américaines, demandant logement, nourriture et emploi pour les
réfugiés, ainsi que des laissez-passer. En février 1943, elle reçut
l’autorisation des autorités marocaines civiles et des autorités militaires
alliées de se rendre dans les camps pour les visiter, avec quatre autres
personnes, dont sa fille Myriam et Leslie O. Heath, le représentant de
l’AFSC au Maroc, en vue d’évaluer la situation68. Les pénibles conditions
prévalant dans les camps et le nombre important de personnes encore
internées ne firent qu’accentuer le fossé entre la réalité et les déclarations
officielles. Le succès de cette visite fut limité69. Ce n’est que deux mois
plus tard, et six mois après la « Libération », qu’une directive claire et nette
fut émise pour libérer tous les anciens légionnaires et autres prisonniers des
camps d’internement. Cependant, même là, l’ordre ne fut pas uniformément
respecté et par endroits, il fallut attendre juin 1943 pour qu’il le soit70.
À leur libération, ces hommes eurent grand besoin de soins médicaux,
de logement et de permis de travail. Ils cherchèrent également toute
information concernant leurs familles, les moyens de les contacter mais
aussi des visas et des moyens de transport vers l’Ouest. Ils sollicitèrent
l’assistance des représentants officiels des pays dont les réfugiés étaient
originaires ou dans lesquels ils voulaient se rendre mais, dans la plupart des
cas, ce fut le comité local qui leur vint en aide71. Pour tout ce dont ils
avaient besoin, ils s’adressaient aux communautés juives et au Comité
d’assistance aux réfugiés étrangers d’Hélène Cazes-Benatar. Malgré l’aide
des autorités américaines et le fait que le consul américain accorda autant
de visas que possible, le Comité national de libération mit divers obstacles
en invoquant la sécurité nationale. « Pour comprendre le dédale
bureaucratique auquel il fallait se plier, il suffit de mentionner que chaque
réfugié devait remplir seize questionnaires, auxquels, pour cinq d’entre eux,
il fallait joindre cinq photographies et sur lesquels, pour les autres, il fallait
apposer ses empreintes digitales72. »
En réaction aux changements de conditions, le JDC augmenta en 1943
son engagement en Afrique du Nord, tant sur le plan financier que sur le
plan de ses équipes présentes sur le terrain. Des équipes officielles de
l’AJJDC arrivèrent pour des séjours plus ou moins longs et Donald Hurvitz
fut prié d’évaluer les conditions et les besoins dans l’ensemble de la
région73. En 1943, le JDC envoya environ 80 000 dollars au Maroc et en
Algérie74. Au printemps 1943, de nombreuses organisations, tant privées
que publiques, tant locales, qu’internationales et gouvernementales, étaient
actives au Maroc. En juillet, Hélène Benatar fut l’instigatrice d’une réunion
avec des représentants de divers groupes à Casablanca afin de coordonner
l’aide aux réfugiés. Plusieurs types d’activités furent envisagés et
finalement, chaque groupe se chargea de besoins spécifiques ou de certaines
parties de la population réfugiée75. Fin 1943, les organismes
gouvernementaux commencèrent à assumer la responsabilité d’une grande
partie des problèmes des réfugiés, intégrant dans leurs rangs une grande
partie du personnel des organisations existantes, tels que les représentants
sur le terrain de l’AFSC. Les contacts personnels entre eux se poursuivirent,
même dans leurs nouvelles fonctions, ce qui créa une coopération accrue
entre les organisations. Les organisations gouvernementales et publiques,
par exemple, coopérèrent pour la création et la gestion du parc d’attractions
d’Aïn Sebaâ dans la banlieue de Casablanca pour les réfugiés. Bien que de
nombreux problèmes logistiques aient surgi, cette coopération créa une
atmosphère positive. Durant la première moitié de 1943, par exemple,
Mme Benatar réussit à trouver un emploi à 1 267 réfugiés au sein de
l’armée américaine ou dans l’industrie privée travaillant pour l’armée76.
Le 9 novembre 1943, plus d’un an après le débarquement des Alliés en
Afrique du Nord, l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation
Administration), proposée par le président Franklin Delano Roosevelt en
juin 1943 pour aider les régions libérées des forces de l’Axe, fut créée lors
d’une conférence réunissant 44 pays à la Maison-Blanche. Bien que
qualifiée d’agence des Nations unies, elle fut établie avant la création de
l’ONU, sur la base d’une coopération avec l’OFRRO (Office of Foreign
Relief and Rehabilitation Operations) américain.
Avec la réorganisation progressive de l’aide en Afrique du Nord, le
JDC envoya son propre représentant permanent travailler directement au
Maroc, reléguant peu à peu l’autorité de Mme Benatar au second plan. Elle
poursuivit cependant ses activités avec le même enthousiasme. Jamais elle
ne reçut de salaire du JDC, jamais elle n’y occupa une fonction officielle77.
Cependant, elle fut souvent reconnue comme représentante du JDC, chose à
laquelle les dirigeants de cette organisation s’opposèrent bien qu’ils
louassent son travail78. Elle rendit d’inestimables services aux diverses
organisations américaines, tant juives que non juives, en raison de sa
connaissance des affaires locales, de celles de sa communauté, de ses
contacts officiels et de sa grande expérience sur le terrain.
Conclusions préliminaires
Ce rapide tour d’horizon des activités de Mme Benatar permet de
distinguer certains traits de sa personnalité et de son travail. Tout d’abord,
son dévouement illimité et son énergie inépuisable pour aider les réfugiés
durant la Seconde Guerre mondiale et contribuer à l’émigration des Juifs
d’Afrique du Nord en Israël. Cependant, c’est sa capacité à « faire bouger
les choses », comme l’a écrit l’un des employés du JDC, qui définit cette
femme « extraordinaire, dynamique et compétente »79. Elle réussit à
accomplir des choses non seulement par son propre travail mais aussi en
établissant une étroite coopération et collaboration entre des organisations
dans l’intérêt des réfugiés au Maroc. Ce type de coopération fut évident dès
le début et n’avait pratiquement aucun rapport avec son propre statut ou sa
propre réputation80. Alors que les moyens, le matériel et le personnel
faisaient grandement défaut et que sévissaient les luttes intestines et les
rivalités entre le gouvernement, l’armée et les organisations, ce type de
coopération ouvrit la voie à des opportunités et des services qui dans un
autre contexte auraient été impossibles. Malheureusement pour tout le
monde, la coopération au sein des organisations juives et entre ces mêmes
organisations, ainsi que la coopération avec les agences gouvernementales,
fut toujours particulière durant la Seconde Guerre mondiale. Cette
collaboration et cette coopération reflétaient-elles la dimension féminine
que Mme Benatar apporta à son travail et à ses collègues, des hommes pour
la plupart ? Il serait certes exagéré de l’avancer mais c’est une hypothèse
qu’on ne peut rejeter.
Consciemment ou non, Mme Benatar fit le bon choix pour sa carrière
de bénévolat. Les activités de bienfaisance ont toujours été, pour les
femmes, considérées comme un domaine convenable, respectable et même
admiré. Les femmes juives s’y sont toujours investies, seules ou dans le
cadre d’organisations constituées à des fins caritatives et sociales (entre
autres l’aide aux immigrants et aux réfugiés). Dans un article sur la
philanthropie, Susan Chambré a écrit : « L’engagement dans des entreprises
philanthropiques offrait aussi aux femmes un monde à part, un domaine
dans lequel elles pouvaient contribuer à la vie communautaire, ce qui leur
permit d’exercer leur influence dans une communauté ou un milieu plus
vaste81… » Ensuite, elle divise l’engagement des femmes juives en quatre
grandes catégories : organisations féminines autonomes, organisations
féminines comportant aussi des hommes, aides féminines dans des
organisations dominées par des hommes et organisations masculines
comportant aussi des femmes, mais en général, à un degré moindre82.
Durant les années 1930, Mme Benatar était une des dirigeantes de la
WIZO et des associations locales de bienfaisance dans la communauté
juive. Toutefois, l’ampleur de ses travaux au cours de la Seconde Guerre
mondiale et les contacts qu’elle développa furent exceptionnels et allèrent
au-delà des limites traditionnelles de l’engagement des femmes dans le
travail communautaire, les associations caritatives et la philanthropie. En
créant un comité composé à la fois d’hommes et de femmes, des femmes de
sa trempe comme Celia Bengio et Marguerite Fuchs chargées de prendre les
décisions et de réaliser les travaux, un autre schéma voit le jour qui
développe les activités traditionnelles des femmes dans le domaine
philanthropique et communautaire, même si en réalité il s’agissait souvent
d’un comité composé d’une seule personne.
Hélène Cazes-Benatar n’adopta pas une position féministe (ce qui lui
aurait peut-être été étranger). Usurper le pouvoir des hommes ou les
affronter sur des questions de pouvoir ne l’intéressait pas. Elle « se
contenta » de faire ce qu’elle considérait comme nécessaire, avec énergie et
efficacité. Tout comme, par ses propres réalisations, elle montra la voie
dans le domaine de l’éducation des jeunes filles juives et des perspectives
de carrière, elle ouvrit de nouvelles possibilités dans le domaine du travail
communautaire, avec de nouvelles structures, tant au niveau
intracommunautaire qu’au niveau extracommunautaire. Les fermes
négociations qu’elle mena avec les autorités civiles et militaires et avec les
organisations caritatives internationales, dominées par les hommes, et son
inspection des camps et des habitations pour évaluer la situation
l’amenèrent bien au-delà des sphères de l’activité féminine traditionnelle.
Quand son Comité d’assistance aux réfugiés étrangers fut déclaré illégal au
printemps 1941, elle prit de grands risques et poursuivit son travail. Pendant
et après la guerre, elle renonça à une vie de famille ordinaire avec ses
enfants, sacrifia ses revenus et sa vie professionnelle au-delà des diktats des
lois de Vichy et voua sa vie à l’aide aux réfugiés.
Pour réaliser ses objectifs, elle fit appel à ses relations personnelles et
professionnelles et les gagna à sa cause. Elle tira parti de ses relations avec
les autorités civiles, relations développées durant sa carrière d’avocate très
appréciée, ainsi qu’avec les dirigeants de la communauté, qu’elle
connaissait de par la nature de son statut social et les fonctions de son
regretté mari et de son père. Son statut de veuve lui permit une plus grande
mobilité et une plus grande indépendance dans son travail, à la fois dans le
milieu traditionnel et le milieu occidental moderne et l’aide de sa famille lui
accorda le temps et la liberté nécessaires à ses nombreuses activités.
Cependant, sa vie ne fut pas exempte de frustrations, et pas uniquement du
fait des problèmes logistiques et bureaucratiques. Malgré l’envergure de
son travail et de son expérience, les responsables de l’AJJDC continuèrent,
par exemple, à la considérer comme une bénévole locale, n’ayant aucune
fonction au sein de l’organisation. De même, malgré son dévouement et ses
capacités, lors de son installation en France dans les années 1960, avec les
difficultés que cela supposa, les membres traditionalistes masculins de
l’Association des Juifs du Maroc à Paris, association qu’elle avait contribué
à créer, refusèrent de la nommer à une fonction dirigeante.
Hélène Cazes-Benatar illustre la vertu juive de l’entraide. Son souci
d’autrui, couplé à sa philosophie libérale occidentale personnelle, permit de
communiquer avec les Juifs et les non-Juifs de régions et de cultures
différentes. Mme Benatar constitue une référence dès lors qu’il s’agit de
combler les fossés et de développer les contacts entre les Juifs de son
Afrique du Nord natale, l’Europe sous la coupe nazie et les États-Unis, tant
pendant la guerre que dans les années qui suivirent. Sa chaleur et sa
profonde sollicitude pour autrui la lièrent au destin du peuple juif à travers
le monde. La Mishna dit que « Qui sauve une vie sauve un monde » (Traité
Sanhedrin, 4, 5). Hélène Cazes-Benatar est une femme qui a sauvé de
nombreux mondes en venant en aide à des milliers de réfugiés. Sa
personnalité et sa vie sont parfaitement résumées dans le sous-titre de
l’ouvrage biographique de son gendre, le Dr Serge Lapidus : « Une femme
de tête, de cœur et de courage ».
10
Espionnage et contre-espionnage ;
nazis et réfugiés :
Tanger durant la Seconde Guerre
mondiale
par Mitchell SERELS
Soldats marchant en formation avec des demi-guêtres d’un blanc
éclatant, troupes du calife montées. C’est ainsi que l’Espagne occupe
Tanger le 14 juin 1940, enfreignant les traités ratifiant l’internationalisation
de la ville. L’intention des Espagnols était clairement de préserver la
neutralité de la cité portuaire qui incluait la zone internationale de Tanger.
L’invasion se fit au nom du sultan du Maroc, lui-même interdit en ville1. Ce
même jour, l’attaché militaire allemand à Madrid prit l’avion pour Tanger
dans l’appareil du général Luis Orgaz, vêtu d’un uniforme d’officier
espagnol. Il avait donc eu connaissance préalable du plan2. La veille, le
13 juin 1940, les journaux allemands indiquaient qu’il se pourrait que
l’Espagne occupe Tanger3.
Le 10 juin 1940, l’Italie abandonne la neutralité pour adopter la
belligérance. Le 12 juin 1940, l’Espagne fait de même, passant de la
neutralité à la belligérance passive4.
Outre le soutien militaire pour les forces nationalistes de Franco,
l’Allemagne maximisa sa participation à l’effort économique de l’Espagne,
qui comptait maintenant la zone internationale de Tanger5.
Avec l’occupation de Tanger, le gouvernement du Maroc transféra tout
l’or de la Banque d’État du Maroc de Tanger à Casablanca6. Cependant, les
activités bancaires et de change s’accrurent à Tanger, y compris au sein de
la population juive. Le Dr Kurt Reith, qui organisa l’assassinat du
chancelier autrichien Dollfuss, fut nommé consul de l’Allemagne. Les
autorités espagnoles remirent l’ancien bâtiment de la Mendoubia aux
Allemands pour qu’il abrite leur consulat général à Tanger (GCGT). Il
n’était qu’à quelque distance de la Calle de las Sinagogas, la célèbre rue en
« L » comportant quatorze synagogues. Le Bet Din de Tanger, ou tribunal
rabbinique, quitta la Mendoubia pour s’installer, en face, au domicile du
rabbin Yehudah Azancot. Les Allemands possédaient déjà un consulat à
Tétouan mais avaient perdu leurs propriétés à Tanger depuis la Première
Guerre mondiale. Pendant une brève période après l’occupation, Tanger
resta séparée de la zone espagnole. Ce n’est que plus tard qu’elle fut
incorporée au mandat espagnol7. Les Alliés considéraient la majorité de la
population espagnole de Tanger comme prorépublicaine, ne soutenant donc
pas le gouvernement nationaliste de Franco ; la population française locale
de Tanger comme étant en majorité pour les Alliés et les musulmans
comme partagés. Les Juifs étaient considérés comme étant pro-Alliés8.
Cependant, les Allemands ne refusaient pas les contacts avec les hommes
d’affaires juifs, contacts bons pour le commerce et pour le maintien de leur
couverture.
Tanger abritait la plus ancienne légation américaine, présence de poids
dans la ville avant l’entrée en guerre des États-Unis9. Tanger, consciente de
sa position diplomatique et stratégique périlleuse était un grand centre de
renseignement ; les individus s’espionnaient les uns les autres. Les Italiens,
Espagnols, Allemands, Britanniques et Américains craignaient
mutuellement que l’un d’eux ne s’empare de la ville, véritable porte
d’entrée de la Méditerranée10. Par conséquent, personne ne dit mot contre
l’occupation espagnole qui privait les autres de toute chance d’occuper la
ville située face au détroit de Gibraltar11.
Le 3 novembre 1940, les Espagnols dissolvaient le Comité international
de contrôle en échange de la reconnaissance britannique de l’occupation
espagnole. Les Britanniques, quant à eux, se voyaient accorder le droit
d’entrer et de sortir de Tanger à leur guise, sans aucune restriction, et donc
de maintenir un contact avec Gibraltar. Peu après, les Américains se virent
accorder les mêmes privilèges12. À Tanger, toute fortification était interdite
ainsi que le port de tout insigne militaire autre qu’espagnol. Tanger pourrait
importer librement, aurait un marché de libre-échange, un bureau de poste
britannique, le British Eastern Telegraph et La Gazette de Tanger serait
publiée en anglais, français et espagnol13. La légation américaine contacta
divers négociants, y compris des Juifs, pour faciliter l’octroi de permis
d’exporter américains pour des cargaisons de lubrifiants, de pneus et de
chambres à air, vitaux pour l’effort de guerre de chacun. La GrandeBretagne accepta14. Tanger était un centre d’espionnage si important
qu’avant le débarquement en Afrique du Nord, l’OSS y avait ses quartiers
généraux15. De nombreux agents allemands envoyaient leurs rapports à
leurs officiers traitants à l’ambassade d’Allemagne à Madrid. Les
Allemands fonctionnaient aussi dans le cadre de diverses entreprises
commerciales. Parfois, il s’agissait de véritables hommes d’affaires à la
solde de l’Allemagne ; parfois, d’espions qui avaient pour couverture des
entreprises établies à cet effet. La plupart des Allemands vivaient à l’hôtel
Rif. D’autres habitaient dans des appartements en ville16.
C’était le cas de Johannes Bernhardt, fondateur du parti nazi au Maroc.
Né en 1900, de religion protestante, Bernhardt était à l’origine directeur des
ventes chez H & O Wilmer, une entreprise d’exportation. Après avoir
épousé une des filles Wilmer, il devint directeur de la société. Bernhardt,
avec Adolf Langenheim, fonda le parti nazi à Tétouan et organisa les
expatriés allemands au Maroc. Langenheim en devint le premier président
et Bernhardt le premier membre régulier. Au début de la guerre civile
espagnole, Bernhardt et Langenheim s’étaient envolés pour Bayreuth pour
rencontrer Hitler en vue d’obtenir le soutien allemand de Franco. Bernhardt
était devenu ami de ce dernier, à l’époque où il était major, ainsi que celui
d’autres officiers et administrations espagnols17. L’amiral Canaris, de
l’Abwehr, avait avancé, à juste titre, que les agents allemands devant être
envoyés en Espagne et dans les territoires espagnols devaient l’être en tant
qu’hommes d’affaires18.
Les Allemands se mirent donc à la tâche, acquérant en Espagne ou par
le biais de l’Espagne du matériel pour l’Allemagne. Le marché noir à
Tanger avait principalement lieu à Socco Chico. C’est également de là que
partaient toutes les rumeurs. Nombreux étaient les Juifs qui y possédaient,
là ou non loin, de petites échoppes. Les agents étaient payés pour y
recueillir des informations ou simplement pour écouter les conversations
dans la rue. Tout le monde s’espionnait. Le SIS britannique espionnait non
seulement les Allemands mais aussi l’OSS américain et le SOE
britannique19.
Le KO comptait 87 membres en Espagne, chacun ayant un passeport
diplomatique. Le RSHA avait 228 agents et l’ambassade d’Allemagne à
Madrid en avait 1 711, dont la majorité se rendaient à Tanger ou y
passaient20. L’Abwehr possédait plus de 500 agents en Afrique du Nord,
essentiellement des Arabes qui avaient servi dans l’armée française, avaient
été internés puis libérés21. D’autres musulmans furent envoyés à Tanger, à
la demande du mufti de Jérusalem22.
Bernhardt avait réussi à développer la plus grande entreprise
appartenant à des Allemands, la Sociedad Financiera Industrial (Sofindus),
qu’ils utilisaient souvent pour financer leurs agents mais également pour
faire des affaires, notamment acheter de la viande et de la graisse en
Argentine et les expédier en Allemagne par l’Espagne. Les fonds allaient
d’Allemagne en Suisse et, de là, en Espagne ou au Portugal. Walter
Schellenberg (chef de la Sicherheitsdienst, service de renseignements nazi)
transférait chaque mois 50 000 RM pour financer l’entreprise mais aussi
pour acheter des pesetas. La Sofindus utilisa également des francs suisses et
de l’or provenant de banques suisses. Le code utilisé par Sofindus parlait de
Stab (francs suisses), de Pilz (pesetas) et de Ring Wurm (RM)23. La
majorité des télégrammes envoyés par Sofindus étaient interceptés, décodés
et transmis à Londres par les Britanniques à Gibraltar ou Tanger. L’un
d’eux indique que la Sofindus a obtenu de la pénicilline acheminée par
avion des États-Unis, puis qu’elle a été transférée et envoyée en Allemagne
où elle arriva le 25 octobre 1944. La Sofindus servait à financer les agents
et les agents doubles mais aussi à acheter des produits chimiques pour
l’effort de guerre allemand, notamment du sulfate d’ammonium24.
Bernhardt avait fondé avec Francisco Fernando de Carranza, la Compañía
Hispano-Marroquí de Transportes, constituée à Tanger le 31 juillet 1936.
Plus tard, Bernhardt dirigea la ROWAK- Rohstoffe und waren
Einkaufsgesellschaft, la commission des achats, agissant en tant qu’agent
pour l’armée allemande, particulièrement pour l’achat du minerai des mines
franco-britanniques du Rif, confisquées. Bernhardt s’est vu accorder cette
fonction quinze jours après le début de la guerre civile en Espagne. En
contrepartie, Hitler le décora pour les services rendus au Reich. Franco
donna à Bernhardt un important domaine.
La première chose à laquelle s’attacha la communauté juive locale suite
à l’occupation espagnole fut de trouver le financement, tout d’abord pour
les réfugiés qui venaient d’arriver à Tanger, ensuite pour les écoles de
l’AIU. En effet, les écoles de l’Alliance étaient financées par les bureaux
internationaux à Paris, maintenant occupés par les Allemands. Albert
Sagues, directeur de l’école de l’AIU à Tanger, se tourna vers la Junta (le
Conseil autonome de la communauté juive) ainsi que vers l’Association des
anciens de l’Alliance pour trouver des fonds lui permettant de faire
fonctionner l’école. Ses efforts portèrent leurs fruits. D’autres écoles
françaises étaient placées sous le contrôle de Vichy.
La police indigène, qui comptait un grand nombre de Juifs, fut dissoute
par les autorités espagnoles. En décembre 1940, dans une manifestation
d’animosité assez rare, les Italiens locaux mirent à sac le bureau de poste
britannique ainsi que la société britannique Saccone & Speed. La police
espagnole n’intervint pas. Les Juifs avaient maintenant de plus en plus peur
mais le nouveau gouverneur, le colonel Antonio Yuste, les rassura, disant
que les autorités espagnoles étaient là pour les protéger de l’application des
lois raciales allemandes25. Yuste indiqua également à la population juive
que les lois raciales françaises ne seraient pas appliquées dans les écoles
contrôlées par la France. La Scuola Italiana n’appliqua aucune
discrimination envers les élèves juifs.
Avec l’abrogation du dahir du 15 février 1925, les Juifs perdirent aussi
leur pouvoir politique. En tant qu’entité nationale, ils avaient trois sièges au
Conseil, ainsi que le droit de siéger en tant que représentants des puissances
signataires le cas échéant. Cette perte affecta tout particulièrement la riche
famille Abensur, dont le chef de famille, Aron Abensur, vice-président de la
Junta, était le représentant du Royaume-Uni. Seul le tribunal mixte
demeurait.
Sous l’administration espagnole, tous les commerces, y compris les
commerces juifs, furent lourdement imposés et la perception des impôts
renforcée. Il devint difficile d’obtenir des permis. De nombreux Juifs
s’inquiétèrent car précédemment, ils avaient réussi à obtenir une nationalité
étrangère. En outre, il y avait à Tanger, à tout moment, environ
1 500 réfugiés juifs. La vue du drapeau nazi flottant au-dessus de l’ancienne
Mendoubia, maintenant le GCGT, en affectait beaucoup. Cependant, il n’y
eut pas de manifestation juive contre la présence allemande. Les
Allemands, eux, utilisèrent leurs agents pour organiser une manifestation
arabe antibritannique.
En janvier 1941, le manque de nourriture commença à se faire sentir à
Tanger. Il fallait maintenant importer d’Espagne des denrées telles que
farine, haricots, riz et huile d’olive. On rationna les légumes et interdit
d’utiliser les voitures pendant le week-end. Dans l’ensemble de l’Espagne
et de ses territoires, on manquait d’essence et de blé. Hitler fit miroiter ces
denrées pour inciter l’Espagne à rentrer en guerre. L’Espagne, quant à elle,
tenta d’acquérir des grains au Canada et en Argentine. Finalement, les
États-Unis envoyèrent Walter Smith, un attaché au pétrole, s’entretenir avec
Orgaz en avril 1941. Ces problèmes d’alimentation rendirent la corruption
et le recrutement pour l’effort de guerre plus aisés. Certains Juifs refusaient
tout contact avec les Allemands, d’autres gagnèrent de l’argent en leur
vendant de l’or, certains étaient des agents des Alliés, d’autres des agents de
l’Axe.
Donald B. Hurwitz, agent de l’American Joint Distribution Committee
(Joint) à Lisbonne, surveillait de près la situation à Tanger. De janvier à
mai 1941, le Joint amplifia son aide, qui s’éleva finalement à 12 000 USD
par mois. Le Joint travailla en étroite coopération avec la Hebrat Hajnasat
Orhim de Tanger (Comité d’aide aux réfugiés), dirigée par Abraham
J. Laredo et qui comptait Raphaël M. Laredo, Judah Jacob Cohen, Albert
C. Reinhard, du Luxembourg (dont la femme appartient à ma belle-famille),
Gimol Hadida et Abraham Pinto. La Hebrat Hajnasat Orjim avait été créée
en 1860 pour aider les visiteurs, notamment les rabbins venus collecter des
fonds.
Les Juifs les plus aisés de Tanger ne souffrirent pas pendant la guerre.
Ils vivaient confortablement dans les quartiers du Marshan, au nord de la
ville, ou du Suani, au sud. Tanger n’a jamais eu de Juderia. Joe Hassan, le
président de la Junta, en tant que citoyen portugais, avait un avantage pour
traiter avec les autorités espagnoles. En effet, le Portugal était un pays
neutre, bien que son ministère des Affaires étrangères ait été infiltré par des
agents de la Gestapo26.
Certains agents juifs se lancèrent dans ces activités par hasard. Un
tailleur juif contacta la légation américaine indiquant qu’il avait
d’importantes informations. Il fut conduit auprès de Childs, chef de la
légation. Le tailleur retouchait un costume pour le juge Malmusi, un Italien
en fonction au tribunal mixte mais aussi chef des fascistes italiens à Tanger.
Dans une poche, le tailleur trouva une lettre envoyée par le personnel du
consulat italien au juge au sujet de ses activités d’espionnage. Il se peut que
la lettre ait émané d’un agent italien, Perretti ou Zoccola, et que Zoccola ait
été un nom de code car cela signifie « rat d’égout » en italien. Zoccola
quitta Tanger après le 31 octobre 1944. Pour l’Espagne, Emilio Carendini
était le dirigeant des fascistes italiens locaux, basé à Barcelone27.
D’autres Juifs aidaient les Alliés plus ouvertement. C’est le cas du
Dr Ralph A. Nahon, médecin ayant étudié à l’université de Columbia à
New York. Ses parents, nés à Tanger, avaient immigré aux États-Unis, où
Ralph était né. Il correspondait avec Carleton Coon, récipiendaire d’une
bourse du musée Peabody de l’université de Harvard. Nahon fut engagé par
les Américains en 1940 pour explorer les grottes préhistoriques du littoral.
Il avait été médecin naval mais revenait maintenant à Tanger en tant
qu’archéologue. Nahon rapportait les mouvements des sous-marins
allemands de la région sous couvert de fouilles archéologiques. Il travaillait
avec Hooker Doolittle, transmettait ses informations à Carleton S. Coon, un
messager américain entre Gibraltar et Tanger, qui utilisait sa fonction à la
légation américaine pour passer clandestinement des armes (notamment
45 pistolets), des munitions, des Stens et des fusées éclairantes dans la
valise diplomatique britannique. Le Foreign Office s’opposa cependant à
l’utilisation de sa valise diplomatique par les Américains. Coon, à son tour,
rendait des comptes au colonel Johnson, arrivé à Tanger en juin 1942 pour
remplacer le colonel William C. Bentley en tant qu’attaché militaire à la
légation américaine28. Johnson, lui, transmettait ses informations au G2 à
Washington29. Pour confirmer les informations de Nahon, les Alliés
faisaient appel à un pêcheur arabe dont le nom de code était Néandertal.
Certains autres Juifs avaient la confiance totale de leurs officiers
traitants dans leurs activités d’espionnage. C’était le cas notamment d’Ishaq
Cohen, officiellement chauffeur de la légation américaine. Les Américains
avaient, sur le toit de leur délégation, une radio clandestine, dont le nom de
code était Midway. Le sergent Joseph Cryan, nom de code Stork, en était
chargé30. Mme Childs, la femme du chef de la légation, se plaignit du bruit
qu’il y avait au-dessus de sa chambre à coucher et Childs déplaça la radio
pour l’installer dans la villa de Mme Sinclair, au Marshan. Le problème
était de maintenir la couverture et de ravitailler la station. Coon et Gordon
Browne, qui serait ensuite envoyé à Gibraltar, étaient donc chargés d’être
de faction et de pourvoir à la logistique du ravitaillement. Au bout de
quelques jours, cela devint de plus en plus difficile. Cohen se porta
volontaire pour être de faction un jour sur trois. Il continua à le faire même
après que les Américains eurent réduit la station à une station d’écoute
uniquement31.
Les Allemands avaient eux aussi leur radio à Tanger pour communiquer
avec les sous-marins allemands, transmettre des informations sur
l’approvisionnement en nourriture pour faciliter la pression exercée par
l’Allemagne sur l’Espagne, surveiller les expéditions d’armes en
provenance des États-Unis, les réseaux maritimes et les conditions
climatiques. Les Allemands étaient soucieux du moral et de l’opinion
publique32. Les Alliés faisaient souvent, par cette radio, de la
désinformation destinée à l’Allemagne, en fournissant notamment de
fausses informations sur le Jour « J » pour que les Allemands se concentrent
sur le Pas-de-Calais33. La radio allemande fut sabotée le 12 janvier 194234.
Hitler interdit formellement de se servir de Juifs en tant qu’espions pour
le Reich35. L’amiral Canaris, cependant, y était favorable et à plusieurs
reprises autorisa les Juifs à quitter l’Allemagne sous ce couvert36.
Les Allemands n’avaient rien contre l’utilisation des Juifs37.
Mentionnons à ce propos Abba Haïkovitch. Nous savons peu de choses à
son sujet, notamment qu’il aurait été pelletier38. En 1944, Haïkovitch figure
dans des listes américaines des agents encore en activité travaillant pour le
compte des Allemands et devant être considérés comme dangereux. La
légation américaine à Tanger pensait qu’il se faisait passer pour un réfugié
juif. Il serait parti le 10 décembre 1944 mais l’Espagne n’a jamais confirmé
son départ.
Le cas de Mathias Goeritz est encore plus difficile à cerner39. Il figure
en tant qu’agent sur les listes américaines. Il fut interné à Caldas de
Malavella. Les Espagnols sont moins certains de son activité ; il apparaît
chez eux comme enseignant l’allemand à l’école espagnole de Tétouan,
ayant éventuellement un statut consulaire diplomatique. Mathias Goeritz ne
contribua pas à éclairer la situation. Il suffit de lire ses diverses biographies
et autobiographies pour comprendre l’étendue de la confusion. Dans
certaines sources, il utilise le nom de Werner Brunner. Il semble qu’à un
moment, il ait effectivement enseigné l’allemand dans une école espagnole
de Tétouan, et qu’il se soit rendu fréquemment à Tanger, ville beaucoup
plus cosmopolite40. Une des sources indique qu’il fut interné à Caldas de
Malavella, camp d’internement pour les agents allemands qui fut ensuite
transféré à Sobron, non loin de Vittoria, près de San Sebastian. Goeritz a
peint au moins un paysage de Gibraltar vu du côté espagnol en 1942. La
peinture fut retouchée en 1946. Mathias Goeritz déclara à une occasion que
les Allemands l’avaient invité à rentrer en Allemagne mais qu’il refusa. Il
s’installa par la suite au Mexique.
Les Allemands utilisaient comme espions des artistes et des
architectes41. Ces derniers comprenaient les installations militaires et les
ponts, les artistes pouvaient les reproduire. À Tanger, un architecte suisse
était à la solde du consulat général britannique et du GCGT42. Herbert
B. Boettger (1898 Krefeld – 1954 Buderich) était un artiste à Tanger, classé
par les Américains comme espion, puis plus tard expulsé par les autorités
espagnoles.
L’ambassadeur Hayes craignait que le laxisme espagnol dans le
contrôle des réfugiés ne permette aux agents allemands de s’infiltrer en tant
que tels43.
Les Américains et les Britanniques suspectaient bien entendu les Juifs
dont le nom avait une consonance ou une orthographe allemande. Au début,
les soupçons portèrent un temps sur la famille de Samuel Reichmann,
réfugié hongrois notable44. La difficulté venait en partie du passeport
suédois que possédait leur fille Eva et qui lui permettait de voyager. Les
capacités et le dynamisme de Renée Reichmann avaient également attiré
leur attention45. Elle était très active dans le Vaad Hatzalah, qui aida les
Juifs en Hongrie46. Elle fit pression sur la Croix-Rouge espagnole (Cruz
Roja Espanola) pour obtenir des visas supplémentaires pour les enfants, et
s’ils ne pouvaient trouver l’enfant dont le nom était mentionné, ils en
faisaient partir un autre à la place. Elle assembla des colis de denrées
alimentaires qu’elle envoya à des familles en Hongrie. Les services postaux
entre l’Espagne et les gouvernements de l’Axe et des pays pro-Axe
n’avaient pas été interrompus. Les Alliés tenaient pour suspect tout colis de
denrées alimentaires envoyé à l’ennemi. Les colis de Renée Reichmann
comprenaient des amandes, du chocolat, du beurre, du papier, des cordes,
des vêtements, du savon, de la laine et tout ce qu’elle pouvait obtenir
gratuitement des marchands juifs47. Le 4 avril 1944, le Vaad Hatzalah de
New York accorda 3 000 USD à Aron Cohen, de Calle Tetuan, dont 1 500
USD pour des colis alimentaires48. Renée Reichmann continua ses activités
et fut ensuite félicitée par le chef de la légation américaine, Childs. Celui-ci
ajouta que Samuel Reichmann gagnait d’importantes sommes d’argent en
convertissant des devises à la banque et des sommes de moindre importance
en les convertissant auprès des agents de change. À Tanger, avec toutes ses
missions européennes, et même la mission japonaise, les agents de change
étaient très demandés. Quatre banques appartenaient à des Juifs : la banque
Salvador Hassan, la banque Benchimol, la banque Nahon et la banque
Pariente49. Certains se plaignirent du fait que des joailliers et des marchands
d’or juifs vendaient volontiers de l’or aux Allemands50.
Les réfugiés ashkénazes développèrent leur propre congrégation, tout
d’abord dans un endroit fourni par la Junta dans l’ancien bâtiment de
l’école de l’Alliance, puis dans un endroit qu’ils louèrent, rue Tuajim. Ils
avaient leur propre shehita et ouvrirent une yeshiva. Tout cela se déroula
sous les yeux de l’important GCGT et des agents de l’Axe, dont le nombre
dépassait 100. Certains réfugiés, assis à des cafés en bord de mer,
regardaient les attaques sur Gibraltar ou sur des navires. Ils voyaient les
bombes tomber pendant qu’ils écoutaient de la musique. Pour les nouvelles,
les gens écoutaient la radio, puisque les journaux étaient censurés51. Les
Juifs de Tanger n’apprirent l’Holocauste qu’en 1945. De temps en temps, la
Gestapo trouvait quelqu’un qui l’intéressait et l’envoyait en Allemagne. Ce
fut le cas de « Rudolfo », finalement libéré par les Russes à Magdeburg52.
Les Allemands utilisaient surtout des espions arabes, certains formés
par le mufti de Jérusalem dans une madrasa allemande à Dresde. Les Alliés
avaient eux aussi leurs espions arabes. Certains Arabes locaux étaient proAlliés, d’autres, nationalistes, anti-espagnols. Embarck el-Jedidi fit de la
contrebande pour les Allemands53.
Un des espions allemands, Abdelkader ben Mohammed Alami, était un
Marocain qui travaillait pour le GCGT. Il était encore actif au départ des
Allemands, le 16 juin 1944. Abdullah Richter, un Allemand converti à
l’islam, vivait à Alcazaquivir. Son moulin lui servait de couverture. À noter
qu’il prit part au minage du pont el-Kasr. Mekki Nasiri, un nationaliste
marocain anti-alliés, était au service du consulat allemand à Tétouan.
Le nom de code de certains des agents arabes à la solde des Alliés nous
est connu : Strings, Tassels et Idris. Strings était un puissant dirigeant
religieux marocain. Tasssels, son associé, travaillait lui aussi pour les
Américains. Il était chargé d’acquérir des armes et autres pour le rebelle,
Abdel Krim. Randolph Mohammed Gusus était né à Manchester, en
Angleterre, de père marocain et de mère anglaise. Il fut élevé en tant
qu’Arabe, à Fez. Il alla aux États-Unis pour vendre du cuir marocain et
autres produits de maroquinerie, qu’il exportait. Il connaissait tout
particulièrement la région de Boston. C’est là qu’il rencontra Coon et
Browne54. Gusus travaillait officiellement pour le SIS britannique et fut
« prêté » aux États-Unis. Il habitait dans une villa de fonction américaine à
Tanger, avec un garde. Officiellement, il était traducteur pour la légation
américaine. De fait, il était le contact de Tassels, qu’il rencontrait tous les
mois au café Tingis55. Tassels transmettait les informations obtenues de
Strings.
Mulay Ali, de la tribu des Taghzuth, était lui aussi ouvrier du cuir.
Cependant, il brûlait constamment sa couverture en fournissant à la légation
américaine des articles en cuir. Ali pouvait se déplacer facilement et allait
acheter des peaux chez les agriculteurs. Il transmettait des informations
appréciables mais, fumeur invétéré de cannabis, il ne put conserver sa
couverture et fut remercié de ses services.
M. Fish, un vieux commerçant musulman, fut payé 50 USD par le
colonel Johnson pour se rendre de Tanger à Ceuta. Là, M. Fish devait
acheter des marchandises pour son magasin et recueillir des informations
sur les combats. Considéré comme efficace, il fut ensuite payé 1 000 Frs par
mois56.
Mohammed Shaoush était quant à lui un agent double plus classique. Il
était payé par les États-Unis et le Royaume-Uni pour distribuer du matériel
pro-Alliés et par les Allemands pour recueillir la propagande et la détruire.
Étant un homme honnête, Shaoush distribuait le matériel dans des
immeubles pour s’acquitter de ses obligations envers les Britanniques, puis,
pour s’acquitter de celles envers les Allemands, il repassait au même
endroit, reprenait ce qu’il venait de distribuer et s’en débarrassait57.
Certains agents étaient tout simplement des opportunistes. Big Moh
était un geôlier de prison possédant les clés des cellules. C’est lui qui
rapporta l’arrestation du capitaine Carranza, un militaire espagnol qui était
l’informateur des Américains58.
Parfois, l’espionnage se transforma en sabotage. Le 12 janvier 1942, les
Britanniques sabotèrent la station de radio allemande clandestine de Tanger.
Le 6 février 1942, les Allemands, en guise de représailles, firent sauter les
sacs postaux britanniques59. L’explosion inquiéta même Goebbels quand il
apprit la chose60. L’Allemagne avait découvert le complot britannique après
s’être introduit dans le consulat américain. L’agent était une femme de
ménage espagnole. Un informateur, Juif allemand réfugié à Tanger, raconta
avoir été contacté par un agent allemand, Haggenmaker, qui lui avait dit
que sa famille devait de l’argent à des gens en Allemagne depuis que leur
entreprise avait été aryanisée. Comme leurs moyens étaient limités et qu’ils
n’étaient pas certains des réels motifs de cet Allemand, les Juifs
s’adressèrent à un agent britannique qui habitait dans le même immeuble.
L’Anglais leur dit de payer ; de fait, cet agent était également à la solde des
Britanniques61.
Les États-Unis utilisaient les membres de leur légation pour diverses
activités. Le colonel Frank Holcombe et Browne firent passer un pilote
côtier marocain dans un wagon de marchandises de la zone française à la
zone espagnole, puis de là à Tanger et sur un petit bateau, de Tanger à
Gibraltar. Ce pilote guida les navires alliés lors du débarquement en
Afrique du Nord à partir d’un bateau-guide, les 7 et 8 novembre 194262.
Salomon Laredo et Salomon Pinto se rendirent à Casablanca et furent actifs
dans la résistance contre le régime de Vichy.
Les importants intérêts financiers allemands en ville poussèrent de
nombreux Juifs locaux à faire des affaires avec les nazis, notamment avec la
Sofindus dirigé par Bernhardt. Schellenberg faisait transférer chaque mois
50 000 RM dans l’entreprise pour acheter des pesetas et financer les
espions. Le 23 mars 1944, alors que la guerre tournait clairement en faveur
des Alliés, Berlin télégraphia à la Sofindus au sujet de dépôts d’or
disponibles pour la banque centrale nazie, la Reichshauptbank Baer, auprès
de la Banque nationale suisse à Berne. La Sofindus utilisa ces fonds pour
acquérir des produits chimiques, notamment du tungstène et du sulfate
d’ammonium ainsi que pour faire des achats au marché noir et spéculer sur
les devises63.
En octobre 1943, le Royaume-Uni et les États-Unis se posèrent la
question de savoir s’il fallait fermer le GCGT et chasser l’Espagne de
Tanger. Les espions espagnols de la ville étaient responsables du naufrage
de 50 000 tonnes de marchandises britanniques64. Le 2 mai 1944, l’Espagne
signa un accord secret pour la fermeture du GCGT65. Cependant, Anthony
Eden déclara à la Chambre des communes que l’Espagne avait accepté de
fermer le GCGT et d’expulser les agents allemands, ce qui repoussa les
événements. Le GCGT fut formellement fermé en septembre 1944 et
quelques agents furent expulsés. Le 7 mai 1945, les diplomates allemands
se virent donner vingt-quatre heures pour quitter les lieux et évacuer tous
les consulats ainsi que l’ambassade66.
De nombreux Allemands restèrent cependant en Espagne en tant
qu’enseignants. Les entreprises privées allemandes, notamment la Sofindus,
continuèrent d’y fonctionner. Après la guerre, 1 000 agents de la Gestapo
servirent dans la police de Franco, apprenant l’espagnol au couvent de Los
Cartujos67.
Réfugiés juifs 68
J’ai précédemment parlé de l’arrivée et de la vie des réfugiés juifs
d’Europe, notamment hongrois et rhodiens69. Avant l’invasion espagnole,
l’Assemblée législative de Tanger avait tenté de faire passer une loi
interdisant l’entrée des réfugiés juifs. La délégation juive s’y opposa et la
protestation eut pour conséquence l’élimination du mot « Juif » de la
réglementation. Il fut décidé de ne pas accepter des réfugiés des pays non
signataires, à moins qu’ils ne soient porteurs d’une autorisation spéciale de
l’administrateur général de la zone. Le premier visa serait accordé aux
réfugiés pour une période de six mois, avec possibilité de renouvellement et
moyennant une caution de 5 000 Frs déposée à la Banque d’État du Maroc à
Tanger. Quelques réfugiés furent cependant expulsés70.
Plusieurs réfugiés juifs allemands surent s’adapter aux circonstances en
attendant que les choses se décantent, ailleurs71. Il s’agissait de réfugiés
conscients des événements, vivant sous domination nazie, dans l’ombre du
GCGT et de ses alliés. Moïse Weissman fut au début le représentant du
Congrès juif mondial, poste qui fut ensuite brigué par Anatole Estryn72.
Les délégués à la conférence des Bermudes sur les réfugiés
pressentirent que sur les 6 000 à 8 000 réfugiés juifs dans les territoires sous
contrôle espagnol, environ la moitié pourraient contribuer à l’effort de
guerre allié. Cependant, en 1943, le State Department américain était d’avis
que ces réfugiés n’étaient pas en danger imminent ou sérieux et qu’ils ne
représentaient donc pas un problème pressant, nécessitant des visas73. Le
State Department était d’avis que les réfugiés juifs à Tanger avaient atteint
un havre de paix.
Une approche plus sinistre fut celle qui survint à la fin de la guerre et le
complot Naumann pour réinstaller les membres de l’ancien régime dans le
gouvernement de l’Allemagne de l’Ouest et la Fuehrungsring, une mafia
postnazie, dont les quartiers généraux étaient à Madrid. Dollmann, qui aida
un groupe de nazis en fuite, possédait un département spécial en Afrique du
Nord, dont le siège était à Tanger, chargé de fournir des fonds dissimulés
dans les biens des entreprises d’import-export allemandes telles que la
Sofindus. La plupart des nazis ainsi aidés partirent s’installer en Amérique
du Sud74. Dollmann rencontra le mufti de Jérusalem, qui vivait au Caire, en
janvier 1952, pour aider d’autres personnes à trouver refuge. Parmi les
autres nazis à Madrid utilisant des fonds des banques de Tanger,
mentionnons le Dr Johann von Leers, l’orateur antisémite, le colonel SS
Otto Skorzeny et l’as de la Luftwaffe Hans Ulrich Rudel75.
Le 10 mars 1949, le Mendoub, à nouveau en poste, convoqua la Junta et
son président James M. Nahon pour se plaindre de ce que la Hatikvah avait
été chantée trois semaines plus tôt, lors du départ de Juifs émigrant en
Israël. La Junta prépara une déclaration affirmant sa loyauté, sans toutefois
renoncer au droit d’émigrer librement. Elle écrivit ensuite au gouvernement
israélien pour soutenir la résolution de la République dominicaine aux
Nations unies en faveur de l’adhésion de l’Espagne. Israël ne vota pas en
faveur de la résolution.
Les réfugiés juifs de Tanger trouvèrent refuge aux États-Unis, au
Canada, en Israël ainsi que dans de nombreux pays d’Amérique latine. Ils
s’installèrent dans des communautés. L’occupation espagnole à Tanger
sauva-t-elle ces réfugiés juifs ainsi que les Juifs indigènes ? Nous ne le
saurons jamais. Ce que nous savons, c’est que Tanger, pendant la guerre,
était un endroit où toutes les parties belligérantes se retrouvaient et
s’affrontaient.
*
ANNEXE
Listes générales des espions suspectés76
Documentation :
a. Note diplomatique no 2145. 15 juin 1944. Légation américaine,
Tanger et annexes
b. Note verbale no 927.B-1, exl-A2. Du ministère des Affaires
étrangères espagnol à l’ambassade américaine, Madrid.
c. Note verbale no 3551. De l’ambassade américaine, Madrid au
ministère des Affaires étrangères espagnol.
d. Document top secret 2-13. Note diplomatique no 182. Consulat
britannique, Tanger. 9 juin 1944.
e. Note diplomatique no 460. Du ministère des Affaires étrangères
espagnol à sir Samuel Hoare, ambassadeur britannique, Madrid, 13 juin
1944.
f. Note diplomatique no 888. Mémo de l’ambassadeur sir Samuel
Hoare au ministère des Affaires étrangères britannique, 12 juillet 1944.
g. Liste supplémentaire jointe à la note verbale du 19 juillet 1944.
h. Note diplomatique no 3583 ambassade américaine, Madrid au
secrétariat d’État, Washington et annexes. 13 décembre 1944.
i. Note diplomatique no 2596 ambassade américaine, Madrid au
secrétariat d’État, Washington, 12 juin 1944 et annexes.
Tanger
1. Alami, Abdelkader ben Mohammed. Officiel marocain au
consulat général de Tanger. Encore en activité le 16 juin 1944. (e)
2. Ballweg, Ernst. Les Américains disent qu’il était actif et refusa de
quitter la juridiction espagnole. Il fut finalement expulsé du Maroc et
arriva en Espagne. S’est confessé quand il était à Cordoue. Une
personne au nom identique devint Kommissarisch au Landkreis
Hochschwarzwald 1947-49. (b, h, i)
3. Berger, Irène. Accusée par les Américains d’espionnage pour les
Allemands en juin 1944, avait déjà quitté Tanger le 21 avril 1944 pour
l’Espagne. (b, g)
4. Boettger, Waldemar, alias Walter Burckhardt. Nom de code :
Cobija. Fut envoyé en avril 1944 pour aider les Allemands en fuite à
entrer en Argentine. Était ingénieur électricien travaillant à la
transmission radio et au micropoint77.
5. Childs, J(ames) Rives. Chargé d’affaires et consul général
américain par intérim à Tanger. Né à Lynchburg, en Virginie. Le lieu de
sa sépulture est inconnu. Reçut son BA du Randolph-Macon College et
son MA de Harvard en 1915. Spécialiste de Casanova. A recruté Henry
Miller. A occupé les fonctions de consul américain à Bucarest, 19241929 ; au Caire, 1931 ; a été nommé à Tanger en 1943. Childs fut
ensuite ambassadeur par intérim au Maroc. En 1946, il deviendra le
premier ambassadeur au Yémen ; de 1946 à 1950, il sera ambassadeur
en Arabie saoudite, puis en 1951-1953, ambassadeur en Éthiopie. Prit sa
retraite en 1953. Durant la Première Guerre mondiale, a reçu une
formation de cryptanalyste et de second lieutenant dans l’AEF (Corps
expéditionnaire américain). Il est l’auteur de solutions générales pour le
cryptage ADFGVX. Fut affecté à Tanger pour espionner les Allemands
grâce à son poste diplomatique et ses connaissances en matière de
cryptage.
6. Daneyko, Heinrich. Fonctionnaire au GCGT, atteint de
tuberculose. Déclara aux autorités espagnoles qu’il ne pouvait pas
voyager en raison de sa maladie. (f)
7. Dankhaus, Artur, alias Arthur Denkhaus. Né à Brême en 1903.
Voyagea souvent entre l’Espagne et Tanger. Bien que les Américains
prétendent qu’il était encore en activité le 12 juin 1944, il semble qu’il
ait quitté l’Espagne par Irun le 16 mars 1944. (e)
8. Gascoigne, A. Consul général britannique à Tanger, il présentait
ses rapports à sir Samuel Hoare, ambassadeur britannique à Madrid.
9. Goeritz, Hermann. Les Américains demandèrent qu’il soit
expulsé le 12 juin 1944. Fut ensuite interné à Caldas de Malavella. Le
13 décembre 1944, les Espagnols confirmèrent qu’il était un agent à la
solde de l’Axe. Les États-Unis réagirent favorablement à son
arrestation. Goeritz, cependant, indiqua qu’il était souffrant et qu’il resta
à Barcelone jusqu’au 15 décembre 1944. À la date du 23 octobre 1941,
Goeritz était le principal agent allemand à Tanger. (b, c, g, i)
10. Goeritz, Mathias. Né Werner Mathias Goeritz Brünner, en 1915
à Dantzig et mort en 1990 au Mexique, où il s’installa après la guerre. A
grandi à Berlin, était architecte et enseigna l’architecture à
l’Universidad de Guadalajara. Il semble avoir enseigné l’allemand à
l’école espagnole de Tétouan. Quitta le Maroc rapidement, fut interné à
Caldas de Malavello et relâché à Barcelone. (a, b, i)
11. Grimm, Josef. Actif à Tanger et expulsé du Maroc à l’été 1944
(à ne pas confondre avec le pasteur antinazi). (b, i)
12. Gudjans, Alfred Lothar. Agent de la Gestapo et attaché de la
police affecté au GCGT. Expulsé de Tanger, il refit surface à Tétouan.
