Cette publication a reçu le soutien financier de The Conference on Jewish Material Claims Against Germany. Cette publication, et la conférence, qui est à l’origine de celle-ci, ont été permises grâce au généreux soutien du Gertner Center for International Holocaust Conferences, dôté par feu Danek D. et Jadzia B. Gertner, ainsi que par le Gutwirth Family Fund. © Perrin, un département d’Édi8, 2018. Travailleurs juifs balayant un trottoir devant un baraquement de l’armée de l’air, 1942-1943, Tunisie. © Bundesarchiv / Dr. Stocker / Bild 101I-556-0937-28. © Yad Vashem et Izhak Ben-Zvi, 2018. Ouvrage publié dans le cadre d’une coopération entre Yad Vashem et Yad Izhak Ben-Zvi. 12, avenue d’Italie 75013 Paris Tél. : 01 44 16 09 00 Fax : 01 44 16 09 01 EAN : 978-2-262-07626-9 Dépôt légal : avril 2018 « Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. » Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Sommaire Titre Copyright Avant-propos Première partie - LES JUIFS D'AFRIQUE DU NORD ET LA SHOAH 1 - Le sort des Juifs d'Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale fait-il partie de la Shoah ? - par Dan MICHMAN LE TERME DE « SHOAH » : CONCEPT, EMPLOI DANS LE TEMPS ET INTERPRÉTATION L'ORGANISATION PRATIQUE DE « LA SOLUTION FINALE DE LA QUESTION JUIVE » AVAIT-ELLE PRIS EN COMPTE LES JUIFS D'AFRIQUE DU NORD ? ANNEXE Deuxième partie - L'ALLEMAGNE NAZIE ET L'AFRIQUE DU NORD 2 - Les dynamiques de l'antisémitisme au Maghreb à la veille de la Seconde Guerre mondiale par Emmanuel DEBONO DIVERSITÉ DES SOURCES DE L'ANTISÉMITISME LE POTENTIEL EXPLOSIF DES TENSIONS JUDÉO-MUSULMANES L'ENJEU PRIVILÉGIÉ DE L'ANTISÉMITISME MUSULMAN LES CARENCES DES AUTORITÉS FRANÇAISES 3 - L'Afrique du Nord dans la stratégie du Troisième Reich - par Chantal METZGER 4 - La propagande du Troisième Reich en Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale par Martin CUEPPERS 5 - Le ministère des Affaires étrangères allemand et les Juifs d'Algérie de 1933 à 1936 : l'antisémitisme nazi dans le contexte colonial - par Eli BAR-CHEN Troisième partie - LE RAPPORT DES POPULATIONS LOCALES AUX JUIFS 6 - Sympathisants indifférents : nationalistes marocains et Juifs marocains durant la Seconde Guerre mondiale - par Daniel ZISENWINE 7 - L'accomplissement d'un long cheminement antisémite : l'abolition du décret Crémieux et la réaction de la population algérienne - par Filippo PETRUCCI Quatrième partie - LES JUIFS D'AFRIQUE DU NORD DANS LE TUMULTE DES ÉVÉNEMENTS 8 - Les Juifs de Mogador (Essaouira) pendant la Seconde Guerre mondiale : la terreur de Vichy et sa gestion communautaire - par Joseph CHETRIT INTRODUCTION LA RÉACTION CONTRASTÉE DES COMMUNAUTÉS JUIVES DU MAROC À L'HITLÉRISME LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE MOGADOR SOUS LE RÉGIME DE VICHY CONCLUSION ANNEXES 9 - Hélène Cazes-Benatar et ses activités en faveur des réfugiés juifs au Maroc 1940-1943 par Michal BEN YA'AKOV 10 - Espionnage et contre-espionnage ; nazis et réfugiés : Tanger durant la Seconde Guerre mondiale - par Mitchell SERELS ANNEXE - Listes générales des espions suspectés 11 - Un havre maghrébin : réfugiés juifs à Tanger durant la Seconde Guerre mondiale par Isabelle ROHR 12 - La communauté juive de Nabeul sous l'occupation allemande - par Victor HAYOUN ANNEXE 1 - Le témoignage d'Isaac Mamou traduit du judéo-arabe en français ANNEXE 2 - Lettre du 11 mars 1954 à M. Aleman, ex-chef du poste de police de Nabeul en 1943 Cinquième partie - IMAGES ET SOUVENIR 13 - Images de la guerre 1939-1945 dans la littérature judéo-maghrébine d'expression française par Guy DUGAS L'AFRIQUE DU NORD DURANT LA GUERRE SUR LA GUERRE EN EUROPE AU-DELÀ DU DRAME : L'HUMOUR JUIF 14 - L'élaboration du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord. Première période – expressions littéraires et historiographie - par Haïm SAADOUN Notes Avant-propos On est généralement surpris d’entendre parler de Shoah au sujet des Juifs d’Afrique du Nord. En effet, les nazis ont occupé seulement une partie de cette région, le reste étant aux mains des Alliés. Pour les Juifs, la guerre fut courte, l’extermination non systématique. Ils ont sans doute bien moins souffert que les Juifs d’Europe. Cependant, ils ont aussi connu des persécutions et leurs proches vivaient en France et en Italie. Désireux de mieux faire connaître l’histoire des Juifs en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, nous proposons ce recueil d’articles intitulé « Les Juifs d’Afrique du Nord face à l’Allemagne nazie ». Il semble bien qu’une telle étude apparaisse comme fondamentale. Il existe en France un large public qui désire en savoir plus. En témoigne le succès rencontré par le film d’Ismaël Ferroukhi, Les Hommes libres, sorti en 2011, dont le scénario a été repris dans de multiples programmes éducatifs. Le réalisateur a essayé d’y retracer l’attitude des musulmans face à la Shoah en général et dans les pays d’Afrique du Nord en particulier. Le message du film est clair : les musulmans ont été sensibles au sort des Juifs. Un bel enseignement pour les efforts contemporains de réconciliation judéo-arabe. Le film de Ferroukhi présente des qualités cinématographiques indéniables. Malheureusement, il ne repose sur aucune source historique fiable. L’ouvrage que nous présentons ici propose l’état actuel des recherches sur le sujet. En effet, les travaux sur les Juifs d’Afrique du Nord se sont beaucoup développés ces trente dernières années. Parallèlement, les études sur la Shoah ont connu un essor remarquable pendant les deux dernières décennies. Les sources se sont multipliées surtout depuis la chute du bloc communiste. Les méthodologies se sont diversifiées. On peut donc aujourd’hui envisager de traiter la question de la Shoah dans les communautés juives d’Afrique du Nord. Ce travail novateur qui s’appuie sur des sources non exploitées jusqu’à présent vient enrichir et compléter les travaux pionniers publiés par Michel Abitbol depuis 1983. Dans le présent recueil, quatorze articles ont été écrits par des chercheurs de différents pays. L’introduction tente de définir les termes du débat. Y a-t-il eu une « Shoah » des Juifs d’Afrique du Nord ? En s’appuyant sur de nouveaux documents, l’auteur démonte l’argumentation selon laquelle un programme d’extermination systématique des Juifs d’Afrique du Nord aurait été décidé à la conférence dite de « Wannsee » en janvier 1942. Néanmoins, il faut aussi inclure dans la dénomination « Shoah » les conditions faites aux Juifs en Afrique du Nord pendant la guerre. Dans la première partie sont étudiées l’idéologie nazie en Afrique du Nord et l’étendue de l’antisémitisme avant et pendant la guerre. Dans la deuxième partie est analysé le comportement des populations locales vis-àvis des Juifs. La troisième partie est consacrée aux événements des années 1940-1944, comme la pression exercée par le gouvernement de Vichy, les opérations de secours orchestrées par Hélène Cazes-Benatar au Maroc, le sort de la communauté juive de Nabeul en Tunisie, ou encore le cas de Tanger où se sont réfugiés des Juifs européens et où existait un réseau d’espionnage et de contre-espionnage. Enfin, dans une dernière partie est retracé le travail de mémoire dans la littérature judéo-maghrébine d’expression française et dans l’historiographie après 1944. Certes, ce livre ne répond pas à toutes les questions. Aussi, nous espérons qu’il incitera d’autres chercheurs spécialistes de la Shoah, de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste ou de la France de Vichy à étudier les Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous espérons aussi que les chercheurs spécialistes des Juifs d’Afrique du Nord trouveront de l’intérêt à ce livre qui dévoile des sources non exploitées et qu’ils continueront le travail entrepris. Dan MICHMAN, Yad Vashem et Université Bar-Ilan Haïm SAADOUN, Université ouverte et Institut YadBen-Tzvi Première partie LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD ET LA SHOAH HISTOIRE, HISTORIOGRAPHIE ET DÉBAT PUBLIC 1 Le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale fait-il partie de la Shoah ? par Dan MICHMAN Dans cet article, nous allons nous pencher sur la question de savoir dans quelle mesure il faut considérer le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale comme partie intégrante de l’événement historique appelé Shoah. Cette question doit être examinée car elle a surgi dans le cadre d’un débat public sur l’inclusion et l’exclusion de diverses communautés dans la mémoire de la Shoah, notamment en Israël1, mais pas seulement. Récemment, elle a fait l’objet de vives controverses dans des blogs sur Internet2. Elle comporte deux aspects : l’un, conceptuel, porte sur la sémantique du concept de « Shoah » et son utilisation, ses conséquences pour l’historiographie et le débat public, notamment dans le monde juif ; l’autre, historico-factuel, a trait à l’inclusion des Juifs d’Afrique du Nord dans les plans nazis de la « Solution finale de la question juive » telle qu’elle ressort des (très nombreux) documents découverts jusqu’à aujourd’hui. Cet article traitera de ces deux volets. LE TERME DE « SHOAH » : CONCEPT, EMPLOI DANS LE TEMPS ET INTERPRÉTATION Le fait même d’utiliser un terme spécifique pour parler du sort des Juifs sous le régime nazi, le distinguant ainsi, d’une part, de l’ensemble des persécutions et crimes nazis et, d’autre part, des autres persécutions antijuives à travers l’histoire, mérite notre attention. En effet, accorder un nom distinct à un événement historique le différencie et indique qu’il faut le considérer de façon spécifique et distincte, tant dans la mémoire que dans l’historiographie. Le sentiment populaire parmi les Juifs, sous le Troisième Reich, mais plus encore immédiatement après sa chute en 1945, était qu’il s’agissait là d’un événement tout à fait particulier. Cela entraîna de fait, sans qu’il y ait eu de décision officielle « parachutée d’en haut » l’émergence d’un certain nombre de concepts : « (la) Shoah » [= catastrophe, en hébreu], hourban/hourbn [= destruction, respectivement en hébreu et en yiddish], « cataclysme », « catastrophe » [en URSS], ou « catastrophe juive », « génocide » puis peu après « holocauste » et « judéocide ». L’existence même de ces divers termes témoigne de l’absence de consensus et de l’existence de diverses mutations de ces termes en concurrence. Tous ne s’accordent pas non plus sur la teneur de cet événement historique. Termes indiquant l’événement : propagation et mutations Le mot « Shoah » en hébreu vient de la Bible, il signifie un grand désastre, le plus souvent inattendu (« Et que ferez-vous au jour de la revendication, du désastre qui s’avance de loin ? », Isaïe X, 3). C’est donc ainsi qu’il fut utilisé dans l’hébreu renaissant du Yichouv de Palestine sous le mandat britannique. Par la suite, nous le trouvons dans la presse et les rapports institutionnels pour décrire le sort des Juifs en Allemagne après l’avènement du régime nazi (30 janvier 1933). Plus les informations concernant les persécutions se faisaient nombreuses et plus ces mêmes informations témoignaient de l’horreur, plus la charge sémantique de ce terme s’intensifia pour devenir la Shoah, avec un grand S, et ce, essentiellement après la Seconde Guerre mondiale3. En Eretz Israël, ce ne fut pas le seul terme utilisé pour décrire les événements de l’époque. Le terme de « destruction » (hourban) possède une signification symbolique dans la conscience juive : celui de la destruction des Premier et Second Temples, événements symbolisant l’effondrement des valeurs, la perte de l’autonomie nationale, l’exil et un très grand nombre de victimes. Ce terme apparaît dans des rapports et des descriptions des horreurs des persécutions en Europe pendant la Shoah comme dans les articles du journaliste ultra-orthodoxe Moshé Prager4, ou dans les propos de l’historien juif influent de la Palestine de l’époque, le professeur Ben-Tsion Dinour (Dinabourg)5. Avec le temps, cette appellation fut reléguée au second plan par le terme Shoah. En Europe cependant, le terme hourban (prononciation yiddish : Churbn) fut utilisé par les premiers survivants parlant le yiddish, pas uniquement par les religieux. Le premier périodique sur la Shoah, publié par des Juifs dans des camps de personnes déplacées en Allemagne, s’intitule Fun letzten Churbn6 (« À propos de la dernière destruction »). Le monde ultra-orthodoxe de l’après-guerre qui emprunta une grande partie de ses concepts au monde yiddish (notamment en vue de souligner la continuité avec la période d’avant la guerre) utilise de préférence ce terme7 (même si le mot « Shoah » s’impose peu à peu). Immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, certains utilisaient le terme « cataclysme » mais ce terme ne prit pas8. Durant les années 1950, apparut en anglais le terme « holocaust », venant du grec holokaustos, signifiant « sacrifice entièrement consumé par le feu » (dans la traduction des Septantes [Septuaginta], il est utilisé pour qualifier une offrande). Dans les années 1970 et 1980, en raison de l’influence anglaise, ce terme s’imposa aussi dans d’autres langues, notamment après la télédiffusion de la série du même nom en 19789 (série basée sur l’ouvrage de Gérald Green). Après le film médiatisé du cinéaste Claude Lanzmann, Shoah10 (1985), ce terme hébraïque s’imposa dans le monde, notamment dans les cultures française et allemande (orthographes respectives Shoah et Schoa) mais au-delà également. En Russie, les Juifs ont longtemps utilisé le terme « catastrophe », dont la signification est parallèle à celle de « Shoah » (mais dont l’apparition n’est aucunement liée au terme « Shoah »). Cependant, ces dernières années, le mot « holocauste » apparaît dans des institutions, conférences et livres, ainsi que parfois le terme de « Shoah »11. « Holokauszt » est également le terme utilisé aujourd’hui en Hongrie où, pendant des dizaines d’années, on ne parlait pratiquement pas en public du sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. En polonais, c’est le terme « Zagłada Żydów » (catastrophe juive) qui tend à s’imposer12, bien que, sous l’influence du monde anglophone, on trouve également le terme « holocauste ». La multiplicité des termes, l’évolution et diffusion de certains d’entre eux au cours des ans, voire la concurrence qui existe entre eux, n’est pas le fait du hasard mais bien celui de divers processus dans la formation et la structuration de la mémoire de la Shoah, et ce, sous l’influence de divers éléments de la culture populaire et de l’évolution de l’interprétation et de la compréhension des événements. À noter qu’aucun des termes mentionnés ne s’est imposé du fait d’un historien pour les besoins de la recherche. Les divers termes sont tous nés, dans les différents lieux, du discours populaire. En outre, ces termes nous indiquent qu’il est impossible d’apprendre quelque chose sur le caractère et la teneur de l’événement historique qu’ils décrivent. Le locuteur, en les utilisant, sous-entend que l’auditeur sait déjà ce dont il s’agit. Leur signification première (catastrophe, victime/sacrifice – en hébreu, c’est le même terme) nous permettrait de les utiliser sans aucun problème pour qualifier d’autres événements, catastrophes ou destructions. Ce fait amena l’historien judéo-américain Arno Meyer, en 1988, à créer un nouveau terme, qui à son sens représente correctement la nature des événements : « judéocide », ou meurtre des Juifs13. Pour lui, ce vocable représente ce qui est arrivé aux Juifs, un événement historique faisant partie d’un phénomène plus vaste, celui du génocide. Le mot de « génocide » a été inventé en 1943 par le juriste judéo-polonais Raphaël Lemkin, arrivé en 1941 aux États-Unis. Cette idée d’un terme pour qualifier l’extermination d’un peuple a germé chez Lemkin dès 1933 à partir du génocide arménien de 1915 perpétré par les Turcs. Cependant, c’est son expérience personnelle et les informations qui lui sont parvenues au sujet du sort des Juifs d’Europe qui ont accéléré la cristallisation de sa pensée14. Il semble cependant que le terme de « judéocide » ne s’imposa pas dans le discours de la recherche (à ce sujet, certaines exceptions sont surprenantes : en Belgique, la plupart des chercheurs étudiant la Shoah utilisent ce terme, ce qui n’est pas le cas de la population juive de ce pays), encore moins dans le discours populaire. À cela plusieurs raisons : nombreux sont ceux qui considèrent la Shoah comme étant un événement qui va au-delà du « simple » assassinat des Juifs et la considèrent comme une lutte plus vaste, contre le judaïsme dans son ensemble, y compris contre la culture juive. D’autres sont d’avis que ce terme doit inclure d’autres groupes de populations persécutées par les nazis, tels que Tsiganes, invalides, handicapés mentaux, homosexuels et autres15 (approche qui n’est généralement pas acceptée dans le discours hébraïque et le monde juif). Il semble de toute façon que les termes les plus vagues d’un point de vue sémantique sont ceux dont l’utilisation est la plus commode. En effet, il n’y a pas d’obligation de définition univoque de la signification de l’événement. Et ce n’est qu’ainsi qu’il est possible d’avoir un dialogue vaste dans lequel les avis des participants diffèrent sur plusieurs points mais concordent sur les événements et leurs sous-définitions. Controverses concernant le périmètre de l’événement et sa signification Au-delà du problème du choix du nom, il existe entre les historiens et les commentateurs des controverses concernant l’essence même de cet événement, et donc également son périmètre chronologique. Pour certains, l’époque de la Shoah est identique à celle du régime nazi (1933-1945) et comprend toutes les persécutions antijuives (ainsi, récemment Saul Friedländer), ou du moins les persécutions organisées réalisées par le système bureaucratique de l’Allemagne nazie (idée présentée par Raoul Hilberg). D’autres calquent les limites de la Shoah sur les années de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Pour eux, à la base de cette définition, on trouve, non seulement la guerre mondiale et son contexte nécessaire à la dégradation de la situation des Juifs, mais aussi le début de l’occupation germano-nazie du territoire de la plus grande communauté juive de cette époque, la communauté polonaise. Ces deux modèles sont les plus connus mais parmi les historiens, d’autres adoptent diverses dates au sein de la période nazie (1935-1945, 1938-1945, 1941-1945, voire même 1942-1945), certains encore font commencer la période de la Shoah à des dates antérieures à 1933 (1919, 1870 et même 1789 !) et la terminent après 1945 (1948 par exemple). Le positionnement de ces bornes dépend de la compréhension des événements : ne s’agit-il « que » de l’assassinat systématique et global des Juifs (qui débuta en 1941-1942) ou aussi des persécutions qui le précédèrent – atteinte portée à l’existence économique et culturelle des Juifs ; l’assassinat des Juifs a-t-il pour essence des motifs antisémites ou racistes (l’antisémitisme faisant partie du racisme), modernes ou traditionnels ? etc. Au niveau géographique également16, la question de l’essence de la Shoah a son importance : la délimitation qui en fait un événement systématique allemand prive la Shoah des persécutions des communautés juives situées hors des limites de la « Solution finale » qui se sont déroulées chronologiquement à la même période (comme le sort des Juifs de Roumanie, par exemple). Gardant ces deux aspects à l’esprit – le terme qualifiant l’événement et ce qu’il qualifie –, notons que les Juifs ne demandèrent pas un terme spécifique dans tous les pays. En URSS, par exemple, la « catastrophe » était partie intégrante de l’histoire de la « grande guerre patriotique » (19411945). Aux Pays-Bas, on parlera jusqu’aux années 1990 (et aujourd’hui en partie aussi) du sort des Juifs dans la guerre (« de oorlog »). En effet, pour les Hollandais, la seule guerre est celle de l’occupation allemande car ce pays était resté en dehors de la guerre durant la Première Guerre mondiale, et n’a pas connu de guerre sur son territoire depuis le XVIe siècle. Il avait, il est vrai, connu quelques batailles au sujet de ses colonies (et dans les années 1830 une guerre pratiquement sans combats pour la continuité de son hégémonie en Belgique, pays qui venait de lui être accordé peu avant). En France et en Belgique (de langue française et de langue néerlandaise), pays ayant tous deux participé à la Première Guerre mondiale, on vit s’installer après la guerre aussi les termes de « Seconde Guerre mondiale ». Les Juifs utilisaient donc le même terme que les non-Juifs pour parler de cette époque, celle de l’occupation allemande. Les termes « Holocauste » et « Shoah » ne firent leur apparition que dans les années 1980 pour s’imposer en 1990. Appliquer le terme de « Shoah » à l’Afrique du Nord : dans la perception de soi et dans la recherche Il n’est donc pas étonnant que tant les mémoires des Juifs d’Afrique du Nord que la recherche, écrite en grande partie en français (et un peu en italien), aient utilisé les termes en usage dans cette langue, soit « Seconde Guerre mondiale », ou encore des termes qui y faisaient allusion, comme la « botte » symbolisant l’Occupation17, ou plus spécifiques tels que « croix gammée » pour parler de l’Allemagne nazie18 ou de « l’Occupation »19. Ajoutons à cela le fait que de nombreux écrivains originaires de ces mêmes pays reconnaissaient que le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, bien que sous le régime allemand, différait de celui des Juifs d’Europe. De leur point de vue, le sort des Juifs d’Afrique du Nord entrait dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale et se basait sur des limites assez précises de l’époque : pour cette partie du monde, dans le vécu de la Seconde Guerre mondiale dans son ensemble, le sort des Juifs était différent, spécifique, voire pire que celui des autres populations (les Européens et les musulmans). Ainsi, les lois antijuives de Vichy, le comportement de l’Italie fasciste envers les Juifs (qui alla d’un comportement idéologique à un comportement intéressé) et les actions antijuives allemandes. De ce point de vue, le paramètre déterminant le rapport des Juifs d’Afrique du Nord (auxquels parvenaient certaines informations sur les événements en Europe par les moyens de communication et par la famille qui vivait en Europe avant la guerre et qui partageait les souffrances des Juifs européens) était seul et unique : la Seconde Guerre mondiale. Cette perception s’exprime également dans l’historiographie universitaire. Le meilleur exemple en est le très complet ouvrage qui fait autorité en la matière sur l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord, L’Histoire des Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, de Michel Abitbol. Abitbol est un chercheur israélien connaissant parfaitement le terme « Shoah » employé en Israël. Il a cependant préféré ne pas l’utiliser, ni pour le titre de son ouvrage ni dans le texte même, ni dans l’édition française publiée en 1983 (avant la sortie du film de Claude Lanzmann, Shoah, en 1985, date après laquelle il est devenu le vocable principalement utilisé en français), ni dans l’édition hébraïque élargie, publiée en 1986. En français, il utilisera « sous Vichy », bien que le chapitre VII traite du régime allemand et en hébreu, les termes « Seconde Guerre mondiale ». Dans la nouvelle édition française de 2008, Abitbol reprend l’intitulé L’Histoire des Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy20. Il va même jusqu’à préciser, en parlant du sort des Juifs tunisiens sous l’occupation allemande : « À l’évidence, le sort des Juifs tunisiens n’allait ressembler en rien ou presque aux traitements odieux dont furent victimes les Juifs d’Europe à l’heure de la Solution finale21. » Mais avec le développement et l’amplification des travaux sur la Shoah dans le monde occidental et sa transformation en un sujet culturel de premier ordre, notamment depuis les années 1980, avec la recrudescence d’utilisation du terme « Shoah », notamment dans le monde francophone, certains ont commencé à demander l’inclusion des Juifs d’Afrique du Nord française – tous les Juifs d’Afrique du Nord, sans distinction entre les différents pays – dans la Shoah. À noter que du point de vue public, dans le monde juif, notamment en Israël, l’inclusion d’une communauté dans le plus grand événement de l’histoire juive de ces dernières générations possède une profonde importance cognitive. De plus, la définition de « survivant » a également son importance. En effet, elle détermine le droit aux indemnisations et à la retraite. Il y a donc ici un aspect pratique, bien qu’à mon sens il ne soit pas essentiel dans l’implantation du terme « Shoah ». Cet argument est-il véritablement fondé ? La réponse à cette question nous ramène au débat précédent : la définition de l’essence même de la Shoah. Ce terme est-il plus ou moins synonyme des termes nazis « Solution finale de la question juive » ou englobe-t-il toutes les persécutions des Juifs par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs antisémites, notamment l’Italie fasciste (avant l’occupation de l’Italie par les Allemands en 1943) et le régime de Vichy ? À noter ici que le mot « Shoah » est utilisé différemment en Israël et dans le reste du monde. En Israël, selon les « directives » adoptées par Yad Vashem, la Shoah commence par l’avènement du nazisme en 1933, bien avant que ne naisse l’idée de l’extermination. Ainsi, la politique antijuive des années 1930 est considérée comme faisant partie intégrante de la Shoah. Cependant, on constate à Yad Vashem au fil des ans un questionnement concernant l’Afrique du Nord : d’une part, Yad Vashem a publié l’ouvrage le plus complet à ce jour sur la Tunisie et la Libye à l’époque de la Seconde Guerre mondiale dans le cadre de la grande entreprise de commémoration des communautés juives disparues, le Pinkas Hakehillot (Encyclopédie des communautés), premier projet de recherche de Yad Vashem initié dans les années 195022 ; d’autre part, le sort des communautés juives d’Algérie et du Maroc fut quelque peu laissé pour compte. En raison de l’ingérence allemande en Tunisie et en Libye, les communautés juives de ces pays étaient considérées comme victimes de la Shoah. Le discours public sur la Shoah va dans le même sens23. À l’extérieur d’Israël, la Shoah était un événement plus limité et les Juifs d’Afrique du Nord n’étaient pas considérés comme l’ayant subie. Cependant, en France, notamment dans le cadre des activités du Mémorial de la Shoah à Paris, nous pouvons voir au cours des deux dernières décennies une tendance croissante visant à inclure les Juifs d’Afrique du Nord, notamment de Tunisie. La France tend donc à impliquer le vécu des Juifs d’Afrique du Nord dans le terme « Shoah »24. Une première conclusion sera qu’en général, la question de l’inclusion dans le concept de « Shoah » dépend de la définition de sa nature et que ces définitions sont nombreuses. Cela influe également non seulement sur l’inclusion des communautés d’Afrique du Nord mais aussi sur celle des Juifs allemands des années 193025. L’ORGANISATION PRATIQUE DE « LA SOLUTION FINALE DE LA QUESTION JUIVE » AVAIT-ELLE PRIS EN COMPTE LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD ? Une autre question, non conceptuelle, mais relevant de l’analyse de documents dont nous disposons, consiste à comprendre dans quelle mesure les Juifs d’Afrique du Nord furent inclus dans les plans pratiques de la « Solution finale de la question juive », c’est-à-dire de la politique d’extermination qui se développa à partir de 1941. Qu’en dit l’historiographie jusqu’à présent ? Historiographie de la « Solution finale » Précisons tout d’abord que l’étude des principes, du développement et de la mise en forme de l’opération d’extermination des Juifs, qui a fait l’objet de recherches considérables pendant les dernières décennies, a abouti au cours des vingt dernières années à un consensus concernant certaines questions de principe, malgré les divergences d’opinions sur de nombreux détails. L’opération d’extermination ne s’est pas développée suivant un plan ordonné, mais dans le cadre d’un processus progressif, gagnant régulièrement en ampleur26. En premier lieu il y eut les préparatifs, depuis l’été 1940, en vue de l’invasion de l’Union soviétique, tandis que peu à peu prenait forme la position, fondée sur différents éléments de l’idéologie hitlérienne datant de la fin de la Première Guerre mondiale, selon laquelle cette guerre (l’opération Barbarossa) ne consistait pas en un combat pour des terrains ou une influence mais prenait des dimensions idéologiques : l’Union soviétique figurait le symbole du bastion « judéobolchevique ». C’est la raison de la nouvelle création des « groupes d’intervention » spéciaux – Einsatzgruppen – au sein du Sicherheitsdienst, le Service de sécurité de la S.S. La procédure d’élimination massive de « rivaux politiques » ou jugés tels, se dessine dès les premières semaines de l’opération Barbarossa. Cette procédure incluait également des Juifs, principalement les hommes. À la mi-juillet 1941, tandis que se succédaient les victoires militaires allemandes, il semble que Hitler aurait donné instruction à ses proches, Himmler en tête, d’amplifier le conflit avec les « Juifs » et d’examiner la possibilité d’une action globale contre eux. Cette instruction aboutit à un document daté du 31 juillet 1941, dans lequel Goering nomme officiellement Heydrich pour étudier la possibilité de la mise en application d’une « solution d’ensemble » (Gesamtlösung) de la question des Juifs en Europe (le document a de fait été rédigé par Heydrich et présenté à Goering pour signature)27. Les rapports établis par les Einsatzgruppen ainsi que d’autres sources laissent apparaître à partir de la mi-août 1941 une évolution dans l’ampleur des assassinats et leur systématisation : désormais, hommes, femmes et enfants sont exterminés en masse, certaines régions sont entièrement épurées, les chiffres d’assassinats de Juifs évoqués dans les comptes rendus des Einsatzgruppen grimpent aussi. Un des records de ces opérations meurtrières est le massacre de Babi Yar, près de Kiev (29 et 30 septembre 1941), où 33 771 Juifs ont trouvé la mort. Les premiers plans pour la création du camp d’extermination de Chelmno apparaissent déjà au cours de ce même mois, de même que la programmation de la déportation des Juifs d’Allemagne, ainsi qu’une aggravation des mesures prises contre eux. Pendant ce temps, les assassinats dans les régions conquises de l’Union soviétique vont en empirant. Le 29 novembre, Hitler rencontre le mufti de Jérusalem, Hadj Amin El-Husseini, et lui laisse entendre que si les forces allemandes arrivent à se frayer une voie dans le Caucase, les opérations contre les Juifs s’appliqueront à ces régions également. Lors d’une rencontre de Hitler avec les leaders du Parti (Reich- und Gauleiter) le 12 décembre, il avait déjà déclaré devant un public assez important – d’après le témoignage écrit par Goebbels le lendemain dans son journal – « qu’en ce qui concerne la question juive » (Bezüglich der Judenfrage) il s’apprête à « débarrasser le terrain » (reinen Tisch zu machen)28. L’idée de l’amplification de l’extermination des Juifs et son application aux autres parties de l’Europe, en commençant par la Pologne et l’Europe occidentale pour gagner par la suite les autres régions, prend forme pendant les six premiers mois de l’année 1942. La « conférence de Wannsee » et sa signification La réunion de travail (Besprechung) du 20 janvier 1942 réunissant un groupe de hauts fonctionnaires délégués des divers ministères du Troisième Reich dans une villa au bord du lac de Wannsee, à l’entrée de Berlin, pour traiter de la « Solution finale de la question des Juifs en Europe » s’inscrivait dans le contexte de la succession de ces événements29. Cette réunion – prévue a priori pour le 9 décembre 1941 mais reportée suite à l’offensive japonaise à Pearl Harbor – fut nommée après la Shoah « conférence30 », ce qui lui conféra par la suite une image dépassant sa réelle importance. Le rapport relatant cette réunion, rédigé par Adolf Eichmann, fut intitulé « Protocole de la conférence de Wannsee », bien qu’il ne soit pas le protocole fidèle du déroulement de la rencontre31 ; lors de son procès à Jérusalem, Eichmann rapporta les faits de la rencontre, et relata des propos différents de ceux figurant dans le « Protocole ». Pendant les premières décennies de la recherche sur la Shoah, le document tenait lieu de preuve d’une programmation organisée de la Solution finale, et l’erreur – courante dans les milieux non scientifiques – affirmant que la décision de la Solution finale avait été prise lors de cette conférence persista sans raison. Au cours des vingt dernières années, particulièrement lorsque les recherches dans l’ex-Europe de l’Est communiste devinrent possibles, mais aussi suite aux nouvelles orientations de la recherche, la conception scientifique quant à l’évolution de la politique antijuive nazie d’une manière générale et de la formation de la « Solution finale » en particulier – comme nous l’avons décrit plus haut – changea. C’est ainsi que la réunion de Wannsee fut réévaluée et que son rôle exact dans l’évolution des événements donna lieu à des divergences entre les chercheurs. Il est aujourd’hui clair que la Solution finale ne fut pas gérée comme un processus organisé de décisions dirigé par Hitler, bien qu’il soit complètement évident que Hitler donna ordre d’entamer l’extermination des Juifs – comme le précise Heydrich dans la réunion de Wannsee : « Après accord préalable du Führer » (nach entsprechender vorheriger Genehmigung durch den Führer). Le fait que le protocole, document interne et non public, ne comprenne pas le terme « extermination » ni même les mots « tir » ou « exécution » (contrairement aux rapports des commandants des Einsatzgruppen dans leurs campagnes en Union soviétique) d’une part ni encore des expressions utilisées par Hitler en d’autres occasions, éveille questionnements et débats32. Mais les chercheurs s’entendent sur le fait qu’en réunissant cette assemblée, constituée de représentants des ministères et autres autorités concernées par la « Solution finale » en cours d’élaboration, Heydrich cherchait à établir son autorité suprême dans la réalisation de l’opération, la nécessité de coordonner les activités des participants, comme il apparaît dans ses propos au début de la réunion. Tableaux des Juifs inclus dans la « Solution finale » selon leurs pays d’origine dans le protocole de la conférence et problème des Juifs dans « la France libre » : les Juifs d’Afrique du Nord en faisaient-ils partie ? L’un des extraits les plus connus de ce document, qui est le plus important pour la question qui nous préoccupe concernant les Juifs d’Afrique du Nord, est le tableau indiquant le nombre de Juifs dans les divers pays, les Juifs destinés à être inclus dans la « Solution finale de la question juive en Europe ». Ce tableau est composé de deux sections, la section A, celle des pays directement sous occupation allemande et la section B, celle des pays alliés de l’Allemagne ou satellites ainsi que des pays non encore conquis (comme le Royaume-Uni, le Portugal, la Suède et la Suisse). Pour la France, les deux zones – la zone occupée avec 165 000 Juifs et la zone non occupée (Vichy) avec 700 000 Juifs33 – font partie de la section A. Le chiffre de 700 000 est bien trop élevé pour la zone non occupée. Il étonne et certains chercheurs l’ont expliqué en disant qu’il tient également compte des Juifs de l’Afrique du Nord française. L’historien allemand Peter Longerich affirme que « le chiffre de 700 000 Juifs en France non occupée comptait les colonies d’Afrique du Nord » (« in der Zahl von 700 000 Juden aus dem unbesetzten Frankreich waren die Juden in der nordafrikanischen Kolonien eingeschlossen »)34. Mais aucune explication ni aucun calcul ne font suite à cette affirmation. En outre, plus avant dans son ouvrage qui compte 772 pages, il ne mentionne les Juifs d’Afrique du Nord que dans deux paragraphes et indique quelques données ; il ne mentionne ni Wannsee ni la question de leur inclusion dans la « Solution finale »35. Pour lui donc, les Juifs de ces pays ne faisaient pas vraiment partie du plan. Saul Friedländer écrit également, avec moins d’assertivité il est vrai, dans le deuxième volume de son ouvrage qui traite des années 1939-1945 que « s’agissant de la France, Heydrich, dans sa liste initiale, avait fait état de 700 000 Juifs dans la zone de Vichy, incluant probablement de la sorte les Juifs d’Afrique du Nord [française]36 » [les italiques sont de moi]. Mais dans son livre, il ne parle pas de la Tunisie ni de l’Algérie, et les Juifs du Maroc ne sont mentionnés qu’une fois, dans une citation de Heydrich datant d’octobre 1941 où il est dit que « ces Juifs [les Juifs de nationalité espagnole arrêtés au cours des mois précédents à Paris que l’Espagne a proposé de transférer au Maroc] seraient trop loins pour relever directement des mesures en vue d’une solution fondamentale de la question juive prévue après la guerre ». La Solution finale (à appliquer après la guerre !) a donc été définie comme européenne uniquement37. Ceux qui expliquent le chiffre global par l’inclusion des Juifs de l’Afrique du Nord française (ceux que nous avons mentionnés ne sont pas les seuls mais Michel Abitbol n’en fait pas partie) n’apportent aucune preuve datant de la période précédant Wannsee38. Face à eux, un autre groupe de chercheurs. Le célèbre Raul Hilberg, dans la première édition de son ouvrage L’Extermination des Juifs d’Europe (notons qu’ici « Europe » fait partie du titre !), en traitant de la présence allemande en Tunisie en 1942-1943, indique que « la Tunisie, c’était l’Afrique et la “Solution finale” par définition n’était applicable qu’au continent européen39 » (« Tunisia was Africa, and the “final Solution” by its very definition was applicable only to the European continent »). Dans ses propos sur la réunion de Wannsee, il n’en parle pas du tout40. Leni Yahil, elle non plus, ne mentionne pas les Juifs d’Afrique du Nord lorsqu’elle traite de la réunion de Wannsee. Elle dit du « nombre de Juifs qui vivaient en Europe » et qui apparaissent dans le tableau mentionné ci-dessus qu’il est « problématique » (« dubiose Zahlen über die in Europa lebenden Juden »)41. Dans son livre, elle ne mentionne que secondairement les Juifs d’Afrique du Nord42. Même de grands chercheurs français sur la Shoah n’acceptent pas l’inclusion des Juifs d’Afrique du Nord dans le compte avancé pour Vichy. Michael Marrus et Robert Paxton, dans leur livre révolutionnaire sur Vichy et les Juifs, en traitant du procès-verbal de Wannsee, reconnaissent que le chiffre de « 700 000 [pour la zone non occupée, est un] chiffre manifestement absurde43 ». Asher Cohen dans son très complet ouvrage sur la Shoah en France et Daniel Carpi dans son étude sur les autorités italiennes et les Juifs de France et de Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale ont consacré chacun une grande partie de leur ouvrage à la question du nombre des Juifs. Selon eux, le nombre indiqué dans le procès-verbal est apparemment dû – le mot « apparemment » étant frappant chez Carpi – aux estimations très exagérées concernant le nombre des Juifs dans la France de Vichy dans les premiers mois de 1941 par les experts du Commissariat général aux questions juives et selon lequel Theodor Dannecker, représentant d’Eichmann en France, mentionne dans son rapport du 1er juillet 1941 que « l’estimation oscille entre 400 000 et 800 000 Juifs44 ». On trouve une discussion plus détaillée sur les statistiques de Dannecker dans l’ouvrage d’Ahlrich Meyer sur la Solution finale en France. Il arrive lui aussi à la conclusion que le chiffre de 700 000 se rapporte uniquement aux Juifs du sud de la France et ne comprend pas les Juifs d’Afrique du Nord et que ce même chiffre se base sur une sorte de moyenne (Mittelwert) des calculs de Dannecker. Il ajoute donc que le document est arrivé aux mains de Franz Rademacher, responsable des Affaires juives (Referat D III) aux Affaires étrangères allemandes, homologue d’Eichmann. Cependant, d’après Meyer, « nous n’avons trouvé aucune autre filière de transmission ou de remise directe des statistiques de Dannecker à Eichmann45 » (« Ohne daß sich der weitere Übermittlungsweg oder eine direkte Weitergabe der Statistik von Dannecker an Eichmann nachwiesen ließe »). Comment avaient été préparées les estimations en vue de la réunion de Wannsee ? Malgré la place privilégiée accordée au procès-verbal dans la recherche sur la politique antijuive en général depuis son commencement, et malgré l’intérêt dominant pour l’importance de la réunion de Wannsee dans la conception de la Solution finale, intérêt plus soutenu depuis le milieu des années 1990, il est étonnant que pratiquement personne n’ait parlé de la collecte des données dans les divers pays par Eichmann et ses assistants. C’est en effet cela qui doit déterminer notre explication, et non l’inverse. À ce titre, l’article de Christoph Kreutzmüller sur le nombre des Juifs aux Pays-Bas sort de l’ordinaire46. Si l’on tient à vérifier la validité des chiffres avancés, on s’aperçoit d’entrée de jeu, par exemple, que pour certains pays, les chiffres sont assez précis – comme pour l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas (le chiffre comprend également les Mischlinge – personnes partiellement non allemandes) et l’Estonie (qualifiée de « purifiée de Juifs »). Pour d’autres pays, notamment pour ceux non encore conquis en URSS, le nombre est très exagéré : cinq millions de Juifs (pour les régions déjà conquises de l’URSS, où des dizaines de milliers de Juifs avaient déjà été tués, les Einsatzgruppen avaient rapporté le chiffre de 857 000 Juifs, chiffre qu’Eichmann connaissait parfaitement ; ce chiffre tient également compte du fait que l’Estonie, comme nous l’avons vu plus haut, ne compte pas de Juifs47). Il faut donc vérifier chaque donnée. De plus, dans le tableau présenté à Wannsee figure une grossière erreur que les participants n’ont pas pu ignorer (et que Kreutzmüller a déjà soulignée) : la Serbie apparaît dans la liste des pays non conquis alors qu’en fait, elle l’avait été neuf mois plus tôt, en avril 194148. Comment les chiffres ont-ils donc été calculés à l’approche de la réunion ? Le 6 août 1941, les dirigeants de la Reichsvereinigung der Juden in Deutschland, organisation regroupant de façon obligatoire toutes les personnes de « race juive » selon les critères des lois de Nuremberg de 1935, se virent demander par le Bureau central de l’émigration juive (Zentralstelle für jüdische Auswanderung) à Berlin, l’un des instruments du bureau d’Adolf Eichmann (IVB4), de réunir rapidement des données précises sur l’importance des communautés juives49. Cette requête survint trois semaines après la réunion, le 16 juillet, entre Hitler et quelques dirigeants du régime (Hermann Goering, Alfred Rosenberg, Hans Lammers, Martin Bormann, Wilhelm Keitel), réunion considérée par une partie des chercheurs d’aujourd’hui comme le début de la cristallisation de l’idée de la Solution finale50, et quelques jours après la lettre de Goering à Reinhard Heydrich, lettre vraisemblablement rédigée par Heydrich et Eichmann et remise à Himmler pour signature (pour des raisons officielles) et qui autorise Heydrich à examiner la possibilité d’une « Solution d’ensemble à la question des Juifs dans la sphère d’influence allemande en Europe51 » (« Gesamtlösung der Judenfrage im deutschen Einflußgebiet in Europa ») (31 juillet). Les directives du Bureau central de l’émigration juive à la Reichsvereinigung der Juden in Deutschland le 6 août s’écartent apparemment de la simple vérification technique du « terme “juif” » (Judenbegriff) pour créer une uniformité dans le traitement général des Juifs dont il est question. C’est ainsi qu’une partie des chercheurs entendent la chose52. Il ne fait aucun doute que cela soit vrai. Cependant, notons que dans l’« objet » de la réponse de la Reichsvereinigung, en date du 7 août, on lit « Définition du terme “juif” dans les pays dans lesquels il existe des lois juives » (« Betrifft : Begriffsbestimmung des “Juden” in Ländern mit Judengesetzen »). Cependant, l’annexe à cette lettre, qui en constitue l’élément principal, est intitulé : « Nombre de Juifs, en termes absolus et relativement à la population globale dans certains pays et par continents, ordre alphabétique, avec annexe sur la définition du terme “juif” dans les pays où des lois juives correspondent à la réglementation publiée » (« Anzahl der Juden, absolut und in Verhältnis zur Gesamtbevölkerung der einzelnen Länder nach Erdteilen alphabetisch, mit Anhang über die Befriffsbestimmung der “Juden”, in Ländern mit Judengesetzen anhand der bekannt gewordenen Verordnungen »). Cela indique que ce qui importait avant tout, c’était les statistiques et que les données communiquées concernaient l’ensemble du monde et pas uniquement l’Europe ! Ça ne s’explique que par une requête orale (téléphonique ?) qui aurait accompagné la requête écrite, chose courante dans le régime nazi. Tout cela témoigne d’un esprit d’entreprise, d’une volonté d’agir le plus rapidement possible et du fait que la vision globale ne s’arrêtait pas à l’Europe, objectif de l’époque. Six jours après la première réponse, la Reichsvereinigung envoya une seconde lettre au Bureau central de l’émigration juive avec une importante annexe contenant un complément d’informations statistiques et de sources. Il s’agit de deux listes de statistiques (datées du 7 et du 13 août) très détaillées et en partie manuscrites faisant état des pays et de continents (la Nouvelle-Zélande a été oubliée et elle n’est pas la seule), une liste détaillée concernant les États-Unis (par villes) et une liste concernant la Palestine (par régions, dont le Néguev)53. Les données recueillies pour l’Afrique du Nord et le problème qu’elles posent Les chiffres indiqués pour les Juifs d’Afrique du Nord dans la première liste sont : Égypte – 70 000, Éthiopie – 80 000, Algérie – 115 000, Maroc – 181 000, Tunisie – 66 000. La Libye n’est pas mentionnée, sans que l’on sache pourquoi, et un chiffre figure pour « le reste de l’Afrique » – 1 000 (sans l’Afrique du Sud, indiquée séparément avec 95 000 Juifs)54. La deuxième liste reprend ces chiffres, mais détaille les « divers » : « Diverses possessions britanniques 3 [mille], diverses possessions italiennes 43 [mille, il semble qu’il s’agisse ici de la Libye], Tanger 12 [mille]55 ». Pour les pays qui nous intéressent, les deux listes sont identiques. Si l’on ajoute le nombre indiqué pour la France occupée et celui de la zone libre (les deux listes sont identiques à ce sujet) – 280 000 – à celui du nombre des Juifs en Algérie, au Maroc et en Tunisie, nous obtenons 643 000, ce qui diffère des chiffres avancés dans le procès-verbal de la réunion de Wannsee (165 000 + 700 000 = 865 000). Le fait que la liste ne fasse pas la distinction entre les zones occupée et libre a toute son importance, comme nous allons le voir plus loin. Eichmann, cependant, continuait à recueillir les données et à les mettre à jour. Selon ses dires lors de son procès à Jérusalem, il termina les préparatifs fin novembre/début décembre 194156, la réunion ayant été fixée à l’origine pour le 9 décembre. Comme elle avait été repoussée en raison de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, Eichmann eut le temps de mettre à jour les données. Cependant, le lendemain, l’ordre (Anforderung) fut donné à la