Revint à Tanger pour s’enfuir par avion pour Séville. (a, b, e)
13. Gudjans, Mme Lothar. Femme de l’agent de la Gestapo, partie
le 6 juin 1944 via Algésiras. (a)
14. Haïkovitch, Abba. Sous couvert d’être un réfugié juif au Maroc,
espion bien établi de la Légation américaine à Tanger. Serait parti le
10 décembre 1944. L’Espagne n’a pas pu confirmer son départ. (c)
15. Hasebe, Kiyoshi. Lt. Col. Attaché militaire japonais. Quitta la
ville par avion le 29 mai 1944 suite à la fermeture du bureau qu’il avait
à Tanger depuis 1942, notamment pour espionner le trafic maritime
britannique et américain. (a, i)
16. Heberlein, Erich Dr. Premier secrétaire de l’ambassade
d’Allemagne à Madrid. Était marié à une Espagnole78.
17. Heberlein, Oscar. Quitta Irun le 3 novembre 1944. Se trouvait à
Tanger le 12 juin 1944. Aurait voyagé avec des papiers suisses. (b, i)
18. Hiller, Emil. S’est vu octroyer un sauf-conduit pour
l’Allemagne en février 1943. Était de nouveau à Tanger en juin 1944.
D’après l’Espagne, il fut expulsé du Maroc mais les États-Unis
indiquent qu’il n’existe aucune preuve de son départ. (b, i)
19. Hoffmann, Christoph. Fonctionnaire au GCGT, partit pour
Séville le 10 juin 1944. Était vice-chancelier du GCGT. Se rendait
fréquemment à Algésiras, certainement pour recueillir des informations
sur Gibraltar. (a, e)
20. Jahsky, Eric, alias Eric Jansky. D’après les Américains, c’était
un espion du nom de Jahnsky mais les Espagnols disent ne rien avoir
sur lui à ce nom. (b, i)
21. Jimenez, Manuela. Fonctionnaire au GCGT. En tant
qu’Espagnole, elle avait accès à de nombreuses sources d’information.
Était active le 13 juin 1944. (e)
22. Keller, Anton Waldemar. Figure sur la liste des espions en
activité le 29 mai 1944. Les Américains le nient le 12 juin 1944. Fut
finalement expulsé par le gouvernement espagnol. (b, i)
23. Kern, Konrad. Expulsé avec Anton Keller. (b, i)
24. Konzelmann, Lambert. Parti pour Irun en mars 1944 bien que
les Américains le considérassent encore comme un espion en juin de
cette même année. (b, i)
25. Krueger, Hans Paul. Expulsé avec Keller et Kern. (b, i)
26. Lamprecht, Emil Willi Otto. À l’origine, membre de
l’association de football TSV Kuppinjen, il partit en mars 1944, bien
que les Américains le recherchassent encore en juin. (i)
27. Lechner, Walter, alias Walter Lechter. Le 12 juin 1944, les
Américains écrivirent aux Espagnols qu’ils accusaient Lechner
d’espionnage mais ceux-ci lui avaient déjà demandé de partir, ce qu’il
fit de son plein gré le 15 juin 1944. Il fut finalement interné à Caldas de
Malavello sous le nom de Leutner le 8 novembre 1944. (b, e, i)
28. Lochmann, Ernst. Quitta Irun le 24 mars 1944. Les Américains
disaient qu’il était toujours à Tanger mais ils orthographièrent son nom
avec un seul « n ». Fut expulsé du Maroc. En 1949, il ouvrit en
Allemagne une usine de produits agricoles. (b, i)
29. Loshichler, Ludwig. Les Américains orthographiaient son nom
ainsi : Losbischler. À plusieurs reprises, il fut prévu qu’il quitte Tanger
mais il y demeura actif jusqu’à son expulsion. (a, b, e)
30. Maraun, Hans. Assistant civil de l’Attaché militaire du GCGT.
Quitta Tanger le 6 juin 1944 via Algésiras. (a)
31. Meixner, Georg Friederich, alias Johannes Meixner. Faisait
partie des cent douaniers allemands internés à Miranda de Ebro. Se
trouvait à Tanger en juin 1944, bien que, d’après les Espagnols, il fût
parti en avril 1944. (b, i)
32. Meyer, Willi. Figure en juin 1944 sur la liste des espions en
activité. (b, i)
33. Orgaz, Luis, général. Gouverneur général de l’Afrique du Nord
espagnole y compris Tanger. D’après les Américains, il transmettait des
renseignements aux Allemands. Il protégea un certain nombre d’agents
allemands, créa six postes d’observation le long de la côte entre Melilla
et Tanger pour aider les Allemands à observer le trafic maritime allié en
Méditerranée.
34. Perretti. Agent de la République sociale italienne à Tanger. Dut
quitter Tanger après le 31 octobre 1944. (c)
35. Peschne, Johannes, alias Johannes Peschke ; l’Espagne indiqua
qu’il partit le 22 mai 1944. Il était encore à Tanger le 15 juin 1944. (b, i)
36. Petersen, Alexander. Toujours en activité le 20 mai 1944, les
Américains demandèrent son expulsion le 12 juin 1944. L’Espagne
accepta. (b, i)
37. Pietsch, Willi. Ancien boxeur allemand, contrôlait deux autres
agents, Hans (Georg) Meinkel et Carlos (Karl) Kirsch. Actif également
à Port-Bou. Arriva pour être interné à Caldas de Malavella le
28 novembre 1944. (b, c, i)
38. Ramos Podacira, Pedro. Soupçonné d’actes de sabotage contre
Gibraltar. (h)
39. Reith, Kurt Dr. Consul général allemand à Tanger. Organisa
l’assassinat du chancelier autrichien Dollfuss. (d)
40. Remer, Hans. Col. Fonctionnaire du GCGT, s’envola pour
Madrid puis pour San Sebastian. Tomba aux mains des Russes le
11 mai 1946. (e)
41. Schmidt, Karl Hans. Personnel du GCGT, quitta Tanger le
29 juillet 1944. (g). Dans un autre mémo du 29 juillet 1944, le
Royaume-Uni indique accepter qu’il reste plus longtemps.
42. Schnitzer, Rudolf, alias Schitzer. Agent de la SD parti par
Algésiras et interné à Caldas de Malavella le 28 novembre 1944. (a, b)
43. Schubert, Lily. Mlle. Activiste pour la cause allemande.
Répertoriée par les Américains.
44. Schutz, Hans Peter. Expulsé de Tanger suite à une demande
américaine. Son nom est parfois orthographié Schultz. (b, i)
45. Seidel, Hans, alias Hans Seydel. Diplomate de carrière. Fut
vice-consul à Tétouan et fonctionnaire au GCGT, quitta Algésiras pour
Madrid puis pour San Sebastian. Apparaît comme un officiel élu du
Wolf District Provisional Council à Baden. (a, b)
46. Suder, Franz Joseph. Fonctionnaire du GCGT, reçut l’ordre de
partir le 14 juin 1944. S’est vu octroyer un délai supplémentaire pour
emballer les effets du consul général et fermer la mission allemande. (d,
e)
47. Tietz, Karl. Fonctionnaire au GCGT. Ne figure pas sur les listes
britanniques des espions allemands. Les Espagnols ont dit avoir vérifié
son statut officiel auprès du GCGT. (e)
48. Weise, Suzanna. Fonctionnaire du GCGT, partie pour Madrid et
de là, pour San Sebastian. (b, e)
49. Weirmann, Otto, alias Otto Weidmann. S’orthographie
également Weidemann. Selon les Espagnols, il partit pour Prat le 4 mai
1944 mais selon les Américains, il était encore à Tanger en juin 1944.
(i)
50. Zimmermann, Luisa. Fille d’Otto Zimmerman. Accepta de
partir après en avoir reçu l’ordre le 7 juin 1944. Était encore en ville le
15 juin 1944. Fut internée en Espagne puis relâchée. Sa présence a été
confirmée à Madrid. (a, e, i)
51. Zoccola. Agent de la République sociale italienne. Actif à
Tanger, dut partir après le 31 octobre 1944. Cela peut être un nom de
code car cela signifie « rat d’égout » en italien. (c)
Alcazarquivir
52. Gradolph, Emilio, alias Euriho. Il reçut l’ordre de quitter le
Maroc mais fut protégé par le gouverneur général Orgaz malgré l’ordre
des Espagnols. Orgaz lui accorda un délai de trois semaines
supplémentaires. Il semble que Gradolph soit resté en Espagne. (a, b, e,
i)
53. Richter, Heinrich. Serait né à Inowroclaw, en Pologne, en 1920.
Était un protégé du général Orgaz. Il reçut l’ordre de partir mais on lui
accorda des sursis. (a, b, e, i)
54. Zimmermann, Otto. Le général Orgaz l’inscrivit sur la liste des
gens à expulser puis sur la liste des gens à ne pas expulser. Il était le
père de Luisa Zimmermann. Les États-Unis l’ont répertorié en tant
qu’agent. (a, b, e, i)
Ceuta
55. Clemens, Virgilio Arens. De nationalité espagnole, second
lieutenant des Légionnaires, travaillait pour le compte des nazis. (a, i)
56. Flass, Fritz, alias Heinrich Flass. Les Alliés l’ont répertorié
comme saboteur. Il partit pour Tanger et d’après les registres, il serait
parti le 19 mai 1944 bien qu’il figure comme y étant toujours le 13 juin
1944. Les Espagnols ont confirmé qu’il quitta Tanger durant la
première quinzaine de juillet 1944. (b, e, g, i)
57. Krueger, Erich. Protégé du général Orgaz, qui déclare qu’il
figure sur les listes américaines sous le nom de Kreuger. Reçut l’ordre
de partir le 7 juin 1944 puis à nouveau le 30 juin 1944. (a, b, e)
58. Maier, Walter, alias Wilhelm Maier, alias Walter Mayer.
L’Espagne déclare n’avoir aucune connaissance de ses activités
d’espionnage. Il tenta d’obtenir la nationalité espagnole mais les ÉtatsUnis demandèrent à l’Espagne de la lui refuser. Il fut finalement
expulsé du Maroc. Sa présence en Espagne fut confirmée. (a, b, h, i)
59. Mense, Clemens. Opérateur radio à Ceuta. Il s’installa à Tanger
quand on lui demanda de quitter la ville, puis à Tétouan, où il indiqua
aux autorités qu’il partirait par avion. (a, b, e, i)
Melilla
60. Battle, E. (i)
61. Balester Berenguer, José. Citoyen espagnol qui travailla pour les
Allemands. (i)
62. Comelli, Giuseppe. Espion italien qui voyagea fréquemment
entre Melilla, Tétouan, Tanger et Malaga. (i)
63. Erhardt, Ernst. On ne sait pas grand-chose de lui bien que les
Américains l’aient fait figurer sur une liste d’agents allemands connus.
Selon les Espagnols, il quitta le Maroc. Les Américains, eux, soutinrent
en décembre 1944 qu’il n’y avait aucune preuve de la cessation de ses
activités et de son départ du Maroc. (b, i)
64. Meyer, Johan Adolf Kurt. Le général Orgaz ne le considérait
pas comme un espion mais il en était bien un pour les Alliés. Il tenta
d’obtenir la nationalité espagnole mais les Américains s’y opposèrent. Il
fut interné à Caldas de Malavella. (a, b, i)
65. Geisenhoofer, Thomas, alias Tomas Geisenhower. Employé
consulaire allemand qui n’était pas considéré par les Espagnols comme
un espion bien que les Américains le considérassent comme tel en
raison de ses fréquents déplacements à Tétouan et Tanger. (i)
66. Jaen Molina, Aurelio. Citoyen espagnol à la solde des
Allemands. (a, b, i)
67. Kraemer, Walter Eugene. Agent consulaire allemand à Melilla.
Il se peut que les Américains aient identifié un homme du même nom
comme étant un espion. Kraemer fut interné à Caldas de Malavella. (a,
b, i)
68. Schneider, Albert. Se déplaça dans toute la zone espagnole. Les
Espagnols lui ordonnèrent de partir avant que les Américains n’envoient
leur liste officielle en juin 1944. Schneider accepta de partir
immédiatement en échange d’un navicert. Les Espagnols voulaient lui
confisquer son passeport mais il refusa. Il fixa son départ à
octobre 1944. (b, e, g, i)
69. Ulrich, Otto. Fonctionnaire consulaire officiel allemand à Ceuta.
A peut-être été le capitaine du U760. Fut capturé non loin de l’Espagne
et interné à Caldas de Malavella. Mourut en juin 1945 à Sontheim. (a, b,
i)
Larache
70. Hoeller, Wolfgang. Vice-consul honoraire allemand à Larache.
Quitta le Maroc en novembre 1944. Sa présence fut avérée à Jerez. Fut
interné ensuite en Espagne. (a, b, i)
71. Prell, Otto. Vieil homme qui, semble-t-il, recueillait des
informations pour les Allemands. (a, i)
72. Phleban, Alfred. Les Espagnols ne le considéraient pas comme
actif sur le plan politique mais les Américains demandèrent son
expulsion en juin 1944. (b)
Tétouan
73. Bernhardt, Johannes. Collègue de Langenheim qui rencontra
également Hitler à Bayreuth, lui transmettant un message de France. Au
début, Bernhardt était employé de bureau chez H&O Wilmer. Il épousa
une des filles Wilmer. H&O Wilmer était une entreprise allemande
d’exportation ayant des bureaux en Espagne et à Tétouan et qui menait
des affaires à Tanger. Le gouvernement espagnol considérait donc
Bernhardt comme un homme d’affaires. Il travaillait avec plusieurs
sociétés allemandes et était important pour l’effort de guerre allemand
mais aussi en raison des contacts qu’il avait avec tous les intérêts
commerciaux au Maroc. Il mit sur pied le parti nazi parmi les expatriés
allemands au Maroc. Le 21 juillet 1936, il rencontra à Berlin l’équipe
du GCGT. Bernhardt fut nommé directeur de la Sofindus. (i)
74. Boettger, Herbert. Né en 1898 à Krefeld, mort en 1954 à
Buderich. Artiste, répertorié par les Américains comme espion et
expulsé à leur demande. (a, b, i)
75. Drecht, Werner. (a, b, i)
76. Langenheim, Adolf. Responsable de la section de Tétouan de
l’AO et à ce titre, considéré comme un ouvrier politique. A rencontré
Hitler à Bayreuth et a transmis un message entre Franco et Hitler. Il fut
le président du parti nazi au Maroc et son homme politique le plus âgé.
Les Espagnols pensaient qu’il était un agent allemand mais il n’en était
plus un. Les Américains insistèrent pour qu’il soit expulsé. (a, b)
77. Paschkes, Ewald Christian. Né le 13 février 1912 à Port-Saïd,
Égypte. Mort le 28 juillet 1968 à Caracas, Venezuela, où il s’était marié
en 1946. Il figurait sur les listes britanniques comme un saboteur. Parti
de son plein gré après avoir été prévenu par les Espagnols que les
Américains s’intéressaient à lui. (a, b, e, i)
78. Recke, Johann, alias Juan Recke. Contre-amiral honoraire. Était
en Espagne mais apparaît sur les listes britanniques et sur les listes
espagnoles des expulsés le 29 avril 1944. Fut de retour à Tétouan après
le 2 avril 1944. (i)
79. Schaeffer, G. Employé consulaire allemand à Tétouan. Était
considéré par les Américains comme un espion mais pas par les
Espagnols. Selon les États-Unis, il n’y a aucune preuve de son départ du
Maroc. (a, b, i)
80. Schulze, Wilhelm. Actif à Tanger et Tétouan, finalement
expulsé du Maroc à la demande des Américains. (b, i)
81. Wagger, Capitaine. (i)
82. Zobel, Gerhard. Expulsé de Tétouan en juin 1944. (a, b, i)
83. Ante, Victor. Partit pour Irun le 12 mars 1944. Était encore à
Madrid le 12 juin 1944. (i)
84. Arevelo. Membre pro-Alliés du secrétariat diplomatique du
Haut-Commissaire. (d)
85. Bermudez de Castro. Membre pro-Alliés du secrétariat
diplomatique du Haut-Commissaire. (d)
86. Blass, Ludwig. Quitta Irun le 22 janvier 1944, mais était encore
en Espagne en juin 1944. (i)
87. Bohny, Hermann. En décembre 1944, les États-Unis déclarent
qu’il est impossible de comprendre la réticence de l’Espagne à
l’expulser, d’autant qu’ils le considéraient comme un agent très
important en Amérique du Sud qui voyageait en Espagne et dans
l’Afrique du Nord espagnole. Le Royaume-Uni s’opposa à sa présence.
Les Britanniques voulaient l’arrêter et l’interner à Caldas de Malavella
puis le déporter en Allemagne. Le 11 août 1944, les Espagnols déclarent
qu’ils ne peuvent retrouver sa trace. Il serait parti pour l’Amérique du
Sud où il avait des relations. (3)
88. Buge, Hans, alias Bugge. Probablement Norvégien à la solde
des Allemands. Voyageait énormément, se trouvait à Madrid en
juin 1944. (g, i)
89. Butterwork, W. Walton. Employé consulaire de l’ambassade
américaine à Madrid, en contact avec les Américains à Tanger. (i)
90. Carendini, Emilio. Dirigeant des fascistes italiens locaux.
Envoya une circulaire pour le soutien de la colonie italienne devant
apparaître pour un rite religieux le 28 octobre 1944 à Barcelone. Sur
2 500 personnes, seules 34 répondirent à l’appel. Le gouverneur civil
était représenté. Les États-Unis voulaient que l’autorisation de rouvrir
les écoles italiennes soit annulée. Carendini menaça Cesare Pavesio, un
des directeurs de la Fibra Comercial de España qui travaillait pour Snia
Viscosa, et dont la fille était encore en Italie du Nord. (h)
91. Christmann, Wilhelm. (1907-1981). Épousa Erna Hoffmann en
1934 puis Elsa Rummler en 1949. Était le protégé du général Orgaz, qui
déclara tout d’abord qu’il n’avait pas connaissance de l’ordre
d’expulsion, puis qu’il ne connaissait pas Christmann. Les Espagnols
dirent ne pas connaître son adresse et qu’il n’était pas un espion. (a, e)
92. Deppe, Frederic Rudolf. Les Espagnols indiquèrent qu’il partit
en 1942. Les Américains désiraient son expulsion, son départ en 1942
fut avéré en 1944. (a, b)
93. Doorman, Heinz. Partit par Irun le 2 novembre 1943. (i)
94. Duval, Jean. Entra en Espagne le 23 mars 1944. Vola une
automobile à San Sebastian et attendait de passer en jugement quand les
Espagnols le libérèrent pour l’expulser. (h)
95. Fischer, Karl, alias Kurt Fischer. Agent de la Gestapo. Faisait
partie des cent fonctionnaires internés à Miranda de Ebro.
96. Fizia, Kurt Karl Maria. Agit en tant qu’espion à partir de
mai 1944, les Américains voulaient l’expulser en juin 1944. Aurait été
architecte et aurait enseigné à l’Universidad de Navarra. (b, i)
97. Fock-Bielemberg, Gustav. Général. Son nom figure en tant que
Vielemberg. Apparaît dans les listes espagnoles comme Gustav Fock.
(i)
98. Fromm, Hans Peter. Résidait à Valence, fut arrêté et interné à
Caldas de Malavella. (b, i)
99. Fuchs, Alfred. Entra en Espagne le 13 août 1944 avec un visa
commercial. L’Espagne ne renouvela pas son permis de résidence. (h)
100. Fuegemann, Joachim. Probablement de Glauchau. Expulsé du
Maroc après juin 1944. (b, i)
101. Galera, général. Espagnol germanophile. Fonctionnaire au
bureau des Affaires de la nature. (a)
102. Groblen, Hermann. Se trouve à Madrid en juin 1944. (i)
103. Gross, Richard. Se trouve à Spaen en juin 1944. (i)
104. Haak, Artur. Partit pour Séville en septembre 1943. Aurait
ouvert un restaurant de poissons à Meiningen après la guerre. (i)
105. Hefter, Charlotte. En Afrique du Nord en juin 1944, expulsée
du Maroc. (b, g, i)
106. Hirsch, Robert. Répertorié en tant qu’espion allemand encore
en activité en mai 1944. Apparaît en Espagne en juin 1944. (i)
107. Hoare, sir Samuel. Ambassadeur britannique en Espagne.
108. Hummel, Friedrich. Était à Madrid en juin 1944. Partit pour
Prat en août 1944. (i)
109. Inglese, Estefano. Agent allemand, partit pour Irun en
mars 1944. (i)
110. Kirch, Karl, alias Carlos Kirch. Espion en activité sous les
ordres de Willi Pietsch à Port-Bou et ailleurs. (c)
111. Koronaz, Philippe Alfredo, alias Philippe Paul Koronaz. Les
Américains disent qu’ils ne savent pas pourquoi il figure sur la liste ni
où il se trouve actuellement. Peut-être un agent double. (2)
112. Kroell, Heinz. Né à Cologne en 1919. A obtenu un doctorat en
portugais de l’université de Heidelberg. Enseigna ensuite à la Johannes
Gutenberg Universitat. Ses connaissances en portugais étaient très
appréciables dans la péninsule Ibérique. (i)
113. Krueger, Otto. Figure sur les listes britanniques en tant
qu’espion. Les listes espagnoles indiquent qu’il fut expulsé le 20 avril
1944. Apparaît sur les listes américaines en juin 1944. (i)
114. Laen, Johannes Michael von. Né en 1902 à Dessau. Noble, de
la famille du tsar, épousa la princesse Maria August von Anhalt. Les
Américains orthographient son nom Loen. Il était encore en activité en
mai 1944. Il partit la première quinzaine de juillet 1944. (g, i)
115. Lenz, Gustav. Nom d’emprunt du capitaine Wilhelm Leissner,
chef de l’Abwehr à Madrid et responsable des agents militaires
allemands dans l’ensemble de la zone espagnole. Officiellement, était
un homme d’affaires. Était encore à Madrid en juin 1944. Participa à la
planification de la conquête de Gibraltar. Leissner était le représentant
de Canaris en Espagne. A vécu en Amérique du Sud et resta en Espagne
en 194579. (i)
116. Martens, Adolf. Partit la première quinzaine de juillet 1944. (g,
i)
117. Meinkel, Hans (Georg). Espion sous les ordres de Willi
Pietsch, actif à Port-Bou et ailleurs. (c)
118. Memel, Karl. Probablement avocat. Était à Séville bien qu’en
juin 1944, il soit indiqué qu’il partit pour Irun. (i)
119. Mentz, Walter. Partit pour Irun en décembre 1943. (i)
120. Merode, Rudolf von. Entra en Espagne le 13 août 1944 à San
Sebastian. Se vit demander de partir le plus rapidement possible. Il était
considéré comme le bourreau hitlérien des nazis à Barcelone. Il aurait
espionné les Allemands en zone espagnole. (h)
121. Miguel, Col. Germanophile. Fonctionnaire au bureau des
Affaires de la nature. (a)
122. Morreale, Eugenio. Fut autorisé à revenir en Espagne malgré
l’objection de l’ambassade américaine le 21 août 1944. Les États-Unis
voulaient qu’il soit expulsé à nouveau. Il s’est rendu à Barcelone le
11 février 1944, où il fut reçu par le gouverneur civil. Le 4 novembre, il
prit la parole devant un meeting de supporters fascistes au Circulo
recreativo e culturale latino. Il voulait que l’école fasciste italienne
rouvre ses portes le 3 août 1944. Il se fit de nombreux amis dans les
milieux militaires espagnols. Cela permit la protection des intérêts
allemands par les militaires espagnols. (h)
123. Ohlerof. Le 20 mai 1944, figure sur la liste des agents en
activité. (i)
124. Opitz, Erich, alias Eurich Opitz. Scientifique et ami d’Ulrich
Luft. Probablement autrichien. Observait le trafic maritime britannique
à Campo de Gibraltar San Roque. (i)
125. Ortiz, Rafael. Figure sur les listes américaines des agents à la
solde de l’Allemagne.
126. Pappenheim, Graf Georg. Vice-consul allemand à Madrid,
partit pour l’Allemagne par avion. (i)
127. Panesio, Cesare. Directeur de Fibra Commercial de España,
entreprise de Barcelone. Distributeur de « Snia Viacosa », connu pour
être un agent fasciste de l’Allemagne. Il a fait l’objet de chantage car sa
fille était encore dans le nord de l’Italie. Carendini lui demanda
2 000 pesetas, il refusa et fut démis de ses fonctions de directeur de la
société. (h)
128. Ramos Podadera, Pedro. Puni pour des actes de sabotage à
Gibraltar. (h)
129. Redl, Karl von. Partit pour Algésiras après un deuxième séjour
en Espagne. (i)
130. Rothfritz, Ernst. Partit pour Irun en 1943, était de nouveau à
Madrid en juin 1944, mais n’y était plus en juillet. (i)
131. Senner, Paul. Nom d’emprunt de Paul Holzach. Il figure sur la
liste des espions établie par les Américains le 12 juin 1944 mais trois
jours plus tard, on ne sait ce qu’il est devenu. Les États-Unis ont déclaré
n’avoir aucune preuve de son départ du Maroc. L’Espagne ne sait pas
ce qu’il est devenu. (h, i)
132. Sonnenhol, Adolf, alias Gustav Sonnenhol. Était au ministère
des Affaires étrangères, occupait le poste de vice-consul allemand à
Tétouan. Fut ensuite prisonnier de guerre puis journaliste. Enfin, il
travailla pour le plan Marshall en Allemagne. Il fut membre des SS. (i)
133. Thaden, Fritz von, alias Fritz Haden. Partit en juillet 1944. (g,
i)
134. Thiel, Heinz. Né en 1920 à Magdenberg, mort en 2003 à
Potsdam. Était en Espagne en juin 1944. (i)
135. Vey Bauer, Georg. Fut à Vigo puis à Madrid en juin 1944. (i)
136. Wach, Erich. Était peut-être autrichien. Était à Séville en
juin 1944. (i)
137. Zieldorf, Fraulein. Agent allemand dont le départ est confirmé
le 13 juin 1944. (e) Elle n’a jamais été répertoriée par le Royaume-Uni
comme espionne.
138. Adrian, Herman. Expulsé du Maroc pour espionnage à la solde
des Allemands. (b, i)
139. Alisch, Ernst. Chef de l’espionnage allemand à Paris. Entra en
Espagne sans encombre par un vol de la Lufthansa. Le Royaume-Uni
voulait qu’il soit arrêté, interné et déporté. Le 11 août 1944, sa présence
en Espagne ne put être confirmée. Les États-Unis attendirent la réponse
des Espagnols concernant son expulsion. (c)
140. Altenkamper, Gabriel. Travailla comme espion jusqu’en
mai 1944. Il partit en juillet 1944. (b, g, i)
141. Bresht, Werner. Employé consulaire que les Espagnols ne
considéraient pas comme un espion. Il fut cependant expulsé suite à la
pression des Alliés. (a, b)
142. Leder, Adolf. Les Alliés le signalent en juin 1944 mais les
Espagnols disent ne rien savoir de lui. Selon les États-Unis, il n’y a
aucune preuve qu’il ait quitté le Maroc. Il est possible qu’il soit mort en
janvier 1944 à 33 ans. (b)
143. Maly, Ladislav. Peut-être un Tchèque. (i)
144. Samcowich, Philip.
145. Abrines, Gregory. Employé à la légation américaine à Tanger.
A été accusé d’avoir soudoyé des douaniers espagnols80.
146. Arnold, Karl. Dirigea une succursale du Gruppe VID en
Espagne. Il fit circuler des fausses livres réalisées par Wendig pour
Kaltenbrunner. A vécu en Amérique du Sud puis est retourné en
Allemagne. A été formé par le Dr Paeffgen. Supervisa les boîtes
postales pour les messagers de l’Amt VI. Il a obtenu de bons rapports de
l’Argentine et du Brésil. Il dirigeait Becker et Stolle. Arnold était un
Volksdeutsche d’Argentine qui avait fait son service militaire81. Il avait
un espion à l’ambassade américaine à Madrid, une secrétaire âgée.
Arnold avait 38 ans et officiellement, était un exportateur82.
147. Bentley, William C. Colonel. Attaché militaire, légation
américaine à Tanger. Nommé le 5 mars 1941. Officier de l’armée de
l’air, avait été auparavant en poste à Rome83.
148. Bernadoni, Bernard. Capitaine. Légation américaine à
Tanger84.
149. Big Moh. Geôlier possédant les clés des cellules. Dévoila
l’arrestation d’un informateur, le capitaine Carranza.
150. Booth, Wally. Succéda à Eddy à la tête de la légation
américaine à Tanger. Découvrit que la femme de ménage espagnole
travaillant à la légation espionnait pour le compte des Allemands.
151. Browne, Gordon. Travaillait avec Coon au contre-espionnage à
Tanger. Fut ultérieurement envoyé à Gibraltar par le colonel Eddy
quand Tanger ne fut plus qu’un poste d’écoute85.
152. Carlos. Un rouge espagnol qui dit avoir travaillé avec le
colonel Eddy pour les Américains. A dit que son groupe avait été arrêté,
probablement fusillé. Il lui fallait une cachette. Williamson l’a caché au
domicile de Mme Betty Thomas à Tanger. Au bout de quinze jours,
Thomas demanda qu’il parte. Trois policiers espagnols sont entrés dans
sa cour. Carlos avait été prévenu et s’est enfui par-derrière. Les
Espagnols se sont mis à sa poursuite. Un Arabe donna de fausses
indications à la police et Carlos se cacha dans un garage britannique.
Coon l’emmena dans la villa du colonel Eddy, puis au domicile de Coe
Greene et enfin chez Howre Grady, propriétaire du restaurant et du bar
Le Sphinx. Carlos était un gaulliste. Il semble qu’il fut aidé également
par Ishaq Cohen86.
153. Carranza. Capitaine et informateur espagnol pour les
Américains à Tanger.
154. Carvajal. Colonel, administrateur espagnol à Tanger, était
considéré comme antiaméricain87.
155. Centeno, Manuel. Officier espagnol à la solde des Allemands,
nom de code Antonio. Recevait 3 000 pesetas par mois plus
5 000 pesetas pour frais. Il apporta la radio donnée par Hans Seydel.
L’opérateur radio était le fils d’un inspecteur de police espagnol88.
156. Cohen, Ishaq. Chauffeur du colonel Eddy. Ravitaillait Stork à
la villa de M. Sinclair. Y dormait un jour sur trois, se partageant les
factions avec Coon et Browne. Amenait des repas à Stork89.
157. Clarke, Brian. Colonel, Royaume-Uni90.
158. Coon, Carleton S. Messager américain à Gibraltar et Tanger. Il
occupait un poste à la légation américaine à Tanger, poste qu’il utilisait
pour faire de la contrebande d’armes. Son supérieur était le colonel
Johnson.
159. Cryan, Joseph. Sergent. Nom de code Stork. Responsable de la
radio clandestine, nom de code Midway, à Tanger sur le toit de la
légation américaine. Était aidé d’Ishaq Cohen91.
160. Eddy, William. Colonel. (1896-1962) Attaché naval à la
légation américaine à Tanger. Le 26 janvier 1942, dirigeait le
renseignement américain pour les Marines. Fut ensuite transféré aux
quartiers généraux de l’OSS à Alger. Né au Proche-Orient, il parlait
couramment l’arabe et le français. Il boitait, suite à une blessure de la
Première Guerre mondiale. Cadre dans la publicité avant la guerre, il fut
ensuite le président du Hobart College et du William Smith College92.
Eddy était surveillé par les Espagnols qui craignaient que son départ
n’indique le débarquement allié. C’est la raison pour laquelle Eddy
conserva une chambre à la Minza, même après son départ93.
161. Edwards, John W. Major. Légation américaine à Tanger94.
162. F-3197. Agent allemand en Espagne donnant des
renseignements sur l’industrie portugaise. Il était pour les Anglais. Il
pensait que le Royaume-Uni et les États-Unis allaient occuper le
Portugal95.
163. Gusus, Randolph Mohammed. Né à Manchester, de père
marocain et de mère anglaise. Avait été élevé à Fez. Il alla aux ÉtatsUnis pour vendre du cuir marocain à Boston. C’est là qu’il rencontra
Coon et Browne. Il travaillait pour le SIS britannique et fut « prêté »
aux États-Unis. Il habitait dans une villa de fonction américaine à
Tanger, avec un garde. Officiellement, il était traducteur pour la
légation américaine. De fait, il était le contact de Tassels, qu’il
rencontrait tous les mois au café Tingis96.
164. Hayes, Carlton Joseph Huntly (1882-1964). Professeur
d’histoire, université de Columbia. Ambassadeur en Espagne 19421945.
165. de Hervas, Pepe. Ingénieur espagnol et gendre de Dempster.
Employé britannique de la légation américaine à Tanger97.
166. Hillgarth, Alan. Capitaine. Attaché naval britannique à Madrid.
167. Holcombe, Frank. Lieutenant. Assistant de l’attaché naval, il
fit passer un pilote côtier marocain de la zone française à la zone
espagnole, puis de là à Tanger et de Tanger à Gibraltar pour préparer les
troupes américaines du débarquement en Afrique du Nord. Il s’est battu
avec le consul italien, le duc de Bodaglio98.
168. Holzach, Paul. Officier du renseignement militaire suisse,
recruté par l’officier SS Hans Eggen99 avec qui il s’associa en affaires
pour créer Interkommerz AG100.
169. Idris. Assistant arabe de « Strings ».
170. Johnson. Colonel. Remplaça en juin 1942 Bentley en tant
qu’attaché militaire à la légation américaine de Tanger101.
171. Malmusi, juge. Dirigeant local des fascistes italiens à TangerTétouan.
172. Martin, William. « Major ». Officier imaginaire inventé par les
Britanniques pour tromper les Allemands. Cadavre placé par les
Britanniques sur la côte espagnole avec une valise pleine de faux
documents. Le cadavre fit surface près de Huelva. L’Espagne remit les
documents à l’Allemagne. Les faux dossiers top secret indiquèrent aux
renseignements espagnols et allemands que les Alliés avaient l’intention
d’envahir la Grèce102. Les Allemands crurent à l’authenticité de ces
documents103.
173. Martinez Campos, Carlos. Général. Chef de l’intelligence
espagnole.
174. Mayer, Frau. Agent allemand à Tanger ayant une vue très nette
du détroit de Gibraltar. Avait un émetteur radio caché sous des pots de
fleurs dans une valise noire. La radio avait été placée par Hans Seydel,
consul allemand à Tétouan.
175. M. Fish. Commerçant musulman âgé. Fut payé 50 USD par le
colonel Johnson pour se rendre à Ceuta. Il fut ensuite payé 1 000 F par
mois.
176. Mulay Ali. Ouvrier du cuir de la tribu des Taghzuth. Brûlait
constamment sa couverture mais prouva qu’il n’y avait pas d’aéroport à
Tamanrat. Fut relâché. Sa couverture était de fabriquer des portefeuilles
en cuir pour les Britanniques. Il voyageait pour acheter les peaux104.
177. Nahon, Dr Ralph A. Archéologue. Médecin américain dont les
parents étaient nés à Tanger. Étudia à l’université de Columbia, était
ami de Carleton Coon et de Hooker Doolittle. Il étudiait les
mouvements des sous-marins allemands sous le couvert de fouilles
archéologiques.
178. Nasiri, Mekki. Nationaliste marocain à la solde des Allemands
à Tétouan.
179. Néandertal. Pêcheur qui vivait dans les grottes d’Hercule et
vendait des poulets à Tanger. Indiquait aux Espagnols les mouvements
de troupes entre Sidi Kasseus et Cap Spartil. Il indiqua que les
Espagnols avaient deux mitrailleuses AA montées sur des camions. Il
amenait du poisson à Tanger qu’il livrait, ainsi que les renseignements,
à la légation américaine. Les Américains lui payèrent ses impôts
fonciers et lui donnèrent une nouvelle djellaba. Il indiqua ensuite les
mouvements des sous-marins allemands en Méditerranée105.
180. Reed. Nom de code d’un Arabe sélectionné par le mufti de
Jérusalem pour travailler pour l’Amt VI en septembre 1943 sous
couverture diplomatique. Reed rencontra Torres pour se renseigner sur
les prétendus missiles américains en Afrique du Nord. Torres lui
indiqua que ce n’était pas vrai. Reed utilisait un passeport de service
allemand. Schellenberg a oublié son véritable nom106.
181. Renner, Hans. Colonel. Attaché militaire allemand à Tanger.
Son supérieur était le lieutenant général Günther Krappe, l’attaché
militaire allemand à Madrid. Il fut capturé en Allemagne après la
guerre107.
182. Richter, Abdullah. Allemand converti à l’islam, vivait à
Alcazaquivir et possédait un moulin. Il avait une école pour les espions
allemands. Il a miné le pont el-Kasr.
183. Rohrscheidt, Kurt von. Espion allemand basé à Madrid, en
Espagne. (i)
184. Shaoush, Mohamed. Payé par les États-Unis et le RoyaumeUni pour distribuer de la propagande pro-Alliés. Payé par les Allemands
pour recueillir la propagande et la détruire108.
185. Shillock, John C. Membre du personnel, Légation américaine à
Tanger109.
186. Smith, Walter. Attaché au pétrole, ambassade américaine,
Madrid.
187. Strings. Nom de code pour un puissant dirigeant religieux
marocain110.
188. Sourenhol. Responsable de la propagande allemande à Tanger.
Alias Sonnenhal (?)111.
189. Tassels. Nom de code d’un espion marocain à la solde des
États-Unis. Était chargé des armes pour Abdel Krim112.
190. Torres, Abdel Khalek. Dirigeant nationaliste arabe contacté par
« Reed », l’espion germano-arabe, à la demande du mufti de Jérusalem
pour espionner les armées alliées en Afrique du Nord. Était à la solde de
l’Allemagne113.
191. Williamson, David. Dirigea le SI, fut contacté par Carlos.
192. Winterbottom, Mme. Originaire de Boston, vivait à Tanger.
Recueillait des denrées pour les 53 parachutistes internés à Taounia, à
l’extérieur de Melilla, après être arrivés à Imerzoren114.
193. Winzer, Paul. Attaché de police à l’ambassade allemande à
Madrid. Il était responsable de 25-30 hommes.
194. Luyzet. Capitaine. Représentant français à Tanger en
juin 1939. Il avait besoin de fonds pour payer les informateurs,
notamment les Marocains qui fréquentaient le GCGT115.
195. Bombshell. Opérateur de radio britannique, émetteur, qui avait
toute la confiance d’Eddy et de Coon, nom de code Yankee.
196. Le Moine, Mme. Apporta sa contribution aux efforts de la
France libre116.
11
Un havre maghrébin : réfugiés juifs
à Tanger durant la Seconde Guerre
mondiale
par Isabelle ROHR
L’histoire des réfugiés juifs à Tanger pendant la Seconde Guerre
mondiale a été mentionnée rapidement dans quelques articles et ouvrages
mais n’a jamais été sérieusement étudiée ou décrite. Cette négligence est
due en grande partie au fait que les documents sur ce sujet sont rares et se
trouvent disséminés dans des archives aux États-Unis, en Espagne et en
Israël1. Cet article se propose de combler cette lacune. Il porte sur trois
aspects de l’histoire des réfugiés juifs à Tanger durant cette période. La
première partie examine l’attitude des autorités tangéroises envers les
réfugiés. La deuxième partie traite des relations entre les réfugiés et la
communauté juive. Enfin, la dernière partie porte sur le travail des
organisations de secours juives à Tanger et sur les défis qu’elles durent
relever.
À la recherche d’un havre
Il faut appréhender la situation des réfugiés juifs à Tanger dans le cadre
de la question plus générale des réfugiés juifs pendant l’entre-deux-guerres
et pendant la Seconde Guerre mondiale, situation créée par les politiques
antisémites de l’Allemagne nazie. La campagne antisémite débuta dès
avril 1933 avec un boycott antisémite généralisé. Le 7 avril, les nazis
promulguent la loi pour la Reconstruction du service civil professionnel,
excluant les « non-Aryens » des organismes gouvernementaux. Des
ordonnances similaires furent appliquées pour les exclure des institutions
pédagogiques, culturelles et artistiques2. Ces mesures marquèrent le début
des mesures nazies prises pour écarter les Juifs de l’économie allemande.
Elles eurent pour effet immédiat le départ à l’étranger de milliers de Juifs à
la recherche d’un havre. Environ 50 000 Juifs allemands émigrèrent entre
1933 et 19343. La persécution des Juifs allait croissant et fut marquée en
1938 par le pogrome de la Kristallnacht, les 9 et 10 novembre. Il toucha
également l’Autriche, nouvellement incorporée, et eut pour effet une
émigration juive accrue de ces deux pays. On pense que de 120 000 à
140 000 Juifs quittèrent le Reich en 19384. En outre, les politiques
antisémites de l’Allemagne nazie commençaient à être appliquées dans
toute l’Europe. En Italie, le régime de Mussolini adopta le 2 septembre
1938 une loi révoquant la nationalité italienne accordée aux Juifs après
1919. Le Duce ordonna également à tous les Juifs étrangers de quitter le
pays dans les six mois5. En Europe de l’Est, les gouvernements polonais,
hongrois et roumain renforcèrent également leur discrimination envers leurs
citoyens juifs, les poussant eux aussi à immigrer. Face à cette masse de
réfugiés juifs, la plupart des pays européens intensifièrent leurs restrictions
en matière d’admission et de liberté de mouvement des étrangers, laissant
les organisations juives et les agences internationales telles que la Haute
Commission aux réfugiés de la Ligue des Nations totalement impuissantes6.
Sur les milliers de Juifs expulsés d’Europe et que la plupart des pays ne
voulaient pas, 1 500 se rendirent à Tanger. La population réfugiée comptait
à parts égales, ashkénazes et séfarades. Les ashkénazes, principalement
originaires de Hongrie et de Pologne, vinrent via la France, le Portugal,
l’Italie et l’Espagne tandis que la majorité des séfarades arrivèrent d’Italie,
de l’île du Dodécanèse, Rhodes, sous domination italienne depuis 1912.
Suite au décret antisémite du régime de Mussolini en septembre 1938, des
milliers de réfugiés juifs de Rhodes, Trieste et Milan vinrent à Tanger en
plusieurs vagues au cours de l’année 1939. La plupart d’entre eux étaient
d’origine turque. Ils étaient maintenant apatrides, après avoir perdu leur
nationalité italienne7. Un certain nombre de Hongrois et de Polonais, ayant
entendu que Tanger accueillait les réfugiés juifs, quittèrent également
l’Italie par la mer après la mise en application du décret8. La lettre du
réfugié juif, Jakub Reiner, à Ignacy Schwarzbart, représentant des Juifs
polonais au Conseil national polonais de Londres, en mars 1943, décrit
parfaitement ce qui motivait les Juifs dans leur départ pour Tanger : « En
1940, je suis arrivé à Tanger en tant que réfugié de guerre, sur le navire
Conte Grande venant d’Italie… À cette époque, Tanger était une ville
cosmopolite, où la vie était tranquille, peu onéreuse, et où les réfugiés
pouvaient vivre correctement9. »
Un certain nombre d’observateurs étaient d’avis que Tanger pouvait
devenir un sanctuaire temporaire pour les réfugiés juifs fuyant les
persécutions nazies et fascistes10. Lord Duncannon, représentant du Comité
intergouvernemental pour les réfugiés, écrivit au Foreign Office en
mars 1939 pour demander si Tanger pouvait devenir une destination
importante pour les réfugiés juifs, à l’image de Shanghai11. Augusto
D’Esaguy, le président du Comité portugais d’aide aux réfugiés, qui s’était
rendu à Tanger en août 1939, nota que la ville était un point de transit
parfait pour les Juifs allemands et autrichiens en attente d’un visa
américain. Il était convaincu que Tanger pourrait devenir un « entrepôt pour
réfugiés » et que la ville pouvait accueillir 2 000 Juifs persécutés
supplémentaires12.
L’attitude des autorités tangéroises envers
les réfugiés juifs
D’Esaguy était quelque peu optimiste. L’administration internationale
de la zone de Tanger n’envisageait pas de devenir un havre de paix pour les
Juifs expulsés. En 1936, l’article 4 de la réglementation de la police pour les
étrangers est amendé pour éviter que des personnes expulsées d’autres
zones du Maroc et d’autres pays ne pénètrent à Tanger. Au début,
l’amendement n’est pas appliqué à la lettre mais en avril 1939, l’afflux de
réfugiés juifs fait que la Commission de contrôle de Tanger envisage de le
faire13. En juillet 1939, vu le nombre des nouveaux arrivants, les autorités
tangéroises limitent l’entrée des réfugiés juifs. Les Juifs dont le passeport
était frappé de la lettre « J » devaient obtenir une permission spéciale de la
Commission de contrôle ou un visa du consulat de France, qui les délivrait
au compte-gouttes. Il fallait également qu’ils prouvent être en possession de
5 000 Frs à leur arrivée. Cependant, il n’y avait aucune restriction pour ceux
dont la religion n’était pas mentionnée sur le passeport14. Cette
réglementation visait tout particulièrement les Juifs allemands et autrichiens
dont les passeports portaient la marque discriminatoire.
Les restrictions concernant l’entrée des Juifs se firent plus sévères avec
le début de la Seconde Guerre mondiale. En avril 1940, les réfugiés
allemands et autrichiens n’eurent plus le droit de venir à Tanger, tandis que
ceux de Pologne et de Tchécoslovaquie devaient, eux, non seulement
posséder 5 000 Frs mais aussi un certificat de logement délivré par un
résident de Tanger15. Malgré les restrictions, 112 réfugiés polonais
arrivèrent par l’Italie le 24 mai 1940. Peu après, l’Assemblée législative de
Tanger adopta une loi interdisant l’admission des réfugiés, ceux dont les
pays avaient signé le Statut de Tanger exceptés16. Les réfugiés qui
rentraient à Tanger clandestinement étaient passibles d’un emprisonnement
pouvant aller jusqu’à un mois. De plus, ils seraient expulsés de Tanger
après avoir purgé leur peine17. Tandis que le libellé de la loi avait été
quelque peu modifié pour ne pas souligner l’exclusion des Juifs en tant que
tels, les consuls français et britannique ainsi que l’Administrateur de Tanger
établirent cette nouvelle législation, persuadés que les réfugiés juifs
pourraient appartenir à la cinquième colonne. Ils craignaient également que
l’acceptation d’un grand nombre de Juifs ne mène à une escalade des
sentiments antisémites de la part des musulmans18. Ces restrictions,
cependant, ne furent pas respectées à la lettre et les registres du Comité
d’aide aux réfugiés de Tanger indiquent qu’au moins vingt familles
arrivèrent en ville après mai 194019.
Le 14 juin 1940 se déroula un événement pouvant potentiellement
affecter les réfugiés : les forces espagnoles marchèrent sur Tanger sous
prétexte que l’occupation espagnole garantirait la neutralité de cette zone.
En fait, l’Espagne, qui espérait depuis longtemps jouer un rôle d’envergure
à Tanger, s’occupa de dissoudre rapidement la commission internationale
qui administrait cette zone et incorpora Tanger au protectorat espagnol20. À
partir de là, les portes de Tanger restèrent officiellement closes ; à
l’exception des citoyens américains et des sujets britanniques, personne ne
devait entrer en ville à moins d’avoir une autorisation spéciale du ministère
des Affaires étrangères à Madrid21. En mars 1944, le représentant américain
à Tanger nota « les autorités d’occupation espagnoles à Tanger
n’encouragent ni ne coopèrent en aucune façon pour autoriser l’entrée des
réfugiés ou venir en aide à ceux qui s’y trouvent ». Luis Orgaz, le HautCommissaire espagnol au Maroc, s’opposa à l’immigration juive au Maroc,
craignant que cela ne déclenche l’opposition de la population musulmane22.
Plus généralement, les politiques espagnoles à Tanger s’alignaient sur le
refus du gouvernement espagnol de permettre aux réfugiés juifs de
s’installer en Espagne, arguant du fait qu’avec les bolchéviques et les
francs-maçons, ils avaient fomenté la guerre civile espagnole et étaient les
ennemis de l’Espagne de Franco23.
Un certain nombre de réfugiés virent leur condition se détériorer après
l’occupation espagnole de Tanger. Parmi eux, Jakub Reiner, qui nota dans
sa lettre à Ignacy Schwarzbart : « Lorsque les autorités espagnoles reprirent
l’administration à Tanger, la situation changea du tout au tout. La vie devint
beaucoup plus difficile24. » L’accroissement de l’influence allemande dans
la zone de Tanger reflétait les tendances pro-Axe du régime de Franco25. En
mars 1941, l’Allemagne fut autorisée à établir un consulat dans le palais du
Mendoub. Celui-ci devint la base du renseignement du Troisième Reich en
Afrique du Nord. En mai 1941, les autorités espagnoles demandèrent à tous
les citoyens des pays occupés par l’Allemagne d’obtenir des permis avant
leur départ éventuel de Tanger26.
En août 1942, un groupe de réfugiés écrivit au Joint Distribution
Committee à New York pour se plaindre de l’influence allemande
croissante sur les Espagnols. Ils disaient avoir été harcelés par la police
espagnole qui leur demandait quand ils avaient l’intention de quitter
Tanger. Étant donné que la majorité des réfugiés n’avaient pas de visa pour
une autre destination, ils répondirent qu’ils quitteraient Tanger à la fin de la
guerre. La police espagnole leur indiqua que s’ils ne quittaient pas Tanger
dans les quatre mois, ils auraient « le gîte et le couvert gratuitement dans un
tout nouveau camp de concentration27 ». Ignacy Schwarzbart avertit le
gouvernement polonais en exil que les réfugiés polonais juifs à Tanger
pourraient bien « finir comme les Juifs de France », « être remis à Hitler
après consultation avec l’ambassade d’Allemagne28 ». Bien que les
autorités espagnoles ne missent pas leurs menaces à exécution, un certain
nombre de réfugiés apatrides furent expulsés car soupçonnés d’être des
agents alliés29.
Malgré les sympathies espagnoles pour l’Axe, un certain nombre de
réfugiés juifs à Tanger réussirent à développer de bonnes relations avec les
autorités espagnoles. Parmi eux, la famille Reichmann. Ces Juifs
orthodoxes hongrois furent exceptionnellement autorisés à s’installer à
Tanger après l’occupation espagnole. D’après le biographe de la famille,
Anthony Bianco, les Reichmann obtinrent certainement l’autorisation du
ministère des Affaires étrangères espagnol d’entrer à Tanger grâce à
l’intervention de Jacob Salama, riche marchand juif de Melilla, proche de
l’administration espagnole30. La matriarche de la famille, Renée
Reichmann, utilisa ses connexions avec les hauts fonctionnaires espagnols
pour envoyer des colis de nourriture, sous les auspices de la Croix-Rouge
espagnole, aux internés d’Auschwitz et d’autres camps de concentration31.
Les activités de René Reichmann ne s’arrêtaient pas là. Durant l’été 1944,
elle initia une requête présentée aux autorités espagnoles pour permettre
l’entrée de 500 enfants hongrois et de 70 adultes qui les accompagneraient.
Le régime de Franco, qui désirait alors améliorer son image envers les
puissances alliées, accepta la requête à condition qu’un nombre équivalent
de réfugiés juifs quitte Tanger. En fin de compte, ce plan n’aboutit pas car
les Allemands avaient refusé d’octroyer aux enfants des visas de transit. Ils
restèrent en Hongrie sous la protection de la Légation espagnole à
Budapest32.
Les relations entre la communauté juive de Tanger
et les réfugiés
Pendant ce temps, la communauté juive de Tanger, qui comptait
8 000 personnes – soit environ 10 % de la population totale de la zone – eut
des difficultés à intégrer les nouveaux venus arrivés entre 1938 et 1940.
Bien que la communauté comptât quelques familles riches, elle était en
grande majorité pauvre, composée de petits artisans, de commerçants et
d’agents de change, aidés par le Comité d’entraide de la communauté. Leur
situation devint encore plus précaire avec l’incorporation de Tanger au
protectorat espagnol. En effet, les petites entreprises devaient maintenant
payer des impôts importants et les autorités refusaient très souvent de
nouveaux permis33. La déclaration de guerre eut elle aussi un impact
économique important, notamment une hausse des frais de transport et des
fluctuations du taux de change des diverses devises, tout cela donnant
naissance à une inflation rampante. Durant les six premiers mois de 1941, le
coût de la vie augmenta de 40 %. La population de Tanger manquait de
certaines denrées, ce qui entraîna le rationnement du sucre, des légumes, de
l’essence et la naissance d’un marché noir. La source de revenus du Conseil
de la communauté juive, une taxe sur la viande casher, était maintenant
considérablement réduite, et la communauté avait de plus en plus de
difficulté à aider les Juifs locaux démunis, sans parler des nouveaux
venus34. Suite à cela, en mars 1939, les notables locaux avertirent
l’organisation d’émigration juive, la HICEM, que les réfugiés n’avaient pas
d’avenir à Tanger et suggérèrent de les évacuer vers des zones plus
hospitalières, telles que l’Amérique latine35. Un an plus tard, en mars 1940,
la communauté refusa d’intercéder au nom des réfugiés polonais désireux
d’entrer à Tanger, arguant que le nombre de réfugiés dans la zone était déjà
trop élevé36.
La communauté juive de Tanger craignait également que l’arrivée
d’immigrants juifs ne bouleverse le délicat équilibre des forces existant
entre les différents groupes religieux et nationaux. En août 1939, la
communauté demanda à l’organisation d’émigration juive, la HICEM, de
reporter l’immigration des réfugiés en avançant le fait qu’un grand nombre
de Juifs pourraient éveiller l’antisémitisme37. Le représentant de la HICEM
au Portugal, Augusto D’Esaguy, nota que « les riches Juifs [de Tanger]
constituaient l’obstacle principal à l’installation des réfugiés juifs
d’Autriche et d’Allemagne. Ils craignaient que les idées politiques des
réfugiés ne donnent naissance à une vague d’antisémitisme38 ». Ces craintes
n’étaient pas totalement sans fondement : les nazis avaient fondé à Tanger
une Ligue antisémite et, avec les légations italienne et espagnole, la
Gestapo diffusait de la propagande antisémite à la population musulmane.
Des tracts imprimés en arabe accusaient les Juifs de vouloir dominer le
monde et dépeignaient les Allemands comme un modèle que les Marocains
musulmans devaient imiter. Les Juifs natifs de Tanger craignaient que
l’arrivée de réfugiés juifs démunis n’alimente cet antisémitisme latent39.
Les relations entre les Juifs indigènes et les réfugiés restèrent, tout au
long de la guerre, assez distantes. Fritz Lichtenstein, qui visita Tanger en
tant que représentant de l’Agence juive en mai 1944, observa qu’il n’y avait
aucun contact social entre les nouveaux venus et la communauté juive
établie, les intérêts des deux parties différant totalement40. La tiédeur des
relations qui régnaient entre les réfugiés ashkénazes et la communauté
indigène était probablement due à leurs pratiques religieuses différentes, ce
qui poussa les ashkénazes à créer leurs propres synagogue et bain rituel, ou
mikveh. Les ashkénazes les plus observants n’étaient pas enclins à manger
la nourriture casher locale et importaient leurs denrées de Tétouan41.
Programmes d’entraide et émigration
Malgré sa réserve envers l’immigration juive à Tanger, la communauté
juive établit un comité d’entraide aux réfugiés, le Comité Pro-Refugiados,
connu aussi sous le nom de Comité d’assistance aux réfugiés. Elle lui alloua
des bureaux ainsi qu’une somme mensuelle de 5 000 francs français. Le
Comité d’assistance aux réfugiés tenta également de collecter des fonds par
l’entremise d’événements caritatifs locaux ainsi que par des donations de la
communauté juive de Casablanca. Ces contributions, cependant, ne
suffisaient pas à couvrir les frais de l’entraide et le Comité devait compter
sur le soutien financier de l’American Jewish Joint Distribution Committee,
qui, en mars 1944, accordait 12 850 USD par mois pour venir en aide aux
réfugiés de Tanger42.
Le Comité était dirigé par un notable local, Abraham Laredo, assisté
d’Albert Sagués, ancien directeur de l’école de l’Alliance israélite
universelle à Tanger et d’Albert Reinhard, un réfugié du Luxembourg. La
fonction du Comité d’assistance aux réfugiés était de venir en aide aux
réfugiés dans le besoin durant leur séjour à Tanger et de faciliter leur
immigration vers une autre destination. Il était, entre autres, chargé de leur
fournir un logement temporaire, soit dans un de ses centres, soit dans des
chambres louées43.
Le Comité d’assistance aux réfugiés avait également créé une soupe
populaire, la cantine Sarita Saguès, qu’il supervisait. Deux repas étaient
servis chaque jour. Cependant, en raison des plaintes des réfugiés
concernant la monotonie de la nourriture, le Comité d’assistance aux
réfugiés ferma la cantine en janvier 1944 et octroya aux réfugiés une
allocation alimentaire mensuelle44. Le Comité distribuait également des
vêtements aux adultes et aux enfants et soignait les malades. En outre, il
prêtait de l’argent pour aider les réfugiés à monter de petits commerces et à
subvenir à leurs propres besoins45. Enfin, le Comité offrait aux nouveaux
venus des services d’immigration, les mettant en contact avec la HICEM. Il
avait également créé une école de formation professionnelle qui enseignait
la dactylographie, la sténographie, la comptabilité, ainsi que l’anglais et
l’hébreu pour les immigrants potentiels.
Après 1942, la hausse sensible de l’inflation entraîna une détérioration
des conditions de vie des réfugiés. Certains durent vendre leurs biens pour
arriver à joindre les deux bouts46. La hausse constante du coût de la vie à
Tanger et les rares opportunités d’emploi pour les réfugiés firent que le
Comité d’assistance aux réfugiés devait chaque mois aider un nombre de
plus en plus important d’individus dans le besoin. Le nombre des assistés
passa de 350 en novembre 1943 à 571 en janvier 1944. En outre, la hausse
du coût de la vie obligea le Comité à augmenter le montant de certaines
allocations aux réfugiés, alourdissant encore le budget47. En février 1944,
suite à ces difficultés financières, le Joint Distribution Committee envoya
Mordecaï Kessler, son représentant à Tanger, pour qu’il réorganise le
budget du Comité48.
Outre les contraintes budgétaires, le Comité d’assistance aux réfugiés
devait affronter d’autres difficultés, notamment des plaintes émanant des
réfugiés insatisfaits, qui avaient le sentiment que l’entraide n’était pas
répartie de façon égale. Il y avait de fréquentes accusations disant que
certains réfugiés, qui étaient « millionnaires », étaient eux aussi assistés. La
suspicion et le ressentiment à ce sujet ne firent qu’accroître les tensions
avec les réfugiés. Dans une lettre écrite au bureau du Joint Distribution
Committee à Lisbonne en décembre 1943, le Comité d’assistance aux
réfugiés exprima son inquiétude : si les querelles et l’agitation parmi les
réfugiés persistaient, les autorités espagnoles pourraient bien prendre des
mesures contre eux, telles qu’expulsion ou emprisonnement49. Dans un
rapport d’avril 1944, Kessler note que les tensions sont particulièrement
importantes entre les réfugiés ashkénazes et séfarades, qui se gardent bien
d’une vie commune et qui éprouvent peu de sympathie les uns envers les
autres, en raison des différences de langue et de pratiques religieuses. Cette
atmosphère de suspicion et de compétition obligea le Comité d’assistance
aux réfugiés à établir pour les Juifs séfarades des jours de rémunération
différents50.
Les tensions existaient non seulement entre les réfugiés de nationalités
différentes mais également au sein des groupes nationaux. Par exemple,
deux comités polonais rivaux furent établis pour venir en aide aux réfugiés
polonais. Julius et Terese Goldberg, Marco Weiselman et Gabriel
Gawrylowicz créèrent le premier, le Patronat des réfugiés de guerre
polonais à Tanger, à la fin de l’année 1942. Il reçut des fonds du consulat
polonais à Madrid jusqu’en mai 1943. Anatol Estryn, Marek Rechnic et
Izak Lewitt formèrent le second comité durant l’été 1943. Leur principal
désaccord portait sur la répartition de l’aide financière. Tandis que le
Patronat des réfugiés de guerre polonais était d’avis qu’il fallait accorder
l’aide financière aux réfugiés en fonction de leurs besoins, le second comité
pensait qu’il fallait aider les réfugiés en fonction de leur date d’arrivée à
Tanger et du statut de leur nationalité. Pour eux, seuls les réfugiés arrivés
directement de Pologne au début de la guerre et qui avaient conservé leur
nationalité polonaise avaient droit à une aide du gouvernement polonais.
Ceux qui avaient quitté la Pologne avant la guerre, avaient vécu en France
ou ailleurs et avaient été forcés d’en partir ne devaient pas avoir droit à
cette aide financière puisqu’ils avaient perdu leur nationalité. Laredo, qui
avait des contacts dans les deux comités, regrettait cette division au sein des
Polonais car elle pouvait avoir des conséquences désastreuses non
seulement pour eux mais pour l’ensemble des réfugiés à Tanger51. En fin de
compte, Estryn, Rechnik et Lewitt devinrent les principaux interlocuteurs
du ministère du Travail et du Bien-Être social du gouvernement polonais en
exil à Londres, qui aida vingt-huit réfugiés polonais à Tanger52.
Le manque de possibilités en termes d’immigration constituait une
source de frustration tant pour les réfugiés que pour les organisations
d’entraide. Entre 1939 et 1944, peu nombreux furent ceux qui quittèrent
Tanger, ce qui engendra découragement et pessimisme parmi les réfugiés,
en grande partie sans emploi, et ayant dépensé toutes leurs économies. Ceux
qui avaient des enfants étaient particulièrement concernés par les problèmes
d’éducation et d’emploi53. Durant les années 1942 et 1943, les réfugiés juifs
polonais à Tanger s’adressèrent à Schwarzbart pour qu’il les aide à obtenir
des visas pour l’Angleterre. Mais en vain. Le Foreign Office refusa
d’accorder des visas aux réfugiés, avançant qu’ils n’étaient pas en danger
immédiat et qu’en Grande-Bretagne, les logements et la nourriture faisaient
défaut. Seuls ceux qui pouvaient contribuer à l’effort de guerre allié
faisaient l’objet d’exceptions54. En été 1942, le gouvernement polonais en
exil et les autorités britanniques envisagèrent la possibilité d’évacuer les
réfugiés polonais vers la Jamaïque. Ce plan n’aboutit pas car le contingent à
destination de la Jamaïque fut rapidement rempli par des réfugiés venant du
Portugal. Après le débarquement des forces anglo-américaines en Afrique
du Nord en novembre 1942, il fut question de transférer les réfugiés de
Tanger vers l’Afrique du Nord française mais les autorités américaines
déclarèrent que l’émigration des réfugiés ne pourrait avoir lieu qu’après la
fin des actions militaires dans la région55.
Ce n’est qu’en 1944 que la Palestine et le Canada furent mentionnés
comme des destinations éventuelles pour les réfugiés juifs de Tanger. En
mars, le délégué du JDC à Lisbonne informa son bureau de New York
qu’environ 200 personnes pourraient bientôt immigrer vers le Canada. En
mai, l’Agence juive pour la Palestine chargea son représentant, Fritz
Lichtenstein, de récapituler le nombre de réfugiés qui seraient désireux
d’émigrer en Palestine et éligibles. Lichtenstein proposa d’accorder des
certificats d’immigration en Palestine à 300 personnes, sur les 500 qui
s’étaient portées candidates56. Un mois plus tard, en juin, M. Cornier,
attaché canadien à Lisbonne, arriva à Tanger pour examiner et interviewer
les candidats à l’immigration. Il accepta d’émettre des visas pour vingtdeux familles juives, soit soixante-six personnes, sous réserve d’une
vérification de sécurité57. Le nombre des candidats à l’émigration à
destination du Canada était bien inférieur à l’estimation des autorités
canadiennes car de nombreux réfugiés ne voulaient pas trop s’éloigner de
leurs pays d’origine, pays qui allaient être libérés sous peu ; d’autres
espéraient être acceptés pour partir en Palestine58. En septembre 1944, un
groupe de soixante-six réfugiés partit donc pour le Canada via l’Espagne et
Lisbonne et en octobre 1944, quatre-vingt-huit réfugiés embarquèrent sur le
navire SS Guinée, pour la Palestine59. La plupart des réfugiés restants
quittèrent Tanger pour les États-Unis ou la Palestine en 1945 et 1946. Le
départ des réfugiés fut grandement couvert par la presse espagnole locale,
qui profita de l’occasion pour payer un tribut enthousiaste à la politique du
régime de Franco à Tanger. En septembre 1944, lors de l’évacuation d’un
groupe de réfugiés, le quotidien espagnol España écrivit que le « confort
spirituel » des réfugiés était basé sur la neutralité de Tanger, que seule
l’Espagne avait été capable d’assurer. Tout en acceptant le fait que l’afflux
de réfugiés à Tanger ait créé certains problèmes, l’España soulignait que les
réfugiés avaient « joui d’une prospérité égale à celle qui existait dans
n’importe quel pays durant la guerre60 ».
En conclusion, il est difficile de déclarer que Tanger fut un véritable
havre de paix pour les réfugiés juifs durant la Seconde Guerre mondiale.
L’immigration juive était limitée par les restrictions imposées par
l’administration internationale et appliquées par les autorités espagnoles. En
outre, la crise économique et la crainte d’un regain d’antisémitisme
poussèrent la communauté juive locale à décourager les réfugiés juifs de
chercher un asile à Tanger. Ceux qui réussirent à y venir durent faire face à
de nombreux défis : inflation rampante, rareté des emplois, manque
d’opportunités d’immigration, indifférence, voire hostilité des autorités
espagnoles et dissensions dues aux différences culturelles et à la jalousie.
Néanmoins, les réfugiés juifs de Tanger ne connurent pas de discrimination
raciale et leur situation fut bien moins précaire que celle de leurs
coreligionnaires du Maroc français.
12
La communauté juive de Nabeul
sous l’occupation allemande
par Victor HAYOUN
L’un des événements qui marqua le plus la communauté juive de
Nabeul fut l’occupation de la Tunisie par les forces germano-italiennes de
l’Axe, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands arrivèrent en
Tunisie par le sud, par la Libye, après que Rommel eut essuyé la défaite du
deuxième combat d’El-Alamein devant les forces britanniques de
Montgomery. Nabeul fut occupée le 14 novembre 1942 et la présence
allemande se fit sentir alors dans la ville et fut vécue très difficilement par
la communauté juive locale. Les Juifs de la ville durent porter l’étoile jaune
et comme dans toutes les autres localités de Tunisie, les occupants
s’approprièrent des locaux et des habitations, ils confisquèrent des voitures,
des vélos, des postes de radio (TSF), des meubles et les accessoires
ménagers dont ils avaient besoin1. Ils investirent la ville et la municipalité
et exigèrent de la main-d’œuvre juive quotidienne pour les travaux
obligatoires, principalement dans les bases militaires du cap Bon. Ainsi, la
population juive de Nabeul, comme partout ailleurs en Tunisie, vécut sous
la menace constante d’une éventuelle arrestation pour être envoyée au
travail obligatoire. Les déplacements en dehors de la ville étaient risqués, la
surveillance allemande était omniprésente et on sentait un manque
grandissant de nourriture disponible à la vente ainsi que de produits de base
et de tout autre matériau comme le cuir, les tissus, les matériaux de
construction, etc. Mais surtout, il y avait l’incertitude quant au lendemain. Il
est à signaler que les relations qu’avait la population juive de la ville avec
son voisinage musulman et chrétien étaient généralement convenables et
correctes, et parfois même les musulmans prodiguaient un soutien
important aux Juifs. Nous avons plus d’un témoignage qui nous informe sur
un voisin musulman qui aurait caché chez lui des biens comme des bijoux
ou de l’argent appartenant à des Juifs et qui les leur restitua à la fin de
l’occupation allemande. Mais il y a aussi des traces de collaboration des
Arabes avec les autorités françaises de Vichy et les occupants allemands. Il
y eut des dénonciations de Juifs qui se cachaient pour ne pas aller au travail
obligatoire, ainsi que des interventions verbales blessantes.
En mai 1943, les forces germano-italiennes battirent en retraite et
quittèrent la Tunisie par le cap Bon, d’où elles embarquèrent en direction de
la Sicile vers le territoire italien ami et coopérant. Tunis fut libéré le 7 mai
1943 et Nabeul le fut quatre jours plus tard, quasiment en dernier, le 11 mai
19432. Ce jour de la libération de Nabeul fut, comme nous le verrons plus
loin, particulièrement important pour l’ensemble de la communauté juive de
la ville.
La dernière journée d’occupation :
le témoignage d’Isaac Mamou
Un témoignage de premier ordre, riche en détails et relativement
exceptionnel, relate les dernières vingt-quatre heures de la présence
allemande dans la ville et des sévices subis par sa population juive.
Le témoin qui laissa un récit détaillé de ce qui se passa était Isaac fils de
Jacob Mamou, communément nommé en judéo-arabe Ch-h’agou Mamou3.
Il s’agit d’un des notables de la ville, riche et érudit, connaissant
parfaitement les langues française et italienne, mais aussi l’hébreu et le
judéo-arabe. Suite au danger de circuler en dehors de la ville et réduit à ne
pas quitter Nabeul, il se mit, pendant ces mois d’occupation, à traduire un
livre de l’écrivain hébreu Abraham Mapu. Il finit la traduction en
mars 1943, et il décida d’ajouter une seconde préface dans laquelle il écrivit
le descriptif détaillé de ce qu’avait vécu la communauté juive de Nabeul
pendant l’occupation allemande, et particulièrement durant les dernières
vingt-quatre heures de cette occupation. Le texte intégral de son
témoignage, qui fut traduit du judéo-arabe en français par Robert Attal, de
l’Institut Ben-Zvi de Jérusalem, se trouve en annexe de cet article.
Cependant, en voici l’essentiel :
« … le 10 mai 1943 (note 17) arriva au local de la communauté juive,
un Allemand en tenue de gendarme, accompagné de deux soldats ; il exigea
de consulter les comptes en caisse de la communauté. Après cela il s’écria :
“j’exige de vous que cet après-midi avant 6 heures vous me prépariez
1 million de francs.” Les responsables de la communauté lui répondirent
qu’ils ne possédaient pas cette somme et que dans cette ville il était
impossible de réunir un tel montant. L’officier leur dit qu’il attendrait
jusqu’au lendemain matin à 9 heures, mais que ce seront [sic] alors
2 millions de francs… [sinon] il sera porté un grave préjudice à la
communauté juive… »
Dans le souci de prolonger le délai au-delà du lendemain, le conseil de
la communauté fit intervenir le brigadier de police et le chef de la
gendarmerie de la ville qui se proposèrent de le soutenir. Après une longue
« nuit blanche », ces messieurs se présentèrent au bureau de la
Kommandantur dix minutes avant l’heure fixée.
« … Soudain des tanks et des camions apparurent à grand vacarme et
aux cris de “Vive la France”. Puis surgirent les Anglais, les Américains et
les Français qui, sous les “youyous” et les chants, occupèrent la ville. Les
Allemands battirent en retraite et la joie grandit chez les Juifs… sauvés de
cette détresse… »
Ce témoignage n’a jamais eu d’autre référence historique. C’était un
témoignage important mais il était unique. Lors d’une de mes visites aux
archives du ministère des Affaires étrangères français à Nantes, dans le
cadre de mes recherches sur la communauté de Nabeul, cinquante-six ans
après la libération de la ville, en novembre 1999, j’eus l’agréable surprise
de découvrir une riche documentation4 qui traitait de la demande
d’indemnisation de la communauté israélite de Nabeul, suite aux spoliations
allemandes de la période de l’Occupation. Cette documentation était un
échange de courrier entre six personnes : le contrôleur civil chef de poste à
Nabeul, le contrôleur civil du cap Bon à Grombalia, M. Aleman, l’ancien
chef du poste de police de Nabeul, le général de corps d’armée Pierre Boyer
De Latour Du Moulin, Résident général de France à Tunis, Mardochée
Mamou, le président de la Coumita5 de Nabeul et son représentant, maître
Aurèle Haddad, de Nabeul, avocat à la Cour d’appel de Tunis. Pour traiter
de ce sujet, les correspondants détaillèrent chacun à leur tour la réponse
qu’ils fournissaient au précédent. Par ces courriers datant de 1944, 1947 et
1954, nous avons une totale confirmation de l’histoire des dernières vingtquatre heures de l’occupation de la ville de Nabeul par les Allemands telle
qu’elle nous avait été relatée par Isaac Mamou dans sa préface judéo-arabe
de 1943.
Les Allemands exigent une rançon de la communauté
Les échanges de courriers, très riches en informations concernant les
événements des dernières vingt-quatre heures de l’occupation de Nabeul par
les Allemands, commencent par une lettre du 11 mars 1954 envoyé par
M. Aleman, le chef du poste de police à Aïn-Draham, dans le nord de la
Tunisie en 1954, qui était auparavant, comme indiqué plus haut, chef du
poste de police à Nabeul en mai 1943 [voir la lettre en annexe]. Voici
l’essentiel de son courrier :
« … pour les renseignements que vous me demandez, c’est un peu loin,
mais autant que je m’en rappelle [sic], la population israélite a tout d’abord
eu la réquisition de tous les postes de TSF, puis le travail obligatoire pour
tous, sans exception, à raison de 2, 3 et même quelquefois 400 travailleurs
par jour… En outre, une grande partie des maisons juives a été
réquisitionnée. Les cafetiers israélites, principalement Sportès Isidore6, se
sont vu saisir la majeure partie des boissons et liqueurs qu’ils avaient en
dépôt, sans paiement évidemment, comme il a été fait également pour
d’autres marchandises d’autres magasins israélites… Ces saisies et
prélèvements étaient faits par des soldats allemands qui ne se souciaient
naturellement pas des autorités françaises locales, à part le vice-président
[de la municipalité] délégué de l’époque M. Muraour, qui dans la plupart
des cas les a guidés… En ce qui concerne les versements effectués par la
population israélite aux troupes de l’Axe, il n’y en a eu aucun à ma
connaissance. La seule fois où des gendarmes allemands ont réclamé une
somme de deux millions à la communauté israélite, en leur [sic] donnant un
délai de 24 heures pour s’exécuter, se situe 2 jours avant l’arrivée des
troupes anglaises à Nabeul… J’ai pu éviter que cette somme ne soit versée
en intervenant auprès du commandant de la gendarmerie allemande à
Nabeul. M. Mamou Roger7 est bien au courant de la chose et pourra vous
renseigner à ce sujet… C’est tout ce dont je me souviens… En espérant que
ces renseignements vous serviront. »
Ce courrier est d’une importance capitale, car il confirme sans l’ombre
d’un doute les faits relatés par Isaac Mamou dans la seconde préface en
judéo-arabe du livre hébreu qu’il traduisit en 1943 pendant l’occupation
allemande de Nabeul. Ce courrier a été écrit près de onze ans (de 1943 à
1954) après l’occupation, par un fonctionnaire français qui n’avait, a priori,
aucune relation avec Isaac Mamou et qui très probablement ne connaissait
pas le judéo-arabe. D’autre part, il ne faut pas oublier que messieurs Isaac
Mamou et Aleman ont écrit ce qui est cité ci-dessus : le premier sur sa
propre initiative de témoin oculaire, et le second en réponse à un courrier
officiel qui lui avait été adressé par le secrétaire principal de la police
judiciaire du protectorat français en Tunisie. Ainsi, il n’y a pas de
concordance de temps, ni de lieu, ni de cause dans la production de ces
deux témoignages, ce qui nous permet d’affirmer la véracité des faits qui y
sont relatés en détail.
Avec le courrier de M. Aleman, nous avons trouvé dans ces mêmes
archives une lettre du contrôleur civil en poste à Nabeul du 30 mars 1954
qui, dans un souci de préparer une réponse détaillée et précise à ses
supérieurs, invitait maître Aurèle Haddad, de Nabeul, avocat à la Cour
d’appel de Tunis, à se présenter à son bureau pour apporter quelques autres
précisions. Adjointe à la copie de cette lettre, il y avait une note manuscrite
résumant cette rencontre. Y sont mentionnés les noms de « … Mardochée
Mamou président de la communauté… » ainsi que ceux de « …Isaac [Chh’agou] de Jacob Mamou, Élie [de Gabriel] Koskas, Roger Mamou et à la
comptabilité maître Aurèle Haddad avocat… c’est tout… ». Ces personnes
étaient, nous le savons, les membres de la Coumita à l’époque de
l’occupation.
Un autre détail manuscrit très important, que nous rencontrons pour la
première fois, est le nom d’un officier allemand « … Lieutenant Stock [ou
Stack] de la Kommandantur… » Ce serait probablement celui qui a
demandé la rançon. Il est aussi écrit que « … Maître Aurèle Haddad ignore
le début de l’affaire et que deux millions [de francs sont] demandés la veille
de la libération [pour le] lendemain à 10 heures… » et une ligne plus bas il
est écrit « … à 9 heures [eut lieu] la libération… ».
Une des questions que nous nous posons en essayant de saisir ce qui se
passa à Nabeul dans le contexte tunisien général est : pourquoi les
Allemands ont-ils demandé cette rançon à Nabeul si tard, alors qu’à Tunis
ce fut imposé tout au début de l’occupation et à Djerba plus tard mais bien
avant la libération ? La réponse pourrait être la suivante : il semblerait qu’à
Nabeul était présente la gendarmerie allemande et pas – ou plus – la
Gestapo. D’autre part, l’officier allemand qui exigea les deux millions était
un sous-lieutenant ou un lieutenant, donc pas un officier supérieur. Aussi, il
se pourrait fort probablement que ce soit une initiative personnelle et locale
d’un officier qui aurait peut-être voulu profiter de la situation qu’il
connaissait mieux que les gens de la communauté locale, car rappelons-le,
Nabeul est à la porte du cap Bon, les Forces alliées, qui montaient du sud
vers le nord, libérèrent Djerba, Sfax et Sousse, alors que celles qui venaient
de l’ouest libérèrent Tunis le 7 mai 1943. Pendant ce temps, Nabeul était
toujours occupée et les soldats des forces de l’Axe étaient faits prisonniers
par milliers en essayant de battre en retraite par le cap Bon vers la Sicile.
L’officier en poste à Nabeul, comprenant que c’était la fin de son « séjour »
sur place, aurait peut-être voulu profiter de l’occasion pour s’enrichir. À
Sfax aussi les Allemands ont demandé une rançon en fin d’occupation,
alors qu’ils étaient sur le point de battre en retraite et voulaient se sauver
avec l’argent. Mais dans ce cas, la communauté ne réussit pas à rassembler
la somme exigée et les Allemands s’enfuirent avec une partie seulement de
la rançon8.
La lettre de M. Aleman que nous avons rappelée et citée plus haut est
en fait la première d’une correspondance fournie et très détaillée, d’une
série qui sera conclue cinq mois plus tard, le 28 août 1954, par un courrier
détaillé de P. Lunet, qui était fort probablement le contrôleur civil en poste
à Nabeul. Dans ce dernier courrier, la responsabilité de trouver les
documents adéquats, de les analyser et de rédiger une demande précise
d’indemnités est à la charge de la communauté.
Comme dans le cas de l’indemnisation des familles Jaoui et Temam
pour le décès d’un membre de leur famille9, là encore nous constatons que
les autorités françaises se reposent sur la communauté et ses institutions et
se gardent de traiter au cas par cas, voire même avec des groupes qui ne
seraient pas coordonnés ni représentés par la communauté. Pour justifier ce
mode de fonctionnement, elles s’appuient sur le fait que « … seul le Comité
directeur de la Caisse de culte et de bienfaisance doit être en principe partie
prenante dans cette affaire, puisque c’est le comité de l’époque qui a tout
comptabilisé (les Services des dommages de guerre ayant même refusé
toute demande individuelle)… ».
Cette demande d’indemnisation au profit des israélites de Nabeul, qui
fit l’objet de la correspondance de Lunet du 28 août 1954, nous révèle deux
éléments remarquables : des affirmations importantes et un aperçu d’un
désaccord dans la communauté. Le premier est en rapport direct avec cette
demande d’indemnisation et il nous procure des affirmations claires qui
sont écrites de manière explicite :
« … il est exact que les israélites de Nabeul ont été frappés par des
mesures de travail forcé, imposées par les autorités germano-italiennes en
1943. Il est indubitable que la communauté israélite a été imposée à de
nombreux titres par ces militaires. Pour tout ce qui devait être réquisitionné
chez les israélites, la communauté était tenue responsable de l’exécution des
demandes, et groupait les biens et les fonds… »
Juste après ces affirmations claires, nous avons une phrase que l’on
pourrait qualifier d’information ou de détail à « double tranchant » :
« … il y a donc caractère racial des prélèvements dans la mesure où les
Juifs étaient spoliés, mais les autres éléments de la population ont
également subi des réquisitions sans contrepartie en indemnité… »
Cette dernière phrase nous instruit sur l’ambiguïté de la situation de
reconnaissance des dommages et spoliations faits aux israélites de Nabeul,
ainsi qu’à un état d’esprit que l’on pourrait qualifier pour le moins de peu
impartial par le rappel de soi-disant dommages causés aux autres habitants
de Nabeul. Le second élément d’importance qui est détaillé dans ce
courrier, nous révèle une scission dans la communauté juive. En voici le
résumé : maître Albert Tubiana, de Tunis, fut mandaté par certains Juifs de
la communauté de Nabeul et déposa une demande d’indemnisation auprès
des autorités françaises de Tunisie. Dans l’échange de courrier pour
complément d’enquête et éléments de réponse entre les différents
fonctionnaires français, nous avons trouvé en archives des notes
manuscrites du contrôleur civil en poste à Nabeul, probablement du 11 août
1954, qui nous apprennent les choses suivantes :
« … Maître Tubiana n’est pas mandataire des israélites de Nabeul…
Pourquoi pas [une] somme globale [de] 1 million… Qu’elle [la
communauté] s’arrange elle-même avec ses membres… C’est la
communauté qui a taxé les gens [et] non les Allemands… Maître Tubiana
doit s’adresser à elle [la communauté]… Demander à [Maître Albert] Karila
si Maître Tubiana représente quelque chose… »
Nous retrouvons la synthèse de ces remarques dans le courrier du
28 août 1954 résumées en ces termes :
« … Après avoir consulté Maître Karila, Vice-président de la
Municipalité de Nabeul et Délégué du Gouvernement auprès de la Caisse de
Bienfaisance [la Coumita], je suis arrivé en accord avec lui, à la conclusion
suivante :… Maître Tubiana se porte demandeur au nom des israélites de
Nabeul, mais à l’insu des dirigeants de la Caisse… Ceux qui ont confié
leurs intérêts à Maître Tubiana ne méritent pas d’être mieux indemnisés que
ceux qui ne l’ont pas fait… Donc, seule la Coumita doit être partie
prenante, puisque c’est elle qui a tout comptabilisé… Ce Comité, organisme
officiel, ne peut traiter avec l’État par le truchement d’un avocat (dont
l’utilité est réfutable d’après Maître Karila), puisqu’il s’agit de rapports
entre services publics… Donc au Comité de s’occuper des demandes
présentées par Maître Tubiana… »
Les victimes de guerre de la communauté juive
de Nabeul
Malheureusement cette guerre fit aussi des victimes parmi les enfants
originaires de Nabeul, bien qu’aucune d’entre elles ne fût tuée dans la ville.
Voici la liste, par ordre alphabétique, dans laquelle figurent pour la
première fois les noms et les circonstances de la mort de ces Juifs
nabeuliens :
« a) Clément Boujnah, né le 4 janvier 1921 à Nabeul, fut arrêté en
France et déporté le 23 mars 1943 par le transport no 52 du camp de Drancy
vers le camp de concentration de Sobibor10.
« b) Simon Chalom de Eliahou Guez [frère du Mohel Gaston Guez],
décéda le 24 février 1943 à l’âge de 24 ans, lors du bombardement de
l’aéroport de Tunis El-Aouina. Un éclat d’obus emporta sa jambe et cribla
son corps ; malgré les soins les plus urgents, il succomba à la suite d’une
hémorragie quelques heures après11.
« c) Émile Maylou Hayoun [dit Bayon], né le 25 décembre 1887 à
Nabeul et sa fille Liliane/Marcelle-Rachel12 Hayoun née le 21 juin 1923 à
Paris. Émile Hayoun vivait en France avec sa famille quand la guerre
éclata. Il fut arrêté dans la rue près de son domicile au 104, boulevard de la
Villette à Paris le 24 août 1942. Sa fille Marcelle avait été arrêtée à la sortie
de son travail, elle aussi à Paris lors de la rafle du Vél’ d’hiv’ qui eut lieu
les 16 et 17 juillet 1942. Ils furent tous deux déportés le 24 août 1942 par le
convoi no 23 vers Auschwitz où ils furent tués en 1942. Selon le
témoignage de son fils Jacques13, Émile Hayoun est mort dans le train qui
le conduisait du camp de Drancy vers Auschwitz. Sa fille Marcelle était
âgée de 19 ans à sa mort. Son épouse Émilie née Chiche, elle aussi
originaire de Nabeul, embarqua le 6 novembre 1942 à Marseille, avec ses
cinq enfants, sur un bateau qui fut escorté par des navires de guerre jusqu’à
Tunis d’où on les transféra au port de Bougie en Algérie.
« d) Meyer Jaoui, âgé de 29 ans, était un Juif de Tunis qui était employé
au travail obligatoire dans un camp près de Nabeul. Il décéda le 28 janvier
1943 à la suite d’un accident de camion allemand transportant des
travailleurs obligatoires entre Nabeul et Hammamet14. Il fut transporté et
enterré à Tunis, et laissa une veuve et des enfants en bas âge.
« e) Lila Myriam Messika [fille de Rebbi Mouchi de Rebbi Nessim
Haddad] décéda alors qu’elle était enceinte, avec ses beaux-parents
[Chalom et Simh’a Messika] et ses deux belles-sœurs [Hélène et Hanna
Messika], lors d’un bombardement à Tunis, par l’écroulement de
l’immeuble dans lequel ils habitaient. Son mari qui était sorti faire des
achats fut épargné15.
« f) Albert de Aaron Temam, était âgé de 22 ans quand il décéda, le
28 janvier 1943, à la suite d’un accident de camion allemand transportant
des travailleurs obligatoires entre Nabeul et Hammamet16. Il était l’aîné et
le soutien de famille pour son père, sa mère et ses neuf frères et sœurs.
« g) Les frères, Jacques Isaac (1915-1943) et Albert Benjamin (19171943) Valensi, respectivement étudiants en pharmacie et en médecine, fils
de Haïm Victor et Rachel Valensi, tous deux Juifs d’origine tunisienne
(Nabeul) qui « … résidaient à Marseille (11, rue Senac)… furent arrêtés le
22 ou 23 ou 24 janvier 1943 à Marseille lors de “l’action Tiger”… déportés
vers Compiègne puis Drancy. Le 23 mars 1943 ils furent finalement
déportés par le convoi no 52 à destination du camp d’extermination
Sobibor17… ».
Les indemnités payées aux familles Temam et Jaoui
Le 13 septembre 1944, Mardochée Mamou, président de la Coumita,
avait envoyé une lettre de réponse au contrôleur civil de Nabeul à propos de
l’accident de camion allemand qui avait provoqué la mort de Temam et
Jaoui. Il y avait fait savoir que :
« … il ne m’est pas possible de vous nommer d’autres témoins… Je me
permets de vous faire remarquer que les deux gendarmes qui ont dressé
procès-verbal au chauffeur pourraient peut-être témoigner… »
Ce courrier, rédigé en septembre 1944, seize mois après la libération de
Nabeul, faisait partie d’un complément d’enquête de l’accident ci-dessus
cité, afin de produire des nouvelles pièces à ce dossier qui fut de nouveau
traité en février et mars 1947.
En effet, le 24 février 1947, le contrôleur civil du cap Bon informait le
chef de poste de contrôle civil de Nabeul « … que d’après le registre de
comptabilité de M. Pons, ancien contrôleur civil [du cap Bon] à
Grombalia… il aurait été versé le 19 octobre 1943 à la communauté
israélite de Nabeul [la Coumita], une somme de 38 758 Frs… » et il conclut
en demandant de lui « faire connaître l’objet de cette indemnité… ».
Le 6 mars 1947, le président de la Coumita informait le contrôleur civil
de Nabeul « que M. le contrôleur civil [du cap Bon] à Grombalia nous a
versé contre reçu, la somme de 37 770 Frs le 13 octobre 1943… ». À la
demande de préciser les noms des bénéficiaires, Mardochée Mamou
ajoutait de sa main : « 1) Mme Veuve Meyer Bijaoui18… 2) M. Aron
Temam [père du défunt Albert Temam]… » Le lendemain, le 7 mars 1947,
l’information fut transmise par courrier du contrôleur civil du cap Bon à
Grombalia en précisant que la « somme a été versée à titre de secours…
[aux] parents respectifs de deux victimes décédées à la suite d’un accident
de camion allemand transportant des travailleurs obligatoires entre Nabeul
et Hammamet… ».
Cet échange de courrier est le seul témoignage qu’une somme ait été
payée à quelqu’un de Nabeul, ou en rapport avec Nabeul, à titre
d’indemnité. Il est important de signaler que cette indemnité, unique à notre
connaissance, a été versée à la Coumita et pas directement aux bénéficiaires
qui, de fait, reçurent l’argent de la Coumita, et non pas des autorités
françaises en Tunisie. Cette action indirecte permit d’une part aux autorités
de ne pas avoir un rapport direct avec les intéressés, et d’autre part donnait
à la Coumita, associée à cet acte d’indemnisation, une certaine prise de
responsabilité.
La chanson de la Libération
Pour conclure ce chapitre, nous allons rappeler un trait de culture, ou
peut-être de folklore tunisien, qui germa en ce temps de guerre, sous la
forme d’une chanson pro-Alliés libérateurs et bien entendu anti-Allemands
occupants.
Quand les Forces alliées libérèrent la Tunisie du joug des occupants
allemands et italiens, l’instinct populaire créa une chanson imagée du nom
de Khamous Jan, qui veut dire en judéo-arabe « Khamous est arrivé ».
Khamous19 est un prénom judéo-arabe masculin à valeur mystique censé
contrer le mauvais sort et le mauvais œil. En fait, ici, Khamous représente
les glorieux libérateurs qui portent ce prénom qui les « immunise » contre le
mal. C’est une longue chanson à plusieurs strophes, mais à Nabeul, suite à
la menace de rançon des deux millions, la population locale ajouta une
strophe propre à la communauté :
— Talbou A’lina Mèlionnéïne [Ils nous ont demandé 2 millions]
— Mène gho-doua fèl Tèch-a’ Ghéir Darjéïne [Pour demain à 9 heures
moins 10]
— Kamouch Jana ou Anana [Khamous (le libérateur) est venu et nous a
soulagés]
Il y avait aussi une seconde chanson qui était chantée à Nabeul dont le
refrain était le suivant :
— Hak – èl – Ouakt Ya-h’assra [À cette époque-là, il fut un temps]
— H’ata Mel – Babouch It-kmanda Fina [Même les escargots20
(Boches) nous commandaient]
— Yassèr A’lina – Yassèr A’lina [C’en est trop pour nous, c’en est trop
pour nous]
Conclusion
La Seconde Guerre mondiale a été ressentie dans toute la Tunisie ainsi
qu’à Nabeul. Le calme de la vie routinière de la communauté juive fut
remplacé par les tensions de la guerre. Il y avait un manque de nourriture,
les hommes étaient envoyés au travail obligatoire, des biens étaient
confisqués et par-dessus tout il régnait une atmosphère d’incertitude. Les
Juifs de Nabeul, qui ont beaucoup souffert de l’occupation allemande, ont
eu une joie dédoublée le jour de la libération, qui était aussi pour eux le jour
de la fin de l’angoisse d’une terrible agression qui avait failli être menée
contre eux, car ils n’avaient pas du tout les moyens de payer la rançon dont
ils avaient été l’objet la veille. Isaac Mamou a témoigné de ces événements
au moment même où ils se passaient. Ce témoignage vient d’être confirmé
par les nouvelles sources mentionnées dans cet article, et il enrichit l’image
que nous avons de la dernière journée d’occupation.
Suite à la collaboration de nombreux Arabes tunisiens avec les
occupants allemands, les Juifs se rendirent compte que la Tunisie, leur terre
natale depuis des générations, était en plein processus de réveil nationaliste
contre le gouvernement du protectorat français. Cinq ans plus tard, en 1948,
l’État d’Israël fut créé et devint un nouveau foyer d’attraction pour les Juifs
de Tunisie, en plus de la France. Nombreux furent les Juifs de Nabeul qui
immigrèrent en Israël, car ce nouveau pays devenait leur terre d’accueil,
leur abri, avec la liberté, l’indépendance et une sécurité personnelle
retrouvée. L’occupation allemande fut l’une des premières raisons dans le
processus qui poussa les Juifs à quitter la Tunisie. Ce fut aussi une étape
importante qui leur fit prendre conscience que la longue existence de la
présence juive sur le sol de Tunisie en général, et à Nabeul en particulier,
était en train de prendre fin.
*
ANNEXE 1
Le témoignage d’Isaac Mamou traduit du judéoarabe en français
Ce qui suit est la transcription intégrale du chapitre 31 [pages 190
à 193] du livre Regards sur les Juifs de Tunisie de Robert Attal et Claude
Sitbon. Ce chapitre a été écrit par Robert Attal, il y apporte la traduction du
judéo-arabe du texte original. Ce même document avait déjà été publié dans
la Revue des études juives en 1975.
Occupation nazie et libération alliée à Nabeul 21
Isaac Mamou était une personnalité de Nabeul : fondateur de
l’Association sioniste du cap Bon, il participa au Congrès sioniste, à titre de
secrétaire du délégué de Tunisie, le rabbin Jacob Boccara.
Traducteur, il travaillait, pendant l’occupation allemande, à la
traduction en judéo-arabe d’un manuscrit du célèbre romancier hébraïque
Abraham Mapou. Dans une préface à cette traduction, Isaac Mamou, ce
« Juif d’Israël en exil », comme il aimait à se définir, relate quelques faits
de l’occupation nazie à Nabeul, témoignage unique, naïf et émouvant.
Dans les premiers jours du mois de novembre 1942, l’armée allemande
occupa la Tunisie pour affronter les armées anglo-saxonnes stationnées au
Maroc, en Algérie et en Tunisie occidentale. Les Allemands s’avancèrent
contre les troupes anglo-saxonnes afin de les attaquer. Les troupes
allemandes qui s’installèrent le long des rivages de la Méditerranée prirent
position dans notre ville de Nabeul, en firent un centre militaire, et y
établirent une Kommandantur. Immédiatement après, une étroite
surveillance s’établit sur les routes, contrôlant les entrées et sorties de la
ville. Au début, j’ai pensé quitter la ville de Nabeul pour préserver ma
propre sécurité, mais les routes devenaient de plus en plus dangereuses. Les
troupes allemandes, par leurs multiples demandes, rendaient la vie difficile
à la population juive ; tout d’abord ils exigèrent d’elle de la literie, de
l’alimentation, des automobiles, des bicyclettes, des calèches, etc., sans
aucune redevance ; ils ont ensuite requis des travailleurs sans distinction
d’âge et exigé que la municipalité paye leurs journées de travail. Les
autorités allemandes réclamèrent en outre de la population de fortes
sommes d’argent sous menace d’emprisonnement ou d’otages, ainsi que des
ustensiles de cuisine et de table en verrerie ou en poterie. Nous pouvons
comparer ces faits à ceux qui se sont passés à l’époque où les Israélites
opprimés en Égypte avaient demandé aux Égyptiens la faveur [de
s’installer], mais ceux-là entrèrent de force et s’emparèrent de tout avec
autorité et les Juifs subirent cet affront sans réagir, en silence, jusqu’à ce
que Dieu les prenne en pitié. Cet état de choses m’a beaucoup tourmenté et
j’ai pensé écrire sur ces événements pour que cela reste en témoignage pour
le futur, mais je me suis demandé où était ma place parmi les lettrés qui ont
déjà évoqué ces événements, et, après avoir mûrement réfléchi, je me suis
dit qu’il était préférable de m’adonner à quelque chose qui allégerait mes
soucis et m’aiderait à oublier cette période tragique. Ainsi j’ai commencé à
traduire le roman du rabbin Abraham Mapou intitulé en hébreu Ayit sâbûa,
récit dont j’ai commencé la traduction au mois de novembre 1942 pour la
terminer en mars 1943.
Comme je viens d’en informer le lecteur, cette traduction a été terminée
au mois de mars 1943 et je n’ai pu l’adresser à l’imprimeur parce que les
communications sont très difficiles ; même mes amis de Tunis, je ne les ai
pas revus depuis le mois d’octobre dernier. Aussi j’ajoute cette [deuxième]
préface au lecteur pour l’informer des derniers jours de l’occupation
allemande dans notre ville. Le 10 mai 1943, arriva au local de la
communauté juive un Allemand en tenue de gendarme, accompagné de
deux soldats qui exigea de consulter les comptes en caisse de la
communauté. Après cela, il s’écria : « J’exige de vous que cet après-midi
avant six heures vous me prépariez un million de francs. » Les responsables
de la communauté lui répondirent qu’ils ne possédaient pas cette somme et
que, dans cette ville, il était impossible de réunir un tel montant. L’officier
leur dit qu’il attendrait jusqu’au lendemain matin neuf heures, mais que ce
serait alors deux millions de francs qu’il faudrait apporter, et que, si la
somme ne se trouvait pas prête, il serait porté un grave préjudice à la
communauté juive ; cela dit, il s’en alla. Le Conseil de la communauté a
groupé les personnes qu’il a pu rassembler le jour même, et tous décidèrent
de se présenter aux autorités locales, afin qu’elles les aident à retarder la
date fixée. Le brigadier de police s’est rendu avec le Conseil de la
communauté à la Kommandantur allemande pour leur dire qu’il était
stupéfait de la chose et se proposa d’être présent le lendemain pour
demander une prolongation du délai ; le Conseil se rendit ensuite chez le
chef de la gendarmerie, qui, lui aussi, fut surpris de la chose et se proposa
d’être présent le lendemain pour solliciter également une prolongation du
délai. Ce fut une très mauvaise nuit pour toute la communauté. L’aurore
parut, les oiseaux commencèrent à siffler, le jour se fit plus clair, le soleil
commença à paraître, ses rayons se raffermirent et l’atmosphère se tendit.
Grands et petits sortirent de leurs demeures, étourdis et consternés, chacun
ne s’éloignant pas de sa maison et ne comptant que sur Dieu qui a seul le
pouvoir de renverser la situation. C’était un mardi, jour où il est dit deux
fois le mot « Bon », le 6 Iyar 5703 qui correspond au 11 mai 1943. Les gens
attendaient le futur avec appréhension et se demandaient ce qu’il
adviendrait d’eux. Neuf heures moins dix ; chaque avance des aiguilles de
la montre était ressentie comme un coup de massue dans le cœur de chacun.
À neuf heures moins une minute, survint cet officier qui se présenta à un
membre de la communauté, et lui demanda la somme d’argent en question.
Il lui fut répondu qu’il allait à la banque la lui procurer, mais en vérité, il se
dirigeait à la Kommandantur. Soudain le chef de la gendarmerie fut saisi de
frayeur, quelques instants à peine avant le délai exigé, des tanks et des
camions apparurent alors à grand vacarme et aux cris de « Vive la
France ! » Puis surgirent les Anglais, les Américains et les Français, qui
sous les youyous et les chants occupèrent la ville. Les Allemands battirent
en retraite et la joie grandit chez les Juifs qui, dans leur détresse, se sont
rappelé [le verset] : « C’est un temps d’angoisse pour Jacob, mais il en
sortira triomphant », car ils ont certainement quelque mérite [à leur actif]
qui les a sauvés de cette détresse. Quant à moi, j’ai pensé qu’il était utile de
relater cet événement historique afin que cela reste un souvenir de joie et
d’allégresse pour les Juifs de Nabeul. Amen, et un salut de votre frère le
traducteur, serviteur de Dieu, Isaac Heskia Mamou, que Dieu le garde et le
protège.
Isaac Mamou
Revue des études juives, 1975.
(Traduction du judéo-arabe, Robert Attal.)
*
ANNEXE 2
Lettre du 11 mars 1954 à M. Aleman,
ex-chef du poste de police de Nabeul en 1943
C’est la lettre que M. Aleman, le chef du poste de police à Aïn-Draham,
a envoyée le 11 mars 1954 au secrétaire principal de la PJ et au chef du
poste de police à Nabeul en réponse à un courrier qui lui avait été adressé.
Ce document est issu des archives du ministère des Affaires étrangères
à Nantes. Dossier : Tunisie – Résident général / 2e versement / Article
No 2448 [dossier Communauté israélite de Nabeul].
Cinquième partie
IMAGES ET SOUVENIR
13
Images de la guerre 1939-1945 dans
la littérature judéo-maghrébine
d’expression française
par Guy DUGAS
Miroir d’un temps et d’une société, la littérature ne peut demeurer en
marge de l’événement. Mais elle le représente à sa manière, non comme le
feraient un document historique ou un simple témoignage. Ignorant les
ouvrages de témoignage, comme ceux de Borgel ou Attal en Tunisie,
d’Aboulker en Algérie, cette communication d’un spécialiste de littérature
étudiera donc les images littéraires de la guerre 1939-1945 qui
transparaissent dans les romans d’auteurs juifs, qu’ils aient été composés
durant cette guerre ou postérieurement. On verra qu’elle ne s’interdira pas
non plus de faire un petit détour du côté du cinéma.
L’AFRIQUE DU NORD DURANT LA GUERRE
On s’intéressera d’abord à la description de la vie durant la guerre,
assez différente – on peut l’imaginer – selon que l’auteur situe son œuvre au
Maroc, en Algérie ou en Tunisie.
Une Tunisie italo-allemande
— Albert Memmi : La Statue de sel (Corréa, 1953)
Il s’agit d’un premier roman, écrit dans les années qui suivent la guerre,
en grande partie dans le nord de la France dévastée : Albert Memmi et son
épouse sont alors en poste à Amiens, l’une des villes les plus détruites par
les bombardements alliés. C’est dire que ce roman est marqué d’un trauma
très fort. On sait que Memmi ambitionne de raconter l’ouverture d’un jeune
Juif né au fond de l’impasse Tarfoune dans l’entre-deux-guerres, années
capitales pour les judaïcités tunisiennes, vers le monde – celui des adultes
d’abord, celui des non-Juifs ensuite, c’est-à-dire en contexte colonisé, et,
comme dirait le regretté André Chouraqui, sa « marche vers l’Occident ».