Reichsvereinigung d’envoyer des données supplémentaires. Le 11 décembre 1941, une rectification des données concernant les Juifs de France arriva, basée sur les propos du Commissaire général aux questions juives, Xavier Vallat, suite à la création de l’Union générale des israélites de France (UGIF), à laquelle tous les Juifs étaient obligés d’adhérer. Ses propos parurent dans le Frankfurter Zeitung le 4 décembre et Eichmann en prenait maintenant connaissance. On peut y lire entre autres (voir annexe) : « Sur le territoire français, il y a 335 000 Juifs Répartis pratiquement à parts égales en zone occupée 165 000 en zone libre 170 000 Dans les possessions françaises en Afrique du Nord Vivent environ 360 000 Juifs comme suit : Maroc 160 000 Algérie 150 000 Tunisie 50 00057. » Tant les chiffres que le libellé ont leur importance. Si l’on additionne le nombre des Juifs de la zone libre à ceux des territoires de l’Afrique du Nord française, on obtient 530 000, chiffre qui est bien loin des chiffres (700 000) mentionnés six semaines plus tard à Wannsee (mais assez proche du chiffre indiqué dans la liste d’août, si l’on déduit le nombre des Juifs en France occupée). Cependant le texte littéral reprend la répartition de la France en zone libre et zone occupée, tout comme le procès-verbal de Wannsee. Il en est de même pour le nombre des Juifs en zone libre. La seule différence ici porte sur le chiffre lui-même : 170 000 dans ce document et 700 000 dans le procès-verbal de Wannsee, qui, selon les données que possédait Eichmann ne constituait pas le résultat de l’ajout des Juifs de l’Afrique du Nord française. Que s’était-il donc passé ? La Solution Afin de résoudre la question du nombre contestable de Juifs, il nous faut prendre en compte tout d’abord le libellé et la logique de l’ensemble du document. Le procès-verbal de Wannsee parle de bout en bout de la « Solution finale au problème juif en Europe » (Endlösung der europäischen Judenfrage). Heydrich le mentionne dans son introduction et la chose est mentionnée à quatre reprises. Dans les remarques concernant la réalisation de la politique de la Solution finale, seuls les pays européens sont mentionnés et en parlant de l’URSS, il est dit : « L’influence des Juifs en URSS est bien connue dans tous les domaines. Cinq millions de Juifs vivent dans la partie européenne, près d’un quart dans la partie asiatique. » Les tableaux, quant à eux, précisent chaque fois que la chose pourrait être ambiguë, s’il s’agit de l’Europe. Pour la Turquie, par exemple, on peut lire : « Turquie (partie européenne) ». D’autre part, pour tous les pays qui règnent sur un territoire qui s’étend au-delà de leur territoire d’origine, les données sont également détaillées. La Sardaigne et l’Albanie sont indiquées sous l’Italie. En ce qui concerne le nombre de Juifs en Roumanie, il est dit qu’il comprend les Juifs de Bessarabie. Aucune donnée n’apparaît donc pour des territoires situés hors de l’Europe et les territoires qui n’appartiennent pas automatiquement à un certain pays sont spécifiés. Quand bien même nous dirions que les colonies françaises en Afrique du Nord étaient considérées à l’époque comme faisant intégralement partie de la France et qu’elles étaient incluses automatiquement dans le chiffre de la France, l’exemple des Pays-Bas et de ses colonies avec les Indes orientales néerlandaises (Indonésie), le Suriname, les Antilles néerlandaises, les nombreuses colonies du Royaume-Uni, du Portugal et de l’Espagne (notamment en Afrique du Nord) suffisent à réfuter cet argument. Le chiffre mentionné ne concerne que l’Europe. N’oublions pas non plus que toutes les colonies françaises n’avaient pas le même statut : l’Algérie était un département intégral de la France, le Maroc et la Tunisie des protectorats. La restriction à l’Europe ne doit pas nous étonner. Toute documentation antérieure à Wannsee souligne avec force qu’il s’agit d’une solution, solution complète ou totale ou solution finale à la question juive en Europe. Le grand changement survenu dans la seconde moitié de l’année 1941 était que l’idée de l’assassinat systématique dans l’ensemble de l’Europe prenait forme suite à la tentative réalisée en URSS à laquelle furent ajoutées systématisation organisationnelle et technologie. C’est à cette époque que débuta la réalisation de la vision que Hitler a mentionnée dans son célèbre discours au Reichstag le 30 janvier 1939 : « À nouveau, je vais être un prophète aujourd’hui. Si la juiverie internationale réussissait, en Europe ou ailleurs, à précipiter les peuples dans une guerre mondiale, le résultat n’en serait point une bolchévisation de l’Europe et une victoire du judaïsme, mais l’extermination de la race juive en Europe58. » « La destruction de la race juive en Europe » est la vision connue et en vigueur à l’époque (1941-1942). Notons que les propos de Hitler n’ont pas été prononcés uniquement pour ce moment bien précis, le 30 janvier 1939. Hitler les a réitérés à plusieurs reprises les années suivantes59 et dans la deuxième semaine de septembre 1941, c’était « le mot de la semaine » (Wochenspruch) du parti nazi, mot qui était affiché dans les bureaux du parti60. En outre, au début de l’année 1941, le 21 janvier plus précisément, Theodor Dannecker, l’envoyé d’Eichmann en France, écrit dans un mémorandum (Denkschreiben) adressé à tous les départements de l’Office central de la sécurité du Reich (RSHA, dirigé par Reinhard Heydrich) de la SS : « Conformément à la volonté du Führer après [la fin de] la guerre sera mise en place une Solution finale à la question juive dans les parties de l’Europe dominées et contrôlées par l’Allemagne61. » Le rédacteur des discours d’Heinrich Himmler, chef de la SS, Paul Zapp, écrivit que « le leadership politique et diplomatique d’Adolf Hitler posa les fondements pour une solution européenne de la question juive62 ». Fin 1941, cinq jours avant la date d’origine prévue pour la réunion de Wannsee, Franz Rademacher, le chef du département Allemagne (Referat Deutschland), soit le département chargé des Juifs du ministère des Affaires étrangères, homologue du département d’Eichmann au RSHA de la SS, rédige une ébauche pour le discours du directeur général (Staatssekretär), Ernst von Weizsäcker, que signera le sous-secrétaire (Unterstaatssekretär) Martin Luther. On peut y lire : « Il faut profiter de l’occasion qu’offre cette guerre pour traiter entièrement la question juive en Europe63. » Si le procès-verbal de la réunion de Wannsee traite de la Solution finale à la question juive en Europe uniquement, il est donc impossible de voir dans le surprenant chiffre avancé pour la France libre une donnée qui viendrait contredire l’esprit du document. Ce chiffre pourrait-il être dû à une faute de frappe ? Cette éventualité est souvent écartée par les chercheurs ou autres. Une faute dans un document de la direction allemande ? Dans le procès-verbal d’une importante « conférence » dont dépend, pour beaucoup, l’ensemble du programme de la Solution finale ? Eh bien oui, des erreurs sont possibles dans des documents allemands (et elles sont de fait nombreuses), tout comme dans tout autre document, personnel ou administratif. Mais dans ce cas précis, nous avons déjà mentionné des erreurs, des inexactitudes. Et le problème n’en est pas vraiment un car d’une part, il ne s’agissait pas d’une « conférence » à proprement parler et d’autre part, comme nous l’avons vu, les participants n’y ont pas décidé de la mise en place de la Solution finale. L’objectif de cette réunion était tout autre : asseoir le pouvoir de Heydrich et veiller à la coopération des diverses autorités. Il est intéressant de noter qu’à propos de ce document, nous avons le témoignage personnel de son auteur lui-même, dix-neuf ans après sa rédaction, il est vrai. Il affirme qu’il comprenait des erreurs, notamment en ce qui concerne notre propos. Lors du procès d’Eichmann, le procureur, Gideon Hausner, et le tribunal lui posèrent de nombreuses questions concernant le dit procès-verbal. Quand Hausner l’interrogea à propos des chiffres, Eichmann répondit : « En ce qui concerne les chiffres, ce n’est que maintenant, que dernièrement, que j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas. Par exemple, en ce qui concerne la France – mais je ne sais pas, il se peut aussi que je me sois trompé en écrivant les chiffres64. » C’est en fait la probabilité la plus plausible et la plus logique d’autant plus que si l’on examine la lettre de rectification de la Reichsvereinigung der Juden in Deutschland 1941 du 11 décembre en ce qui concerne les Juifs de France, on constate qu’après le chiffre de 170 000, il y a à la fois un tiret et un point, ce qui, de prime abord, peut être pris pour un chiffre supplémentaire, le zéro. En recopiant ces chiffres à la main, on peut supposer que la personne a ajouté ce dernier chiffre mais réalisa ensuite qu’il s’agissait certainement d’une erreur dans le document d’origine, parce que 1 700 000 est impossible. Elle a donc rectifié le 1 700 000 en biffant le 1, ce qui donne 700 000. C’est une des possibilités, bien que rien ne nous permette de savoir ce qui s’est exactement passé. Ce qui est néanmoins certain, c’est qu’il y a eu ici une erreur dans le compte rendu. Si l’occupation allemande avait abouti, les Juifs d’Afrique du Nord auraient-ils été inclus dans la Solution finale ? Est-ce à dire que la Solution finale n’aurait pas été appliquée aux Juifs d’Afrique du Nord même si cela avait été possible ? Les historiens ne peuvent pas répondre à des questions formulées au conditionnel. Nous pouvons cependant, en nous basant sur les quelques données dont nous disposons, avancer une hypothèse. Les chercheurs allemands KlausMichael Mallmann et Martin Cüppers ont révélé, il y a quelques années, l’existence d’une unité spéciale, l’Einsatzkommando Égypte (Einsatzkommando Ägypten), dirigé par Walter Rauff et conçu pour agir après le passage des troupes de Rommel en Égypte, puis en Palestine. La chose ayant échoué, Rauff fut nommé en Tunisie65. Aussitôt, le Dr Gebhard Walter, du consulat allemand à Tripoli (Libye), indique, le 12 mai 1942, dans un rapport intitulé « Le problème juif en Libye », qu’« il ne fait aucun doute que le problème juif sera résolu aussi en Tripolitaine66 ». Nous savons maintenant que les plans maîtres de la Solution finale n’étaient pas structurés et organisés et qu’ils se sont développés en fonction d’une dynamique interne dès que Hitler a donné le feu vert, en parallèle à l’élargissement des cercles meurtriers. Les premières mesures que nous avons mentionnées indiquent donc qu’il est tout à fait vraisemblable que le régime nazi ait appliqué la politique développée en Europe hors des frontières européennes si cela lui avait été possible. En effet, Hitler se battait en fin de compte contre le « judaïsme mondial » (Das Weltjudentum), pas seulement contre les Juifs d’Europe67. Cela ne s’est pas réalisé. La réunion de travail de Wannsee, appelée de façon erronée et trompeuse « conférence », selon les dires de Ian Kershaw, spécialiste du nazisme et biographe de Hitler, « était en soi une étape intermédiaire dans la formulation de la Solution finale. En janvier 1942, les préparatifs en étaient encore au stade préliminaire, mais la décision d’exterminer la communauté juive européenne venait d’être prise68 ». Cette étape ne concernait que l’Europe. * ANNEXE Extrait du rapport du bureau central de l’émigration juive à Eichmann, dans le Frankfurter Zeitung du 4 décembre 1941, avec une mise à jour du nombre des Juifs en France, la distinction étant faite entre zone occupée, zone libre et Afrique du Nord française. Deuxième partie L’ALLEMAGNE NAZIE ET L’AFRIQUE DU NORD 2 Les dynamiques de l’antisémitisme au Maghreb à la veille de la Seconde Guerre mondiale par Emmanuel DEBONO Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ne sont pas épargnés par la recrudescence de l’antisémitisme qui touche la métropole française – et le reste de l’Europe – au cours des années 1930. Les questions soulevées par les dynamiques du phénomène au Maghreb sont plurielles. Elles portent tant sur les courants antisémites qui traversent la région, leurs contours et leur consistance réels, que sur leurs effets concrets auprès des masses indigènes ou encore sur l’attitude des autorités françaises face à un fléau particulièrement corrosif et menaçant pour la cohésion de la société coloniale. L’ouverture de certains fonds d’archives de l’administration coloniale française, ces dernières années1, permet d’apporter de nouveaux éclairages sur ces questions. Dans les départements d’Algérie comme dans les protectorats voisins, les divers échelons de l’autorité (administrateurs, polices locales, sous-préfets, préfets…) rendent compte de la situation dans une correspondance abondante et précieuse pour le chercheur. Ces sources ne sauraient constituer la matière unique pour dresser un tableau détaillé de l’antisémitisme au Maghreb à cette période. Elles permettent néanmoins d’accéder à une batterie de faits relativement objectifs, d’apprécier qualitativement le phénomène et de se risquer sur la voie de son estimation quantitative. Elles ouvrent par ailleurs de stimulantes perspectives en ce qui concerne l’importante question de la réactivité de l’État français devant le danger et celle de la défense républicaine. Cette présentation, synthétique et non chronologique, se veut en outre une contribution à une meilleure appréciation du terreau sur lequel va s’abattre la persécution mise en place par le régime de Vichy à partir de 1940. DIVERSITÉ DES SOURCES DE L’ANTISÉMITISME Pas plus au Maghreb que dans la métropole française l’antisémitisme ne se révèle un bloc monolithique. Ses sources sont diverses : populations musulmanes traditionnellement méfiantes, sinon hostiles aux Juifs, Français d’Algérie jugeant indigeste le décret Crémieux, agents hitlériens ou mussoliniens travaillant à la décomposition de la société coloniale, organisations nationalistes françaises, présence ou passage d’activistes antisémites de la métropole (Henry Coston, Jean-Charles Legrand…), ambiguïté des nationalistes arabes soufflant le chaud et le froid, intrigues de certains potentats locaux… Les causes de l’antisémitisme sont historicoculturelles, idéologiques, quand elles ne relèvent pas du simple opportunisme. Elles sont aussi la conséquence d’une situation sociale très dégradée au cours des années 1930, d’aspirations politiques déçues avec, notamment, la promotion et l’échec du projet Blum-Viollette2. Elles s’inscrivent enfin dans un contexte international particulièrement tendu qui est celui de la politique agressive des dictatures et d’une question palestinienne devenant brûlante. À l’échelle régionale, les nuances d’intensité et d’expression du phénomène s’expliquent par des configurations historiques et géopolitiques propres à chacun des territoires. Cette diversité des antisémitismes, dont le corollaire est la variété des expressions, allant des insultes aux émeutes (Sfax, 1932 ; Constantine, 1934 ; Gafsa, 1936 ; Meknès, 1937 ; Meknès, 1939…), en passant par les graffitis, l’affichage sauvage et les réunions de propagande, ne rend pas aisée la lecture du phénomène, ni pour les contemporains (services de police, milieux juifs, sphère politique…), ni, il faut bien le dire, pour le chercheur. Ce que l’on perçoit en revanche, c’est l’interpénétration de ces différents courants antisémites : les cris de « Vive Hitler » ou le badigeonnage sur certains murs de croix gammées peuvent être le fait de militants prohitlériens ou nationaux, mais aussi d’indigènes aux motivations diverses, qui s’approprient avec plus ou moins de conscience symboles et références nazis. Les différents courants d’antisémitisme ont toutefois des rythmes et des temporalités qui leur sont propres : mouvements de fond, fièvres passagères et crises aiguës, mais aussi moments de reflux et d’accalmie. Nous illustrerons ce constat par la présentation rapide de trois contextes : celui des propagandes allemande et italienne, celui du pic d’antisémitisme musulman faisant suite aux événements de Constantine d’août 1934, et celui de l’exacerbation des tensions franco-françaises autour de la question du Front populaire. Les propagandes allemande et italienne Elles sont une constante de la période. La propagande allemande sévit assez tôt, notamment à partir du Maroc espagnol, par le biais d’agents comme Adolf Langenheim3 qu’un journal de la métropole présente comme le « Führer du Maroc espagnol à Tétouan4 ». Elle est également diffusée à partir des ports algériens où mouillent des navires allemands, comme à Bougie, en septembre 1934, lorsque des hommes d’équipage distribuent des insignes hitlériens à des indigènes5. Des émanations de cette propagande sont repérables tout au long de la décennie à travers les rapports policiers. Il arrive qu’elles soient dénoncées sur la place publique, à l’instar des exemplaires du journal Weltdienst, émanant du Service mondial d’Erfurt6, exhibés le 28 octobre 1936 à la tribune du Conseil général d’Oran7. Le basculement antisémite du régime fasciste italien en 1938 donne une tonalité particulière à une propagande que l’on rencontre d’abord au Maroc et en Tunisie. Un rapport du consul de France à Tanger, ville internationale dans l’enclave espagnole, signale l’émotion de la population israélite devant l’offensive antisémite d’un journal comme La Vedetta di Tangeri, offensive qualifiée de « sans précédent8 ». Le même observateur note qu’« on discerne de toutes parts des signes de désaffection et d’indignation à l’égard de l’Italie infidèle, alliée de l’hitlérisme et excitant l’Arabe contre le Juif9 ». Le discours de haine est aussi véhiculé par L’Unione, le quotidien fasciste de Tunisie, et les émissions de Radio-Bari. La librairie italienne de Tunis, avenue Jules-Ferry, provoque à plusieurs reprises l’émoi des israélites en affichant des ouvrages antisémites. En novembre 1938, par exemple, la Sûreté signale qu’elle expose cinq livres traitant de la question juive10. Les massacres de Constantine de 193411 Ils constituent un moment qui voit culminer les manifestations antijuives dans les trois pays. La psychose qui s’ensuit, aussi bien en Algérie qu’au Maroc et en Tunisie, est alimentée par des provocations qui sont le fait d’indigènes narguant les Juifs par l’usage de la référence à Constantine. Le 3 septembre 1934, à Affreville (Algérie), au cours d’un bal, un israélite surprend un musulman qui s’exclame : « C’est dommage que nous ne soyions [sic] pas à Constantine, nous pourrions nous détendre les nerfs12. » Le 8 septembre 1934, dans un restaurant franco-arabe de Tunis, un Algérien s’écrie : « À Constantine les Arabes ont fait bravement leur devoir ; ils ont raison d’avoir fait ce qu’ils ont fait13. » Au Maroc, Michel Abitbol signale que des bruits courent selon lesquels des pogromes seront commis pendant la journée du Kippour, le 19 septembre 193414… Citons encore ce rapport du contrôleur civil de la région d’Oudjda (Maroc), qui préconise la fermeté à l’encontre des indigènes à la suite d’agressions commises dans cette commune contre des israélites en août 1934 : « Une trop grande indulgence de la part du Tribunal risque à la fois de mécontenter les israélites et d’inciter les musulmans des basses classes à continuer leurs attaques contre les Juifs15. » Il est frappant d’observer que les massacres paraissent avoir davantage échauffé les esprits qu’ils ne les ont anesthésiés : c’est tout du moins ce que suggère la fréquence des rapports qui mentionnent des accrochages dans les mois qui suivent. Les répercussions locales des luttes politiques françaises Les mois qui précèdent et suivent l’arrivée au pouvoir du Front populaire exacerbent l’antisémitisme des groupements de la droite nationale. Le principal mouvement en cause est celui des Croix-de-Feu, devenu Parti social français (PSF) après leur dissolution par le gouvernement Blum en 1936. Leur antisémitisme n’est pas obsessionnel comme peut l’être celui d’un agitateur comme Henri Lautier16 à Alger, mais il se manifeste très ouvertement au cours de réunions publiques et lors d’affrontements dans les villes d’Algérie au cours desquels les cris de « À bas Blum » et « la France aux Français » sont souvent proférés. Il est à noter que les attaques antisémites ne sont pas le simple fait d’une base militante surexcitée17. Les cadres du parti et certains délégués parisiens n’hésitent pas à investir ce terrain « argumentaire ». Le projet de loi BlumViollette cristallise les tensions contre Léon Blum que beaucoup souhaiteraient voir « renvoyé au mont Sinaï18 ». Plus discrète au Maroc et en Tunisie, notamment en raison d’une législation restreignant l’exercice politique, l’activité du PSF n’en est pas moins réelle. Au Maroc, il est significatif que la police mette à plusieurs reprises sur le compte des Croix-de-Feu/PSF une propagande particulièrement haineuse. Ainsi la police de Rabat attribue-t-elle la paternité aux troupes marocaines du colonel de La Rocque, en octobre 1936, d’un tract intitulé « À nos frères musulmans ». On peut notamment y lire : « Dès qu’un Juif relève la tête, il faut la lui couper19 » ou encore : « Nous devons tous ensemble, même par la force, faire rentrer les Juifs dans leurs mellahs. » Plus tard, lorsque des papillons sont collés en grand nombre sur les murs de Meknès, dans la nuit du 17 au 18 mai 1938, le chef de la Sûreté régionale estime qu’ils ont été « vraisemblablement fournis par le PSF20 ». Les messages délivrés sont radicaux : « Ici, maison juive, maison de profiteurs21 » ou encore « Les Juifs appartiennent à une race étrangère à la nôtre ; ils forment dans la nation un vaste consortium d’exploiteurs et de voleurs22 ». Si l’inspiration antijuive de cette propagande semble davantage le fait d’activistes prohitlériens, cette désignation d’un mouvement dont le chef parisien se défend de tout antisémitisme, donne une idée assez probante des dérives locales engendrées par certains contextes. LE POTENTIEL EXPLOSIF DES TENSIONS JUDÉO-MUSULMANES La proximité socioculturelle des communautés n’empêche pas la réalité d’une animosité latente susceptible d’éclater dans le côtoiement quotidien. Certains, comme le commissaire central de Philippeville (Algérie), en août 1934, veulent en minimiser la portée : « Les quelques petits incidents qui se produisent entre indigènes et israélites n’ont pas pour origine des questions d’ordre confessionnel : il ne s’agit que de petits différends entre marchands et acheteurs ou entre patrons et employés23. » Il est un fait qu’une part non négligeable des incidents relevés par la police s’inscrit dans de banales relations de coexistence, de voisinage, d’échanges commerciaux, avec leurs lots de heurts, de mesquineries, d’insultes et de réconciliations. Le recours à l’invective antisémite qui les accompagne très souvent et la spontanéité de certaines agressions verbales ou physiques n’en sont pas moins les signes d’un état d’esprit marqué par le mépris. Les insultes proférées par des musulmans au passage de cortèges funèbres israélites, dont témoignent plusieurs rapports au cours de la décennie, en sont peutêtre l’une des manifestations les plus significatives. Le 27 décembre 1938, par exemple, à Gafsa (Tunisie), une vingtaine d’indigènes croisent l’un de ces cortèges. Certains d’entre eux crachent alors à terre et l’on peut entendre distinctement : « Encore une charogne de Juif qui ira en enfer24. » Les accrocs de cette nature abondent et il n’y aurait pas grand sens à les énumérer. Il nous semble préférable d’en définir les éléments communs tels qu’ils émergent des rapports. La réciprocité des attaques Elle est notable, même s’il est certain que la population israélite est plus souvent victime des agressions que la population musulmane. Les archives livrent sur cet aspect quantité d’informations qui obligent à considérer la question de l’antisémitisme non pas sous le seul angle de la brimade unilatérale mais sous celui de l’intolérance, voire de la haine partagée, auxquelles on se gardera bien toutefois de réduire le champ des relations judéo-arabes. Le 4 septembre 1937, une musulmane et une israélite se disputent dans les rues de Tunis, pour un motif futile d’après la police. Des injures sont échangées et la seconde crie soudain : « Maudite soit la religion musulmane25. » Le 30 septembre de la même année, dans une rue de Constantine, deux jeunes indigènes jouent avec un israélite de leur âge. Les enfants se prennent de querelle et le jeune Juif se met à pousser des cris. Une femme, probablement sa mère, injurie de son balcon les indigènes et leur Prophète26. Le 25 novembre 1938, à Rabat, un groupe de jeunes Juifs lance des pierres sur le convoi funèbre d’un notable indigène… Sans qu’il soit question de renvoyer dos à dos les communautés, il est certain que l’on trouve dans ces faits un principe dynamique qui alimente un état de tension latente. La futilité, sinon la bêtise flagrante des motifs d’empoignade doit être soulignée car elle est un indicateur, à notre sens, d’une hostilité mutuelle qui s’énonce spontanément, à tout bout de champ et sans retenue, de manière quasi infantile. Quand, dans un café de Djerba, une partie de billard opposant un israélite et un musulman se termine par la victoire de ce dernier, un consommateur s’écrie : « Vivent les Arabes ils ont gagné les Juifs27. » La réflexion suffit à provoquer une bagarre, l’état d’ébriété du client juif jouant son rôle dans le déclenchement du pugilat. On notera d’ailleurs au passage la fréquence des frictions qui mettent en cause des individus pris de boisson, et de celles dont les protagonistes sont des jeunes, parfois des enfants, souvent en groupe, se livrant volontiers à des provocations envers des individus de l’autre religion. À Tunis par exemple, un rapport de police daté du 11 août 1934 signale cette ambiance particulièrement délétère : « Les enfants et jeunes gens juifs […] avaient pris depuis assez longtemps l’habitude de provoquer et même de lyncher les passants musulmans qui venaient à s’égarer dans leur ghetto […]28. » À Cherchell (Algérie), un policier note le 12 septembre 1934 que « de jeunes indigènes âgés de 12 à 16 ans, rencontrant des israélites les appellent “sales Juifs” surtout lorsqu’ils ont affaire à des jeunes filles et leur rappellent les incidents de Constantine29 ». Mesquine, dérisoire, anodine… l’origine des disputes est souvent tout cela à la fois. Ce constat pousse d’ailleurs les fonctionnaires de police à minimiser ces faits, à tort selon nous. On se souviendra en effet que la provocation d’un israélite ivre fut un facteur déclenchant du pogrome de Constantine, et l’on gardera à l’esprit qu’outre l’alimentation d’une atmosphère lourde, sinon électrique, ces incidents demeurent négligeables – et négligés – jusqu’au moment où ils placent brutalement les forces de l’ordre en état d’alerte, ce qui survient plus d’une fois au cours de la décennie, tant au Maroc et en Algérie qu’en Tunisie. La réactivité des foules musulmanes Il faut souligner la promptitude avec laquelle s’amassent les foules autour des protagonistes. Lors de la dispute survenue le 4 septembre 1937 à Tunis entre une juive et une musulmane, les paroles insultantes à l’égard de l’islam sont suivies d’un cri d’alarme lancé par celle dont la religion est bafouée30. Les deux femmes sont emmenées au commissariat mais un attroupement de trois cents personnes environ se forme devant les bureaux. Le 30 mai 1936, une altercation à Tunis a lieu entre un gargotier musulman et un commerçant israélite. Le motif ? À l’occasion de la fête du Mouled31, le gargotier décorant sa boutique a déposé momentanément quelques branches de palmier sur le seuil de la boutique de son voisin israélite32. Les insultes pleuvent à l’encontre du père du « fautif », de la fête du Mouled et du Prophète. Les cris ont vite fait d’ameuter les indigènes aux alentours qui se rassemblent pour régler son compte à l’insulteur. Parvenue sur les lieux, la police disperse la foule ; des badauds, des curieux, certes, mais des hommes et des femmes très sensibles quand on porte atteinte à leur religion. Le rôle salutaire des forces de l’ordre La capacité d’autorégulation de ces accès de fièvre est très limitée. La police joue un rôle déterminant pour stopper les incidents : dispersion, appel de renforts, arrestations pour neutraliser ces agglutinements porteurs de risques. La présence des forces de l’ordre est salutaire, comme l’ont démontré a contrario les événements de Constantine d’août 1934. Le 25 août 1937, à Alger, une tomate est lancée d’un balcon par un Juif sur un indigène. L’agresseur est intercepté par la police, qui ne peut empêcher des échanges de coups et les insultes entre les deux antagonistes. Le Juif échappe au gardien de la paix et remonte chez lui. Le rapport de police note qu’une cinquantaine d’Arabes se sont alors regroupés. L’un d’entre eux, agitateur notoire qui, d’après la police, fréquente les réunions de Messali Hadj, rudoie les policiers : « Faites donc descendre le Juif, vous aussi, si vous ne voulez pas qu’on fasse comme à Constantine. Je ne quitterai pas ces lieux et aucun Arabe ne bougera33. » La confrontation s’envenime et plus de deux cents personnes sont bientôt sur place. L’arrestation du provocateur met un terme à l’incident. Le commissaire rédige son rapport en ces termes : « J’estime que ces agissements doivent être réprimés très sérieusement, en cette période d’agitation et de campagne contre la souveraineté française en Algérie. J’ajoute, que sans l’intervention énergique des trois gardiens de la paix précités, sa nervosité et son agitation auraient provoqué un conflit sanglant de races, semblable à celui des événements de Constantine, en 193434. » Ce dernier exemple met en valeur les connexions qui s’établissent entre des indigènes, dont l’hostilité aux Juifs pourrait être qualifiée de banale, et d’authentiques provocateurs qui s’efforcent d’échauffer les esprits. Il n’est que de constater la forte réactivité des foules pour mesurer le danger représenté par ceux qui effectuent un travail de sape en leur sein. Le rôle de la rumeur Il est important, dans chaque communauté, en amont comme en aval des incidents. Le faux bruit annonçant la mort du docteur Bendjelloul à Constantine n’a pas peu contribué au déclenchement des émeutes de Constantine. Ces dernières constituent d’ailleurs un moment paroxystique quant à la circulation de fausses nouvelles, phénomène qui contribue notamment à entretenir une importante psychose chez les israélites du Maroc, d’Algérie et de Tunisie. L’une de ses conséquences est leur approvisionnement en armes, surveillé de près par la police. Dans ce contexte, les bruits annonçant des massacres imminents sont nombreux. Le 11 août 1934, des habitants du quartier de Moulinville à Sfax viennent trouver le contrôleur civil pour l’avertir des violences qui doivent prendre pour cible les Juifs au cours de la nuit. Après une nuit calme, un commissaire de police apprend qu’un Tunisien et un Juif ont eu la veille une altercation après avoir plaisanté ensemble. Il a suffi que le premier dise au second : « Je veux te faire voir35 » pour que la panique s’empare des habitants juifs du quartier. Les fausses nouvelles, les bruits les plus divers prolifèrent au cours de la décennie. Les services de police en connaissent d’ailleurs parfaitement les effets pervers sur les masses tant musulmanes qu’israélites. Stopper la rumeur constitue pour eux un enjeu majeur. L’ENJEU PRIVILÉGIÉ DE L’ANTISÉMITISME MUSULMAN Au cours de la décennie, tous les acteurs antisémites tentent d’inclure les indigènes musulmans dans leur stratégie36. Les dictatures Le champ des colonies offre un terrain propice à une propagande qui cherche à affaiblir la puissance française en jouant sur la contestation de son autorité. On sait l’attention que les services de Goebbels portent depuis Berlin à la diffusion de la haine antijuive au sein des populations arabes. Michel Abitbol rappelle que le chef de la communauté musulmane de Berlin, d’origine marocaine, fut à l’origine des liens qui se nouèrent entre l’Islamischer Kulturband de Vienne et les dirigeants du mouvement nationaliste marocain (al-Nasiri, al-Wazzani et Bannuna)37. En 1938, un Comité pour la défense de la Tunisie est installé à Berlin où existe déjà un Comité de défense du Maghreb arabe et un Comité des réfugiés politiques de l’Afrique du Nord38. Des émissions radiophoniques en arabe et en berbère, destinées au Maghreb, prêchent également aux colonisés un discours hostile à la France. Sur place, les contacts avec la population peuvent être directs, par le biais, entre autres, d’agents consulaires, mais ils passent plus fréquemment par une propagande sous forme de tracts, de papillons que signalent diverses sources. Il subsiste toutefois un doute sur l’origine exacte d’une production qui ne porte pas toujours de signature. Quid de ces appels au boycottage du commerce israélite diffusés sous forme de papillons, dans le département de Constantine, en juillet 1933, qui s’évertuent à exciter le nerf antisioniste : « Ô Arabes, sur chaque pièce de cinq francs que vous verserez aux Juifs, cinq sous vont en Palestine pour servir à l’achat d’armes en vue de tuer les Arabes39 » ou encore : « Ô Arabe, le Juif est ton ennemi et l’ennemi de l’islam. Si tu achètes quelque chose chez lui tu ne seras plus l’objet de la protection du Prophète40 » ? Quid de cet autre tract, rédigé en arabe, intercepté par le consulat général de France à Tanger en novembre 1936, et dont la traduction est la suivante : « Musulmans. Il faut massacrer les Juifs, les dépecer ; n’entretenez plus de relations avec eux. Il ne faut plus consentir à ce que vos coreligionnaires travaillent à leur service, si vous avez des sentiments purement musulmans. Dieu a dit “tous ceux qui se rapprochent des Juifs, sont des ennemis de la religion”41. » L’incertitude qui règne quant à la source émettrice nous éclaire d’une certaine façon sur une forme d’interpénétration des différents courants antisémites. Il y a l’activité effective des agents de l’Allemagne nazie, qui jouent notamment sur la fibre antisioniste, et il y a les prolongements qu’elle est susceptible de trouver dans les populations locales, européennes ou indigènes. Il est clair que de ce point de vue, l’antisémitisme hitlérien peut trouver sur place d’efficaces relais. Les activistes français C’est l’Algérie qui offre en la matière les exemples les plus édifiants de ces milieux qui s’expriment par voie de tracts et de papillons, mais aussi par des titres tels que Tam-Tam, Le Petit Oranais, Branlebas, Halte-là, Le Dissous ou encore L’Éclair d’Henry Lautier. Dénigrement des Juifs, viles et hypocrites flatteries des musulmans, appels à l’insurrection, les extrémistes font feu de tout bois. « Il faut descendre dans la rue. Il faut se révolter42 », proclame en gros caractères un numéro du Dissous à l’été 1936 à l’encontre des Juifs. « Musulmans ! Votre prophète Mohamed a dit que le Juif est votre ennemi. Ne l’oubliez pas43 ! » peut-on lire sur des papillons couvrant les murs de Constantine en mars 1937. « Il y a l’homme ; puis il y a le dromadaire ; puis il y a le chien ; puis il y a le Juif44 », affirme le journal Branlebas le 28 novembre 1938… Une propagande d’inspiration hitlérienne d’origine métropolitaine comme celle du Centre de documentation et de propagande dirigé à Paris par Henri-Robert Petit circule également, comme en témoigne ce rapport de la police de Tunis qui indique en décembre 1936 que des catholiques et des musulmans de la ville ont reçu sous pli recommandé une brochure de propagande intitulée Les Juifs au pouvoir45. Les nationalistes français Il faut pointer la stratégie et la rhétorique des groupements nationaux européens tels que les Croix-de-Feu/PSF ou le Parti populaire français (PPF) qui courtisent vivement les masses musulmanes. Après les événements de Constantine, la ligue des Croix-de-Feu élargit son recrutement aux sujets musulmans. Le potentiel subversif de l’antisémitisme occasionnel du groupement apparaît nettement lorsque l’on sait la présence régulière d’indigènes – plusieurs dizaines, parfois quelques centaines – à des réunions où se trouvent distillées les attaques contre la « Juiverie » auxquelles répondent les injures proférées par la foule… Que penser dès lors des effets de la tournée algérienne de Jacques Doriot, chef du PPF, en mai 1938, au cours de laquelle est réclamée à longueur de réunions l’abrogation du décret Crémieux, sujet si sensible aux yeux des indigènes musulmans ? Les nationalistes arabes Les musulmans se voient aussi excités par une propagande arabe qui se fait de plus en plus offensive au cours de la décennie. À Tunis, le chef de la Sûreté constate en juin 1936 qu’une effervescence se manifeste au sein de la population musulmane à l’occasion des événements de Palestine. Des mots d’ordre de boycottage du commerce juif circulent. Le 26 juin, toujours à Tunis, après la prière, deux métouis46 prennent la parole et parlent à leurs coreligionnaires des événements de Palestine, rappelant « les maux que les Arabes ont toujours subis de la part des Juifs47 ». Le chef de la Sûreté note : « L’assistance qui groupait au moins cinq cents personnes, paraissait assez surexcitée48. » Du matériel de propagande en provenance des régions arabes du Proche et du Moyen-Orient circule. Des tracts antisémites rapportés par des pèlerins marocains de La Mecque sont par exemple mentionnés par le commandant de la région de Taza (Maroc) en mai 1935. En Tunisie, en juillet 1939, la police évoque les références faites à la question palestinienne dans la presse arabe locale mais également les publications venues d’Orient amalgamant les Juifs et les Anglais. Il faut dans le même temps prendre en compte, dans l’analyse de cette judéophobie, l’activité de la propagande sioniste au Maghreb. Comme le note un rapport de police tunisois au sujet de la parution des Cahiers du Betar, favorables au sionisme révisionniste de Vladimir Jabotinsky : « Le révisionnisme étant actuellement en progrès, cet organe a rencontré un certain succès dans les milieux juifs, mais il menace de réveiller la lutte antisioniste dans les milieux musulmans tunisiens49. » Les documents concernant le Maroc, l’Algérie et la Tunisie font tous mention de populations musulmane et juive attentives et réactives aux événements palestiniens, l’été 1936 constituant sur ce plan un moment de tensions paroxystiques. Enfin, en Algérie, la vie politique locale et ses intrigues se caractérisent par des tentatives notoires de manipulation des indigènes musulmans, comme c’est le cas à Oran, dont le maire, Gabriel Lambert50, préconise le boycottage des magasins juifs et crée, au sein de son organisation des Amitiés latines, des sections musulmanes dans le but de les soulever contre les israélites. À Constantine, le maire, Émile Morinaud51, utilise la même stratégie, accusant les Juifs, au printemps 1936, de lui avoir fait perdre son siège de député, avant que sa mairie ne lui échappe en 1938. Après ce trop bref tour d’horizon des courants antisémites et du biais privilégié emprunté par leurs attaques, il convient de s’interroger sur l’attitude des autorités françaises face au phénomène. LES CARENCES DES AUTORITÉS FRANÇAISES Et la France dans tout cela ? Où se trouve-t-elle au moment où les ferments de division sont à l’œuvre dans des territoires convoités de l’extérieur comme de l’intérieur ? Pour donner des éléments de réponse sur ce point, il nous semble nécessaire de replacer le cas du Maghreb dans une perspective nationale. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il faut attendre le 21 avril 1939 pour voir le gouvernement sévir contre les racistes et les menées étrangères par deux décrets-lois (dits décrets Marchandeau)52. Des perquisitions sont alors menées dans les mois qui suivent auprès des groupements français les plus extrémistes. Elles sont loin d’assainir la situation et l’on notera qu’il faut attendre le 29 août 1939 pour qu’un arrêté interdise la diffusion d’un journal aussi redoutable que le Weltdienst53. Les autorités gouvernementales se disent, certes, motivées par des questions d’ordre public et de cohésion nationale. Mais ni l’esprit des décrets-lois contre la diffamation raciale ni leur absence d’application dans les mois qui suivent ne peuvent convaincre du fait que l’État français a pris la mesure de l’essence destructrice du racisme et de l’antisémitisme pour le régime républicain. L’antiracisme ne s’impose pas au cours de l’avant-guerre comme un principe d’action apte à influencer ou à nourrir de façon significative les actes et les discours gouvernementaux. Assurément, l’antisémitisme au Maghreb pose problème aux autorités françaises, et ce particulièrement depuis les émeutes de Constantine : ses manifestations, surveillées de près, donnent lieu à de nombreux rapports, en particulier en Algérie. Constantine justement, lieu pour le moins sensible, nous offre l’exemple du positionnement équivoque de l’Administration face aux troubles. Dans un rapport de la Sûreté de ce département daté du 30 juillet 1938, le chef du service décrit l’acharnement antisémite d’Émile Morinaud depuis son échec aux élections municipales. L’appréciation qu’il porte est la suivante : « La campagne haineuse de M. Morinaud, contre les Juifs et le Front populaire, pour si dangereuse qu’elle soit, ne me paraît pas, pour le moment, destinée à obtenir beaucoup de succès. Nous aurons peut-être quelques incidents sporadiques à déplorer, mais aucun mouvement profond dans la masse54. » Qu’en déduire ? D’abord que l’auteur du rapport, qui, de par ses fonctions, n’est pas un observateur de second plan mais bien un des principaux responsables du maintien de l’ordre dans le département, est conscient de la nature pour le moins douteuse de l’activité de l’ex-maire de la ville. Il en saisit parfaitement la dangerosité. Il accepte par ailleurs l’idée que des incidents puissent éclater mais il les tient pour quantité négligeable dans la mesure où la campagne malveillante n’est pas susceptible d’avoir, d’après lui, un impact sérieux sur les masses. Tout aussi instructive est cette autre appréciation tirée du même rapport, toujours au sujet de Morinaud : « Malgré ses adjurations, malgré ses articles où le député de Constantine rappelle complaisamment les incidents d’Oujda, et les massacres palestiniens, entre Arabes et Juifs, il n’est pas arrivé à raviver chez les musulmans ces sentiments de haine constatés chez eux au moment du 5 août [date des pogromes de Constantine en 1934 (N.d.A.)]55. » La nocivité de la stratégie décrite par le rapport, en l’occurrence l’excitation de la sensibilité des indigènes musulmans, n’entraîne pas dans les faits de mesures coercitives à l’encontre de l’agitateur. Il faut dès lors s’interroger sur la place du curseur qui commanderait la réaction des autorités, voire sur l’existence réelle d’une ligne rouge. Si l’on en croit ce dernier rapport dont le constat se veut rassurant, il faudrait attendre que s’expriment des sentiments de haine aux velléités destructrices pour que l’alarme soit donnée. La formule utilisée par le rapport – « ces sentiments de haine constatés chez eux au moment du 5 août » – ne signifie pas absence de haine et d’animosité. Elle introduit en fait une gradation dans la gravité de la situation, le degré redouté par l’administration française paraissant être celui qui débouche sur un mouvement insurrectionnel animé d’une haine collective. Les dérapages graves restent donc limités mais ils n’excluent pas d’autres incidents, jugés bénins, sinon supportables, par l’Administration. La minimisation des faits revient de fait fréquemment sous la plume des fonctionnaires de police. Il y a pourtant un équilibre précaire dont témoignent assez nettement des notes de police qui font régulièrement état des risques latents, comme celle qui décrit la situation en Oranie en 1938 : sans s’engouffrer dans la campagne antisémite, les indigènes paraissent « demeurer dans l’expectative et le moindre incident entre musulmans et israélites peut être susceptible d’engendrer des troubles56 ». À Meknès, le 17 juillet 1936, des incidents éclatent lors du passage d’une nouba du 1er régiment de tirailleurs marocains. De jeunes Marocains encadrent le défilé et prennent à partie quelques israélites se trouvant sur leur passage. Une bousculade s’ensuit. À ce moment, d’après la police, « quelques indigènes auraient lancé des pierres sur les israélites et en direction de leurs habitations57 ». Sept israélites sont « légèrement blessés ». La conclusion du fonctionnaire de police est pour le moins subjective : « Il s’agit tout simplement d’un brusque contact entre israélites et musulmans qui s’est produit dans le Mellah, alors qu’une musique militaire traversait ce quartier58. » Il ajoute cependant que l’incident « aurait pu prendre des proportions plus graves, si les israélites, pris de panique, ne s’étaient réfugiés rapidement dans leurs demeures59 ». La remarque est d’autant plus lucide que les faits se sont déroulés vers 19 h 30, au commencement du Sabbat, à un moment où, comme le signale le rapport, la foule est dense dans la rue. Comme tous les dérapages qui prennent une certaine proportion, le général qui commande la région de Meknès répercute le fait auprès de la Résidence générale par lettre, le jour même, mais l’expédie en quelques lignes qu’il conclut par l’appréciation suivante : « Il s’agit donc en définitive d’un incident fortuit et banal, entre adolescents, sans lien aucun avec les événements politiques actuels60. » Autre exemple, le 4 décembre 1936, à Tunis, dans les souks et dans le quartier de la Hara, se déroule une manifestation antisémite. Vers 7 h 45, d’après la police, une trentaine d’étudiants parcourent les rues du quartier. Quelques-uns crient « À bas les Juifs ! » et « À bas le communisme ». Un peu plus tard, quelques femmes israélites sont interpellées de façon obscène. Aux yeux de l’auteur du rapport, rien ne justifie une intervention : « En résumé, ces manifestations ridicules se déroulent toujours dans les mêmes rues et les jeunes étudiants qui en sont les auteurs semblent être animés du simple désir de faire parler d’eux et de se rendre intéressants61. » L’impression fréquente qui ressort de la lecture de l’ensemble de ces rapports dont nous n’avons livré ici que quelques exemples est que l’antisémitisme, musulman ou européen, est perçu comme une donnée quasi culturelle avec laquelle il faut composer : le réprimer fermement causerait davantage de problèmes que cela n’en résoudrait. Cette position se traduit avec netteté dans l’opinion du préfet d’Oran, Louis Boujard, dans une lettre qu’il adresse au gouverneur général en juin 1938 : « Je crois volontiers que le remède que l’on entend parfois de réprimer l’agitation antisémite lorsqu’elle se traduit par des cris ou des inscriptions, serait pire que le mal lui-même62. » Il arrive, certes, que les rapports des fonctionnaires de police soient rédigés en termes peu amènes à l’égard des Juifs, voire qu’ils soient empreints de préjugés, comme a pu le noter Michel Abitbol. On constate néanmoins que des autorités locales tentent de prévenir certains émois et d’éventuelles tensions en s’efforçant de tuer dans l’œuf une propagande sulfureuse. Ainsi, une lettre reçue par la Résidence générale de Tunisie fin septembre 1938 évoquant la mise en vitrine dans la librairie italienne de Tunis, d’une revue italienne antisémite, La Razzia, comporte deux annotations dans la marge : « M. Laporte. Pouvez-vous persuader, avant que je fasse intervenir la police ? » et : « M. Maoui avez-vous fait le nécessaire63 ? » À l’été 1934, la Résidence générale de Tunisie fait connaître au ministre des Affaires étrangères une plainte de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA)64 à la suite de l’apposition, toujours à Tunis, d’affiches antisémites émanant des Francistes ; l’autorité précise que ces placards, qui ont été détruits, sont passés inaperçus et n’ont donné lieu à aucun incident. L’ajout manuscrit clôt l’affaire : « Donc, ne pas donner suite65. » Ailleurs, plus tard, on relèvera une réaction inverse comme celle des services de police de la Goulette qui, après que des inscriptions « Mort aux Juifs » et « Blum au poteau » ont été tracées sur les murs de la ville dans la nuit du 21 au 22 mars 1937, ordonnent une enquête « pour découvrir les coupables de ce délit d’excitation à la haine des races66 ». La police a fait les choses consciencieusement : les inscriptions ont été effacées, un échantillon de peinture a été prélevé et une surveillance spéciale mise en place. En revanche, le 27 décembre 1938, le juge de paix de Gafsa a « estimé que le délit d’excitation à la haine des races n’était pas suffisamment établi » quand, fait que nous avons précédemment signalé, des indigènes ont évoqué « une charogne de Juif qui ira en enfer » au passage d’un cortège funèbre67. En définitive les rapports donnent le sentiment d’une adaptation constante aux événements fondée sur une estimation des rapports de force et des enjeux du moment. Si l’ordre public demeure l’objectif ultime, les chemins pour y parvenir empruntent toutefois des voies sinueuses, passent par des compromis – quand il ne s’agit pas de compromissions – dont on attend qu’ils tempèrent les esprits et fassent retomber les tensions. Une sorte de politique du moindre mal est à l’œuvre, qui se traduit par une navigation à vue. Manquant de volontarisme, l’attitude des autorités se comprend à l’aune d’un contexte de mésentente chronique. Sans doute fautil interpréter sur un mode proche le manque de répondant devant les activités européennes puisque à l’acharnement des uns répond l’encaissement des invectives par les autres. L’absence d’une riposte musclée des victimes incite probablement les autorités à s’accommoder de la situation et à éviter la confrontation avec de larges pans de la société peu amènes à l’égard des Juifs. Les autorités paraissent avoir fait leur l’idée selon laquelle la lutte contre l’antisémitisme stimule l’antisémitisme. Leurs interventions ponctuelles ne suffisent pas à masquer un défaut de volonté à plus long terme, qui prendrait pour objectif le sauvetage de la paix sociale et « raciale » dans les territoires d’Afrique du Nord. L’abandon du projet Blum-Viollette constitue de ce point de vue un coup dur pour ceux qui pensent que l’émancipation des indigènes est un rempart crucial contre la désunion des communautés. Le plus grave nous paraît être finalement la forme de feu vert, sinon de caution, qu’octroie la faiblesse de l’intervention de l’État à ceux, nationaux, indigènes ou étrangers, qui produisent et véhiculent un discours antisémite. Les courants antisémites qui traversent le Maghreb au cours des années 1930 sont donc multiples dans leurs origines comme dans leurs expressions. La révolution antisémite mondiale que cherche à instaurer le pouvoir hitlérien ne constitue pas le principe explicatif de toutes choses mais elle ne manque pas d’inspirer consciemment ou inconsciemment les acteurs locaux les plus divers. L’action et les influences étrangères, germano-italiennes, mais aussi orientales, sont néanmoins des données majeures de la période. On notera donc l’interaction entre les différents courants, de même que l’intensification du phénomène antisémite au cours de la décennie : elle est particulièrement nette en Algérie mais n’épargne pas le Maroc et la Tunisie. La radicalisation de la vie politique française et la politique coloniale de la France y contribuent largement, tout comme les tensions internationales, parmi lesquelles la situation palestinienne pèse toujours plus lourdement. La crispation communautaire est palpable dans les rapports policiers et se traduit par des formes de psychose de part et d’autre et une atmosphère malsaine68 qui préoccupent les autorités : les sources policières mentionnent de fréquents dérapages et accrochages qui dégénèrent parfois en échauffourées. La tendance à la minimisation de ces incidents, pourtant répétés, par les divers échelons administratifs, n’incite pas à la mise en œuvre d’une politique qui aurait pour fin la stérilisation du terreau antisémite et une plus grande cohésion de la société coloniale. 