Dans cette démarche personnelle, la guerre se présente au narrateur
comme une collision, je veux dire que ce n’est plus l’individu qui va vers le
monde, mais le monde qui vient brusquement à lui :
« Pour sortir de moi-même, ai-je dit, j’essayais d’aller vers le monde. Je
n’eus pas à faire de gros efforts. Le monde brusquement faisait irruption
dans ma vie, m’entraînait avec une telle violence que je ne compris pas ce
qui m’arrivait. La guerre, si lointaine, si longtemps inoffensive que nous
nous y étions habitués, se faisait subitement présente, explosait dans nos
murs. » (p. 281)
Fidèle à son habitude d’hypersensibilité au malheur d’être juif, Albert
Memmi s’étend sur les brimades et les persécutions subies par la
communauté durant les mois d’occupation allemande :
« Nous eûmes nos victimes, exécutées pour punitions, erreurs ou
plaisanteries, nos femmes violées, nos demeures pillées. » (p. 295)
Alors que ses compatriotes témoignent combien « la présence toute
proche des forces alliées permit aux Juifs de Tunis de traverser l’épreuve
dans des conditions beaucoup moins dramatiques que leurs coreligionnaires
d’Europe et sans commune mesure avec le sort atroce qui leur fut réservé.
Et bien que l’angoisse fût leur lot quotidien, l’humour ne perdit jamais ses
droits1 ».
Pour le narrateur de La Statue de sel, ce seront les camps de travail
obligatoire, la fuite et le passage en Algérie, puis en France.
— Serge Moati : Villa Jasmin (Fayard, 2003)
Il s’agit là d’un roman historique (y apparaissent des personnalités
ayant réellement joué un rôle dans le conflit armé en Afrique du Nord,
comme l’ignoble Georges Guilbaud ou l’ambassadeur Rudolf Rahn, que
l’auteur semble avoir interviewé [p. 154]) et bien plus tardif, composé dans
des conditions d’énonciation très différentes, qui présente à travers les yeux
d’un narrateur bien plus jeune des événements subis par la génération de ses
parents2. Des parents qui, contrairement à la famille Benillouche, jouent un
rôle social et même politique non négligeable : Serge Moati, le père,
journaliste socialiste et influent, directeur du journal Le Populaire, a été
expulsé de Tunisie par le résident Peyrouton. Lorsque la guerre éclate, il est
mobilisé et – ironie de l’histoire – incorporé à Bizerte, la ville même où il
est né ! Après la débâcle et quelques mois de séparation, sa famille peut le
rejoindre à Tunis, où elle réintègre le domicile familial, cette villa Jasmin
qui donne son titre au roman. En dépit des lois antijuives et de l’hypocrisie
ambiante, il renoue avec son métier de journaliste et prend contact avec la
Résistance. « De sévères mesures antijuives déferlent sur Tunis » (p. 162).
La villa Jasmin est réquisitionnée, et la famille passe d’une cache à l’autre.
Le 9 décembre 1942, Borgel, président de la communauté juive, est
convoqué d’urgence à la Kommandantur qui lui demande de recenser les
Juifs ; une affiche est placardée : « Tous les Juifs, de dix-sept à cinquante
ans, doivent se tenir prêt pour le service du Travail obligatoire. »
Ces deux romans présentent donc Tunis en guerre, essentiellement la
Tunis italo-allemande des lendemains du débarquement allié au Maroc et en
Algérie. De manière plus générale et autobiographique dans le premier, plus
pointilleuse et historique dans le second. La Tunisie est d’abord un théâtre
majeur de la guerre : mouvements de troupes, bombardements…
L’insécurité ambiante, les difficultés d’alimentation, ajoutées au statut des
Juifs, conduisent à l’errance, avec un passage fréquent par Hamman-Lif,
« déclarée “ville ouverte” car le Bey y avait installé son palais et s’en
servait comme résidence de villégiature d’hiver3 ».
De ces deux romans d’auteurs judéo-tunisiens ressort l’idée que la
guerre constitue pour les Juifs d’Afrique du Nord un événement assez inouï,
proprement insensé pour le microcosme qu’ils constituent, vivant une
existence quasi autarcique, sans le moindre poids ni pouvoir local et encore
moins international :
« D’ailleurs cette guerre n’avait pour nous aucune signification. Ni
même aucune guerre. De mémoire d’homme, de mémoire de groupe, nous
n’avions jamais été intéressés dans un conflit armé. C’étaient là des jeux et
des catastrophes européennes ; nous en subissions les contrecoups puisque
nous étions liés à l’Europe, mais notre cœur ni notre esprit n’en étaient
préoccupés. »
Du coup, hormis quelques personnages de résistants comme Serge
Moati, la communauté est globalement présentée comme perdue, plongée
dans une tourmente qui la dépasse, à laquelle elle n’est nullement préparée
et qu’elle ne comprend pas. À l’image de Mordekhaï, les héros de ces
romans, pris entre le marteau et l’enclume, se conduisent bien davantage
comme des patients que comme des agents de leur propre destin4.
En Algérie, le Grand Carnaval
Le mouvement de résistance juive d’Alger – un des hauts faits de
l’histoire des communautés judéo-maghrébines, sur lequel les témoignages
ne se comptent plus (Marcel Aboulker : Alger et ses complots, Henri
Chemouilli : Les Juifs d’Algérie, une diaspora méconnue, Jean Daniel : Le
temps qui reste…) – laisse paradoxalement peu de traces dans la littérature,
hormis dans un roman de René Sussan, L’Étoile des autres (Denoël, 1967),
où l’on suit la destinée d’un groupe de jeunes Juifs depuis la fin des années
1930 jusqu’à leur dispersion après l’indépendance de l’Algérie. L’un
d’entre eux, Jean Toléda, est entraîné dans un groupe de résistance et, à la
veille du débarquement, il conseille à son camarade : « Ce soir, ne sors pas,
je ne peux pas t’expliquer, mais tu comprendras demain. » La journée du
8 novembre 1942 est ensuite décrite par le détail, p. 81-84. « L’équipée » de
ces jeunes gens et leur participation à l’opération Torch est traitée sur le
mode de l’humour et qualifiée de « chahut gigantesque »… Peu de choses
en somme, et jamais considérées sur un mode emphatique ou épique.
Ce que retiennent principalement les écrivains judéo-algériens de ce qui
s’est passé dans ce pays, c’est surtout Le Grand Carnaval consécutif au
débarquement allié (pour reprendre le titre d’un film d’Alexandre Arcady) :
règne du billet vert, marché noir, activité si partagée d’ouest en est qu’elle
inspire comptines et chansonnettes, découverte du chewing-gum et des
musiques de jazz :
« Ils vous ont fait découvrir l’abondance, le plaisir de jouir du superflu
et même du gaspillage », commente Émile Brami dans Le Manteau
d’Arlequin (Fayard, 2007).
La communauté juive est alors présentée selon les stéréotypes
habituels : heureuse de vivre et avide des plaisirs superficiels qu’apporte la
modernité occidentale, elle se plonge avec empressement dans le tourbillon
de ces nouveaux plaisirs d’importation. Les Juifs marchandent, servent
d’intermédiaires, retrouvent quelquefois face aux armées alliées les
fonctions d’interprète qu’ils exerçaient naguère face aux troupes coloniales.
Ce qui les éloigne encore un peu plus de la majorité arabo-musulmane qui
conserve vis-à-vis de tous ces événements une grande distance.
SUR LA GUERRE EN EUROPE
Il faudra attendre plusieurs décennies avant que la guerre et les drames
des communautés juives d’Europe apparaissent et soient commentés dans la
littérature judéo-maghrébine. D’abord, en effet, l’ignorance, le manque à
peu près complet de communication, puis l’impossibilité de concevoir
l’ampleur de la catastrophe5.
Lorsque cela se fera, ce sera le plus souvent par le biais de la poésie,
comme nous l’avons vu chez Knafo, ou des formes brèves (Ryvel,
Doukhan,..). De manière partielle et parfois embarrassée, comme nous
allons le montrer : un seul roman et plusieurs recueils de nouvelles en font
leur sujet intégral.
Le roman est de Nine Moati et s’intitule La Passagère sans étoile (Le
Seuil, 1989) : Jeanne est une jeune Française qui se retrouve prisonnière de
l’Anschluss, à Vienne où elle s’est aventurée par amour. Ses années de
guerre se résument à une longue errance à travers l’Europe à feu et à sang,
avant qu’elle puisse regagner la France occupée pour y rejoindre la
Résistance. Il s’agit là d’une pure fiction, sans lien réel avec le vécu de
l’auteur, ni même de sa communauté d’origine.
Images de la Shoah : Ryvel
Dans ce panorama forcément rapide, je voudrais faire une part
substantielle à l’œuvre de Ryvel, pseudonyme de Raphaël Lévy (18981972), connu essentiellement pour ses contes, nouvelles et novellas 6 de
l’entre-deux-guerres, notamment L’Enfant de l’oukala, prix de Carthage en
1931. Car il est toute une partie de cette œuvre qui reste ignorée – et c’est
sur cette partie que je voudrais insister à présent.
Nouvelles et poèmes de guerre
Durant la guerre, Ryvel se trouve au Maroc, où il dirige l’école de
l’Alliance israélite universelle de Casablanca. En 1943 et 1944, il publie
dans le journal Paris, édition de Paris-soir replié en Afrique du Nord,
diverses chroniques, des scènes vues et des contes de France, très marqués
par le souvenir de la guerre et le calvaire des Juifs d’Europe7.
Puis, immédiatement après la guerre, ce sera Le Nebel du Galouth
(Tunis, la Cité des Livres, 1946), un recueil poétique particulièrement
sombre au sein duquel on lit l’horreur européenne, le récit de l’Holocauste,
les camps de concentration, qui disent ici, enfin, leur nom :
Jeunes Filles, éblouissant essaim,
Jeunes Hommes sous vos smokings sévères,
En quête de festivités légères, Voici s’ouvrir le bal des Assassins !
Ce qu’on y joue ? Un chapelet de danses :
Valse, java, tango, swing, rumba, slow…
Et pour corser le gala, à huis clos, sonné minuit, un concours
d’endurance.
— Où sommes-nous ?
— À Matthausen, pardi !
— Qu’est-ce ?
— Voyons, un effort de mémoire :
chambres à gaz, bûchers, fours crématoires,
gais cotillons : c’est un vrai paradis. […]8
Ce court mais dense recueil, composé dans les mois qui suivirent la
Libération, présentant la « flore infernale » née au « jardin maudit des
supplices de Hitler », de la révolte de Varsovie, longtemps passée sous
silence dans l’historiographie juive9, aux promesses d’un sionisme
revivifié10, constitue à nos yeux l’une des toutes premières marques de la
prise de conscience de l’indicible de la Shoah.
Destins, ou le ghetto à l’école
La collection « Pages d’Alliance » que je dirige aux éditions Le
Manuscrit.com/AIU a publié dans l’été 2008 un gros roman inédit de Ryvel,
Destins, ou le ghetto à l’école, dont la composition montre bien qu’il s’agit,
dans l’esprit de son auteur, de son opera maxima, de l’œuvre de toute une
vie. Une œuvre maladroite toutefois, dont la composition fut plusieurs fois
reprise, la publication maintes fois différée, ainsi que le prouvent les
extraits donnés à différentes revues à des moments très divers de la vie de
l’auteur11.
Ce récit, qui s’étale sur une quinzaine d’années incluant la guerre,
débute par l’installation à l’école de l’Alliance de la rue Malta-Srira de
Ruth, une jeune institutrice tout juste sortie de l’ENIO. Elle ne tarde pas à
se lier avec Simon, un jeune médecin dévoué et aimant. La seconde partie
concerne la période de la guerre, pour laquelle Simon est aussitôt mobilisé.
Il en revient avec une horrible blessure qui met à mal sa virilité et prive le
jeune couple de tout espoir d’avoir des enfants. Sur la période de la guerre
proprement dite, c’est à peu près tout. Dès lors, ce sont les enfants de
l’Alliance – ceux que Simon soigne et que Ruth instruit – qui deviendront
ceux du couple… si bien que la fin de leur univers est moins constitué par
la découverte de la « Solution finale » que par le crash à Oslo d’un avion
conduisant vers un sanatorium norvégien de jeunes orphelins dont ils
s’étaient occupés12 – épisode qui constitue la troisième et ultime partie.
Roman de toute une vie, Destins – où la guerre 1939-1945 ne tient
finalement pas le rôle qu’elle aurait pu tenir – est une œuvre touffue et mal
composée, écrite trop au fil de l’actualité et sans doute trop ambitieuse
puisqu’elle envisage de brosser l’existence de la communauté juive de
Tunisie sur un quart de siècle d’une histoire toujours plus riche et plus
dramatique : le tournant de l’entre-deux-guerres, si important pour le
devenir des judaïcités maghrébines, le choc de la guerre puis les espoirs de
la création de l’État d’Israël et le sort des judaïcités au moment des
décolonisations. Cela fait beaucoup pour un seul auteur, et la saga des Juifs
d’Afrique du Nord reste encore à écrire !
Encore la nouvelle. Pourquoi la nouvelle ?
Bien après la guerre, Victor Cohen Hadria consacre chacune des treize
nouvelles de son recueil Isaac était leur nom (Albin Michel, 1997) au sort
d’un Juif, homme ou femme, d’Europe centrale dont le destin a basculé au
cours de cette terrible année 1940. Dans un autre recueil de la même
époque, L’Arrêt du cœur (Denoël, 1998), une nouvelle de Rolland
Doukhan, L’Homme aux oiseaux, met en scène les malheurs des Juifs
autrichiens.
La question que je voudrais poser ici, sans toutefois me soucier d’y
répondre, est donc celle-ci : pourquoi, quand il s’agit d’aborder, que ce soit
sur le coup des événements ou plus tardivement, la guerre en Europe et la
disparition des Juifs ashkénazes, des écrivains, par ailleurs romanciers
volontiers prolixes lorsqu’il s’agit de leur communauté, ne parviennent-ils
plus qu’à s’exprimer à travers la forme brève – comme si un tel drame
nécessitait brièveté et rupture ?
AU-DELÀ DU DRAME : L’HUMOUR JUIF
Je voudrais, pour clore ce florilège d’images sur une note moins
tragique, évoquer deux cas de dépassement de l’horreur dans l’humour,
ceux d’Isaac D. Knafo dans ses poèmes et de Claude Kayat dans un roman.
Isaac Knafo : L’humour est enfant de poème
Isaac D. Knafo est né à Mogador en 1910 et mort en 1979 au kibboutz
de Ramat-Hakovech où il était venu s’installer en 1956. Peintre et poète, il
n’avait guère diffusé de son vivant qu’un ou deux recueils, Les Jeux et Les
Rimes et maroquineries. Mais après sa mort, son neveu Asher (qu’il en soit
remercié) réunit à ses frais ses œuvres intégrales en deux volumes : le
Mémorial de Mogador. Nourritures – contes – personnages
(septembre 1993) et L’humour est enfant de poème (avril 1997). Dans ce
dernier ouvrage, où sont reprises des œuvres déjà imprimées, figure un
ensemble tout à fait extraordinaire de poésies de guerre, sous-titrées
« pamphlets ». L’édition originale, nous dit la préface d’Asher Knafo, a
paru à 2 500 exemplaires à Mogador dès septembre-octobre 1939, sous une
couverture présentant sans ambages Hitler en gorille ! Mais quelques mois
plus tard, les lois de Vichy s’appesantissant sur les judaïcités marocaines, la
communauté de Mogador fait pression sur le poète afin qu’il détruise ce
recueil compromettant – ce que fera Knafo. Et pendant plus de cinquante
ans, on perdra trace de ces sonnets, jusqu’à ce qu’en préparant l’édition de
L’humour est enfant de poème, Asher en retrouve par hasard un exemplaire.
Une adresse au lecteur suffit à indiquer la virulence du recueil :
J’ai vu fleurir la haine au pays des nazis,
Et toute une nation subir la virulence
De l’acide rongeur qu’en ses discours lui lance
Un bouffon démentiel en guise de lazzi.
Ce pitre malfaisant, par la fureur saisi,
Prêchant la délation, le meurtre et la violence,
J’ai senti que mon front, malgré ma nonchalance,
De honte et de dégoût, devenait cramoisi.
Le fouet satirique, entre mes mains débiles,
À fustiger Hitler se montre malhabile ;
Du moins exprime-t-il toute mon aversion.
Et c’est pourquoi, lecteur, dussé-je te déplaire,
Pour exhaler ma peine et crier ma colère,
Je t’offre cet écrit rempli d’indignation.
On y trouve même, bien évidemment sur le mode de la dérision, une
Ode à Hitler qui tout à la fois se moque du modèle et de ces Odes à Pétain
qui au même moment abondent sous la plume des poètes nord-africains,
même parmi les mieux intentionnés (je pense ici notamment au jeune Jean
Sénac, et à Jules Roy qui, lui, n’a même pas l’excuse de la jeunesse). Et
l’on reste sidéré à la lecture d’un poème comme « L’Enfer » qui, s’il ne
permet pas de soupçonner l’ampleur que prendra l’Holocauste, signifie déjà
toute l’horreur des camps. Faut-il rappeler que nous ne sommes qu’en 1939,
à l’aube de la guerre ?
Claude Kayat : Hitler tout craché
Claude Kayat est né à Sfax (Tunisie), en cette même année 1939. Il est
l’auteur d’une demi-douzaine de romans, parmi lesquels Hitler tout craché
(L’Âge d’homme, 2000).
Il nous y présente Rémi Poirier, 17 ans, Français moyen, qui découvre
avec stupéfaction, et à travers le regard des autres, qu’il ressemble
terriblement à Hitler. D’abord il s’interroge :
« Je me demandai si j’avais reçu un tel faciès en partage parce qu’un
monstre couvait dans le tréfonds de mon être. Et si j’étais voué à faire le
mal, à répandre autour de moi deuil et souffrance ? »
Bien qu’il ne s’applique d’abord qu’au bien et à la vertu, il ne cesse de
désobliger, du fait même de cette troublante ressemblance (p. 24-25 :
incident dans le bus avec un handicapé). Les conflits nés de son physique
conduisant à une somme de malentendus, il décide que « la vertu n’[es]t pas
[s]on élément naturel » et [qu’]il s’y « sent ridicule ». Il finit donc par se
convaincre que c’est « à faire le mal qu’[il] étai[t] plutôt destiné ».
Décidé à « aller jusqu’au bout de [s]a ressemblance, jusqu’au terme de
[s]a vérité, jusqu’à l’aboutissement de [s]on destin, quel qu’il fût. Et quel
qu’en fût le prix », il s’abandonne donc pleinement à la condition que lui
vaut cette ressemblance et s’applique à parfaire sa culture aryenne « en
écoutant en boucle La Walkyrie de Wagner » ou en lisant et relisant Mein
Kampf en version originale ! Il séduit Maryvonne – une marginale qui
fantasme sur le Troisième Reich et avec qui il fait l’amour sur fond de
vidéos racistes ou guerrières. Peu à peu, convaincu par une bande de
néonazis, il parvient à se convaincre qu’il est « maintenant un Führer. Plus
que son héritier, un second lui-même » (p. 73).
Conclusion
Mon propos, on l’aura noté, n’était pas de me montrer ici exhaustif,
mais de relever quelques images originales, et propres sans doute aux
œuvres littéraires. La littérarité, on l’a montré, induit un rapport particulier
au réel, surtout lorsqu’il prend des formes aussi dramatiques.
Dans un article sur le 8 novembre 1942 dans la littérature judéomaghrébine, Colette Toutiou Benitah, de l’université Bar-Ilan s’interroge :
« Pourquoi cet acte de bravoure [la participation de la communauté
juive à la résistance et au débarquement allié en Algérie et au Maroc]
auquel ont participé quelque cinq cents jeunes Juifs d’Algérie n’a-t-il que
peu inspiré les écrivains juifs nord-africains jusqu’à ce jour ? […] le
massacre des Juifs d’Afrique du Nord, inscrit dans le projet d’extermination
nazi, fut évité de justesse. Comment se fait-il que ce sauvetage n’ait donné
lieu à aucune inscription dans la mémoire collective juive13 ? »
Et Colette Touitou de donner trois raisons majeures à ce silence : « des
consignes de silence venues de haut », une volonté d’humilité face à la
tragédie incommensurable que représente la Shoah, et un manque chez les
auteurs judéo-maghrébins « de tradition de prise de conscience dramatique
du vécu » ayant pour conséquence d’évacuer « toute interprétation héroïque
du passé ». En tant que critique littéraire, et pas seulement historien de la
littérature, je privilégierais ce dernier motif.
De qui, sinon d’un romancier, Claude Kayat, né en Tunisie à la veille de
cette terrible guerre – Juif, certes, mais d’abord romancier –, aurions-nous
pu attendre une comparaison aussi dérisoire ? Un point de vue d’artiste : ni
exhaustif, ni objectif, donc – et pourtant si ressenti et si vivant qu’il fait
écho en chacune de nos mémoires à tel souvenir vécu, à telle anecdote
rapportée. Car tel est à mes yeux le pouvoir de la littérature.
14
L’élaboration du souvenir
de la Seconde Guerre mondiale
en Afrique du Nord. Première
période – expressions littéraires
et historiographie
par Haïm SAADOUN
Introduction
Le jeudi 15 février 1968 les membres du kibboutz Regavim se réunirent
dans la Maison de la Culture du kibboutz. Comme il se doit, une petite
estrade placée dans la salle accueillait une table et quatre chaises.
L’assistance était constituée de membres du kibboutz. L’animateur de la
réunion prit la parole :
« La vérité est que nous ne savons pas grand-chose sur les années de la
guerre en Afrique du Nord. Tout ce que vous nous raconterez sera pour
nous nouveau et tout sera important. Je vous demande d’avance d’excuser
nos questions qui seront empreintes de la réalité que nous avons connue.
C’est-à-dire que nous essaierons de transférer à l’Afrique du Nord les
concepts dont nous sommes familiers en ce qui concerne l’Europe de l’Est.
J’imagine que nos questions vous sembleront plus d’une fois naïves ; c’est
vous qui nous ferez percevoir en quoi le contexte était différent. Mes amis
et moi-même sommes satisfaits d’avoir l’occasion de sortir du cercle dans
lequel nous évoluons depuis tout ce temps et d’apprendre des choses se
rapportant à la vie, la lutte et la souffrance des communautés juives
d’Afrique du Nord1. »
Autour de la table avaient pris place Itzhak Abrahami, Gad Shahar et
Shoshan Cohen. Les deux premiers étaient appelés à marquer dans l’avenir,
chacun dans son domaine, la recherche et la documentation des
témoignages des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre
mondiale. Le premier intervenant fut Itzak Abrahami, qui devait plus tard
achever une thèse de doctorat sur les Juifs de Tunisie et fonder l’Institut
pour la recherche sur le mouvement sioniste pionnier dans les pays d’islam
à Yad-Tabenkin. La question de la guerre lui tenait à cœur, puisque cette
guerre avait été la cause de son Alyah. Son ami, également membre du
kibboutz et sensiblement du même âge, Gad Shahar, devait devenir l’un des
meilleurs narrateurs de la période de Vichy et de l’occupation allemande, et
ce n’est pas sans raison que le nouveau musée de Yad-Vashem a décidé
d’exposer son témoignage sur de grands écrans plasma.
Cette situation reflète en quelque sorte l’histoire des Juifs d’Afrique du
Nord durant la Seconde Guerre mondiale et celle de la société israélienne.
Cinquante ans après, les « témoignages » ne semblent pas apporter de
nouvelles informations. En 1968, ils étaient peut-être nouveaux pour ceux
qui y furent confrontés, mais ils restèrent sans écho. Les propos de
l’animateur de la rencontre font allusion à leur caractère innovant. Mais il
convient de poser quelques questions. Itzhak Abrahami et Gad Shahar
arrivèrent à Regavim en 1944. « Le groupe nord-africain2 » qu’ils avaient
fondé à Regavim était puissant et uni. La rencontre de février 1968 était-elle
une première occasion pour les membres du kibboutz d’entendre ce que
leurs frères d’Afrique du Nord avaient à raconter sur la période de la
guerre ? Est-ce que les membres du groupe nord-africain s’étaient montrés
réticents à ce sujet ou bien était-ce un indice du manque de conscience des
membres du kibboutz à cet égard ? Ces questions doivent faire l’objet d’une
recherche à mener auprès des membres du kibboutz.
Cinquante ans après cette réunion cruciale, il semble que la recherche
historique ait largement progressé et la place des Juifs d’Afrique du Nord
dans la mémoire historique collective de la période de la Shoah et de la
Seconde Guerre mondiale gagne en importance. On peut diviser
l’historiographie et l’élaboration du souvenir de la guerre en cinq périodes.
On retrouve, tissés dans chacune d’entre elles, les aspects de la mémoire et
de l’historiographie.
La première période, 1944-1954, est caractérisée par la rédaction et la
publication des premiers témoignages de guerre et par le début de la
recherche scientifique. La deuxième, 1956-1986, est celle du silence. La
mémoire historique est reléguée au second plan et la recherche, s’il en est,
en est encore à ses débuts. La troisième période, 1986-1997, s’inscrit sous
le signe du développement de la recherche qui s’approfondit et pose ses
bases ; néanmoins la mémoire historique n’est pas encore développée et n’a
pas conquis sa place dans l’élaboration du souvenir historique des Juifs
d’Afrique du Nord. La quatrième période, 1997-2006, assiste au déclin de
la recherche scientifique tandis que l’intérêt des Juifs d’Afrique du Nord et
celui du public en général vont grandissant. La dernière période, de 2006 à
nos jours, révèle un équilibre entre recherche scientifique et prise de
conscience publique, exprimée notamment par la déposition de témoignages
relatifs à l’époque.
Notre article portera sur la première période pour analyser comment les
Juifs d’Afrique du Nord dans leurs pays respectifs décidèrent d’exprimer
leurs souvenirs et leurs sentiments à l’égard des événements de la guerre.
Cette époque, la plus proche des événements eux-mêmes, avant que les
Juifs de la région ne la quittent et rencontrent des coreligionnaires ayant
vécu la Shoah, avant qu’ils ne soient confrontés à l’un des ethos fondateurs
de l’État d’Israël et du peuple juif après la guerre. Cette époque comporte
d’autres facettes : que savait le Yishouv juif en Eretz Israël des événements
d’Afrique du Nord ? Comment a-il réagi ? Ce sujet, quoique important, ne
s’inscrit pas dans le débat présent car il risque de le détourner de son axe
principal – soit les modes d’expressions publics de la guerre3. Ce genre de
publications, traitant des Juifs d’Afrique du Nord pendant la guerre, fut
absent de la vie du Yishouv en Eretz Israël4. Quelques articles furent
publiés par des soldats ou des émissaires, mais pas davantage.
Premières manifestations littéraires
La période de l’après-guerre se fit l’écho de nombreuses protestations,
explications et excuses. Ce sera la matière de notre présent débat. Mais les
voix qui ne se firent pas entendre sont également révélatrices de la situation
des Juifs à cette époque. D’un pays à l’autre, les réactions furent différentes.
Certaines ne seront accessibles que des dizaines d’années plus tard, avec la
découverte de journaux tenus par des Juifs sous l’occupation allemande en
Tunisie. À ce jour5, on recense 38 écrits littéraires publiés après la guerre
ou avant elle : 26 de Tunisie, 9 du Maroc et 3 d’Algérie. Nous n’avons pas
trace de réactions littéraires de Libye pour la période ultérieure à la guerre.
Quatre réactions ont été rédigées en français, deux en hébreu, les autres, en
judéo-arabe. Seuls deux ouvrages antérieurs à la guerre ont été portés à
notre connaissance ; ils font état de la crainte ressentie vis-à-vis de
l’Allemagne. Les auteurs des textes rédigés en hébreu sont des rabbins qui
traitent des événements de l’époque. Trois des textes en français sont des
journaux de personnes actives dans la vie communautaire pendant la guerre.
Le quatrième est un roman autobiographique écrit vers la fin de l’époque.
L’ensemble de ces œuvres éclaire la période de manière assez complète. Il
semble que ces différentes œuvres témoignent de l’importance accordée à
l’actualité par ses contemporains. C’est l’événement qui a donné lieu au
nombre de réactions le plus important.
Il semblerait que cet échantillon de réactions ne représente que
partiellement l’ensemble des écrits publiés après la guerre. Pendant la
guerre ainsi qu’après la guerre, mais en moindre quantité, les Juifs
s’exprimèrent sur cette période, ce n’est qu’au cours de la dernière décennie
qu’ont été publiés ces journaux. On ne sait pas pourquoi ils ne l’ont pas été
en leur temps. Il est plus facile d’expliquer pourquoi leur publication a lieu
à présent, mais ce n’est pas notre propos.
Les réactions au Maroc
Dans « La Méguila de Hitler en Afrique du Nord », Michal Saraf
divulgue plusieurs textes, principalement des complaintes écrites par des
Juifs en Afrique du Nord6. Elle présente sept textes rédigés au Maroc, tous7
publiés après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, dans le
cadre de l’opération Torch. Le débarquement américain fut considéré
comme un événement miraculeux, destiné à sauver les Juifs. Ainsi N.D,
auteur du qasida « Une voix appelle de Rome… » « Les Britanniques et les
Américains détruiront tout mouvement hitlérien sur l’axe, sanctifiez la
guerre aérienne et c’est par les Russes qu’arrivera le Salut8 » ou le qasida
de Y. P « Maaouda… » décrivant le débarquement des Américains en citant
sa date précise9. Outre la dimension du miracle, le débarquement américain
est l’occasion d’annoncer au public le début d’une nouvelle ère.
Les œuvres ne traitent pas de la « souffrance » des Juifs du Maroc. Il
semble que leur sort soit secondaire par rapport à la délivrance du peuple
juif écrasé sous le joug de son ennemi. Cela s’explique par au moins deux
faits. Premièrement, les Juifs du Maroc étaient parfaitement conscients de la
montée du nazisme au pouvoir et de la politique internationale de l’entredeux-guerres. La presse juive, et particulièrement L’Avenir illustré, publiait
régulièrement des informations à ce sujet. Une autre explication peut être la
crainte que le sujet de la condition des Juifs du Maroc soit néfaste aux
Français, responsables de la souffrance des Juifs. Cette position peut être
corroborée par les vœux et compliments dont la France fait généralement
l’objet dans ces qasidas. Par exemple, dans « Une voix appelle de
Rome… », le poète écrit : « Comme tu es belle Ô République, tu as apporté
la liberté aux habitants d’Afrique10… » Et n’oublions pas que tous ces
poèmes devaient obtenir l’accord de la censure française.
La « Haggada de Hitler » est une exception. Elle comprend des
descriptions historiques des batailles livrées en Afrique du Nord, de Libye
en Algérie, et mentionne, quoique brièvement, l’abolition des décrets de
Vichy au Maroc11. L’auteur a choisi le style de la « Haggada de Pessa’h »
pour s’exprimer :
« Si De Gaulle avait rendu aux Juifs leur travail,
Sans sauver nos Pères, cela aurait été suffisant.
Si de Gaulle avait sauvé nos Pères,
Sans annuler les décrets contre les Juifs, cela aurait été suffisant.
Si de Gaulle avait annulé les décrets contre les Juifs,
Sans réinsérer les Juifs à leurs postes, cela aurait été suffisant12. »
Cela semble être la description la plus détaillée de la situation des Juifs
au Maroc ainsi que la plus concrète, mais d’un point de vue historique, elle
manque de précision. La référence à de Gaulle, sauveur des Juifs du Maroc,
est une forme de compromis qui permet à l’auteur de ne pas critiquer la
France de Vichy, responsable de ces décrets.
Autre point intéressant. Deux des qasidas approchent le sujet sioniste.
Ainsi, dans le qasida de Hitler, l’auteur prie Dieu « pour qu’il permette à
son Peuple de rejoindre la Palestine et le laisse y vivre en liberté13 ». Cela
pourra être perçu dans l’esprit traditionnel liant la délivrance messianique
au retour à Sion, mais aussi dans une perspective plus moderne, considérant
Eretz Israël comme une alternative concrète à la détresse des Juifs du
Maroc. Ce sujet sera développé plus amplement par la suite.
Les réactions en Tunisie
On peut diviser la réaction des Juifs de Tunisie selon la nature de la
publication. Outre la poésie populaire, des journaux de guerre furent publiés
et des rabbins s’exprimèrent également à ce sujet.
La poésie populaire des Juifs de Tunisie sur l’Allemagne nazie a été
publiée récemment par Avraham Attal14. Cette poésie était une des
manifestations de l’intérêt porté à l’actualité et aux événements politiques.
Attal a publié cinq élégies, dont trois réagissant à la prise du pouvoir par
Hitler et décrivant la situation des Juifs allemands sous le régime hitlérien.
Ces élégies ne s’intéressent pas au destin des Juifs de Tunisie, mais elles
ont été un moyen d’expression supplémentaire pour informer les Juifs de
Tunisie de la situation de leurs confrères d’Allemagne. Notre article porte
sur les autres élégies.
Contrairement aux descriptions présentées par les auteurs marocains,
les Tunisiens approchent directement les souffrances des Juifs sous
l’occupation allemande (novembre 1942 à mai 1943). « La complainte de
nos victimes des travaux (forcés) allemands » est en fait un appel de
l’auteur, Gaston Guez, à l’achat de son ouvrage (« Mes frères, achetez mon
livre, j’y ai travaillé nuit et jour ») sur ce sujet. L’auteur intensifie la pénible
expérience de l’occupation en évoquant l’écart entre l’existence tranquille
et heureuse des Juifs de Tunisie et les souffrances infligées par l’occupation
allemande. La souffrance évoque les morts, la vie dans les camps et
l’inquiétude des familles. Les couplets suivants du poème15 illustrent ces
trois aspects.
nous voilà sous les bombardements
astreints à un travail sans pitié
les poux nous dévorent
la vermine, la saleté, nus et affamés
sous la douleur nos os s’effritent
nous travaillons dans l’effroi
nos amis sont morts sous nos yeux
pauvres innocents
je les ai vus (mourir) et je me combien notre cœur supportera
demande
la séparation du père et des fils
de la jeune fille et de son fiancé
a exilé les habitants de leur ville
qui sont
réfugiés
devenus
de
pauvres
Le deuxième poème, un poème sur Kamous qui nous est parvenu16, de
Shimon Hacohen, présente un autre aspect de l’occupation, celui de la tâche
du Conseil de la communauté, chargé du recrutement des travailleurs au
travail obligatoire17 :
Le Conseil déclare
et embarque les gens
et moi, je me cache
sur le rayonnage
Oh mon Dieu
comment m’a-t-on pris ?
on m’a dit « Juif,
viens avec nous »
nous étions tout un groupe
nous avons été menés à l’école
où nous avons été enfermés
et nos cœurs s’angoissent
on a inscrit nos noms
et nous voilà, pioche en main
Il y a eu distribution de gros pain
et de confiture
L’attitude envers le Conseil est très distante. La colère à son égard est
retenue. Ce sujet reviendra dans les débats ultérieurs à la guerre. Le poème
décrit aussi la joie à l’occasion de la libération (« Comment puis-je ne pas
me réjouir18) » et se termine par la louange des soldats français (« Vive la
France […] elle ne baissera pas son drapeau […] Elle nous a donné la
liberté […] ». Il semble qu’il soit nécessaire de reprendre l’interprétation
proposée pour la description des poèmes marocains, valable également pour
les œuvres tunisiennes. Il existe aussi peut-être une raison supplémentaire :
certains éléments de la société juive continuaient à considérer la France
comme un sauveur, comme le pays qui avait accordé aux Juifs la liberté, et
même les événements de la guerre, liés davantage à l’Allemagne, ne
pouvaient l’effacer. Il semble que les réactions furent différentes au sein des
divers groupes de la société.
La troisième complainte décrit la souffrance des Juifs dans les camps de
travail obligatoire. Les expressions de la souffrance personnelle y sont
amplifiées19. Par exemple : « On dormait dans l’obscurité, toute la nuit se
passait en méditations […] mes mains sont blessées par la pioche […] mes
mains sont desséchées par la pioche […]20. » La complainte fait aussi
allusion à la situation économique en Tunisie sous l’occupation :
À cause d’eux il y a des tickets
et presque plus de pain
ils ont chargé quelques camions
et nous ont laissés affamés
ils nous ont livrés au marché noir
que feras-tu père de famille ?
même en travaillant jour et nuit
tes enfants connaîtront la pénurie
tu lutteras aussi, toi mère
et tu ne trouveras ni viande, ni
poisson
ni pommes de terre, légumes ou les marchands de beignets sont
œufs
fermés21
Il semble que pour la première fois la question de la situation
économique et de la pénurie qui régnait pendant l’occupation soit abordée.
La description très détaillée laisse entendre que l’auteur a vécu cette
situation dont il témoigne précisément.
Les trois élégies mentionnent les noms de treize lieux dans lesquels se
sont trouvés leurs auteurs ou dans lesquels des Juifs ont été astreints au
travail obligatoire. Le premier poème, « Nos morts », mentionne les lieux
suivants : Sfax, Nabeul, Sousse, Bizerte, Alauina, Kasr Eltir, Makhtar,
Djebibina. Dans la deuxième élégie (Kamous), sont mentionnés deux des
endroits cités dans la première, Kasr Eltir et Djebibina. Dans la troisième,
« L’élégie des opprimés », on note dix endroits : Kasr Eltir, Zagouan,
Djebibina, Mégrine, Alauina, Makhtar, Bizerte, Sidi Ahmed, Feryville,
Enfidaville.
Il semble que la troisième élégie soit la plus tardive et que l’auteur se
soit servi des deux précédentes pour décrire les différents endroits et
apporter une dimension historique plus fiable à son œuvre.
Outre les deux complaintes écrites par des Juifs tunisiens après
l’occupation allemande, Michal Sharf a publié des informations sur dix
autres élégies datant de la période de la guerre et de l’après-guerre22. Leurs
titres laissent déjà entendre que trois d’entre elles traitent directement de la
vie sous l’occupation allemande, les autres de la libération et de sujets
historiques généraux liés à la guerre.
Itzhak Mamou, Juif lettré vivant à Nabeul et traducteur en arabe de
l’œuvre d’Avraham Mapou Ait Tzavoua (Le Vautour hypocrite), nous
apporte une description fondamentale, quoique trop brève. Dans son
introduction à l’œuvre traduite, Mamou décrit l’occupation de Nabeul par
les Allemands, notamment son dernier jour23. Son témoignage comporte
deux aspects méritant une attention particulière. Premièrement, il se montre
conscient de l’importance du travail de documentation, pour reprendre ses
propos : « Cette situation m’a profondément préoccupé et j’ai eu l’idée
d’écrire sur ces événements pour que subsiste un témoignage pour l’avenir,
mais je me suis demandé où était ma place parmi tous les savants qui
avaient déjà écrit à ce sujet, et après avoir longuement réfléchi je me suis dit
qu’il était préférable de me consacrer à quelque chose qui apaiserait mes
soucis et m’aiderait à oublier cette tragique époque. C’est ainsi que j’ai
commencé à traduire Ait Tzavoua. J’ai commencé la traduction en
novembre 1942 et je l’ai terminée en mars 194324. » Ce témoignage est
passionnant mais soulève une question en ce qui concerne sa date : si cette
introduction date de 1942, qui aurait eu le temps d’écrire et de publier avant
lui ? D’autre part, le témoignage est divisé en deux parties. La première,
très générale, n’apporte rien de nouveau. Dans la suite, qu’il intitule
« Deuxième introduction », il explique qu’après le travail de traduction et
étant donné qu’il était impossible de publier un livre, il ajouta une
description des événements des derniers jours de l’occupation à Nabeul, soit
les 10-11 mai 1943. Comparativement à la première introduction, cette
description est très détaillée et, comme l’a démontré Hayoun dans son
article, elle s’avère, au vu de documents trouvés par la suite. La
« Deuxième introduction » attire notre attention sur les amendes imposées
aux Juifs de Tunisie par les Allemands25.
Le cas de la communauté de Nabeul est celui d’un véritable sauvetage.
Le sursis et l’atermoiement entraînèrent le retrait des Allemands et
finalement, la communauté ne paya pas l’amende de deux millions de
dollars qui lui avait été imposée. Les choses furent tout autres dans d’autres
communautés. L’histoire de celle de Djerba est rapportée par le rabbin
Khalfon Moshé Hacohen26 : le samedi 13 février 1943, des hommes de la
Gestapo, arrivés en deux voitures, exigèrent de la communauté qu’elle
réunisse en trois heures et demie 50 kg d’or. C’est le seul cas recensé d’une
demande d’or plutôt que d’argent, indiquant peut-être que les Allemands
connaissaient l’activité traditionnelle des Juifs de Djerba27. Comme à
Nabeul, le temps pressait. Les Allemands n’avaient donné que trois heures
pour réunir l’or. Bien que toute la quantité n’ait pas été réunie, les
Allemands partirent avec ce qu’il y avait et ne revinrent pas. Djerba fut elle
aussi sauvée par l’arrivée des Anglais28. Il semble que ces sources
rabbiniques apportent de précieuses informations sur les divers et
complexes aspects de cette période.
La dernière source en hébreu fournissant des informations sur la guerre
provient de la ville d’El Hamma, lieu du tombeau de Rabbi Yossef
Hamaaravi. Elle relate l’histoire miraculeuse du tank allemand qui fut arrêté
alors qu’il cherchait à défoncer la muraille de la sépulture29.
C’est la première fois dans l’histoire des Juifs de Tunisie que les leaders
de la communauté rapportent les événements de l’actualité dans des
journaux. Dès la fin des combats en Tunisie, le 7 mai 1943, trois Juifs
tentèrent de reconstituer l’histoire de la guerre et la place qu’ils y tinrent.
Ceux qui avaient contribué aux événements se dépêchèrent de les relater à
leur manière. Les chefs des communautés d’Algérie et de Tunisie se
hâtèrent de rédiger et de publier leurs mémoires/versions des faits
concernant les événements, notamment leur contribution à la tournure qu’ils
prirent. Il s’agit de versions subjectives et très tendancieuses. Pour nous,
aujourd’hui, ces comptes rendus sont de grande valeur. La plupart des
carnets des dirigeants communautaires ont déjà été publiés dans le passé.
Robert Borgel publia l’ouvrage Étoile jaune et croix gammée30 en
janvier 1944, huit mois environ après la conquête de la Tunisie par les
nazis. Robert Borgel était le fils de Moïse Borgel, président de la
communauté juive de Tunisie, figure clé de la communauté sous
l’Occupation. Robert était secrétaire du groupe d’étude et de documentation
fondé par de jeunes Juifs érudits qui s’étaient fixés comme objectif de
sonder la signification de la guerre pour les Juifs tunisiens. Dès
l’introduction, il fait état de l’importance historique de son ouvrage quant
aux critiques formulées à l’égard du comportement des dirigeants juifs
pendant la conquête et quant à la compréhension de la haine nazie. Ainsi, il
considérait déjà en 1944 que cette publication s’insérait dans « la longue
histoire des persécutions hitlériennes31 ». Le livre commence par un
chapitre sur la période allant du début de la guerre aux premiers jours de
l’occupation allemande. Ce fait a toute son importance car la période de
Vichy, de ce qu’il est possible d’en saisir, fait pâle figure comparée à la
période allemande. Les autres chapitres suivent un ordre chronologique,
consacrés principalement à la conduite des dirigeants, et plus
particulièrement celle du père de l’auteur.
En juillet 1944, l’avocat Paul Ghez32, qui s’était porté volontaire pour
diriger la commission de recrutement de main-d’œuvre pour l’armée
allemande, publie ses mémoires, qui sont rédigés dans un ordre
chronologique quotidien et ce n’est peut-être pas le fait du hasard. Il est
vraisemblable que Ghez a vu le livre de Borgel mais la raison de sa
publication est différente. Ghez ne rédige pas d’introduction à son ouvrage,
ce qu’il laisse aux bons soins de son ami Charles Soumille33. L’introduction
relate surtout la vie de Ghez et donne peu d’informations sur l’époque. Le
livre débute par la description des événements du 8 novembre 1942, date du
débarquement des Américains en Afrique du Nord dans le cadre de
l’opération Torch. Le choix de cette date par Ghez et Borgel n’est pas le
fruit du hasard. En effet, ce jour fut un tournant dans l’histoire de la Tunisie
pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces deux ouvrages se basent
vraisemblablement sur des carnets ou journaux tenus pendant l’Occupation,
ce qui explique la grande précision avec laquelle les informations sont
rapportées.
En 1946, un mohel nommé Gaston Guez, publie un ouvrage
supplémentaire : L’Élégie de nos morts sous l’occupation allemande34. À
l’encontre des deux autres livres, celui-ci fut d’abord rédigé en judéo-arabe
puis en français (juin 1946). Le livre porte surtout sur les victimes juives de
la guerre, aspect occulté dans les ouvrages des dirigeants communautaires.
Guez était mû par un motif personnel, la mort de son frère, travailleur forcé,
lors du bombardement de l’aéroport de l’Aouina. Le livre comprend des
photographies et les biographies d’une partie des travailleurs morts dans les
camps. Guez accuse les dirigeants de la communauté juive en Tunisie.
Lorsque ces derniers reçurent l’ordre de réunir des travailleurs pour le
travail obligatoire, ils prièrent les Juifs de se rendre à la synagogue, relate
Guez : « Et ce jour-là, les coreligionnaires se réunirent à la synagogue à
l’heure indiquée. Mais oh miracle ! On ne comptait dans l’assistance que les
plus pauvres de nos frères ! Et ils s’écrièrent : où sont les autres Juifs ?
Pourquoi les riches s’en sortent-ils et les pauvres sont voués au travail
obligatoire35 ? » L’attitude des chefs de la communauté est l’un des
principaux sujets traités pendant la guerre.
À l’encontre des deux ouvrages précédents, il s’agit là d’un livre très
humain, tant sur le plan personnel que public. La mention du nom des
victimes constitue une sorte de mémorial et il semble que si Gaston Guez
n’avait pas recueilli tous ces documents sur les Juifs, nous n’aurions
certainement jamais entendu parler de ces victimes. La question des morts
et des blessés pendant la guerre aura toute son importance dans les débats
sur la place du judaïsme tunisien à l’époque de la Shoah. Comme pour le
livre de Borgel, il faudra attendre plus de quarante ans la publication de
l’ouvrage d’André Attal sur les Juifs tués pendant la guerre en Tunisie36.
Il semble qu’aucun des dirigeants de la communauté juive du Maroc
n’ait publié ses mémoires sur cette époque immédiatement après la guerre.
Les Juifs marocains ayant été relativement moins touchés que ceux des
autres pays pendant la guerre, cela n’est peut-être pas le fait du hasard. Il en
est de même pour les dirigeants de la communauté juive de Libye, bien que
ce pays connût des événements difficiles, tragiques et très intéressants pour
l’historien en ce qui concerne le rôle des dirigeants juifs.
Le fait que les dirigeants de la communauté se soient empressés d’écrire
et de publier leur version des faits pendant la guerre nous renseigne tout
d’abord sur l’importance qu’ils attribuaient à cette période et sur le rôle
décisif de certains d’entre eux. Il ne s’agit pas là de documents historiques
scientifiques mais d’une véritable tentative en vue d’ancrer la réalité qui
leur était contemporaine.
La Libye et l’Algérie
En 1945, Maurice Eisenbeth, grand rabbin de la communauté juive
d’Algérie, publia son livre Pages vécues, sur l’époque de Vichy en Algérie.
En 1946, un Juif nommé Félix Chiche, publia Livre d’or et de sang sur les
Juifs originaires principalement d’Algérie qui avaient combattu dans les
rangs de l’armée française et étaient morts au champ d’honneur pendant la
Seconde Guerre mondiale37. Cet ouvrage ne traite pas directement de la
guerre en Algérie mais le fait qu’il ait été publié en 1946 constitue à lui seul
un rappel des événements de la guerre et renforce la douleur et la tristesse
liées à Vichy. L’auteur commence son livre en remerciant les commandants
de l’armée qui contribuèrent à sa rédaction. Le général Georges Barré,
commandant en chef des forces françaises en Tunisie, rédigea lui aussi une
préface au livre.
La Libye, comme nous l’avons indiqué précédemment, n’a pas donné
naissance à des ouvrages littéraires significatifs après la guerre38. À mon
sens, et à ma connaissance, des poèmes rédigés après la guerre ne furent
publiés que bien plus tard. Mais il semble que, bien qu’ils n’aient pas été
publiés, ils aient été connus de la communauté39. Les habitants de Khoms
connaissaient les poèmes du rabbin Frigia Zouretz et les récitaient, en
chantaient certains en public (« La nouvelle génération », « Les fleurs de la
vie », « La voix de D. nous appelle », etc.). Ces poèmes faisaient partie de
l’éveil sioniste que le rabbin avait suscité dans sa communauté. Le poème
« Ma patrie », composé par Shalom Benatiya en Libye, a sans aucun doute
été chanté à plus d’une occasion dans les forums de « Ben Yehouda » et
autres rencontres amicales.
Comment se fait-il donc que rien ne fût publié en Libye après la
guerre ? En supposant que l’on ne découvrira jamais ces écrits, au moins
deux explications sont possibles. Premièrement, l’importance des dégâts
causés par la guerre et le nombre des victimes dans le camp de Jado
constituaient la préoccupation essentielle de la communauté juive. Elle se
préoccupait surtout de la vie quotidienne, comme nous l’a indiqué l’un des
chercheurs travaillant sur cette époque. L’autre explication, me semble-t-il,
tient à une tradition qui date d’avant la guerre. À cette époque, en
comparaison avec le Maghreb français, le nombre des ouvrages littéraires
publié était moindre. Les lettres de Moshé Mosinson, publiées dans un
recueil dès 1944, contribuèrent grandement à faire connaître le sort des
Juifs libyens pendant la guerre.
Derniers témoignages et recherche
Albert Memmi, Michel Ansky et Jacques Sabille marquent la première
période. Albert Memmi, auteur de La Statue de sel, roman
autobiographique rédigé en français, deviendra le plus grand écrivain juif
originaire de Tunisie. Michaël Ansky et Jacques Sabille sont les auteurs de
deux études portant sur cette époque, études initiées par le Centre de
documentation juive contemporaine, créé le 23 avril 1943 par Itshak
Schnéorson, qui préfaça les deux ouvrages. Jusqu’au milieu des années
1950, le Centre publia environ vingt-cinq livres sur la guerre en France, la
Shoah et la Résistance, dont les livres de Sabille et d’Ansky. Ce dernier
avait effectué un voyage d’étude en Afrique du Nord et il semble qu’une
partie des archives du Centre sur les Juifs d’Afrique du Nord ait été
recueillie dès cette époque assez précoce. Pour le Centre de documentation
juive, l’histoire du judaïsme d’Afrique du Nord pendant la Shoah fait partie
intégrante de l’histoire de la Shoah et en est indissociable. Tandis que les
premiers témoignages et premières expressions littéraires étaient rédigés en
Afrique du Nord, les deux premières études historiques étaient, elles,
rédigées en France, suite à une initiative française juive.
Albert Memmi et le livre La Statue de sel
Memmi délaissa les descriptions contemporaines au profit d’une
tentative de mieux comprendre son époque, pour laquelle son ouvrage posa
les fondements de la recherche historique. Dans son autobiographie, La
Statue de sel (première publication en 1953)40, il consacrera de nombreuses
pages à la guerre. Ses descriptions constituent la pierre angulaire qui permit
de comprendre la réalité à cette époque, avec dix ans de recul et la situation
de la Tunisie à l’époque de la publication du livre. Il semble que Memmi ait
présenté pour la première fois les fondements de la recherche et de la
mémoire collective futures. En voici quatre : 1. Quelle fut la place des
dirigeants de la Communauté et comment fonctionnaient-ils en Tunisie
pendant l’Occupation ? 2. Quel fut le rôle de la France dans les
événements ? Cela étant, la France pouvait-elle se porter garante de la
sécurité et de l’avenir des Juifs de Tunisie ? 3. Quelle était la vie juive dans
les camps ? 4. Que signifie cette époque ? Memmi ne se contenta pas de
décrire les événements mais il tenta de saisir leur signification comme
tournant dans l’histoire des Juifs de Tunisie. Nous pouvons supposer qu’il
s’inspira, pour les descriptions de son autobiographie, des journaux qu’il
tenait, semble-t-il, dans sa jeunesse, voire à cette époque41.
Nous allons illustrer l’importance de cet ouvrage pour la
compréhension de la façon dont les Juifs de Tunisie firent face au souvenir
de la guerre dans La Statue de sel par deux exemples. L’un concerne les
dirigeants de la communauté juive, l’autre la signification de la guerre. Les
débats sur le fonctionnement des dirigeants de la communauté juive n’ont
jamais été aussi virulents. Voici ce qu’en dit Memmi à l’époque de
l’Occupation : « J’ai, par ailleurs, assez de griefs contre nos bourgeois, pour
oser le dire42. » Mais l’opposition aux chefs de la communauté juive datait
de bien plus tôt, elle est bien plus acérée et mordante : « Je compris, dans
les bureaux, que si les bourgeois s’étaient attelés à la tâche, c’était d’abord
pour se sauver et sauver leurs enfants43. » C’est une attaque personnelle et
directe contre l’élite des dirigeants communautaires juifs de Tunisie à
l’époque des Allemands.
La seconde épreuve de Memmi est celle de la crise identitaire que
connurent les Juifs tunisiens sous l’occupation allemande. Sous Vichy et
l’Occupation, les Français et leur culture le déçurent énormément. Il en
arrive à une révélation très pénétrante : « Il m’aurait fallu tout retrouver par
moi-même, tout construire, vérifier toutes les propositions. Peut-on
construire avec de la colère et des émotions, de l’indignation et de l’envie,
du dépaysement et de la honte ? […] Moi je suis mal à l’aise dans mon pays
natal et ne m’en connais pas d’autre, ma culture est d’emprunt et ma langue
maternelle infirme, je n’ai plus de croyances, de religion, de traditions et
j’ai honte de ce qui en eux résiste au fond de moi44. » Pour Memmi, la
guerre est donc le passage du stade de l’universel (celui de l’identification
avec les valeurs de la Révolution française) au stade de l’individuel, du
national, voire même du sionisme. C’est l’inverse du stade précédent dans
le processus de modernisation des Juifs de Tunisie, qui lui alla de
l’individuel, du national-religieux, vers l’universel.
Dès sa parution en 1953, La Statue de sel fut fortement critiquée,
principalement pour la façon dont était présentée la communauté juive. À
ma connaissance, le thème de la guerre ne fut pas l’objet des critiques qui
s’élevèrent contre Memmi. À noter que le livre parut à un moment des plus
cruciaux pour les Juifs de Tunisie, le moment où ils devaient décider de leur
avenir dans ce pays à la lumière de la lutte nationale tunisienne, d’une part,
et de la création de l’État d’Israël, d’autre part.
Michel Ansky et les Juifs d’Algérie
Michel Ansky fut le premier à réaliser une étude sur la guerre45. Bien
que le titre de l’ouvrage ne laisse en rien présager de sa teneur, le livre traite
des Juifs d’Algérie pendant la Seconde Guerre mondiale. Les préfaces, les
treize chapitres, l’épilogue et les annexes, tous en parlent. Les trois
premiers chapitres qui parlent des Juifs d’Algérie jusqu’aux années 1930
sont essentiels, du point de vue de l’auteur, à la compréhension de la
situation des Juifs pendant la guerre. La majeure partie du livre traite de
l’application des décrets de Vichy en Algérie. Les descriptions sont
détaillées et bien documentées. Il me semble qu’Ansky est le premier à
avoir soulevé le sujet de la résistance juive en Algérie et parlé de sa
contribution à l’opération Lapid. L’introduction d’Itshak Schnéorson, le
fondateur du Centre de documentation juive contemporaine à Paris, qui
traite essentiellement de la Shoah, nous fournit quelques informations
intéressantes sur le travail d’Ansky. Il écrit entre autres : « M. Marius
Moutet, alors ministre de la France d’outre-mer, M. Justin Godart, notre
président, munirent M. Ansky de toutes les introductions désirables. Les
portes, les archives lui furent ouvertes46. » Ensuite, il précise qu’il a pu
avoir accès à toutes les archives grâce aux lettres de recommandation
reçues, entre autres, du ministre chargé des Colonies d’outre-mer.
L’introduction d’Henri Albuker est également des plus intéressantes. À son
sens, l’importance du livre tient au fait qu’il démontrera que les Juifs
d’Algérie ont « bien mérité de la France et du judaïsme47 ». La mention
même de ce sujet délicat, celui de la contribution à la France et de la
contribution au judaïsme a son importance, notamment parce que celui qui
la mentionne appartient à une famille dont la contribution à la France en
Algérie fut essentielle. Dans sa conclusion, il établit un rapport entre
l’histoire juive, la résistance juive et la guerre d’indépendance de l’État
d’Israël. Les propos d’André Philipp, ministre juif de l’Économie nationale
en France de 1946 à 1947, conscient de la minutie de l’« entreprise
historique » d’Ansky, concluent le livre. Philipp avait pris part aux
événements et avait agi en vue de rendre leurs droits aux Juifs algériens. Il
porte une attention toute particulière à la Résistance juive et à sa
contribution à l’opération Torch : « Sans l’héroïsme de ces jeunes gens,
[…] le débarquement américain aurait pu être un échec et la guerre se serait
prolongée de plusieurs mois au moins48. »
Jacques Sabille et les Juifs de Tunisie sous
l’Occupation
Nous devons la seconde étude historique sur la guerre à Jacques
Sabille49. Datant de 195450, elle traite de la Tunisie sous l’occupation
allemande. C’est une étude parfaitement documentée. Il semble que son
auteur ait résidé en Tunisie, y ait recueilli des documents, s’y soit entretenu
avec les principaux protagonistes avant de se lancer dans la rédaction de
son ouvrage. Jacques Sabille établit l’une des orientations de la recherche
ultérieure et de la mémoire collective des Juifs de Tunisie : l’époque de
Vichy fut insignifiante par rapport à celle de l’occupation allemande.
D’ailleurs, il n’y consacra qu’un chapitre de six pages51. Le bref laps de
temps qui s’est écoulé entre la guerre et la parution du livre explique peutêtre cet état de fait. En effet, Vichy était encore un sujet tabou dans la
société française.
La période allemande fait l’objet de minutieuses descriptions dans sept
sous-chapitres : le travail obligatoire, la structure du comité de recrutement
au travail obligatoire, les camps, les amendes, la terreur allemande, la
résistance et l’attitude de la population juive. Les chapitres consacrés à la
structure du comité de recrutement au travail obligatoire et aux camps,
sous-divisés, sont les plus longs. Sabille est un excellent peintre : il cite des
noms, des lieux, des dates et présente d’importants documents en français
ainsi qu’en allemand. Il semble que, pour celui qui désire se documenter sur
cette époque, ce soit là l’étude la plus détaillée et la plus documentée ayant
été réalisée jusqu’à ce jour.
Entre histoire et mémoire historique
Les manifestations littéraires présentées dans cet article permettent
d’affirmer avec une certitude presque totale que la guerre constitua un
tournant dans la vie de la communauté juive en Afrique du Nord. Cette
richesse littéraire reflète l’importance accordée par les différents auteurs à
cette époque. Conscients du « jugement de l’histoire », ils s’empressèrent
d’exprimer leurs opinions et d’avancer des explications aux événements.
Les témoignages se retrouvent dans les diverses couches de la population et
reflètent des aspects divers, tous douloureux, de l’époque, notamment le
rôle des dirigeants de la communauté juive.
En effet, la période qui nous préoccupe actuellement fut une des plus
significatives pour le sort des Juifs en Afrique du Nord. C’est à ce moment
que se formèrent les processus historiques au terme desquels il était évident
que la France mettrait fin à son pouvoir colonial en Afrique du Nord et que
le sort des Juifs en serait décidé. L’issue de la Seconde Guerre mondiale en
Afrique du Nord constitue le point de départ de ces processus, de cette
décision historique. L’inventaire des expressions littéraires pendant la
guerre reflète très clairement le caractère de l’époque. C’est entre 1943 et
1946 que furent publiés la plupart de ces ouvrages. Entre 1946 et 1953, leur
nombre diminue et il semble que la communauté délaisse ce sujet. Les
communautés juives étaient alors occupées à se rebâtir, économiquement et
physiquement, et elles n’avaient peut-être pas le loisir de se pencher sur
cette question. Trois des plus importants ouvrages qui laissèrent leur
empreinte sur cette période furent rédigés durant les dernières années de la
présence française, entre 1953 et 1956.
Les années 1946-1953 sont caractérisées par des processus historiques
des plus nets. D’une part, l’affaiblissement de la France sur la scène
internationale, sur la scène domestique en Afrique du Nord ainsi que le
renforcement des voix supportant la décolonisation ; d’autre part, le
renforcement des mouvements nationaux en Afrique du Nord œuvrant pour
la libération du joug colonial ainsi que le soutien arabe et international à ces
actions.
Entre le marteau et l’enclume, les Juifs, unis pendant des centaines
d’années aux pays d’Afrique du Nord, y avaient créé leur propre patrimoine
culturel. Les communautés qui avaient lié leur sort à la France à l’époque
coloniale se posaient alors la question de leur avenir, de leur intégration
dans le tissu politico-socio-économique qui renaîtrait dans ces divers pays.
Ces questions étaient des questions clés pour comprendre le comportement
de la communauté juive. Il semble que l’on puisse distinguer trois grands
types de réactions : les sionistes, qui gagnaient en force après la guerre et
étaient grandement soutenus par les émissaires de l’État d’Israël naissant ;
les assimilés de toutes sortes, qui pensaient que le processus était réversible
et qu’ils pourraient continuer à vivre leur vie dans ces pays ; enfin, les
indécis, qui avaient du mal à assimiler ces processus et leur signification.
Une étude des différentes publications nous indique que pratiquement
tous établissent un lien entre la guerre et les Allemands en Tunisie d’une
part et la délivrance et le retour à Sion d’autre part. C’est ainsi par exemple
que Houati Serroussi, de la communauté de Gafsa, achève son poème
« Nous vous raconterons ce qu’il est advenu de nous » :
Bientôt,
la détresse et l’angoisse disparaîtront
le Messie viendra et nous le fêterons
et nous reviendrons dans notre cher pays
Dans la ville de Sion
l’annonciateur viendra à nous et il nous contemplera
le Temple et le baldaquin seront bâtis
le Messie couronné
Couronné d’or,
toutes les nations le craindront,
le drapeau flottera au-dessus des murailles
et nous nous réjouirons et jubilerons52
L’expression de la rédemption et le rapport à la Terre promise sont très
nets et, comme indiqué précédemment, accompagnent tout débat sur la fin
des temps et la délivrance. En 1948, après la création de l’État d’Israël, il
rédigea un autre poème, « Quel beau pays », dans lequel on peut lire, entre
autres : « … J’y viendrai rapidement, je respirerai son bon air… Je vendrai
tout ce que je possède et j’y partirai53… » La signification de ces propos est
très claire. Il s’agit de la concrétisation de l’idée du retour en Eretz Israël ; il
ne s’agit plus d’une vision de la fin des temps, plus d’une délivrance, mais
d’une réalité bien concrète envers laquelle l’auteur ressent une obligation
personnelle de concrétisation.
Conclusion
Les diverses réactions littéraires publiées après la guerre, notamment les
poèmes en judéo-arabe, ont une importance extrême. Elles sont l’expression
des Juifs, peuple qui a souffert plus que tous les autres pendant la guerre. La
poésie en judéo-arabe reflète la détresse, la pénurie, la peur. Bien que le
judéo-arabe n’ait plus joui du même statut54 et qu’après la guerre cette
langue fût sur le déclin, certains la considéraient cependant comme le
moyen et l’outil essentiel de l’expression de leurs messages et idées. Ils
s’adressaient bien évidemment à un public bien défini. Les réactions
rédigées en langue française sont d’un type différent. Elles sont destinées à
l’histoire, visent à documenter sans tarder la contribution aux événements si
significatifs qu’a connus la communauté. Il est difficile aujourd’hui de
reconstituer ce que furent les réactions dans les divers pays à la lecture des
poèmes et des mémoires. Mais la littérature ne fut pas la seule réaction à la
guerre. Nous pouvons en indiquer au moins deux autres, des plus
intéressantes. La première, la création de monuments à la mémoire des
événements de cette époque ; la seconde, une presse juive locale. Deux
monuments en souvenir de la guerre furent érigés au Borgel, le plus
important cimetière juif55 de la communauté juive de Tunis. En 1947, un
mémorial fut élevé à la mémoire des travailleurs du travail obligatoire tués
pendant l’occupation allemande et en avril 1948, un autre à la mémoire des
Juifs déportés de Tunis pendant la guerre et des Juifs tombés au champ
d’honneur. L’inauguration de ce mémorial fut faite en présence du grand
rabbin de France de l’époque, Iseie Schwartz et des dirigeants de la
communauté juive. À l’exception d’un monument similaire élevé à la
mémoire des volontaires juifs dans l’armée française tués pendant la
Première Guerre mondiale56, il s’agit là des seuls mémoriaux élevés dans
des cimetières. Cela témoigne de l’importance que les Juifs, voire même les
autorités françaises, accordaient à cette époque. Ces mémoriaux, non
seulement reflètent l’importance de cette époque mais servent également de
lieux de recueillement pour les commémorations annuelles.
La presse juive publiée en Afrique du Nord était très importante57.
Comme toutes les presses, elle reflétait les principaux événements et
exprimait des opinions sur des sujets divers. Cependant, nous pouvons
affirmer, après avoir consulté les principaux journaux juifs publiés après la
guerre, qu’elle ne se fit pas le reflet ni ne traita de la période de Vichy, de
l’occupation allemande de la Tunisie et de la guerre en Libye58. La Gazette
d’Israël, par exemple, journal sioniste qui paru avant et après la guerre, ne
consacra pratiquement aucun article ni aucune information à cette période.
La description du sort des Juifs en Europe, même pendant la guerre, occupe,
elle, une place de choix. La Voix juive, l’un des grands journaux juifs
d’Afrique du Nord, dont le rédacteur était Félix Allouche, surprend encore
plus. Avant la guerre, Félix Allouche publiait l’important journal Le Réveil
juif, dans lequel il s’élevait contre les expressions antisémites en Tunisie et
appelait à un boycott allemand. Après la guerre, on ne trouve aucune
information ni aucun article sur l’époque. Il en est de même pour le journal
Noar, qui paraissait au Maroc. Le journal publia des articles sur le ghetto de
Varsovie, sur l’antisémitisme mais rien sur la guerre au Maroc. Le Bulletin
de la Fédération des sociétés juives d’Algérie, paru entre 1934 et 1947, sort,
à ce titre, de l’ordinaire. À ma connaissance, ce fut le seul journal juif à
paraître pendant la guerre. Sous Vichy, il continua à se faire l’écho du
judaïsme d’Algérie et de l’organisation d’assistance des Juifs touchés par
les mesures de ce gouvernement. Pour notre propos, les informations qu’il
publia sur la guerre sont encore plus intéressantes59. La position politique
de l’Algérie est, semble-t-il, ce qui permit la publication de ce journal
pendant la guerre ainsi que les descriptions importantes qui y apparurent.
Pour compléter notre tableau et pour réaliser une étude comparative de
l’époque, il serait intéressant d’examiner les réactions juives par rapport à
celle des autres groupes de la population comme les Tunisiens, les Français
ou les Italiens qui vivaient en Tunisie. Il semble que ce sujet ne fasse l’objet
de pratiquement aucune recherche. Cependant, la guerre constitua un
tournant également pour ces populations. On peut également se demander
comment les Juifs d’Afrique du Nord et ceux du Yichouv en Israël ont
considéré ces événements, une fois la guerre terminée. Mais cela ferait
l’objet d’un autre article.
Des dizaines d’années s’écouleront avant que ne paraissent les journaux
rédigés à cette époque. Savoir pourquoi ils n’ont pas été publiés en leur
temps est une question fascinante mais il semble que nous n’en aurons
jamais la réponse. Pour notre propos, ce qui importe, c’est qu’ils aient été
rédigés simultanément au déroulement des événements, ce qui prouve que
certains avaient à cœur de documenter cette époque.
Le nombre des publications sur la guerre et sur ses atrocités reflète
l’importance de cette époque dans la vie des Juifs d’Afrique du Nord. Elle
constitua un tournant dans l’histoire de la communauté juive, tournant qui
s’exprima pleinement après la guerre.
Notes
PREMIÈRE PARTIE
LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD
ET LA SHOAH
HISTOIRE, HISTORIOGRAPHIE ET DÉBAT
PUBLIC
1. Le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant
la Seconde Guerre mondiale fait-il partie
de la Shoah ?
1. Voir le livre de Hanna Yablonka, Off the Beaten Track – The Mizrahim and the Shoah,
Yedioth Aharonot, Hemed Books et Institut Ben-Gourion pour l’étude d’Israël (2008), en
hébreu. Je n’accepte pas certaines de ses analyses mais l’ouvrage donne une bonne image de la
réalité.
2. Voir le site amit4u.
3. Haya Lipski, “The Term ‘SHOAH’ : Meaning and Modification in the Hebrew
Language from its beginnings and to this day, in the Israeli society”, MA-thesis, Tel Aviv
University, Department of Jewish History, April 1998] ; Dalia Ofer, “Linguistic
Conceptualization of the Holocaust in Palestine and Israel, 1942-53”, Journal of Contemporary
History 31/3 (1996), p. 567-595.
4. Mali Eisenberg, “From Personal Experience to Vocation : The Holocaust as a
Founding Motif in Moshe Prager’s Private and Public Spheres – A Key Haredi Figure in the
Yishuv and the State of Israel”, Ph.D. Thesis, Bar-Ilan University, Ramat-Gan, 2010 (en hébreu,
avec un résumé en anglais), p. 61.
5. Ben Tsion Dinour, Exils et destructions, Jérusalem, Institut Bialik, 1964 [imprimé pour
la première fois en 1944] (en hébreu).
6. Fun letzten Churbn (Yisrael Kaplan, réd.), no 1-9 (1946-1948).
7. Voir à ce sujet : Dan Michman, « Unité 1 : La Shoah : Débat », Pendant la période de
destruction et de désastre, Tel-Aviv, Université ouverte, 1983, p. 28-29 (en hébreu) ; Ruth L-n
[Lichtenstein], Témoignage. Destruction du judaïsme européen, New York et Jérusalem, Institut
du rabbin Isthak Meïr Levin, 2000 (en hébreu) ; version anglaise : Ruth Lichtenstein, Witness to
History, New York, Project Witness, 2009.
8. Sur l’utilisation du terme « cataclysme », voir Dan Michman, « Dissimulé mais
conducteur : motifs de la Shoah dans l’œuvre de Yaakov Katz », in Bartal Israël et Feiner
Shmuel, Examen de l’historiographie. Nouvelle lecture des enseignements de Yaakov Katz,
Jérusalem, Centre Shazar et Institut Leo-Beck, 2007, p. 100, note 3 (en hébreu).
9. Gerald Green, Holocaust, New York, Bantam, 1978.
10. Claude Lanzmann, Shoah, Paris, Fayard, 1985.
11. Ilya Altman, « La mémoralisation de la Shoah en Union soviétique : historique,
actualité, perspectives », in Françoise Ouzan et Dan Michman, De la mémoire de la Shoah dans
le monde juif, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 85-117.
12. Voir par exemple le nom et les publications du Centre polonais pour l’étude de la
Shoah à l’Académie polonaise des sciences Centrum Badan nad Zaglada Żydow. L’historien
juif américain, Raul Hilberg, avant la publication de son œuvre The Destruction of the European
Jews (1961), a utilisé dans sa correspondance personnelle le terme « the Jewish catastrophe » ;
voir Raul Hilberg à Philip Friedman, 13 avril 1955, Archives de YIVO, New York, I-82.
13. Arno Mayer, Why Did the Heavens Not Darken ? The Final Solution in History, New
York, Pantheon Books, 1988.
14. Les ouvrages sur Lemkin et le génocide sont nombreux et on assiste ces dernières
années à leur recrudescence. Nous n’allons pas entrer ici dans les détails. Pour deux ouvrages
complets et très utiles, voir : Israel W. Charny, Encyclopedia of Genocide, Santa Barbara, ABCCLIO, 1999 ; Donald Bloxham and A. Dirk Moses (eds.), The Oxford Handbook of Genocide
Studies, New York, Oxford University Press, 2010.
15. Dan Michman, Pour une historiographie de la Shoah, Paris, In Press, 2001, p. 17-66.
16. Id.
17. Paul Ghez, Six mois sous la botte, Tunis, 1943.
18. Robert Borgel, Étoile jaune et croix gammée. Récit d’une servitude, Tunis, 1944.
19. Jacques Sabille, Les Juifs de Tunisie sous Vichy et l’occupation, Paris, 1954.
20. Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, G.-P. Maisonneuve et
Larose, 1983 ; Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, Riveneuve
éditions, 2008.
21. Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord, 2008, p. 164.
22. Irit Abramsky Bligh (éd.), Encyclopédie des communautés : Libye et Tunisie,
Jérusalem, Yad Vashem, 1997 (seconde édition : 1998 ; troisième édition revue et corrigée :
2008), en hébreu. Dans l’avant-propos complaisant du livre, rédigé par l’éditrice et par Maurice
Roumani et Itshak Avrahami, qui ont contribué à l’ouvrage, on peut trouver l’expression des
hésitations institutionnelles et pratiques quant à l’inclusion des juifs de Tunisie et de Libye dans
cette importante entreprise sur la Shoah.
23. Pour le débat en Israël, voir Yablonka, Off the Beaten Track.
24. Voir les programmes du Mémorial pour la dernière décennie.
25. Les personnes originaires d’Allemagne vivant en Israël ont grandement critiqué le
libellé de la prière du Yizkor pour la Shoah que l’on trouve dans les livres de prières Rinat
Israël, très courants dans les milieux sionistes religieux. On peut y lire : « Toutes les âmes des
communautés juives en exil en Europe martyrisées pendant la Shoah entre 5700 et 5705 » soit
septembre 1939 à mai 1945. Cela fait donc abstraction des martyrs en Allemagne avant le début
de la Seconde Guerre mondiale. Voir Rituel des fêtes Rinat Israël, rite sépharade, édité et
commenté par Shlomo Tal, Jérusalem, Moreshet, 1981, p. 191.
26. Pour les synthèses des conceptions dominant actuellement la recherche, consulter :
Christopher R. Browning, Les Origines de la Solution finale. L’évolution de la politique
antijuive des nazis, septembre 1939-mars 1942 (avec la collaboration de Jürgen Matthäus),
Paris, Les Belles Lettres, 2007 ; Ian Kershaw, Hitler, 1936-1945 : Némésis, Paris, Flammarion,
2000 ; Saül Friedländer, Les Années d’extermination. L’Allemagne nazie et les juifs (19391945), Paris, Seuil, 2008 ; Dan Michman, “The ‘Final Solution to the Jewish Question’, its
Emergence and Implementation : The State of Research and its Implications for Other Issues in
Holocaust Research”, Dan Michman, Holocaust Historiography. A Jewish Perspective.
Conceptualizations, Terminology, Approaches and Fundamental Issues, Londres, Vallentine
Mitchell, 2003, p. 91-126.
27. On trouvera une photocopie du document dans Villenkolonien in Wannsee 1870-1945.
Großbürgerliche Lebenswelt und Ort der Wannsee-Konferenz, Berlin, Haus der WannseeKonferenz, 2000, p. 113.
28. Elke Fröhlich (éd.), Die Tagebücher von Joseph Goebbels, Part II, vol. 2, Munich,
1996, p. 498.
29. La terminologie bureaucratique allemande est très importante dans ce contexte :
Besprechung se rapproche du terme anglais « meeting » et sert à décrire une entrevue dans
laquelle on parle (besprechen) de sujets administratifs de façon informelle et à la fin de laquelle
on peut faire une synthèse qui servira ultérieurement (sans prise de notes en sténographie). Je
remercie le Dr Wolf Kaiser du Haus-der-Wannsee-Konferenz Memorial à Berlin pour avoir
réfléchi avec moi à la sémantique des termes Besprechung/Dienstbesprechung/Konferenz.
30. Dans une lettre du 19 janvier 1992 à l’équipe du mémorial « Maison de la conférence
de Wannsee », l’avocat Dr Robert M. W. Kempner décrit la découverte des procès-verbaux lors
de la préparation de la documentation pour les procès des ministères du régime nazi, en 1947. Il
décrit son émotion et celle de ces collègues à la découverte des procès-verbaux de la réunion sur
la Solution finale à la question juive, du 20 janvier 1942, connue ultérieurement de par le monde
sous le nom de conférence de Wannsee („Wir waren aufgeregt, als wir ein Protokoll über die
später als Wannseekonferenz weltbekannt gewordene Sitzung über die Endlösung der
Judenfrage vom 20. Januar 1942 entdeckten“ ; voir la photocopie de la lettre sur le site internet
de Haus der Wannsee-Konferenz).
31. La photocopie du procès-verbal a été reproduite dans de nombreux endroits. Le
procès-verbal a été traduit en plusieurs langues. Une reproduction de qualité est disponible dans
le catalogue publié par la Maison de la conférence de Wannsee : Die Wannsee-Konferenz und
der Völkermord an den europäischen Juden. Katalog der ständigen Ausstellung, Berlin, Haus
der Wannsee-Konferenz, 2008, p. 199-213.
32. Pour obtenir et comprendre diverses explications de la signification de la réunion et de
son emplacement (et pour des références bibliographiques), voir avant tout : Mark Roseman,
The Villa, the Lake, the Meeting. Wannsee and the Final Solution, Londres, Penguin, 2002, p. 16, 55-96.
33. Die Wannsee-Konferenz und der Völkermord an den europäischen Juden. Katalog,
p. 204.
34. Peter Longerich, Politik der Vernichtung. Eine Gesamtdarstellung der
nationalsozialistischen Judenverfolgung, Munich-Zurich, Piper, 1998, p. 469. Il réitère son
argument de façon encore plus décisive dans son livre : Peter Longerich, The Unwritten Order.
Hitler’s Role in the Final Solution, Londres, Tempus, 2002, p. 96 : “Included in the
700,000 Jews for unoccupied France are those of the North African colonies.”
35. Ibid., p. 545.
36. Friedländer, Les Années d’extermination, p. 430.
37. Ibid., p. 365.
38. Idit Shaked, qui enseigne la Shoah au Pima Community College, Tucson, Arizona,
présente comme preuve principale de ses propos une inscription figurant dans l’agenda de
travail d’Himmler, en date du 10 décembre 1942, disant : “Juden in Frankreich 600-700.000
abschaffen” signifiant « Envoyer [ou faire disparaître] » 600-700 000 juifs de France, et le signe
✓ à côté, signifiant que Himmler autorise la chose. Cela ne constitue en rien une preuve car la
date est postérieure de onze mois à Wannsee et il se base sur un document (en déduisant déjà le
nombre significatif de ceux qui avaient déjà été déportés de France en 1942) qui a certainement
été remis à Himmler par Heydrich ou l’un de ses assistants. Voir : Edith Shaked, “The
Holocaust : Reexamining the Wannsee Conference, Himmler’s Appointment Book, and
Tunisian Jews”, The Nizkor Project, http://www.nizkor.org/hweb/people/s/shaked-edith/reexamining-wannsee.html À noter en outre que Shaked se penche essentiellement sur le sort des
juifs de Tunisie et qu’elle ne parle ni de l’Algérie ni du Maroc, ni des différences entre les pays.
En ce qui concerne l’agenda de travail d’Himmler, voir Peter Witte e.a. (éd.), Der
Dienstkalender Heinrich Himmlers 1941/42, Göttingen, Wallstein, 1999.
39. Raul Hilberg, The Destruction of the European Jews, Chicago, Quadrangle Books,
1961, p. 411.
40. Ibid., p. 265-264.
41. Leni Yahil, Die Shoah. Überlebenskampf und Vernichtung der europäischen Juden,
Munich, Luchterhand, 1998, p. 436.
42. Voir l’index.
43. Michael R. Marrus and Robert O. Paxton, Vichy France and the Jews, New York,
Schocken, 1983, p. 222 ; version française : Vichy et les juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981,
p. 208.
44. Asher Cohen, Persécutions et sauvetages. Juifs et Français sous l’Occupation et sous
Vichy, Paris, Cerf, 1993, p. 132-133 ; Daniel Carpi, Beyn Chevet leHesed. HaChiltonot
ha’Italkiyim vIhudey Tsarefat veTounisiya beMilhemet haOlam haCheniya [Entre tribu et
miséricorde. Les autorités italiennes et les juifs de France et de Tunisie pendant la Seconde
Guerre mondiale], Jérusalem, Centre Shazar, 1993, p. 23, note 31 (en hébreu).
45. Ahlrich Meyer, Täter im Verhör. Die „Endlösung der Judenfrage“ in Frankreich
1940-1944, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2005, p. 86-88.
46. Christoph Kreutzmüller, „Die Erfassung der Juden im Reichskommissariat der
besetzten niederländischen Gebiete“, in Johannes Hürter und Jürgen Zarusky (Hg.) : Besatzung,
Kollaboration und Holocaust. Neue Studien zu Verfolgung und Ermordung der europäischen
Juden, Munich, 2008, p. 21-44.
47. Le recensement soviétique de 1937 dénombrait dans l’ensemble de l’URSS 2 175 108
juifs. Voir : Mordechai Altshuler, Soviet Jewry on the Eve of the Holocaust, Jérusalem, The
Center for Research of East European Jewry/ The Hebrew University, and Yad Vashem, 1998.
Le livre de Peter-Heinz Seraphim sur les juifs d’Europe de l’Est, publié en 1938, et devenu
l’ouvrage principal pour les chercheurs spécialistes des juifs et de la SS, mentionne qu’en 1926,
il y avait dans la partie européenne de l’URSS 2 476 700 juifs ; Voir Peter-Heinz Seraphim, Das
Judentum im osteuropäischen Raum, Essen, Essener Verlag, 1938, p. 290.
48. Kreutzmüller, „Die Erfassung der Juden“, p. 41.
49. Lettre de la Reichvereinigung der Juden in Deutschland au Zentralstelle für jüdische
Auswanderung, en date du 7 août 1941, Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 1. Je tiens à
remercier le Dr Wolf Kaiser, du mémorial Haus Der Wannsee-Konferenz, qui m’a communiqué
ce document. L’annexe à la lettre se trouve dans les pages 2-20.
50. Browning and Matthäus in Browning, The Origins of the Final Solution, p. 265-268,
309-310 ; Gerhard Weinberg, Germany’s War for World Conquest and the Extermination of
Jews, Washington, D.C. : USHMM/Center for Advanced Holocaust Studies, 1995, p. 10.
51. Cette célèbre lettre a été publiée de nombreuses fois depuis qu’elle a figuré comme
document (PS 710) au procès de Nuremberg : International Military Tribunal, vol. 26, p. 266267.
52. Cornelia Essner, Die „Nürnberger Gesetze“ oder Die Verwaltung des Rassenwahns
1933-1945, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2000, p. 335-341 ; Michael Wildt, Generation des
Unbedingten. Das Führungskorps des Reichssicherheitshauptamtes, Hamburg, Hamburger
Edition, 2002, p. 607-617 ; Gideon Botsch, „Der Weg zum Massenmord an den Juden
Europas“, Die Wannsee-Konferenz und der Völkermord an den europäischen Juden. Katalog,
p. 72-86.
53. Lettre de la Reichvereinigung der Juden in Deutschland au Zentralstelle für jüdische
Auswanderung, 13 août 194 ; Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 21-65.
54. Même lettre du 7 août, Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 8.
55. Même lettre du 13 août Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 25.
56. Propos d’Eichmann au juge Yitzhak Raveh, session 106, 21 juillet 1961. Pour la
version allemande, voir Kurt Pätzold et Erika Schwartz, Tagesordnung : Judenmord. Die
Wannsee-Konferenz am 20. Januar 1942, Berlin, Metropol, 1992, p. 196.
57. Bundesarchiv Berlin, R 8150, Bd. 28, p. 11. Voir annexe.
58. Le texte d’origine en allemand est le suivant : „Ich will heute wieder ein Prophet
sein : Wenn es dem internationalen Finanzjudentum in und außerhalb Europas gelingen sollte,
die Völker noch einmal in einen Weltkrieg zu stürzen, dann wird das Ergebnis nicht die
Bolschewisierung der Erde und damit der Sieg des Judentums sein, sondern die Vernichtung der
jüdischen Rasse in Europa…“ Max Domarus, Hitler – Reden und Proklamationen 1932-1945.
Kommentiert von einem deutschen Zeitgenossen, Munich, 1965, vol. II, p. 1057. Pour la version
française, voir Léon Poliakov, Bréviaire de la haine (Le IIIe Reich et les juifs), Paris, CalmannLévy, 1951, p. 35.
59. À ce sujet, voir chez Browning et chez Kershaw, Hitler, 1936-1945 : Némésis, index,
sous : « Prophétie ».
60. Peter Witte, „Zwei Entscheidungen in der ‘Endlösung der Judenfrage“ : Deportationen
nach Lodz und Vernichtung in Chelmno”, Theresienstädter Studien und Dokumente, 1995,
p. 46.
61. „Gemäß dem Willen des Führers soll nach dem Kriege die Judenfrage innerhalb des
von Deutschland beherrschten oder kontrollierten Teiles Europas einer endgültigen Lösung
zugeführt werden“. Cité chez Browning, The Origins of the Final Solution, p. 103. Serge
Klarsfeld, Vichy-Auschwitz : Die Zusammenarbeit der deutschen und französischen Behörden
bei der „Endlösung der Judenfrage“ in Frankreich, Nördlingen, Delphi Politik, 1989, p. 361363.
62. „Die politische und diplomatische Führung Adolf Hitlers hat die Grundlagen für die
europäische Lösung der Judenfrage geschaffen“ ; Wolfram Meyer zu Utrup : Kampf gegen die
„jüdische Weltverschwörung“. Propaganda und Antisemitismus der Nationalsozialisten 1919
bis 1945, Berlin, 2003, S. 449, note 120.
63. „Die Gelegenheit dieses Krieges muss benutzt werden, in Europa die Judenfrage
endgültig zu bereinigen” ; Luther à Weizsäcker, 4.12.1941, YVA, 051.463 in Eckart Conze,
Norbert Frei, Peter Hayes and Moshe Zimmermann, Das Amt und die Vergangenheit. Deutsche
Diplomaten im Dritten Reich und in der Bundesrepublik [Munich] : Karl Blessing Verlag, 2010,
p. 186.
64. Réponse d’Eichmann à Hausner, séance du 18 juillet 1961. Pour la version allemande,
voir Tagesordnung : Judenmord, p. 194.
65. Klaus-Michael Mallmann et Martin Cüppers, „‘Beseitigung der jüdisch-nationalen
Heimstätte in Palästina’ : Das Einsatzkommando bei der Panzerarmee Afrika 1942“, in : Jürgen
Matthäus et Klaus-Michael Mallmann (éds.), Deutsche, Juden, Völkermord. Der Holocaust als
Geschichte und Gegenwart (Darmstadt, WBG, 2006), p. 153-176 ; et Klaus-Michael Mallmann
et Martin Cüppers, Halbmond und Hakenkreuz, Darmstadt, WBG, 2006.
66. Walter à l’ambassade d’Allemagne à Rome, le 12 mai 1942. Yad Vashem Archives,
JM/2213. Cette lettre est traduite en hébreu dans le livre d’Esther Haran, « Persécution des juifs
de Libye (telle qu’elle se reflète dans les rapports du consulat allemand à Tripoli) », Yalkut
Moreshet 33 (juin 1982), p. 156, en hébreu.
67. La suite de la citation ci-dessus des propos du rédacteur du discours d’Himmler, Zapp
(voir note 62) dit qu’après la solution de la question juive en Europe, débutera la solution de la
question juive dans le monde (Lösung der Weltjudenfrage). Suite à cela, Theodor Scheffer
organisa lors du trimestre d’été de l’année 1943 une conférence scientifique lors d’un séminaire
politico-pédagogique à l’université de Jena dont le sujet était la question juive (Die Judenfrage).
Il y déclara que « pour nous, la chose ne se termine pas en ayant solutionné à grande échelle le
problème au sein du Reich. Il s’agit là d’une question mondiale impliquant cette guerre [qui se
déroule actuellement] et les luttes qui vont croissant ». „Es ist für uns nicht damit abgetan, daß
wir die Judenfrage im Reich weitgehend gelöst haben. Sie ist eine Weltfrage, mit der dieser
Krieg und seine immer heftiger werdenden Kämpfe zusammenhangen“), in Uwe Hoßfeld e. a.
(éds.), Kämpferische Wissenschaft. Studien zur Universität Jena im Nationalsozialismus,
Cologne, Böhlau, 2003, p. 530-531. En ce qui concerne la vision consistant à élargir la Solution
finale au-delà des frontières européennes, plusieurs partisans idéologiques l’ont exprimé alors
que la chose n’était pas encore possible.
68. Ian Kershaw, Fateful Choices : Ten Decisions that Changed the World, 1940-1941,
Londres, Allen Lane, 2007, p. 431-470 (ch. 10).
DEUXIÈME PARTIE
L’ALLEMAGNE NAZIE ET L’AFRIQUE
DU NORD
2. Les dynamiques de l’antisémitisme au Maghreb
à la veille de la Seconde Guerre mondiale
1. Nous faisons ici référence au Centre des archives d’outre-mer (CAOM, Aix-enProvence, France) pour ce qui est de l’Algérie et au Centre des archives diplomatiques de
Nantes (CADN, Nantes, France) pour le Maroc et la Tunisie.
2. Le projet Blum-Viollette visait à accorder l’égalité politique à quelque 20 000
indigènes, avec l’idée de l’étendre progressivement au plus grand nombre. Le projet fut
définitivement rejeté par le Sénat fin 1938.
3. Citoyen allemand, Adolf Langenheim est ingénieur des Mines et réside au Maroc
depuis 1905. Il est le chef du parti nazi au Maroc espagnol.
4. Excelsior, 15 janvier 1937.
5. Centre des archives d’outre-mer (CAOM), 2I 38, Lettre de l’administrateur principal de
la commune mixte du Haut-Sebaou datée du 10 septembre 1934 au sous-préfet de Tizi-Ouzou.
6. Le Service mondial était le centre allemand de propagande antijuive basé à Erfurt
(Allemagne) et dont le rayon d’action était international.
7. CAOM, 81F 864, Dossier présenté par M. Ghighi, conseiller général d’Oran.
8. Centre des archives diplomatiques (CADN), Article 24, Lettre du consul de France au
ministre des Affaires étrangères datée du 24 août 1938.
9. Ibid. Le directeur de la Sécurité publique mentionne par exemple, le 10 septembre
1938, les tonnes de marchandises importées d’Italie en déshérence dans le port de Casablanca,
et dont les commerçants israélites refusent de prendre livraison en guise de représailles (CADN,
Article 24, Note du directeur de la Sécurité publique datée du 10 septembre 1938).
10. CADN, Article 2140, Rapport du Directeur de la Sûreté publique au Résident général
de France daté du 14 novembre 1938. Ces ouvrages sont : Gli Ebrei d’oggi ; L’internazionale
Ebraica – 9800 nomi di Ebrei abitant l’Italia ; Storia del Popolo d’Israele ; Che Cosa è
l’Ebraismo ? ; Il Razzismo – Gli Ebrei e noi.
11. Sur le pogrome de Constantine, voir notamment l’ouvrage de Robert Attal, Les
Émeutes de Constantine, 5 août 1934, Paris, Éditions Romillat, 2002 et la contribution de
Geneviève Dermenjian au colloque international Juifs en terre d’Islam et dans les Balkans
(XVI-XXe siècle), 1er-6 avril 2000, École française d’Athènes : « Le malaise colonial de
l’Algérie des années 1930 au miroir du pogrom de Constantine (août 1934) » (le texte est
accessible
sur
le
site
Internet
suivant
:
http://www.mmsh.univaix.fr/telemme/textes/publi/PubliEnsCherch/g.dermenjian.htm).
12. CAOM, 1CM 8, Rapport de l’adjudant commandant la section d’Affreville daté du
3 septembre 1934.
13. CADN, Article 1724, Rapport du commissaire de police Albertini au commissaire
principal daté du 8 septembre 1934.
14. Michel Abitbol, Les Juifs
Maisonneuve & Larose, 1983, p. 34.
d’Afrique
du
Nord
sous
Vichy,
Paris,
15. CADN, Article 24, Lettre du contrôleur civil de la région d’Oudjda à la Résidence
générale datée du 24 août 1934.
16. Henri Lautier est né à Batna le 28 mai 1904. Repris de justice, directeur du journal
antijuif L’Éclair, il est l’un des activistes antisémites les plus acharnés d’Algérie à cette époque.
17. Sur les dérapages de cette base en Algérie, voir Albert Kéchichian, Les Croix-de-Feu
à l’âge des fascismes, Seyssel, Champ Vallon, 2007, p. 219-234.
18. CAOM., F405, Rapport du chef de la Sûreté départementale (Alger) daté du
26 septembre 1936.
19. CADN, Article 24, Rapport du commissaire divisionnaire de Rabat au chef du Service
de la sécurité datée du 8 octobre 1936.
20. CADN, Article 24, Note de renseignements du commissaire chef de la Sûreté
régionale (Meknès) datée du 18 mai 1938.
21. Ibid.
22. Ibid.
23. CAOM, B3 251, Lettre du commissaire central de Philippeville au sous-préfet datée
du 14 août 1934.
24. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général
de France daté du 5 janvier 1939.
25. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général
de France daté du 7 septembre 1937.
26. CAOM, B3 670, Rapport du chef de la Sûreté départementale (Constantine) daté du
er
1 octobre 1937.
27. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général
de France daté du 28 janvier 1939.
28. CADN, Article 1724, Rapport du commissaire divisionnaire au commissaire principal
daté du 11 août 1934.
29. CAOM, 2I 38, Lettre du commissaire de police de Cherchell au directeur de la Sûreté
générale datée du 12 septembre 1934.
30. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général
de France daté du 7 septembre 1937.
31. Fête qui commémore la naissance du prophète Mahomet.
32. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire de police de Gabès au chef de service
de la Sécurité générale (Tunis) daté du 30 mai 1936.
33. CAOM, 2I 38, Rapport du commissaire central d’Alger daté du 26 août 1937.
34. Ibid.
35. CADN, Article 1724, Rapport du commissaire de police au commissaire principal
(Sfax) daté du 12 août 1934.
36. Sur cette question voir notamment Emmanuel Debono, « Antisémites européens et
musulmans en Algérie après le pogrome de Constantine (1934-1939) », in Revue d’histoire de
la Shoah, no 187, juillet/décembre 2007, p. 305-328.
37. Michel Abitbol, op. cit., p. 36.
38. Ibid.
39. CAOM, 2I 38, Lettre du gouverneur général d’Algérie au préfet (Alger) datée du
20 juillet 1933.
40. Ibid.
41. CADN, Article 234, Note du consulat général de France à Tanger au directeur des
affaires politiques datée du 20 novembre 1936.
42. Cité par Le Droit de vivre, 8 août 1936. Le Droit de vivre est l’organe de la Ligue
internationale contre l’antisémitisme (voir plus bas).
43. CAOM, B3 670, Rapport du commissaire central de Constantine au préfet datée du
6 mars 1937.
44. CAOM, 4I 73, Branlebas, 28 novembre 1938.
45. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire spécial au chef du service de la
Sécurité général (Tunis), le 8 décembre 1936.
46. Les métouis sont des dockers.
47. CADN, Article 1870, Note du chef de la Sûreté au chef du service de la Sécurité
générale datée du 26 juin 1936.
48. Ibid.
49. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire spécial (Tunis) daté du 1er mars 1937.
50. Suspendu de sa prêtrise pour inconduite en 1932, Gabriel Lambert, né le 3 avril 1900 à
Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), remplaça en 1934 le maire antisémite d’Oran,
Menudier, lui-même successeur du docteur Molle. Il fut confirmé dans sa nouvelle fonction par
les élections municipales de 1935. Candidat aux élections législatives de 1936, il échoua et se
retourna brutalement contre l’électorat juif qu’il caressait jusqu’alors et qu’il accusa dès lors de
traîtrise. Il se fit alors le champion de l’anticommunisme, en réaction au Front populaire, et de
l’antisémitisme, soutenu dans son combat par Le Petit Oranais.
51. Émile Morinaud (1865-1952) fut député républicain-socialiste puis radical
indépendant de l’Algérie, de 1898 à 1902 et de 1919 à 1940. Il fut maire de Constantine de 1901
à 1938. Après l’échec électoral des députés antisémites en 1902, dont le sien propre, Morinaud
avait momentanément mis ses attaques contre les juifs en veilleuse.
52. Le premier décret modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, réprimant
l’excitation à la haine raciale ou religieuse. Le deuxième vise à réprimer la propagande
étrangère. Les décrets seront abrogés par le gouvernement de Vichy le 27 août 1940.
53. Centre des Archives contemporaines (Archives nationales, France), versement
19940497, article 33, dossier 798.
54. CAOM, B3 670, Rapport du chef de la Sûreté départementale (Constantine) daté du
30 juillet 1938.
55. Ibid.
56. CAOM, 5I 50, Rapport sur le mouvement antisémitique dans le département d’Oran
(1938).
57. CADN, Article 24, Rapport du commissaire chef de la Sûreté régionale au général
commandant la région daté du 18 juillet 1936.
58. Ibid.
59. Ibid.
60. CADN, Article 24, Lettre du général chef de la région de Meknès au Résident général
de France au Maroc, daté du 18 juillet 1936.
61. CADN, Article 1870, Rapport au chef de service de la Sécurité générale (Tunis) daté
du 4 décembre 1936.
62. CAOM, 16H 115, Lettre du préfet Boujard (Oran) au gouverneur général de l’Algérie
datée du 25 juin 1938.
63. CADN, Article 2140, Lettre du directeur de l’Administration générale et communale
au Résident général datée du 27 (?) septembre 1938.
64. L’organisation dirigée par le journaliste Bernard Lecache a créé des sections en France
métropolitaine et dans les trois pays du Maghreb. Elles sont chargées de surveiller les
manifestations antisémites locales et d’agir contre celles-ci.
65. Archives du ministère des Affaires étrangères (France), Correspondance politique et
commerciale, Tunisie, 382, Lettre du Résident général de Tunisie à Louis Barthou, ministre des
Affaires étrangères, datée du 10 septembre 1934.
66. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire de police (la Goulette) daté du 23 mars
1937.
67. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général
de France daté du 5 janvier 1939.
68. Au sujet du climat qui règne en Algérie à la veille de la Seconde Guerre mondiale,
l’historien Charles-Robert Ageron a pu noter : « Nulle part en territoire français, même en
Alsace, ne régnait un antisémitisme aussi général. » In Charles Robert-Ageron, De « l’Algérie
française » à l’Algérie algérienne, Paris, Bouchène, 2005.
3. L’Afrique du Nord dans la stratégie du Troisième
Reich
1. Cet article est en grande partie tiré de l’ouvrage de Chantal Metzger, L’Empire colonial
français dans la stratégie du Troisième Reich (1936-1945), Bruxelles, Francfort-sur-le-Main,
New York, Peter Lang, 2002, 2 vol., 1123 p. D’autres ouvrages ont abordé certains aspects du
sujet comme les travaux de Karsten Linne, Deutschland jenseits des Äquators ? Die NSKolonialplanungen für Afrika, Berlin, Ch. Links, 2008, 216 p., et le livre de Martin Cüppers et
Klaus-Michael Mallmann, Croissant fertile et Croix gammée. Le Troisième Reich, les Arabes et
la Palestine, Paris, Verdier, 2009, 352 p.
2. Lettre au comte Frankenberg, député conservateur à la Chambre des députés, citée dans
H. von Poschinger, Fürst von Bismarck und die Parlamentarier, t. 3, Breslau, 1896, p. 54 et par
Lothar Gall, Bismarck, Paris, Fayard, 1984, p. 653-654.
3. Jacques Thobie et alii, Histoire de la France coloniale, 1914-1990, Paris, A. Colin,
1990, p. 86 et suiv.
4. A. Hitler, Mein Kampf, édition 1930, p. 741-742.
5. Ibid.
6. Kurt Weigelt est un des directeurs de la Deutsche Bank. Président-adjoint de la
Deutsche Ostafrikanische Gesellschaft, il peut être considéré, au début des années 1930, comme
un « expert en matière coloniale » et le « ministre des Affaires étrangères » de la Deutsche
Bank. À la même époque, il milite dans les associations coloniales comme la Deutsche
Kolonialgesellschaft et entre au parti national-socialiste en 1937.
7. L’acte d’Algésiras avait prévu que le régime de la porte ouverte serait pratiqué par le
Maroc à l’égard des puissances étrangères qui doivent être toutes traitées exactement de la
même manière.
8. Par le dahir du 1er septembre 1927, les produits marocains bénéficient du traitement de
la nation la plus favorisée à leur entrée en Allemagne.
9. Les Allemands exportent surtout vers le protectorat des produits finis, des camions, des
machines agricoles, de la quincaillerie et des produits de leur industrie chimique,
photographique et électronique. Ils en importent des denrées alimentaires et des matières
premières, notamment des phosphates de la région de Casablanca, dont ils sont les
cinquièmes importateurs en 1938, du bois (ils s’intéressent à l’exploitation du liège), du
molybdène et du minerai de cuivre, de plomb, d’antimoine et de cobalt.
10. Fribourg-en-Brisgau, Militärarchiv/Bundesarchiv, RW 19, Wi III A 2,1, „Der deutschmarokkanische Handel“, 1938.
11. Politisches Archiv des Auswärtigen Armts (dorénavant PAAA), Deutsche Botschaft in
Madrid, Die Tangerzone, Bd 2, lettre adressée par les firmes A. Renschhausen & Co,
H. Wilmer, R. Rahlke, O. Wilmer, J. Bernhardt, A. Giese, Hermann Paege, H. Hoffmann,
E. Fratz, J.A.K. Meyer et A. Langenheim au Dr Brosch, consul allemand à Tétouan, le
26 février 1935.
12. Berlin, PAAA, Staatssekretär Frankreich, Bd 1, Aufzeichnung über die
Diskriminierung Deutschlands in Französisch-Marokko und der Tangerzone, 23 novembre
1938, signé von Rintelen.