3 L’Afrique du Nord dans la stratégie du Troisième Reich1 par Chantal METZGER Le chancelier Bismarck déclare, en 1881, au comte Frankenberg : « Tant que je serai chancelier du Reich, nous ne mènerons pas de politique coloniale2. » Moins de trois ans plus tard, il accepte, pour des raisons politiques et économiques, le principe d’une colonisation allemande. Et quand il quitte la chancellerie, son pays possède un Empire colonial correspondant à cinq fois sa propre superficie. Il est situé essentiellement sur le continent africain, mais aucun territoire d’Afrique du Nord n’y figure. Bismarck voulait laisser « le coq gaulois libre de gratter le sable du Sahara » car c’était un dérivatif à la perte de l’Alsace et de la Moselle. La conquête de l’Algérie par la France est ancienne, elle date de 1830. Depuis les traités du Bardo du 12 mai 1881 et de La Marsa du 8 juin 1883, la Tunisie est placée sous son protectorat et Bismarck a même félicité le gouvernement français. Seul le Maroc, encore épargné, intéresse, depuis la fin des années 1860, les hommes d’affaires allemands. L’explorateur G. Rohlfs a envisagé, dès 1882, sa conquête. Et le premier traité de commerce germano-marocain, fruit de l’initiative d’industriels, de négociants et d’armateurs allemands, est signé en 1890. Les pangermanistes et les membres de la Deutsche Kolonialgesellschaft, créée en 1887, pensent que l’envoi de colons est possible dans la partie occidentale du pays. Mais la politique de la canonnière de Guillaume II, à l’origine des deux crises marocaines de 1905 et de 1911, n’aboutit pas. Le Maroc devient protectorat français et espagnol. La vieille idée d’un Maroc occidental allemand est cependant explicitement mentionnée, en 1914, dans les buts de guerre des groupes de pression coloniaux et économiques. Pendant la Première Guerre mondiale, une importante propagande allemande se développe non seulement au Maghreb mais aussi sur le front européen, où des officiers allemands arabophones tentent de débaucher les tirailleurs musulmans. Comme ce sera le cas durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands envoient, depuis leurs bases du Maroc espagnol, des armes aux dissidents nationalistes marocains, au chef touareg Ikazkazen Khaucen dans le Sud algérien et au sultan d’Agadès, Tegama3. C’est à Berlin que se constitue, en 1916, le Comité pour l’indépendance de l’Afrique du Nord. Mais à Versailles, l’Allemagne devient un pays sans colonies. Cette perte, une humiliation de plus, relance dans le pays l’intérêt pour la question coloniale. L’Allemagne n’a plus de colonies mais, dans le cadre de leur politique révisionniste, les gouvernements de la République de Weimar ne réclament que la rétrocession de leurs colonies africaines de Mittelafrika. En Afrique du Nord, les Allemands, et notamment les hommes d’affaires, sont victimes de discriminations. Ils n’ont pas le droit de revenir dans les territoires du Maghreb même à titre privé, alors que l’établissement de relations commerciales avec ces pays pourrait compenser la perte des colonies. La France craint, à juste titre, la propagande et la concurrence allemandes. De l’arrivée au pouvoir de Hitler, le 30 janvier 1933, à l’armistice signé avec la France le 22 juin 1940, on constate une continuité de la politique allemande face aux États d’Afrique du Nord. La priorité reste la reprise des relations commerciales avec le Maroc et, dans une mesure moindre, avec les deux autres pays du Maghreb. Les services de renseignements allemands cherchent aussi à avoir des informations sur la situation politique de ces États. Mais Hitler juge dépassées les thèses wilhelminiennes. Guillaume II a échoué en essayant de mener parallèlement une politique coloniale et continentale et il ne veut pas commettre la même erreur. Il affirme dans Mein Kampf qu’il veut mettre « enfin un terme à la politique coloniale et commerciale d’avant-guerre, pour passer à une politique territoriale de l’avenir4 » qu’il situe sur le continent européen. Pour obtenir les bonnes grâces de l’Angleterre et pour s’assurer au minimum de sa neutralité, il « faut renoncer aux colonies, à la puissance navale et cesser de concurrencer l’industrie britannique ». D’ailleurs, ajoute-t-il, la force du peuple allemand « n’a pas ses fondations aux colonies mais chez lui en Europe5 ». Hitler doit cependant ménager les partisans d’une politique coloniale, et notamment les impérialistes wilhelminiens qui, à l’instar du Dr Weigelt6, l’ont rejoint. Face à leurs pressions, Hitler décide un partage des tâches. Tout en axant sa politique extérieure sur l’expansion vers l’est, il confie la propagande coloniale aux ligues et associations, qui recevront des instructions directement du gouvernement. Son ami, le général Franz Xaver Ritter von Epp, cumule les fonctions de chef du Kolonialpolitisches Amt (KPA) du NSDAP et du Reichskolonialbund (RKB), ligue qui rassemble tous les groupuscules coloniaux nés après la Grande Guerre. Hitler peut ainsi manipuler les partisans d’une action coloniale, et notamment les conservateurs, éléments moteurs de ces ligues. Seul le KPA définit, sur ordre du Führer, la politique coloniale du RKB. Or pour lui, le Lebensraum indispensable à l’Allemagne se situe à l’est du continent européen, et non en Afrique. L’acquisition de colonies est souhaitable mais non indispensable et les revendications – quand il y en a – ne portent que sur des territoires précédemment allemands ou appartenant à des puissances coloniales plus faibles que la France ou la Grande-Bretagne, comme la Belgique ou le Portugal. L’Afrique du Nord n’est donc pas concernée. C’est l’Italie qui s’y intéresse. Pourtant, en 1938, la presse allemande ne soutient pas les revendications de son allié italien. Il n’est pas question d’envenimer les relations franco-allemandes au moment où, en décembre 1938, Ribbentrop vient signer à Paris un accord avec Georges Bonnet visant à renforcer les liens commerciaux entre l’Allemagne et l’Afrique du Nord. L’amélioration des relations commerciales a été demandée au lendemain de la guerre par les hommes d’affaires, car, par l’article 141 du traité de Versailles, l’Allemagne doit renoncer à tous ses droits et prétentions – même au statut de la « porte ouverte » – au Maroc, attaché à l’acte d’Algésiras7. L’entrée de l’Allemagne à la SDN8 modifie peu la situation. Son retrait, en 1933, en revanche, a quelques conséquences : le commerce germano-marocain ne s’opère plus que de façon indirecte. Il faut camoufler les sociétés allemandes sous le nom de firmes tchécoslovaques ou suisses9. C’est notamment le cas d’une fabrique de machines et d’articles de minoterie de Hambourg qui se fait passer pour suisse alors que l’on peut voir sur le matériel livré un petit « Made in Germany10 ». La dégradation des relations est liée à la politique française de préférence impériale et à la crainte qu’ont les responsables politiques de voir revenir au Maghreb des sociétés qui, comme Mannesmann avant 1914, auraient pu les concurrencer aisément, surtout dans les protectorats du Maroc et de Tunisie. Un échange de lettres entre Paris et Berlin, le 11 mars 1935, permet aux représentants de sociétés allemandes de commerce ou de transport maritime d’obtenir un visa d’entrée et le droit de résider au maximum un an au Maroc et à Tanger. Mais ce retour des Allemands doit se réaliser par étapes successives pour ne pas nuire au prestige de la France ni ébranler la situation politique au Maroc. Les relations franco-allemandes se dégradant avec le rétablissement du service militaire, la remilitarisation de la Rhénanie et l’intervention en Espagne à partir des bases du Maroc espagnol, ces mesures seront peu appliquées. Les hommes d’affaires se plaignent à plusieurs reprises de cette discrimination au consul allemand de Tétouan, le Dr Brosch, qui les représente aussi en zone française. Ils veulent revenir dans celle-ci pour y commercer avant que les émigrants juifs allemands ne viennent leur prendre ce marché potentiel11. L’évolution politique en Allemagne et l’application des lois raciales vont amener certaines entreprises allemandes à couper leurs contacts avec leurs intermédiaires juifs. La Maison Renschhausen & Cie de Casablanca, seule société allemande installée en zone française, représente de nombreuses firmes allemandes. Elle envoie en 1936 en zone espagnole ses agents pour substituer des semi-grossistes indigènes aux négociants israélites qui ont le quasi-monopole du commerce du thé, qui traitent avec les importateurs de Casablanca et surtout qui refusent à présent de commercer avec la firme allemande. Mais de tels exemples sont rares. En général, les sociétés allemandes restent fidèles à leur clientèle israélite, car elles la jugent très efficace. En novembre 193812, le comte von Welczeck, ambassadeur d’Allemagne à Paris, demande à Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères français, l’ouverture d’un consulat en zone française et l’accès libre à Tanger13. L’ambassadeur de France en Allemagne Robert Coulondre soutient cette demande14. Cette concession, suite logique des accords Bonnet-Ribbentrop du 6 décembre 1938, aurait une signification forte, à la fois politique et économique. Les rapports commerciaux avec la Tunisie sont tout aussi délicats. L’Allemagne importe de l’huile d’olive, de l’alfa et des phosphates, qu’elle achète à la Compagnie de Gafsa ou aux Phosphates tunisiens. Les mines de fer de Djerissa, de Douaria et de Slata ainsi que les forages entrepris en vue de trouver du pétrole intéressent aussi les industriels allemands. L’Allemagne est le deuxième fournisseur de charbon du protectorat après la Grande-Bretagne15, elle exporte aussi des machines-outils, des moteurs diesel, des articles en verre et en cristal, des produits pharmaceutiques et des montres. Elle vend enfin des postes de radio, qui seront par la suite utilisés pour diffuser la propagande allemande16. Mais tous ces échanges sont inférieurs à ceux qui existent entre la Tunisie et l’Italie, premier partenaire commercial du protectorat, après la France. En Algérie, l’Allemagne s’intéresse uniquement aux mines de fer de l’Ouenza. Ce n’est que le 6 juin 1939 que l’exportation de cette matière première stratégique en Allemagne sera définitivement suspendue17. Les hommes d’affaires allemands ne peuvent pas lutter contre la préférence impériale18 et achètent peu de produits locaux. Un autre facteur explique l’échec allemand : de nombreuses sociétés algériennes appartiennent à des Juifs ou à des musulmans. Or les deux communautés sont classées dans une catégorie « raciale » inférieure. Choqués par le racisme à leur encontre, connu grâce à la contre-propagande française, les commerçants musulmans et juifs ont pu refuser de commercer avec des Allemands. Le Maghreb intéresse aussi le haut commandement militaire et les services de renseignements. Les consuls sont d’excellents agents. Celui de Tunis évoque, en 1936, les travaux d’aménagement du port de Bizerte et l’arrivée de trois nouveaux corps de troupes chargés de la défense antiaérienne et destinés à renforcer l’aviation française sur place, dans les principaux aéroports militaires de Sidi Ahmed et de Karouba19. Comme l’Allemagne a du mal à implanter ses consulats, ce sont des Vertrauenleute, camouflés en représentants de sociétés allemandes de commerce ou de transport maritime, qui les remplacent. De Tanger et du Maroc espagnol, et notamment des présides de Ceuta, Tétouan et Melilla, les services du contre-espionnage croient, par leur truchement, surveiller tout le Maghreb. En réalité, ils n’ont pas encore, en 1939, le matériel nécessaire pour vérifier les assertions de leurs honorables correspondants. Ils n’obtiennent que des renseignements de contact, souvent sujets à caution20. Les voyages de personnalités allemandes en Afrique du Nord suscitent en France de vives inquiétudes. En 1935, la visite du Kronprinz Wilhelm, trente ans après celle de son père, le Kaiser Wilhelm II, ravive les souvenirs des Marocains. L’ambassade de Madrid signale, le mois suivant, une recrudescence des voyages de personnalités allemandes en Afrique du Nord, tout particulièrement au Maroc21, où se rend aussi l’ambassadeur d’Allemagne en France, le comte von Welczeck. Pendant la guerre civile espagnole, la venue de navires de guerre allemands devant Tanger et en zone espagnole « produit une vive impression sur les indigènes y compris ceux de la zone française22 ». Le voyage effectué du 1er janvier au 15 février 1939 par un officier de l’OKW, le capitaine von Xylander en Algérie et dans le nord de la Tunisie avec l’autorisation du 2e Bureau français23 est d’une autre nature. Accompagné et surveillé par un officier français, il recueille des renseignements militaires relevant de la simple observation ou de discussions. Ils permettent de préciser, voire d’infirmer, les connaissances que l’Oberkommando der Wehrmacht a sur l’armée française d’Afrique ou sur les « fortifications côtières24 ». Le Maroc, qu’il n’a pas visité, lui semble le plus « propice à la subversion contre la France à l’issue d’une mise en condition bien menée par l’Allemagne25 ». Il conseille donc une manipulation des populations par le biais d’une propagande active, mais il sait qu’un soulèvement ne pourrait avoir lieu qu’en cas de défaite complète de la France. Cette propagande, menée par les V-Leute, honorables correspondants agissant sous une couverture commerciale26, a des effets dans les régions les plus reculées du protectorat. Elle suscite « chez les Marocains la plus vive admiration pour la grandeur et la puissance de la nouvelle Allemagne27 ». Les agents utilisent des thèmes très porteurs : notamment l’amitié indéfectible unissant Allemands et Arabes depuis la fin du XIXe siècle et la haine du Juif, leur ennemi commun. Hitler, à l’instar de Guillaume II, se proclame protecteur des populations musulmanes. Privée de colonies, l’Allemagne apparaît aux populations maghrébines comme la championne de l’anticolonialisme. Elle dénonce l’oppression coloniale de la France et ses méthodes de pacification, notamment au Maroc, lors des émeutes de Meknès, Khemisset et Fès en 193728. Si leur origine économique est évidente, les agents allemands installés au Maroc espagnol ne sont pas totalement étrangers à ces troubles. D’El Ksar29, une personnalité allemande déclare devant un vaste auditoire de chefs et de notables indigènes : « Nous sommes au courant du sort malheureux de certains de vos frères, des injustices qu’ils subissent mais la tyrannie ne saurait durer… Trois Nations peuvent, en Europe, vous venir en aide. Des promesses vous ont été faites, elles seront tenues30. » Cet argument est de poids au moment où les autorités françaises incitent le sultan à durcir sa position à l’encontre des chefs nationalistes. Ce sont les attaques contre les Juifs, le capital « judéo-ploutocrate » et la mise en exergue du conflit arabo-juif en Palestine qui séduisent le plus les populations du Maghreb. Les véritables buts du national-socialisme sont camouflés. Tous les passages concernant les Arabes et les dénigrant ont été supprimés de la version arabe de Mein Kampf, même si ses lecteurs sont rarissimes ! En 1936, le consul général d’Allemagne à Alger, Karl Richter, signale la montée de l’antisémitisme et l’hostilité grandissante des populations face au décret Crémieux du 24 octobre 1870 qui faisait des Juifs nés en Algérie des citoyens français. Cet antisémitisme atteint musulmans et Européens, il touche villes et campagnes. À Détrie, village situé à 12 km de Sidi Bel Abbès, on aurait joué le Deutschland über alles, lors d’une fête locale, en août 1936, et les colons, levant le bras à l’hitlérienne, auraient crié « Mort aux Juifs et vive Hitler31 ». Les agents allemands ne sont pas seuls à l’origine de cette vague d’antisémitisme, elle est aussi due à l’animosité née par suite du projet Violette. Pour Karl Richter, c’est le moment idéal pour intensifier la propagande. Les services de l’Auslandsorganisation et ceux du Deutsche Arbeitsfront, dirigés, en Algérie, par Czeskleba, un Allemand d’origine polonaise, s’y emploient. En Tunisie aussi éclatent de graves incidents antisémites. L’armée doit intervenir lors du pillage et de la destruction de magasins juifs à Gafsa et la presse locale, pour expliquer cette violente poussée antisémite, parle d’influences étrangères. Or, c’est essentiellement l’Italie qui fait de la propagande active et antifrançaise en Tunisie, celle de l’Allemagne est nettement plus limitée ! Journaux, brochures et tracts allemands sont facilement interceptés. C’est sur les ondes courtes que se diffusent les campagnes de dénigrement de la France. Ces émissions constituent de solides courroies de transmission du nazisme et du fascisme. Même si les indigènes possèdent peu de postes personnels, on en trouve dans les cafés et le « téléphone arabe » fonctionne très bien : « un bruit mis en circulation, à Alger, le matin parvenait simultanément le soir à Tlemcen, Souk-Ahras et Batna » par l’intermédiaire de « maquignons », de « courtiers en grains et de tous les artisans exerçant des métiers ambulants… sans oublier les maddâh (conteurs populaires)32 ». Les nouvelles se transmettent également dans le cadre des marchés hebdomadaires, des rassemblements de femmes et des bains maures. RadioStuttgart, Radio-Berlin installée à Zeesen et Radio-Tétouan émettent, dès 1934, sur ondes courtes, en langue française, en arabe littéraire, mais aussi en arabe parlé, en kabyle et en berbère. Les présentateurs, souvent d’origine arabe, promettent à leur auditoire la libération, l’émancipation et même l’indépendance ; ils affirment « que le Maroc ne retrouvera sa prospérité et sa liberté que le jour où l’occupant ou plutôt l’usurpateur français aura été bouté dehors33 ». Les fausses rumeurs se multiplient, la radio allemande parle, en 1937, d’un débarquement de 6 000 Allemands à Ceuta. L’aide militaire apportée par l’Allemagne au gouvernement de Burgos explique l’intensification de la guerre des ondes. Après la victoire franquiste, le général Noguès estime nécessaire de pratiquer une contre-propagande34 ; les émissions de Radio-Berlin qui doublent celles de Radio-Bari « sont devenues actuellement une arme de guerre redoutable pour le moral des populations indigènes35 ». Si l’impact de cette guerre des ondes est important, les contacts entretenus par les nationalistes maghrébins et la communauté musulmane de Berlin constituent un autre moyen de pression et d’action. L’émir Chekib Arslan36 préside le Club oriental, le Club arabe et l’Union pour la sauvegarde de l’islam ou Ettihad Sellemati Islam, trois associations fondées entre 1920 et 1922. Il est la figure de proue de la lutte pour l’affranchissement des peuples musulmans et s’appuie sur les adversaires de la France. Il participera à de nombreuses émissions en langue arabe de Radio-Bari37 et un de ses lieutenants, le Dr Takki ed-Din al-Hilali, répétiteur de langue arabe à l’université de Bonn et habile polémiste, devient un des speakers les plus écoutés de Radio-Berlin en Tunisie et au Maroc. Certains membres du Parti populaire algérien (PPA) vont même s’entraîner, en juin 1939, dans des camps militaires du Reich38. Et le CARNA (Comité d’action révolutionnaire nord-africain) a pour responsables Cherif Bellamine et Abderrahmane Yassine, l’un des présentateurs de Radio-Berlin. Mais l’aide allemande apportée aux nationalistes arabes est limitée et les dirigeants nord-africains qui se rendent à Berlin en 1939 pour réclamer armes et fonds n’obtiendront rien. Ces pays font partie, pour le Führer, de la zone de propagande et d’action de l’allié italien et le gouvernement allemand se contente de protestations d’amitié en lieu et place d’envoi d’armes. Dès le début de la guerre, les services allemands développent une active propagande afin de jeter le trouble parmi les populations musulmanes. Ils insistent sur le rôle joué au front par leurs compatriotes, qui « auraient remplacé les porcs et les vaches pour la détection des mines39 ». S’ajoutent aux thèmes développés précédemment par la radio allemande des appels à l’insurrection contre les puissances coloniales. Les objectifs du Troisième Reich sont donc clairs : appeler les troupes indigènes à la révolte sur le front et provoquer des troubles sur place, au Maghreb. Hitler songe-t-il à une double offensive sur le continent et outre-mer ? Tout laisse à supposer qu’il procède par étapes et la première, la conquête d’un Empire continental, lui paraît essentielle. Pendant la drôle de guerre et immédiatement après l’armistice, de nombreux plans sont élaborés dans tous les ministères. Ils insistent tous sur l’intérêt économique que revêt le continent africain pour le Grand Reich. Ces projets ont été préparés dans l’euphorie des premières victoires allemandes. Le plus ambitieux, celui de la Kriegsmarine, est le seul à réclamer des bases au Maroc, celui des milieux d’affaires reste conforme aux traditionnels centres d’intérêt de ce puissant lobby, celui de l’Auswärtiges Amt est plus réaliste et plus modéré40. Pourquoi Hitler laisse-t-il ses services perfectionner ces plans délirants alors qu’il ne prévoit aucune conquête outre-mer au départ ? S’estil laissé influencer par son entourage, par les hauts dignitaires de l’armée, par le puissant lobby colonial ou par les milieux d’affaires ? Ses déclarations, et tout particulièrement son discours du 24 février 1940, prouvent bien que seule une rétrocession des anciennes colonies afin de laver l’honneur de son pays lui semble envisageable. Pour l’Afrique du Nord, il faut tenir compte des visées italiennes en Tunisie et même en Algérie, et espagnoles au Maroc. Laisser quelques morceaux de son Empire à la France n’est pas totalement exclu. Le général Karl-Heinrich von Stülpnagel, président de la Commission allemande d’armistice (CAA), transmet, le 15 juillet 1940, au général Huntziger une note comportant de nouvelles exigences du Führer41. Hitler réclame huit bases aériennes pour la Luftwaffe au Maroc, l’utilisation sur toute sa longueur du chemin de fer Casablanca-Tunis, des postes de garde, des stations radio et météorologiques et le droit pour la Wehrmacht de se servir de l’ensemble des ports méditerranéens de la France. Les gouvernements allemand et italien entendent ainsi profiter de l’occasion – l’attaque de Mers el-Kébir – et des rares concessions faites à la France après l’attaque britannique, pour réviser leurs rapports avec le gouvernement de Vichy, non seulement sur le plan des conventions d’armistice mais aussi sur celui de la politique générale. Le maréchal Pétain, très impressionné par ce véritable ultimatum, confie le jour même à Henri du Moulin de Labarthète : « Les Allemands regrettent déjà d’avoir laissé l’Afrique du Nord en dehors de l’armistice. Ils sentent qu’ils se sont trompés. Mais nous ne céderons pas42. » Pétain, tout comme le général Weygand, est partisan de la fermeté. À l’issue du Conseil des ministres, il signifie par une lettre son refus à Hitler43. Si les Allemands prennent pied en Afrique du Nord, la France perdra tout prestige et toute autorité aux yeux des indigènes. Cette lettre n’a pas été retrouvée dans les archives allemandes saisies après-guerre. On n’en possède qu’une minute et deux copies. Le Führer apprit pourtant la fin de non-recevoir française et il n’insista pas. Cette attitude suggère que, conformément à son habitude, Hitler a lancé un ballon d’essai44. Son entourage, et notamment le haut commandement de l’armée, ne partage pas son point de vue. Un entretien, en juillet 1940, entre le général Hans Guderian et le général Franz Ritter von Epp confirmerait cette hypothèse. Guderian déclare que l’Allemagne, en occupant l’Afrique, s’assurerait les concessions minières et pétrolifères indispensables à la victoire sur l’Empire britannique. La Seekriegsleitung veut des points d’appui sur la côte atlantique de l’Afrique et l’Oberkommando der Wehrmacht veut exploiter les ressources de l’Afrique du Nord. Goering luimême souscrit à la thèse d’une Afrique travaillant dans l’intérêt d’une Europe nouvelle, placée sous la tutelle de l’Allemagne. Mais Hitler envisage-t-il véritablement l’occupation de certains territoires riverains de l’Atlantique comme le Maroc et les ports de l’Afrique-Occidentale française ? Des projets en ce sens se trouvent dans les fonds d’archives allemands. Étaient-ce de simples hypothèses de travail, des plans concrets d’action préventive, voire d’occupation définitive, de ces territoires ? L’action menée par les services de renseignements allemands dans les territoires de l’Empire et surtout en Afrique du Nord et au Levant, zone dont l’intérêt géostratégique n’est pas à démontrer, semble entrer dans le cadre de la première proposition. La propagande menée auprès des populations arabes et les rares actes de sabotage ne sont destinés qu’à nuire à l’avancée des troupes britanniques. L’action des services du contreespionnage français restreint d’ailleurs la liberté de manœuvre des agents allemands, qui sont peu efficaces vu les rivalités existant entre les différents services. Hitler impose sa ligne politique à son état-major. Il refuse donc de s’engager autrement que verbalement à l’égard des pays arabes et d’armer les nationalistes du Maghreb, avant et pendant la guerre, sans tenir compte des demandes de grands leaders comme Chekib Arslan et le grand mufti de Jérusalem, Amine el-Husseini45. Les rivages méditerranéens ne sont qu’un objectif auxiliaire de ses plans. Il ne veut ni nuire aux intérêts de l’allié italien qui considère l’Afrique du Nord comme son théâtre d’opérations, ni détériorer la position du gouvernement de Vichy dans les quelques territoires de l’Empire restés sous sa souveraineté. Hitler agit avec circonspection. Il aligne sa politique sur celle de Mussolini, qui refuse la moindre aide aux nationalistes pour éviter toute révolte dans son futur Empire colonial. L’intervention des forces allemandes sur le front sud est imposée aux Allemands par l’incapacité des Italiens à dominer les rives de la Méditerranée, elle ne répond pas à un plan établi d’avance. La guerre d’Irak et les défaites italiennes ont modifié au début de l’année 1941 la situation. L’arrivée de Rommel et de l’Afrika Korps sur le continent africain, des commissions de contrôle allemandes au Maroc et des détachements de liaison envoyés en Algérie et en Tunisie pour suppléer l’allié défaillant coïncident avec des préparatifs, en Allemagne, visant à créer un ministère des Colonies sous la direction de Franz Xaver Ritter von Epp. Vu la concomitance de ces événements, les partisans de la colonisation et les membres du futur ministère des Colonies croient avoir enfin gagné le Führer à leur cause. Sur le terrain, au Maghreb et en Afrique-Occidentale française, les hommes d’affaires allemands cherchent des réalisations concrètes. Constituer un bloc économique eurafricain46 permettrait au Troisième Reich d’affronter le bloc anglo-saxon. Des projets communs francoallemands sont élaborés, comme ceux de la Transsaharienne, ils sont contrés par les gouvernements des deux pays47. Les commerçants et industriels allemands ne réussissent pas non plus à reprendre pied sur le continent africain. Les accords Murphy-Weygand, signés à Alger le 26 février 1941, expliquent en grande partie cet échec. L’Afrique du Nord a besoin de produits importés des États-Unis, or la présence d’Allemands, fût-ce pour des motifs commerciaux, risque d’entraîner un arrêt des livraisons américaines. Même si Hemmen, le président de la section économique de la CAA, n’ignore pas les buts politiques de cet échange franco-américain : l’espionnage et la propagande, il juge les livraisons américaines en Afrique du Nord et en Afrique-Occidentale française indispensables à la fois pour des motifs militaires et d’économie de guerre48. Les interdire risque de faire basculer ces territoires dans la dissidence. Pour éviter tout trouble politique et social, difficile à réprimer, une occupation de l’Afrique du Nord n’étant pas à l’ordre du jour, l’Auswärtiges Amt et la Seekriegsleitung permettent la poursuite des navettes maritimes entre les ports américains et Casablanca49. Certaines précautions seront prises pour contrer une infiltration d’agents américains au Maroc. Les livraisons de produits essentiels pour l’économie de guerre sont soumises à une autorisation de la CAA, et seuls seront exportés vers les États-Unis les produits conciliables avec les intérêts allemands. Au moment où Rommel et l’Afrika Korps se battent en Afrique du Nord, outrepassant les accords germano-italiens du 28 juin 1940, Hitler remplace, en mars 1941, la Commission d’armistice italienne au Maroc par une Commission de contrôle allemande ; il n’a confiance ni dans les autorités françaises, ni dans l’efficacité de son allié italien. L’Afrique du Nord revêt désormais, aux yeux de Hitler, de certains membres de son entourage et surtout de ses généraux, une valeur politique et stratégique non négligeable. Ces territoires risquent d’être utilisés comme bases par l’ennemi britannique. Après l’installation de ces commissions, Hitler donne, une nouvelle fois, carte blanche au Dr Hemmen pour exploiter l’Empire. Les Allemands ne sont pas maîtres des mers et ils craignent en permanence l’entrée en guerre aux côtés des Alliés de l’ensemble des possessions africaines de la France. Des contrats sont conclus, assurant à l’Allemagne, par priorité, le bénéfice des ressources, et notamment des matières premières stratégiques des parties de l’Empire restées sous souveraineté française. Le Dr Hemmen s’intéresse tout particulièrement aux produits qui faisaient déjà l’objet de commerce avant-guerre : phosphates du Maroc, bois et métaux non ferreux d’Afrique du Nord et d’Afrique-Occidentale française. L’économie de guerre allemande en profitera réellement entre 1941 et 1942. Par ses réquisitions et ses achats, le gouvernement allemand aggrave la situation économique du Maghreb et profite, en usant du droit du vainqueur, de ses richesses. Mais, le 4 novembre 1942, les Alliés percent le dispositif italo-allemand à El-Alamein et Rommel bat en retraite ; quatre jours plus tard, les Alliés débarquent sur les côtes d’Afrique du Nord. C’est un des tournants de la guerre. Certes, fin novembre 1942, d’importants effectifs allemands se trouvent en Tunisie, mais la présence des Alliés rend difficile tout contact avec les autres pays du Maghreb et tout accès aux matières premières stratégiques. Le conseiller Rudolf Rahn50, un fin diplomate qui avait déjà fait office de syndic de faillite en Syrie en juin-juillet 1941, arrive en Tunisie. Il cherche à éviter toute exaction et à maintenir l’ordre. Les troupes de l’Axe vivent des maigres ressources du pays et emploient les habitants, volontaires ou réquisitionnés, à des tâches de défense. Il s’agit d’une véritable occupation, aux niveaux militaire et politique. La correction des forces occupantes, évoquée par Gide dans son Journal, la libération des leaders nationalistes, notamment de Habib Bourguiba, et surtout l’active propagande constituent un élément de la stratégie militaire de Hitler et de ses conseillers. Mais seules quelques centaines d’indigènes s’engageront dans la Deutsch-Arabische Lehrabteilung et le haut commandement allemand n’obtiendra jamais le recrutement de sept mille volontaires pour la Phalange africaine ; elle était pourtant ouverte à tous les Français désirant collaborer les armes à la main à la défense et à la reconquête de l’Empire. En mai 1943, la défaite en Tunisie revêt une valeur psychologique, symbolique et surtout politique, après celle de Stalingrad. Pour la Marine et pour l’ensemble de l’armée allemande, la perte de ce territoire est grave. Hitler venait à peine de prendre conscience, en mars, de l’importance de la tête de pont tunisienne. À la veille du départ des troupes allemandes, l’amiral Dönitz déclare encore à Adelchi Ricciardi, un conseiller de l’ambassade d’Italie à Berlin : « Tant qu’un soldat des forces de l’Axe se battra en Afrique du Nord, il ne faudra pas le laisser tomber51. » Pourtant, pour Hitler, la campagne de Tunisie n’est qu’un échec militaire sur un terrain secondaire. L’abandon complet de l’Afrique et le fait que la Méditerranée redevienne une mer anglaise ne l’affectent pas. Il lui reste la forteresse Europe. Le départ des troupes de l’Axe du continent africain annonce l’abandon de tous les grands projets coloniaux. Il va aussi avoir d’autres conséquences, notamment d’ordre économique. Jusqu’en mai 1943, malgré l’arrivée des troupes anglo-saxonnes en Afrique du Nord et malgré le conflit, un semblant d’activité commerciale a pu être maintenu avec le continent africain et quelques produits indispensables à l’économie de guerre du Reich parviennent par l’Italie en Allemagne. Quitter la Tunisie représente aussi une rupture complète des relations entre l’Europe allemande et l’Afrique du Nord. Après cette défaite, seuls restent sur place quelques agents chargés de se renseigner sur l’ouverture d’un deuxième front. De Tunisie, du Maroc espagnol ou de Tanger, ils surveillent le détroit de Gibraltar. En mai 1944, après la fermeture du consulat général de Tanger, on constate une légère évolution de la politique arabe de l’Allemagne. Les services de renseignements allemands, réfugiés à Tétouan et à Ceuta, envisagent de fournir des armes aux nationalistes, qui leur en demandaient depuis 1937. Mais il est trop tard. Ces promesses ne peuvent pas être tenues. Hitler n’y a jamais été favorable pour les questions d’alliance, il ne voulait pas non plus devoir la victoire de son pays, même partielle, à des peuples jugés, conformément à ses thèses raciales, « inférieurs ». Pourtant, à la fin de la guerre il regrette cette politique et accuse les « génies de la Wilhelmstrasse, des diplomates du style classique, des militaires d’ancien régime, des hobereaux52 », de l’avoir incité à jouer « la carte française contre les peuples qui subissaient le joug de la France53 ». Moqueur, le Führer rejette la faute sur les gentlemen de l’Auswärtiges Amt qui préféraient « entretenir des rapports avec des Français distingués plutôt qu’avec des révolutionnaires hirsutes, avec des officiers à badine qui ne songeaient qu’à nous flouer plutôt qu’avec les Arabes54 ». En émancipant les populations du Moyen-Orient et du Maghreb dès 1940 au lieu d’y consolider le pouvoir de la France, les Allemands auraient soulevé tout le Moyen-Orient contre les Britanniques et remporté une rapide victoire. Hitler rend aussi Mussolini responsable de l’échec de la politique arabe de l’Axe. Il « nous paralysait », déclare-t-il à Bormann, empêchant le Reich « de faire une politique révolutionnaire55 » en Afrique du Nord. La présence de l’Italie aux côtés de l’Allemagne « créait un malaise chez nos amis de l’islam, car ils voyaient en nous les complices volontaires ou non de leurs oppresseurs56 ». Haï et méprisé, Mussolini s’est ridiculisé en s’affublant du titre de « Glaive de l’islam ». Il ne fallait ni soutenir de façon inconditionnelle la politique arabe de l’Italie ni maintenir l’intégrité de l’Empire français. Hitler reconnaît donc une erreur de tactique. Sans aller jusqu’à penser, comme l’avait déclaré Colin Ross, qu’à l’Allemagne revenait « la mission d’introduire dans la nouvelle organisation de l’espace grand européen le monde musulman57 », Hitler estime qu’il aurait pu utiliser le monde musulman comme un allié de sa nouvelle Europe dans sa lutte contre la Grande-Bretagne. 4 La propagande du Troisième Reich en Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale par Martin CUEPPERS Tandis que six millions de Juifs en Europe se faisaient assassiner par les nazis et leurs collaborateurs, les communautés juives nord-africaines survécurent aux sombres années de la Shoah. La Wehrmacht arriva dans la région en 1941. Suite à cela, les autorités d’occupation allemande imposèrent aux Juifs libyens et tunisiens le travail obligatoire et commencèrent à dépouiller leurs communautés. Cependant, ni en Égypte, ni en Libye ou en Tunisie, les Allemands ne perpétrèrent des meurtres de masse. Pourquoi les mesures antisémites du Troisième Reich en Afrique du Nord différaient-elles tant de la politique meurtrière menée en Europe ? La haine des Allemands pour les Juifs en Afrique du Nord n’était certainement pas moins virulente que dans le Reich ou les autres pays occupés. L’auteur se propose ici de montrer que durant la Seconde Guerre mondiale, la propagande du Troisième Reich en Afrique du Nord visait également en grande partie les communautés juives de la région. Cela n’a rien d’étonnant puisque le national-socialisme était une idéologie profondément antisémite. En outre, en utilisant un contenu de propagande judéophobe, le Reich tenta d’introduire des préjugés antisémites auprès de la population à majorité arabe pour la rallier à sa propre cause. La thèse à formuler par ailleurs est que la propagande allemande évoque également l’élimination programmée des Juifs d’Afrique du Nord. Si cela n’a pas eu lieu, c’est parce que la guerre s’est terminée par la défaite des nazis. Dans ce contexte, il nous faut mentionner l’excellente étude de Jeffrey Herf, The Jewish Enemy. Il y décrit d’une manière très convaincante le contenu totalement irrationnel de la propagande du Troisième Reich et démontre que la guerre des nationaux-socialistes contre les Alliés a toujours été indissociable de leur guerre contre l’imaginaire conspiration juive mondiale1. Cela est vrai également pour l’Afrique du Nord. Le présent article se divise en trois. La première partie traite du développement de la propagande jusqu’à l’intervention militaire allemande en Libye, c’est-à-dire de 1939 à février 1941. La deuxième partie couvre le point culminant de la campagne allemande en Libye et en Égypte et s’étend de février 1941 à l’automne 1942, date de la défaite de la PanzerarmeeAfrika à El-Alamein. Enfin, dans la troisième partie, l’auteur analyse le développement des mesures de propagande depuis la retraite d’Égypte de Rommel et l’établissement de la tête de pont allemande en Tunisie jusqu’à la reddition des troupes allemandes en Afrique du Nord en mai 1943. Quelques précisions concernant nos sources : les tracts, prospectus et cartes postales d’Afrique du Nord se trouvent dans divers fichiers des Archives politiques du ministère des Affaires étrangères à Berlin et dans les Archives militaires de Fribourg-en-Brisgau ; ensemble, ils donnent une image assez claire de la propagande allemande en Afrique du Nord. En outre, une partie de la propagande radiophonique allemande en arabe des années 1940 et 1941 se trouve dans les Archives fédérales à Berlin. Cependant, ce qui constitue de loin le plus important recueil de propagande allemande pour le monde arabe a été découvert par Jeffrey Herf dans les Archives nationales des États-Unis à College Park. Il s’agit des enregistrements de la radiodiffusion de propagande allemande en langue arabe réalisés par Alexander C. Kirk, ambassadeur des États-Unis au Caire, de septembre 1941 à mars 1944. La première phase : de 1939 au début 1941 De 1939 au début de l’année 1941, la radio était le premier moyen de propagande du Reich dans le monde arabe. La radio allemande sur ondes courtes située à Zeesen, au sud de Berlin, était considérée à l’époque comme l’une des stations émettrices les plus puissantes. Elle commença à émettre en avril 1939 des programmes en langue arabe à destination de l’Afrique du Nord et de l’ensemble du Moyen-Orient. La division Orient de la station, qui comptait quatre-vingts employés, dont vingt traducteurs et annonceurs de langue arabe, fut bientôt considérée comme la plus importante rédaction de la radio allemande en langue étrangère2. Le contenu diffusé était soigneusement coordonné entre le Département radiopolitique du ministère des Affaires étrangères, chargé de la propagande et le Département IV du haut commandement de la Wehrmacht, responsable de la propagande à l’étranger. Dans ce domaine, le ministère de la Propagande du Reich n’avait qu’une fonction consultative3. À partir du 24 octobre 1941, la station de Berlin ajouta deux émissions quotidiennes en langue arabe en provenance de radio Athènes. Elles étaient produites sur place par l’équipe spéciale F (F pour Felmy, du nom de son commandant) de la Wehrmacht. Là aussi, des Arabes étaient impliqués directement dans l’élaboration des programmes4. Il ne reste presque aucun élément de la première phase de la propagande allemande dans le monde arabe. Il n’en est pas de même pour les sources datant de la fin 1940. En décembre de cette même année, dans ce qui était appelé « Le débat religieux hebdomadaire », le programme en arabe était consacré à une série de litanies absurdes sur l’islam. L’émission du 5 décembre traita par exemple de la piété arabe5. Deux semaines plus tard, le débat religieux hebdomadaire déclara : « Oh, servants de Dieu ! L’islam vous appelle, Mahométans, il vous ordonne même de vous conduire en frères, de faire le bien, et d’éviter le mal6. » La publication de la « déclaration d’Arabie » du Reich allemand eut lieu en décembre 1940. Elle constitue une étape politique importante. Dans la Directive no 18 du 12 novembre, Hitler avait ordonné de préparer une division blindée pour l’Afrique du Nord en raison des revers militaires de son alliée, l’Italie7. La déclaration d’Arabie du 4 décembre jette les fondements de la propagande pour l’intervention militaire allemande au Moyen-Orient, encore en suspens. Dans ce document, le Reich confirme l’« entière sympathie allemande » pour « la lutte des territoires arabes désireux d’obtenir leur indépendance »8. Les jours suivants, les annonceurs des programmes en arabe de RadioZeesen employèrent un ton bien plus extrémiste. Pour faire suite à la déclaration d’Arabie, on souligna des similarités entre l’Allemagne et le monde arabe ; les deux parties furent décrites comme des victimes des conséquences de la Première Guerre mondiale. En outre, les Allemands déclaraient ouvertement leur sympathie pour la révolte arabe en Palestine et désignaient les Juifs comme responsables de l’escalade de la violence9. Le 7 février 1941, une émission mentionna la mémoire des nombreux Arabes qui dans plusieurs secteurs avaient été tués par les prétendus opposants à l’islam. Parmi les « martyrs » – c’est ce terme qui fut utilisé –, Izz al-Din al-Qassam, honoré au nom de la Palestine. C’est ce même homme qui aujourd’hui sert d’éponyme aux groupes kamikazes terroristes du Hamas et à leurs roquettes de fabrication artisanale. L’émission disait que Dieu avait choisi ces hommes « pour lutter à l’épée contre les ennemis de l’humanité, les Juifs et leurs alliés, les Anglais10 ». Les exemples mentionnés ici témoignent pour la plupart de la transition vers la deuxième phase de l’offensive allemande en Afrique du Nord. Même si les chroniqueurs radio n’étaient pas impliqués directement dans la planification de la campagne, la publication même de la Déclaration d’Arabie indiquait clairement que la politique étrangère allemande en Orient allait passer à la vitesse supérieure, pour devenir