13. La Courneuve, Archives du ministère des Affaires étrangères (dorénavant AMAE),
Maroc 1917-1940, no 636 A, lettre adressée par M. Avonde Froment, ministre plénipotentiaire
chargé du consulat général de France à Tanger à son Excellence Monsieur le ministre des
Affaires étrangères, Tanger, 2 décembre 1938.
14. Paris, Archives du ministère des Finances (MF), B 31 517, mémorandum envoyé par
Coulondre au ministère des Affaires étrangères, 14 janvier 1939. Il s’agit d’un aide-mémoire
contenant les vœux et propositions du gouvernement allemand en vue de développer les
relations commerciales entre la France et l’Allemagne tels qu’ils ont été formulés à l’occasion
des conversations franco-allemandes de Paris des 6 et 7 décembre 1938.
15. Berlin, Ha Po. II a Handel 6/ Bd 1, Deutsches Konsulat für die Regentschaft Tunis,
Tunis, 23 novembre 1937, les exportations de charbon allemand augmentent et sont
essentiellement destinées à la Société tunisienne de houille et agglomérés de Bizerte, qui utilise
de grandes quantités de charbon pour les chemins de fer tunisiens.
16. Berlin, PAAA, Pol. Abt. II, Tunis, rapport sur le commerce germano-tunisien de 1936.
Rares sont cependant les Tunisiens susceptibles d’acquérir un poste de radio, seule la population
européenne peut en acquérir.
17. Berlin, Ha Po II a Frankreich, 11-1/Bd 2 ; Deutsche Botschaft, Wirtschaftsabteilung,
Paris, 18 juillet 1939, faisant état de l’interdiction d’exporter du minerai de fer d’Afrique du
Nord vers l’Allemagne. Un rapport du Legationsrat, Kreutzwald, daté du 11 juillet, avait
curieusement signalé que les autorités algériennes avaient réduit la quantité d’aluminium
achetée par les Allemands en Algérie. L’Algérie ne possédait aucune usine d’aluminium et les
quantités de minerai de bauxite trouvées à la frontière de la Mauritanie étaient insignifiantes et
non exploitées.
18. Berlin, Ha Po II a Frankreich, 11-1/Bd 2 ; Deutsches Generalkonsulat, Algier, 8. März
1939.
19. Berlin, PAAA, Tunis, Jahresübersicht für 1936.
20. Selon Jean Deuve, La Guerre des magiciens, l’intoxication alliée 1939-1944, Paris,
éd. Charles Corlet, 1995, les Allemands ont eu des radars dès 1940 ; ils ont mis en service un
nouveau modèle, Freyda, d’une longueur d’onde de 25 mètres et d’un rayon d’action de 90 km,
mais il équipera les côtes de la Manche, et non les côtes méditerranéennes.
21. Nantes, AMAE, ambassade de France à Madrid, Série C, no 306, rapport de
l’ambassade de France à Madrid, destiné à la direction Europe, 1er mai 1935.
22. La Courneuve, AMAE, Maroc 1917-1940, no 636 A, lettre d’Yvon Delbos à Corbin,
ambassadeur de France à Londres, Paris, 30 novembre 1936. Dans un rapport du 15 août 1936,
le consul de France à Tétouan avait signalé l’arrivée de quinze avions allemands, des trimoteurs
Junkers ; à la fin du mois d’août l’activité de guerre allemande s’était développée, le cuirassé
Deutschland et le torpilleur Luchs arrivent à Ceuta, le 22 septembre, le Nuremberg mouille en
rade de Larache.
23. Vincennes, SHD, 7 N 2702, note signée par le sous-chef de l’EMA, le général Dentz,
et adressée au général, attaché militaire de France à Berlin, 20 décembre 1938.
24. Les fortins que l’on trouvait sur les côtes d’Afrique du Nord dataient de l’époque
turque ; d’aspect imposant, ils étaient en réalité peu solides. Von Xylander s’intéresse à la
batterie du cap de Carthage, dans le golfe de Tunis, à la batterie de ravin de Tunis.
25. Jean-Luc Susini, « Un officier allemand en Afrique du Nord et au Sahara 1939 », in
Histoire et défense, 1989.
26. Vincennes, SHD, 2 H 59, rapport du Bulletin de renseignements du Commandement
supérieur des troupes de Tunisie, EM 2e Bureau, 14 octobre 1938. Ce rapport signale la
présence, en Tunisie, d’un « dangereux » personnage, le représentant des moteurs allemands
Diesel pour toute l’Afrique du Nord.
27. La Courneuve, SHD, Maroc 1917-1940, no 636 A, Lettre d’Y. Delbos à Corbin,
30 novembre 1936.
28. Les événements métropolitains, et notamment l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement
de Front populaire, ont eu des répercussions au Maroc. Des grèves y éclatent, comme dans la
métropole, les travailleurs marocains sont pleins d’espoir, mais seuls les Européens en tirent
quelque avantage. Les nationalistes en profitent pour demander des réformes et appellent à
l’union pour faire bloc contre le protectorat. Le sultan, poussé par la France, fait arrêter les
responsables nationalistes, ce qui provoque une série d’émeutes à Rabat, Salé et Fès. Une grave
crise économique, qui se manifeste par un renchérissement de la vie au cours d’un été
particulièrement pénible, provoque des émeutes en septembre 1937. Les nationalistes marocains
avaient aussi répandu dans leur presse de fausses nouvelles : on ne trouverait plus de farine !
29. El Ksar se trouve en zone espagnole, à proximité de la frontière avec la zone française.
30. Vincennes, SHD, 1BB²/ 184, rapport de Saint-Quentin, directeur des affaires
politiques et commerciales au ministère des Affaires étrangères au ministère de la Marine,
16 octobre 1937. Les trois nations évoquées sont l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
31. Berlin, PAAA, Pol. Abt. II, Po Algérien ; rapport du 29 octobre 1936. Un camp de la
Légion étrangère était situé à côté du village.
32. Charles-Robert Ageron, « Les populations du Maghreb face à la propagande
allemande », in Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, no 114, 1979, p. 14. Jeffrey
Herf, « La propagande nazie destinée au monde arabe pendant la Seconde Guerre mondiale et la
Shoah ; ses conséquences », Revue d’histoire de la Shoah, 2016/2 (no 205), p. 107-126.
33. La Courneuve, AMAE, Maroc 1917-1940, no 636 A, lettre adressée par le général
Noguès, résident général de la République française au Maroc, à son Excellence M. le ministre
des Affaires étrangères, Rabat, 26 février 1937. (Archives de l’ambassade de France à Madrid).
34. Vincennes, SHD, 2 H 59, Bulletin de renseignements du Commandement supérieur
des troupes de Tunisie, État-major, 2e Bureau, 31 décembre 1937.
35. Vincennes, SHD, 2 N 243, note adressée par le général d’armée Noguès, commandant
en chef le théâtre d’opérations de l’Afrique du Nord, au général Gamelin, commandant en chef
des forces terrestres, 30 septembre 1939.
36. Ou Chaqib Arsalan (1869-1946) appartenait à une importante communauté druze du
district du Chouf, au Liban ; sa famille était la plus influente de la région. Très croyant, Chekib
Arslan était aussi renommé pour sa grande culture ; il voua sa vie à la Nahdad (ou renaissance
du monde arabe), qui passait par la reconstitution de la Grande Syrie (Syrie-Liban-Palestine) et
par le réveil du Maghreb occupé par la France. En 1921, il installa auprès de la Société des
Nations, à Genève, la « Délégation permanente du comité syro-palestinien » ; il fut condamné à
mort en 1926 par un tribunal militaire français pour son soutien à la révolte druze. En 1930, il
créa une revue panislamique, La Nation arabe, et fonda en 1933, à Vienne, l’Islamischer
Kulturbund, il bénéficiera de l’aide financière de l’Italie, puis, par la suite de l’aide allemande.
Ses activités politiques et littéraires se poursuivront toute sa vie.
37. Aix-en-Provence, CAOM, 29 H35, Chekib Arslan correspondait avec d’éminentes
personnalités allemandes comme Max von Oppenheim et rencontra lors d’un voyage au Levant,
en 1937, Baldur von Schirach. Il fit un séjour à Berlin, signalé par Radio Berlin, en septembreoctobre 1939 et y reçut, selon les services français, des consignes en vue de se livrer à la
propagande antifrançaise ; selon une dépêche d’André François-Poncet (Rome, 19 février
1940), l’émir touchait un traitement mensuel de 3 000 marks.
38. Charles-Robert Ageron, « Les populations du Maghreb… », op. cit., p. 1-39.
39. Vincennes, SHD, EMAT 2 H 71, EMAT, 2e Bureau, Bulletin d’informations
générales no 6 du 15 novembre 1939.
40. C. Metzger, L’Empire colonial français dans la stratégie du Troisième Reich, op. cit.,
p. 226 et suiv.
41. Akten zur Deutschen Auswärtigen Politik (ADAP), série D, vol. X, no 169, p. 177,
note
de
Welck,
Vertreter
des
Auswärtigen
Amts
bei
der
Deutschen
Waffenstillstandskommission, an das A. A., 15 juillet 1940. La version allemande de cette note
ne figure par dans les ADAP, mais dans les documents de la Délégation française auprès de la
Commission allemande d’armistice. Recueil de documents publiés par le gouvernement
français, Paris, Costes, 1947-1959, t. V, 1959, p. 463-464.
42. Délégation française auprès de la Commission allemande d’armistice. op. cit., t. I,
1947, p. 462 ; extrait du livre d’Hubert du Moulin de Labarthète, Le Temps des illusions.
Souvenirs (juillet 1940-avril 1942), p. 206.
43. François Charles-Roux, Cinq mois tragiques aux Affaires étrangères (21 mai4 novembre 1940), Paris, Plon, 1949, p. 172-173.
44. Erhard Moritz, „Plannungen für die Kriegsführung des deutschen Heeres in Afrika
und Vorderasien“, in Militärgeschichte, 16 (3), 1977, p. 323-333.
45. Chantal Metzger, « Amine el Husseini, Grand Mufti de Jérusalem et le Troisième
Reich », in Cahiers de la Shoah, no 9, « Coupables, complices, victimes », 2007, p. 91-22.
46. Chantal Metzger, « Le Troisième Reich et l’Eurafrique », in L’Europe et l’Afrique, de
l’idée d’Eurafrique à la convention de Lomé I (sous la dir. de M.-T. Bitsch et G. Bossuat),
Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 59-76.
47. C. Metzger, L’Empire colonial français…, op. cit., p. 491 et suiv.
48. Fribourg-en-Brisgau, Bundesarchiv, Militärarchiv, RW 19, Wi III, A 3/1 ou RW
19/24, conclusions de la réunion du 28 avril 1941.
49. Fribourg-en-Brisgau, Bundesarchiv, Militärarchiv, RW 19, Wi III, 10, conversation
entre Hemmen et Hünermann, Paris, 30 avril 1941.
50. Rudolf Rahn (1900-1975) commence sa carrière comme secrétaire à la S.D.N. ; il
entre à l’Auswärtiges Amt en 1927, et occupe des fonctions de conseiller dans les ambassades
d’Ankara (1931-1934), de Lisbonne (1937-1939), de Paris (1940-1943). Il est chargé de la
section Afrique du Nord à l’ambassade de Paris et séjourne à Tunis de novembre 1942 à
mai 1943 ; il est alors envoyé à Fasano, auprès de la République de Salo ; il y est nommé
ambassadeur en novembre de la même année ; il représentera son gouvernement auprès de la
république fasciste jusqu’à la fin de la guerre. Arrêté le 15 mai 1945 ; il fut interné de 1945 à
1947 ; il poursuivit après sa libération une carrière d’homme d’affaires et d’écrivain (il fut
l’auteur notamment d’un Talleyrand et rédigea ses mémoires).
51. Michaël Salewski, Die deutsche Seekriegsleitung, 1935-1945, Frankfurt,
Bernard & Graefe, 1970-1975, Bd II, Der Fall Tunis, p. 267, FS Doenitz an Riccardi, 1. SKl, Ib
1375/43 gKdos Chefs, 8 mai 1943.
52. Martin Bormann, Le Testament politique de Hitler, Paris, Fayard, 1957, note du
14 février 1945, QG du Führer.
53. Ibid.
54. Ibid.
55. Ibid.
56. Ibid., note du 15 février 1945, QG du Führer.
57. Vincennes, AMAE, Guerre 1939-1945, Vichy Y, vol. 282, Deutsche Allgemeine
Zeitung, 13 juin 1942.
4. La propagande du Troisième Reich en Afrique
du Nord durant la Seconde Guerre mondiale
1. Jeffrey Herf, The Jewish Enemy. Nazi Propaganda during World War II and the
Holocaust, Cambridge, 2006.
2. Friedrich Neubert, Die deutsche Politik im Palästina-Konflikt 1937/38, PhD Bonn
1977, p. 113-115 ; Werner Schwipps, Wortschlacht im Äther. Der deutsche Auslandsrundfunk
im Zweiten Weltkrieg, Berlin 1971, p. 58 ; Fritz Steppat, „Das Jahr 1933 und seine Folgen für
die arabischen Länder des Vorderen Orients“, in Gerhard Schulz, éd., Die große Krise der
dreißiger Jahre. Vom Niedergang der Weltwirtschaft zum Zweiten Weltkrieg, Göttingen, 1985,
p. 261-278, ibid., p. 269 ; Klaus-Michael Mallmann et Martin Cüppers, Halbmond und
Hakenkreuz. Das Dritte Reich, die Araber und Palästina, Darmstadt, 2006, p. 64-65.
3. Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes Berlin (PAAA), BA 61179, Ritter to
Auswärtiges Amt (AA), 26.5.1941 ; Bernd Trentow et Werner Kranhold, „Im Dienst
imperialistischer Weltherrschaftspläne. Zum Orient-Einsatz des faschistischen Rundfunks im
zweiten Weltkrieg“, Beiträge zur Geschichte des Rundfunks, 7(1973), 4, p. 22-51, ibid., p. 3435 ; Schwipps (note 2), p. 58-60.
4. Bundesarchiv Militärarchiv Freiburg/Br. (BA-MA), RW 4/v.184, officier de rapport des
opérations de la Wehrmacht Propaganda-Sonderstab F, 26.10.–15.12.1941.
5. Bundesarchiv Berlin (BAB), R 901/73039, radiodiffusion de propagande AA/Kult.
R./Ref. VIII (Orient), 5.12.1940.
6. Ibid., radiodiffusion de propagande AA/Kult. R./Ref. VIII (Orient), 19.12.1940.
7. Akten zur Deutschen Auswärtigen Politik (ADAP), Ser. D, Bd. 11/1, Oberkommando
der Wehrmacht (OKW)/Wehrmachtführungsstab (WFSt)/Abt. L, 12.11.1940, Directive N°. 18,
p. 444-446.
8. PAAA, R 27326, déclaration allemande radiodiffusée, 4.12.1940.
9. BAB, R 901/73039, radiodiffusion de propagande AA/Kult. R./Ref. VIII (Orient),
12.12.1940.
10. Ibid., radiodiffusion de propagande AA/Kult. R./Ref. VIII (Orient), 7.2.1941.
11. Sur les opérations militaires, John Keegan, Der Zweite Weltkrieg, Berlin 2004, p. 213217.
12. PAAA, R 60747, Schnellbrief AA, 18.4.1941 et Bergmann/AA à von Neurath,
30.5.1941.
13. Ibid., Verbindungsoffizier Auswärtiges Amt
(VAA)/Panzergruppe (PzGr) Afrika à l’AA, 17.11.1941.
beim
Armeeoberkommando
14. Ibid., „Krieg und Hungersnot “ébauche de tract VAA/PzGr Afrika (non daté /
novembre 1941).
15. Mallmann et Cüppers, Halbmond, (note 2), p. 121-122.
16. PAAA, R 29533, VAA/Panzerarmee Afrika (PzAA) à l’AA, 8.5.1942.
17. Ibid., Schwendemann/Zweigstelle Vichy à l’AA, 27.4.1942.
18. Mallmann et Cüppers, Halbmond, (note 2), p. 124-128.
19. PAAA, R 29537, VAA/PzAA à l’AA, 25.6.1942.
20. Ibid., R 60748, Wüster/AA à VAA/PzAA, 25.6.1942.
21. Ibid., VAA/PzAA à l’AA, 4.7.19.
22. Ibid., Wüster/AA à VAA/PzAA, 13.7.1942.
23. Ibid., R 60650, Wüster/AA à l’AA, 12.8.1942.
24. Ibid., traduction, prospectus (non daté/août 1942).
25. Ibid., carte de propagande (non datée/août 1942).
26. Ibid., R 29863, Dr Mergerle/AA à l’AA, 10.7.1942 ; ibid., VAA/PzAA à l’AA,
18.7.1942.
27. Ibid., R 100767, Chef der Sicherheitspolizei und des SD (CdS)/VI C 13 à l’AA,
7.7.1942.
28. Ibid., R 60748, VAA/PzAA à l’AA, 12.7.1942.
29. Administration des archives et enregistrements nationaux, ambassade du Caire,
Enregistrements généraux, RG 84, Boîte 77, « Tuez les juifs avant qu’ils ne vous tuent »,
propagande radiodiffusée, 7.7.1942. Je remercie Jeffrey Herf pour cette référence.
30. BA-MA, RW 5/690, OKW/WFSt/Qu.I au Deutscher General beim Hauptquartier der
Italienischen Wehrmacht, 13.7.1942.
31. Mallmann et Cüppers, Halbmond (note 2), p. 137-138.
32. Ibid., p. 188-190.
33. Keegan (note 11), p. 492-493.
34. Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris 1983, p. 128-147 ;
Haïm Saadoun, “Tunisie”, in Reeva Spector Simon, Michael Menachem Laskier et Sara Reguer,
éd., The Jews of the Middle East and North Africa in Modern Times, New York, 2003, p. 444457 ; Mallmann et Cüppers, Halbmond (note 2), p. 204-208.
35. PAAA, R 101101, CdS/VI to AA, 3.12.1942.
36. BA-MA, RH 21-5/27, traduction, prospectus (non daté/jan. 1943).
37. PAAA, R 29867, appel de propagande (non daté/déc. 1942).
38. Ibid., R 27766, Rahn/AA à l’AA, 20.1.1943.
39. BA-MA, RH 21-5/26, traduction, carte postale de propagande (non datée).
40. PAAA, R 29867, von Schmieden/AA, 29.11.1942, Sprachregelung Flüsterpropaganda
nach Marokko.
41. Ibid., R 29866, consulat général à Tanger à l’AA, 24.11.1942.
42. Ibid., B 83/404, témoignage d’Alwin Guedel, 17.12.1962 ; cf. Simon Wiesenthal,
Recht, nicht Rache. Erinnerungen, Frankfurt am Main-Berlin 1988, p. 86.
43. Keegan (note 11), p. 498-499 ; Mallmann et Cüppers, Halbmond (note 2), p. 217-218.
5. Le ministère des Affaires étrangères allemand
et les Juifs d’Algérie de 1933 à 1936 :
l’antisémitisme nazi dans le contexte colonial
1. Le présent article s’inscrit dans un projet commun à l’Institut Ben-Zvi et Yad Vashem
dont l’objectif est de constituer un recueil de documents sur les juifs d’Afrique du Nord de 1933
à 1945. L’auteur de l’article est professeur au département d’Histoire et Culture juives de
l’université de Munich et responsable de la collecte des documents allemands dans les
différentes archives d’Allemagne concernées par ce projet. Je souhaite remercier à cette
occasion le coordinateur du projet, le Pr Haïm Saadoun, ainsi que Tamar Fuchs de l’Institut
Ben-Zvi pour l’aide apportée lors de la rédaction du présent article.
2. Description des émeutes de Constantine : Archives du ministère des Affaires étrangères
allemand R 71079, II FR 2997/34, La vérité sur le pogrom du 5 août : rapport officiel du
consistoire israélite de Constantine ; II FR 2835. Le consulat général d’Allemagne en Algérie au
ministère des Affaires étrangères allemand, 11 août 1934, « Émeutes à Constantine ».
3. R 71079, II FR 394. Le consulat général d’Allemagne en Algérie au ministère des
Affaires étrangères allemand, 5 février 1935, « Émeutes à Sétif ».
4. Les archives du ministère des Affaires étrangères allemand ont fait en 1936 l’objet
d’une réorganisation. Jusqu’à cette date, les documents traitant de sujets politiques et
économiques étaient classés ensemble. Après la réorganisation, on distingua entre les
documents économiques et politiques. Tandis que les documents politiques d’Algérie sont
mentionnés à part dans l’inventaire du ministère, les documents touchant à l’économie
algérienne ne sont pas concentrés dans un seul dossier et sont vraisemblablement dispersés dans
des centaines de dossiers, parmi des milliers de documents concernant l’économie de la France.
Il semble que certains de ces documents contiennent également des informations sur la part des
juifs dans l’économie de l’Algérie, qui pourraient être utiles au présent article. La seule façon de
les trouver est de chercher arbitrairement dans les millions de documents du ministère allemand
des Affaires étrangères traitant de l’économie française, une des puissances mondiales qui
suscita toujours un intérêt particulier auprès de la diplomatie allemande. De plus, la
documentation antérieure à la restructuration des archives du ministère est conservée
différemment que celle constituée ultérieurement. Les documents recueillis après la
réorganisation étaient utilisés par les diplomates dans leur travail courant. Par contre, les
documents d’avant mai 1936 furent moins utilisés. À la suite de la guerre, ont été
principalement détruits les documents qui après la nouvelle organisation étaient plus exposés
aux bombardements ou susceptibles d’être brûlés par les diplomates allemands eux-mêmes. Il
n’est pas vraiment possible d’estimer précisément l’ampleur des dégâts causés aux archives par
la guerre, ce qui a certainement une incidence sur cet article. La plupart des documents sur
lesquels se base le présent article ont été recueillis jusqu’en mai 1936. La description des
événements en Algérie depuis cette époque et jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale et
la fermeture du consulat allemand est assez brève et se termine le 10 décembre.
5. R 98412, D 3648/33.
6. R 98412, D 3648. Ministère de la Propagande au ministère des Affaires étrangères
allemand, 9 août 1933.
7. Id.
8. R 98412, D 4034. Ministère des Affaires étrangères allemand à toutes les légations
diplomatiques et consulaires, 25 août 1933.
9. Id.
10. Voir notamment : R 98412, D 4486, la légation allemande au Luxembourg au
ministère des Affaires étrangères allemand, le 1er septembre 1933 ; D 4579, consulat allemand à
Liverpool au ministère des Affaires étrangères allemand, le 4 septembre 1933 ; D 4771, consulat
allemand à Salonique au ministère des Affaires étrangères allemand, le 3 septembre 1933.
11. Voir notamment : D 98412, D 4911, consulat allemand à Odessa au ministère des
Affaires étrangères allemand, le 5 septembre 1933 ; D 5380, consulat allemand à Novossibirsk
au ministère des Affaires étrangères allemand, le 13 septembre 1933.
12. Voir notamment : D 98412, D 5931, légation allemande à Sofia au ministère des
Affaires étrangères allemand, le 4 octobre 1933.
13. D 98412, D 6840, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, le 27 octobre 1933.
14. Id.
15. Id.
16. Id.
17. Id.
18. R98412, D 3648/33.
19. R71079 ; II F21212, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, le 28 juillet 1933.
20. Id.
21. Id.
22. Id.
23. Id.
24. Id.
25. R71079, II FR 2835, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 11 août 1934.
26. Id.
27. Id.
28. Id. (souligné dans le document original).
29. Id.
30. R 71079, II FR 3062, consulat général d’Allemagne au ministère des Affaires
étrangères allemand, 30 août 1934.
31. Id.
32. Id.
33. R7107, II FR 344, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 25 janvier 1935.
34. R 71079, II FR 394, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 5 février 1935.
35. Id.
36. Id.
37. Id.
38. 71079, II FR 595, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 5 février 1935, création de la Commission pour l’Afrique du Nord et la
situation politique en Algérie.
39. R 71080 II FR 922, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 15 mars 1935, visite du ministre de l’Intérieur en Algérie.
40. Id.
41. R 71080, II FR 781/3, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 25 février 1935, la question juive en Algérie dans le contexte de la
politique coloniale française.
42. Id.
43. R 71080, (Algerien R 25) II FR.
44. Id.
45. Id.
46. Id., R 71079, II FR 2835.
47. Id.
48. R71079, IV PO, 5980 la délégation allemande à Varsovie au ministère des Affaires
étrangères allemand, 21 août 1934.
49. Id., R71079, II FR 3062.
50. R71079, II FR 3062, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 24 septembre 1934.
51. Id.
52. Id.
53. Id. Le rapport ne mentionne pas la date de publication de l’article.
54. Id.
55. Id.
56. Id.
57. La lettre du consulat général d’Allemagne adressée au ministère des Affaires
étrangères le 15 janvier fait mention de l’écrivain juif de gauche André Kouby, auteur du
bulletin Massacres de Constantine dans lequel il essayait de prouver que les émeutes résultaient
de la propagande des partis de droite français et de la propagande nazie. André Kouby est
probablement l’auteur auquel le consulat fait allusion.
58. Id.
59. R 71079, II FR 207, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 11 janvier 1935, ingérence allemande prétendue dans la politique des
indigènes.
60. Id.
61. R 71097, II FR 345, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 26 janvier 1935.
62. Id.
63. R 71080, II FR R 25/3, consulat général d’Allemagne à Alger à l’ambassade
d’Allemagne à Paris, 5 mars 1935.
64. R 71080, Correspondance diplomatique-politique allemande, 23 mars 1935.
L’Allemagne en débat sur l’Algérie à Paris.
65. R 71080, II FR R 3 / 4, ministère des Affaires étrangères allemand à l’ambassade
d’Allemagne à Paris, 31 mars 1935.
66. Id.
67. R 71079, II FR 207, ministère des Affaires étrangères allemande à l’ambassade
d’Allemagne à Paris, le 2 janvier 1935.
68. R 71079, II FR 527, ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires
étrangères allemand, 21 février 1935.
69. Id.
70. Id.
71. R71080, II FR (Algerien) R 24 / 26, II FR (Algerien) R 25 / 9.
72. R 71080, II FR 2870, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 4 mai 1935, prétendu espionnage en Algérie. Le consulat général
d’Allemagne a classé un dossier en annexe du premier document, les extraits de la presse
française décrivant l’arrestation des trois Suisses.
73. R 71080, II FR 2870, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 10 août 1935, expulsion d’Oran de la famille du citoyen allemand
Spranger.
74. Id.
75. R 71080, II FR (Algerien) R 28 /26, consulat général d’Allemagne à Alger au
ministère des Affaires étrangères allemand, 19 juin 1935.
76. R 71080, II FR 2140, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères, 19 juin 1935, visite en Algérie et au Maroc.
77. Ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires étrangères allemand.
78. Id.
79. Id.
80. Id.
81. R 71080, ministère des Affaires étrangères allemand au ministère des Transports du
Reich allemand et de Prusse, au ministère de la Propagande, au département des Relations
publiques du ministère de la Guerre et au ministère de l’Économie du Reich et de Prusse,
23 septembre 1935. (Le numéro du document n’est pas mentionné.)
82. R 71080, II FR 3013, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 17 août 1935, imprudence politique des Allemands en Algérie et
conséquences.
83. R 71080, II FR 4065, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 15 novembre 1935.
84. Id., II FR 3013.
85. 102914 R, 991 II POL, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des
Affaires étrangères, 8 juillet 1936, mouvement antisémite en Algérie.
86. Id.
87. Id.
88. R 10 2914, POL II 1782, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des
Affaires étrangères allemand, 1er septembre 1936. Le climat politique en Algérie.
89. Id.
90. Id.
91. Dossiers personnels, Dr Terdenge, 015260, ministère du Trésor du Reich au ministère
de l’Intérieur du Reich, 22 juillet 1922.
92. Id., ministère du Trésor du Reich au ministère de l’Intérieur du Reich, 24 avril 1925 ;
ministère du Trésor du Reich au ministère de l’Intérieur du Reich, 4 mai 1925.
93. Id., ministère des Affaires étrangères allemand, 24 février 1926.
94. Id., ministère des Affaires étrangères allemand, 1er mars 1926.
95. Id., R 6 /4 März 1926ä Deutsche Allgemeine. März 1926, Deutsche Tageszeitung 27.
Lokalanzeiger 27. 27.
96. Id., 22 avril 1926, carte blanche : contribution à la politique de lucidité nationale.
97. Dr Terdenge, dossiers personnels 015261, 18 février 1926, mémo.
98. H.-J. Döscher. Das Auswärtige Amt im Dritten Reich. Diplomatie im Schatten der
Endlösung, Berlin 1987, S. 18-24.
99. Ibid. Dr Hamacher au ministre du Reich 1932.
100. Id.
101. Id. Oktober 1932. Germania 19, postes culturels au ministère des Affaires étrangères,
novembre 1932. Voss Zeitung. Terdenge, Directeur du département de la Culture. Germania 31,
Oktober 1932. Direction du département de la Culture. Kolnische Volkszeintung 31. Direction
du département de la Culture du ministère des Affaires étrangères.
102. Id. Secrétaire d’État. 4 octobre 1932. Note dans le dossier personnel.
103. Id. 5 octobre 1933 : 15 octobre 1932.
104. Id. Ministère des Affaires étrangères allemand au président du Reich, 2 mars 1932.
105. Id. 22 mars 1934.
106. Id. 15 janvier 1935.
107. Id. Ministre des Affaires étrangères allemand Bolov au consul général Terdenge.
18 janvier 1936.
108. Dr Terdenge, dossier de dédommagement, 13385, vol. 1, Dr Terdenge à la
Commission supérieure de Munster, 20 juin 1945.
109. Dr Terdenge. 58505. (159) 119. 10 juin 1959.
110. Consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand.
22 novembre 1935. Construction d’un port de guerre à Mers el-Kébir.
111. R 71080. II FR 2140. Consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des
Affaires étrangères allemand. 19 juin 1935. Visite en Algérie et au Maroc.
112. R 71079. II FR 578. Consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires
étrangères allemand, 5 février 1934. Le ministère en France Outremer : II FR 595. Consulat
général d’Allemagne au ministère des Affaires étrangères allemand. 25 février 1935. Création
de la Commission pour l’Afrique du Nord et situation politique en Algérie : II FR (Algerien) R
20/3. R71080. Ambassade d’Allemagne à Paris au ministère des Affaires étrangères allemand.
14 mars 1936. Influence du conflit italo-éthiopien et des événements de Syrie sur l’Afrique du
Nord française.
113. Traité de Versailles. Chapitre V, Maroc, Clauses 141-146.
114. Mémo sur la discrimination des citoyens allemands au Maroc, II FR 3104.
115. Id., ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires étrangères allemand.
14 novembre 1930, II FR 3109.
116. R 71093, Berlin, 12 mai 1934, II FR 1652.
117. Id. II FR 3104.
118. Id. R 71093.
119. R 71092. Mémo sur la discrimination des Allemands au Maroc. II FR 3797.
120. Id. Berlin, 13 mars 1933, II FR 753.
121. Id. II FR 753/33.
122. Ministère des Affaires étrangères allemand à l’Union de l’industrie d’Allemagne.
Berlin 20 mars 1933. II FR 791.
123. Id. R71093.
124. R 71094. Ministère des Affaires étrangères à l’ambassade d’Allemagne à Paris.
14 mars 1933. II FR 787.
125. R 71093. Concernant l’ingérence de l’Allemagne dans la politique locale. Consulat
d’Allemagne en Algérie au ministère des Affaires étrangères allemand. 11 janvier 1935, II FR
207. Id., provocation de la presse française au sujet de l’ingérence de l’Allemagne au Maroc,
ambassade d’Allemagne à Madrid au ministère des Affaires étrangères allemand, 5 février 1935,
II FR H 15.
126. Id., ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires étrangères allemand,
8 mars 1935, II FR 714.
127. R 71079, II FR 207, ministère des Affaires étrangères allemand à l’ambassade
d’Allemagne à Paris, 29 janvier 1935.
128. Id.
129. R 129 ministère des Affaires étrangères allemand au ministère des Transports du
Reich allemand et Prusse, au ministère de la Propagande, au département des Relations
publiques du ministère de la Guerre et au ministère de l’Économie du Reich et de Prusse,
23 septembre 1935. (Le numéro du document n’est pas mentionné.)
130. Id.
131. Dr Richter, Dossier personnels, 012210. Une grande partie des dossiers personnels de
Richter ont disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui ont été épargnés retracent
surtout la période où il fut employé au Reichsausgleichsamt et traitent principalement de sujets
financiers. Ces documents donnent parfois des informations indirectes sur d’autres sujets. Une
publication en trois volumes du ministère des Affaires étrangères allemand reprend par ordre
alphabétique des informations biographiques sur tous les diplomates allemands décédés trente
ans avant la publication du volume dans lequel figure la fiche de Richter. Ce document et les
dossiers personnels de Richter ont servi à reconstituer sa carrière.
132. Dragomanat, est le nom officiel donné aux traducteurs de langues arabes et turque du
ministère des Affaires étrangères allemand.
133. Dr Richter, Dossiers personnels 012210.
TROISIÈME PARTIE
LE RAPPORT DES POPULATIONS LOCALES
AUX JUIFS
6. Sympathisants indifférents : nationalistes
marocains et Juifs marocains durant la Seconde
Guerre mondiale
1. Pour une discussion à ce sujet, voir Meir Litvak et Esther Webman, The Representation
of the Holocaust in the Arab World, Tel Aviv, 2006 (en hébreu).
2. Yaron Tsur, A Torn Community : The Jews of Maroc and Nationalism 1943-54, Tel
Aviv, 2001, p. 76-78 (en hébreu).
3. Alal al-Fasi, The Independence Movements in Arab North Africa (tr. Hazem Zaki
Nuseibeh), New York, 1970, p. 178.
4. Michel Abitbol, The Jews of North Africa during World War II, Jérusalem, 1986, p. 3740 ; 43-46 (en hébreu).
5. Al-Fasi, p. 199.
6. « Bulletin de renseignements politiques no 5, Historique du nationalisme marocain »,
Annexe IV, fiches concernant les principaux nationalistes-fiche no 6-Ahmed Ben Abddelsalam
Balafredj, présidence du gouvernement provisoire, Comité de l’Afrique du Nord, Secrétariat
général, Archives nationales, Paris, F/60/846.
7. Goold au secrétaire d’État, 15.3.1940, Archives nationales, Washington, DC, Groupe
de registres 59/881.00/1743.
8. Al-Fasi, p. 200.
9. Abitbol, p. 43-44 ; 138-139.
10. Robert Satloff, Among the Righteous: Lost Stories from the Holocaust’s Long Reach
into Arab Lands, New York, Public Affairs, 2006, p. 73.
11. Al-Fasi, p. 199.
12. Ibid., p. 217-218.
13. Izarab Mohamed Hassan Ouazzani, Entretiens avec mon père, Fès, Fondation Hassan
Ouazzani, 1989, p. 213.
7. L’accomplissement d’un long cheminement
antisémite :
l’abolition du décret Crémieux et la réaction
de la population algérienne
1. Xavier Yancono, « La Régence d’Alger en 1830 d’après l’enquête des commissions de
1833-34 », in Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, Aix-en-Provence, no 1,
1er semestre 1966, p. 233 et 244.
2. À partir de 1845 toutes les anciennes institutions sont supprimées et remplacées par un
consistoire central à Alger et deux provinciaux à Oran et Constantine, consistoires formés par
des membres laïques qui doivent jurer fidélité au roi. En 1867, les consistoires algériens et
français seront rattachés et il y aura un consistoire central des israélites de France et d’Algérie.
Joëlle Allouche-Benayoun, Doris Bensimon, Juifs d’Algérie hier et aujourd’hui, Toulouse,
Bibliothèque historique Privat, 1989, p. 34-35.
3. À partir de 1841, au moins dans les grandes villes, les juifs furent jugés selon la loi
française par des tribunaux normaux (avec quand même la présence des rabbins), les musulmans
continuèrent à conserver leur ancien statut. In Robert Attal, Les Communautés juives de l’Est
algérien de 1865 à 1906, À travers les correspondances du consistoire israélite de Constantine,
Paris, L’Harmattan, 2004, p. 16-17. Il est très important de citer ces cas, même si plus tard, dans
une lettre pastorale le grand rabbin de France, après des critiques aux anciennes traditions des
juifs algériens, écrivait : « Montrez que vous n’êtes ni arriérés ni fanatiques, qu’aux vertus du
croyant vous savez allier celle du citoyen, l’activité, la soumission à la loi, l’amour du pays ; et
que la France soit fière de vous appeler ses enfants, comme vous êtes fier de l’appeler votre
mère ! » Une démonstration de la forte relation qui allait se développer entre les deux rives de la
Méditerranée. Robert Attal, « Le Consistoire de France et les juifs d’Algérie – Lettre pastorale
du rabbin Isidor (1873) », in Daniel Carpi, Yehuda Nini and Shlomo Simonsohn (éd.), Michael.
On the History of the Jews in the Diaspora, volume V, Tel-Aviv, The Diaspora Research
Institute, 1978, p. 16.
4. Steven Uran, « Identités en jeu : l’émancipation juive, le colonialisme français et la
question des milices en Algérie, 1830-1852 », in Pardès, no 8, Paris, 1988, p. 100.
5. Déjà pendant son premier voyage, en 1860, une pétition de 10 000 signatures pour
demander la naturalisation française, avait été remise à Napoléon III.
6. « Les Israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens
français ; en conséquence leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la
promulgation du présent décret, réglés par la loi française ; tous droits acquis jusqu’à ce jour
restent inviolables. Toute disposition législative, décret, règlement ou ordonnance contraires
sont abolis. Fait à Tours, le 24 octobre 1870. Signé Ad. Crémieux, L. Gambetta, A. Glais-Bizon,
L. Fourichon. » Penel Beaufin, Législation générale du culte israélite en France, en
Algérie & dans les colonies à la portée de tous, Paris, V. Giard & E. Brière Libraires-Éditeurs,
1894, p. 222 et suivantes. Il faut rappeler que ceux qui avaient pris la citoyenneté avant le décret
Crémieux gardaient cet état différent (cette situation sera importante pendant la Seconde Guerre
mondiale) et aussi qu’un certain nombre de juifs, ceux de la région du M’zab, obtiendront la
citoyenneté seulement en postulant individuellement.
7. En 1833, 68,5 % de la population non musulmane d’Algérie était juive ; la proportion
va diminuer mais le nombre total de juifs augmentera et il y aura en 1881 35 663 juifs, en 1886
42 595, en 1896 48 763, en 1901 57 132, en 1911 70 271, en 1921 73 967, en 1931 – selon les
recherches du grand rabbin Eisenbeth – 110 127 (3 650 dans le Sud), en 1941 116 800 (6 148
dans le Sud). Voir Sarah Taïeb-Carlen, Les Juifs d’Afrique du Nord de Didon à de Gaulle,
Saint-Maur, Éditions Sépia, 2000, p. 149, Joëlle Allouche-Benayoun, Doris Bensimon, op. cit.,
p. 44 et Maurice Eisenbeth, Les Juifs d’Afrique du Nord. Démographie & Onomastique, Alger,
Imprimerie du Lycée, 1936.
8. L’insurrection qui se déclenche en Algérie est la dernière grande révolte, avant la
guerre pour l’indépendance, qui voit combattre Algériens et Français. La répression française
sera dure.
9. Michel Ansky, Les Juifs d’Algérie, du décret Crémieux à la libération, Paris, Éditions
du Centre, 1950, p. 42.
10. Mémoire présenté par le comité représentatif des juifs de France auprès du Congrès
juif mondial, Facts and Documents-Une concession au fascisme et au nazisme, l’abrogation du
décret Crémieux, May 18, 1943. Mémoire conservé au Centre de documentation juive
contemporaine (CDJC), Paris, p. 5. Robert Satloff, Among the Righteous : Lost Stories from the
Holocaust’s Long Reach into Arab Lands, New York, Public Affairs, 2006, p. 73.
11. Pas tous les généraux : pour le général Augeraud le décret n’était pas la cause de la
révolte mais simplement un prétexte.
12. Récemment a été publié dans une revue d’études berbères un manuscrit anonyme de
l’état-major de l’armée française où sont décrits les motifs d’irritation des Arabes musulmans :
la naturalisation des juifs (« le décret le plus funeste ») mais aussi le « non moins funeste »
décret qui faisait devenir toute l’Algérie un territoire civil et non plus militaire. Enfin l’auteur
anonyme souligne que malgré ces décisions ce qui avait déclenché l’insurrection était plutôt le
rappel en Europe des officiers de l’armée (la France avait besoin de ses officiers pour contrer
l’horrible situation européenne) et surtout la mobilisation obligée des spahis (cavaliers
indigènes créés par la France en Algérie) qui étaient mariés et devaient servir l’État seulement
en Algérie et pas en métropole. Leur refus de partir fut le début de l’insurrection. Document
présenté par Tassadit Yacine, « L’insurrection de 1871 en Kabylie », in Awal, Cahiers d’études
berbères, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2002, p. 89.
13. Dans un document daté du 20 juin 1871, signé par une liste de 22 notables
musulmans, il est affirmé que les musulmans ne sont pas en colère à cause de la naturalisation
des juifs algériens, étant donné que dans le même décret est également prévue pour les
musulmans la possibilité de prendre la nationalité française. Fascicule LIII, CDJC, Paris. Il est
encore une fois important de rappeler que selon le sénatus-consulte de 1865, tous les Algériens
pouvaient demander la citoyenneté, à condition de renoncer à leur état civil (juif ou musulman).
Izarab Mohamed Hassan Ouazzani, Entretiens avec mon père, Fès, Fondation Hassan Ouazzni,
1989, p. 213.
14. Elizabeth Friedman, Colonialism and After: An Algerian Jewish Community,
Massachusetts, Bergin & Garvey Publishers, 1982, p. 18.
15. François Dagen, « Courrier d’Algérie », in Cahiers de la quinzaine, Paris, 24/02/1903.
À la page 48, Dagen écrit : « Le noyau antijuif n’était pas formé de cléricaux, auxquels les
républicains se seraient adjoints ; au contraire il était formé de républicains et renforcé de
quelques éléments cléricaux. Et il ne serait pas malaisé de montrer comment des républicains
sincères et fervents ont pu fonder ce groupe antisémite, qui risquait sur la fin de devenir
antirépublicain. »
16. Michel Ansky, op. cit., p. 49.
17. Pour une analyse complète de ces années dans la région d’Oran, voir Geneviève
Dermenjian, Juifs et Européens d’Algérie : l’antisémitisme oranais 1892-1905, Jérusalem,
Institut Ben-Zvi, 1983.
18. Jean Jaurès, pendant une tournée électorale en Algérie, attaque les juifs, voir CharlesRobert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, tome II, Paris, Presses universitaires de
France, 1979, p. 60-63.
19. Selon certains, le vrai nom de Maximilien Régis était Massimiliano Milano ; ce qui est
sûr c’est qu’il était le fils d’un riche Italien, lui-même naturalisé. Déjà, en 1897, Max Régis
avait fait scandale à l’université quand il avait organisé des manifestations pour obtenir la
démission d’un professeur de droit romain qui avait le tort de s’appeler Lévy : Max Régis (avec
son frère) sera exclu pour deux années de toutes les universités, même en France, mais gagnera
une grande notoriété qu’il utilisera pour faire débuter sa carrière politique (même à travers la
reprise de la publication de L’Antijuif). Pierre Hebey, Alger 1898. La grande vague antijuive,
Paris, NIL Éditions, 1996, p. 96.
À
20. À propos du Petit Oranais Stora rappelle que « […] la manchette permanente du
journal proclamait : “Il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux
synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des juifs, s’emparer de leurs capitaux et
les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés.” ». Voir archives de l’Alliance
israélite universelle (AIU), Paris, dossier Algérie, IIC 7-10, cité aussi par Benjamin Stora, Les
Trois Exils. Juifs d’Algérie, Paris, Stock, 2006, p. 78.
21. À part les journaux cités dans cet article, il faudrait aussi rappeler d’autres
publications antisémites comme : L’Écho d’Oran et La Libre Parole, La Lutte-Organe antijuif
(actif à partir du 1926), rédacteur en chef J. Ploncard et l’hebdomadaire Je suis partout. Le
grand hebdomadaire politique et littéraire, directeur Charles Lesca ; du côté musulman El
Balagh, qui aura des positions plutôt dures à propos de l’exclusion des juifs de certains travaux.
Concernant les livres, il faut au moins citer Charles Hagel avec Le Péril juif (de 1934) et, plus
ancien, Georges Meynié avec L’Algérie juive (de 1887), ainsi que Henry Garrot avec Les Juifs
algériens (1898).
22. Centre des Archives d’Outre-Mer (CAOM), Aix-en-Provence, Algérie, département
d’Alger, préfecture, série K, sous-série 1K-7K-8K-10K, 1k/26.
23. Dans le même dossier.
24. Maurice Eisenbeth, Pages vécues 1940-43, Alger, 1945, p. 10. Selon Raymond
Bénichou, Écrits juifs, Alger, édité par la Commission culturelle juive d’Algérie et le Bureau
nord-africain du Congrès juif mondial, 1957, les victimes juives étaient moins nombreuses,
2 850 (p. 188, il cite Information juive, avril 1952), selon Msellati elles étaient d’environ 3 000 :
Henry Msellati, Les Juifs d’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 35. En
tout cas, un pourcentage quand même très élevé par rapport au total de la population.
25. À propos des actes d’héroïsme des juifs français d’Algérie voir Jean Mélia, L’Algérie
et la Guerre. 1914-1918, Paris, Librairie Plon, 1918. Des pages 72 à 82, il démontre (avec le
style emphatique et pompeux de l’époque) comment les juifs ont été capables de se battre et de
mourir pour la France.
26. CAOM, Aix-en-Provence, dossier Algérie, préfecture de Constantine, GGA 9H/55.
27. CAOM, Aix-en-Provence, « Commissaire central de Constantine Miquel, au Préfet de
Constantine » (21 août 1934), Documentation statistique et générale, in dossier Algérie,
préfecture de Constantine, GGA 9H/52.
28. Pour un intéressant approfondissement sur la situation dans le département d’Oran,
voir Francis Koerner, « L’extrême droite en Oranie (1936-1940) », in Revue d’histoire moderne
et contemporaine, tome XX, oct.-déc. 1973, Paris, Armand Colin, 1973.
29. L’idée de cette initiative (décembre 1936) était de donner la citoyenneté française à
environ 27 000 musulmans (une partie de l’élite indigène) sans les obliger à abandonner leur
statut spécial de musulmans. Vu l’opposition compacte des représentants politiques algériens, le
projet n’arrivera jamais à l’Assemblée nationale.
30. Geneviève Dermenjian, op. cit., page 205-217.
31. Décret Marchandeau, abrogé le 27 août 1940.
32. Nommé aussi loi Alibert, car le premier signataire était Raphaël Alibert, garde des
Sceaux, ministre secrétaire d’État à la Justice du premier gouvernement Pétain.
33. La décision de suspendre aussi cette ancienne loi était liée au fait qu’à titre individuel
les juifs pouvaient encore devenir des citoyens, et donc il était essentiel de supprimer tous les
possibilités pour cette communauté. L’ancienne loi disait que : « Les indigènes d’Algérie
pourront accéder à la qualité de citoyens français en vertu des dispositions du Sénatus-consulte
du 14 juillet 1865 et de la présente loi, à savoir : tout indigène obtiendra sur sa demande la
qualité de citoyen français s’il remplit les conditions générales suivantes : être âgé de 25 ans,
être monogame ou célibataire, avoir deux ans de résidence dans une commune algérienne,
métropolitaine ou coloniale française et s’il satisfait, en outre, à l’une des conditions suivantes :
avoir servi dans les armées de terre ou de mer ; ou être propriétaire ou fermier d’une propriété
urbaine ou rurale ou inscrit au rôle de la patente ; ou d’un impôt de remplacement ; ou être
titulaire d’une fonction publique ; ou être ou avoir été investi d’un mandat électoral ; ou être
titulaire d’une décoration française. » Voir Henri Msellati, op. cit., Paris, L’Harmattan, 1999,
p. 67.
34. Journal officiel, 18 octobre 1940, p. 5323, cité par Michael R. Marrus, Robert
O. Paxton, Vichy et les juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 610.
35. Norbert Bel Ange, Quand Vichy internait ses soldats juifs d’Algérie. Bedeau, Sud
oranais, 1941-1943, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 29.
36. Les limitations du premier statut étaient réservées aux anciens combattants de la
guerre de 1914-1918, à ceux qui avaient eu une citation pour la campagne de 1939-1940 et à
ceux qui étaient décorés de la Légion d’honneur à titre militaire ou d’une décoration militaire.
Voir Gouvernement général d’Algérie, service du personnel et du contentieux du personnel
administratif N.1138 P, Alger, le 4 novembre 1940. Dossier CCCLXXXV-17, p. 3-4, CDJC,
Paris.
37. Xavier Vallat (1891 Vaucluse-Annonay-1972) fut un des antisémites les plus extrêmes
à l’intérieur du gouvernement Pétain. À partir de 1941, il fut le chef du Commissariat général
aux questions juives.
38. Le numerus clausus pour les médecins était une folie : la situation sanitaire de
l’Algérie était pénible et, vu que le nombre des médecins était déjà plutôt bas avant, après cette
décision une grande partie de la population était sans aucune aide médicale.
39. Loi du 2 juin 1941.
40. Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-1962),
Représentations et réalités des populations, Paris, Éditions de l’INED, 2001, p. 192.
41. Loi du 21 juin 1941. Cette loi, appliquée en Algérie à partir du 23 août 1941, fut
corrigée par un nouveau texte le 5 novembre 1941 : cette correction était faite pour interdire aux
étudiants juifs d’assister aux cours à l’université car, jusqu’à novembre 1941, ils pouvaient au
moins s’inscrire, même s’ils ne pouvaient pas passer les examens.
42. Cette information est aussi présentée par la presse le 18 août 1941 : dans un bref
article (le journal est inconnu) on peut lire la volonté de Weygand de réaliser une officine pour
gérer et liquider les biens juifs. In : Papiers 1940, Papiers bureau d’étude Chavel, vol. 71,
Document no 48, Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris.
43. Henri Msellati, op. cit., p. 68.
44. Michel Ansky, op. cit., p. 93.
45. Peyrouton était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement du maréchal Pétain.
46. Jacques Cantier, L’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 328329.
47. Robert Satloff, Among the Righteous, Lost Stories from the Holocaust’s long reach
into Arab Lands, New York, BBS Public Affairs, 2006, p. 31.
48. Xavier Vallat fut à partir de 1941 chef du Commissariat général aux questions juives.
49. Michel Abitbol, Les Juifs
Maisonneuve & Larose, 1983, p. 86.
d’Afrique
du
Nord
sous
Vichy,
Paris,
50. La lettre, datée du 17 octobre 1941, est citée par Michel Ansky, op. cit., p. 113.
51. Maurice Eisenbeth, Pages vécues 1940-43, op. cit., p. 23.
52. Jacques Cantier, op. cit., p. 332.
53. Les Français, en revanche, ont continué – longtemps après l’arrivée des alliés – à
maintenir le statu quo sans vouloir redonner leurs propriétés aux juifs. Eisenbeth cite une
rencontre du 22 février 1943 avec un haut fonctionnaire qui travaillait pour l’ambassadeur
Peyrouton au cours de laquelle il avait protesté en ces termes : « Pour étrangler les juifs, les
textes étaient pris et appliqués très vite ; quand il s’agit d’en abroger quelques-uns seulement, on
n’arrive pas même à un résultat après plusieurs mois d’attente. Les biens n’ont pas été rendus,
les enfants n’ont pas été repris dans les écoles. […] La loi militaire est une infamie […]. Les
gouvernements fêtent les Alliés, clament qu’ils veulent détruire le nazisme, et ils
maintiennent… un hitlérisme français. » Maurice Eisenbeth, Pages vécues 1940-43, op. cit.,
p. 80.