plus active et bien plus concrète. La deuxième phase : de février 1941 à novembre 1942 Avec le débarquement de l’Afrika Korps, le corps expéditionnaire allemand en Afrique, et ses 25 000 hommes, sous le commandement du major général Erwin Rommel en février 1941 à Tripoli, en Libye, un autre moyen de communication de taille vint s’ajouter à la propagande de la radio allemande11. Des tracts et des cartes postales imprimés en quantités énormes étaient maintenant lâchés par les avions allemands au-dessus de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. La teneur de ce type de propagande était en partie déterminée sur place. Comme pour les autres théâtres de bataille, un officier de liaison du ministère des Affaires étrangères détaché auprès de la Panzerarmee-Afrika de Rommel était chargé de la coordination avec l’armée et le département de l’Information du ministère des Affaires étrangères à Berlin, responsable de la propagande avec le département de la Radio-Propagande. Cet officier de liaison – et non pas le ministère de la Propagande du Reich de Josef Goebbels – déterminait le contenu de la propagande allemande en Afrique du Nord. À partir de mai 1941, l’officier de liaison pour le commandement de Rommel était Konstantin Freiherr von Neurath, fils du dernier ministre des Affaires étrangères de la république de Weimar et premier ministre des Affaires étrangères du Troisième Reich. D’autres représentants du ministère des Affaires étrangères lui étaient subordonnés. Ce département disposait également d’un organe de propagande de la Wehrmacht. Cependant, en règle générale, les projets de textes étaient envoyés au bureau central à Berlin pour être revus et traduits12. À l’apogée de l’avance allemande, à la mi-novembre 1941, von Neurath soumit à l’avis du ministère des Affaires étrangères plusieurs propositions de tracts. Il en recommanda expressément un sur « la question raciale » qui lui semblait convenir tout particulièrement pour être distribué en Égypte13. Ce texte antisémite louait ouvertement les politiques nationales-socialistes à l’encontre des Juifs : « L’Allemagne s’est lassée de ses innombrables Juifs qui pourrissent sa chair. » Depuis 1933 cependant, le Führer avait « fait le ménage ». Le tract poursuit : « Le Juif emploie toujours des moyens détournés. C’est maintenant à votre tour, fils de la nation arabe, Égyptiens, Syriens, Irakiens ! » Dans ce qui suivait, on trouvait une explication de l’« idée raciale » et une solution était préconisée : « Elle (l’Allemagne) reconnaît que toute nation est donnée par Dieu, exception faite de la nation corrompue et parasite juive. Et elle reconnaît en particulier les valeurs ethno-nationalistes qui ont mené les nations arabes à leur grandeur. » Le document conclut catégoriquement : « Dans tous les cas, l’Allemagne rejette les mensonges juifs qui vous causent préjudice. Elle se tiendra à vos côtés dans votre lutte contre les Anglais et les Juifs, animée d’une chaleureuse sympathie et – si Dieu le veut ! – de bien plus14. » Peu après le feu vert donné à la diffusion de cet appel, une contreoffensive britannique – l’opération Croisade – mit fin pour un temps à l’avance allemande et ramena les troupes de l’Axe à leur point de départ. Dans une nouvelle offensive, en février 1942, Rommel réussit à reprendre le littoral de la Cyrénaïque orientale libyenne15. En réaction à la réussite de l’opération militaire allemande, von Neurath faisait part ce même printemps du climat de plus en plus antibritannique qui régnait en Égypte. Rommel fut acclamé à plusieurs reprises lors de manifestations de la population locale. Von Neurath recommanda d’aller dans ce sens et d’intensifier la propagande « en ratissant large16 ». Un autre rapport datant de la même période évoque « un véritable changement d’état d’esprit en Égypte ». Selon le rapport, on entendait fréquemment Heil Rommel dans les rues du Caire17. Fin mai, les troupes allemandes et italiennes déployèrent finalement une offensive décisive contre les Britanniques. Rommel réussit à percer l’importante position de Gazala début juin. La prise de Tobrouk suivit le 21 juin, puis ce fut au tour de l’invasion de l’Égypte et l’avancée de Rommel vers les lignes établies à la hâte et faiblement défendues autour de la gare d’El-Alamein, dernière étape avant Alexandrie, la capitale égyptienne, et le canal de Suez18. L’avancée de la Panzerarmee-Afrika, qui dépassa tous les espoirs, fut accompagnée d’une propagande massive de la part de l’Axe. Aux côtés des bombes allemandes et italiennes, des tonnes de tracts, de cartes de propagande et d’appels furent lancés sur l’Égypte, la Palestine et la Syrie durant ces mêmes semaines. Le 25 juin, date à laquelle les troupes allemandes traversèrent la frontière égypto-libyenne, un message de von Neurath parvint au ministère des Affaires étrangères à Berlin : Rommel demandait le « déploiement immédiat de la propagande active en Égypte19 ». Le commandant de la Panzerarmee-Afrika n’eut pas à attendre trop longtemps. À cette date, 1 100 000 tracts de propagande avaient été préparés. Ils furent immédiatement expédiés en Afrique pour être lancés sur les villes d’Égypte20. Quelques jours plus tard, von Neurath informa le ministère des Affaires étrangères que les tracts avaient bien été mis en circulation « en grandes quantités21 ». Le 12 juillet, 760 000 tracts furent envoyés. Ils comptaient 200 000 appels du mufti de Jérusalem et de Rashid Ali alGailani d’Iraq22. Un mois plus tard jour pour jour, le conseiller général du Département des informations du ministère des Affaires étrangères, Walther Wüster, fournit à ses supérieurs de nouveaux éléments pour les tracts destinés au Moyen-Orient : ces nouveaux tracts furent tirés à 1,3 million d’exemplaires23. Ce matériel comprenait également un tract destiné à l’Égypte et à la Syrie intitulé « Appel à la jeunesse arabe » visant à convaincre les jeunes Arabes de ne pas s’engager dans l’armée britannique. Le tract disait que l’Angleterre avait besoin de forces armées « afin de défendre sa politique d’occupation, de colonisation et de tyrannie sous le même étendard que les bolcheviks et les Juifs ; [l’Angleterre] cherche à vous plonger dans le carnage pour que vous saigniez à mort et sacrifiiez votre prime jeunesse24 ». En outre, plus de 100 000 exemplaires de cartes postales intitulées « Les frontières du nouveau royaume sioniste » furent lancées sur les territoires arabes. On y voyait une caricature de Chaïm Weizmann avec Churchill et Roosevelt en face d’une carte sur laquelle étaient tracées les frontières du futur État sioniste. Ces frontières englobaient l’ensemble de la Transjordanie et de la Syrie ainsi qu’une grande partie de l’Irak et de l’Arabie saoudite. Le message de ce dessin est évident : ce n’est qu’en s’alliant à l’Allemagne que les Arabes seront à même de contrecarrer l’intention britannique et américaine de remettre aux Juifs les territoires arabes25. L’attitude de Rommel est sans équivoque. À noter qu’il était tenu au courant dans les moindres détails de cette propagande et qu’il l’approuvait26. C’est pendant cette phase décisive que l’administration allemande tenta de se faire une idée de l’efficacité de la propagande. Dans un rapport au ministère des Affaires étrangères, Walter Schellenberg, le nouveau chef des renseignements étrangers (SD) à l’Office central de la sécurité du Reich, écrivit le 7 juillet que suite à l’avance de Rommel et à la prise de Marsa Matruh, on constata en Égypte des réactions très positives aux tracts de propagande allemande. Du côté des probritanniques, déclare Schellenberg, une atmosphère générale de panique s’est installée ; les Juifs et les Grecs quittent même Alexandrie27. Von Neurath indiqua à Berlin cinq jours plus tard que la propagande allemande faisait réfléchir et que les masses accueilleraient sans aucun doute à bras ouverts une invasion allemande28. Tandis que se faisait plus concrète la perspective d’une occupation allemande de l’ensemble de l’Égypte et d’une offensive sur la Palestine, la propagande allemande adopta une attitude plus radicale. Le 7 juillet 1942, au beau milieu de la première bataille d’El-Alamein, le programme en langue arabe de Radio-Zeesen lança un appel sans équivoque au MoyenOrient. L’annonceur déclara : « Il est du devoir des Égyptiens d’annihiler les Juifs et de détruire leurs biens. L’Égypte ne peut pas oublier qu’ils sont la source de tous les désastres qui se sont abattus sur les pays de l’Orient. Les Juifs ont l’intention d’étendre leur domination à tous les pays arabes, mais leur avenir dépend de la victoire britannique. C’est la raison pour laquelle ils tentent de sauver l’Angleterre de sa destinée et c’est la raison pour laquelle la Grande-Bretagne leur fournit des armes qui tuent les Arabes et sauvent l’Empire britannique. « Vous devez tuer les Juifs avant qu’ils ne vous tirent dessus. Tuez les Juifs, ce sont eux qui se sont approprié vos biens et qui complotent contre votre sécurité. Arabes de Syrie, d’Irak et de Palestine, qu’attendez-vous ? Les Juifs ont l’intention de violer vos femmes, de tuer vos enfants et de vous détruire. Selon l’islam, défendre sa propre vie est un devoir qui ne peut être accompli qu’en exterminant les Juifs. Voilà une occasion exceptionnelle de vous débarrasser de cette sale race qui a usurpé vos droits et a amené malheur et destruction sur vos pays. Tuez les Juifs, incendiez leurs biens, détruisez leurs commerces, annihilez ces supporters de l’impérialisme britannique. Votre seule chance de survie est de les exterminer avant qu’ils ne vous exterminent29. » Difficile de formuler plus clairement un appel au meurtre de masse. Aujourd’hui, nous savons qu’au même moment, des préparatifs pour de tels meurtres étaient en cours du côté allemand. Un Einsatzkommando de l’Office central de la sécurité du Reich venait juste d’être créé et deux semaines plus tard, son commandant, le SS Obersturmbannführer (lieutenant-colonel) Walther Rauff rencontrait le chef d’état-major de Rommel à Tobrouk pour discuter en détail de l’utilisation de ses troupes au Moyen-Orient. Quelques jours auparavant, la direction de la Wehrmacht avait émis un ordre à l’intention de Rommel lui annonçant l’arrivée du commando de Rauff et indiquant dans les grandes lignes quelle était sa mission. Dans un extrait clé de ce document, l’unité de Rauff était « autorisée, dans le cadre de sa mission, à entreprendre, sous sa responsabilité, des mesures exécutoires contre la population civile30 ». Cet énoncé et d’autres furent tout simplement copiés du décret négocié entre la Wehrmacht et la SS indiquant la fonction des Einsatzgruppen en Union soviétique – ce même document qui avait servi de base au meurtre de 500 000 Juifs dans les six premiers mois de la guerre en Europe de l’Est31. En fin de compte, la situation militaire en Égypte s’avéra différente de ce qu’avait anticipé la propagande allemande. Les chars de Rommel ne réussirent pas à traverser El-Alamein et les Britanniques lancèrent leur offensive fin octobre, percèrent les lignes allemandes et italiennes début novembre et obligèrent les troupes de l’Axe à battre en retraite32. Il est tout à fait probable que seul le revers militaire d’El-Alamein sauva les vies de milliers de Juifs égyptiens et palestiniens. La troisième phase : de novembre 1942 à mai 1943 Tandis que l’armée de Rommel battait en retraite en Égypte, les forces américaines et britanniques, commandées par Dwight D. Eisenhower débarquèrent sur les côtes du Maroc et en Algérie. Le lendemain, Hitler ordonna d’établir une tête de pont autour de la capitale tunisienne33. Fin novembre était déployé l’Einsatzkommando de l’Obersturmbannführer SS Rauff, qui des mois auparavant avait attendu en vain que l’on fasse appel à lui en Égypte et qu’on lui ordonne d’avancer sur la Palestine. Rauff donna l’ordre de créer des Conseils juifs dans la capitale tunisienne et dans d’autres villes. L’unité SS lança aussi des mesures radicales concernant le travail obligatoire auquel des milliers de Juifs étaient désormais astreints. Les communautés juives de Tunisie furent entièrement dépouillées de leurs ressources financières34. Outre l’application de ces mesures antisémites, Rauff recommanda début décembre l’intensification de la propagande radiophonique, notamment pour « souligner plus avant l’antagonisme entre les Arabes et les Juifs35 ». Ces recommandations furent appliquées sans tarder. La propagande, visant maintenant plus la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, était fortement antisémite. « Écoutez, oh nobles Arabes ! » – c’est ainsi que débutait un appel à la population arabe – « Libérez-vous des Anglais, des Américains et des Juifs ! Défendez vos familles, vos biens et votre foi ! À cause des Anglais et des Américains, les Juifs et leurs alliés sont les plus grands ennemis de l’existence arabe et de l’islam36 ! » Au Maroc, un texte diffusé à la radio et par tracts demandait : « Que veulent les Américains ? Ils veulent aider les Juifs. Les Américains sont les ennemis de l’Allemagne, elle veut vous débarrasser, vous et toutes les nations, du danger… Marocains ! Si vous œuvrez pour l’Amérique, vous œuvrez pour les Juifs et vous vous asservissez d’autant plus… Vous savez que vous avez des amis puissants en la personne d’Adolf Hitler et de ses soldats… Prenez les armes chaque fois que vous le pouvez. Frappez l’ennemi chaque fois que vous le pouvez. Livrez-vous au sabotage37 ! » De tels appels ne furent pas sans conséquence. Un pilote américain fut abattu au-dessus de la Tunisie. Lors de son interrogatoire, début janvier 1943, il indiqua que sa colonne de ravitaillement avait souvent trouvé des pneus lacérés et des réservoirs d’essence percés. Concernant l’attitude de la population musulmane, le prisonnier déclara que plus la guerre se poursuivait, plus les Alliés en Afrique se voyaient confrontés à l’imprévu problème arabe38. Dans leur propagande, les Allemands firent amplement usage du Coran et du symbolisme islamique. Un des textes, encadré par une Hamsa (main de Fatima), citait une sourate des saintes écritures mahométanes et poursuivait dans la même veine : « Ceux qui nourrissent la haine la plus violente contre les Fidèles sont les Juifs et les idolâtres (Sourate 5 : 85). Les Juifs et les usuriers, ils prennent ce que possèdent les Fidèles et doivent être punis pour cela. Les Américains et les Anglais qui ont envahi le Maghreb sont amis des Juifs ; Roosevelt et Churchill leur mangent dans la main. Celui qui est contre les Juifs doit aussi être contre les Américains et les Anglais39. » Par la diffusion de leur propagande, les Allemands espéraient inciter à la révolte contre les Américains et les Britanniques et comptaient, à dessein, éveiller l’antisémitisme et encourager les Arabes à attaquer la minorité juive. Les instructions allemandes pour faire circuler « des rumeurs clandestines » au Maroc disaient assez ouvertement : « L’élément juif est une étincelle supplémentaire pour déclencher les hostilités entre la population et l’occupation américaine. La population indigène doit être encouragée à [participer à des] émeutes contre les Juifs : étant donné que les Américains devront inévitablement protéger les Juifs, le conflit souhaité avec les indigènes sera ainsi obtenu. » La mise en œuvre d’une telle stratégie en termes concrets était expliquée dans le document : « Incitation à des manifestations, conflits et pogroms contre les Juifs. Appel au pillage des entreprises juives, refus de payer des intérêts et de rembourser des prêts. Réinstauration du mellah (ghetto) et port obligatoire des vêtements traditionnels juifs, etc.40. » Ces efforts portèrent leurs fruits et eurent un certain effet sur le Maghreb. Un diplomate allemand au Maroc indiqua fin novembre 1942 : « Sur la base des incidents qui se sont dernièrement répétés, les autorités d’occupation à Casablanca ont ordonné le bouclage du quartier juif, le mellah, par des moyens militaires. Cette mesure sera tout d’abord appliquée sur une période de deux semaines. Ainsi, elle devrait éviter de nouvelles émeutes contre les Juifs de la part de la population marocaine. » Il fut également rapporté que l’interdiction de port d’armes par les Américains n’était pas sans rapport avec ces émeutes antisémites41. Tout comme l’été précédent en Égypte, les Allemands ne s’arrêtèrent pas à la propagande antisémite radicale ; ils prônèrent des mesures pratiques pour que les actes fassent suite aux émissions radiophoniques et aux tracts. Outre l’établissement obligatoire des Conseils juifs, des mesures radicales pour le travail obligatoire et le dépouillement des ressources financières des communautés juives, mesures appliquées par les Einsatzkommandos, des préparatifs concrets étaient en cours pour exterminer les Juifs tunisiens de façon systématique. Après la guerre, un officier naval allemand déclara qu’il connaissait Rauff par son service dans la marine du Reich au début des années 1930. Fin 1942, il le rencontra à nouveau en Tunisie dans une commission préparatoire composée de diverses autorités d’occupation. D’après l’officier naval, cette commission était supposée organiser la déportation en masse des Juifs de Tunisie en Italie, par voie maritime42. Ajoutons que ce voyage bien préparé avait certainement pour destination des centres d’extermination en Italie, et non en Pologne. Étant donné la situation militaire précaire de la Tunisie, le manque de moyens de transport et les décisions prises par le commandement de l’armée suite à la situation sur le front, ce plan de déportation fut abandonné. Ainsi, la plupart des Juifs tunisiens survécurent à l’occupation allemande bien que la propagande du Reich ait eu d’autres objectifs et que des plans très concrets pour leur extermination en masse aient déjà été amorcés. L’offensive alliée du 31 mai eut pour conséquence la capitulation des troupes allemandes et italiennes en Tunisie. Cela signifiait la fin de la présence allemande en Afrique du Nord43. La propagande allemande dans le monde arabe se poursuivit, mais suite à cette défaite, elle n’avait plus grande signification. Résumé Dans le cadre de l’ensemble des mesures prises durant l’intervention militaire du Reich entre 1941 et 1943, la propagande antisémite occupait une place de choix. Il est possible de démontrer qu’elle fut élaborée en des termes de plus en plus radicaux et visait plus particulièrement les Juifs d’Afrique du Nord au fur et à mesure que les options militaires des nazis se faisaient plus concrètes. La diffusion de la haine des Juifs semblait être un moyen prometteur d’enthousiasmer les Arabes pour la cause allemande et ainsi, les pousser à collaborer. La propagande et les sources allemandes concernant l’Einsatzkommando SS Rauff indiquent également que l’Afrique du Nord ne constituait pas une exception dans le comportement belligérant des nationaux-socialistes. Là aussi, la propagande antisémite extrême du Troisième Reich avait des intentions des plus sérieuses et visait l’extermination des Juifs, dans le cadre de sa lutte contre les Britanniques et les Américains. 5 Le ministère des Affaires étrangères allemand et les Juifs d’Algérie de 1933 à 1936 : l’antisémitisme nazi dans le contexte colonial1 par Eli BAR-CHEN Introduction Les 4 et 5 août 1934, un pogrom eut lieu à Constantine, ville d’Algérie dont la population, principalement juive et arabe, comptait 100 000 habitants. Au cours des émeutes, vingt-trois Juifs et Juives, âgés de 4 à 60 ans, furent assassinés ; des dizaines d’autres, blessés, des magasins et maisons appartenant à des Juifs pillés et incendiés. Les Arabes déploraient quatre morts et une vingtaine de blessés2. Six mois après ce pogrom, des émeutes d’une moindre ampleur3, eu égard au nombre des victimes et aux dégâts physiques, éclatèrent également à Sétif, dans le département de Constantine. Contrairement à cette ville à majorité juive et arabe comptant relativement peu de colons français, une grande communauté française vivait à Sétif. Cependant la violence de la foule arabe était dirigée contre les Juifs. Ce n’était pas la première fois depuis la conquête de l’Algérie par la France en 1830 que les Juifs étaient victimes d’émeutes. Lors du soulèvement arabe contre les Français en 1871, les Arabes s’en prirent aux Juifs, tandis que pendant l’affaire Dreyfus, ce furent les colons français qui les attaquèrent. Pourtant, les émeutes de Constantine et de Sétif marquaient la première confrontation d’importance entre Juifs et Arabes depuis la prise du pouvoir par Hitler. L’importance spéciale accordée par le régime nazi à la « question juive » amena les diplomates du ministère des Affaires étrangères allemand en Algérie à être particulièrement attentifs à la situation des Juifs de ce pays, avant même que ces pogroms n’eussent lieu. Toutefois, ces derniers augmentèrent encore l’intérêt pour l’analyse de la condition des Juifs dans la colonie française. D’autre part, après les pogroms, les fonctionnaires allemands étudièrent la question juive dans un contexte plus vaste. Le sujet était traité comme faisant intégralement partie de la question du statut civil des indigènes arabes, préoccupation devenue essentielle dans la documentation du ministère des Affaires étrangères allemand. En conséquence, tout document traitant de ce sujet, même s’il ne s’intéressait pas spécifiquement aux Juifs, contribue indirectement à la compréhension de leur situation. La riche correspondance entre le consulat général d’Allemagne en Algérie, Berlin et l’ambassade d’Allemagne à Paris ainsi que les échanges de courrier entre le ministère des Affaires étrangères et d’autres ministères – tels ceux de la Propagande et de l’Économie – au sujet de l’Algérie permettent de bien retracer l’élaboration de la politique du Troisième Reich envers les Juifs d’Algérie, depuis ses débuts au pouvoir en 1933 jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et la fermeture des légations allemandes en France et en Algérie4. Cet article, utilisant la documentation conservée dans les archives du ministère des Affaires étrangères à Berlin, tente de retracer la politique officielle de l’Allemagne nazie envers les Juifs d’Algérie durant ces années. Il démontre comment le contexte colonial a pu influencer la politique allemande envers les Juifs de la colonie française, à travers trois périodes différentes. La première va de la montée au pouvoir des nazis le 30 janvier 1933 jusqu’aux émeutes de Constantine. À cette époque, l’analyse des relations entre Juifs, Arabes et colons français amena le ministère des Affaires étrangères à adopter une attitude passive envers les Juifs et à éviter la diffusion de la propagande nazie et le soutien direct de facteurs antisémites en Algérie. En effet, l’attitude des Arabes et des Français envers les Juifs étant fondamentalement antisémite, elle n’avait nullement besoin d’encouragements ou de soutien allemands. La deuxième période débute pendant les émeutes de Constantine et prend fin vers le milieu de l’année 1936. Pendant cet intervalle, et en conséquence immédiate des émeutes de Constantine, la « question juive » en Algérie fit l’objet d’un nouvel examen, suite auquel elle tint lieu d’indicateur et de symptôme de l’ensemble des tensions agitant les différents groupes ethniques d’Algérie, opposant principalement les institutions et les colons français aux indigènes musulmans et au mouvement national arabe. Les émeutes de Constantine firent donc de la question juive le reflet des relations coloniales en Algérie et inversement : les relations coloniales reflétaient la situation des Juifs. Durant cette période, les Français rejetèrent sur l’ingérence de l’Allemagne dans les affaires françaises internes la responsabilité du déferlement des émeutes de Constantine. Le présent article tentera de démontrer comment ces accusations amenèrent le ministre des Affaires étrangères allemand à adopter une attitude des plus prudentes en ce qui concerne la diffusion de la propagande antisémite ou le soutien de facteurs pronazis – arabes ou français – en Algérie : politique déjà de mise avant les événements de Constantine mais plus rigoureusement respectée après eux. La troisième période commence à la seconde moitié de l’année 1936 pour prendre fin à la veille de la Seconde Guerre mondiale. C’est là que l’on pourra constater l’influence croissante de l’idéologie nazie sur l’analyse de la situation des Juifs en Algérie et la disparition de l’ordre récurrent du ministère des Affaires étrangères allemand d’éviter la propagande nazie ou les relations avec des facteurs proallemands au sein de la colonie française. La fin de l’article tente d’expliquer les évolutions de l’attitude envers les Juifs d’Algérie en étudiant des mutations de personnel au sein du corps diplomatique allemand en Algérie et en examinant l’attitude envers les Juifs de ce pays dans le contexte de la politique des affaires étrangères allemandes au Maroc, placé sous protectorat français. La politique envers les Juifs d’Algérie depuis la montée du nazisme au pouvoir jusqu’à la période précédant les événements de Constantine La première étude approfondie de la question juive en Algérie ne fut pas une initiative du consulat général d’Allemagne dans ce pays mais plutôt du ministère de la Propagande allemand qui tenta de diffuser de la propagande antisémite dans le monde par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères allemand. Le 9 août 1933, le ministère de la Propagande envoyait au ministère des Affaires étrangères un manuel de propagande intitulé : « La lutte de l’Allemagne pour la culture occidentale5 » (Deutschlands Kampf für die abendländische Kultur). Ce manuel antisémite nazi mentionnait notamment l’influence néfaste des Juifs sur la morale et l’esprit. Les Juifs y étaient associés au communisme et présentés comme des exploitants capitalistes. Les statistiques et éléments visuels qui s’ajoutaient au manuel étaient censés confirmer « objectivement » les arguments exposés. Dans la lettre jointe à la publication, le ministère de la Propagande se vantait de ce que « le manuel serait à présent publié en centaines de milliers d’exemplaires et, de fait, dans toutes les langues6 », et priait ses collègues du ministère des Affaires étrangères d’indiquer le nombre et les langues des exemplaires à envoyer aux légations allemandes7. À la suite de cette demande, le ministère des Affaires étrangères envoya le 25 août à toutes ses légations une copie du manuel, décrit comme une « explication sur la question juive et [une] défense contre la diffamation juive8 ». Les légations étaient priées d’indiquer le nombre d’exemplaires qui leur étaient nécessaires, les langues dans lesquelles le manuel serait diffusé dans les différents pays et, surtout, les organes allemands devaient se prononcer sur les conséquences positives ou négatives sur les intérêts allemands que pourrait avoir la diffusion du manuel9. La plupart des délégations allemandes formulèrent un avis positif sur le manuel de propagande, indiquèrent le nombre d’exemplaires et les langues désirés et expliquèrent brièvement comment les idées du manuel serviraient l’intérêt de l’Allemagne10. Certaines légations, notamment en Union soviétique, émirent des réserves sur la diffusion du manuel qui établissait un lien entre Juifs et communistes11. D’autres légations se montrèrent réticentes, pour des raisons totalement différentes : antisémitisme et sympathies pour l’Allemagne régnaient déjà dans le pays hôte de la légation et la diffusion du manuel risquait d’entraîner une contre-réaction juive peu souhaitable12. Il est important de mentionner que parmi toutes les réponses adressées au ministère des Affaires étrangères, celle du consulat général d’Allemagne en Algérie, datée du 27 octobre 1933, était la plus longue et la plus détaillée, et constitue en fait le premier rapport détaillé sur la situation des Juifs en Algérie rédigé après l’avènement de Hitler au pouvoir13. Le consulat émettait des réserves claires quant à toute diffusion de propagande nazie ; l’argumentation était fondée sur l’analyse des relations entre les divers groupes ethniques – Juifs, Arabes et colons français – entre eux et avec la métropole. Le consulat commençait son rapport par un avertissement sous-entendu en précisant que « l’examen de la question juive et de la défense contre la diffamation juive en Algérie est une mission particulièrement délicate14 ». Tout de suite après cette mise en garde, les auteurs du rapport exposaient l’histoire des Juifs en Algérie en mentionnant qu’ils y vivaient depuis au moins le premier siècle de l’ère chrétienne. Depuis la conquête arabe, les Juifs vivaient dans des conditions précaires et étaient l’objet de mépris et de haine de la part des musulmans. La conquête française, continuait le rapport, apporta un certain soulagement, sans créer de changement fondamental dans les conditions de vie des Juifs. Le décret Crémieux, édicté en 1870 par le ministre de l’Intérieur de la Troisième République, Adolphe Crémieux, également président de l’Alliance israélite universelle, accordant d’emblée aux Juifs algériens la nationalité française, était décrit comme marquant un tournant décisif dans la condition juive. Peu de temps après sa publication, les Juifs mesurèrent la nature de l’opportunité qui se présentait à eux avec la nationalité française. Ils changèrent leurs coutumes vestimentaires, apprirent le français, sans oublier l’arabe, comprirent la signification du droit de vote et commencèrent à jouer de leur influence auprès du Parlement français – « le Juif […], si l’on peut dire, s’était vu s’élever en l’espace d’une nuit d’un groupe marginal de parias persécutés et méprisés au rang de facteur presque prépondérant sur les plans politique et économique15 ». « Les conséquences de cette ascension imprudente et effrénée étaient inévitables16 », ajoutait le consulat. La population indigène arabe, qui jusqu’au décret Crémieux faisait preuve de haine et de mépris vis-à-vis des Juifs, voyait dans leur sortie du ghetto une offense personnelle qui ne faisait qu’aiguiser leur sentiment d’impuissance. Les auteurs du rapport ajoutaient que le décret Crémieux avait été l’un des motifs du soulèvement arabe contre la France, en 1871. Ce décret avait eu des implications importantes également sur les relations des Juifs avec les colons français. Ces derniers ayant compris que l’octroi de la nationalité française positionnait les Juifs en tant que rivaux tenaces. La montée de l’antisémitisme en Algérie – à laquelle prirent part les Arabes indigènes – et les émeutes des colons français contre les Juifs, à la fin du XIXe siècle avaient eu lieu en réaction au décret Crémieux, et bien que dissipés, leurs motifs, dont les Juifs étaient conscients, continuaient d’exister. Sachant que les modifications des conditions extérieures étaient susceptibles d’éveiller à tout moment une nouvelle vague de violence contre eux, ils avaient décidé d’éviter de traiter la question juive en public. C’est aussi ce qui les avait incités à éviter autant que possible la provocation contre l’Allemagne. En ce qui concernait les Juifs d’Algérie, et non le Consistoire de Paris, précisait le consulat général d’Allemagne, ils préféraient s’abstenir d’une action antiallemande, connaissant la haine ancestrale animant la population locale ainsi que l’antisémitisme des colons français. Le consulat général tirait ses conclusions quant à la diffusion de propagande antisémite en Algérie et aux mesures à prendre pour éviter les incitations juives à l’égard de l’Allemagne, de l’analyse des relations entre les différents groupes ethniques. Il mentionnait qu’étant donné que les Juifs se gardaient d’attiser ouvertement les passions contre l’Allemagne, il n’y avait pas d’urgence à mettre en œuvre des mesures de prévention. D’autre part, le consulat mettait en garde : une propagande antisémite diffusée ouvertement – notamment par l’intermédiaire du manuel La Lutte de l’Allemagne pour la culture occidentale – pourrait favoriser dans certains milieux français le soutien des Juifs. Non pas à cause de l’affection qui leur serait vouée mais plutôt par crainte de l’Allemagne. Le consulat préconisait la diffusion « individuelle17 » et recommandait de laisser agir la haine locale à l’égard des Juifs, déjà existante en Algérie. En conséquence de son analyse de la situation des Juifs en Algérie et contrairement à la majorité absolue des légations allemandes dans le monde, le consulat général d’Allemagne en Algérie ne demanda à recevoir aucune copie du manuel. Rien dans le recueil de documents concernant la diffusion du manuel ne dévoile que le ministère des Affaires étrangères aurait décidé d’adopter l’attitude de son délégué en Algérie. Mais la liste du nombre d’exemplaires diffusés dans le monde laisse entendre que Berlin accepta la position des diplomates allemands en Algérie et se garda d’imposer la diffusion d’une propagande que ces derniers jugeaient néfaste aux intérêts allemands. Des tableaux mentionnant le nombre et la langue des exemplaires envoyés à chaque légation furent joints au dossier de correspondance concernant la diffusion du manuel. Aucun de ces tableaux ne mentionne le consulat général d’Allemagne en Algérie, claire indication que cette propagande nazie ne parvint pas par l’intermédiaire du réseau allemand à la colonie française18. Un autre rapport rédigé par le consulat, portant sur « Le mouvement national chez les indigènes en Algérie19 », renforce cette hypothèse. Ce rapport, réalisé en réponse à un article publié dans l’édition du soir du Journal de Cologne (Die Kölnische Zeitung) du 23 juin intitulé : « L’Algérie s’agite » (Algerien wird unruhig) soulignait dans son sous-titre, « L’éveil du mouvement national chez les indigènes » (Anwachen der nationalen Bewegung unter den Eingeborenen), que l’évolution du mouvement national algérien était un facteur essentiel de perturbation de la stabilité de la colonie française. Dans sa réponse, le consulat abordait la situation des Juifs, entre autres sujets. Un mois environ avant le déferlement du pogrom de Constantine, les représentants allemands avaient signalé l’existence de tensions et d’agitation entre les populations juive et arabe de la ville. Comme motif de détérioration des relations entre les deux ethnies, le consulat citait des journaux arrivés d’Égypte contenant des photos d’Allemagne. Les auteurs du rapport ne mentionnent pas l’implication du consulat ou de toute autre institution allemande officielle dans la diffusion de ces journaux. Ils ne font pas davantage état d’une activité de propagande allemande en Algérie. Au contraire, les autres motifs de l’hostilité grandissante à l’égard des Juifs, telle que décrite dans le rapport sur le nationalisme arabe, démontrent que l’analyse de la situation des Juifs en Algérie n’avait pas changé au cours des huit mois écoulés entre le premier rapport sur la question juive, datant du 27 octobre 1933, et celui du 28 juin 1934. La partie du rapport consacrée à la tension à Constantine avant le pogrom du 5 août n’accordait pas une grande importance à la cause nationaliste. Cette position caractérise également l’ensemble du rapport dans les parties qui n’abordent pas la question juive. Le rapport décrit à deux reprises le « mécanisme » régissant l’attitude envers les Juifs d’Algérie. Il suppose une hostilité fondamentale des Arabes envers les Juifs, expliquée par une haine ancrée dans la tradition et par leur changement de statut dû à la conquête française, et non résultant de la recrudescence du mouvement nationaliste algérien. Toute tentative juive d’inscrire la question juive à l’ordre du jour public – telle que la mobilisation des Juifs d’Algérie pour les Juifs d’Allemagne et la campagne expliquant les dangers du régime nazi – prend dans le cadre de cette hostilité fondamentale l’allure d’une provocation justifiant une offensive arabe contre les Juifs. L’antisémitisme des colons était également perçu comme une constante des relations au sein de la colonie. À cet égard, le consulat ne considérait pas les hostilités arabes envers les Juifs comme une mesure antifrançaise, mais plutôt comme un acte alliant les Arabes aux Français. Ainsi, le consulat mentionnait l’accueil favorable de la propagande nazie par les Arabes, en réaction automatique à la diffamation de l’Allemagne par les Juifs : « La diffamation de l’Allemagne par les Juifs ne pouvait en aucun cas rester sans réponse : l’indigène perçoit toute accusation (à l’encontre des Juifs) avec une grande satisfaction interne20. » Le rapport exprime également son « étonnement quant au fait qu’à l’exception d’événements tels que ceux de Constantine envers la majorité établie des Juifs de sa population, aucune autre émeute d’indigènes n’avait été signalée21 », indiquant que « de nombreux cercles de la population française étaient unis (dans leur haine des Juifs) aux indigènes et ne les auraient certainement pas freinés (dans leur agression des Juifs)22 ». Au début de son rapport, le consulat décrivait comment les Arabes s’étaient organisés pour boycotter une usine de cigarettes française. Il est étonnant dans ce cas de constater le peu d’importance qu’accordait le consulat au mouvement nationaliste en Algérie. Le boycott qui avait causé des dommages importants à l’usine n’était pas interprété dans le cadre de la lutte arabe contre le pouvoir français, mais plutôt comme une réaction arabe aux provocations juives contre l’Allemagne, trouvant ses origines dans « le vieil antisémitisme algérien23 ». Le rapport laissait entendre que les Arabes avaient adopté comme modèle les modes de comportement réactifs juifs, faisant apparemment allusion à leurs appels à la lutte contre le boycott antijuif en Allemagne et à l’organisation du boycott des marchandises allemandes en Afrique du Nord. En réaction à des rumeurs, que le consulat définissait comme « pure invention24 », selon lesquelles l’usine aurait licencié des employés arabes pour embaucher des réfugiés juifs d’Allemagne, les Arabes décidèrent de s’abstenir de fumer des cigarettes fabriquées dans l’usine française. Après les émeutes de Constantine, l’analyse de la situation des Juifs d’Algérie par les diplomates allemands fut entièrement revisitée. Les pogroms dévoilaient clairement le lien entre la situation des Juifs et le nationalisme algérien qui occupait une place d’honneur dans la correspondance du consulat général d’Allemagne en Algérie et son ministère des Affaires étrangères. Les sources allemandes rapportant les émeutes et analysant leur signification quand le calme fut revenu laissent la place à un paradigme nouveau dans la compréhension de la question juive. En d’autres termes : les événements de Constantine constituèrent un tournant dans la politique étrangère de l’Allemagne en Algérie. Nouveau modèle de l’analyse de la question juive en Algérie après les émeutes de Constantine Moins d’une semaine après le pogrom des Juifs de Constantine, le consulat général d’Allemagne en Algérie rédigeait un compte rendu détaillé de huit pages divisé en quatre sections25. Ses premières lignes laissent déjà entendre que les diplomates allemands considéraient que les émeutes dépassaient largement la question des relations entre Juifs et Arabes : « Les émeutes qui ont eu lieu la semaine dernière à Constantine, capitale de l’Est algérien dont la population s’élève à 100 000 habitants, comportent une signification symptomatique plus lourde que celle que la censure des fonctionnaires (français) ont bien voulu lui accorder26. » Toutefois, les auteurs du rapport précisent que la confusion engendrée par les rumeurs et la diffusion d’informations tendancieuses rendaient difficile la compréhension de la signification politique des événements avant la fin de l’enquête officielle. La première section du rapport – les faits – décrit la structure de la population de Constantine et fait état d’une majorité démographique arabe au sein de laquelle vit une minorité juive occupant des fonctions clés dans la vie économique ainsi que d’une présence française insignifiante. D’autre part, le rapport remarque qu’en ville, le nationalisme arabe est un mouvement particulièrement développé. Jusqu’aux émeutes de Constantine, le consulat d’Allemagne n’accordait pas une importance fondamentale à ce fait dans le contexte des relations en Algérie. Après avoir exposé le motif direct du déclenchement des émeutes – offense faite par un soldat juif à un groupe de fidèles musulmans lors de la prière du jeudi –, on mentionne le fait que les émeutiers ne s’en sont pas pris aux Français. La section suivante traite des mesures prises par les autorités au cours du pogrom. Le rapport mentionne l’impuissance des autorités françaises qui, pour calmer les esprits, avaient donné ordre aux forces de sécurité de ne pas intervenir violemment. Les deux blindés dont les forces de Constantine disposaient et qui auraient suffi à rapidement ramener l’ordre n’avaient pas été utilisés. C’est ainsi que ceux qui étaient chargés de la sécurité observèrent le massacre des Juifs sans lever le petit doigt. Le consulat sous-entend que la raison de ce comportement provenait de la composition ethnique des forces de sécurité françaises à Constantine, représentatives de la structure démographique de l’Algérie. Armée et police confondues, elles étaient composées en majeure partie d’Arabes et de Juifs. Craignant que des soldats ou agents de police arabes n’aient à tirer sur des coreligionnaires, le commandement français s’opposa dès le début des émeutes à l’emploi de la force. La troisième section résume brièvement l’explication française officielle des émeutes. Les émeutes étaient de caractère local, ne s’étendant pas au-delà de Constantine. Les motifs avancés étaient la « bêtise » du soldat juif et la réaction fanatico-religieuse des musulmans. La section précisait que les émeutes n’étaient pas dirigées contre les Français. De plus, il était souligné que certains avis français établissaient un lien entre les émeutes et une intervention allemande extérieure, attitude qui, comme nous le verrons plus loin, influença grandement la politique allemande en Algérie. « On ne peut pas dire que cette description officielle ait convaincu la population algérienne. Les émeutes avaient été trop graves27. » C’est dans ces termes que le consulat exprimait ses doutes quant aux explications fournies par la France avant d’exposer aux supérieurs de Berlin, dans une quatrième section, « les profonds (motifs) souterrains » des émeutes. Cette partie du compte rendu en dit long sur l’analyse de la question juive en Algérie par les diplomates allemands. L’explication des émeutes revient sur l’impact du décret Crémieux sur l’évolution des relations entre Juifs et Arabes et sur l’hostilité croissante de ces derniers à l’égard de la communauté juive. Tandis que quelques mois avant les émeutes de Constantine, le décret Crémieux occupait une place centrale dans l’analyse de l’attitude envers les Juifs d’Algérie, après cellesci, les diplomates allemands avertissaient « qu’il ne fallait surtout pas ignorer les raisons plus profondes. En attaquant les Juifs, les musulmans voulaient certainement s’en prendre aux Français bien qu’ils comptassent sur le soutien silencieux de certains Français d’Algérie, pas seulement de la ville de Constantine, parmi lesquels régnait un antisémitisme notoire28 ». Parmi les raisons profondes de l’hostilité arabe à l’égard des Français, le consulat citait l’assurance grandissante qu’avaient acquise les Arabes après la Première Guerre mondiale. L’éducation française, les études en France, l’intégration d’Arabes dans les rangs des forces de sécurité et la satisfaction des revendications salariales des employés n’avaient pas débouché, comme l’avaient espéré les Français, sur l’assimilation des Arabes dans la culture française. Bien au contraire. Toutes ces mesures avaient contribué à approfondir la différence entre eux et les occupants français – différence amplifiée notamment par la montée en puissance du nationalisme dans d’autres pays arabes – et avaient encouragé une vague de nouvelles revendications. Dans les périodes de crise économique telles que celle qui frappait l’Algérie au début des années 1930, affectant particulièrement la région de Constantine, cela engendra un déferlement de violence dont les Juifs furent victimes, bien qu’il visât principalement les Français. La sympathie des Arabes à l’égard des Allemands fut également interprétée dans ce sens. Elle provenait du fait que le Troisième Reich était perçu comme l’ennemi des Français et par là, proche des aspirations des Arabes de la colonie française. Ainsi, les émeutes de Constantine conduisirent la diplomatie allemande à procéder à une nouvelle évaluation de la situation des Juifs en Algérie. On ne considérait plus leur attitude comme découlant de la traditionnelle haine arabe, comme une conséquence du décret Crémieux ou de l’antisémitisme français. Ces facteurs étaient définis comme marginaux dans le cadre d’un conflit beaucoup plus large opposant la France et la population arabe et dans lequel intervenaient « en bloc des questions d’ordre économique, social et politique29 ». Le pogrom du 5 août fit de la question juive l’indicateur des relations au sein de la colonie française et vice versa : l’ensemble des relations en Algérie se reflétaient dans la situation des Juifs. Cette perception des choses apparaît explicitement dans le rapport du consulat général du 30 août 1934, adressé au ministère des Affaires étrangères30. Cette étude de la question juive dépasse les rapports précédents envoyés d’Alger à Berlin, sur le plan du volume et des détails. Le rapport revient sur la description des relations traditionnelles entre Juifs et Arabes et sur le poids du décret Crémieux. Mais il ajoute entre autres des informations sur le développement démographique de la communauté juive en Algérie, le taux de mariages mixtes après le décret Crémieux, la part des Juifs dans l’économie du pays ou le refus des Français d’étendre le décret Crémieux au Maroc et à la Tunisie. L’étude rappelle l’antisémitisme français et décrit les différents mouvements antisémites. Là aussi, comme dans le rapport du 11 août, la question juive est examinée dans la perspective élargie des relations dans la colonie – comme en témoigne son titre « Le problème Juif algérien dans le cadre de la politique colonialiste française ». Cette approche est clairement indiquée dès l’introduction, qui d’emblée fait état de la particularité du pogrom du 5 août : « Avec les émeutes de Constantine, la question juive en Algérie prend une véritable dimension politique. Les déclarations communes de sympathie et solidarité émanant de Juifs et d’Arabes dans plusieurs régions du pays témoignent de l’importance qu’accordent les leaders de certains milieux à cette source de danger. Les appels au soutien de la France lancés par certains insurgés arabes ne trompent pas les milieux dominant l’opinion quant à la signification lourde de sens de la colère grondante de la foule arabe. […] Ainsi, la question juive se pose (pour les Français) en baromètre du prestige de la France aux yeux des indigènes. D’autre part, on ne peut ignorer l’antisémitisme de la population française, même s’il existe surtout sous une forme dissimulée et retenue31. » Les diplomates allemands en Algérie avaient entièrement cerné la dynamique des relations triangulaires ArabesJuifs-Français et toute la gravité du fait que l’attitude des Arabes envers les Juifs était l’indication, le baromètre de leur opposition au gouvernement français. Ils décrivent comme trompeuse la confiance affichée par des hommes politiques juifs socialistes et marxistes : « s’ils croient sérieusement que le judaïsme ne sera pas la première victime de l’insurrection arabe32… » et exposent clairement à leurs supérieurs berlinois l’équation suivante : « Tout soulèvement arabe contre la France impliquera toujours nécessairement une atteinte aux Juifs. » La nouvelle approche à l’égard de la question juive en Algérie n’était pas un phénomène éphémère appelé à se dissiper une fois le calme revenu à Constantine, mais un mode de pensée nouveau qui devait s’ancrer dans les rangs de la diplomatie allemande. Le rapport politique annuel sur l’Algérie pour 1934 faisait état des émeutes de Constantine dont les résultats « sont et ont été impressionnants ». Mais l’explication de l’origine des événements ne mentionne pas l’antisémitisme arabe traditionnel ou le décret Crémieux. Les émeutes sont décrites comme « une réussite arabe face aux Juifs et en fin de compte face aux Français. L’échec des institutions françaises a eu un effet psychologique notoire et a entamé l’image de marque de la France33 ». Cette attitude nouvelle se refléta dans la description des faits ainsi que dans l’interprétation d’une nouvelle vague de violences et du déroulement de certains événements jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Six mois environ après les émeutes de Constantine, le 1er février 1935, des émeutes sanglantes agitèrent Sétif. Elles firent l’objet d’un rapport détaillé que le consulat d’Allemagne envoya à Berlin quatre jours plus tard34. Le rapport débute par la cause directe de cette vague de violence, non liée aux Juifs. Lors d’un affrontement, un policier français tire sur un zouave ivre, engagé dans les forces de sécurité algériennes. Civils et militaires arabes déchaînés poursuivent le policier jusqu’au commissariat, où ils le lynchent et blessent ses collègues. Dès son début, le rapport souligne l’origine ethnique du policier (français), qui a tiré une balle sur un soldat ivre (arabe) et de la foule de civils et militaires arabes qui s’en prennent à l’un des symboles les plus évidents du pouvoir français (le commissariat). D’emblée cette présentation des faits indique que les motifs des émeutes dépassent largement un simple affrontement entre un représentant de la loi et un délinquant et se rapportent au conflit, de caractère national et communautaire, avec les autorités. Les Arabes donnent à cette occasion libre cours à leur colère envers les policiers mais également remettent en question la légitimité des représentants de l’ordre français. Après la description de l’attaque du commissariat, le compte rendu évoque une rumeur rapportant que le policier était juif. Cela entraîna les émeutiers à s’en prendre à la communauté juive en attaquant des passants ou en pillant des commerces juifs. Si au début la police fit preuve d’impuissance, elle parvint en fin de journée à ramener l’ordre avec l’aide de militaires français. Le décompte des victimes – sur ce point, le rapport se fonde sur le journal français La Dépêche algérienne et non sur les rumeurs qui faisaient état de chiffres plus élevés – se monte à deux morts, cinq blessés, dont trois policiers, cinq commerces et un appartement saccagés. La description de l’agression des Juifs situe celle-ci comme s’inscrivant dans le cadre de l’insurrection arabe contre le pouvoir français. Contrairement aux rapports allemands concernant les émeutes de Constantine, l’antisémitisme traditionnel ou le changement de statut des Juifs suite au décret Crémieux ne sont pas mentionnés comme une explication plausible des attaques. En revanche, le rapport précise que ce sont des soldats « français » qui ont protégé les Juifs, et non pas des soldats « tout court », parmi lesquels auraient pu se trouver des musulmans. Indirectement, le document établit un rapport clair entre l’insurrection arabe contre les Français et l’attaque des Juifs, entre la protection des Juifs assurée par les autorités françaises et la protection du pouvoir français face aux Arabes le remettant en question. Cette relation est immédiatement confirmée par la suite du rapport, qui souligne l’inquiétude régnant dans les milieux français et mentionne : « Sétif est tout de même une des villes principales de la région de Constantine avec 37 000 habitants, dont 9 000 Européens, siège d’un commandement de brigade et d’un aéroport […]. L’inquiétude (des Français) provient surtout du fait que plus de 300 soldats (arabes) collaborèrent avec les émeutiers et qu’une patrouille passa dans l’autre camp pour participer, avec renfort d’armes, à l’attaque du commissariat en s’opposant à toute tentative de négociation35. » Les doutes des Français quant à la loyauté des zouaves arabes s’expriment à travers l’exigence formulée par le maire de Sétif (Morinaud) et par certains militaires de remplacer les soldats arabes, recrutés en Afrique noire par des forces françaises. La violence à Sétif, bien que dirigée contre les Juifs, créa un climat d’inquiétude au sein de la population française. Le consulat mentionne « l’antisémitisme de la population européenne de Sétif », mais l’agression des Juifs – « plus d’un tiers de la population (européenne) – fut interprétée par les Français comme dirigée principalement contre euxmêmes. Les joyeuses réactions à l’annonce de centaines de victimes arabes expriment fondamentalement les sentiments de la population française en Algérie36 ». La description de la réaction des autorités françaises, qui, face aux attaques des Juifs, s’étaient vues dans la nécessité de s’engager dans une nouvelle voie sur la question des indigènes arabes37, reflète la volonté des diplomates allemands d’atténuer la distinction entre attaque des Juifs par les Arabes et contestation du pouvoir français par des nationalistes arabes ainsi que celle d’intégrer la question juive à celle des relations entre Européens et Arabes. C’est ce que démontre un rapport détaillé de dix pages portant sur « La création d’une commission pour l’Afrique du Nord et la situation politique en Algérie » daté du 25 février 1935, dans lequel le consulat analyse la condition des Juifs en Algérie à la lumière des événements de Constantine et Sétif38. Ces deux émeutes étaient dirigées contre les Juifs. Néanmoins, la question juive n’y est presque pas abordée et les Juifs y sont mentionnés une fois, au sujet de leur tendance à exagérer le poids de l’armée dans les émeutes de Sétif. Par contre, le rapport traite de sujets tels que l’évolution du nationalisme arabe, la politique française envers les indigènes, la conjoncture économique, la presse, les mesures de sécurité prises suite aux émeutes et la visite en Algérie du ministre de l’Intérieur français. Un autre compte rendu, encore plus fourni (14 pages), rédigé à l’occasion de cette visite, envoyé vingt jours plus tard à Berlin, ne fait qu’une seule et brève allusion aux Juifs39. Il comprend deux paragraphes sur « l’attitude des Juifs » qui traitent surtout de la question des relations entre les différentes ethnies de la colonie. Les diplomates allemands décrivent succinctement la protestation des Juifs à l’égard de l’antisémitisme des milieux de droite français, mais font surtout état de leur opposition à l’octroi d’un plus grand nombre de droits aux Arabes et mettent en garde contre une propagande qui « dans ce pays de races et religions différentes40 » serait particulièrement dangereuse. L’attitude envers la question juive en Algérie comme faisant partie de l’ensemble des relations au sein de la colonie, et non comme un phénomène distinct, resta inchangée, même lorsque les diplomates allemands discernèrent les signes d’un antisémitisme croissant. Le 26 février 1936, le consulat général d’Allemagne envoyait à Berlin un bref rapport au titre évocateur : « Le problème juif en Algérie dans le cadre de la politique colonialiste française41 ». Le document commence par établir que l’antisémitisme s’est renforcé en Algérie, particulièrement au sein de la société française, dans le contexte de la crise économique et de l’éternelle concurrence avec les Juifs. Mais selon le rapport, cet antisémitisme reste latent et non exprimé lors de débats publics sur le sujet dans le cadre « du désir général d’éviter des sousentendus raciaux dans ce pays colonialiste42 ». Pour le rapport, si les propos antisémites sont limités aux entretiens privés, c’est aussi à cause de l’affaiblissement du mouvement antisémite des Croix-de-Feu et de l’attente de la montée en force de la gauche en Algérie. Les débats du Sénat français sur les émeutes mettent en évidence la fusion presque absolue de la question juive avec celle du statut civil de la population arabe en Algérie et la recrudescence du mouvement nationaliste arabe. L’agence de presse Deutsches Nachrichtenbüro, qui suivait de près le déroulement de ces débats, en informa le consulat général d’Allemagne en Algérie. Il est important de noter qu’aucun de ces comptes rendus n’évoque, ne serait-ce qu’une fois, les Juifs victimes des émeutes. Dans le premier briefing du 21 mars 1935, il est fait état de la position du sénateur Violette, ancien gouverneur d’Algérie, qui avait vivement critiqué la politique française envers la population arabe43. Pour lui, la raison principale des émeutes était le refus du statut de « sujets » par les Arabes qui désiraient devenir citoyens. Il s’opposait à l’idée de créer deux organismes représentatifs en Algérie, l’un pour les Arabes et l’autre pour les Français, craignant la formation d’une minorité au sein de la France. Il conseillait plutôt d’accorder la nationalité française à 500 ou 600 Arabes ainsi qu’aux officiers et sous-officiers arabes servant dans les rangs de l’armée française, aux Arabes décorés de guerre, aux bacheliers et à quelques commerçants et paysans arabes. Violette finissait son discours en exigeant « que la France en termine avec ses préjugés raciaux44 ». Une autre mise à jour de l’agence de presse allemande, datant du 22 mars 1935, prouve que Violette avait aussi proposé d’octroyer aux Arabes une certaine autonomie juridique en ce qui concernait la vie de famille et que ce fut justement à ce sujet qu’il fut critiqué. Ses opposants refusaient l’idée « qu’un juge arabe ayant quatre femmes inculpe de bigamie un citoyen français45 » et la possibilité de la coexistence de deux systèmes de normes légales pour deux groupes ethniques différents. Tandis que l’ancien gouverneur plaçait les émeutes qui avaient agité la colonie dans un contexte ethnique et juridique, le bureau de presse allemand soulignait que les opposants à la naturalisation des Arabes au Sénat attribuaient aux émeutes sanglantes des causes extérieures et évoquaient le communisme et les interventions allemandes susceptibles de provoquer de l’agitation parmi les Arabes. Cette explication fut avancée immédiatement après les émeutes mais elle donnait à la question juive en Algérie une autre dimension. Comme en témoigne le consulat général d’Allemagne, ses appréciations sur la question juive reflètent celles du pouvoir français46. En effet, le fait que les émeutes de Constantine soient perçues comme le « baromètre », pour reprendre le terme des Allemands, des relations au sein de la colonie et que l’attaque de Juifs ait été interprétée comme une atteinte au prestige de la France a eu son influence sur la politique française en Algérie. Dans ce contexte, toute approche de la question juive ou toute action revêtait une signification plus lourde. Il s’agissait d’ingérence dans les affaires internes de la France et de remise en question de sa souveraineté en Algérie. En d’autres termes, les émeutes de Constantine avaient transformé la question juive en « baromètre » des relations entre les Français et les Allemands en Algérie. Le ministère des Affaires étrangères allemand et le consulat en Algérie étaient conscients de cette nouvelle signification et suivaient de près et avec attention les mesures des Français après les émeutes, surtout suite aux accusations formulées contre l’Allemagne, à laquelle il était reproché d’agiter les esprits en Algérie. Déjà, dans son premier compte rendu détaillé du 11 août, la mission diplomatique prévenait ses correspondants berlinois des reproches sousjacents à l’égard des Allemands, tels que publiés par L’Écho d’Alger du 7 août, au sujet des tentatives d’incitation de la population d’Afrique du Nord contre la France, en établissant un rapport entre le déferlement des émeutes de Constantine et les activités allemandes47. Ces accusations, qui commençaient à se répandre parmi les communautés juives dans le monde, entraînèrent leur mobilisation contre l’Allemagne et en faveur des Juifs d’Algérie48. Un rapport du consulat allemand datant du 30 août 193449 fait brièvement état de ces accusations. Près d’un mois plus tard, le 24 septembre 1934, le consulat général d’Allemagne à Alger envoyait son premier rapport détaillé sur « Le manque de confiance algérien à l’égard d’une éventuelle ingérence allemande dans la politique à l’égard des indigènes » qui expliquait pourquoi les Allemands étaient accusés du déclenchement des émeutes50. Selon ce document, l’hostilité à l’égard des Allemands était profondément enracinée pour des raisons historiques antérieures à la Première Guerre mondiale. On trouvait couramment dans la littérature française d’Algérie et dans tous les milieux la tendance à accuser l’Allemagne de tous les maux de la colonie française ; même parmi ceux qui s’inquiétaient de l’annexion de l’Algérie par la France. La haine des Allemands parmi les Français d’Algérie ne fit que croître avec la Première Guerre mondiale et reprit de plus belle avec les émeutes de Constantine. Elle fut aussi présentée comme un refus français de reconnaître l’échec de la politique française envers les Arabes et d’admettre l’idéologie raciale nazie. Ainsi, « on peut constater que toute mesure et marque de sympathie germano-arabe affecte les sentiments nationaux français51 », signalent les auteurs du rapport et ils ajoutent : « Derrière toute provocation arabe, le Français d’Algérie a tendance à supposer une influence allemande. La politique française, commençant par l’assimilation, puis par une collaboration entre les races en Algérie est gênée par l’idée que “les principes de la politique raciale allemande” puissent trouver écho sur cette terre52. » Pour étayer l’hypothèse que l’hostilité envers l’Allemagne provient du désir de la tenir pour responsable de l’échec des Français, le consulat mentionne les réserves émises par le quotidien La Dépêche algérienne, qui avait osé s’opposer au point de vue selon lequel l’Algérie était envahie par « un océan d’agents allemands53 ». Le rapport fait également état de l’avis des Juifs, exprimé lors d’entretiens avec des hommes d’affaires allemands et la presse juive. Les auteurs du rapport décrivent le pessimisme et l’inquiétude croissante des Juifs après les émeutes et rapportent que, pour eux, ils résultaient de « l’exportation de la propagande hitlérienne54 ». Le rapport mentionne aussi les propos de la revue Le Réveil juif, classée comme insignifiante et selon lesquels « même si l’Allemagne n’en a pas été le principal organisateur, c’est à elle que revient l’initiative du massacre de Constantine55 ». Le rapport cite également l’article d’un écrivain juif algérien, socialisant, dont le nom n’est pas mentionné, qui, dans un article publié dans une revue anonyme, « va plus loin56 » en accusant le parti nazi d’incitation antisémite et antifrançaise57. Néanmoins, le consulat estimait qu’en Algérie ce genre d’accusations formulées par des Français et des Juifs resteraient modérées « pour ne pas donner à la métropole (la France), à laquelle aucune bonne intention n’est prêtée vis-à-vis de l’Algérie ni quant à son désir de lui venir en aide, l’occasion de se décharger à l’aide d’un slogan trop facile (faire porter à l’Allemagne la responsabilité des maux de l’Algérie) de la nécessité de trouver une solution aux problèmes économiques de l’Algérie et de lui permettre de s’en tenir au renforcement de ses forces militaires58 ». Toutefois, il semble que les estimations du consulat étaient optimistes. Le 11 janvier 1935, le consulat général d’Allemagne rapportait que l’article intitulé « L’offensive en Afrique du Nord », paru en décembre dans le numéro 12 de L’Afrique française, abordait à nouveau, après une interruption temporaire, la question du « danger allemand » en Afrique du Nord, « dans des dimensions qui n’étaient pas prévisibles jusqu’alors59 ». Le consulat avertit que « vu le prestige dont jouit cet organe des milieux colonialistes français, il est à supposer que (l’article) ne sera pas sans influence sur l’opinion algérienne60 ». L’article lui-même faisait allusion à l’emplacement stratégique du siège du consulat et aux relations entre Allemands et organismes arabes antifrançais, tels que « Al Ouma ». Surtout, l’article exigeait de redoubler la surveillance d’éléments antifrançais en Afrique du Nord, en provenance d’Allemagne. De plus, le consulat faisait brièvement mention du courrier d’un lecteur de La Presse libre décrivant une grande opération de transfert d’armes et d’argent au leader des Arabes de Constantine. Les sources du ministère des Affaires étrangères allemand ne disent pas si la publication dans L’Afrique française fut faite en coordination avec des institutions officielles françaises. Toutefois, deux semaines environ après l’appel à une surveillance plus étroite des activités allemandes en Afrique du Nord, le Journal officiel de l’Algérie publiait dans le numéro 4 du 25 janvier 1935 un décret du gouverneur général de France, en date du 11 janvier, concernant « la création du service actif des recherches administratives, sociales et économiques » au sein de la direction de la Défense générale, rattaché au bureau du gouverneur. Tous les départements de la gouvernance devaient rendre compte à ce nouvel organisme central, qui jouissait de prérogatives opérationnelles illimitées. Il était chargé de la surveillance des mouvements sociaux, des étrangers et des personnes suspectes de propagande antifrançaise, parmi les colons européens et les indigènes et de tout ce qui concernait l’ordre public61. En commentant ces nouvelles mesures, le consulat allemand établit que « trois groupes sont désormais placés sous contrôle de la nouvelle institution : leaders religieux (ulémas), hommes politiques musulmans et milieux français d’extrême gauche62 ». Bien que l’annonce officielle de la création du service se garde de mentionner les Allemands comme suspectés de diffuser la propagande antifrançaise, les propos des politiciens français confirmaient l’hypothèse du consulat allemand qui avançait qu’il s’agissait « sans aucun doute » d’Allemands et que les décideurs à Paris estimaient que des directives allemandes étaient à l’origine des événements de Sétif et Constantine. Dans un mémo adressé à l’ambassade d’Allemagne à Paris, le consulat rapportait la position du ministre de l’Intérieur – chargé des affaires coloniales – au cours de sa visite en Algérie, suite aux émeutes. Dans une conférence de presse, le 4 mars 1935, il déclarait : « On ne peut dénier que des forces étrangères essaient de créer un nouveau climat d’insurrection. On ne peut dénier que certaines de ces forces sont animées par des forces étrangères qui essaient de provoquer des émeutes dans ce beau pays63. » De plus, on mentionnait que le parti radical, dont le ministre était proche, lui avait transmis un document reprenant la même accusation et que la Chambre agricole en Algérie avait présenté des preuves d’une activité de propagande étrangère en Algérie. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les accusations à l’égard de la responsabilité de l’Allemagne dans les émeutes avaient dépassé les frontières de l’Algérie. Cette accusation fut à nouveau émise lors des débats du Sénat le 22 mars 1935 et faisait part du discours parlementaire et public en France, si bien que le ministère des Affaires étrangères allemand se trouva dans la nécessité d’expliquer pourquoi les Français avaient choisi d’accuser l’Allemagne et de décider quelle serait la réaction allemande officielle à ces accusations. Un mémo du ministère des Affaires étrangères allemand, adressé à l’ambassade allemande à Paris et à son consulat en Algérie, explique pour la première fois pourquoi la France accuse les Allemands d’avoir provoqué les émeutes64. Selon ce document, la France, comme toute autre puissance coloniale (le mémo compare le pouvoir français en Algérie au pouvoir britannique aux Indes), a été confrontée à la difficulté d’appliquer les mêmes normes à des races différentes. En faisant de l’Allemagne un bouc émissaire, par l’intermédiaire de la presse française et à l’aide de certains sénateurs, en l’accusant sans fondement de soutenir le mouvement panarabe et de diffuser de la propagande destinée à ébranler les relations intercommunautaires au sein de la colonie, la France tentait, selon le ministère allemand, d’expliquer les difficultés qui étaient de fait le lot de tout pouvoir colonialiste en général et les échecs du pouvoir français en Algérie en particulier. Une lettre du ministère des Affaires étrangères allemand adressée à son ambassade à Paris, une semaine après le débat au Sénat, laisse entendre que la réaction officielle allemande avait fait l’objet d’un dilemme65. D’une part, la diplomatie allemande se refusait « à faire des propos de quelques parlementaires un sujet de controverse officielle (entre les deux pays)66 ». D’autre part, le ministère des Affaires étrangères craignait qu’en les ignorant, des accusations qui selon sa propre définition « n’avaient ni queue ni tête » et qui étaient systématiquement diffusées dans la presse française en Afrique du Nord, soient susceptibles de devenir à long terme néfastes aux intérêts allemands dans cette région. L’ambassade à Paris était donc priée de demander au consulat général en Algérie de faire part au ministère des Affaires étrangères français de son étonnement quant aux propos des sénateurs. Il incombait également à l’ambassade de formuler une protestation à l’encontre du ministère des Affaires étrangères français67. Dans un entretien du 2 août 1935, le diplomate allemand Forster faisait part à son homologue français, Saint-Quentin, de son mécontentement au sujet des accusations formulées par la presse française à l’égard de l’Allemagne quant à sa responsabilité dans le déclenchement des émeutes en Algérie et demandait au ministère français d’intervenir pour prévenir de tels propos à l’avenir68. Mais la contestation allemande fut inutile. Le diplomate français expliqua à Forster que la France avait le sentiment que certains milieux allemands avaient tendance à diffuser en Afrique du Nord une propagande desservant les intérêts allemands69. Lorsque Forster demanda à SaintQuentin si le ministère avait reçu des plaintes concrètes concernant la diffusion de propagande allemande en Algérie, le diplomate français répondit que, d’une manière générale, les émeutiers arabes avaient avancé à plusieurs occasions « qu’ils pouvaient compter sur les Allemands70 ». La méfiance à l’égard des Allemands et leur surveillance ne restèrent pas à l’état de déclarations. Le 23 avril, la police française arrêtait trois anthropologues suisses, en mission de recherche dans le Sud algérien, les accusant d’espionnage pour l’Allemagne. Les trois chercheurs furent transférés à Marseille pour compléter leur interrogatoire71. La presse française s’empara de l’affaire et rapporta l’incident en détail, présentant les suspects comme citoyens allemands et non suisses : ce fait fut souligné par le consulat allemand en Algérie. Dans le même contexte, la presse décrit l’arrestation d’un Allemand, propriétaire d’un restaurant à Oran, accusé de servir des boissons alcoolisées illégales à des légionnaires français et de recel d’armes et munitions72. Moins d’un mois après son arrestation, il était expulsé du territoire, ainsi que sa famille73. Les Français commencèrent également à limiter les déplacements des citoyens allemands, à faire preuve de méfiance à l’égard d’activités culturelles allemandes telles qu’un spectacle donné par des danseuses allemandes74, et à surveiller de plus près la colonie allemande en Algérie, constituée majoritairement d’anciens soldats allemands de la Légion étrangère75, ainsi que ses relations avec le consulat d’Allemagne76. Ces mesures ainsi que le climat général antiallemand en Algérie amenèrent le ministère des Affaires étrangères allemand à redoubler de prudence, notamment en cherchant à éviter la diffusion de la propagande antisémite nazie. Le 17 août 1935, un an environ après le déclenchement des émeutes de Constantine, le consulat général rédigea un rapport sur la diffusion d’imprimés (Druckschriften) allemands en Algérie, à l’intention de l’ambassade d’Allemagne à Paris77. La rédaction de ce rapport était motivée par la confiscation de 80 exemplaires d’un discours de Hitler au Reichstag, envoyés par une société allemande (le nom n’est pas mentionné) à un éminent homme d’affaires français qui la représentait en Algérie. Malgré les protestations de ce dernier, la police insista pour affirmer qu’« il s’agit de propagande interdite ». Suite à cet incident, le consulat général d’Allemagne demandait à l’ambassade à Paris de prier les sociétés allemandes actives en Algérie de faire preuve de prudence dans leurs envois d’imprimés à des destinataires en Algérie et « dans la mesure du possible [de] laisser cette activité aux consulats (allemands) et aux antennes du parti (nazi), rompus aux mœurs locales78 ». Le consulat qualifiait également des cas de diffusion de documents antisémites parmi les commerçants juifs, par des sociétés allemandes, de diffusion non contrôlée et inutile de la propagande allemande. Toutefois, le désir d’éviter une diffusion incontrôlée de la propagande était motivé davantage par la crainte de la réaction française que par les erreurs qu’auraient pu commettre certains organismes allemands privés. Selon le consulat, l’envoi de documentation antisémite allemande à l’intention de commerçants arabes ne pouvait qu’étayer les accusations des Français, voire amener à l’expulsion des Allemands d’Algérie ; cela même sans mentionner la propagande comme chef d’accusation79 justifiant l’expulsion. L’ambassade d’Allemagne à Paris envoya le rapport du consulat d’Algérie au ministère des Affaires étrangères allemand et ajouta qu’elle « soutenait vivement les recommandations (du consulat) quant à la prudence exigée des entreprises allemandes lors d’envois d’imprimés en Afrique du Nord80 ». Le ministère des Affaires étrangères ne resta pas indifférent aux estimations de ses représentants à Alger et Paris et, le 23 septembre 1935, envoyait au ministère des Transports du Reich allemand et de Prusse, à celui de la Propagande, au Département des relations publiques du ministère de la Guerre et enfin au ministère de l’Économie, une lettre qui reprenait largement le rapport du consulat général et la position de l’ambassade qui se montraient favorables à ses recommandations81. La missive, adressée individuellement à chaque ministère, se terminait sur une demande du ministère des Affaires étrangères invitant à respecter les recommandations du consulat, accompagnée d’un avertissement sur le danger que couraient les citoyens allemands, non seulement en Algérie mais dans d’autres pays d’Afrique du Nord, notamment au Maroc, placé sous protectorat français. Les efforts de la diplomatie allemande en vue d’éviter tout ce qui pourrait fournir à la France des raisons de s’en prendre à des résidents allemands se traduisirent aussi par des tentatives du consulat général en Algérie de resserrer la surveillance autour de la petite communauté allemande présente dans le pays. Les organismes et représentants allemands officiels actifs en Algérie étaient tenus, de par leur fonction, de respecter les consignes de leurs supérieurs. Un diplomate du consulat ou un délégué du ministère de l’Économie en poste en Algérie, par exemple, devait se plier aux instructions de son ministère et se garder d’activités de propagande. Par contre, un citoyen allemand vivant en Algérie n’ayant pas de fonction officielle pouvait faire de la propagande de sa propre initiative. Le consulat général d’Algérie fut particulièrement attentif à ces cas de figure. Des rumeurs, mentionnées dans un rapport officiel envoyé d’Algérie à Berlin, faisaient état de l’intention des Français d’expulser les Allemands vivants dans la colonie82. De plus, le consulat signalait que les Français avaient renforcé leur surveillance, notamment par l’écoute des lignes téléphoniques des institutions allemandes ou des perquisitions à l’improviste, suite à des dénonciations83. En conséquence, on commença à craindre que l’activité de certains particuliers – propagande allemande, propos antifrançais rapportés à la police française, recel d’armes ou relations dans les milieux nationalistes arabes – « tienne lieu de pièce à conviction84 » et entraîne une réaction française d’ensemble. Le consulat faisait part des efforts engagés pour refréner toute activité allemande privée et mentionnait auprès des supérieurs de Berlin les difficultés à appliquer la politique officielle du ministère des Affaires étrangères à l’encontre des personnes privées. Raffermissement de l’idéologie nazie dans la perception de la question juive en Algérie 19361939 Pendant le deuxième trimestre 1936, la diplomatie allemande en Algérie connut un autre tournant significatif dans sa perception de la question juive85, comme en témoigne un rapport sur le mouvement antisémite dans le pays. « Il est entendu que la question juive joue un rôle particulier dans tous les pays arabes. Avant la colonisation européenne, la population arabe attaquait régulièrement le quartier juif pour reprendre par la violence ce qu’elle estimait que les habiles commerçants juifs avaient su s’approprier avec le temps86 », établit le rapport dans son introduction, reprenant sous plusieurs angles l’analyse habituelle de la question juive avant les émeutes de Constantine. Le rapport soulignait donc l’hostilité traditionnelle entre Juifs et Arabes comme facteur permanent des relations entre les deux communautés. Mais contrairement aux rapports publiés avant les émeutes, les attaques des Juifs ne sont pas expliquées par des motifs religieux mais par des raisons liées à l’antisémitisme moderne : les Juifs, détenteurs de capitaux, oppriment la population arabe. Les auteurs du rapport poursuivent la description de l’évolution de la situation des Juifs après la conquête française qui avait mis fin à l’agression régulière des Juifs et mentionnent à cet égard le décret Crémieux : « Cette interdiction (d’agression des Juifs) d’une part et la préférence marquée pour les Juifs, d’autre part (voir décret Crémieux de 1870 : naturalisation des Juifs), aggravèrent l’hostilité des Arabes à l’égard des Juifs87. » Là aussi, on pourra constater le retour aux anciennes positions sur la question juive, conformément aux opinions en vigueur avant les émeutes. Mais surtout, notons que le consulat allemand dissocie la condition des Juifs et l’attitude des Arabes envers eux de la question du statut des indigènes arabes et de la lutte du mouvement nationaliste arabe. Cette nouvelle position n’était pas éphémère. Deux mois après la publication du rapport sur l’antisémitisme en Algérie, le consulat envoyait un dossier détaillé sur le climat politique dans le pays88. Tandis que dans les communiqués politiques envoyés d’Algérie après les émeutes de Constantine, et jusqu’au deuxième semestre 1936, on constatait que l’attitude visant à isoler la question juive tendait à diminuer. Le rapport du 1er septembre 1936 y accorde une attention particulière : sur les six pages du rapport, deux sont consacrées aux Juifs et à l’antisémitisme. Là aussi, la haine des Arabes est présentée comme un facteur permanent des relations entre les deux groupes. La recrudescence de l’antisémitisme en Algérie est également expliquée par des motifs apparemment socio-économiques, empruntés à l’antisémitisme moderne : « Le prolétariat indigène est devenu de plus en plus hostile à l’égard des Juifs au fur et à mesure de son appauvrissement89. » Le décret Crémieux est également mentionné comme facteur de montée en puissance de la haine des Juifs. Dans les rapports précédant les émeutes, la modification paradigmatique de la question juive survenue après les émeutes de Constantine, les conséquences sociales, économiques, juridiques, culturelles et même familiales du décret Crémieux faisaient l’objet d’une étude approfondie, accompagnée d’explications sur la façon dont celles-ci avaient influencé les relations entre Juifs et Arabes. Par contre, au deuxième semestre 1936, les implications du décret étaient brièvement résumées. Le consulat d’Allemagne établissait que la haine des Arabes à l’égard des Juifs avait augmenté à cause de l’opportunisme de ces derniers, qui avaient profité de la conquête pour améliorer leur condition. De plus, le rapport mentionnait d’autres facteurs d’antisémitisme arabe non relevés auparavant dans les rapports rédigés en Algérie, mais faisant intégralement partie de l’idéologie nazie. Le rapport décrivait les Juifs comme lâches, déserteurs et tirant parti de la guerre et de ses victimes non juives. Il disait également que l’antisémitisme arabe en Algérie résultait « d’un ressentiment à l’encontre du Juif qui s’enrichit pendant la guerre (Première Guerre mondiale) tandis que l’Arabe se bat pour la France et est obligé de verser son sang (pour elle)90 ». De plus, le rapport utilisait pour la première fois la fameuse corrélation de la propagande nazie visant à établir un lien entre les Juifs, le marxisme et le communisme et s’en servait pour analyser les relations au sein de la colonie française. Il avait sans doute été précédemment expliqué que les militants communistes d’Algérie étaient socialisants. Mais les rapports décrivaient d’autre part en détail les opinions politiques répandues dans les milieux juifs et soulignaient surtout le désir d’assimilation des Juifs dans la société française. Aucun rapport auparavant n’avait établi de lien entre l’antisémitisme et le judaïsme et la condition juive n’avait jamais été analysée dans cette optique. L’évolution de la perception de la question juive en Algérie et la retenue que s’imposèrent les Allemands en ce qui concerne la propagande nazie et le soutien de l’antisémitisme local en Algérie suscitent l’étonnement et soulèvent plusieurs questions. Depuis la montée au pouvoir du nazisme en Allemagne et jusqu’au premier semestre 1936, la persécution des Juifs en Allemagne se renforça de manière dramatique. L’idéologie nazie devint le prisme à travers lequel étaient examinées des questions d’ordre politique, économique, social et même culturel, tant pour la compréhension des problèmes internes de l’Allemagne qu’au niveau de sa politique étrangère. Parallèlement, le consulat général faisait preuve d’une objectivité remarquable et d’une vision pertinente de la réalité, qui, même entachées d’antisémitisme, tentaient de donner à la question juive des proportions adaptées et de la placer dans le contexte plus large des sujets ayant trait à la colonie française. Comment expliquer cet écart entre la perception de la question juive en Algérie et en Allemagne ? Pourquoi, jusqu’en 1936, les rapports ne font-ils pas état, par exemple, du décret Crémieux en le présentant comme la preuve d’une conspiration juive mondiale et de la subordination de la politique française aux intérêts juifs ? Pourquoi n’est-il fait aucune référence au judaïsme de Léon Blum ? La recommandation du consulat préconisant d’éviter la propagande nazie en Algérie et de ne pas soutenir les milieux pronazis ainsi que les efforts investis pour appliquer ces mesures dans d’autres ministères n’étonnent pas moins. Il semble que la réponse à ces questions et l’explication de l’attitude du ministère des Affaires étrangères allemand en Algérie soient liées à des questions personnelles – nomination du consul général en Algérie – ainsi qu’à l’influence de discussions entre les ministères des Affaires étrangères français et allemand au sujet du statut des citoyens allemands au Maroc. Environ cinq mois avant le déferlement des émeutes de Constantine, le ministère des Affaires étrangères allemand nomma un nouveau consul général en Algérie – le Dr Hermann Terdenge. Ce poste n’était pas sa première nomination au sein de la fonction publique. Un an après avoir brillamment terminé son doctorat à l’université de Munich, il était admis au ministère du Trésor où il avait occupé plusieurs postes depuis le 28 janvier 1921 : il avait notamment été employé au service des statistiques, au service de presse, et à 30 ans, il était déjà conseiller financier du gouvernement91. Son avancement ne s’arrêta pas là. En 1925, il est nommé conseiller financier principal du Reich. Terdenge fait l’objet d’avis très favorables qui mettent en valeur sa personnalité et son professionnalisme, malgré son jeune âge92. Cela n’échappe pas à l’attention des autres ministères. Le 24 février 1926, le ministère des Affaires étrangères demande au ministre du Trésor allemand la mutation du Dr Terdenge à son département de la Culture93. La demande est acceptée, non sans regret des supérieurs de Terdenge, qui déplorent la perte d’un des fonctionnaires les plus talentueux de leur ministère94. Cette mutation dépassait le simple événement interministériel. Elle fut mentionnée dans la presse, qui applaudit au talent du jeune fonctionnaire du Trésor95, tout en critiquant les considérations qui l’avaient mené au ministère des Affaires étrangères. Dans un article intitulé : « Carte blanche : contribution à la politique de lucidité nationale », signé par le rédacteur du Deutschen Rundschau le 22 avril 1926, il est fait allusion au fait que le Dr Terdenge a été muté au ministère des Affaires étrangères en tant que sympathisant du Zentrum et suite à l’intention de ce parti catholique d’influencer la politique culturelle de l’Allemagne dans le monde, en nommant un de ses proches à un poste distingué du ministère des Affaires étrangères96. Si le dossier de Hermann Terdenge confirme les motifs politiques de sa mutation, celle-ci s’inscrit aussi dans le cadre de conflits internes au sein du ministère97. Après la Première Guerre mondiale, plusieurs réformes permirent la nomination de personnalités venant de l’extérieur, particulièrement à des fonctions élevées. Il s’agissait surtout d’experts en économie, universitaires et hommes politiques. Ces changements survenaient suite aux critiques formulées par des milieux économiques, politiques et bourgeois quant aux piètres résultats des Affaires étrangères expliqués par le fait que les fonctionnaires supérieurs étaient surtout issus des familles de la noblesse allemande. En permettant à d’autres couches sociales de rejoindre les rangs de la diplomatie, la réforme menée par Edmund Schöler, directeur du personnel (Personalabteilung), se proposait de remédier à ces maux. Cependant elle se heurta à l’opposition des anciens du corps diplomatique. La mutation de Hermann Terdenge – expert financier et sympathisant du Zentrum – étant rendue possible en grande partie grâce aux réformes du ministère, les critiques à son égard s’inscrivaient dans le contexte du phénomène général de « parachutage » de fonctionnaires98. Le 30 mars 1926, Hermann Terdenge rejoignait officiellement le ministère des Affaires étrangères, où il était nommé conseiller du département de la Culture. Là aussi, il fit preuve d’un grand dynamisme. Il refusa les nominations à l’étranger et, au dire de ses supérieurs, essaya systématiquement d’accéder au poste de chef du département de la Culture : « qui était… en grande partie déjà sous la responsabilité de M. Terdenge99 ». Mais ses ambitions se heurtèrent à l’opposition de ses collègues qui avançaient surtout son appartenance politique au Zentrum et son jeune âge100. De plus, la presse, qui eut vent des tensions au sujet de la direction du service de la culture, critiqua l’éventuel avancement de Terdenge et exprima la crainte que les tendances politiques et religieuses du jeune candidat l’entravent dans l’acquittement honnête de ses fonctions101. Une note jointe au dossier précise qu’une nouvelle vérification des attaques dénuées de tout fondement (concernant la nomination de Terdenge) dans la presse semble inutile, car le ministère n’a jamais douté de la gestion autonome (et indépendante) dénuée de considérations partisanes, personnelles et (de relations) avec des institutions religieuses de M. Terdenge102 ». Il ne réussit cependant pas à accéder au poste de directeur du service de la Culture du ministère et le 15 mai 1933, trois mois et demi après l’accession de Hitler au pouvoir, il fut envoyé par ordre du ministère en mission spéciale, pour la première fois en dehors du territoire allemand, à Paris. Il y fut chargé d’étudier les méthodes de propagande françaises en général et contre l’Allemagne en particulier et d’exposer au ministère les moyens à employer pour la contrecarrer103. Moins d’un an plus tard – le 3 mars 1934 –, Hermann Terdenge était nommé consul général d’Allemagne en Algérie104. Son dossier révèle qu’il fut nommé sans l’entretien oral imposé à tout nouveau consul : le travail de Terdenge avait « prouvé indiscutablement » ses aptitudes à la fonction de consul105. Mais il semble que les motifs de la mutation en Algérie aient été d’ordre plus idéologique que professionnel. Dix-huit mois après son arrivée en Algérie, Adolf Hitler, président du Reich, signait un avis mentionnant la suspension du consul général Terdenge et sa mise à la retraite anticipée106. Trois jours après, Bülow, ministre des Affaires étrangères, envoyait à Alger la lettre de licenciement107, dans laquelle il expliquait les motifs de la décision par des raisons bureaucratiques – restructuration au sein du ministère et plan de rentabilité. Mais des documents réunis après la guerre démontrent qu’il ne s’agissait que de prétextes. Les lois régissant l’emploi des fonctionnaires dans les ministères allemands permettaient le licenciement uniquement dans des cas extrêmes, tels que les fautes criminelles graves ; les emplois étaient accordés à vie. (Ces lois sont d’ailleurs toujours en grande partie en vigueur dans la fonction publique en Allemagne.) Avec l’accession du nazisme au pouvoir, la loi se dota de nouvelles clauses permettant de licencier des fonctionnaires pour cause d’appartenance raciale – Juifs, d’origine juive ou mariés à un Juif, pour raisons politiques et dans le cadre de mesures de rentabilité. Dans le cadre de l’article 6 de la loi de la fonction publique (Gesetz zum Wiederherstellen des Beamtentums) le licenciement dans le cadre de la dernière raison interdisait à l’organisme licencieur (le ministère dans le cas de Terdenge) de pourvoir le poste dont le fonctionnaire avait été démis. Le ministère passa outre à cette restriction en lui nommant un successeur. Dans de nombreux cas, l’article 6 devint un moyen élégant de suspendre les fonctionnaires dont les tendances antinazies ne s’exprimaient pas par une opposition politique franche ; ainsi ils étaient licenciés mais touchaient leur retraite. Terdenge faisait partie de cette catégorie de fonctionnaires. Moins de deux mois après la fin de la guerre, il exigea du ministère des Affaires étrangères le paiement de sa retraite et les arguments employés dévoilent les motifs du licenciement. Il mentionne qu’au-delà des raisons juridiques « il existe une raison morale particulière justifiant le paiement de la retraite d’État » à laquelle il a droit108. En effet, il avait été licencié pour des raisons politiques uniquement, bien que les membres du parti nazi l’estimassent. En 1934, il refusa expressément l’invitation du Département étranger (Auslandsabteilung) à rejoindre les rangs du parti. En 1937, il refusa à nouveau une invitation semblable présentée par la représentation locale (Ortsgruppe) du parti du quartier de Dahlem, à Berlin. En 1938, il perdit son emploi dans l’entreprise industrielle (le document ne précise pas laquelle) où il travaillait, suite aux pressions exercées par un industriel proche de Himler. Enfin, Terdenge mentionne qu’il aida pendant des années le groupe d’opposition formée autour de Popitz, ministre du Trésor, condamné à mort par les nazis peu de temps avant la fin de la guerre. La demande de Terdenge fut acceptée par le ministère des Affaires étrangères de la République d’Allemagne de l’Ouest, qui reprit le diplomate déchu dans ses rangs109. La biographie du consul général d’Algérie a son importance pour la compréhension de la manière dont les événements de Constantine ont été rapportés et dont la question des Juifs en Algérie était abordée. Terdenge était doué d’une exceptionnelle capacité professionnelle à dépasser les considérations idéologiques et politiques qui lui avait déjà valu l’éloge de ses supérieurs. Son adhésion au Zentrum, parti non dénué d’antisémitisme, peut sous-entendre une attitude négative fondamentale à l’égard des Juifs. Mais même si c’était le cas chez Terdenge – aucun document du ministère n’y fait référence –, elle ne pourrait en aucun cas être définie comme un antisémitisme nazi. Son refus d’adhérer au parti nazi, en sacrifiant sa carrière et sa sympathie pour l’opposition, témoigne de sa réticence évidente à rejoindre le parti de Hitler. La tentative pour analyser les émeutes en Algérie non à la lueur de l’idéologie nazie mais avec la plus grande objectivité, en prenant compte les relations complexes existant entre les ethnies de la colonie française et le poids de la condition des indigènes, la recommandation d’être attentif aux craintes des Français et d’éviter la propagande nazie en Algérie, le désir de réprimer les éléments nazis qui auraient enfreint cette approche et les avertissements permanents sur les dommages que ceux-ci causaient en Allemagne – tous ces points relèvent sans doute du professionnalisme et de la personnalité de Terdenge. L’approche personnelle est édifiante pour la compréhension des rapports du consulat général d’Allemagne en Algérie au sujet de la question juive. Mais elle n’explique pas pourquoi les recommandations de Terdenge à propos de la propagande nazie en Algérie ont été respectées par le ministère des Affaires étrangères allemand, et ce au point qu’il a engagé des efforts pour appliquer les recommandations d’un diplomate dont la loyauté vis-à-vis du régime nazi était contestée par d’autres ministères. La compréhension de la structure bureaucratique du ministère des Affaires étrangères allemand et le poids de ses débats avec son homologue français au sujet des citoyens allemands au Maroc sont susceptibles d’éclaircir ces questions. La politique du ministère des Affaires étrangères allemand à l’égard de l’Algérie n’était pas indifférente aux questions diplomatiques concernant les protectorats français d’Afrique du Nord, en Tunisie et principalement au Maroc, et aux relations entre la France et l’Allemagne. Les communiqués du consulat général en Algérie étaient adressés au service qui recevait également les rapports des deux autres pays cités et l’ambassade d’Allemagne en France considérait l’Algérie comme appartenant à un ensemble plus large où se posait la question du statut de l’Allemagne en Afrique du Nord, et de ses relations avec la France110. Les diplomates allemands voyageaient à travers tout le Maghreb français111 et certains de leurs rapports ne concernaient pas que les pays pour lesquels ils avaient été nommés, mais l’ensemble de la région112. Les événements de Constantine, comme nous le montrerons par la suite, eurent des répercussions