54. Robert Satloff, op. cit., p. 108.
55. Yves-Claude Aouate, « Les Algériens musulmans et les mesures antijuives du
Gouvernement de Vichy (1940-1942) », in Pardès, Paris, no 16/1992, p. 194.
56. Il existe des documents officiels où l’on parle de « jalousie » des musulmans envers
les juifs, pour leur capacité à s’assimiler à la société française (mais en même temps, il y a aussi
le mépris pour avoir abandonné leur statut religieux). In Supplement to Review of the Foreign
Press, séries F. N° 5, 9 avril 1943, fascicule CCCLXXXV-3-d, CDJC, Paris.
57. Sur le mépris du droit français, il est intéressant de se reporter à Facts and DocumentsUne concession au fascisme et au nazisme, l’abrogation du décret Crémieux : « Dans le code
civil français, chapitre 1, art. 2 : La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet
rétroactif […].Tous les descendants d’un père naturalisé par le décret Crémieux, qu’ils soient
nés en Algérie, ou en France métropolitaine, ou à l’étranger, sont français par l’effet de la loi du
10 août 1927. » Mémoire présenté par le Comité représentatif des juifs de France auprès du
Congrès juif mondial, op. cit., CDJC, Paris, p. 10-12. Il est donc évident que la décision d’abolir
le décret Crémieux et encore plus celle de ne pas le remettre en fonction après l’arrivée des
Alliés sont des décisions politiques en opposition complète avec toute l’histoire du droit
français.
58. Yves-Claude Aouate, op. cit., p. 191.
59. Charles-Robert Ageron, « De l’abrogation du décret Crémieux à son rétablissement
(7 octobre 1940-20 octobre 1943) », in YOD, Paris, N° 15-16, 1982, p. 150.
60. Joëlle Allouche-Benayoun et Doris Bensimon, op. cit., p. 186.
61. Conclusion d’une étude sur les juifs indigènes d’Algérie, fasc. CCCLXXXV21 (signé
W. O., sans date, probablement 1941), p. 21, CDJC, Paris.
62. Ce n’est que le 20 octobre 1943 que le CFLN proclama que le décret Crémieux était
non pas remis en vigueur, mais maintenu en vigueur.
63. Xavier Yacono, Histoire de la colonisation française, Paris, Presses universitaires de
France, 1969, p. 123.
QUATRIÈME PARTIE
LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD
DANS LE TUMULTE DES ÉVÉNEMENTS
8. Les Juifs de Mogador (Essaouira) pendant
la Seconde Guerre mondiale :
la terreur de Vichy et sa gestion communautaire
1. Cette étude a été préparée grâce à un fonds de recherches que m’a alloué la Fondation
israélienne pour la science, géré par l’Académie nationale israélienne des sciences (fonds no.
1160/07).
2. Cf. notamment Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, CNRS,
2008 (version hébraïque : Jérusalem, Institut Ben-Zvi, 1986) ; Robert Assaraf, Mohammed V et
les Juifs du Maroc sous Vichy, Paris, Plon, 1997 ; Michael M. Laskier, « Between Vichy
Antisemitism and German Harassment: The Jews of North Africa during the Early 1940s »,
Modern Judaism 3. 2 (octobre 1991), p. 343-370 ; Id., Les Juifs du Maghreb sous Vichy et la
Croix gammée, Tel Aviv, Ha-Makhon le-Heker ha-Tfutsot, 1992 (en hébreu) ; Id., North
African Jewry in the Twentieth Century: The Jews of Morocco, Tunisia, and Algeria, New York,
New York University Press, 1994 ; Id., « Local Jews and Jewish Refugees in French Morocco
and Tunisia during World War II », Pecamim 114-115 (hiver-printemps 2008), p. 55-106 (en
hébreu).
3. Voir par exemple David Cohen, « L’application de la législation antijuive au Maroc au
temps du gouvernement de Vichy à la lumière de nouveaux documents du Quai d’Orsay »,
Proceedings of the IXth World Congress for Jewish Studies, Section B : Histoire du peuple juif
à l’époque contemporaine, Jérusalem, 1986, p. 225-228 (en hébreu), ainsi que Haïm Saadoun
(ed.), « The Jews of North Africa during WW2 », Pecamim 114-115 (hiver-printemps 2008),
avec les différents études et témoignages que ce volume comporte, comme Eli Bar-Chen, « The
Boycott of Nazi Germany by Moroccan Jewry, 1933-1939 », Ibid., p. 249-255 (en hébreu) ;
Orna Baziz, « Un réfugié belge au Maroc dans les années 1940-1942 », Ibid., p. 197-220 (en
hébreu) et Michael Laskier, Local Jews.
4. Voir notamment Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version hébraïque, P. 88-97 ;
Michael Laskier, Local Jews.
5. Cf. Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord ; Michael Laskier, Juifs du Maghreb ; Id.,
North African Jewry ; Id., Local Jews.
6. Ces dernières années, la recherche sur ces événements de la Seconde Guerre mondiale
et leurs conséquences pour le judaïsme marocain s’est particulièrement focalisée sur le rôle joué
par le sultan Mohammed V dans la signature des dahirs antijuifs établis par les services
politiques du protectorat, avec à leur tête le général Noguès, résident général au Maroc, en
application de la législation antijuive de Vichy. Cf. Robert Assaraf, Mohammed V et les Juifs du
Maroc sous Vichy. Le sultan, qui ne disposait en fait sous le protectorat d’aucun pouvoir de
discrétion, a finalement signé ces dahirs quoi qu’il en eût sans doute, mais il a tenu malgré tout
à manifester lors de réceptions publiques ou privées sa sollicitude envers ses sujets juifs. Voir
là-dessus les documents publiés dans Haïm Zafrani, Juifs d’Andalousie et du Maghreb, Paris,
Maisonneuve et Larose, 1996, p. 400-405. Cette attitude favorable du sultan m’a été confirmée
par Rahamim Mrejen, de Meknès, qui avait participé à une audience accordée par le sultan à des
notables juifs pendant la guerre. Rahamim, que j’ai interviewé à Natanya, a mentionné que la
délégation juive avait offert à cette occasion au sultan, comme il est de tradition, une somme
importante d’argent comme cadeau d’allégeance. Voir aussi (en traduction hébraïque) les textes
des dahirs antijuifs qui ont été publiés au Maroc dans le Bulletin officiel en 1940-1942 dans
Michael Laskier, Juifs du Maghreb, p. 158-168.
7. J’ai découvert ces documents dans les archives du tribunal rabbinique de Mogador,
déposées aujourd’hui au musée du Patrimoine judéo-marocain de Bruxelles, fondé et dirigé par
Paul Dahan. Je remercie vivement Paul Dahan pour son autorisation de photocopier et publier
ces documents, qui ne sont pas encore répertoriés. Dans cette étude, ces documents seront
référencés par le sigle APD (archives Paul Dahan).
8. J’ai trouvé ces documents il y a une vingtaine d’années chez Simon Zafrani à Ashkelon,
qui les avait rapportés de la municipalité de Mogador où il travaillait avant son installation en
Israël. Je le remercie de m’avoir permis de les photocopier et de les publier.
9. Cf. Eli Bar-Chen, Boycott of Nazi Germany.
10. Il s’agit de Prosper Cohen, instituteur à l’école de l’Alliance à Meknès, qui sera muté
plus tard à Mogador, où il passera les années de la Seconde Guerre mondiale.
11. Prosper Cohen, « Lettre trimestrielle janvier-mars 1934 : Hitler chez nous », Archives
de l’AIU, Maroc II B 12-36, p. 1.
12. Jacob Ohayon est né vers 1890 à Mogador, où il a suivi l’enseignement de l’école de
l’Alliance puis a ouvert un commerce. Il s’est installé ensuite à Casablanca, où il est devenu
journaliste et membre de la rédaction du journal en langue française La Vigie marocaine, qui
défendait ardemment les intérêts français au Maroc. Il a collaboré aussi à l’hebdomadaire
sioniste L’Avenir illustré jusqu’à sa fermeture en 1940 et y a tenu une rubrique remarquée sur la
vie juive et les problèmes de l’éducation juive au Maroc. À la suite des décrets de Vichy, il a été
obligé de quitter ses fonctions de journaliste – et il était le seul dans son cas – qui étaient
dorénavant interdites aux Juifs. Il est décédé à la fin 1944, quelques mois après avoir rédigé son
rapport sur les origines des juifs de Mogador (Jacob Ohayon, Les Origines des Juifs de
Mogador, dactylographié [s.l., 1944], 18 pages), où il relate aussi les événements de l’avantguerre et de la guerre et les réactions des Juifs du Maroc face à ces événements. Sur Jacob
Ohayon, voir Isaac D. Knafo, Le Mémorial de Mogador, présenté et annoté par Asher Knafo,
Ashdod : Ot Brit Kodesh, [s.d. = 1976], p. 311-336 ; Hagar Hillel, « La guerre des journaux à
Casablanca, 1932-1940 », Kesher 20 (1996), p. 48-56 (en hébreu) ; Id., « Émancipation et
intégration dans une situation coloniale. La presse juive à Casablanca », Shorashim ba-Mizrah
V (2003), p. 242-261 (en hébreu) ; Joseph Chetrit, « Nouvelle conscience de l’anomalie et de la
langue. Les débuts d’un mouvement de Haskalah hébraïque au Maroc à la fin du XIXe s. »,
Miqqedem Umiyyam II (1986), p. 152-153, note 8.
13. Salle de cinéma à Casablanca.
14. Jacob Ohayon, Origines, p. 10.
15. C’est l’attitude typique des Juifs dits « évolués » sous le protectorat, parce que
francisés et se voulant occidentalisés, à l’égard des couches juives populaires, jugées par eux
comme arriérées. Sur ces attitudes tendancieuses de Jacob Ohayon, cf. aussi Isaac Knafo,
Mémorial, p. 325-335.
16. Sur cette poésie orale, voir Joseph Chetrit, « La poésie personnelle et la poésie sociale
en judéo-arabe au Maroc », Miqqedem Umiyyam I (1981), p. 191-199 (en hébreu).
17. Cf. la brochure Yismah Saddik, Jérusalem [s.d.] (en hébreu et judéo-arabe),
réimprimée dans les années 1950 par l’éditeur Joseph Lugassi à Jérusalem, p. 40, le vers final
du chant no 3, qui est (en traduction française de l’original judéo-arabe) : « Nous ne nous serons
calmés, ô toi Hitler l’ennemi, que lorsque nous t’aurons enterré dans la cour du cimetière. »
18. Le poème judéo-arabe porte un titre hébraïque, « Hitler ha-rashac » [= Hitler le génie
du mal]. Sur l’auteur, voir le témoignage d’un autre poète de Mogador, Isaac Knafo (Isaac
Knafo, Mémorial, p. 205-214).
19. Après le débarquement des troupes alliées à Casablanca en novembre 1942, la
stabilisation de la situation au Maroc à la fin de l’année 1943 et la fin de la guerre suite à la
capitulation allemande, d’autres textes poétiques et satiriques seront composés en judéo-arabe
(et en hébreu) pour célébrer la levée des angoisses, chanter les victoires des Alliés et fustiger
Hitler et son régime. Sur ces textes, voir Joseph Chetrit, Poésie personnelle, p. 210-212 ;
Avishai Bar-Asher, « How is This Night Different from the Night of Trente-Neuf ? The
Haggadah of Hitler from Morocco », Pecamim 114-115 (hiver-printemps 2008), p. 137-196 (en
hébreu).
20. La plaquette a été republiée parmi ses poésies complètes : Isaac D. Knafo, L’humour
est enfant de poème, Jérusalem, 1997, p. 243-259. Dans sa présentation des textes, le neveu du
poète, Asher Knafo, raconte qu’avec l’avènement de Vichy et l’application de ses dahirs
antijuifs, l’auteur a ramassé à Mogador tous les exemplaires qu’il avait vendus et les a tous
détruits, n’en laissant même pas un chez lui pour ne pas se compromettre. C’est par le plus
grand des hasards qu’un exemplaire a été retrouvé en Israël dans les années 1990 dans la
bibliothèque de l’ancien président de la communauté, Meir Melca, qui s’était installé à Holon.
Interviewé par moi en 1985 à Montréal au sujet de cette plaquette, Isaac Bensabbat m’a appris
qu’il l’avait achetée et l’avait déchirée de ses propres mains après l’avènement de Vichy, parce
que tous croyaient que « c’était la fin du monde », verbatim.
21. Isaac Knafo, L’humour, p. 252-253.
22. Sur L’Avenir illustré (1926-1940), voir Hagar Hillel, Guerre des journaux ; Id.,
Émancipation ; id. et Yaron Tsur, Les Juifs de Casablanca : étude sur la modernisation d’un
leadership juif dans une diaspora en régime colonial, Tel Aviv, Open University, 1995 (en
hébreu).
23. Cf. Michael Laskier, Local Jews, p. 57-58, 77 ; Jacob Ohayon, Origines, p. 12-13.
24. Cf. Elit Chemla, « The Tineghir Affair, 1943-1944: Antisemitism in the French Army
in Response to the American Liberation of Morocco », Pecamim 114-115 (hiver-printemps
2008), p. 107-136 (en hébreu).
25. Cf. Michel Abitbol, Histoire, p. 481-485.
26. Jacob Ohayon, Origines, p. 12.
27. Sur l’application de la législation antijuive au Maroc, cf. Jacob Ohayon, Origines ;
David Cohen, Application ; Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord ; Id., Histoire, p. 490-492 ;
Michael Laskier, Between Vichy ; Id., Juifs du Maghreb ; Id., North African Jewry ; Id., Local
Jews ; Robert Assaraf, Mohammed V.
28. Voir infra pour les déclarations des juifs de Mogador.
29. Cf. Michael Laskier, North African Jewry, p. 64-65.
30. Cf. ce qu’écrit Jacob Ohayon : « En attendant, pour ruiner le commerce juif, on se mit
à dresser à tour de bras des procès-verbaux pour marché noir. Pendant ce temps-là, on
enrichissait, par tous les moyens, les Marocains musulmans, ce qui leur permet aujourd’hui
d’entretenir des offices de propagande et même des organisations de coups d’État. On semble
actuellement revenu de cette erreur » (Jacob Ohayon, Origines, p. 13).
31. Sur ces camps d’internement et ces camps de travail où étaient internés des juifs
européens réfugiés, des soldats juifs algériens démilitarisés, des prisonniers juifs marocains et
d’autres repris de justice, voir Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version hébraïque,
p. 92-97 ; Michael Laskier, Local Jews.
32. Cf. Michael Laskier, Juifs du Maghreb, p. 36-39 ; Id., North African Jewry ; Id., Local
Jews ; Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version hébraïque, p. 92-97, p. 92-93.
33. Cf. Michael Laskier, Local Jews ; Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version
hébraïque, p. 92-93 ; Salomon Haï Knafo, La Vie juive à Mogador, présenté et annoté par Asher
Knafo, Ashdod : Ot Brit Kodesh, 2008 (Brit, numéro spécial), p. 99-100. Voir aussi le
témoignage publié dans Orna Baziz, Réfugié belge.
34. Document APD du 26/8/1940, intitulé « Recensement de la population israélite de
Mogador ».
35. Sur la communauté juive de Mogador, voir Daniel J. Schroeter, Merchants of
Essaouira. Urban Society and Imperialism in Southwestern Morocco, 1844-1856, Cambridge,
Cambridge University Press, 1988 ; Id., The Sultan’s Jew. Morocco and the Sephardi World,
Stanford, Stanford University Press, 2002 ; Id. et Joseph Chetrit, « The Transformation of the
Jewish Community of Essaouira (Mogador) in the Nineteenth and Twentieth Centuries », in
H. Goldberg (ed.), Sepharadi and Middle Eastern Jewries, Bloomington, Indiana University
Press, 1996, p. 99-116 ; Id. et Id., « Emancipation and its Discontents: Jews at the Formative
Period of Colonial Rule in Morocco », Jewish Social Studies: History, Culture, Society n.s. 13,
no 1 (Fall 2006), p. 170-206 ; Isaac Knafo, Mémorial ; Salomon Knafo, Vie juive à Mogador.
36. Prosper Cohen, Grande aventure, p. 34-35.
37. Document APD, non daté.
38. Lettre du 14/3/1941, document APD.
39. Document APD, de la fin août 1941, où il est fait mention de l’arrivée prochaine des
formulaires des déclarations de biens.
40. Ibid.
41. Ibid.
42. Ibid.
43. Document APD.
44. Document APD, non daté, envoyé probablement en août 1941.
45. Document APD, envoyé à la fin août ou au début septembre 1941.
46. Parmi les documents que j’ai pu recueillir se trouve aussi la déclaration de biens
dûment remplie d’un membre de la communauté de Mogador, qui vivait depuis les années 1930
à Casablanca, où il a déposé sa déclaration et en a gardé une copie. Il s’agit de Samuel LevyCorcos, qui était négociant et représentant de maisons de commerce.
47. Voir en annexe le texte du rapport in extenso.
48. Interviews de Meir Melca (en 1983 à Holon), qui était pendant la guerre président du
comité de la communauté, d’Isaac Bensabbat (en 1985 à Montréal), né en 1912, qui était
membre du comité, et de Nissim Leub (en 1985 à Montréal), qui était bijoutier à Mogador et a
été interné en 1945 pendant quatre mois pour fraude sur l’or. Le pacha, qui avait été l’écuyer du
sultan Moulay Youssef, s’appelait Al-Majboud Ben Al-Maallem et a tenu ses fonctions de 1937
à 1956.
49. Selon Meir Melca et Isaac Bensabbat, le vieux cheikh du Mellah, David Iflah (18631943), a démissionné de ses fonctions pour protester contre ces malversations du pacha. Il avait
rempli ses fonctions durant de très nombreuses années et sa renommée dépassait de bien loin les
limites de sa communauté, du fait de ses connaissances profondes dans les traditions musicales
juives et musulmanes.
50. Prosper Cohen, Grande aventure, p. 34.
51. Selon des témoignages oraux que j’ai recueillis de la bouche de personnes originaires
de Mogador, le grand rabbin R. Haïm David Séréro était en bons termes avec le pacha et aurait
utilisé, au contraire de ce qui est rapporté par Jacob Ohayon, ses relations amicales avec lui pour
intervenir en faveur de juifs qui avaient des démêlés avec les autorités locales.
52. Certainement après le débarquement allié au Maroc et en Algérie et l’abolition de la
juridiction antijuive de Vichy.
53. Jacob Ohayon, Origines, p. 16-17.
54. Document APD du 26.8.1940.
55. Cf. Daniel Schroeter, Merchants ; Id., Sultan’s Jew.
56. Document APD (en double version, manuscrite et dactylographiée) : « Relevé des
sommes recueillies auprès de la population israélite de Mogador ». Il est à noter cependant que
la somme réunie est réduite de plus d’un tiers par rapport à celle qui était prévue dans le projet
de souscription (47 950 francs) figurant sur un autre document manuscrit.
57. Document APD daté du 13/3/1942. Dans une circulaire envoyée la semaine d’après, il
rappelle à l’ordre ceux qui ne s’étaient pas encore décidés à donner leur contribution.
58. Document APD non daté.
59. Document APD du 27/2/1942 et un autre non daté.
60. Document APD du 2/3/1942.
61. Document APD du 29/12/1944.
62. Document APD du 9/2/1945.
63. Cf. Joseph Chetrit et Daniel J. Schroeter, « Les réformes dans les institutions judéomarocaines au début du Protectorat », Miqqedem Umiyyam VI (1995), p. 71-103 (en hébreu).
64. Cf. Daniel J. Schroeter and Joseph Chetrit, « The Transformation of the Jewish
Community of Essaouira (Mogador) in the Nineteenth and Twentieth Centuries », in Harvey
Goldberg (ed.), Sepharadi and Middle Eastern Jewries, Bloomington, Indiana University Press,
1996, p. 99-116.
65. Les relations d’amitié qu’entretenait le grand rabbin avec le pacha de la ville ont dû
jouer aussi un rôle dans son zèle réformateur, car il était assuré de la compréhension sinon de la
coopération des autorités municipales dans sa volonté de faire respecter strictement les règles de
conduite concernant le repos du shabbat et la consommation de bière et de vin.
66. Document APD non daté, mais la circulaire a dû être envoyée après le débarquement
allié au Maroc, quand les autorités se devaient de calmer l’excitation des juifs qui les menait à
des éclats de voix et à des altercations avec des musulmans, en faisant patrouiller des agents de
l’autorité dans les rues du Mellah.
67. Document APD du 9/2/1945.
68. Document APD non daté.
69. Ibid.
70. Ibid.
71. Cf. Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord ; Michael Laskier, Juifs du Maghreb ; Id.,
North African Jewry.
72. Document APD daté du 13/11/1942, le 4 kislev 5703.
73. Proverbe français traduit en hébreu dans le texte, dont l’équivalent hébraïque est :
« Ton silence vaut mieux que ta parole » (traité Guittin 46a).
74. Traité Tamid 32a.
75. Traité Pesahim 99a.
76. Psaumes XXIX 11.
77. Genèse XXVIII 3.
78. Document APD non daté, mais correspondant sans doute à la semaine de la section
« Vayelekh », qui est lue entre Rosh ha-Shana et Kippour, c’est-à-dire début octobre 1943.
79. Prosper Cohen, Grande aventure, p. 36.
80. Isaac Knafo, L’humour, p. 252-253.
9. Hélène Cazes-Benatar et ses activités en faveur
des réfugiés juifs au Maroc, 1940-1943
1. « Reserve through Emigration » fut le thème de l’appel lancé par le président de la
Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS) lors de son assemblée annuelle, le 17 mars 1940. Voir :
Mark Wischnitzer, Visas to Freedom : The History of HIAS, Cleveland, OH 1956, p. 174. Cet
article fait usage des termes d’assistance et d’aide aux activités entreprises au Maroc, pour
reprendre la distinction faite par Dan Michman entre sauvetage et aide. Voir Dan Michman,
“Towards a Clarification of the term ‘Rescue’ during the Holocaust’”, in D. Michman, The
Holocaust and Holocaust Research, Tel-Aviv, 1998, p. 125-146 [en hébreu].
2. Expression utilisée par le Dr Joseph J. Schwartz, directeur du siège européen de
l’American Jewish Joint Distribution Committee (AJJDC), faisant référence aux efforts pour
aider les Juifs à émigrer via le Portugal (“Schwartz Reports on Lisbon”, Lifeline [publication du
JDC], 1, 2 [juillet 1941], p. 4), et il semble que l’on puisse dire la même chose sur les autres
filières de fuite de la côte atlantique.
3. Extrait d’une interview d’Hélène Cazes-Benatar [par Shalom Bar-Asher, été 1977],
Central Archives of the History of the Jewish People [CAHJP], P-129/1a. Ce qui en ressort n’est
pas clair. Il est imposible de savoir si les estimations se réfèrent à tous les réfugiés (Juifs,
républicains espagnols et autres) ou uniquement aux Juifs, et si elles se réfèrent à l’ensemble de
l’Afrique du Nord ou uniquement au Maroc.
4. LA HICEM fut fondée en 1927 pour aider les Juifs d’Europe à émigrer. Elle est le
résultat de la fusion de trois organisations d’émigration juives : HIAS (Hebrew Immigrant Aid
Society), basée à New York ; ICA (Jewish Colonization Association), à Paris ; et Emigdirect, à
Berlin. Le nom HICEM est un acronyme de HIAS, ICA, et Emigdirect.
5. Ses activités furent brièvement mentionnées, à la fois pendant la guerre et après la
guerre, par Yaron Tsur, Kehita Kruya : Yehudei Morocco vehaLe’umeyut 1943-1954 (Une
communauté déchirée. Les Juifs du Maroc et le nationalisme, 1943-1954)), Tel-Aviv, 2001,
p. 291, 374 [en hébreu] ; Michael M. Laskier, North African Jewry in the twentieth century :
The Jews of Morocco, Tunisia and Algeria, New York, 1994 ; Michel Abitbol, Les Juifs
d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, 1983, p. 98-102, notant que les archives de Benatar n’ont
pas encore été examinées ; Mohammed Kenbib, Juifs et musulmans au Maroc, 1859-1948,
Rabat 1994, p. 550, 604.
6. CAHJP,
P-129,
description
de
catalogue
;
voir
aussi
:
http://sites.huji.ac.il/cahjp/RP129%20Benatar.pdf. Voir aussi : Shalom Bar-Asher, “Jewish
Refugees from Nazi Europe in North Africa : A document from the Archive of Qazes BenAttar”, Pe’amim 114-115 (2008), p. 257 [en hébreu].
7. Isaac Guershon, “Aid Given to Jewish Refugees in Morocco during World War II”,
Shorashim BiMizrah 2 (1980), p. 277-314 [en hébreu]. Références à ces archives, voir aussi :
Bar-Asher (voir ci-dessus, note 6), p. 257-262 ; Laskier, North African Jewry (ci-dessus,
note 5) ; Abitbol (ci-dessus, note 5), p. 98-99 ; Michel Meyer Albo, « Solidarité du judaïsme
marocain envers les Juifs réfugiés d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale », Pardes 17
(1993), p. 210-219 ; Mathilde A. Tagger, “European Refugees who found Shelter in Morocco
during World War II”, Avotaynu 20, 3, (2004), p. 47-48.
8. Zosa Szakowksi, par exemple, note dans son livre publié en 1975, Jews in the French
Foreign Legion, New York 1975 : « On aimerait bien donner quelques détails sur ses activités.
Cependant, nous n’avons aucune documentation disponible sur les activités de l’AJDC en
Afrique du Nord et, si ces documents n’ont pas été détruits et sont encore disponibles, l’auteur
n’a pas pu les obtenir », p. 114 ; voir aussi p. 182.
9. Dr Joseph Schwartz, “Report on Moroccan Trip of Inspection” [rapport dactylographié,
daté à la main du 2 février 1943], p. 4 sur 4 p., Archives du Joint Distribution Committee,
Jérusalem [ci-après JDC/Jérusalem], RG NY 33/44, dossier 434, voir aussi dossier 745.
10. Sonia Levine à Louis Sobel, JDC, New York, 28 novembre 1944, JDC/Jérusalem, RG
NY 1933/44, dossier 435. À ces termes, nous pouvons ajouter quelques autres descriptions, très
rares, provenant d’autres rapports, telles que : « une femme extraordinaire, dynamique, capable
– c’est un véritable plaisir de travailler avec elle, elle fait avancer les choses ». Richard Plaut, un
représentant du JDC, en visite en Afrique du Nord en avril 1945, dans un rapport en date du
18 avril 1945, JDC/Jérusalem, RG NY 45/54, dossier 6.
11. Abraham Isaac Laredo, Memorias de un Viejo Tangerino, Madrid, 1935, p. 450 ;
Joseph Tolédano, Une histoire de famille. Les noms de famille des Juifs d’Afrique du Nord,
Jérusalem 1998, p. 299-300, indique que son année de naissance est 1909 ; Albo (ci-dessus,
note 7), p. 219, parle de 1900.
12. « Nelly Benathar, une femme de tête, de cœur et de courage », manuscrit de 84 pages
avec lettre d’accompagnement du Dr Serge Lapidus à Herbert Katsky, AJDC [!], New York
[non daté-c. 1984], Archives de l’American Jewish Joint Distribution Committee, New York,
Collection Oral Histories and Memoirs, dossier Hélène Cazes-Benatar. Je remercie Sherry
Hyman, des archives de l’AJJDC, qui trouva le manuscrit à New York et m’en envoya
gentiment une photocopie. J’ai donc pu retrouver le Dr Serge Lapidus, qui si généreusement
m’en envoya une autre copie en juin 2008, amendée environ six ans après que le manuscrit
d’origine eut été envoyé aux archives de l’AJJDC. Plusieurs pages et annexes furent ajoutées,
dont des copies de diverses lettres écrites à Mme Benatar et des articles à son sujet. Je remercie
également le Dr Lapidus. Les références dans cet article se rapportent à la dernière version. La
seule utilisation rigoureuse de ce manuscrit que j’aie trouvée est une brève esquisse
biographique par Michèle Bitton, Présences féminines juives en France (XIXe-XXe siècle),
Châteauneuf
2002
et
http://www.afmeg.info/squelettes/dicofemmesjuives/pages/notice/cazes.htm, téléchargée le
22 avril 2008. On trouve dans les documents diverses orthographes de son nom, y compris dans
les documents signés de sa main. Nous avons adopté l’orthographe de son papier à en-tête des
années 1940, à moins qu’il ne s’agisse d’une citation, comme le titre de la biographie de
Lapidus : Benathar. Lapidus indique qu’elle avait adopté l’orthographe de Benathar en 1939
mais conserva « Benatar » sur son papier à en-tête et pour la plupart de ses signatures ; CAHJP,
P-129.
13. Éloge par S. D. Levy, in L’Avenir illustré, 31 décembre 1938, p. 89-90 ; Lapidus,
p. 15-16.
14. Lapidus, p. 15.
15. Nous ne savons pas quand elle commença ses études de droit ni quand sa fille aînée,
Annette, décéda. En ce qui concerne ses actions et activités après le décès de son mari en 1939,
nous avançons l’hypothèse que c’est après la mort de sa fille Annette qu’elle se lança dans ses
études et ses nouvelles activités pour tenter de surmonter sa douleur.
16. Voir par exemple : L’Avenir illustré, 29 février 1936 ; ibid., 31 mai 1937, p. 15 ; Ibid.,
31 janvier 1939, p. 7 ; Lapidus, p. 8-19.
17. Tsur (ci-dessus, note 5), p. 291, 374.
18. Lapidus, p. 19-21.
19. Sa demande auprès du consul britannique au Maroc est citée par Lapidus, p. 26-27 ;
notée également dans son interview (ci-dessus, note 3). Lapidus fait référence à son travail dans
la Résistance en rapport avec sa requête adressée au consul britannique à Casablanca.
20. Lapidus, p. 29.
21. Celia et Murdoch Bengio furent parmi ceux qui participèrent aux activités sionistes et
à la vie sociale de la communauté juive de Casablanca pendant les années 1930. En 1948, Celia
Bengio (1896-1996), alors veuve, utilisa son modeste héritage pour créer l’orphelinat MurdochBengio pour enfants juifs à Casablanca. Dans les années 1950, l’orphelinat fut agrandi pour être
ensuite abandonné et démoli en partie. Dans les années 1990, le musée du Judaïsme marocain
de Casablanca ouvrit ses portes au même endroit. « Inauguration du Home Murdoch Bengio »,
Noar, 25 avril 1949, p. 11 ; “French Morocco, Social Services”, American Jewish Yearbook,
vol. 54 (1953), p. 391, voir aussi le site Internet des Archives de l’American Jewish Committee,
http://www.ajcarchives.org/AJC_DATA/Files/1953_12_NorthAfrica.pdf ; Gilberte Jacaret,
‘Culture
11’,
le
site
Internet
officiel
du
B’nai
Brith
Europe,
er
http://www.bnaibritheurope.org/bbe/content/view/776/116/lang.en/ téléchargé le 1 décembre
2009 ; « Patrimoine : Un musée très discret », TelQuel Magazine Online no 119 (Maroc),
http://www.telquel-online.com/119/sujet7.html téléchargé le 1er décembre 2009.
22. Bien que les relations aient duré pratiquement quinze ans, les choses ne furent pas
toujours faciles. La position de Mme Benatar n’était pas clairement définie, du moins à ses
yeux, et des malentendus survinrent plus d’une fois. Voir par exemple la lettre d’Hélène
Benatar, Casablanca, au bureau du JDC à Lisbonne, 3 février, 1943, JDC/Jérusalem, 1933/44,
dossier 435 ; a 29 novembre, 1943 rapport des activités au Maroc y compris les difficultés de
Mme Benatar à fonctionner à titre individuel et son embarras, mettant tout cela sur le compte
d’un « problème de relations publiques » JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745 (p. 7 du
rapport).
23. “A Home & an Orchard”, JDC Digest 9, 1 (Jan.-Feb. 1950), p. 9. Voir aussi : Lapidus,
p. 98-102 pour d’autres articles de journaux et lettres officielles.
24. “United Jewish Appeal proudly presents an outstanding spokesman for the Jews of
North Africa”, brochure de l’UJA dont l’un des titres est « Écoutez la femme qui a défié les
autorités pronazies de Vichy pour sauver des vies juives », in : Lapidus, p. 91-92 ; couverture
uniquement dans CAHJP, P-129/1. Pour un récit détaillé du voyage, voir Lapidus, p. 72-75.
25. Ibid., p. 81.
26. Ibid., p. 81-82.
27. Ibid., p. 86.
28. Tsur (ci-dessus, note 5), p. 33-36, 48-50.
29. Michel Abitbol, “Waiting for Vichy : Europeans and Jews in North Africa on the Eve
of World War II”, Yad VaShem Studies 14 (1981), p. 139-166, notamment p. 154-155.
30. Pour de plus amples détails sur la situation des Juifs au Maroc dans les années 1940,
voir : M.Y., R.S. et R.B., « L’application du statut des Juifs et des dispositions raciales à la
population juive au Maroc », rapport confidentiel, février 1942, ms, archives de l’Institut BenZvi ; American Jewish Yearbook 44 (1943), p. 200-201. Pour une étude plus approfondie et
d’autres sources, voir : Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 66-79, annexes 2, 4, 5 (p. 184189) ; Laskier, North African Jewry (ci-dessus, note 5), p. 55-83 ; David Cohen, “The Nature of
the Implementation of the Anti-Jewish Legislation in Morocco under Vichy in accordance with
new documents from the Quai d’Orsay”, Proceedings of the Ninth World Congress of Jewish
Studies, B, 2, Jérusalem, 1989, p. 225-228.
31. Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 71, notamment note 52. Laskier (North
African Jewry [ci-dessus, note 5] p. 62) avance que la plupart des avocats touchés étaient
probablement des Juifs européens non marocains.
32. American Jewish Yearbook 42 (1943), p. 159.
33. Ibid., p. 169.
34. Laskier, North African Jewry (ci-dessus, note 5) p. 65.
35. Tsur (ci-dessus, note 5), p. 16-22 ; Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 153-155.
36. Sur les réfugiés juifs dans la zone internationale de Tanger : Michael M. Laskier,
“Between Vichy Antisemitism and German Harassment : the Jews of North Africa during the
early 1940s”, Modern Judaism 11, 3 (1991), p. 353-355 ; Isabelle Rohr, “Haven in the
Maghreb : Jewish Refugees in Tangier (1939-1945)” et Mitchell Serels, “Spies and Counterspies, Nazis and Refugees : Tangier during World War II”, deux exposés présentés lors d’une
conférence internationale, « L’Afrique du Nord et ses Juifs durant la Seconde Guerre
mondiale », nouvelles recherches, Jérusalem, 29-30 avril 2008.
37. Laskier, “Between Vichy Antisemitism” (ci-dessus, note 36), p. 352 ; Abitbol, Les
Juifs (ci-dessus, note 5), p. 97-99.
38. JDC, Aiding Jews Overseas, Report of the JDC for 1940, New York 1941, p. 17 ; The
New York Times, 21 juin 1941, p. 4, parle de 400 réfugiés qui furent transférés de Dakar à
Casablanca. Voir autres articles du 13 juin, 1941, p. 2 ; du 21 juin 1941, p. 4 ; du 26 juin 1941,
p. 6. Voir le fascinant récit dans le journal et les mémoires de la bru et de la petite-fille de
Sigmund Freud, Esti et Sophie Freud, de leur fuite d’Europe, et de leur séjour de dix mois à
Casablanca. Sophie Freud, Living in the Shadow of the Freud Family, Westport CN et Londres,
2007, notamment p. 253-286.
39. Varian Fry, Surrender on Demand, New York, 1945 et Boulder, CO 1997 ; Sheila
Isenberg, A Hero of Our Own : the Story of Varian Fry, New York, 2001.
40. Wischnitzer (ci-dessus, note 1), p. 169.
41. Voir par exemple un contrat entre Mme Benatar, présidente de l’Association des
anciens élèves de l’Alliance israélite universelle, et le Bureau régional des réfugiés de la
municipalité de Casablanca, signé par Henry Bouquet, 16 novembre 1940, CAHJP, P-129,
3824/4 (no original d’archive) ; Lapidus, p. 27.
42. Pour une présentation plus détaillée et plus approfondie, voir : Szajkowski (ci-dessus,
note 8).
43. Aiding Jews Overseas. Report of the JDC for 1940, New York, 1941, p. 31.
44. Sur la base des très nombreux documents des archives de Mme Benatar (CAHJP, P129), Guershon dénombra 21 camps au Maroc, dont 11 camps de travail. Six camps
disciplinaires et quatre camps de détention furent aussi installés sur le territoire marocain.
Guershon (ci-dessus, note 7), p. 282-283.
45. “Forced Labor Girding Dakar. Exiles Report”, The New York Times, mai 25, 1941,
p. 31 ; voir également les articles du 25 juillet 1941, p. 6 et du 6 août 1941. Voir aussi : S.A.
Desick à R. Slobodin, AJJDC, New York, 27 mai 1941, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier
745 ; Heintz Pol, “Vichy Slave Battalions”, The Nation 152 (été 1941).
46. JDC à Benatar, 17 mars 1941, CAHJP, P-129.
47. Lapidus, p. 28-29.
48. CAHJP, P-129/ 1 b (diverses communautés), 29 (Safi), 30 (Marrakech), 31, 56, 72,
(Mogador), 73 (Settat), 62 (diverses communautés). Sur les activités à Mogador, voir : Tagger
(ci-dessus, note 7), p. 47-48 ; interview de Mathilde Tagger par l’auteur, Jérusalem, 11 mai
2008, et les mémoires de son père, Prosper Cohen, qu’elle détient.
49. Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust, Détroit, 1981, p. 204.
50. “Report on situation of refugees still in Morocco, submitted by Mr. Spanien”, Joseph
J. Schwartz, AJDC, Lisbonne à l’AJDC, New York, 9 octobre 1941. On rapporta par la suite
que 1 000 à 1 500 réfugiés purent partir, soit par leurs propres moyens, soit avec l’aide des
organisations juives ; JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745.
51. Bauer (ci-dessus, note 49), p. 203.
52. Rapport annuel de l’HIAS, New York, 1941, p. 28.
53. Dr William Hills Sheldon, “Statement of health conditions in French Morocco”,
4 novembre 1941, Archives de l’American Friends Service Committee, Philadelphie, Registres
de l’American Friends Service Committee concernant le travail humanitaire en Afrique du
Nord, 1942-1945 [ci-après : AFSC], boîte 1, dossier 5 ; Dr Wyss-Dunant, “Visits to various
internment camps, 1942,” ibid., boîte 1, dossier 15.
54. AFSC, boîte 1, dossier 29 ; Howard Wriggins, Picking up the Pieces from Portugal to
Palestine. Quaker Refugee Relief in World War II. A Memoir, Lanham MD 2004, p. 64.
55. “General Situation of Jews in North Africa : French Morocco, Algiers, Tangiers and
Tunis” [date inscrite à la main du 13 novembre 1942], JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier
745 ; voir aussi : Louis J. Borinstein, “Agenda for North Africa” The JDC Digest 1,6 (déc.
1942), p. 2.
56. Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 99. L’estimation d’Abitbol est bien inférieure
aux 60 000 donnés par Mme Cazes-Benatar de nombreuses années après la guerre. Nous ne
savons cependant pas comment celle-ci arriva à ce chiffre – s’il comprend tous les pays
d’Afrique du Nord ou uniquement le Maroc, s’il ne comprend que des Juifs ou également des
réfugiés non juifs, et ainsi de suite (voir ci-dessus, note 3). Voir aussi la discussion dans
l’ouvrage d’Aryeh Tartakower et Kurt R. Grossman, The Jewish Refugee, New York, 1944,
p. 211.
57. S.A. Desick à R. Slobodin, AJJDC. New York, 27 mai, 1941, JDC/Jérusalem, RG NY
33/44, dossier 745 ; Lapidus, p. 44-45.
58. CAHJP, P-129/1a. Dans une courte biographie, elle nota, certainement en 1977, quand
elle transféra ses archives à Jérusalem, que son travail avec les réfugiés servait aussi à couvrir le
travail fait pour la Résistance (voir ci-dessus, note 19). Cela est également mentionné dans une
brochure publiée par le United Jewish Appeal à l’occasion de sa campagne de collecte aux
États-Unis. Nous n’avons trouvé aucune autre preuve de cette affirmation. Voir aussi, pour un
récit plus détaillé : Lapidus, p. 36-37.
59. Concernant le transfert de fonds, voir le rapport du JDC, Estimated Budgetary
Requirements for 1943, p. 6. Voir également les références aux problèmes : Leslie O. Heath,
AFSC, Casablanca, à Herbert Katski, JDC, Lisbonne, 13 avril, 1943 ; Eric W. Johnson, délégué
de l’AFSC, Casablanca, à Herbert Katski, JDC, New York, 11 octobre, 1943 ; et Katzki à
Johnson, 22 octobre 1943, tous dans l’AFSC, boîte 2, fichier 11.
60. Transit pour Casablanca, avril 1942, CAHJP, P-129/9.
61. American Jewish Year Book 44 (1943), p. 296.
62. Voir la nombreuse correspondance, les rapports et la liste des passagers dont le voyage
était sponsorisé par la HICEM vers ou au départ de Casablanca, 1941-1942, archives YIVO
Center for Jewish History, New York, siège de la HICEM en Europe, Registres 1935-1953, RG
245.5, dossiers 142-156.
63. David Izbotsky, http://www.simplonpc.co.uk/2RoyalMailLines/Ebro_1914_P-Olga01.jpg, téléchargé le 16 janvier 2010 [en hébreu]. Pour une description verbale et visuelle du
bateau, voir Companhia Colonial de Navegação, Cartes postales des navires et paquebots
portugais, http://www.simplonpc.co.uk/Portugal_Colonial.html#anchor2198241, téléchargé le
16 janvier 2010.
64. Jules Wallerstein, “Limited Autobiography”, Archives Leo Baeck, Center for Jewish
History, New York, ME 1334.
65. Pour des descriptions de l’une des traversées du paquebot portugais Guinée de
Lisbonne à Casablanca puis New York et les procès de quelque deux cents réfugiés qui avaient
été laissés à Casablanca, voir : The Jewish Criterion, le journal juif de Pittsburgh, 11 juillet
1941, p. 3, et 15 août, 1941, p. 2. Voir aussi le récit de Freud (ci-dessus, note 38).
66. Sur l’attitude des États-Unis, notamment celle des Juifs américains, voir Michal Ben
Ya’akov, “‘All Israel are Responsible for Each Other’ – The Activities of American Jewry on
behalf of North African Jews during the Holocaust”, in Z. Ukashy, S. Rosmarin & I. Rozenson
(eds.), Along the Paths of Jewish History, Research and Reminiscences, in honor of Dr Zvi
Gastwirth, Jérusalem, 2006, p. 401-432 [en hébreu].
67. Szajkowski (ci-dessus, note 8), p. 159.
68. CAHJP, P-129/1a ; AFSC, boîte 2, dossier 19, boîte 5, dossier 79.
69. Kenneth G. Crawford, Report on North Africa, New York, Farrar, 1943, p. 101. Dans
l’avant-propos de cet ouvrage, Crawford, journaliste envoyé en Afrique du Nord entre mars et
mai 1943 pour couvrir les événements, écrivit, dans son évaluation de la situation : « Sur toutes
les […] histoires illustrant la soi-disant stupidité et la bassesse ouverte de la politique
américaine en Afrique du Nord, certaines sont aussi sinistres ou pratiquement aussi persuasives
que celles qui parlent des prisonniers politiques […]. Selon la rumeur, non seulement les
autorités américaines ne faisaient rien pour relâcher ces prisonniers mais elles étaient de mèche
avec les coloniaux français pour grossir la main-d’œuvre. »
70. Memorandum to the Chief, Division of Public Welfare and Relief, DAEB, Report on
Activity of the Refugee Section, du 30 juin 1943 à aujourd’hui [15 juillet 1943], signé Kendall
G. Kimberland, Section des réfugiés, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 434. “Refugee
situation, North Africa”, Casablanca, 19 juillet 1943 (publié pour la presse le 26 juin 1943),
JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 434.
71. Dr Joseph Schwartz, Report on Moroccan Trip of Inspections [date inscrite à la main
19/2/43], JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossiers 434, 745.
72. Ilja M. Difour, “The Refugee Problem”, American Jewish Year Book 46 (1944-1945),
p. 310.
73. Donald B. Hurvitz, “Report on North Africa, November 1943”, J.D.C. Digest 2, 5
(1943), p. 13-15.
74. Bauer (ci-dessus, note 49), p. 205.
75. Procès-verbal de réunion, 26 juillet 1943, AFSC, boîte 3, dossier 47.
76. Memorandum to the Chief, Division of Public Wefare and Relief, DAEB, Report on
Activity of the Refugee Section, du 30 juin 1943 à aujourd’hui [15 juillet 1943], signé Kendall
G. Kimberland, Section des réfugiés, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 434.
77. Joseph Schwartz, directeur du siège européen du JDC, par exemple, nota qu’elle était
la présidente local du comité du JDC. Schwartz Lisbon à l’AJJDC, New York, 8 octobre 1941,
JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745.
78. Par exemple, Herbert Katzki, secrétaire, JDC de Londres au département comptable,
AJJDC, New York, 11 février 1943 ; JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745.
79. Richard Plaut, dans un rapport en date du 18 avril 1945, JDC/Jérusalem, RG NY
45/54, dossier 6.
80. Moses A. Leavitt, “Memorandum on the situation in Morocco”, 8 avril 1940 ;
JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745.
81. Susan Chambré, “Philanthropy”, in Paula E. Hyman & Deborah Dash Moore (eds),
Jewish Women in America. An Historical Encyclopedia, vol. 2, New York-Londres, 1997,
p. 1049.
82. Ibid., p. 1050-1053.
10. Espionnage et contre-espionnage ; nazis
et réfugiés :
Tanger durant la Seconde Guerre mondiale
1. Pike, David Wingeate. “Franco and the Axis Stigma,” Journal of Contemporary
History, vol. 17, no 3, (juillet 1982) p. 369-407, et Foltz, Charles Jr. The Masquerade in Spain,
Boston, Houghton Mifflin Co., 1948, p. 151.
2. Foltz, p. 156.
3. Foltz, p. 151.
4. Pike, p. 373 Selon François Pietri, ambassadeur de Vichy à Madrid, l’Espagne connut
trois étapes pendant la guerre :
De l’armistice de Bordeaux à juillet 1942 – non-belligérante, pro-Axe. De juillet 1942 à
février 1944 – neutralité absolue. De février 1944 à la fin de la guerre – pro-Alliés. Tout cela
joua sur le comportement des Espagnols envers les agents ennemis à Tanger.
5. Coon, Carleton S., A North African Story. The Anthropologist as OSS Agent 1941-1943,
Ipswich, Gambit, 1980. p. 9.
6. Pike, p. 372.
7. Childs, J. Rives. Let the Credit Go, New York, Giniger Co., 1983. p. 152-154. Après
l’incorporation, les Alliés maintenaient des relations correctes avec les autorités espagnoles à
Tanger. Cependant, ils ne participaient pas aux événements officiels espagnols en ville. Ernest
Dempster, le conseiller juridique britannique de la légation américaine, pense de même.
Cependant, lorsque le califat remplaça le Mendoub, la plupart des représentants étaient présents.
8. Childs, p. 181.
9. Childs, p. 136.
10. Waller, John H., The Unseen War in Europe. Espionage and Conspiracy in the Second
World War, New York, Random House, 1996, p. 155. L’Espagne était particulièrement
préoccupée par le fait que, si les Britanniques étaient chassés de Gibraltar, ils se réfugieraient à
Tanger et occuperaient la ville, la privant ainsi du seul point qu’elle avait marqué pendant la
guerre.
11. Waller, p. 161. Bien que les Britanniques en aient voulu à l’Espagne d’occuper
Tanger, ils réalisèrent que la prise de la ville ne signifiait pas un soutien actif à l’Allemagne de
la part des Espagnols.
12. Childs, p. 137.
13. Childs, p. 137
14. Childs, p. 157
15. Coon, p. 6.
16. Vaiden, Lawdom, Tanger : A Different Way, Metuchen, Scarecrow, 1977, p. 236-37.
17. Crozier, Brian, Franco, Boston, Little, Brown and Co., 1967. p. 196-99. Bernhardt
avait convaincu Hitler lors de leur entretien à Bayreuth le 26 juillet 1936. Le lendemain,
Bernhardt et Langheim rentrèrent à Tétouan, annonçant que les avions allemands
transporteraient des troupes espagnoles de Tétouan à Séville.
18. Kahn, David, Hitler’s Spies. German Military Intelligence in World War II, New
York, Macmillan Publishing Co., 1978. p. 231. C’était l’argument principal de Canaris, qui se
rendait fréquemment en Espagne.
19. Coon, p. 45.
20. Kahn, p. 246. Les Allemands avaient un système élaboré et parfois troublant pour
obtenir et évaluer des informations en Afrique du Nord. Le spécialiste-capitaine Karl-Erich
Kuhlenthal recrutait des agents en Afrique du Nord et à Gibraltar. Le spécialiste-capitaine
Constantin Canaris, neveu de l’amiral Canaris, chef de l’Abwehr, évaluait et transmettait les
rapports d’Afrique du Nord pour le sous-groupe I Armée. Le commandant Baltzer, du sousgroupe I Marine, supervisait les espions dans les ports espagnols. L’ingénieur aéronautique du
sous-groupe I Luftwaffe, le Dr Weiss, enquêtait sur les atterrissages d’urgence dans des zones
contrôlées par l’Espagne. Le contre-espionnage du Groupe III était couvert dans cette zone par
le trésorier en chef, Franzbach, qui fournissait constamment des agents à Tétouan et à Tanger
par Barcelone. Plusieurs bureaux dans diverses villes d’Allemagne étaient chargés de superviser
les agents allemands à travers le monde. Berlin était chargé des agents juifs et suisses ; Stuttgart
des agents allemands à l’étranger ayant des contacts commerciaux en Espagne et au Portugal ;
Munster des frontières franco-espagnoles, Hambourg de l’Amérique latine et des agents qui
utilisaient l’Afrique du Nord espagnole pour expédier des marchandises.
21. Burdick, Charles B., Germany’s Military Strategy and Spain in WWII, Syracuse,
Syracuse University Press, 1968, p. 24-26. Canaris fit souvent le voyage entre Berlin et Madrid.
Il voyageait avec Piekenbrock, rencontra Leissner puis Franco et le général Vignon.
22. Dollmann rencontra en janvier 1952 le mufti de Jérusalem Haj Amin el-Husseini dans
sa « Villa Aida » à Héliopolis. Dollmann participa à l’utilisation des fonds détenus par les nazis
dans les entreprises d’import-export restantes pour permettre aux nazis de partir en Amérique du
Sud. Hoettl. William, The Secret Front. The Story of Nazi Political Espionage, New York,
Frederich A. Praeger, 1978, p. 158. Les nazis avaient une division SS musulmane que le mufti
inspecta et pour laquelle il aida au recrutement des troupes. Himmler demanda à Schellenberg
en septembre 1943 de demander au mufti d’envoyer un émissaire arabe pour se renseigner sur
les expériences américaines en matière de roquettes en Afrique du Nord. Le choix tomba sur
« Reed ». Doerries, Reinhard R., Hitler’s Last Chief of Foreign Intelligence. Allied
interrogations of Walter Schellenberg, Londres, Frank Cass, 2003. p. 128.