sur la politique allemande au Maroc et en Tunisie. Ces émeutes firent aussi l’objet de débats au Sénat français et les accusations contre l’Allemagne, suspectée d’agiter les esprits en Algérie, devinrent un sujet de polémique entre les diplomates français et allemands. Néanmoins, les évolutions en Tunisie et au Maroc, et particulièrement au sujet du statut juridique des citoyens allemands au Maroc, contribuèrent à définir la politique étrangère allemande au sujet de l’Algérie et de ses Juifs. Outre l’amputation de territoires, les réparations économiques et les restrictions imposées sur l’armement de l’armée allemande, le traité de Versailles comprenait des clauses moins connues, concernant le Maroc. Les clauses 141-146 accordaient au gouvernement chérifien entière liberté d’action pour régler le statut et les conditions de l’établissement des ressortissants allemands au Maroc113. Le 11 janvier 1920, le chérif du Maroc signait un dahir ordonnant l’obtention d’un accord préalable pour toute visite, tout séjour ou tout droit légal de citoyens allemands. De plus, les autorités marocaines étaient à tout moment en droit d’annuler un visa octroyé à un Allemand. Cela impliquait qu’un résident allemand au Maroc devait dans les six mois suivant l’annulation de son visa liquider tous ses biens dans le pays. Toute infraction à ce décret était sanctionnée par des peines d’emprisonnement allant de trois mois à deux ans et par une amende de 2 000 à 10 000 francs ou la confiscation des biens114. Ces ordonnances furent appliquées également à Tanger, où le tribunal international interdisait aux Allemands de faire appel à ses différentes instances. Ainsi, il leur était impossible de s’y établir, malgré le statut international particulier de la ville115. Ces restrictions s’inscrivent dans le contexte des conflits coloniaux opposant la France et l’Allemagne au sujet du pouvoir sur le Maroc dans la période précédant la Première Guerre mondiale, conflits au terme desquels le Maroc fut placé sous pouvoir colonial français. Au cours de ce conflit, les deux puissances utilisèrent leurs activités commerciales pour étendre leur pouvoir. La crainte de voir grandir l’influence allemande au Maroc, même après la défaite, amena la France à jouer de son pouvoir auprès du dirigeant arabe afin qu’il interdise à l’Allemagne toute activité commerciale et économique dans son pays au moyen des restrictions de séjour116. Ainsi, comme le constata le ministère des Affaires étrangères allemand dans une « Note sur la discrimination des citoyens allemands au Maroc », ces ordonnances eurent pour effet de limiter l’activité économique allemande dans ce pays et leur annulation devint le premier objectif de la diplomatie allemande à l’égard du Maroc117. Cela non seulement à cause des dommages économiques mais aussi parce que les Allemands ne supportaient pas que le Maroc soit le seul pays du monde refusant totalement leur présence sur son territoire118. En 1927, la France et l’Allemagne entreprirent des discussions sur l’abolition de cette discrimination, mais ce n’est qu’en août 1931 que la diplomatie française commença à envisager l’amendement des ordonnances119. Deux ans plus tard, le 11 mars 1933, la discrimination des Allemands au Maroc était en partie abolie120 et faisait l’objet d’un nouveau dahir publié quatre jours après. Le 17 mars, un communiqué à la presse annonçait le nouvel accord121 et les nouvelles dispositions entrèrent immédiatement en vigueur122. Les Allemands pouvaient désormais recevoir sans restriction des visas valables six mois, que les Français ne s’engageaient pas à renouveler automatiquement. Ceux-ci exigèrent de remettre la décision d’octroyer aux citoyens allemands les droits dont jouissaient les résidents étrangers originaires d’autres pays à la reprise des discussions, fixée deux ans plus tard, en mars 1935. Ce report était surtout dû à la lutte armée des tribus marocaines qui s’opposaient au pouvoir français et à la volonté des Français de normaliser les relations avec l’Allemagne uniquement après la répression des insurrections locales123. Le lendemain de la ratification de l’accord, le ministère des Affaires étrangères allemand envoyait à son ambassadeur à Paris une lettre de félicitations ne laissant aucun doute sur l’importance accordée à l’événement. Les nouveaux accords n’offraient pas aux Allemands au Maroc tout à fait le même statut qu’à d’autres étrangers et les Français se réservaient le droit de reconsidérer la présence d’un citoyen allemand sur le territoire. Ces nouveaux accords rendaient donc difficile la création d’une légation diplomatique, qui nécessitait l’obtention de visas pour plusieurs années. Ils étaient toutefois considérés comme un pas important vers la normalisation du statut des Allemands au Maroc et comme une avancée en vue de la réouverture des portes du pays au commerce allemand. Les Allemands y voyaient aussi une contribution à l’effort général de révision du traité de Versailles et comparèrent cette réussite diplomatique à celle des accords de Locarno qui permirent l’adhésion de l’Allemagne à la Société des Nations124. Néanmoins, le moment choisi pour la levée des restrictions était primordial pour le ministère des Affaires étrangères allemand. Les nouveaux accords furent signés un mois et demi environ après la prise du pouvoir par les nazis, le 30 janvier 1933. Le régime nazi éveillait d’anciennes craintes chez les Français, remontant au début du siècle, époque des conflits coloniaux avec l’Allemagne. Pour beaucoup d’entre eux, l’avènement du nazisme prouvait que les nouveaux accords étaient une mauvaise affaire, qui permettrait aux Allemands de saper la domination française au Maroc125. Cependant, s’ils amélioraient le statut des Allemands au Maroc ils n’abolissaient toutefois pas totalement les restrictions. Ainsi, dans les régions du Maroc sous contrôle français – contrairement au Maroc espagnol –, l’implantation de consulats allemands était interdite. L’opinion publique française risquait de retarder les débats franco-allemands portant sur l’annulation totale de la discrimination, prévus pour 1935, ainsi que la création de légations allemandes126. Les incidents en Algérie avaient une influence directe sur l’avenir des débats entre les deux pays sur la question du statut des résidents allemands dans ce pays. Le ministère des Affaires étrangères allemand craignait que les accusations de manipulation de la population arabe et de diffusion de propagande nazie en Algérie par les Allemands fournissent aux Français un prétexte pour faire échouer les discussions prévues entre les deux pays. Cette crainte fut exprimée clairement dans une note jointe au rapport du consulat général d’Allemagne en Algérie, sur l’ingérence de l’Allemagne dans la politique des indigènes en Algérie, envoyée le 29 janvier 1935127. Le ministère allemand mentionnait à ses délégués dans la capitale française la date prévue pour la reprise des nouvelles discussions sur le statut des citoyens allemands au Maroc : mars 1935, soit deux ans après la signature des nouveaux accords franco-allemands au sujet du Maroc, les avertissant que « la diffusion incessante de ce type d’informations (concernant l’implication de l’Allemagne dans les émeutes en Algérie) avait pour objectif de rendre le plus difficile possible la réalisation de notre espoir d’un compromis du gouvernement français au sujet de la résidence de citoyens allemands au Maroc128 ». Cet avertissement revient dans une note envoyée par le ministère des Affaires étrangères aux différents ministères, le 23 septembre129. Le début de la note prie les ministères de modérer la propagande allemande en Algérie – aspect que nous avons amplement exposé plus haut –, mais la fin du document comprend une mise en garde destinée à leurs homologues : « Comme vous le savez, dans les zones dominées par la France, la situation au Maroc est plus grave qu’en Algérie, car les négociations (au sujet) du Maroc doivent reprendre et j’attire à ce sujet votre attention sur mon mémo du 10 octobre 1934130. » Les opinions du consul général d’Allemagne avaient été controversées par ses supérieurs, ce qui avait finalement amené à son licenciement, mais ses recommandations au sujet de la restriction de la propagande nazie en Algérie s’alignaient sur la position du ministère des Affaires étrangères, qui joua de toute son influence pour les faire appliquer par d’autres organismes. La perception de la question juive par la diplomatie allemande fut à nouveau bouleversée, comme nous l’avons vu, au cours du deuxième semestre 1936. « L’idéologisation » de l’attitude envers les Juifs d’Algérie fut certainement influencée par l’échec allemand au sujet de la normalisation du statut des résidents allemands au Maroc. L’escalade dans les relations entre les deux puissances européennes, due à la violation du traité de Versailles par l’Allemagne, avec sa prise de pouvoir de la Rhénanie démilitarisée, lâcha la bride qui avait modéré la politique antijuive dans la colonie française. Néanmoins, les changements de personnel au sein du corps diplomatique allemand en Algérie contribuèrent certainement à cette aggravation. Après le limogeage du Dr Terdenge, Johan Richter fut nommé consul général d’Algérie, le 14 mai 1936. Contrairement à Terdenge, qui avait été muté du ministère du Trésor, Richter avait toujours évolué dans les rangs des Affaires étrangères, qu’il avait rejoints en 1911 après un an passé dans les services juridiques de la Saxe131. Formé dans les universités de Grenoble, Berlin, Leipzig et au Séminaire des langues orientales de Berlin, il avait suivi des études de droit, de langues arabes et était spécialiste du dialecte marocain. En 1919, il obtint le titre de docteur en droit. Sa formation universitaire traça sa carrière dans le domaine de la traduction des langues étrangères au ministère des Affaires étrangères132 (Dragomanatslaufbahn). Le ministère recrutait généralement pour cette formation des juristes experts en langues étrangères, dont les traductions avaient valeur juridique. Ils étaient souvent issus de milieux socioéconomiques modestes, et le ministère représentait pour eux un moyen d’ascension sociale. En 1911, pour sa première mission à l’étranger, Richter fut nommé interprète de la délégation allemande à Tanger, puis muté en 1913 au consulat de Casablanca. Au cours de la même année, il fut envoyé à Fez pour diriger le secrétariat du consulat et, début 1914, il retourna à Tanger où il resterait jusqu’à la guerre. Après sa démobilisation, Richter reprit ses fonctions au ministère au service des informations. Deux ans après, il rejoignit le service II, chargé de l’Europe occidentale, où il était affilié à une section responsable des territoires conquis, perdus par l’Allemagne suite à la guerre. De 1921 à 1930, il quitta les Affaires étrangères et fut rattaché au Reichsausgleichsamt, bureau chargé des problèmes juridiques de l’Allemagne après la perte de l’Alsace-Lorraine, et particulièrement des biens allemands. Cette mutation était due à des questions de manque de personnel juridique133. Il continua à se charger de certains dossiers liés à cette activité, deux ans après la dissolution du bureau, en 1930, et reprit ses fonctions aux Affaires étrangères en 1932, au sein du Service I, chargé du personnel et de la gestion, où il fut surtout préposé à des dossiers budgétaires. Cinq mois après, il devint Legationsrat (chef de mission) et le 1er août 1932, il adhéra au parti nazi en tant que Fachschaftsgruppenleiter (leader d’un groupe professionnel). Cet engagement et le moment choisi pour le prendre sont d’une grande signification pour comprendre les opinions de Richter. Employé au ministère des Affaires étrangères, son statut de fonctionnaire (Beamter) lui interdisait toute appartenance politique. Il semble qu’il ait contourné cette interdiction en utilisant un nom d’emprunt. D’autre part, la victoire du parti nazi, malgré sa solidité en août 1932, n’était pas certaine six mois plus tard. Les adhérents au parti étaient des nazis convaincus, contrairement aux nouveaux membres qui, après le 10 janvier 1933, l’avaient pour beaucoup rejoint pour des raisons pratiques. Le destin de Richter après la guerre prouve bien ses convictions. Sa dernière fonction aux Affaires étrangères fut le poste de consul général à Lausanne. Après la guerre, il fut transféré et emprisonné dans un camp de Lausanne pendant un an, jusqu’en mai 1946. Contrairement à d’autres diplomates, tel Terdenge, Richter ne fut jamais réintégré dans le corps diplomatique de la RFA, malgré son passé professionnel prestigieux. Il semble que ses idées nazies aient contribué à l’avancement de sa carrière. Bien qu’il se soit présenté aux examens pour devenir vice-consul en 1921, il n’accéda jamais à cette fonction et ce n’est qu’en 1932 qu’il fut nommé conseiller de légation. Mais sept mois après la prise du pouvoir par Hitler, le 26 août 1933, sa carrière prit son envol. Il fut élevé au titre de conseiller supérieur et, le 14 mai 1936, nommé consul général d’Algérie. La nomination d’un fervent idéologue nazi au poste le plus élevé dans la plus grande des colonies françaises ne tarda pas à se refléter dans les rapports envoyés d’Alger à Paris en général et dans l’attitude envers la question juive en particulier. Résumé L’étude de l’attitude allemande envers les Juifs d’Algérie reflète deux grandes évolutions. La première se situe après les émeutes de Constantine, suite auxquelles la diplomatie allemande cessa de considérer la condition des Juifs d’Allemagne à travers les modes de pensée antisémites traditionnels, qui soulignaient l’hostilité fondamentale islamique envers les Juifs et commença à analyser la question sous un angle plus large, dans le contexte de la lutte nationaliste arabe contre la domination française. La seconde engendra une attitude selon laquelle les Juifs d’Algérie étaient de plus en plus perçus selon les modes de pensée caractéristiques de l’antisémitisme moderne et nazi en Europe. Néanmoins, au-delà de ces résultats, l’étude des Juifs en Algérie après l’avènement du nazisme offre des informations sur l’ensemble des relations ethniques dans ce pays, les relations diplomatiques franco-allemandes, l’influence des événements d’autres pays d’Afrique du Nord sur la politique allemande et enfin sur les remaniements de personnel et les restructurations au sein du ministère des Affaires étrangères, qui eurent des répercussions immédiates sur la politique allemande à l’égard des Juifs d’Algérie. Cette étude démontre comment la recherche approfondie sur le passé de l’Algérie – pays dont l’histoire est rarement étudiée dans la perspective de la Shoah – durant la période concernée est susceptible de devenir un outil méthodologique éclairant des questions dépassant le seul contexte de ce pays. Troisième partie LE RAPPORT DES POPULATIONS LOCALES AUX JUIFS 6 Sympathisants indifférents : nationalistes marocains et Juifs marocains durant la Seconde Guerre mondiale par Daniel ZISENWINE Pour la communauté juive marocaine, la Seconde Guerre mondiale fut une expérience complexe qui l’affecta à plusieurs niveaux. Entre 1940 et 1942, les Juifs connurent persécutions juridiques, maltraitances physiques et difficultés économiques diverses. Bien qu’il soit évident que leur situation sous le protectorat français de Vichy était de loin bien supérieure à celle des Juifs d’Europe de l’Est durant les mêmes années, il faut cependant se pencher sur leur histoire. En effet, pour les chercheurs, cela fait quelques décennies que l’histoire des Marocains et autres Juifs d’Afrique du Nord pendant la guerre fait l’objet d’un intérêt accru. Nombre d’événements et de développements ont maintenant été documentés, ouvrant la voie à de nouvelles approches et posant de nouvelles questions concernant le vécu juif marocain pendant la guerre. Cette étude porte sur un aspect de la vie juive marocaine qui n’a pas encore été entièrement traité dans le cadre du discours actuel : la position des nationalistes marocains envers la communauté juive marocaine durant la guerre. Cet article réexamine la situation sociale et politique des Juifs marocains pendant la guerre dans une perspective musulmane et présente un chapitre supplémentaire de la complexe histoire des relations judéo-musulmanes au XXe siècle au Maroc. S’inscrivant dans le cadre d’une tentative plus vaste visant à retracer la réorientation des nationalistes marocains pendant la guerre, cette étude porte sur leur intérêt pour le sort des Juifs marocains à cette époque. Nous soulignerons l’approche émergente du mouvement nationaliste envers la communauté juive et débattrons de thèmes portant sur ce sujet au sein du nationalisme marocain. De nombreux nationalistes n’étaient pas indifférents ou fondamentalement hostiles à la communauté juive marocaine. Dans l’ensemble, ils étaient profondément détachés des événements que vivait la communauté et n’étaient pas en position de tendre la main à la population juive, si toutefois ils l’avaient désiré. En ce sens, leur approche ne différait pas de celle de la plupart des musulmans nord-africains envers les Juifs telle qu’elle apparaît dans des recherches récentes. Cette attitude reflète le fondement idéologique religieux du nationalisme marocain. L’empreinte religieuse de l’islam sur le nationalisme marocain laissait peu de place aux non-musulmans dans ses rangs, d’où la rupture croissante entre musulmans et Juifs et l’exclusion des Juifs marocains de l’expérience nationaliste du pays. Les nationalistes marocains étaient éloignés et détachés du vécu juif pendant la guerre, bien qu’ils n’aient pas été ouvertement hostiles aux Juifs. Par leur attitude envers la communauté juive, ils devinrent donc des « sympathisants indifférents ». En fait, la situation de la communauté juive pendant la guerre n’occupait pas une place prépondérante dans la littérature nationaliste marocaine de ces mêmes années ; elle fit même rarement l’objet de débats. Diverses sources de l’époque indiquent que la plupart des leaders nationalistes ne considéraient pas les épreuves imposées aux Juifs comme un phénomène unique et particulier mais comme une manifestation supplémentaire de la politique coloniale de répression imposée par la France au Maroc. Les nationalistes, eux aussi, étaient soumis à diverses formes de répression. Ils ne considéraient pas les mesures françaises prises envers les Juifs comme un fait saillant. Ainsi, pour eux, les difficultés que connut la population juive en temps de guerre ne différaient pas véritablement de la situation sociale et politique des musulmans marocains. Au moins pendant la période de la guerre, ils ne considéraient pas la condition des Juifs comme fondamentalement distincte de celle du reste de la population. Par la suite, la Shoah et la création de l’État d’Israël devenant des sujets politisés dans le monde arabe, les anciens leaders nationalistes adoptèrent un autre ton pour établir une différence entre la présence religieuse juive au Maroc, qu’ils approuvaient, et le nationalisme juif – le sionisme –, qu’ils rejetaient catégoriquement1. Nombre des déclarations se référant aux Juifs marocains et venant des personnalités politiques marocaines d’après la guerre correspondent aux positions arabes générales envers la Shoah, qui ont dernièrement fait l’objet d’études et d’analyses. Alors qu’elles ne reflètent pas nécessairement les politiques nationalistes durant la guerre et immédiatement après, elles ont affecté l’approche générale d’un grand nombre d’hommes politiques marocains sur l’Holocauste, le sort des Juifs marocains pendant la guerre et la place de la communauté juive dans l’ensemble de la communauté marocaine. Là encore, l’attitude marocaine est conforme à celle adoptée ces dernières décennies par l’ensemble de la nation arabe envers la Shoah. Les interventions et positions de la monarchie à l’égard de la communauté juive, constituant à elles seules un sujet de débat, sont également absentes de la littérature nationaliste de la guerre et de son lendemain. Pendant la guerre, les nationalistes étaient avides du soutien de la monarchie et se firent ouvertement, par la suite, les avocats du sultan et de ses décisions. Dans de telles circonstances, il était peu probable qu’ils revisitent ou contestent le comportement du monarque dans n’importe quel domaine, qui plus est en ce qui concernait la communauté juive. Tous ces facteurs correspondent aux tendances générales du nationalisme marocain à cette même époque, qui servirent de toile de fond à l’attitude des nationalistes marocains envers la communauté juive. Pour comprendre celle qu’ils adoptèrent pendant la guerre, il faut bien cerner ce que fut le nationalisme marocain avant et pendant le second conflit mondial. Pour les musulmans marocains, la guerre fut un événement transformateur. Brève période dans l’histoire contemporaine du Maroc, son impact sur la politique du pays n’en demeure pas moins considérable. Elle introduisit de nouvelles idées dans le discours politique marocain, modifia les points de vue et transforma les structures politiques. Son influence sur le nationalisme fut particulièrement profonde. Avant la guerre, les revendications des nationalistes portaient principalement sur des réformes à réaliser dans le cadre du protectorat français qui, établi en 1912, était de plus en plus critiqué. La politique coloniale de la France au Maroc les décevait. Elle n’était pas à la hauteur des attentes du passé selon lesquelles le régime colonial imposé au Maroc le mènerait à la modernité et au développement et réorienterait les structures politiques et sociales du pays, en les conduisant vers de nouveaux horizons. Dans l’ensemble, la domination française au Maroc n’était guère différente du colonialisme français dans les autres territoires. Elle était notamment caractérisée par la priorité accordée aux intérêts français et aux besoins des colons par rapport à ceux de la population indigène. Le peu d’attention et de ressources allouées à l’amélioration de l’existence de la population marocaine était un objet de frustration pour de nombreux jeunes Marocains, qui adoptèrent l’idéologie nationaliste émergente au début des années 1930. Cette idéologie, cependant, était loin d’être entièrement définie. Elle manquait de cohésion, de leadership uni et de direction politique. Tout au long des années 1930, les nationalistes marocains organisèrent contre la politique de l’administration française plusieurs manifestations qui suscitèrent l’intérêt du public. Elles ne se concrétisèrent cependant pas en un mouvement nationaliste à part entière. Les activistes nationalistes manquaient encore de soutien populaire et n’avaient pas l’aval de l’establishment politique marocain. En outre, ils étaient encore incertains de leurs objectifs à long terme et leurs revendications portaient surtout sur des réformes gouvernementales dans le cadre du protectorat, censées améliorer la situation des musulmans marocains. Nonobstant les incertitudes concernant les objectifs idéologiques du nationalisme marocain, un certain nombre des caractéristiques de ce mouvement émergent se dessinaient déjà. La première concerne sa composition sociale. Ses membres venaient pour la plupart d’un milieu urbain, aisé et conservateur. Ils ne considéraient pas le nationalisme comme une force révolutionnaire mais plutôt comme un moyen de rétablir la gloire passée du pays. Ces premiers jeunes nationalistes n’avaient pas été influencés par la culture française et occidentale ; ils appartenaient plutôt au milieu « traditionnel », ayant étudié dans des madrasas de Fez, qui considéraient le protectorat comme une menace pour l’identité culturelle du Maroc. Ce milieu avait de tout temps exprimé son intérêt pour la politique (même durant l’époque précoloniale) mais il n’avait que peu l’occasion d’influencer les actes du gouvernement marocain. Dans ce sens, leurs activités n’étaient pas vraiment différentes des activités traditionnelles et ne s’écartaient pas des structures politiques marocaines. L’activité nationaliste des années 1930 ne pénétra pas d’autres couches sociales, tel le prolétariat émergent dans les zones urbaines, mais continua plutôt à se développer conformément à la politique marocaine ancestrale : peu d’ingérence publique dans les prises de décision et débats idéologiques tenus par un petit groupe d’intellectuels, nettement à l’écart de tout rôle actif dans les affaires gouvernementales. Cependant, le nationalisme marocain ne se développa pas en un mouvement de masse qui attira une vaste partie de la population. Ajoutons à cela la teinte islamique du mouvement nationaliste, sur laquelle il comptait pour constituer un élément liant. Ce choix de l’islam reflétait les valeurs traditionnelles des nationalistes marocains et constituait également un moyen efficace de gagner le soutien d’un public qui n’était pas familier avec le nationalisme moderne mais parfaitement versé dans la rhétorique religieuse. Cette rhétorique fut employée au cours des manifestations nationalistes des années 1930, décrites comme une lutte contre les menaces perçues envers l’islam. La place de l’islam dans les manifestations nationalistes écartait donc quasi naturellement les Juifs marocains de toute participation active à ces protestations. Bien que la plupart des Juifs ne désirassent pas rejoindre les rangs des nationalistes (pour diverses raisons, notamment l’identification avec le protectorat français et leur implication dans les activités sionistes, comme le souligne Yaron Tsur dans son étude sur la communauté et le nationalisme juifs marocains), l’adoption de l’islam par les nationalistes comme pilier idéologique excluait toute possibilité réelle de participation juive au mouvement. Elle contribua également à l’éloignement croissant entre musulmans et Juifs dans la vie du Maroc au XXe siècle2. Dans son livre sur les mouvements nationalistes nord-africains, le dirigeant nationaliste marocain Alal al-Fasi reconnaît que les Juifs du Maroc avaient montré « peu d’enthousiasme envers le mouvement nationaliste » dans les années 1930, que leur position avait été influencée par les Juifs tunisiens et algériens en quête d’assimilation (dans la culture française) et qu’ils s’étaient donc exclus de cette tendance nationaliste. AlFasi souligne que les nationalistes avaient fait des efforts pour convaincre la communauté juive qu’ils étaient des citoyens marocains à part entière et qu’ils ne devaient pas chercher une solution à leurs problèmes « en dehors de la voie nationaliste commune ». Un comité juif spécial, établi à la demande d’al-Fasi, déclara son soutien aux revendications nationalistes3. Cependant, en général, la coopération politique entre les Juifs et les musulmans au sein du mouvement nationaliste marocain dans les années 1930 resta très restreinte. Le profond attachement à l’islam marqua l’ensemble des activités des mouvements. Tout au long des années 1930, les relations entre musulmans et Juifs marocains connurent de sérieux revers. Comme le révèle l’étude révolutionnaire de Michel Abitbol sur les Juifs d’Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale, ce tournant sera ultérieurement considéré comme un prélude au dernier chapitre de l’histoire de la communauté juive du Maroc qui débuta durant la Seconde Guerre mondiale. Avec le temps, la propagande antisémite s’intensifia et exacerba les tensions entre Juifs et musulmans, tensions alimentées plus par des événements extérieurs que par des phénomènes internes. Les musulmans marocains, et par extension les nationalistes marocains, étaient influencés par la lutte naissante pour la Palestine ainsi que par les idéaux panislamiques, qui générèrent un certain nombre d’incidents antisémites. Les activistes nationalistes tenaient constamment des propos antisionistes et antisémites qui gâtèrent les relations entre les nationalistes et la communauté juive. Ils s’élevaient également contre ce qu’ils percevaient comme une prédilection française pour les Juifs et contre la possibilité qu’avaient les organisations sionistes de fonctionner librement au Maroc4. La défaite française en 1940 et les attentes croissantes d’un nouvel ordre international après la guerre menèrent les nationalistes marocains à reconsidérer leurs revendications qui ne portaient plus sur des réformes du protectorat mais sur des appels à l’abrogation du traité qui l’avait instauré et au rétablissement de l’indépendance du pays. La création du parti nationaliste Istiqlal (Indépendance), à la fin de 1943, reflète les changements idéologiques et structurels que connut le mouvement nationaliste. Traiter de l’attitude des nationalistes marocains envers la communauté juive pendant la guerre nécessite une profonde compréhension de la situation générale des nationalistes marocains tout au long de cette période. La partie suivante portera sur les rebondissements du mouvement nationaliste durant la guerre puis sur son attitude envers la communauté juive. La réalité politique qui se dessina au Maroc après la défaite de la France dans la Seconde Guerre mondiale créa un sentiment d’incertitude chez les musulmans marocains. Ils craignaient essentiellement pour leur avenir politique après la capitulation française. En effet, la France était considérée au Maroc comme une superpuissance invincible. Elle était maintenant faible et vulnérable. Pour la première fois depuis l’établissement du protectorat, la domination française au Maroc n’était plus évidente. De nombreux Marocains s’attendaient à un changement de la nature et de la structure de la domination française après la guerre et pensaient que les nouvelles superpuissances, notamment les États-Unis, adopteraient un rôle plus actif au Maroc. Certains allèrent plus loin en envisageant même un retrait total des Français du pays. Même après le débarquement des forces alliées au Maroc et leur victoire contre les forces de l’Axe sur d’autres fronts, de nombreux Marocains restèrent convaincus que la France ne pourrait plus maintenir la position qu’elle avait avant la guerre. Pour les activistes nationalistes marocains, c’était là l’occasion de se préparer à la réalité émergente de l’après-guerre, de promouvoir leur cause et leurs objectifs, quoiqu’ils fussent encore flous à ce stade. Tout cela s’accompagna de modifications dans la structure organisationnelle du mouvement nationaliste et au niveau de ses ambitions idéologiques. La plupart des Marocains, cependant, étaient indifférents à la défaite française, plus préoccupés par leur survie matérielle en temps de guerre. Dans de telles circonstances, il est peu probable qu’ils aient exprimé des opinions concernant la situation des Juifs au Maroc. Le manque de coordination entre activistes et dirigeants caractérise les activités nationalistes durant la guerre. À ce propos, un douloureux sujet inscrit à l’ordre du jour du mouvement était celui de la position des nationalistes envers l’Allemagne. Tandis que certaines personnalités nationalistes étaient en contact avec l’Allemagne dès le début de la guerre, d’autres adoptèrent une position plus neutre et s’abstinrent de tout contact avec des étrangers. Les dirigeants nationalistes ne prirent aucune décision concernant les contacts avec l’Allemagne. Chacun faisait comme bon lui semblait. Alal al-Fasi note dans son livre sur les mouvements d’indépendance arabes en Afrique du Nord (publié en 1948) que les Allemands n’ont pas réussi à recruter un seul collaborateur parmi les nationalistes. Ceux-ci, insistait-il, n’étaient pas aveuglés par les promesses allemandes d’accorder aux Marocains plus de liberté et de justice5. Les contacts allemands avec les nationalistes marocains ne concernaient pas les Juifs marocains, élément qui là encore influença l’attitude des nationalistes envers la communauté juive pendant la guerre. L’exemple le plus frappant de contact entre des nationalistes en vue et des fonctionnaires allemands concerne Abd al-Salam Belafredj, descendant d’une célèbre famille de Rabat qui quitta le Maroc avant le début de la guerre et se retrouva à Berlin en juin 1940. Il fut autorisé à retourner au Maroc en 1943, après avoir assuré s’abstenir de toute activité politique jusqu’à la fin de la guerre. Son séjour à Berlin souleva des questions concernant les relations en temps de guerre entre le mouvement nationaliste et l’Allemagne nazie. Ses contacts avec les fonctionnaires allemands furent ultérieurement présentés par la France comme une preuve de l’influence allemande sur le mouvement nationaliste marocain. Les fonctionnaires du protectorat français soutenaient que le mouvement nationaliste marocain ne représentait pas les aspirations marocaines et n’était rien d’autre qu’un outil de propagande créé artificiellement par les services de renseignements allemands6. Des accusations concernant la participation allemande aux activités nationalistes furent formulées contre les leaders nationalistes marocains en 1944 ainsi que contre Belafredj lui-même, qui fut arrêté et exilé en Corse après la création du parti Istiqlal. De fait, les contacts de Belafredj avec les fonctionnaires allemands étaient bien moins clairs que les accusations françaises à son égard. Des sources rapportent qu’il entretenait des contacts avec des fonctionnaires allemands subalternes. Al-Fasi indique que son voyage en Allemagne était destiné à évaluer les intentions allemandes à l’égard du Maroc et que Belafredj mit en garde ses collègues nationalistes contre les intrigues et tentations allemandes. Il est important de noter que Belafredj n’adopta pas l’idéologie nazie et ne devint ni un porte-parole ni un apologiste proallemand actif. Ses contacts avec les fonctionnaires allemands ne marquèrent pas vraiment le mouvement nationaliste marocain ni aucun de ses dirigeants. À l’encontre des activités nationalistes arabes en Égypte et en Irak, qui furent influencées par l’idéologie allemande, le nationalisme marocain ne rechercha pas activement des contacts avec l’Allemagne et garda ses distances vis-à-vis des nazis. Rien n’indique une participation allemande aux activités nationalistes en temps de guerre, pas plus que des contacts à grande échelle et à long terme entre les nationalistes et les Allemands. Toute marque de soutien marocain à l’égard de l’Allemagne fut assez superficielle et de courte durée. Cela va à l’encontre des arguments français selon lesquels les nationalistes auraient cherché à contrecarrer les efforts de guerre des Alliés et seraient intervenus dans les affaires marocaines. Les relations entre les nationalistes et les Allemands étaient avant tout d’ordre pratique et furent initiées à la lumière d’une éventuelle prise de pouvoir de l’Axe en Afrique du Nord. En conséquence, elles diminuèrent une fois que les forces alliées eurent la supériorité sur le champ de bataille et que l’éventualité d’une victoire allemande en Afrique du Nord se fit de moins en moins concrète. Sur le plan idéologique, les dirigeants nationalistes marocains furent influencés par les déclarations des leaders britanniques et américains, qui tout au long de la guerre soulignèrent le droit de toutes les nations à la liberté. Ce fut l’un des objectifs idéologiques des Alliés, mentionné dans la Charte de l’Atlantique de 1941. Ces principes ouvrirent la voie aux changements idéologiques qui se produisirent au sein du mouvement nationaliste et qui émergèrent tandis que la guerre semblait toucher à sa fin. Les principaux aspects de ce changement, comme nous l’avons vu, étaient que les revendications ne portaient plus sur la réforme du protectorat mais sur une demande claire et nette d’indépendance. La baisse de l’activité nationaliste durant la guerre reflète la situation du mouvement à la fin des années 1930. Au début de la guerre, le mouvement était divisé en plusieurs factions ; il ne pouvait pas fonctionner correctement. Un employé marocain du consulat américain à Casablanca rapporta, après une visite à Fez en mars 1940, que les activités nationalistes avaient totalement cessé bien que certains tentassent de les ranimer. La plupart des Marocains, disait-il, craignaient qu’une défaite ou une retraite française trop hâtive du Maroc mène au chaos et à l’anarchie7. Dans ces circonstances, la plupart des nationalistes préféraient éviter toute action contre les Français. Tout au long de la guerre, les activités nationalistes demeurèrent limitées et la plupart des dirigeants furent exilés ou emprisonnés. L’un des leaders, Alal al-Fasi, passa la guerre en exil au Gabon. Il fut écarté de la vie quotidienne au Maroc et ne put maintenir un contact suivi avec les activistes nationaux. Un autre dirigeant nationaliste, Muhammad Hasan alOuazzani, fut exilé dans le désert du Sahara et coupé, lui aussi, de l’actualité. Dans son ouvrage sur les mouvements d’indépendance de l’Afrique du Nord, Alal al-Fasi consacre un chapitre aux événements qui se sont déroulés au Maroc pendant la guerre. Il accuse le Résident général français, Noguès, d’avoir fait usage de répression, loi martiale et « d’accusations insensées contre des innocents ». Il avance aussi que Noguès souffrit pendant la guerre de « lâcheté morale » et refusa d’adopter une politique qui aurait dévié des diktats de Vichy8. Malgré ces accusations contre le Résident français, al-Fasi resta absent de la scène marocaine en temps de guerre. Lui et les autres leaders nationalistes, détachés des événements quotidiens au Maroc, gardèrent le silence sur la situation des Juifs, sujet qui, même avant la guerre, ne les préoccupait pas particulièrement. S’il se peut que ces dirigeants n’aient pas eu totalement conscience de ces faits, les études indiquent que la population musulmane du Maroc ne pouvait ignorer les difficultés que connaissait la population juive et que des rumeurs ou bribes d’informations la concernant seraient parvenues aux leaders nationalistes en exil. Le fait de savoir s’ils étaient désireux ou non d’exprimer une opinion sur le sort des Juifs marocains est une autre question. De toute façon, les nationalistes avaient des difficultés à faire connaître leurs opinions, quel que soit le sujet, qui plus est en ce qui concernait la communauté juive, en raison des restrictions dont les publications faisaient l’objet. Néanmoins, divers rapports faisant état de déclarations antisémites au Maroc pendant la guerre soulignent l’approche musulmane générale envers les Juifs, qui influença indirectement les nationalistes. Elle était le résultat de la propagande allemande mais tenait en grande partie à l’incertitude politique quant à l’avenir du Maroc, incertitude qui réveillait les tensions ethniques latentes. Les Juifs étaient accusés de tirer financièrement parti de la guerre, suite à la hausse du prix des denrées alimentaires de base et bénéficier d’une guerre initiée par leurs frères européens. Comme le note Abitbol, ces accusations étaient partie prenante d’une attitude plus générale de harcèlement de la population juive, dont la promotion sous le protectorat français avait irrité plus d’un musulman. Ceux-ci étaient nombreux à considérer la communauté juive comme un élément faible, une proie facile pour la rhétorique anticoloniale, reflétant la perception selon laquelle elle s’était alliée au régime colonial français9. On ne sait cependant pas dans quelle mesure les nationalistes approuvèrent ou non ces allégations. Ils ne s’y opposèrent pas, ne les décrièrent pas mais ne les adoptèrent pas ouvertement non plus. Leur position envers les Juifs ne différait pas vraiment de l’attitude générale des musulmans marocains à cette époque, bien qu’ils n’aient entrepris à leur égard aucune forme d’activité organisée. Toujours selon la littérature générale sur l’attitude arabe nord-africaine envers les Juifs pendant la guerre, le terme qui caractérise le mieux l’attitude nationaliste marocaine envers les Juifs pendant la guerre est le mot « indifférence10 ». Les nationalistes marocains n’étaient pas intrinsèquement antisémites mais étaient détachés de la communauté juive et préoccupés essentiellement par l’établissement d’un mouvement nationaliste qui œuvrerait à la promotion de leur cause contre le régime colonial français. Les souffrances des Juifs marocains durant la Seconde Guerre mondiale n’étaient donc pas à leur ordre du jour. Ignorant les diverses déclinaisons du terme « nationalisme », les dirigeants nationalistes ne traitèrent pas directement de ce sujet pendant la guerre. Leurs déclarations ultérieures à ce propos appartenaient déjà à un discours d’après-guerre qui reflétait de nouvelles inquiétudes et réalités politiques, le tout enchevêtré dans le nouveau conflit israélo-arabe. Pour en revenir aux commentaires d’al-Fasi sur les événements de la guerre, son ouvrage ne comprend très curieusement aucune discussion sur la situation de la communauté juive marocaine pendant la guerre, à l’exception d’une phrase qui dénote le refus du sultan « d’appliquer les décrets raciaux que le général Noguès avait tenté d’appliquer contre les Juifs marocains11 ». Al-Fasi ne présente pas l’ensemble des mesures antisémites proposées mais souligne qu’elles provenaient intégralement de la Résidence française et n’étaient en aucune façon liées au sultan ou au Makhzen, l’establishment politique marocain. Dans le cadre d’une tentative plus générale de glorification du sultan, al-Fasi note que celui-ci s’opposa au décret de Noguès demandant que les Juifs évacuent leurs maisons dans les quartiers européens. Pas un mot sur les autres mesures antisémites, sur les arrestations des Juifs et l’existence de camps de travail forcé dans lesquels certains Juifs étaient envoyés. Al-Fasi évite également de parler de l’ingérence ou de la distance du sultan par rapport à ces mesures, ce qui peut être lié à une tentative nationaliste plus vaste en vue de renforcer des relations avec la monarchie et d’adopter le sultan en tant que leader national. Nous ne savons pas dans quelle mesure al-Fasi était conscient de la ligne française antisémite et s’il la considérait comme étant suffisamment significative pour être associée à la lutte nationaliste émergente au Maroc. Il est cependant clair qu’il l’associa directement à la France et la considérait comme faisant partie de la rude politique française contre l’ensemble de la population marocaine. Al-Fasi, comme d’autres dirigeants nationalistes, rejeta dans ses écrits et déclarations ultérieures toute possibilité de persécution musulmane marocaine à l’encontre de la population juive. Mais ils évitèrent également d’aborder ouvertement ce sujet. L’absence pendant la guerre d’un large débat au sein des dirigeants nationalistes sur le sort de la communauté juive en temps de guerre est le résultat de leurs limites et de leur situation objectives à cette époque. Peu nombreux, les nationalistes faisaient l’objet de restrictions de la part de la France et étaient incapables de revendiquer leurs opinions, quel qu’en soit l’objet. La guerre au Maroc s’étant terminée avec le débarquement des forces alliées en novembre 1942, les nationalistes marocains se tournèrent vers l’avenir, cherchant à tirer parti du nouvel ordre émergent d’après-guerre pour promouvoir leur propre cause et se penchèrent sur la situation politique et diplomatique du Maroc. Cela les amena à réviser leur position, ne demandant plus des réformes dans le cadre du protectorat mais revendiquant de façon claire et nette l’indépendance. C’est sur cette toile de fond que fut créé le parti nationaliste Istiqlal (indépendance), qui publia son manifeste début 1944. Pour notre propos, le manifeste et les principes de l’Istiqlal ont leur intérêt car ils représentent la position émergente des nationalistes envers la communauté juive à l’époque de l’après-guerre. Les principes du parti, tels que définis à cette époque, soulignent le désir d’établir un État indépendant basé sur l’égalité « sans aucune discrimination religieuse ou raciale ». En ce qui concerne plus particulièrement la « question juive », le parti souligne qu’elle était « inexistante au Maroc ». L’Istiqlal déclarait que les Juifs marocains étaient « membres de la famille marocaine tout comme l’étaient les Coptes en Égypte ». Dans un Maroc indépendant, les Juifs continueraient à jouir de leur liberté religieuse, notamment en ce qui concernait leurs tribunaux religieux, qui seraient maintenus12. Se faisant l’écho du vocabulaire politique de la guerre, ce document d’avenir fait indirectement référence à la « question juive » et la situe dans un contexte marocain local, reléguant les mesures antijuives de la guerre à la France au passé colonial qu’il cherchait à oublier. Et en effet, plus la lutte nationaliste de l’après-guerre prenait de l’essor, plus la position des nationalistes se cristallisa envers la communauté juive marocaine. Nous pouvons dire qu’en général ils reconnurent l’existence de la communauté au sein de la société marocaine tout en rejetant toute manifestation de nationalisme juif. L’un des grands dirigeants nationalistes, Mohamed Hasan Ouazzani, résuma succinctement leur position en notant que le parti nationaliste considérait les Juifs marocains comme faisant partie de la société marocaine mais ne tolérerait aucune forme de contact avec « le sionisme international » ni aucune activité sioniste au Maroc13. Mais cela appartient déjà à un autre domaine qui dépasse le périmètre du présent article. Tout au long de la guerre, les dirigeants nationalistes marocains ne firent pas de distinction entre la communauté juive et la population musulmane marocaine. Elles étaient toutes deux soumises à la répression française et c’est dans ce contexte que les dirigeants nationalistes considéraient la chose. Ils n’adoptèrent pas une échelle de valeurs différente pour la situation sociale, économique et, dans une certaine mesure, politique, de la population juive. Cette position ne dura pas et changea très rapidement après la guerre, avec le développement de la lutte nationaliste marocaine. Les conséquences de la Shoah et la création de l’État d’Israël sont également pour quelque chose dans ce changement de ton (qui, en effet, pourrait bien n’être que de la simple rhétorique) et dans l’approche des leaders nationalistes envers la communauté juive marocaine. Enfin, cette attitude de « sympathisants indifférents » ne marqua que brièvement l’histoire du Maroc, et ne fut qu’une des nombreuses fluctuations qui ont marqué les relations judéo-musulmanes au XXe siècle. Cela nous laisse, nous les historiens, avec des questions sans réponse quant à ce qu’aurait pu être la situation si les circonstances avaient été différentes. 7 L’accomplissement d’un long cheminement antisémite : l’abolition du décret Crémieux et la réaction de la population algérienne par Filippo PETRUCCI On peut parler de l’accomplissement d’un long cheminement, parce que l’antisémitisme a caractérisé depuis toujours les relations entre la France et les Juifs d’Algérie ; l’abolition du décret Crémieux le 7 octobre 1940 est seulement le but d’un effort et d’une lutte qui se sont développés à partir de 1870, mais qui, de fait, avec des dynamiques différentes, ont toujours existé. Je tenterai ici de montrer l’histoire de ces relations particulières sous une perspective différente en cherchant à mettre en évidence l’ambiguïté qui a toujours existé en Algérie entre la France et la minorité juive. L’Algérie française, une histoire d’antisémitisme Au début de la colonisation française, les nouveaux dirigeants n’étaient pas enthousiastes s’agissant des Juifs. On pouvait trouver ce type de commentaires : « Dans les villes [il y a] les Turcs, les Couloughlis (fils des Turcs et des Mauresques), les Maures, les Juifs et les esclaves […]. Le Turc est le premier et le Juif le dernier dans cette échelle sociale. » Même si « le Juif » était reconnu compétent dans le commerce (surtout pour sa connaissance des différentes langues), De la Pinsonnière écrivait que : « Le Juif est un être bas et méprisable, toute son âme se résume en argent1. » Dans ces analyses, une idée semble évidente, celle de civiliser cette population (même si les auteurs soulignent l’importance de ne pas irriter les Arabes), car les Juifs étaient les plus disposés à accepter la colonisation française, commencée avec la création des consistoires2 et la réorganisation à la française des communautés religieuses algériennes3. Malgré ces efforts, en 1852 seulement les Juifs furent admis dans le service des milices, ce retard étant dû au mépris des militaires français pour ceux-ci4. En quelques années, la France avait été confrontée au monde juif, dont les élites avaient fait un gros effort pour se franciser. Le premier succès des Juifs remonte au 14 juillet 1865, quand Napoléon III, après son deuxième voyage en Algérie5, publia un senatus-consulte selon lequel « les indigènes israélites et musulmans d’Algérie sont français ». Ils sont régis par leur statut personnel, admis à servir dans les armées de terre et de mer, ainsi que dans la plupart des emplois publics en Algérie. Ils peuvent acquérir les droits des citoyens français sur leur demande à 21 ans accomplis, par décret impérial rendu en Conseil d’État ». Mais très peu de Juifs (et encore moins de musulmans) devinrent citoyens. Ce ne fut qu’en 1870, pendant la capitulation de Napoléon III à Sedan et quand le gouvernement fut transféré à Tours, qu’une réorganisation de l’Algérie fut faite à travers neuf décrets : l’Algérie devenait un territoire soumis au régime civil (et non militaire), une nouvelle administration était créée et le système administratif changeait, tous les Juifs étant naturalisés français. Le premier signataire était Isaac Moïse Crémieux (1796-1880), connu comme Adolphe Crémieux6. Avec cette loi la volonté de la France était claire : elle acquérait 34 574 nouveaux citoyens7, des sujets fidèles et liés à cette nouvelle patrie qui, premier pays au monde, avait octroyé l’émancipation aux Juifs après la Révolution. Pourtant, à partir de ce jour se développa une forme de schizophrénie entre l’action de l’État français (au niveau des lois) et la réalité française en Algérie. On a avancé ci-dessus que l’opposition à l’octroi de la citoyenneté aux Juifs algériens avait pris immédiatement effet, car c’est aux Juifs qu’avait été attribuée la faute de l’insurrection de 18718 : pour les généraux, le décret Crémieux avait fourni le prétexte du début d’une révolution sur une base nationale en Algérie. L’amiral Gueydon, par exemple, dès son arrivée en Algérie, s’était déclaré contre la naturalisation des Juifs, déclarant : « L’élément français doit être l’élément dominant ; c’est à lui seul qu’appartient la direction de l’administration du pays. Ni l’élément indigène, arabe ou israélite, ni l’élément étranger ne peuvent prétendre à une influence ou à une part quelconque dans la direction politique ou administrative du pays […]9. » En réalité, le décret Crémieux était essentiel pour maintenir le lien entre l’Algérie et la France : vu l’état d’émergence de ce pays, ces changements étaient essentiels pour éviter que la situation n’empire. Surtout, la France disposait ainsi « de 30 000 nouveaux citoyens français acquis à la cause nationale10 ». Plutôt que d’admettre les fautes de l’administration militaire précédente, les généraux11 avaient donc préféré expliquer la révolte kabyle par la colère qui s’était propagée dans la communauté musulmane12. En réalité, l’octroi de la naturalisation étant un long parcours, plusieurs rencontres avaient eu lieu avec les chefs musulmans, qui avaient donné leur autorisation à ce changement13 ; le problème venait plutôt du côté français, étant donné que les Juifs étaient naturellement proches des institutions républicaines, position non appréciée en Algérie à l’époque. C’est de ce moment que l’on peut dater l’explosion de l’antisémitisme ainsi que d’un antirépublicanisme particulier (qui continuera jusqu’en 1900) qui sera caractéristique des colons français d’Algérie. La première ligue antisémite est fondée à Miliana en juillet 187114 ; le même mois, le nouveau ministre de l’Intérieur Lambrecht essaye d’abroger les dispositions du décret Crémieux sans y parvenir en raison de l’opposition du Parlement. En 1871 lors des élections législatives à Tlemcen, les premières violences antijuives ont lieu. Après cette première initiative, toute une classe politique fondera sa carrière sur la seule utilisation du mot « antisémitisme » (ou « antijudaïsme »). Même lorsque les justifications politiques évolueront, la cible restera toujours le Juif : d’abord attaqué parce que républicain, par la suite accusé de vouloir détruire les principes de la république15, ou encore attaqué par des groupes réactionnaires et cléricaux. Selon Michel Ansky, pour la masse des colons français, « […] les Juifs algériens restaient, malgré et surtout à cause de leur rapide assimilation, une race inférieure qu’on tolérait dans le commerce et l’artisanat, qu’on voyait sans plaisir dans les professions libérales et que l’on regardait avec une certaine répugnance dans l’enseignement. Mais on ne voulait pas les admettre dans les affaires publiques ni subir leur influence dans la vie politique et surtout compter avec eux aux élections, domaine réservé aux seuls maîtres du pays16 ». Celui-ci était l’humus social où vivaient les Juifs néo-citoyens. Pour en arriver à la Seconde Guerre mondiale, on énumérera les événements de la période correspondante : vague antisémite avec violences et ligues antijuives à Constantine en 1895, à Oran en 189617, et élections remportées par la droite ; à la même période, même la gauche18 et les radicaux attaquent les « capitalistes » juifs ; en 1898, fondation de la « Ligue antijuive d’Alger » par Maximilien Régis19, qui gagnera très jeune les élections comme maire d’Alger et dans les mêmes années Firmin Faure, Drumont, Marchal et Morinaud, qui remportent les élections avec des programmes politiques incluant insultes et menaces vis-à-vis des Juifs. Après un recul et une pause dus au déclenchement de la Première Guerre mondiale, il y aura une nouvelle vague d’antisémitisme, sous l’influence du docteur Molle, maire d’Oran en 1921 et directeur politique du Petit Oranais20 (qui portait en premier page la croix gammée), de Coston, de Doriot et parfois d’un ex-prêtre, l’abbé Lambert (qui sera aussi maire d’Oran)21. Il y aura en plus le mouvement des « Chemises vertes » de Dorgères (dans la zone d’Oran), et surtout le puissant mouvement des Croix-de-Feu du colonel de La Roque, qui organisera des manifestations et des parades très similaires à celles des fascistes et des nazis. Les Croix-deFeu étaient un mouvement nationaliste fondé sur la devise Travail-FamillePatrie, mais qui tentait de se démarquer des autres mouvements et partis extrémistes en Europe. Même si dans ses programmes on ne parlait pas d’antisémitisme, il y avait des débats publics (juillet 1935) où les cris contre les Juifs étaient poussés bien fort22. Le paradoxe était que la gauche, même quand elle défendait les Juifs, utilisait des stéréotypes antisémites. L’antisémitisme apparaissait comme un sentiment, plutôt qu’une idée politique, capable d’abolir les différences entre les partis. Dans une brochure du Parti communiste en Algérie (probablement d’octobre 1935)23, le PC accuse les partisans de La Roque d’être proches des riches et pas du peuple et l’on peut y lire : « Tandis que les Croix-de-Feu développent une haine inhumaine contre les petits commerçants juifs, n’ont-ils pas dans leurs organisations de gros capitalistes et usuriers juifs qui les subventionnent ? » De cette façon, même si l’idée était de secourir les Juifs, en réalité la propagande antisémite continuait à fonctionner. À cette période, les Juifs seront aussi accusés de ne pas avoir pris part à la guerre : l’Action française, un autre groupe antisémite, fera afficher des manifestes où est écrit que seuls 35 Juifs français ont pris part à la guerre. En réalité, la communauté juive a compté 6 500 morts sur 28 000 soldats24 (le plus haut pourcentage par rapport aux autres communautés en Algérie – musulmans et européens –, environ 23 %25). Dans cet environnement de violence verbale se déclencha aussi un acte barbare de violence physique, dans l’indifférence totale des autorités françaises, le pogrom du 5 août 1934 à Constantine (avec un total de 24 victimes juives). Il est intéressant de noter comment deux journaux ont justifié cet acte barbare : L’Éclair algérien, dirigé par Henry Lautier, attribue la faute aux Juifs, qui auraient « provoqué » les Arabes ; Le TamTam, dirigé par Laurent Barre et Oscar Latine, passe sur les morts et accuse les Juifs, qui se sont plaints de l’absence de la police, « d’attaquer la France et de ne pas être des vrais Français26 ». Pour donner encore une fois le climat de l’époque, voici un rapport du commissariat central de Constantine daté du 21 août 1934 (soit seize jours après la tragédie) : « Il est à signaler que les agents français répugnent à servir sous l’autorité dégradée tant d’Israélites que d’Indigènes et le service et la sécurité auraient tout à gagner à n’avoir que des gradés français aussi bien dans les commissariats d’arrondissement que sur la voie publique27. » Même dans les forces de police locales d’une ville où une bonne partie de la population était juive (et intégrée) et où avaient éclaté ces violences quelques jours auparavant, dominait encore ce fort sentiment de haine. Cette situation tendue perdurera dans toute l’Algérie, et surtout en Oranie28, jusqu’à la révolution nationale de Pétain, et elle connaîtra des développements pendant la période du Front populaire et de la proposition Blum-Viollette29. Outre l’antisémitisme français, il en existait un autre, complètement différent, d’origine espagnole et arabe musulmane. À ce propos, il est important de souligner que ces formes d’antisémitisme (espagnol et arabe musulman) avaient en commun l’absence d’une organisation politique structurée (comme l’antisémitisme français), et les élites espagnoles et arabes restaient en général loin de l’activisme et de la propagande, fournissant surtout les gros bras pour les bagarres de rue où les Espagnols et les Arabes étaient souvent en première ligne30. Cette brève introduction était importante pour donner une idée de la situation en Algérie : un pays où une minorité qui avait trouvé dans l’État français un mode de vie idéal devait affronter une réalité où ses premiers adversaires étaient ces Français qui auraient préféré garder une distance visà-vis de cette population à laquelle ils rechignaient à concéder une réelle intégration dans leur communauté. Vichy, les lois raciales et les réactions des peuples d’Algérie L’application des lois raciales fut extrêmement rapide en Algérie. D’abord la liberté de diffamer et la possibilité d’insulter les Juifs à travers la presse31 furent rétablies, avec l’abrogation du décret Marchandeau du 21 avril 1939, qui avait (justement) le but d’arrêter la propagande raciste en France : cette abrogation, instituée sous le gouvernement Daladier, est significative, car la loi Marchandeau était née dans le but de contraster surtout la presse algérienne pourrie d’antisémitisme, et de protéger « un groupe de personnes appartenant par leur religion à une race ou à une religion déterminée ». Ensuite, au mois d’octobre 1940, il y eut l’abrogation du décret Crémieux (7 octobre), qui enlevait la citoyenneté à environ 117 000 individus, et la proclamation de la loi portant statut des Juifs32 (3 octobre, mais publiée au Journal officiel le 18 octobre), « loi applicable à l’Algérie, aux colonies, pays de protectorat et territoires sous mandat » ; le 11 octobre, une nouvelle loi était publiée, selon laquelle « […] est suspendue, en ce qui concerne les israélites indigènes des départements d’Algérie, la procédure instituée par les articles 3 à 11 de la loi du 4 février 1919 sur l’accession des indigènes de l’Algérie aux droits politiques33 ». En moins de deux semaines, ceux qui avaient été des citoyens français devenaient des hommes sans aucun droit. En plus, les règles pour comprendre qui était juif étaient complexes et très peu claires. Le 1er article du statut de 1940 affirmait : « Est regardé comme juif, pour l’application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif34. » Toutes ces lois étaient nées en complète autonomie à Vichy : il est important de souligner cet aspect, même s’il est connu, pour comprendre un point essentiel, c’est-à-dire la volonté raciste française, qui n’attendait que le moment propice pour éclater avec violence. Et il est encore plus important de voir qu’en Algérie régnait une espèce d’ultravichysme car : « Le régime de Vichy en Algérie ne se contentait pas, seulement, d’appliquer les décisions gouvernementales ou de donner corps aux idées ou pensées du maréchal Pétain. Souvent les premières étaient appliquées avec une rigueur inconnue en métropole tandis que les secondes étaient admirées en des termes “divins”. Souvent, le régime de Vichy en Algérie exagérait, accentuait, élargissait la portée de ces décisions35. » Si le but du premier statut (après avoir déterminé qui était juif) était de chasser les Juifs du domaine public et du journalisme (avec quelques dérogations pour les anciens combattants36 et pour ceux qui étaient français depuis cinq générations), le deuxième statut du 2 juin 1941, né par l’action de Xavier Vallat37, bloquait en pratique tous les accès aux autres métiers : le but final était une « stérilisation » de la société française et algérienne. À partir de novembre 1941, un numerus clausus fut appliqué (2 %) aux avocats, médecins38 et sages-femmes, en février 1942 le même fut appliqué aux architectes, et le 8 septembre également aux dentistes. En pratique, les Juifs pouvaient travailler seulement dans l’artisanat et le petit commerce. En 1941 eut lieu aussi un recensement39 (de la population et des biens) où l’appellation religieuse/raciale était rétablie : si la plupart des Juifs dans le recensement de 1931 s’étaient refusés à dire s’ils étaient des « israélites naturalisés » en 1870 en se définissant directement comme « Français d’origine »40, ce choix de Pétain les obligeant à un énorme pas en arrière. Avec le numerus clausus pour les étudiants de l’université et des lycées41 (3 %), et ensuite pour les écoles primaires (14 %), se réalisait le « nettoyage » commencé plus tôt avec les professeurs, en accord avec l’idée de Vallat : si les Juifs ne peuvent pas travailler dans certains domaines, pourquoi devraient-ils étudier pour le faire ? Le 19 août 1941, par l’action de Maxime Weygand (antisémite farouche mais aussi antiallemand), fut créé un « Service algérien des Questions juives »42 (l’équivalent du « Commissariat général aux questions juives » – le CGQJ – créé en France). Ce nouveau dispositif, qui restera en fonction jusqu’à fin mars 1943 (cinq mois après l’arrivée des Alliés au Maroc et en Algérie), devait s’occuper de « l’aryanisation et de la spoliation rationnelles des bien juifs43 ». Les réactions des communautés Dans ce contexte, nous pouvons observer les réactions des communautés qui vivaient à l’époque en Algérie. S’agissant de la communauté française, Michel Ansky nous rapporte un commentaire de Morinaud publié dans Le Républicain de Constantine : « La joie s’est emparée des Français quand ils ont appris que le gouvernement Pétain abrogeait, enfin, l’odieux décret44. » Nous soulignerons ici l’utilisation du mot « joie ». En fin de compte, toute la haine raciale algérienne avait trouvé la possibilité de s’épancher de plein droit et avec l’approbation des autorités de Vichy. C’était une espèce de soulagement, car enfin existait la possibilité de donner libre cours à ces sentiments refoulés et violents. Au niveau politique et ministériel il y avait en Algérie un groupe de fidèles exécutants de la politique antisémite de Vichy : le général Maxime Weygand, le gouverneur général de l’Algérie Yves Châtel (18 novembre 1941-17 janvier 1943) et son conseiller Canavaggio. Même après la libération, Marcel Peyrouton45, successeur de Châtel, continuera à mener une politique antisémite. S’agissant des partis politiques et de la société civile, le climat restait fortement antisémite. En septembre 1940, pendant la tournée de réorganisation du PPF opérée par Jean Fossati, il y aura plusieurs bris de vitrines et des affichages de tracts hostiles ; la Légion française des combattants se distinguera pour ses positions, moins violentes mais extrêmement antisémites (une section de Blida en juillet 1942 demandera à Pétain de faire appliquer en Algérie aussi le port de l’étoile jaune et d’interdire la sortie des Juifs le dimanche et les jours fériés46). La société civile fut en pratique absente. Il y eut très peu de gestes de solidarité du côté français (ou européen en général) : Mgr Leynaud, archevêque d’Alger, qui proposa au gouvernement d’accueillir dans des écoles catholiques privées des enfants écartés des écoles publiques, les scouts européens qui soutinrent le scoutisme juif, la Banque d’Algérie qui ne licencia pas son personnel juif. Cette situation n’est peut-être pas étonnante : comme l’a récemment écrit Robert Satloff, toute la législation antijuive de Vichy a été autonome et spontanée, l’Allemagne n’avait aucun rôle dans cette édiction de lois raciales47, donc il était plutôt normal (et encore plus en Algérie) d’avoir une population qui ne s’intéressait pas à la vie des Juifs et qui soutenait plutôt le procès antisémite. Les lettres de respectables citoyens français, citées par Michel Abitbol, qui critiquaient Xavier Vallat48 sont tout à fait intéressantes. À leur avis, ce dernier était trop indulgent et ces honorables Français lui demandaient d’être plus dur avec les Juifs49. Dans ce contexte, on ne peut oublier qu’après le numerus clausus de 3 % pour les étudiants de l’université, le docteur Costa écrivait d’Alger à son ami René Gazagne, directeur du statut des personnes au Commissariat général aux questions juives à Vichy, en ces termes : « […] les étudiants français d’Algérie ont accepté douloureusement le 3 %. Ce qu’ils désiraient, c’est en réalité le 0 %50. » La volonté d’écarter les Juifs de tous les domaines en arriva à des situations absurdes : à Alger, le préfet (le 21 juillet 1942) interdit aux Juifs d’exercer la profession de dépositaire de lait parce que, selon une enquête, ils étaient accusés de consommer trop de lait (5 000 litres par jour pour une population de 25 000 Israélites) par rapport aux Européens et aux musulmans (7 000 litres pour 270 000 individus51). Une telle invraisemblance dans les quantités prouve qu’il ne s’agissait là que d’une nouvelle occasion de dépouiller les Juifs d’une activité économique et de leur rendre la vie encore plus difficile. En conclusion, cette phrase de Cantier éclaire la réaction de la population française : « Une poignée d’hommes de bonne volonté, une forte fraction d’antisémites convaincus ou opportunistes, une masse intoxiquée par la propagande qui suit avec complaisance ou indifférence le développement de la persécution, ainsi semble pouvoir être résumé le profil de l’opinion publique européenne face à la question juive52. » Quant aux attitudes face à la possibilité d’expropriation des biens juifs, elles ont différé entre Français et Algériens musulmans : très peu des musulmans ont profité de l’aryanisations des biens juifs53. Les indigènes musulmans – ces vocables étaient employés par le gouvernement français pour désigner les Algériens arabes – ont eu en général un comportement plus correct que les Français envers les Juifs : selon le témoignage de José Aboulker, cité par Robert Satloff, aucun Arabe ne se serait approprié des biens spoliés aux Juifs, un « exemple admirable de dignité collective54 ». En réalité, il ne faut pas faire l’erreur de glorifier l’attitude des musulmans : comme le rappelle bien Yves-Claude Aouate, il y avait aussi une partie de la population – l’élite intégrée – qui se plaignait de ne pas pouvoir participer aux séquestres de biens et qui « bien contente de la déchéance des Juifs attendait des résultats pratiques55 ». Donc il faudrait distinguer ceux qui n’ont pas profité parce qu’ils voulaient être corrects et ceux qui, plus simplement, n’ont pas pu participer. À côté de ceux qui recherchaient leur propre profit, il y avait aussi la grande masse populaire musulmane : cette partie de la population était intimement satisfaite de l’abrogation du décret Crémieux. Son antisémitisme était plutôt lié à l’idée du traditionnel mépris envers les Juifs, une sorte de revanche au niveau social56. Néanmoins, il faut souligner que les élites intellectuelles et nationalistes soutenaient une position totalement contraire. Pour plusieurs leaders politiques, il n’y avait aucune raison de se réjouir de l’humiliation des Juifs, car la perte de tous les droits de citoyenneté après soixante-dix ans était signe d’une dégradation et d’une totale déviance du droit français57. Ferhat Abbas, Alì Boumendjel (tous les deux en soulignant que les Arabes ne pouvaient pas suivre une politique raciale, vu qu’eux-mêmes étaient discriminés) étaient opposés à cet antisémitisme, et jusqu’à Messali Hadj, chef du PPA (Parti du peuple algérien), qui affirmait que « l’abrogation de Crémieux ne peut être considérée comme un progrès pour le peuple algérien vu qu’en ôtant leurs droits aux Juifs, vous n’accordez aux musulmans aucun nouveau droit58 ». L’ouléma réformiste Cheikh El Oqbi, pour montrer son opinion et sa volonté d’être proche des Juifs, fonda avec ces derniers et des chrétiens une « Union des croyants monothéistes59 ». On peut donc mettre en évidence les différences entre Français (et plus généralement Européens) et musulmans, soit au niveau de la masse populaire, soit au niveau des élites. La masse française était plus touchée par la propagande et, après des dizaines d’années d’antisémitisme organisé, attendait le moment pour pousser les Juifs dehors ; la masse musulmane (à part les Kabyles qui, pendant un moment, ont pensé pouvoir prendre la place des Juifs dans la société algérienne) était moins intéressée et comprit bientôt qu’elle ne pouvait rien gagner à cette situation. La grande différence s’est manifestée entre les élites, car dans ce domaine on peut mieux comprendre la politique d’un État. Les élites européennes, y compris l’Église catholique, étaient en pratique absentes : pas de prises de position, ni de déclarations ou d’exemples formels de solidarité. En revanche, les élites musulmanes ont ouvertement déclaré leur opposition et de cette façon ont mis en évidence leur objection à des dispositions qu’elles trouvaient contraires à la loi et à la morale. Là encore on a pu voir la différence entre la métropole, où une solidarité s’était quand même manifestée en certains domaines (au moins dans quelques cas), et l’Algérie ; le fait que les classes bourgeoises algériennes étaient liées à l’idée d’exclusion des Juifs, idée présente depuis toujours, et à une société bloquée qui n’avait jamais toléré l’acquisition de la nationalité par les Juifs, avait donné lieu à un système plus extrême et violent que dans tous les autres départements français. Joëlle Allouche-Benayoun et Doris Bensimon écrivaient à propos de la réaction juive après la vague antisémite du début de 1900 : « […] la crise antijuive, tout en marquant la génération qui l’a vécue et qui en transmet le récit à ses descendants, n’a pas freiné le processus de francisation de la judaïcité algérienne. Bien au contraire, elle a plutôt stimulé son aspiration à une intégration plus complète à la société française60. » De fait, cette attitude, quelquefois étonnante, fut celle des Juifs algériens. Dans les témoignages contemporains (Pages vécues d’Eisenbeth ou dans le Bulletin de la fédération des Sociétés juives d’Algérie géré par Élie Gozlan) jamais on ne ressent de haine envers la France : la période de Vichy semble être considérée comme une erreur, une pause dans la progressive assimilation française, et l’envie de rester à l’intérieur de cette culture est tellement forte qu’elle fait oublier les discriminations subies. Dans un document du CDJC, on trouve au moins une critique de la période de Vichy : « On pouvait espérer que la guerre de 1939-40, à l’instar de celle de 1914-18, provoquerait une union sacrée à la faveur de laquelle les haines s’apaiseraient. Il n’en fut rien. Loin de se calmer, elles s’attisèrent. Les Juifs furent les boucs émissaires de la défaite61. » Ce document est important car il met en lumière ce que beaucoup d’autres auteurs n’ont pas le courage de soutenir : la France, qui avait utilisé les Juifs d’Algérie pour acquérir de nouveaux citoyens, les utilisait maintenant comme boucs émissaires. Ils avaient été internés parce que Juifs, même si soldats de l’armée française, ils étaient restés dans les camps d’internement bien après l’arrivée des Alliés, ils n’avaient récupéré leurs droits (y compris la citoyenneté et le rétablissement du décret Crémieux) que bien des mois après que l’Algérie était redevenue libre62. Mais malgré tout, et c’est justement cet aspect qui pourrait surprendre, les Juifs algériens sont restés profondément liés à la France, à leur passé et à l’émancipation que ce pays leur avait octroyée soixante-dix ans auparavant. En conclusion, je citerai Tocqueville, évoqué par Xavier Yacono dans un petit livre sur l’histoire de la colonisation française. Alexis de Tocqueville écrivait en 1841 : « En général, en Afrique, comme partout ailleurs, toutes nos alliances ont amené la destruction ou la diminution de ceux qui mettaient en nous leur confiance63. » Bien que précédant d’un siècle la situation de l’Algérie de Vichy, cette phrase est parfaite pour décrire la relation, souvent pénible, entre les Juifs d’Algérie et la France, ainsi que l’attitude ambiguë que la France a toujours eue envers cette communauté. Quatrième partie LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD DANS LE TUMULTE DES ÉVÉNEMENTS 8 Les Juifs de Mogador (Essaouira) pendant la Seconde Guerre mondiale : la terreur de Vichy et sa gestion communautaire1 par Joseph CHETRIT INTRODUCTION Avec l’ouverture progressive des archives administratives, diplomatiques et communautaires, la douloureuse période de la Seconde Guerre mondiale pour les Juifs d’Afrique du Nord sort à présent de l’ombre – et peut-être même d’une certaine occultation – historique dans laquelle elle était maintenue depuis la fin de la guerre. Différentes études générales2 ou particulières3 ont été consacrées ce dernier quart de siècle à ces années de terreur, de menaces et de périls pour tous, et de calvaire pour ceux qui ont connu les affres et souvent même l’enfer des camps d’internement ou de travail français (en Algérie et au Maroc) et nazis (en Libye et en Tunisie)4. Ces travaux lèvent le voile sur les mesures discriminatoires et violemment antisémites qui ont été imposées aux communautés juives d’Afrique du Nord et sur le lot de souffrances et d’angoisse que celles-ci ont vécues sous le régime de Vichy. Comme on le sait maintenant, cette période de restrictions, de contraintes, d’injustices, de brimades et de persécutions ne s’est pas terminée avec le débarquement des troupes américaines le 8 novembre 1942 à Casablanca et à Alger. Elle a continué bien au-delà, en fait jusqu’à la victoire finale en 1945 sur Hitler et les nazis, avec un certain répit tout de même à la fin de l’année 1943, après l’accord passé en Algérie entre le général de Gaulle et le général Giraud, la restauration de la citoyenneté française qui s’en est suivie pour les Juifs algériens et l’annulation des autres décrets de Vichy pour l’Algérie, la Tunisie et le Maroc5. Dans cette étude, nous nous intéresserons exclusivement aux événements, aux processus, à l’ambiance d’insécurité et d’angoisse, aux réactions des individus et des collectivités, ainsi qu’aux comportements qui ont marqué le judaïsme marocain à la période de l’avant-guerre et de la guerre, c’est-à-dire à partir de la montée de Hitler au pouvoir jusqu’à la fin de la guerre6. Après l’évocation des conditions générales qui ont prévalu dans ces communautés à la suite de la montée du nazisme et des réactions que cet événement et ses conséquences ont suscitées dans les milieux juifs, nous étudierons en détail la manière dont les années de guerre 1940-1942 et une partie de 1943, période durant laquelle les communautés juives étaient sous la coupe du régime de Vichy, ont été vécues par une communauté particulière, celle de Mogador (aujourd’hui Essaouira). Pour cela, nous mettrons à contribution des documents d’archives que nous venons de découvrir, les circulaires communautaires notamment par lesquelles le président du comité de la communauté ainsi que le président du tribunal rabbinique transmettaient aux membres de la communauté les directives de l’administration française et essayaient de gérer du mieux qu’ils pouvaient des situations et des contraintes bien difficiles pour tous7. Mogador est aussi la seule communauté pour laquelle nous disposons, pour le moment, du rapport de synthèse officiel des déclarations de biens juifs que les chefs de famille devaient remplir et remettre jusqu’au 8 novembre 1941 ainsi que de la liste complète de ceux qui les ont remplies et déposées8. Nous utiliserons aussi des textes poétiques en judéo-arabe et en français qui ont été écrits à Mogador avant la publication de la législation antijuive au Maroc par des poètes locaux sur ces événements, ainsi que des témoignages oraux que j’ai recueillis voilà une trentaine d’années auprès de personnes originaires de la communauté. LA RÉACTION CONTRASTÉE DES COMMUNAUTÉS JUIVES DU MAROC À L’HITLÉRISME La réaction des intellectuels, des commerçants et des couches populaires Contrairement à ce que certains pourraient penser sur la connaissance réelle que les communautés juives du Maroc avaient du danger que représentaient le régime nazi et l’hitlérisme triomphant en Allemagne pour les Juifs allemands et l’ensemble du monde juif, elles étaient bel et bien conscientes de la politique nazie antijuive et des persécutions et spoliations menées contre les Juifs d’Allemagne dès la montée du nazisme au pouvoir en 1933. Elles furent d’ailleurs parmi les premières à réagir à ces persécutions par un boycott public des marchandises allemandes et des firmes allemandes implantées au Maroc, boycott qui a eu un certain effet sur les responsables allemands9. D’autre part, les couches francisées des différentes communautés suivaient régulièrement l’actualité française à travers la presse française et la presse nord-africaine publiée en français et répercutaient leurs informations, leurs craintes et leurs appréhensions dans les autres couches. Dans ce relais de transmission des nouvelles du monde, le monde français et européen en particulier, le rôle des maîtres des écoles de l’Alliance (l’AIU) fut inestimable. Par leur formation comme par leur profession, ils étaient au courant des développements politiques concernant la France et les affaires françaises, comme la tension avec l’Allemagne, tels qu’ils étaient perçus non seulement par la presse mais aussi par la direction parisienne de l’Alliance et sa correspondance ininterrompue avec les directeurs d’école. Aussi est-ce tout naturellement qu’un instituteur à l’école de l’Alliance à Meknès10 a choisi de consacrer son travail trimestriel, que tout maître de l’Alliance se devait d’envoyer à la direction parisienne de l’AIU, à la triste renommée que s’était faite Hitler dans sa communauté en 1934. Dans son rapport, qu’il a intitulé « Hitler chez nous », il écrit : « Il est tout à fait curieux de remarquer chez les Juifs moyens de chez nous l’état d’esprit qu’a créé l’avènement de Hitler au trône de la barbarie. « Le nom du champion du crime collectif et officiel est dans toutes les bouches. Tout ce qui peut avoir rapport à l’Allemagne hitlérienne, à la malchance, à un objet ou à une personne quelconque pouvant porter un préjudice matériel ou moral, prend le nom de Hitler, l’Aman du XXe siècle. Il n’est pas jusqu’aux enfants qui ne connaissent ce nom de triste réputation11. » Dans cette première phase du nazisme, ce sont donc des instituteurs et ceux qui pratiquaient des professions libérales, des intellectuels en général, qui se seraient mobilisés les premiers et qui auraient manifesté leurs craintes et leur condamnation du régime nazi et de sa politique antijuive. Ils furent particulièrement actifs à Casablanca, capitale économique du royaume sous le Protectorat, et à Rabat, sa capitale politique. Pour l’un des connaisseurs les plus avisés du judaïsme marocain de l’époque, le journaliste Jacob Ohayon12, c’est cette mince couche de la communauté qui a été principalement secouée et même horrifiée lors de la montée des périls nazis, les couches populaires étant soi-disant résignées par « atavisme » à leur destin juif incertain : « En 1933, dès l’avènement de Hitler et les premières mesures raciales, les Juifs marocains ont voulu protester – marquer le coup, comme l’on dit. Tandis que les Juifs du ghetto accueillaient l’avènement avec l’indifférence atavique des persécutés endémiques, protégés qu’ils étaient contre les vexations antijuives, grâce à une carapace religieuse et traditionnelle, les assimilés par contre, atteints d’un complexe d’infériorité conséquente du peu de confiance en leur résistance et de l’absence de toute foi religieuse commençaient à trembler, les uns pour leurs biens, les autres pour leur confort : aucun à mon avis ne songeait qu’un événement quelconque, imprévu, pouvait les amener au stade où commençaient à s’empêtrer les Juifs d’Allemagne. « La manifestation du Régent Cinéma13, en mars 1933, était considérée par beaucoup comme purement symbolique. On n’y vit pas figurer les rabbins, les orthodoxes, mais les avocats, les commerçants, toute une foule de gens pour la plupart ignorants de l’histoire juive, et ne se faisant aucune idée de la menace sourde et continue qui allait les poursuivre partout14. » L’écriture antinazie au Maroc Malgré ces assertions péremptoires du journaliste, il est permis de douter de cette présentation dichotomique, caricaturale et condescendante15, des sentiments des différentes couches sociales et des différents milieux juifs au Maroc face aux périls du nazisme. Si les couches populaires n’ont pas manifesté publiquement et bruyamment leur indignation et leur réprobation de la politique nazie, c’est que les dirigeants communautaires ne les ont pas encouragées à le faire, ceux-là mêmes qui étaient inféodés aux autorités du Protectorat et enrégimentés par leurs services sourcilleux. Les couches populaires avaient d’autres moyens plus traditionnels, et moins visibles, de manifester leurs sentiments d’indignation, à travers notamment leur poésie populaire en judéo-arabe ou à travers leur dire formulaire, comme le soulignait l’instituteur de Meknès dans son rapport trimestriel. C’est ainsi que dans la poésie orale du genre Aroubi, chantée surtout par les femmes mais aussi par des hommes lors des veillées du Tahdid16, qui se déroulaient durant les nuits d’avant la circoncision du nouveau-né juif, la figure rhétorique et virtuelle commune de l’ennemi, qui y apparaît fréquemment et contre laquelle sont lancées des invectives et des malédictions, a pris le nom emblématique de Hitler dans des collections de textes imprimées à Casablanca avant la guerre17. Des poètes populaires ont aussi composé des chants satiriques contre Hitler et ses acolytes. C’est le cas du chansonnier Albert Levy de Mogador18. Dans son long poème judéo-arabe, qu’il a composé bien avant la guerre, à un moment où les rigueurs de Vichy et de ses représentants au Maroc n’avaient pas encore paralysé l’expression juive, l’auteur relate les exactions et les persécutions de Hitler dirigées contre les Juifs allemands, en accompagnant ses descriptions de violentes imprécations contre cet ennemi implacable du peuple juif, et évoque le boycott des marchandises allemandes par les Juifs du Maroc. À la fin de son texte, il n’oublie pas de vanter les bienfaits de la France, protectrice des Juifs19. C’est un autre poète de Mogador, Isaac Knafo, dont la verve créatrice en français fait de lui le poète de sa ville natale et du judaïsme marocain d’avant la guerre, qui a consacré en septembre-octobre 1939 toute une plaquette de onze poèmes pamphlétaires contre Hitler et le régime nazi et leur implacable cruauté. Cette plaquette, il l’a aussitôt publiée sous le titre Les Hitlériques, et elle connut un succès certain20. À côté de textes satiriques et moqueurs, où il évoque la soif de pouvoir de Hitler et ses vices monstrueux et grotesques, ainsi que ceux de ses lieutenants nazis, il a écrit un des poèmes les plus significatifs sur l’avant-guerre, où il décrit avec grande sensibilité, compassion et émotion le calvaire de ceux qui étaient déjà internés et humiliés dans les camps de concentration d’avant la Solution finale. Dans ce poème comprenant douze quatrains de quatre alexandrins chacun, au rythme bien frappé et aux rimes embrassées et intitulé « L’enfer », dont nous donnerons en annexe le texte intégral, il écrit dans les deux premières strophes : Tout là-bas, quelque part dans la triste Allemagne, L’enfer est dénommé Camp de Concentration. Pour les seuls innocents, ce lieu de détention Est, ainsi qu’il se doit, plus cruel que le bagne. Mal nourris de déchets, couchés sur des grabats — quand ce n’est pas sur le sol —, dans d’infâmes baraques, Les prisonniers fourbus que l’on torture et traque Doivent, le long des nuits, aux rats livrer combat21. Cette écriture antinazie, aussi bien populaire que savante, relayait en fait les informations et commentaires qui s’étalaient de temps à autre dans les pages de l’hebdomadaire juif de Casablanca L’Avenir illustré22, dont le directeur, Jonathan Thursz, avait fait l’organe sioniste central d’Afrique du Nord, et appelaient les lecteurs à la plus grande vigilance et à la solidarité active avec les Juifs d’Allemagne. Les menées antijuives au Maroc avant la défaite de la France Cette mobilisation générale des esprits à la veille et au début de la guerre, avant que ne fût arrêtée la législation antijuive de Vichy, se traduisit par un afflux de milliers de jeunes Juifs aux centres qu’avaient ouverts, à Casablanca et dans d’autres villes de Maroc, les autorités françaises pour recruter des volontaires qui combattraient dans les rangs de l’armée française, bien sûr avant que la France défaite ne signât l’armistice de juin 1940. Mais leur fougue et leur volonté de combattre l’armée allemande furent vite déçues, les autorités coloniales ayant refusé de les enrôler sous toutes sortes de prétextes, dont les sentiments antisémites des agents du Protectorat n’étaient pas les moindres23. C’est qu’en effet, pendant l’avant-guerre, les Juifs du Maroc ne vivaient pas que dans la hantise de la montée du nazisme et de ses périls de plus en plus pressants, mais étaient aussi en butte à la montée de l’antisémitisme des colons français et de leurs sentiments racistes, qui se déployaient à travers des organes de presse officiels en français. Ce racisme de plus en plus virulent des colons, répercuté même par quelques activistes nationalistes musulmans, ne faisait que répondre à l’antisémitisme endémique que cultivaient un grand nombre d’agents du Protectorat, aussi bien dans l’administration civile qu’au sein de l’armée française d’occupation24. Pendant ces années, les autorités françaises cherchaient à rapprocher les élites musulmanes de la politique française et multipliaient leurs efforts dans ce sens en faisant abstraction des élites juives et des populations juives, considérées comme devant gêner ces efforts25. La création de tels cercles franco-marocains formalisa même par avance l’étude et la préparation de mesures antijuives, avant même la déclaration de la guerre et bien avant la législation antijuive de Vichy, comme le rapporte le journaliste J. Ohayon : « Chaque fois, il n’était question que de l’amitié, du rapprochement “franco-musulman”, et non “franco-marocain”. Les Juifs saisissaient la nuance. On ne pouvait pas mieux les exclure de la vie marocaine. » Un cercle franco-marocain, dirigé par un comité français, refusa d’admettre les Juifs marocains. Ce cercle devint un foyer politique où, sous prétexte de rapprochement franco-marocain, on fit de la politique raciale. C’est là que fut préparé un statut futur du judaïsme marocain, prévoyant même le numerus clausus, l’exclusion de certains postes, etc. Si l’on considère que ces événements se passaient en 1938, l’on comprendra facilement le chemin parcouru dans les esprits par la propagande raciale. Et ce cercle politique prenait, aux yeux des Juifs, ses inspirations, ses directives, de Français26… C’est dans cet état d’esprit antisémite et cette ambiance antijuive que les Juifs du Maroc ont appris, effarés, la défaite de la France et sont entrés sous la coupe du régime de Vichy. Le général Noguès, Résident général du Maroc, s’est rallié à la cause du maréchal Pétain alors qu’il avait été nommé à son poste par le gouvernement Léon Blum et était considéré comme un homme de gauche. À la tête de l’administration coloniale, animé d’un excès de zèle, il joua un rôle déterminant dans l’application exemplaire et rapide aux Juifs du Maroc de la législation antijuive de Vichy de juin et octobre 1940. Commenceront alors pour les Juifs les spoliations, le renvoi ou la limitation d’exercice des professions libérales, la fermeture de maisons de commerce intérieur et extérieur et le transfert de leurs activités à des Français ou à des musulmans, les quotas dans les écoles non juives, le soupçon généralisé, les harassements, les brimades et l’instauration d’une ambiance d’incertitude et de peur, bref, tous les ingrédients d’un régime de terreur doublé d’une grande dose de précarité27. Par la suite, par application du dahir du 5 août 1941, tous les Juifs devaient remplir leurs déclarations de biens financiers et de biens immeubles et les déposer auprès des services municipaux jusqu’au début novembre de la même année, sous peine de fortes amendes et d’emprisonnement28. Dès l’été 1940 et jusqu’après la fin de la guerre, ce sera aussi la pénurie des denrées et des produits de consommation de première nécessité, comme les tissus ou le savon, avec un système de rationnement qui tentera de la gérer : les Français seront les premiers et les mieux servis, les Juifs les derniers et les moins bien, alors que les populations musulmanes seront parfois mieux loties pour certaines denrées de base29. Avec la pénurie fleurira aussi le marché noir, que les Juifs seront accusés en premier d’alimenter et de faire prospérer. Ils seront châtiés en conséquence pour leurs forfaits, graves ou bénins30, certains d’entre eux envoyés même dans les camps d’internement et les camps de travail du Sud-Est marocain et d’ailleurs31. Une autre question préoccupa les grandes communautés juives urbaines. C’est celle de l’aide qu’elles se devaient d’apporter aux réfugiés juifs venus d’Europe au Maroc, à Casablanca et Tanger surtout, en route pour l’Amérique et d’autres lieux d’accueil, mais se retrouvant souvent bloqués sans papiers et sans ressources. Ceux qui n’étaient pas internés par les autorités coloniales étaient répartis par le Comité d’accueil aux réfugiés juifs, lequel a été fondé et dirigé par maître Hélène Cazes-Benatar, et envoyés dans différentes communautés du littoral marocain, dont les dirigeants se chargeaient de leur trouver des lieux ou des familles d’accueil32. LA COMMUNAUTÉ JUIVE DE MOGADOR SOUS LE RÉGIME DE VICHY La mise au pas de la communauté et des familles Mogador était parmi ces communautés qui ont accueilli des réfugiés juifs d’Europe, et les souvenirs de cet accueil sont encore vivaces dans la mémoire de ceux qui en ont bénéficié33. Après l’installation du protectorat français en 1912, la ville a beaucoup perdu de son poids économique, son port ayant été au XIXe siècle le premier du pays, et par suite a perdu de sa population juive aussi. D’après le recensement d’août 1940, qui a servi à l’établissement du rationnement des denrées et produits de première nécessité, la communauté juive comptait 1 251 familles et 6 270 membres, qui étaient autant de rations34. Ces chiffres reflètent les vagues d’émigration qu’a connues dans le premier tiers du XXe siècle une grande partie de la communauté et la dispersion des familles, surtout dans les villes du littoral atlantique, Agadir, Mazagan, Safi et Casablanca, alors qu’au début du siècle elle comptait près de 10 000 âmes35. Comme toutes les autres communautés juives du Maroc, Mogador entra elle aussi à l’été 1940 dans le cercle de la pénurie et de l’angoisse. L’instituteur Prosper Cohen, qui y a été muté de Meknès, brosse ainsi, bien des années après, l’atmosphère qui s’y est alors installée : « À Mogador, nous attendons notre tour comme toutes les autres communautés. L’angoisse injectée goutte à goutte dans les nerfs fait doucement son travail d’érosion. À partir de juin 1940, la tension monte. La déroute de l’armée française, la capitulation, la fuite du gouvernement, l’exode de la population, l’avènement de Pétain et sa reddition, telles sont les tristes péripéties du drame de la mort de cette Civilisation qui tente vainement d’éloigner l’homme du fauve simiesque, son ancêtre. « […] La radio clandestine nous tient informés du sort réservé à nos malheureux frères d’Europe. Les lois de Vichy commencent à instiller leur poison au Maroc : le numerus clausus, invention diabolique à l’usage des antisémites unis de tous les climats, est de mise. L’image du Juif parasite et multiple, suçant impitoyablement le sang du pauvre Gentil innocent, ressurgit dans la presse et à la radio, pénètre dans tous les foyers, exacerbe les nerfs et affûte la haine qui sommeille au fond des âmes36. » Commence alors la mise au pas continue de la population juive par l’entremise du comité de la communauté et du président du comité. Les instances juives serviront dorénavant de courroies de transmission et de coercition des directives émanant des autorités coloniales, par l’entremise des autorités locales, et ne se contenteront plus de garnir la galerie soidisant démocratique du régime colonial ni de jouer aux figurants dans les réceptions et cérémonies de la vie publique locale. Il leur incombait de bien prendre conscience des instructions et des ordres assénés à la population juive, de les traduire en judéo-arabe et de les diffuser par le moyen le plus efficace, c’est-à-dire les circulaires lues dans les synagogues à l’office du samedi, à un moment où toute l’assemblée des fidèles (y compris des vieilles dames) était présente. Ces directives ont concerné d’abord l’enregistrement obligatoire de toutes les naissances sous les quarante-huit heures auprès du comité, sous peine de privation de leur ration37. D’autre part, une lettre du contrôleur civil enjoint au président du tribunal rabbinique de « faire surseoir à toute opération de vente ou cession immobilière, jusqu’à la présentation par les parties intéressées d’une autorisation spéciale émanant des autorités de contrôle, spécifiant le domicile des acquéreurs et des vendeurs, quelle que soit leur nationalité38 ». Non seulement les ventes de biens immobiliers seront strictement contrôlées mais même les fêtes familiales. Tous ceux qui comptaient organiser une fête familiale où il était prévu de jouer de la musique ou de danser devaient