23. LeBor, Adam, Hitler’s Secret Bankers. The Myth of Swiss Neutrality during the
Holocaust, Secaucus, Birch Lance Press, 1997. p. 67-68.
24. Foltz, p. 156.
25. Franco avait de nombreux amis parmi les hommes d’affaires juifs marocains,
notamment parmi les riches familles de Tétouan.
26. Pike, p. 384.
27. Childs, p. 181.
28. Childs, p. 138. Le colonel William A. Eddy arrivant le 26 janvier 1942 était l’attaché
naval et le colonel William C. Bentley était l’attaché militaire. Eddy était un marine décoré qui
dirigeait l’OSS à Tanger, centre d’espionnage pour les renseignements américains jusqu’au
débarquement en Afrique du Nord. Bentley fut ensuite remplacé par le colonel Johnson. p. 199.
29. Pour d’autres informations sur le Dr Nahon et sa famille, voir Laredo, Abraham I, Les
Noms des Juifs du Maroc, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas Instituto
“B. Arias Montano”, 1978.
30. Coon, p. 35-38. La légation américaine utilisait plusieurs codes, notamment Coinform,
Victor, ou Yankee. Ces codes étaient entreposés dans le coffre du bureau de l’attaché militaire.
D’autres créèrent leurs propres codes, se basant sur le mot anglais « desiccated », qu’un bon
nombre de membres du personnel de la légation avaient du mal à orthographier correctement.
Coon indiqua que le code officiel était découvert, certainement à cause de la femme de ménage
qui espionnait la légation pour les autorités espagnoles. Néandertal devait donner des
informations sur les mouvements de troupes espagnoles entre Sidi Kasseus et le cap Spartil. Il
indiqua que les Espagnols avaient deux mitrailleuses AA montées sur des camions. Comme
couverture, il vendait du poisson ou du poulet à Tanger.
31. Coon, p. 36-38.
32. Masterman, J. C., The Double-Cross System in the War of 1939 to 1945, New Haven,
Yale University Press, 1972. p. 84.
33. Kahn, p. 500.
34. Childs, p. 179.
35. Kahn, p. 274. Himmler demanda à Schellenberg d’obtenir des papiers pour Friederike
Deutsch, à moitié juif, qui devait se marier. Voir également, Karl, The Downfall of the German
Secret Service, Londres, William Kimber, 1956, p. 65.
36. Manvell, Roger et Heinrich Fraenkle, The Canaris Conspiracy. The Secret Resistance
to Hitler in the German Army, New York, David McKay Co., 1969, p. 102. Canaris employait à
l’Abwehr deux Juifs, le colonel Simon et le colonel Bloch. Il leur avait procuré de faux papiers.
Théoriquement, il obtint sept certificats aryens pour les Juifs quittant l’Allemagne pour
l’Amérique latine. En fait, il en obtint 15, y compris pour l’avocat Arnold (Arnhold ?) et sa
famille. La plupart des « espions » étaient des hommes âgés, l’un d’eux était aveugle. Canaris se
rendait souvent en Espagne et parlait bien espagnol, ayant vécu au Chili.
37. Andor Grosz était également un Juif hongrois espionnant pour les nazis. Il travaillait
en Suisse pour le bureau de Stuttgart.
38. Interview avec John Stern.
39. Kassner, Lily, Mathias Goeritz. Una Biografia. 1915-1990, Mexico, Instituto
Nacional de Bellas Artes, 1998, vol. II, p. 17. Les parents de Goeritz étaient protestants. Mathias
Goeritz avança être exempté du service militaire car 1) il venait de Dantzig ; 2) il était trop
grand ; ou 3) il était trop maigre. p. 23. Concernant le symbolisme dans les travaux de Goeritz
sur Auschwitz, voir Amishai Maisels. Christological Symbolism of the Holocaust, Holocaust
and Genocide Studies, vol. 3, no 4, 1988, p. 457-481. Pour une biographie quelque peu
différente, voir Kassner, Lily S., Diccionario de escultura Mexicana del siglo XX, Mexico,
Consejo nacional para la cultura y las artes, 1997. Pour d’autres informations et un certain
nombre de contradictions, voir Cuahonte de Rodriguez, Maria Leono, Mathias Goeritz, Paris,
l’Harmattan, 2000. Voir aussi Goeritz, Mathias. Architectural Sculpture. Mathias Goeritz : an
Exhibition, Jérusalem, Academic Press, 1980. Et Mathias Goeritz. Arquitectura emocional,
Mexico, Instituto nacional de belle artes. Mexico, Museo de arte moderno, 1984. ainsi que
Wendl, Karel, The Route of Friendship : A Cultural/Artistic Event o the Games of the XIXth
Olympiad in Mexico City-1968, Olympika : The International Journal of Olympic Studies,
vol. VII. 1998. p. 113-114.
40. Kassner, 1998. Vol. II, p. 235. Lors d’un entretien avec un haut fonctionnaire du
gouvernement de Munich, il semble que Mathias Goeritz ait demandé à être nommé au poste
d’enseignant d’allemand à l’Institut allemand à Tétouan. Il semble que le gouvernement
espagnol ait pensé que cette fonction était un poste diplomatique donnant droit à certains
privilèges. Tous les récits s’accordent à dire que Mathias Goeritz est né à Dantzig en 1915 et est
mort au Mexique en 1990. Même son ascendance juive est voilée, car il semble que son grandpère paternel était juif. On ne sait pas comment il arriva à Tanger. Certains disent qu’il
voyageait en Belgique et en France quand la guerre éclata et qu’il partit pour l’Espagne.
D’autres disent qu’il vivait à Berlin et déménagea en Espagne. Selon une autre source, il partit
pour l’Afrique du Nord et arriva en Espagne uniquement en 1945. Mathias Goeritz dit qu’il s’en
alla vers le nord, pour habiter dans la demeure d’un noble espagnol près de San Sebastian.
41. Katz, p. 30. Même l’OSS faisait appel à des artistes pour faire de l’espionnage.
Goeritz a peint un paysage de Gibraltar en 1942, vu du côté espagnol.
42. Childs, p. 181. Le nom de l’architecte n’est pas précisé.
43. Wyman, p. 223. Hayes, dans l’ensemble, aida les Juifs, notamment les réfugiés
séfarades et les Juifs hongrois. Il était le coprésident du Conseil national des chrétiens et des
Juifs. Cependant, Hayes était plus soucieux de l’entrée éventuelle de l’Espagne au nom de
l’Allemagne et du transfert de matières premières d’Espagne en Allemagne. Wyman et Avni,
Haïm, Spain, the Jews and Franco, 1982.
44. LeBor. Les États-Unis surveillaient les Reichmann à Tanger. Les agents américains
pensaient qu’ils se servaient de la Croix-Rouge espagnole pour passer en contrebande des
denrées dans les zones sous occupation nazie. Cependant, Childs, chef de la légation
américaine, avait de très bonnes relations avec Renée Reichmann.
45. Childs, p. 151-161. Renée Reichmann avait de bonnes relations avec les autorités
américaines et espagnoles. Son objectif principal était d’obtenir la protection espagnole pour ces
enfants mais il fallait également trouver un endroit qui les accepte. Le général Orgaz accepta.
Childs contacta également l’ambassadeur américain à Madrid, Hayes. Les 500 visas une fois
émis, Reichmann demanda 700 visas supplémentaires pour les adultes. Childs réussit à obtenir
l’accord d’Orgaz. Childs ne sut pas exactement combien de vies furent sauvées mais pensa que
toutes le furent. Childs crédita certainement Renée Reichmann de persistance, de grâce et de
charme pour mettre en œuvre l’assistance. Le représentant espagnol à Budapest, Angel SanzBriz, fut d’une grande aide, allant au-delà des instructions du gouvernement franquiste. Voir
Serels, M. Mitchell. “Ambassador Angel Sanz-Briz and the Salvation of Hungarian Jews”, Del
Fuego : Sephardim and the Holocaust, New York, Sepher-Hermon Press, 1995, p. 254-58.
46. Le Vaad Hatzalah siégeait au 540 Bedford Avenue, Brooklyn, New York. Des
documents décrivant l’efficacité de l’aide de Renée Reichmann aux Juifs hongrois ont été
trouvés dans la bibliothèque de la Yeshiva University.
47. Pour une plus ample discussion sur la communauté juive de Tanger pendant les années
de la guerre, voir Serels, M. Mitchell, The Jewish Community of Tangier in the 19th and
20th Centuries, New York, Sepher-Hermon Press, 1991. Parmi ces commerçants,
Bentolila & Co., Rosenbaum & Co., Bendrao & Co., Cohen & Co., Marquez & Co.,
Benadiba & Co., Fargeon & Co., Benchimol & Co., Back & Co., Fux & Co. Une partie du
soutien provenait sans aucun doute des partenaires commerciaux ashkénazes.
48. Serels, p. 159-160. Calle Tetuan était une résidence appartenant à David Benelbaz,
l’arrière-grand-père de ma femme. Le 24 février 1944, selon une carte du camp de concentration
de Theresienstadt, trois colis de Tanger arrivaient.
49. Ce dernier s’installa à Genève après l’indépendance marocaine et la réunification de
Tanger avec le Royaume. Ensuite, avec l’achat de l’agence de Genève de la Banca del Gottardo,
la banque s’installa à Madrid. La banque Pariente était la plus ancienne banque financière
marocaine.
50. Interview avec Amram Bendahan, voir Serels, p. 246.
51. Monterforte Toledo, Conversaciones con Mathias Goeritz, Madrid, Siglo Veintiuno
Editores, 1993, p. 33-34.
52. Monteforte Toledo, p. 34. Mathias Goeritz relate l’histoire d’un émigré qu’il nomme
Rudolfo. Goeritz avait fait sa connaissance à Berlin en 1937.
53. US National Archives and Records Administration. Military Agency Records. RG
226. Document no 11526. Safehaven.
54. Coon, p. 10-12.
55. Coon, p. 12-13.
56. Coon, p. 24. M. Fish, dont l’identité réelle demeure obscure, parlait anglais. Il tenta
d’obtenir des informations sur les fortifications secrètes mais fut découvert par les Espagnols. Il
refusa d’autres missions.
57. Coon, p. 13. Coon note que la propagande imprimée n’était pas efficace. Childs limita
son utilisation sauf si les Espagnols autorisaient les Allemands à distribuer la leur. Les
Britanniques et les Allemands arrivèrent à la même conclusion. p. 15.
58. Coon, p. 24. Big Moh était prêt à libérer les prisonniers au moment du débarquement
allié. Cela aurait causé des troubles et fait diversion. Big Moh communiquait à Childs
l’arrestation d’individus intéressants.
59. Childs, p. 179. Coon p. 3 indique que ce fut le 5 février que les explosions
britanniques firent huit morts anglais et un certain nombre de morts arabes.
60. Goebbels, p. 73. Note datée du 9 février 1942.
61. Stern, John. Il arriva avec ses parents à Tanger, venant d’Allemagne, alors qu’il n’était
encore qu’un jeune homme. Il tint un journal, était l’un des deux informateurs réfugiés. Il vit
actuellement à Long Island, New York. Il épousa Alia Azancot, la fille du dayan de Tanger.
L’autre informateur est Robert Abramovici de Paris, France.
62. Childs, p. 175-177.
63. Doerries, 2003, p. 314.
64. Foltz, p. 151. Pike, p. 386. Sir Samuel Hoare, ambassadeur britannique à Madrid,
voulait fermer le GCGT et se débarrasser des espions. Selon lui, le GCGT était le siège de
l’activité allemande de renseignement.
65. Pike, p. 316. Crozier, p. 394.
66. Pike, p. 404. Le consulat français à Barcelone tenait un registre des agents de la
Gestapo en Espagne après la guerre. L’Espagne avait un agent au consulat français, Ramonaxo,
un attaché consulaire. L’Espagne avertit également l’ambassade allemande à Madrid qu’en cas
de défaite allemande, tous les biens allemands en Espagne seraient bloqués. Cependant, les
comptes ne furent bloqués que le 5 mai 1945, date à laquelle une partie des biens avaient déjà
été retirés.
67. Pike, p. 392. Donne des détails sur les activités des Allemands qui restèrent en
Espagne après la guerre.
68. Childs, p. 153. Tous les réfugiés qui se rendirent à Tanger ne purent y rester. Certains
furent expulsés pour y être entrés illégalement ou furent arrêtés.
69. Les Allemands soulevèrent le problème du passage des réfugiés français et juifs, via
l’Espagne, en Afrique du Nord. L’Espagne reconnut qu’il y avait effectivement un problème,
plusieurs milliers de réfugiés étant entrés en territoire espagnol. Spanish Government and the
Axis, Washington, United States Government Printing Office, 1946, p. 36-38. Notes sur la
conversation de l’ambassadeur Dieckhoff et du général Franco. Madrid. 15/12/43.
70. JDC no 35385. Lettre générale no 877 à l’ADJC NY de l’ADJC de Lisbonne. Voir
Serels, 158.
71. Voir Serels pour de plus amples informations sur la population des réfugiés et les
services dont ils bénéficiaient. Parmi eux, Emmanuel Hollander (43, rue Goya) Arthur Kornberg
(22, rue de la Vigne) Walter Bickart (Villa de France), Nicolas Rosenbaum (27, rue Fouchauld),
M. Rosenfeld (16, rue Fouchauld), J. Grussgott (25, rue Molière), John Stern et bien sûr la
famille Reichmann, qui vivait dans le même immeuble que la famille Grussgott. Parmi les
individus qui demandèrent l’aide de la communauté et du Joint, les Juifs polonais Rayzla et
Abraham Goldberg et leurs quatre enfants ; Berta et Sigismund Grussgott, qui venaient d’arriver
de Lisbonne avec leurs quatre enfants ; Mme Ezekiel Hartzfeld et ses huit enfants ; Sara et
Simha Poznantek, également des Juifs polonais, avec leurs quatre enfants ; et Wilhelm Sand
avec quatre personnes à charge.
72. Serels, p. 160.
73. Wyman, David S., Abandonment of the Jews : America and the Holocaust, 19411945, New York, Pantheon Books, 1984, p. 115-119. Voir aussi p. 127.
74. Basé sur des documents de l’US National Archive and Records Administration.
Military Agency Records. RG 226. “The company of Viuda de Carlos J. Brenner was money
used by the Nazi Jose Mana Reichardt” (document 10905) ; Otto Steerle Taub
(document 10990) ; Alfred E. Radeke à Valence (Document 11967) ; nombreux étaient ceux qui
transféraient des fonds en Espagne peut-être par le contact de la Sofindus avec la Banco da
Lisboa (document 11526) ; le transfert de fonds par les nazis en Espagne était si étendu que
Himmler vérifia les transferts de fonds de Goering (Document 11526) ; Antonio Jose Michel
Schaefer à Amilon S.A. (Document 11572).
75. De nombreux nazis participaient à ce réseau de cachettes après la guerre et aidèrent
ceux qui s’enfuirent après la conspiration de Naumann de 1952-53 pour contrôler l’Allemagne
de l’Ouest. L’une de ses cachettes se trouvait à Madrid. Les nazis restés après la guerre s’en
occupaient. Un certain nombre de ces Allemands étaient des diplomates. Tetens, T.H., The New
Germany and the Old Nazis, New York, Marzani & Munsel Random House, 1961, pp .31-33,
44-45. Certains suggèrent que Madrid servait de quartier général international ayant une
branche à Tanger.
76. Je ne mentionne pas le nom des douaniers ni des ressortissants allemands qui ont été
raflés ou expulsés d’Espagne. Ils sont des centaines. J’ai également exclu les Allemands
répertoriés en tant qu’agents et pour lesquels aucune autre documentation n’indique qu’ils
étaient à Tanger ou en Afrique du Nord. De même pour les officiers espagnols qui furent
sanctionnés par le gouvernement espagnol pour leurs activités en faveur des Allemands. La liste
se trouve dans les registres des gouvernements espagnol et américain. Note verbale no 927. B-1,
exl-A2 du ministère espagnol des Affaires étrangères à l’ambassade des États-Unis à Madrid.
77. Rout & Bratzel, p. 415-17, p. 472.
78. Pike, p. 402. A été forcé de revenir en Allemagne avec Stohrer. Cela témoigne
également de la façon dont les Allemands étaient connectés à la population espagnole.
79. Burdick, p. 24-26.
80. Coon. p. 33. Abrines avait sur lui des milliers de pesetas pour soudoyer, chaque fois
que cela était nécessaire, les douaniers lorsque les navires revenaient de Gibraltar. Les sommes
étaient généralement modestes, 50 ptas. ($5 US).
81. Rout & Brazel, p. 355.
82. Doerries, 2003, p. 314.
83. Childs, p. 138.
84. Childs, p. 148
85. Childs, p. 175.
86. Coon, p. 52.
87. Childs, p. 154.
88. Childs, p. 283.
89. Coon, p. 36-38, 52.
90. Coon, p. 32.
91. Coon, p. 36.
92. Lankford, p. 42. L’OSS avait de nombreuses difficultés, en raison de l’inefficacité de
l’infrastructure de collecte des renseignements.
93. Coon, p. 41.
94. Childs, p. 138.
95. Kahn, p. 467.
96. Coon, p. 12-13, 18.
97. Coon, p. 29.
98. Childs, p. 175 ; Coon, p. 35.
99. Doerries, 2003. p. 23.
100. Doerries, 2003. p. 269.
101. Childs, p. 199 ; Coon, p. 20.
102. Services spéciaux. 1935-1945, Paris, Éditions Robert Laffont, p. 483. Les Français
étaient conscients de cet événement le 28 avril 1943. Pour de plus amples détails sur William
Martin, voir Vincent & Nan Buranelli, Spy/Counterspy. An Encyclopedia of Espionage, New
York, McGraw Hill Book Co., 1982, p. 205-206.
103. Masterman, p. 84.
104. Coon, p. 25.
105. Coon, p. 25.
106. Doerries, 2003, p. 129.
107. Foltz, p. 153 ; Pike, p. 401.
108. Coon, p. 13-15.
109. Childs, p. 154.
110. Coon, p. 20-21, 34.
111. Coon, p. 15.
112. Coon, p. 20-21.
113. Doerries, p. 129.
114. Coon, p. 51.
115. Services Sspéciaux, p. 171.
116. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 222-224. Les
Français avaient fait une copie de la machine de cryptage allemande Enigma.
11. Un havre maghrébin :
réfugiés juifs à Tanger durant la Seconde Guerre
mondiale
1. En outre, la recherche sur les réfugiés juifs à Tanger est handicapée par le fait que les
documents d’archives du Comité d’assistance aux réfugiés ont été perdus. Le recueil était à
l’origine détenu par les Archives de l’Alliance israélite universelle (AAIU) à Paris et selon ses
employés, il fut transféré aux Archives centrales de l’histoire du Peuple juif (CAHJP) à
Jérusalem. Le CAHJP n’a aucune trace de ce transfert.
2. Lucy Dawidowicz, The War against the Jews, 10e éd. (Toronto ; New York : Bantham
Books, 1986), p. 58-59
3. Leni Yahil, The Holocaust : The Fate of European Jewry (New York ; Oxford : Oxford
University Press, 1990), citant Otto D. Kulka, Tendencies Regarding “The Solution of the
Jewish Problem” in the Third Reich (Akadmon ; Jérusalem, 1968).
4. Arieh Tartakower et Hurt R Grossmann, The Jewish Refugees (New York, Institute of
Jewish Affairs of the American Jewish Congress et World Jewish Congress, 1944), p. 30.
5. Ibid., p. 39.
6. Cf. Herbert A. Strauss, “Jewish Emigration from Germany : Nazi Policies and Jewish
Responses” (I) in Leo Baeck Institute Yearbook 25 (1980), p. 343.
7. Archives sionistes centrales, Jérusalem (ci-après CZA), S26/1489, Impressions de ma
visite à Tanger rédigées pour l’Agence juive par Fritz Lichtenstein (3-17 mai 1944) ; YIVO
Institute for Jewish Research, New York (ci-après YIVO). Archives de l’AJDC à Lisbonne,
MKM 14.75, Fichier 811, liste des familles établie par le Comité d’assistance aux réfugiés ;
Yehuda Bauer, My Brother’s Keeper : A History of the American Jewish Joint Distribution
Community 1929-1939 (Philadelphie, 1974), p. 243.
8. YIVO, MKM 14.75, Fichier 811, Comité d’assistance aux réfugiés, liste des familles ;
interview avec George Estryn (18 août 2008).
9. Archives de Yad Vashem (ci-après, YVA), archives du Dr I. Schwarzbart, lettre de
Jakub Reiner (22 mars 1943). Toutes les traductions du polonais ont été réalisées par Maya
Zawistowska.
10. YIVO, archives HIAS-HICEM. Bureau principal des registres européens, MKM
16.13, Fichier 190, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés à la HICEM (8 août 1939).
11. UK National Archives, Kew Gardens, England (ci-après UKNA), FO 371/24101
W4380, compte rendu de M. Reilly (13 mars 1939).
12. YIVO, archives HIAS-HICEM. MKM 16.13, Fichier 189, lettre d’Augusto D’Esaguy,
Lisbonne, à la HIAS-HICEM, New York (10 août 1939).
13. UKNA, FO 371/24101 W6795, lettre du consulat général britannique à Tanger au
Département occidental (21 avril 1939).
14. Ibid., et YIVO, MKM 16.13, Fichier 189, lettre d’Augusto D’Esaguy, Lisbonne, à la
HIAS-HICEM, New York (10 août 1939).
15. YIVO, MKM 16.13, Fichier 190, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés à la
HIAS, Paris (17 avril 1940).
16. Le Statut fut signé par la France, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique, les PaysBas, les États-Unis, le Portugal, la Suède puis l’Italie.
17. Archivo General de la Administración, Alcalá de Henares, Espagne (ci-après, AGA),
Sección Africa M-2455, lettre anonyme (30 mai 1940) et copie de la loi sur l’immigration.
18. UKNA, FO 371/24445/C7221, General Political and Economic Situation in Tangier
(12 juin 1940).
19. YIVO, MKM 14.75, Fichier 811, Comité d’assistance aux réfugiés, liste des familles.
20. UKNA, FO 371/26960 C4225, synthèse pour 1940 des événements politiques en zone
espagnole au Maroc, (17 mars 1941) et Stanley G. Payne, Franco and Hitler. Spain, Germany
and World War II (New Haven, CT, Yale University Press, 2008), p. 66.
21. Archives de l’American Joint Distribution Committee, New York (ci-après JDC-NY),
recueil 1933/1944 Fichier #1045, rapport de la communauté juive de Tanger au Conseil des
réfugiés de guerre (24 février 1944).
22. Archives du Ministerio de Asuntos Exteriores Español Madrid, Espagne (ci-après
MAEE), lettre d’Orgaz au Premier ministre espagnol, Francisco Gómez y Jordana, (10 janvier
1944).
23. Sur l’antisémitisme du régime de Franco et sa réticence à permettre aux réfugiés juifs
de s’installer en Espagne, voir Antonio Marquina et Gloria Inés Ospina, España y los judíos en
el siglo XX (Madrid, Editorial Espasa Calpe, 1987), Bernd Rother, Franco y el Holocausto
(Madrid, Marcial Pons, 2005) et Isabelle Rohr, The Spanish Right and the Jews : Antisemitism
and Opportunism (Londres, Sussex Academic Press, 2007).
24. YVA Archives du Dr I. Schwarzbart, lettre de Jakub Reiner (22 mars 1943).
25. Sur l’Espagne et les puissances de l’Axe, cf. Paul Preston, Franco. An Autobiography
(Londres, Harper Collins, 1993), chapitres 14-19.
26. Graham H. Stuart, The International City of Tangier, 2e éd. (Stanford, Stanford
University Press, 1955), p. 145.
27. JDC recueil 1933/1944 Fichier #1045, lettre des réfugiés juifs au JDC de New York
(2 août 1942).
28. YVA Archives du Dr I. Schwarzbart, lettre d’I. Schwarzbart à J. Marlewski (3 août
1942) et lettre au ministère du Travail et du Bien-être social (10 octobre 1942).
29. The Jewish Chronicle (11 décembre 1943) et American Jewish Yearbook 1943, p. 296.
30. Anthony Bianco, The Reichmanns : Family, Faith, Fortune and the Empire of
Olympia and York (New York, Crown Business, 1997), p. 90.
31. Ibid., p. 114.
32. MAEE, note (22 juin 1944). Bibliothèque Franklin D. Roosevelt (Hyde Park, New
York), War Refugee Board Records, lettre de J. Rives Childs au Secrétaire d’État (12 août
1944).
33. CZA, S26/1489, Impressions de ma visite à Tanger par Fritz Lichtenstein (3-17 mai
1944).
34. JDC-NY, Fichier #1045, rapport de la communauté juive de Tanger au Conseil des
réfugiés de guerre (24 février 1944), lettre de Mordecaï Kessler, Tanger (19 avril 1944) et
Lawdom Vaidon, Tangier : A Different Way (Metuchen, N.J., Scarecrow Press, 1977), p. 231232.
35. YIVO, MKM 16.13, Fichier 189, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés à la
HICEM (16 mars 1939) Fichier 192, lettre d’Albert au président de la HICEM (21 mars 1939).
36. JDC NY, Fichier #1045, communauté juive de Tanger, rapport des activités durant
mars 1940.
37. YIVO, MKM 16.13, Fichier 190 lettre de la communauté juive de Tanger à la HICEM
(8 août 1939).
38. YIVO, MKM 16.13, Fichier 189, lettre d’Augusto D’Esaguy, Lisbonne, à la HIASHICEM, New York (10 août 1939).
39. YIVO, MKM 16.13, Fichier 190, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés,
communauté juive de Tanger à la HICEM (8 août 1939) et Rohr, p. 86-87.
40. CZA, S26/1489, Impressions de ma visite à Tanger par Fritz Lichtenstein (3-17 mai
1944).
41. Bianco, p. 91.
42. Archives de l’American Joint Distribution Committee, Jérusalem (ci-après JDCJérusalem), recueil Genève, Bobine 38, GII/327, lettre à Mordecaï Kessler (19 mars 1944).
43. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327 rapport sur l’Afrique du Nord
(novembre 1943) et JDC-New York recueil 1933/1944 Fichier #1045, rapport du Comité
d’assistance aux réfugiés de Tanger (26 mai 1944).
44. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327 rapport sur l’Afrique du Nord
(novembre 1943) et JDC-New York, recueil 1933/1944, fichier #1045, lettre du Comité
d’assistance aux réfugiés (22 décembre 1942).
45. JDC-New York, recueil 1933/1944 fichier #1045, Mémorandum sur les prêts gratuits
à Tanger (21 janvier 1944).
46. Archives de Yad Vashem, ci-après (ci-après, YVA), archives du Dr I. Schwarzbart,
lettre de Jakub Reiner (22 mars 1943).
47. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327, rapport sur l’Afrique du Nord
(novembre 1943) et JDC-New York, recueil 1933/1944 fichier #1046, rapport du Comité
d’assistance aux réfugiés (25 octobre 1944) et données statistiques (novembre 1944).
48. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre de Joseph Schwartz JDC, Lisbonne
(22 février 1944).
49. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés
(22 décembre 1942).
50. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, rapport du Comité d’assistance aux
réfugiés à Tanger (26 mai 1944) et lettre de Mordecaï Kessler (19 avril 1944).
51. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre du Patronat des réfugiés de guerre
polonais à Tanger (4 août 1943) et lettre d’Abraham Laredo à Herbert Katzki (13 août 1943).
52. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327, lettre d’Herbert Katzki, JDC
Lisbonne au JDC New York (2 août 1943).
53. JDC, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre de Mordecaï Kessler (19 avril 1944).
54. YVA MI, archives du Dr I. Schwarzbart, lettre de J. Marlewski à I. Schwarzbart
(12 juin 1942), voir également lettre de Dawid Mehler au ministère du Travail et du Bien-Être
social (6 janvier 1943).
55. Archives de Yad Vashem, ci-après (ci-après, YVA), archives du Dr I. Schwarzbart,
lettre du ministère du Bien-Être social à Schwarzbart (14 mars 1943).
56. JDC-New York, recueil 1933/1944 fichier #1045, télégramme de Joseph Schwartz,
JDC Lisbonne au JDC New York (3 mars 1944).
57. UKNA, FO 371/42874 WR 142, mémorandum concernant l’émigration éventuelle de
réfugiés chrétiens et juifs de Tanger au Canada (22 juin 1944).
58. Congrès juif canadien, Comité de bienfaisance, Archives nationales, recueil Congrès
juif canadien, séries CA, boîte 27, fichier 244C (titre du fichier : « Tanger »).
59. YIVO. Archives HIAS-HICEM MKM 20.24, fichier 210, lettre d’Abraham Laredo à
la HIAS-HICEM (25 septembre 1944).
60. España (13 septembre 1944).
12. La communauté juive de Nabeul sous
l’occupation allemande
1. Mamou Isaac, « Occupation nazie et libération alliée à Nabeul » (traduction du judéoarabe en français par Robert Attal), Revue des études juives 134, 1-2 (1975), p. 137-144.
2. Touitou David, témoignage oral, Bat-Yam, novembre 2000.
3. Cet homme laissa plus d’une empreinte dans la vie communautaire juive locale : il était
fondateur de l’Association sioniste du cap Bon, il participa au congrès sioniste de Bâle, à titre de
secrétaire du délégué de Tunisie, le rabbin Jacob Boccara. Il était consul d’Italie à Nabeul, il
était membre du Conseil de la communauté [la Coumita] et l’un des notables les plus connus et
influents de la communauté.
4. Archives M.A.E-N. [Archives du ministère des Affaires étrangères à Nantes], TunisieRésident général, 2e versement, article no 2448 [Dossier Communauté israélite de Nabeul].
Tous les courriers cités dans cet article sont issus de ce même dossier des archives du
protectorat français en Tunisie.
5. Le mot Coumita est une malformation du mot « Comité » prononcé à la manière judéoarabe. C’était en fait le comité de la Caisse de secours et de bienfaisance israélite de Nabeul.
Cette Caisse était une association à but non lucratif selon la loi de 1901, qui fut instituée par le
décret no 19 du 18 août 1905.
6. Isidore Sportès était issu d’une famille très connue et honorable de Nabeul. Il tenait un
café au centre de la ville et avait une clientèle de toutes religions qui consommait aussi des
boissons alcoolisées.
7. Roger Mamou, qui était président de la Coumita à la date de ce courrier, en 1954, en
était déjà membre en 1943.
8. Je remercie le Pr Haïm Saadoun qui m’a transmis cette information.
9. Voir détails plus loin.
10. Abramsky-Blaigh I., Pinkas Hakéhillot * Libya-Tunisia [Registre des communautés de
Libye et de Tunisie], Encyclopédie des communautés juives de Libye et de Tunisie, Yad
Vachem, Jérusalem, 1997, p. 499, annexe D : juifs originaires de Tunisie déportés de France aux
camps d’extermination. Le nom se trouve aussi dans les listes publiées par Serge Klarsfeld.
11. Guez Gaston, Nos martyrs sous la botte allemande, ou les ex-travailleurs juifs de
Tunisie racontent leurs souffrances, Tunis, 1946, p. 61.
12. Liliane Hayoun ou Marcelle-Rachel Hayoun ? Nous avons deux versions quant au
prénom de la fille d’Émile Hayoun-Bayon qui fut déportée avec lui de Drancy et qui périt à
Auschwitz. L’une [Marcelle-Rachel] provient du témoignage oral [téléphonique] de son jeune
frère Jacques Bayon et l’autre [Liliane] est celle qui figure dans les listes publiées par Serge
Klarsfeld. Le sujet est en cours de vérification.
13. Bayon Jacques [fils d’Émile et frère de Marcelle], témoignage oral, Paris, 2001.
14. M.A.E. – N., op. cit., Art. 2448. Lettre du 7 mars 1947 du C.C de Nabeul au C.C du
cap Bon.
15. Haddad Daniel [frère de la défunte], Témoignage oral, Netanya, 18.06.1999.
16. M.A.E. – N., op. cit., Art. 2448. Lettre du 7 mars 1947 du C.C de Nabeul au C.C du
cap Bon.
17. Simh’ony Chira [nièce des deux victimes], témoignage publié sur le site internet :
http://www.harissa.com/D_Histoire/shoah_par_shira_simhony.htm. Les noms se trouvent aussi
dans les listes publiées par Serge Klarsfeld.
18. Selon les différents courriers, le nom qui figure est parfois Bijaoui et parfois Jaoui.
Cependant, il est quasiment certain qu’il s’agit là de la même personne, les deux noms étant
proches par leur prononciation et leur orthographe, et fréquents dans la communauté juive de
Tunis.
19. De Khamssa, qui veut dire cinq – contre le mauvais œil.
20. Pour ne pas dire le mot « Boche » et courir le risque de se faire arrêter et punir par les
Allemands pour insulte à la nation allemande, les Juifs utilisèrent dans leur chanson le mot
« babouche », qui veut dire « escargot », pour camoufler leurs véritables intentions.
21. Attal R et Sitbon C, Regards sur les Juifs de Tunisie, Collection « Présences du
judaïsme », Paris, Albin Michel, 1979, p. 190-193 [chapitre 31].
CINQUIÈME PARTIE
IMAGES ET SOUVENIR
13. Images de la guerre 1939-1945 dans
la littérature judéo-maghrébine d’expression
française
1. André Nahum, Tunis-la-Juive raconte (Desclée de Brouwer, 2000), p. 125. Et l’auteur
de donner comme exemple de cet humour le miracle qui se produisit à El-Hamma lorsque les
Allemands occupant la région envoyèrent un char pour détruire le mausolée de rebbi Youssef elMâarabi, lieu de pèlerinage réputé depuis des temps immémoriaux tant pour les Juifs que pour
certains musulmans : « Le tank peint aux couleurs de l’Afrikakorps s’avança, détruisit le mur
d’enceinte et s’arrêta subitement avant d’atteindre le tombeau pour une cause que l’on ne put
jamais déterminer. On envoya un dépanneur qui ne put rien faire, un deuxième et un troisième.
Puis, le sort des armes leur étant défavorable, les Allemands eurent d’autres soucis et
abandonnèrent le char à l’endroit où il s’était immobilisé. Il y resta pendant de longues années,
rouilla lentement puis fut envoyé à la ferraille et le tombeau de Youssef el-Mâarabi demeura
intact… »
2. Curieusement, ce roman paraît, à quelques semaines près, en même temps que celui de
Nine, la sœur de Serge Moati, sur le même sujet et au titre si proche, mais de moindre ampleur
historique : Villa Week-end (Lattès).
3. Robert Attal : Mémoires d’un adolescent à Tunis sous l’occupation nazie (Jérusalem,
1996), p. 5.
4. Sur le héros maghrébin, « typiquement tiers-mondiste [qui] est davantage un patient
qu’un agent », voir Gilles Charpentier : Évolution et structures du roman maghrébin de langue
française. Université de Sherbrooke, faculté des Arts, 1977, p. 244.
5. « Quant à la Shoah, nous étions totalement ignorants de son ampleur dans l’Europe
occupée, et encore bien moins de la révolte du ghetto de Varsovie qui faisait rage à l’heure où
nous étions nous-mêmes libérés de l’oppression nazie. » (R. Attal, op. cit. p. 10.)
6. Sur cette notion, que nous empruntons aux Anglo-Saxons, qui font une place à la
novella entre shorts stories et novels, voir notre ouvrage Littérature judéo-maghrébine de
langue française. Une introduction (Celfan éd. Monographs, Temple University, 1988) et notre
thèse : Entre Djoha et Cagayous : la littérature judéo-maghrébine de langue française (Paris,
L’Harmattan, 1991).
7. Successivement, et selon nos relevés, peut-être incomplets : La Bande noire
(novembre 1943), L’Agréable Méprise (décembre 1943), La Dénonciatrice aux yeux de velours
(4 février 1944), Maternité 194…, Alerte au maquis (10 mars 1944), Marraine de guerre
(24 mars 1944) et Un enfant meurt (22 juillet 1944). Une longue nouvelle, L’Almée aux ailes de
flamme, dans l’édition du 25 février 1944, ne concerne pas la guerre mais est inspirée par la vie
et la mort d’Habiba Messika.
8. « Le tango de la mort », in Le Nebel du Galouth, p. 20. L’achevé d’imprimé (sur les
presses d’Albert Hadida, maître imprimeur à Tunis) étant du 15 juin 1946, on peut imaginer que
ces poèmes ont été composés durant l’année précédente, qui pour beaucoup – Juifs d’Afrique du
Nord y compris – fut celle de la prise de conscience de l’ampleur de l’horreur nazie.
9. « — Qu’ont tenté les Juifs, Père, à Varsovie ?
— Ils ont fait, mon fils, le don de leur vie.
D’audace et de foi, riche est notre histoire.
Ceux-là sont entrés vivants dans la gloire
À l’égal des purs héros de la Bible. » (« Varsovie », in Le Nebel du Galouth, p. 21)
10. « Survivants de tant d’épreuves,
— l’Arche au cœur : protection ! –
nous t’offrons la gerbe neuve
de nos bras libres, Sion !
Vers toi nos vigueurs convergent
et le destin nous conduit,
douce aurore qui émerge
de la plus sanglante nuit.
Quand nous franchirons tes portes,
des alléluias riront
de Safed à la mer Morte,
de Tel-Aviv à Hébron. » (« Jérusalem », in Le Nebel du Galouth, p. 25).
11. J’en ai repéré au moins deux : « Le ghetto à l’école », dans Mirages (Tunis), no 11931 et « Farfara » dans Les Nouvelles juives (Tunis), 10 juillet 1950.
12. Il s’agit là d’un fait historique qui mit en émoi la judaïcité tunisoise : le 20 novembre
1949, un des deux Dakotas transportant ces enfants s’abîme à l’atterrissage. On comptera
34 morts, dont 27 enfants. C’est par dizaines de milliers que les gens se rendirent aux obsèques
à Tunis ; des milliers de musulmans suivirent aux côtés de leurs concitoyens juifs les cercueils,
dans un deuil commun. Jamais le judaïsme tunisien ne s’était trouvé aussi uni dans un si
profond deuil.
13. Colette Touitou-Benitah : « L’étoile et la plume. Le 8 novembre 1942 dans la
littérature judéo-maghrébine » in Littérature et Résistance. Littérature française et Deuxième
Guerre mondiale. Actes du colloque organisé à l’université Bar-Ilan en 1996. Presses de
l’université de Reims-Champagne-Ardennes. 2000, p. 159-174.
14. L’élaboration du souvenir de la Seconde Guerre
mondiale en Afrique du Nord,
Première période – expressions littéraires
et historiographie
1. Archive Beit Lohamei Hagetaot, dossier 13747 « Témoignages d’Itzhak Abrahami, Gad
Shahar et Shoshan Cohen », 15 février 1968.
2. Le groupe nord-africain a été fondé en 1944 par des jeunes immigrants issus du
mouvement Tzéïré-Tzion de Tunisie, dont Itzhak Abrahami et Gad Shahar. Il se considérait
comme un groupe de pression sur les institutions du Yishouv pour les affaires des Juifs
d’Afrique du Nord et comme un élément de liaison entre Eretz Israël et le mouvement en
Tunisie. Le groupe publiait un important journal, intitulé Netivenou, qui était envoyé en Tunisie.
3. Consulter à ce sujet H. Yablonka, Off the Beaten Track. The Mizrahim and the Shoah,
Yedioth Aharonot, Hemed Books et Institut Ben Gourion pour l’étude d’Israël, Tel Aviv, 2008,
p. 57-66.
À
4. À ce titre, l’ouvrage de N. Yerushalmi, La Veuve du bijoutier du bey, Tel-Aviv, 1950,
fait figure d’exception. Le livre traite directement de l’époque de l’occupation allemande en
Tunisie et de la situation des Juifs.
5. Les sources de cette information sont : M. Saraf, Meguilat Hitler en Afrique du Nord,
Lod, 1987 ; M. Saraf, « Meguilat Hitler en Afrique du Nord, autres essais sur la Shoah », in
Mahout, Périodique sur la création juive, 24, été 2002, p. 233-254 (ci-après : « Saraf, Autres
essais ») ; Y. Chitrit, « Poésie individuelle et sociale en judéo-arabe chez les Juifs du Maroc »,
Mikedem Oumiyam, A, Haïfa, 1980, p. 185-230 (ci-après : « Chitrit, La poésie ») ; A. Attal, La
Littérature judéo-arabe en Tunisie, Jérusalem, 2006 ; A. Attal, « Sur l’Allemagne nazie dans la
poésie populaire des Juifs de Tunisie », Peamim, 28 (1985), p. 126-130 ; J. et Ts. Tovi, La
Littérature judéo-arabe en Tunisie, 1860-1950, Tel-Aviv, 2008, p. 176-189.
6. La poésie à thème historique ou sociale n’est pas chose nouvelle. Voir Y. Chitrit, « La
poésie » et Attal, « La littérature », notamment p. 181-227. Dans les pages 17-19, il traite des
élégies sur le sort des Juifs en Allemagne sous Hitler. Cette liste est organisée par ordre
alphabétique.
7. Y. Chitrit mentionne une autre œuvre rédigée par Rabbi Masoud Shabbat. Voir Chitrit,
note 82, p. 211. Saraf mentionne également une autre œuvre. Voir Saraf, Autres essais, p. 239240.
8. Saraf, Meguilat, p. 30. Voir à ce sujet A. Bar-Asher « Pourquoi cette nuit est-elle
différente de la nuit de Trente-Neuf ? Haggada d’Hitler du Maroc », Peamim, 114-115 (hiverété 2007), p. 143, 145-146.
9. Id., p. 15. La date indiquée est le 8 février 1942.
10. Id., p. 31. Pour corroborer cet argument, voir Bar-Asher, p. 149-150.
11. Bar-Asher, p. 143-151.
12. Id., p. 186.
13. Saraf, « Megilat », p. 9. Faire attention à la note de Bar Asher selon laquelle l’auteur a
choisi le mot « Palestine » et non « Eretz Israël », comme il était d’usage dans le langage
poétique.
14. A. Attal, « Sur l’Allemagne ».
15. Saraf, « Megilat », p. 67-73. Le poème comprend dix-neuf couplets de quatre lignes
chacun et un refrain. Le signe […] indique que l’on a sauté des lignes.
16. « Kamous » est le surnom donné aux Alliés et fait allusion à « Hamsa », exprimant la
chance et le miraculeux.
17. Id., p. 77-79. Légèrement modifié. « Rayonnage » signifie apparemment les
couchettes sur lesquelles on dormait. L’école est l’école de l’Alliance, lieu de rassemblement
des candidats au travail obligatoire.
18. Id., p. 81.
19. Id., p. 86, selon l’auteur, la complainte a été écrite par un adolescent de 12 ans. Il n’y a
pas de doute sur l’identité de l’auteur, Alouch Trabelsi, mais les détails et la description du vécu
personnel de l’auteur de la complainte soulèvent une question quant à l’âge indiqué. En effet,
les jeunes de 12 ans n’étaient pas recrutés pour le travail obligatoire. Il semble que l’auteur ait
rencontré le rédacteur de la complainte à Ramlé, mais elle n’a pas laissé d’informations à ce
sujet. L’auteur est consciente du fait que « l’orthographe n’est pas homogène et que le style est
simpliste, et confus de prime abord » (p. 86) mais ne traite pas des problèmes du contenu de
cette complainte par rapport aux deux autres. Par exemple, les deux autres poèmes se terminent
sur l’optimisme de la libération tandis qu’ici la libération apparaît au milieu du poème.
20. Saraf, « Megilat », p. 89, 91.
21. Ibid., p. 93, légères modifications.
22. Ibid., p. 52-99. Pages 96-99, l’auteur mentionne neuf œuvres dans deux manuscrits du
rabbin Sion Dameri qui n’ont pas été publiés. L’auteur cite le nom des œuvres mais pas leur
contenu.
23. V. Hayoun, « Les juifs de Nabeul sous l’occupation allemande, les derniers jours »,
Peamim, 114-115 (hiver-printemps 2008, p. 221-236, ci-après : Hayoun, Nabeul). L’auteur
présente une traduction en hébreu de l’introduction qui contient la description.
24. Id., p. 220.
25. À ce sujet, voir A. Avrahami, « Les communautés juives de Tunisie sous l’occupation
allemande-affaires financières » Peamim, 28 (1985), p. 107-125.
26. Khalfon Moshé Hacohen, pose des questions et y répond.
27. Il ressort du témoignage que les Allemands étaient à Djerba un certain temps avant cet
événement mais rien n’indique que des Juifs aient été touchés. Le témoignage du rabbin va
également dans ce sens (à l’encontre de la description d’Itshak Mamo).
28. Pour d’autres informations sur la collecte d’or à Djerba, voir M. Amar, « La littérature
rabbinique » in H. Saadoun (éd.), Les Communautés juives de l’Orient aux XIXe et XXe sièclesTunisie, Jérusalem, 2005, p. 99-116. C’est lui qui nous apprend que tout l’or n’a pas été réuni.
Après le retrait des Allemands, la collecte a continué. Les Allemands ont reçu 42,5 kg d’or, le
reste a été redistribué aux familles de Djerba.
29. Yossef Haï, Djerba, 1945, feuillets 46-49, voir également H. Avramsky-Blei (éd.),
Pinkas Hakehilot Libye-Tunisie, Jérusalem, 1997, p. 361.
30. R. Borgel, Étoile jaune et croix gammée, Tunis, 1944 (ci-après : Borgel). Il faudra
attendre plus de soixante ans la publication d’une édition scientifique détaillée du journal qui
contient tous les documents (R. Borgel, Étoile jaune et croix gammée, préface annoté par
C. Nataf, Paris, 2007).
31. Borgel, p. 9.
32. Paul Ghez (1898-1971) était l’un des premiers volontaires juifs dans la Première
Guerre mondiale alors qu’il n’avait que 18 ans. Il a combattu en France, a été blessé et fut
décoré pour sa contribution et son héroïsme. Il a fait des études de droit et a rejoint le cabinet de
Me Élie Nataf, qui deviendra le chef de la communauté juive. Nataf et Guez étaient parmi les
dirigeants du groupe « Hatsedek », qui œuvrait afin d’octroyer aux Juifs de Tunisie l’intégralité
de leurs droits. Il fut très actif dans la communauté dans diverses fonctions. Il s’engagea à
l’armée en 1940 et dut la quitter après la promulgation des décrets de Vichy. En 1941, il
rejoignit le Conseil de la communauté. Son livre : Six mois sous la botte, Tunis, 1944.
33. À propos de Charles Sommeil.
34. G. Ghez, Nos martyrs sous la botte allemande, Tunis, 1946.
35. Saraf, Autres essais, p. 244. Saraf a traduit la partie en judéo-arabe en hébreu et nous
nous aidons de sa traduction.
36. Le livre d’André Attal.
37. F. Chiche, Livre d’or et de sang. Les Juifs au combat, citation 1939-1945, de BirHakeim au Rhin et Danube, Tunis, 1946.
38. Yaakov Hadajaj Lilouf a attiré mon attention sur un poème rédigé par Frigia Zouaretz
sur son arrestation à Jado ainsi que sur un poème rédigé par l’enfant Haïm Daouan, âgé de
neuf ans à la libération du camp de Jado, alors qu’il était élève à l’école juive Bengazi.
M. Pedazur Benattia m’a indiqué des poèmes rédigés pendant la guerre par son père, Shalom
Benatia et par Frigia Matok.
39. Je remercie M. Pedazur Benattia pour cette importante précision.
40. A. Memmi, La Statue de sel, Tel Aviv. Voir également : H. Saadoun « Élaboration du
souvenir historique sous l’occupation allemande en Tunisie, une autre lecture de La Statue de
sel d’Albert Memmi », Pour la mémoire, no 25, septembre-octobre 1998, p. 18-23 (ci-après :
Saadoun, Élaboration du souvenir).
41. Saadoun, Élaboration du souvenir, p. 20.
42. Memmi, La Statue de sel, p. 227.
43. Id., p. 194. Les pages 192-194 comportent des exemples de protestation de mères et de
femmes contre la conduite des dirigeants de la communauté.
44. Id., p. 20-271.
45. Les Juifs d’Algérie, du décret Crémieux à la libération, Paris, 1950. Michel Anksy
(1889-1948). Ansky est décédé deux ans avant sa parution mais il semble qu’il ait rédigé l’essai.
Le Centre pour la documentation a publié le livre deux ans après sa disparition. Celui-ci est basé
entre autres sur un voyage qu’il a effectué en Afrique du Nord. Cela signifie que peu après la fin
de la guerre, Ansky avait des idées assez claires sur ce sujet. En 1963, le livre a été traduit en
hébreu par Avraham Elmaliah (M. Ansky, Les Juifs en Algérie, Jérusalem, 5723, ci-après
« Ansky »). La version hébraïque ne comporte pas la traduction des documents importants qui
figuraient à la fin de la version française.
46. Ansky, p. 1.
47. Id., p. 6.
48. Id., p. 338.
49. Il est intéressant de noter que nous n’avons pratiquement aucune information
biographique sur Sabille.
50. Jacques Sabille, Les Juifs de Tunisie sous Vichy et l’Occupation, Paris, 1954.
51. Dans la table des matières, le livre est divisé en deux parties, la période de Vichy étant
la première, celle de l’occupation allemande est subdivisée.
52. Tovi, La Littérature, p. 189.
53. Id., p. 191-193. Seules quelques lignes pertinentes ont été citées mais l’ensemble du
poème va dans ce sens.
54. Le sujet de la place, du statut et du développement du judéo-arabe en Tunisie n’a pas
été étudié dans la recherche générale. Cette affirmation se base essentiellement sur la
comparaison des listes de diffusion de la presse en judéo-arabe pendant l’entre-deux-guerres
puis après la Seconde Guerre mondiale. En outre, l’examen de la littérature judéo-arabe en
Tunisie va également dans ce sens. Voir Attal, Littérature.
55. Sur le cimetière, voir A. Attal « Le vieux cimetière de Tunis », Peamim, 67, printemps
1996, p. 25-39.
56. Le sujet des mémoriaux en Tunisie peut être un objet d’étude intéressant. Un grand
monument a été élevé à la mémoire des soldats italiens morts pendant la Première Guerre
mondiale. Un cimetière en dehors de la ville a été dédié aux soldats britanniques morts pendant
la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à aujourd’hui, il est entretenu par l’ambassade britannique.
57. Sur la presse juive en Afrique du Nord, voir A. Attal, Revues et périodiques en Afrique
du Nord, Tel-Aviv, 1966.
58. Cela est basé sur l’inventaire de la presse juive d’Afrique du Nord qui existe en Israël
et sur celui des articles de cette presse réalisé au Centre de documentation et de recherche sur les
Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale de l’Institut Ben-Zvi. Notre but
n’est pas de réunir toutes les informations qui existent dans cette presse et de réaliser une
comparaison entre les différents pays. Il m’importe simplement de signaler ce phénomène.
59. Une partie de ces articles ont été publiés par M. Laskar, Les Juifs du Maghreb sous
Vichy et la croix gammée, Tel-Aviv, 1992, p. 226-232.
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