en demander l’autorisation préalable aux services municipaux par lettre exprès sur papier officiel et déposée au moins vingt-quatre heures à l’avance39. De même, dans les convois funèbres, le cortège juif devra faire attention de ne pas s’étaler sur toute la largeur de la rue mais seulement sur une partie, afin de ne pas gêner la circulation de passants40. Avertissement a été adressé aussi aux parents de surveiller la conduite de leurs enfants dans la rue, sous peine d’être tenus pour responsables des désordres ou des délits qu’ils auront commis41. Au nom des directeurs d’école, une autre circulaire demande aux parents de retenir leurs enfants à la maison jusqu’à un quart d’heure seulement du début des classes et de les empêcher de jouer dans la rue42. Parmi ces circulaires communautaires reproduisant les instructions des maîtres français, une retient particulièrement l’attention. Elle fait état de l’agitation et du mécontentement de certains éléments de la population juive, qui ne se cachaient pas de le faire savoir par écrit, mais de façon anonyme, aux autorités. Elle est datée du 8 novembre 194143, date bien significative, celle-là même qui a été fixée comme dernier délai pour le dépôt des déclarations de biens. Dans sa missive, le président du comité, Meir Melca, annonce que « les autorités (le “Makhzen”) ont reçu des lettres contenant des propos malpropres contre tous les agents du pouvoir, et après enquête il s’est avéré que les auteurs en étaient des enfants ». Il ajoute que « ce sont là des choses déplacées outre mesure, qui salissent la face de la communauté entière » et il engage chacun au nom des autorités « à ce qu’il surveille bien sa bouche et évite des dires superflus ». Les parents en particulier devraient « s’abstenir de tenir des propos malpropres en présence de leurs enfants, surtout concernant le pouvoir et les autorités ». Il avertit enfin les destinataires que « si des enfants se trouvaient coupables de tenir des propos qui ne leur sont pas propres, non seulement ces enfants seraient arrêtés mais leurs parents aussi seraient punis sévèrement ». Il termine sa missive en demandant aux parents, au nom du commissariat de police, de bien surveiller leurs enfants, qui détruisent les plantes et les arbres, jouent et jettent des pierres dans la rue. Les déclarations de biens Les déclarations de biens ont fait l’objet, quant à elles, de différentes circulaires. Après une première missive qui annonçait l’arrivée prochaine des formulaires de ces déclarations devant être remplis en vertu du dahir du 5 août 194144, le président du comité demande par une lettre ultérieure45, bien détaillée, aux membres de la communauté d’aller aux services municipaux retirer ces formulaires et de les remplir soigneusement en veillant à « une écriture bien nette » et à répondre à toutes les questions. Le chef de famille devait remplir le formulaire au nom de sa femme et de ses enfants, et les tuteurs au nom des enfants sans parents. Les Juifs qui n’étaient pas marocains devaient fournir le détail des biens de chacun des membres de leur famille et de leurs biens immeubles avec leur emplacement, leur valeur et leurs dimensions, de même que des marchandises qu’ils détenaient, en y joignant un inventaire ou un bilan. Les Juifs marocains, quant à eux, ne devaient pas fournir le détail de leurs biens si leur fortune ne dépassait pas 50 000 francs, les meubles, les vêtements et les objets de valeur à usage personnel n’ayant pas à être inscrits. Ceux dont la fortune dépassait 50 000 francs devaient inscrire leurs biens, la nature de ces biens, maison, magasin, etc., avec l’adresse et la valeur actuelle. Les marchandises possédées aussi devaient être détaillées, leur nature, leur lieu de dépôt et leur valeur. Les sommes d’argent déposées dans les banques, soit privées soit en association, devaient être déclarées avec les parts de chacun dans des sociétés ou des compagnies et leur valeur. La circulaire se termine par un avertissement lancé au nom du chef des services municipaux pour que personne ne s’abstienne de faire sa déclaration, sous peine d’un mois à un an de prison en plus d’une amende de 100 à 10 000 francs. Les déclarations devaient être déposées avant le 8 novembre 1941. Comme il a été dit, Mogador est la seule communauté juive du Maroc pour laquelle nous disposons non seulement des directives concernant ces déclarations46 mais aussi du rapport de synthèse rédigé par le chef des services municipaux et envoyé au contrôleur civil de la ville sur la base des déclarations qui ont été déposées et en réponse à un questionnaire d’orientation officiel47. Concernant l’état d’esprit de la population juive, le rapport fait état du calme dans lequel ont été remplies et déposées les déclarations ainsi que la « soumission entière [des “israélites”] sans aucune intention de protestation ou de rébellion », en faisant manifestement abstraction des lettres anonymes de protestation ou même d’insultes qui ont été reçues par les autorités. Il ajoute cependant que parmi les « israélites » réside « un sentiment de crainte que cette mesure ne soit qu’une étape vers un prélèvement sur les biens ». En accord avec les préjugés racistes de Vichy, il souligne qu’« à cette occasion aussi s’est ranimé dans ces milieux un sentiment, qui ne cesse d’y exister à l’état latent depuis que les éléments juifs ont été écartés du pouvoir en France : c’est le sentiment de revanche, revanche qui suivra immédiatement la victoire, en laquelle on espère ardemment ». Il juge généralement sincères les déclarations de biens mais ajoute que les bijoux n’ont pas été déclarés, alors qu’ils représentent une bonne part de l’avoir des familles juives. Le rapport souligne aussi la satisfaction des milieux européens et des milieux musulmans de la ville, sans que ces derniers l’eussent cependant exprimée par des incidents ou des actes antijuifs. Toutefois, le Pacha de la ville, représentant le Makhzen sous contrôle colonial et profitant de la situation d’insécurité et de crainte, a fait du zèle à l’occasion de ces déclarations. Selon des sources orales48 corroborées par des témoignages écrits, il a confisqué des bijoux à son profit en ordonnant à des personnes aisées de détailler leurs capitaux et leurs bijoux en carats, sous prétexte que leur grande quantité n’était pas exclusivement destinée à un usage personnel. Durant cette période, il a aussi manifesté par d’autres moyens ses sentiments antijuifs49. « Mais à Mogador, le zèle du Pacha local témoigne de son aversion pour les Juifs et de sa sympathie pour l’ordre nazi. Certaines mesures vexatoires (collecte de bijoux, déclarations de biens, interdiction d’employer une domesticité musulmane) sont prises à la même époque, mais heureusement, l’opposition du sultan stoppe cette ardeur50. « À Mogador, des exactions furent commises par le Pacha – et l’on dit même que le grand rabbin n’y était pas étranger, ce qui est un comble51. Des mesures étaient promises par les autorités d’Alger, à qui des propos furent rapportés52, mais personne n’osa nous adresser des précisions et des témoignages, ce qui dénote, chez la communauté de Mogador, un certain abaissement. Au demeurant, on nous dit qu’actuellement le Pacha a fait mettre beaucoup d’eau dans son vin. Ce n’est pas la faute aux Juifs. N’avait-il pas, en pleine période de persécution raciale, monnayé à son profit le recensement des fortunes ? N’a-t-il pas fait emprisonner un Rosilio ? Mais sans doute ce Rosilio-là méritait-il d’être emprisonné, puisqu’il avait tant peur de la prison53. » La gestion communautaire de la solidarité et de la précarité Selon ce rapport de synthèse, la communauté comptait 6 506 âmes en novembre, dont 6 308 étaient marocaines et 198 de nationalité étrangère. Parmi les 58 Polonais recensés, une grande partie devait être formée de réfugiés juifs qui ont été accueillis par la communauté. Lors du recensement de l’été 1940, la communauté comptait 6 270 membres54, soit une augmentation de près de 3 % en un an et demi. Le nombre de familles déclarées passait par contre de 1 251 à 1 544, sans doute pour mieux répartir les fortunes familiales des déclarants. Les chiffres sont aussi éloquents sur la décadence économique de la communauté. Seules 157 déclarations sur les 1 544 souscrites comportaient une description des biens (d’une valeur de plus de 50 000 francs), alors que dans 763 déclarations il n’y avait aucune mention de profession, autrement dit, près de la moitié des chefs de famille vivaient d’expédients. Dans l’autre moitié, le nombre des commerçants et des marchands (plus de la moitié), des couturiers (62), des cordonniers et savetiers (60) et des bijoutiers (57) est significatif de l’économie juive et des professions juives qui prévalaient dans les différents centres urbains du Maroc jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la fortune déclarée des 157 familles aisées n’est pas complètement représentative des fortunes juives dans les autres communautés urbaines. Elle se concentre d’une part, à Mogador comme ailleurs, dans deux secteurs d’activités traditionnels : des exploitations commerciales, avec des avoirs de 14 814 480 francs, soit 27 % du total (ce chiffre assez faible en somme témoignant à lui seul de la chute économique de la communauté), et dans des biens immobiliers, titres, comptes courants, espèces, d’une valeur de 16 327 744 francs, soit près de 30 % du total. Par contre, un autre secteur économique, celui des immeubles en rapport, avec une valeur de 17 762 629 francs, soit près de 32 % du total, n’était pas aussi important dans les autres communautés. Cela est dû essentiellement à l’histoire spécifique de l’habitat juif à Mogador, où les familles aisées de la Kasba détenaient depuis le XIXe siècle des maisons dans le Mellah, dont elles louaient les chambres aux gens le plus souvent sans ressources fixes. Au XXe siècle, avec le recul des activités d’export-import dans le port de Mogador, les loyers de ces maisons constituaient une part importante des revenus de ces familles55. C’est surtout sur la générosité de ces familles aisées et leur consommation en viande et en vin casher que reposaient les efforts du comité de la communauté pour venir en aide aux nombreuses familles pauvres, dont le nombre augmentait en cette période de crise économique généralisée, alors que les recettes communautaires baissaient. Mais les efforts du comité n’ont pas été vains. La communauté a d’abord collecté des sommes au profit de campagnes générales d’aide et de prévoyance. Elle a ainsi recueilli en janvier 1942 la somme de 31 300 francs pour contribuer au Secours national d’hiver56. L’aide aux nécessiteux devient particulièrement pressante lors des grandes fêtes juives du début de l’automne et du printemps. À cette occasion sont lancés par les rabbins de la communauté en particulier des appels chargés d’émotion (et parfois de manipulations) à la compassion et à la solidarité juives pour décider les récalcitrants à contribuer à la collecte des maigres fonds indispensables. Les documents concernant les collectes de 1942, en pleine crise morale et économique, ont été conservés. À partir de cette année-là, les circulaires sont envoyées au nom du grand rabbin et président du tribunal rabbinique de la ville, R. Haïm David Séréro, originaire de Fès, qui a pris ses fonctions en 1941. À la mi-mars 1942, il a envoyé une circulaire mobilisatrice pour recueillir les fonds nécessaires à la distribution des pains azymes et de quelques victuailles aux pauvres en rappelant la collecte de l’année précédente, qui avait rapporté la somme de quelque 20 000 francs, alors qu’il en fallait bien plus cette année-là à cause des prix qui avaient flambé depuis. Il rappelle aussi la collecte de l’été précédent, qui a été heureuse, et exhorte les membres de la communauté à remplir leur devoir de charité et de commisération57. Par une circulaire ultérieure, il a manifesté sa satisfaction des résultats de la collecte, qui ont dû certainement dépasser ses espoirs, puisqu’il demande à ceux qui connaîtraient des gens dans le besoin de les déclarer afin qu’ils reçoivent leur lot de Pessah58. Le comité avait aussi la charge d’organiser la distribution aux membres de la communauté des denrées et produits rationnés. Des circulaires indiquent ainsi les personnes auprès desquelles et les adresses auxquelles on pouvait retirer les tissus, la qualité (bien médiocre) de ces tissus59, ou bien prendre du vin (un litre rationné). Le comité a aussi servi dorénavant d’intermédiaire entre différents services privés, à Mogador, comme pour la fixation du prix de la mouture de blé dans un moulin privé pour les pains azymes, et les membres de la communauté et la demande faite à l’administration d’alimenter le moulin en courant électrique à cette occasion60. La pénurie des denrées et des produits n’a pas pris fin avec la guerre ; elle s’est prolongée bien au-delà, à cause des désordres économiques et des déséquilibres créés par la guerre sur une grande partie du globe. Le manque de pain a ainsi continué de préoccuper la communauté jusqu’en 1945 et le comité est intervenu à différentes reprises pour le régler ou au moins le soulager. C’est ainsi qu’il a rappelé à l’ordre ceux qui avaient des rations de blé et leur a demandé de ne pas revendre leurs rations sous forme de matière première mais d’en faire du pain, comme ils s’y sont engagés, sous peine de perdre leur ration. Ce problème touchait d’ailleurs la seule communauté juive, tandis que les musulmans étaient disciplinés et fabriquaient le pain qu’il leur fallait à partir des grains qui leur étaient rationnés61. Par une autre circulaire, il a été rappelé aux gens qui pouvaient se permettre de fabriquer eux-mêmes leur pain de ne pas passer leur carnet de rations de pain à des tierces personnes, qui jouissaient ainsi d’une double ration alors que d’autres en manquaient complètement62. La reprise en main religieuse de la communauté, ou la récupération interne de la crise La législation antijuive de Vichy et son application stricte au Maroc ont institué de fait une corporatisation raciale forcée des individus formant la communauté juive, ce qui les faisait appartenir dorénavant à un agrégat aux membres indifférenciés. Ce statut informel a eu pour effet premier de renforcer le pouvoir du leadership communautaire, et plus particulièrement l’autorité morale et pratique du grand rabbin. Ses fonctions de président du tribunal rabbinique touchant un salaire fixe du Makhzen lui avaient déjà procuré un haut prestige aux yeux de la communauté et en faisaient l’autorité suprême pour toutes les questions concernant les croyances et les pratiques juives63. Son nouveau statut de dirigeant communautaire suprême aux yeux de l’administration lui accordait de nouveaux pouvoirs qu’il a essayé d’utiliser pour réformer les comportements non conformes aux normes religieuses et aux traditions juives orthodoxes. Cette tentative de reprise en main était aussi favorisée par la situation de crise permanente et de désarroi profond dans laquelle était plongée la communauté depuis la législation antijuive de Vichy. La récupération interne de cette situation critique advenait dans une communauté où l’ouverture sur l’extérieur accompagnée d’un certain relâchement des comportements orthodoxes datait déjà du XIXe siècle64. C’est ainsi que le grand rabbin Séréro a adressé différentes circulaires pour faire respecter les normes de la Halakha au sein de la communauté, sous peine de dénonciation aux autorités ou de punitions intracommunautaires. Ces mesures concernaient en particulier l’observance stricte du shabbat et la vente de boissons casher, et étaient accompagnées de moyens coercitifs65. Pour le shabbat, il a profité de l’annonce faite par les autorités d’interdire, les jours de fête et de shabbat, les attroupements de Juifs dans les rues du Mellah pour rappeler aux boutiquiers de fermer leurs échoppes avant l’entrée du shabbat. Des agents de la société « Les Gardiens du Shabbat » passeraient dorénavant dans les boutiques et enjoindraient de les fermer à l’heure réglementaire. Il a aussi annoncé la prise en charge par cette société de la distribution gratuite d’eau chaude le shabbat de façon à stopper l’achat de cette eau à des non-Juifs, et a demandé aux fidèles de venir renforcer les rangs de cette société pour l’aider dans ses nobles tâches66. Dans une circulaire ultérieure, il a rappelé l’interdiction absolue d’acheter le shabbat de l’eau chaude à des non-Juifs et a annoncé qu’en accord avec les autorités le musulman qui menait ce commerce aux abords du Mellah était désormais empêché de le faire. Quiconque continuerait d’acheter de l’eau le shabbat ou enverrait ses enfants en acheter se verrait déclaré indigne de témoigner ou de prêter serment selon la Halakha67. Dans une troisième missive, il a annoncé qu’il a fait fermer les bains publics juifs dès le vendredi après-midi pour arrêter la profanation du jour saint par ceux qui venaient s’y laver tard le vendredi ou même après l’entrée du shabbat. Il a mis en garde les propriétaires de ces bains et a nommé un agent du tribunal rabbinique pour en récupérer les clés avant l’entrée du shabbat et les leur remettre le lendemain à la nuit68. Quant aux boissons casher, il a rappelé aux destinataires que la bière était casher à la consommation pendant l’année mais interdite les jours de Pessah parce que fabriquée à partir de matières fermentées69. Il a de même interdit aux débiteurs de boissons alcoolisées de vendre dans le même local du vin casher et du vin non casher pour ne pas prêter à confusion et induire en erreur des clients juifs non vigilants. Dorénavant, il était interdit, en accord avec les autorités administratives, à ceux qui voulaient faire le commerce de vin casher, de vendre dans le même magasin du vin non casher. Il a aussi institué la délivrance d’un certificat du tribunal rabbinique pour la vente du vin casher. Quiconque vendrait du vin casher sans l’autorisation officielle serait dénoncé aux autorités70. Après la défaite définitive des nazis au printemps 1945 et la normalisation progressive de la vie juive, à Mogador comme ailleurs, ces circulaires de crise, émanant du comité de la communauté ou du président du tribunal rabbinique, ont cessé de paraître. Avec elles ont pris fin sans doute les velléités de réforme du grand rabbin pour une totale restauration des règles de la Halakha et leur respect par l’ensemble des membres de la communauté. Les comportements divergents au sein de la communauté ont repris leur cours, et le grand rabbin a dû se cantonner à ses tâches importantes de président du tribunal rabbinique. L’impact du débarquement allié sur les Juifs de Mogador Les esprits à Mogador n’ont pas attendu, comme d’ailleurs partout dans les autres communautés, la cessation définitive des hostilités en 1945 pour éprouver un soulagement et retrouver en partie leur sérénité. Le débarquement américain sur les plages marocaines le 8 novembre et la signature le 11 de l’armistice avec les troupes françaises après des combats assez durs entre les deux armées ont été considérés par les Juifs du Maroc comme un miracle annonçant leur salut et la fin de leurs souffrances et de leur mauvais traitement par les agents de Vichy au Maroc. Aussi les scènes publiques de joie et même d’allégresse n’ont-elles pas tardé à se manifester, avec des débordements antivichyssois et antimusulmans dus à l’excitation extrême de ceux qui se considéraient comme des rescapés in extremis et au défoulement brusque de tant de peur et même de terreur. Cependant, contrairement à d’autres villes, comme Casablanca, Rabat, Fès ou Sefrou, des incidents, graves ou moins graves, entre les Juifs et les musulmans ou les Français n’ont pas été signalés71. Les autorités eurent vite fait d’essayer de calmer les esprits et ont demandé au comité de la communauté d’exercer son influence pour un retour au calme immédiat. Le comité obtempéra et envoya le 13 novembre 1942 une circulaire dans ce sens rappelant aux destinataires que la guerre était loin d’être terminée et que d’autres épreuves pouvaient surgir, qui mettraient en danger la vie de certains et la communauté entière. Vu l’importance de ce texte avec sa rationalisation argumentée et l’accumulation de ses non-dits, nous donnons ici in extenso cette circulaire judéo-arabe en traduction française72. Assemblée sainte et élue, peuple béni de Dieu Nous avons l’honneur de vous annoncer qu’après avoir été conviés par les autorités du Makhzen pour nous mettre au courant de la fin des combats, comme vous le savez, ces autorités ont insisté pour que nous intervenions auprès des membres de notre communauté et les presser à se tenir calmes, à vaquer à leurs occupations et à laisser de côté les paroles superflues, les fausses informations et les attroupements. Elles nous ont précisé que nous étions toujours en état d’urgence. Les peines encourues pour de tels agissements sont lourdes, aucune excuse ni aucun regret ne les fera pardonner. C’est pourquoi, chers frères, nous vous demandons d’avoir la présence d’esprit et de comprendre qu’il nous est imparti de nous conduire en conséquence de notre propre initiative, même si le Makhzen ne nous y contraignait pas. Nous devons garder le silence de notre propre gré et louer Dieu, béni soit-Il, qui nous a délivrés et a épargné à nos maisons les risques de cette guerre, et prier pour que l’issue en soit heureuse jusqu’à l’arrivée de notre saint Messie. Amen. Il nous incombe de ne pas parler du tout de cette affaire et de ne pas donner notre avis là-dessus, car ces paroles et ces opinions ne portent à coup sûr aucune utilité, mais peuvent par contre être bien nuisibles, que Dieu nous en préserve. C’est à ce propos que le sage a dit : « Si la parole est d’argent, le silence est d’or73. » De même, lisez les affiches qui sont collées dans les rues de la part de son Excellence le Résident général et rendez-vous compte à quel point il insiste sur ce que nous venons de dire. Aussi, supplions-nous chacun des membres de notre communauté, que Dieu a gratifié d’intelligence, pour qu’il exerce son influence sur ses enfants et ses amis ainsi que sur les personnes connues pour leur goût des discussions et des attroupements, les amène à s’en abstenir par les temps qui courent, et leur fasse comprendre que nous sommes toujours en pleine mer et que nous ignorons ce que Dieu, béni soit-Il, compte faire dans son univers. Aussi, ouvrez bien vos esprits et comprenez quel est le résultat de paroles sans fondement, comme ont dit nos sages : « Est intelligent celui qui prévoit les conséquences de ses actes74. » Quiconque contreviendra à nos recommandations, en dehors de la peine qu’il encourt de la part des autorités et contre laquelle nous ne pourrons rien faire, met en danger la communauté, que Dieu nous en préserve, et en endosse la pleine responsabilité sur lui. C’est pour des temps pareils que nos sages ont affirmé : « Le silence convient aux sages, à plus forte raison aux gens stupides75. » Quant à nous, peuple des enfants d’Israël, notre survie et notre sécurité dépendent de la paix, comme il est écrit : « Dieu procurera la force à son peuple, il octroiera à son peuple la bénédiction de la paix76. » À bon entendeur, salut et sécurité. Fait à l’occasion de la section [biblique où il est écrit] : « Dieu le Tout-Puissant te bénira, te fructifiera, te multipliera, et tu deviendras un grand peuple77. » Ce sont là les paroles de celui qui prie Dieu en votre faveur, le serviteur de Dieu Haïm David Serero, que Dieu lui donne longue vie et le préserve, Président du tribunal rabbinique de Mogador et de sa région, que Dieu la consolide. Comme les recommandations verbales et les exhortations n’ont pas dû suffire à calmer les esprits et à éviter les éclats de voix et les attroupements les jours du shabbat et des fêtes en particulier, les autorités de Mogador ont fait surveiller les rues du Mellah ces jours-là par des agents qui y patrouillaient et interdisaient tout attroupement et toute discussion, sous peine d’être conduit devant les autorités et être puni. La circulaire qui en fait cas a été envoyée bien des mois après la précédente, en rapport avec l’abrogation des mesures antijuives et à l’occasion des fêtes successives de l’automne78. CONCLUSION Sous la juridiction raciste et antijuive arrêtée par Vichy et appliquée brutalement au Maroc par les agents du protectorat, les Juifs ont perdu leur essence d’individus jouissant d’un statut personnel en tant qu’humains et sont devenus membres d’une entité sociale considérée comme une corporation raciale, sans statut non plus, sinon celui d’un agrégat digne de soupçons, de brimades et de discriminations. Les documents de Mogador que nous avons passés en revue montrent comment a été mise en œuvre cette mise au pas de la communauté à travers les directives transmises au comité de la communauté et au président du tribunal rabbinique de la ville et comment ce dernier a tenté de récupérer la situation critique de la communauté et restaurer des comportements orthodoxes pour l’ensemble de ses membres. Comparée au martyre incommensurable de la Shoah en Europe, la reconstitution de la vie juive à Mogador sous la terreur de Vichy pourrait sembler insignifiante, sinon anodine. Mais on ne saurait comparer les incomparables, l’holocauste des Juifs européens étant unique et tellement monstrueux qu’aucun génocide ni aucun autre « capital de souffrance » ne saurait être mis sur le plateau de la balance. Il n’en reste pas moins que les trois longues années durant lesquelles a sévi la législation antijuive de Vichy et son application brutale au Maroc ont constitué pour ceux qui les ont vécues une période bien sombre de leur histoire personnelle et communautaire, où les angoisses du statut raciste et antijuif et la peur cultivée par ces agents de l’incertain et de l’inconnu ont conduit certains au désespoir le plus sordide, que nous peinons aujourd’hui à comprendre, nous qui n’avons pas vécu une telle expérience tendue et psychotique. Mais des rares témoignages sont là qui nous interpellent et nous invitent à méditer ce qui s’est passé à Mogador, au Maroc et dans les autres pays d’Afrique du Nord durant ces trois années de plomb et d’angoisse et à respecter la souffrance de ceux qui étaient là-bas. C’est seulement en nous représentant les situations extrêmes et dramatiques qu’ils ont vécues que nous pourrions comprendre le témoignage suivant, étrange à coup sûr pour ceux qui n’y étaient pas, de Prosper Cohen : « Il m’arrive souvent de deviser avec un de mes collègues de ce tragique problème juif. Il a l’idée, ne croyant ni en Dieu ni en ses envoyés, d’en envisager la solution dans la stérilisation massive des hommes. Faire perdre aux hommes toute énergie procréatrice tout en maintenant leur sexualité, n’est-ce pas la solution idéale autant pour les non-Juifs qui n’auraient plus d’objet de haine, le peuple juif devant nécessairement disparaître grâce à cette mesure, que pour les Juifs eux-mêmes qui n’auraient d’autre chagrin que celui de ne pouvoir plus procréer ? Leur héritage culturel, ils n’auraient pas à le regretter, car après leur anéantissement quelle importance peut avoir la qualité ou l’identité de l’héritier ? Mon collègue, il est vrai, est un matérialiste peu commun. Sa logique touchante et simpliste fait fi de tout sentiment et de toute sensiblerie plus ou moins outrée. Partant de l’int[a]ngible principe de son incroyance, il en tire toutes les conséquences, si cruelles et si impitoyables soientelles79. » Dans l’étude de ce genre d’événements totaux ou globaux, comme la Seconde Guerre mondiale, et de leur impact sur les populations, il est souvent difficile de reconstituer, sinon d’interpréter à distance, les processus et réactions des groupes et des sujets concernés. Ces événements totaux concernent l’ensemble des conditions sociales, politiques, économiques et humaines des sociétés ou des communautés impliquées, y compris le conditionnement psychologique ou même psychotique continu de groupes et d’individus. Ceux-ci ont vécu au quotidien des situations extrêmes qui ont bouleversé leur forme de vie et parfois même leurs modes de vie, et y ont injecté des tensions, des déséquilibres, des angoisses que les documents les plus exhaustifs d’archives institutionnelles ne sauraient réfléchir totalement ou même partiellement. La vie intérieure et passionnelle ou psychotique des gens laisse rarement des traces dans les archives, sauf dans les annales judiciaires parfois, en cas d’affaires criminelles importantes qui sont accompagnées d’enquêtes, de dépositions et de témoignages directs, ou bien dans les écrits – peu nombreux – d’auteurs doués et moins doués sous forme de journaux personnels ou de récits autobiographiques. De tels documents et témoignages personnels sont rares pour les communautés juives du Maroc (comme d’ailleurs pour l’ensemble des communautés d’Afrique du Nord), et cette rareté contribue à l’occultation de cet univers de souffrances et de tensions extrêmes dans lequel ont vécu ces communautés pendant plus de trois ans (1940-1943) sous le régime de Vichy. Or ce « capital de souffrances et de tensions extrêmes » n’est pas moins important, pour une étude historique globale de la vie de ces communautés, que les conditions économiques et les bouleversements sociopolitiques qui ont déterminé leur forme de vie durant cette période. Dans cette étude somme toute assez modeste, j’espère que j’aurai donné une idée de cette « histoire à visage humain » que j’appelle de mes vœux. * ANNEXES 1. Poème d’Isaac D. Knafo, Mogador L’enfer80 Tout là-bas, quelque part dans la triste Allemagne, L’Enfer est dénommé : Camp de Concentration. Pour les seuls innocents, ce lieu de détention Est, ainsi qu’il se doit, plus cruel que le bagne. Mal nourris de déchets, couchés sur des grabats — Quand ce n’est pas sur le sol –, dans d’infâmes baraques. Les prisonniers fourbus que l’on torture et traque Doivent, le long des nuits, aux rats livrer combat. Leur moment de repos est un vain simulacre Interrompu souvent par un gardien joyeux Qui projette un rayon de lumière en leurs yeux Trouvant à leur supplice une jouissance âcre. La nuit, ce n’est pour eux qu’un cauchemar total, Qu’un rêve entrecoupé de visions horribles. Et le jour leur réserve un sort des plus terribles Réglé par un sadique ingénieux et brutal. Le travail harassant, durant de longues heures, Double de ce que fait le commun des humains, Qui leur brise l’épaule et leur meurtrit les mains, Paraît une odieuse et sinistre gageure. Les geôliers sont là, spécialement dressés, Pour faire dans le camp cette besogne infâme De les frapper au corps et de blesser leur âme En donnant libre cours à leurs pervers excès. Leur sourire est hideux, et sinistre leur blague, Maniant le gourdin comme on fait d’un jouet, Frappant de leur matraque, appliquant le fouet. Ils ne semblent heureux qu’en donnant de la schlague. Ici, la botte est reine, et le coup de pied roi. Et sûrs d’être impunis, avec un air bravache, Ils semblent s’amuser de voir, sous la cravache, Un visage cinglé se convulser d’effroi. Vingt-cinq coups de fouet pour quiconque veut boire, Si c’est un aryen blond. Soixante pour un Juif, Quand on ne saute pas au-delà du tarif Lorsqu’un gai spectateur assiste à son déboire. Un cardiaque fourbu tombe sur le chemin. Alors le geôlier charge ses camarades De traîner par les pieds le trop faible malade, Trouvant meilleur ainsi le supplice inhumain. N’étant jamais repus des suprêmes délices Que procure à leurs sens la souffrance d’autrui, Ils savent rappeler au moderne Aujourd’hui Ce que l’Âge barbare inventa de supplice. Un jour leur cruauté deviendra sans objet. Travaillant pour la mort au visage livide, Chaque jour un peu plus, le vaste camp se vide Perdant par extinction ses malheureux sujets. (I. D. Knafo, Les Hitlériques) 2. Rapport de synthèse des déclarations de biens des Juifs de Mogador Ville de Mogador Services municipaux Mogador, le 15 avril 1942 Le Chef des Services municipaux à M. le Contrôleur Civil, Chef du Cercle Mogador J’ai l’honneur de vous adresser les renseignements demandés par la lettre de M. le général Chef de la Région (Secrétariat général) nº 18816 RMA/3 du 6 janvier 1942 objet de votre transmission nº 139/8 du 9 janvier. I. Conditions dans lesquelles se sont effectués le recensement des Juifs et la déclaration de leurs biens. Les Juifs résidant à Mogador ont été avisés par voie d’affichage, de publication en langue arabe par les dellal, et par lettres lues dans les synagogues à retirer aux Services municipaux les modèles de déclaration. Ces imprimés après avoir été complétés devaient être déposés dans ces mêmes bureaux avant le 8 novembre 1941. a) État d’esprit de la population israélite – empressement ou résistance à se soumettre aux prescriptions légales – impression d’ensemble en ce qui concerne la réaction provoquée par l’enquête sur les biens et la sincérité des déclarations souscrites à cet égard : À la parution de ce dahir, la population israélite a été consternée, mais aucun des éléments de cette population n’a manifesté ouvertement cette consternation. De l’observation d’ensemble de cette population résulte une soumission entière sans aucune intention de protestation ou de rébellion. Un examen plus approfondi des réactions des israélites réellement touchés par [l]e dahir a tout de même révélé chez ceux-ci un sentiment de crainte que cette mesure ne soit qu’une étape vers un prélèvement sur les biens. À cette occasion aussi s’est ranimé dans ces milieux un sentiment, qui ne cesse d’y exister à l’état latent depuis que les éléments juifs ont été écartés du pouvoir en France : c’est le sentiment de revanche, revanche qui suivra immédiatement la victoire, en laquelle on espère ardemment. En ce qui concerne la sincérité des déclarations souscrites, l’impression d’ensemble recueillie est que, par crainte, les intéressés se sont attachés à fournir des déclarations exactes. À noter que les bijoux n’ont pas été déclarés et que pour certaines familles, la valeur des bijoux possédés représente une fraction notable de l’ensemble des biens. b) Milieux européens. – Dans l’ensemble, cette mesure a été très bien accueillie dans les milieux européens qui ont été heureux d’y voir une preuve tangible de la réaction antijuive du gouvernement du Maréchal. Aucune critique n’a été formulée dans ces milieux, sur les conditions dans lesquelles le recensement a été effectué ; l’attention des Européens a été attirée par le principe du recensement et non par la méthode suivie pour le réaliser. Milieux musulmans. – Cette mesure a provoqué dans ces milieux une très vive satisfaction. Ce fut pour eux comme une victoire sur les Juifs et une preuve du fait que sous le gouvernement actuel, les Juifs sont appelés à jouer un rôle secondaire. Malgré cet état d’esprit des indigènes, aucun incident entre eux et les Juifs ne s’est produit à l’occasion de la parution de ce dahir ni à l’occasion de son application. c) Difficultés particulières rencontrées : néant Incidents de toute nature qui ont pu se produire : néant Fraudes ou tentatives de fraudes constatées : un certain nombre d’enfants célibataires majeurs des deux sexes vivant avec les parents n’ont pas fait leur déclaration. II. Résultat du recensement des personnes et des biens a) Au point de vue démographique : 1º Nombre de déclarations souscrites : 1 544 2º Nombre de personnes effectivement recensées : 6 506 3º Répartition des Juifs d’après leur nationalité : Français 30 Palestiniens 8 Sujets français 19 Turcs 6 Polonais 58 Grecs 3 Espagnols 9 Italiens 5 Lithuaniens 3 Tunisiens 6 Anglais 31 Égyptiens 4 Portugais 24 Marocains 6 308 b) Au point de vue économique : 1º Nombre de déclarations de biens par rapport au nombre des déclarations souscrites : Déclarations avec biens : 157 2º Répartition des déclarations d’après la profession (individus sans profession : 763 déclarations). Commerçants : marchands de tissus indigènes : 62 – de thé, olives, huile d’olives : 2 – de sucre et de thé : 24 – de thé vert : 19 – de sucre : 10 – de bougies, savon, thé : 2 – de sandaraque : 2 – d’articles indigènes : 2 – d’œufs : 4 – de babouches : 10 – Importation et exportation : 9 – Couturiers : 62 – Entreprises de transports : 5 – Bijoutiers : 57 – Épiciers : 35 – Conserves de piments : 1 – Marchands de sacs usagés : 2 – de chaussures : 1 – soukiers : 8 – Infirmiers : 2 – Commerces non précisés : 3 – Marchands de volailles : 3 – de Mahia : 2 – Gargotier : 3 – d’articles de musique : 2 – Tailleurs d’habits : 13 – Tailleur de diamants : 1 – Matelassiers : 7 – Tripiers : 4 – Marchands de poissons : 2 – de bois : 2 – de vieux meubles : 1 – de bouteilles vides : 1 – de fèves et pépins grillés : 7 – de fruits : 1 – Détaillants (?) : 13 – Café maure : 1 – Marchands de légumes : 26 – de peaux : 1 – de beignets : 2 – de vieux fers : 4 – de résine : 1 – de jouets : 1 – de nouveautés et confection : 3 – de cotonnades : 4 – de lait : 1 – de vins : 7 – de verrerie, faïencerie : 2 – de tabac : 4 – de thé et cotonnades : 2 – de sucre, thé, farine : 2 – de cire, huile d’olive et bois : 3 – de poissons salés et fumés : 1 – de fûts en bois : 1 – de boyaux : 8 – de charbon : 1 Bourreliers : 4 – Électriciens : 3 – Coiffeurs : 9 – Bouchers : 5 – Exploitants forestiers : 1 – Boulangers : 9 – Pâtissiers : 8 – Fourreurs : 5 – Plombiers : 2 – Hôtel restaurant : 4 – Fripiers : 1 – Agent maritime : 1 – Céréalistes : 15 – Négociant (?) : 1 – Limonadiers : 6 – Droguistes : 6 – Imprimeurs : 4 – Professeur d’hébreu : 1 – Ébéniste : 1 – Représentant de maisons de commerce : 2 – Quincailliers : 7 – Merciers : 3 – Garagistes : 1 – Papetier : 1 – Transitaire : 2 – Cordonniers et savetiers : 60 – Entrepreneurs de travaux publics : 2 – Ferblantiers : 11 – Cafetiers : 2 – Cyclistes : 3 – Instituteurs ou institutrices : 7 – Forgerons : 1 – Employés de bureau, de commerce, de banque : 33 – Couturières : 9 – Ajusteurs : 1 – Dégraisseurs, teinturiers : 3 – Directeurs de banque : 2 – Ajusteurs : 1 – Jardiniers : 1 – Chauffeurs : 11 – Rabbins : 24 – Garçons de cafés : 2 – Peintres : 13 – Juges : 2 – Horlogers : 3 – Pêcheurs : 3 – Relieur : 1 – Concierge : 1 – Cuisinier : 1 – Ferronnier : 1 – Photographe : 1 – Tonneliers : 6 – Menuisiers : 3 – Musiciens : 4 – Comptables : 5 – Mécaniciens : 2 – Selliers : 1 – 781 déclarations. 3º Importance et valeur globale des biens déclarés : (Voir tableau ci-joint) III. Cas particuliers – Questions diverses : a) Personnes ayant négligé ou refusé systématiquement de faire leur déclaration (indiquer leur nationalité) : 397 enfants célibataires majeurs des deux sexes vivant avec leurs parents ont négligé de faire leur déclaration. Ils ont été, toutefois, compris parmi les enfants déclarés par les chefs de famille. b) Liste des personnes ayant commis des fraudes ou des tentatives de fraudes dans la rédaction de leur déclaration (indiquer leur nationalité) : Aucun renseignement n’a pu être obtenu sur cette question. c) Sanctions envisagées et propositions motivées à cet effet : Néant. Ci-joint en retour 1 544 déclarations. Mogador, le 16 avril 1942 Le Chef des Services municipaux [a] [b] [c] [d] Superficie et Nombre et valeur des valeur des exploitations exploitations agricoles commerciales Nombre et Nombre valeur des valeur exploitations immeubles industrielles rapport et des en 69 108 7 275 521 750 F. 14 814 480,96 273 219,75 17 762 629,50 [e] [f] [g] [h] Nombre et Biens Terrains nus valeur des immobiliers maisons titres, comptes d’habitation courants, espèces… 102 4 895 300 Total des valeurs 70 16 327 744,99 90 000 F. 54 685 125,20 N.B. Pour les exploitations agricoles la superficie a été rarement indiquée, par ailleurs bon nombre de déclarants n’ont pas fourni l’évaluation de leurs biens immobiliers. 9 Hélène Cazes-Benatar et ses activités en faveur des réfugiés juifs au Maroc 1940-1943 par Michal BEN YA’AKOV Avec le slogan « Le sauvetage par l’émigration », les organisations de réfugiés œuvrèrent pour sauver les personnes persécutées par le régime nazi en Europe pendant les années 1940 en les aidant à atteindre des havres de paix1. L’Espagne et le Portugal, puis le Maroc, devinrent des « sorties de secours2 » de l’Europe en flammes, par lesquelles des milliers de réfugiés espéraient poursuivre leur fuite vers l’ouest, traverser l’océan et atteindre l’Amérique du Nord et du Sud. Des dizaines de réfugiés arrivèrent sur la côte atlantique du Maroc, seuls ou en groupe, à dessein ou par hasard : les réfugiés étaient « en rade » dans les ports marocains, les navires en partance d’Europe pour les Amériques refusant de les embarquer ; d’autres avaient été envoyés par la HICEM, l’organisation d’immigration et d’entraide juive, et se trouvaient là en transit en route pour l’ouest où ils seraient en sécurité ; d’autres encore arrivèrent à Casablanca, Tanger et dans les autres villes du littoral ou de l’arrière-pays via diverses routes et divers moyens de transport. Après la défaite de la France et durant les années du régime de Vichy (1940-1942), le nombre de réfugiés augmenta sensiblement au Maroc. Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord en novembre 1942, le flux en provenance d’Europe alla décroissant suite à la fermeture des filières de fuite et à l’accroissement de l’activité militaire en Méditerranée. Cependant, les Juifs incarcérés dans les camps de travail et les anciens soldats de la Légion étrangère, relâchés peu à peu au Maroc, vinrent grossir le fardeau des responsabilités et de l’aide octroyée par les organisations d’entraide. Bien qu’il soit difficile, voire impossible, d’indiquer le nombre exact des réfugiés qui fuirent les nazis via le Maroc, nous savons qu’ils furent des milliers, 60 000 au maximum3. En juillet 1940, après la défaite de la France, une femme de Casablanca entendit l’appel au secours des réfugiés. Non seulement elle leur vint en aide personnellement mais elle établit un Comité d’assistance aux réfugiés étrangers, qui s’étendit au niveau national et obtint un soutien international. Me Hélène Cazes-Benatar, qui avait pris des cours de secourisme au début de la guerre, rencontra les réfugiés juifs d’Europe dans le port de Casablanca en tant que volontaire de la Croix-Rouge internationale. Elle s’attela à organiser d’urgence une aide financière, administrative et matérielle dont les réfugiés avaient désespérément besoin. Elle intervint en leur nom auprès de tous les échelons des autorités civiles et militaires, fournit les garanties nécessaires, obtint des permis, organisa hébergement et soins médicaux et bien d’autres choses encore. En août, elle avait pris contact avec des organisations d’entraide internationales, notamment l’organisation new-yorkaise American Jewish Joint Distribution Committee (AJJDC, JDC ou Joint, dont elle devint rapidement la représentante au Maroc), l’HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society), les bureaux européens de l’Association de l’émigration juive HICEM4 à Marseille et Lisbonne, puis l’association quaker de Philadelphie, l’American Friends Service Committee (AFSC). Le nombre des réfugiés augmentant, les ressources communes de la communauté juive de Casablanca se firent de plus en plus rares, devant répondre à la fois aux besoins de la population juive souffrant de l’application des lois de Vichy et à ceux causés par la guerre. Mme Benatar développa ses contacts ainsi que la coopération avec des organisations locales d’entraide non juives et des communautés juives dans les grandes villes et bourgades, envoyant de nombreux réfugiés en dehors de Casablanca. Cet article portera sur Hélène Cazes-Benatar et ses nombreuses activités au Maroc au début des années 1940, et étudiera les relations tissées avec les organisations internationales d’entraide au cours de cette période. Nous examinerons ses réalisations et ses difficultés à la lumière de son statut de femme et de veuve dans un monde dominé par les hommes, tant au sein du gouvernement civil que dans les autorités militaires et les organisations internationales d’entraide mais aussi au sein de la communauté juive traditionnelle et de sa composante moderne francophone. Bien que les femmes aient toujours été actives dans le domaine du social et les programmes d’entraide au niveau local, les postes clés étaient en général occupés par les hommes, qui étaient les décideurs dans ces organisations et dominaient les relations avec les autorités gouvernementales. Il semble cependant que la réalité en temps de guerre offrit de plus grandes occasions et une plus grande mobilité aux femmes, situation qui ne fut propre ni à Hélène Cazes-Benatar, ni au Maroc, ni à la période de la Shoah. Il faut cependant se demander pourquoi une femme si active et impressionnante – ainsi que ses activités en vue d’aider des milliers de Juifs et de non-Juifs durant ces terribles années – a été ignorée et pratiquement oubliée. Comment se fait-il qu’à la fois la sphère de ses activités au Maroc et ses efforts aient été pratiquement exclus des récits concernant l’aide apportée aux réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale ainsi que de l’histoire des Juifs marocains5 ? Sources Quelques années avant son décès, en 1979, Nelly Cazes-Benatar donna aux Archives centrales de l’histoire du peuple juif (CAHJP), à Jérusalem6, plusieurs cartons contenant des centaines de dossiers concernant ses activités pour les réfugiés au Maroc. Ces cartons furent l’étincelle qui fit démarrer ce projet. Ces fascinants dossiers détaillés ont été examinés par d’autres chercheurs, dont Isaac Gershon qui, dans un article en hébreu de 19807, donne une analyse détaillée et très claire de leur contenu. Jusqu’alors, Mme Benatar et ses activités n’avaient été mentionnées qu’indirectement8. Des documents provenant des archives de l’AJJDC, de l’AFSC quaker ainsi que des rapports journalistiques de l’époque et des mémoires, apportent des informations et éclairent d’un nouveau jour les descriptions et les dilemmes concernant son travail. Si les activités de l’AJJDC en Afrique du Nord avaient déjà été étudiées, l’accent portait en général sur des projets de l’après-guerre ; à ma connaissance, les activités de l’AFSC au Maroc, mentionnées dans les mémoires personnels des représentants qui y travaillèrent, n’ont pas été étudiées dans le contexte des réfugiés juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans son étude, Michel Abitbol a fait grandement appel aux archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), qui fournissent des informations sur la situation des Juifs en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment concernant les actions officielles des divers ministères et services civils, mais semblent ignorer l’œuvre de Benatar. D’autres sources, y compris celles des archives de l’Alliance israélite universelle (AIU), doivent encore être étudiées. Malgré l’abondante correspondance et les rapports détaillés des archives, celles-ci ne dévoilent pratiquement aucune information biographique sur Hélène Cazes-Benatar. Il en est de même des documents publiés sur les Juifs du Maroc. Seuls quelques commentaires apparaissent dans les dossiers des organisations avec lesquelles elle coopéra étroitement pendant la guerre : JJDC, HIAS-HICEM ou AFSC. Parmi ces quelques commentaires sur la personnalité de Cazes-Benatar, voici ceux du Dr Joseph Schwartz, directeur du siège européen du JDC, dans le rapport de février 1943, après une visite effectuée au Maroc en vue d’évaluer la situation des réfugiés dans ce pays : « Ce rapport ne serait pas complet sans un hommage au magnifique travail réalisé par notre comité des réfugiés dirigé par Mme Benatar. C’est une personne pleine d’énergie, de dévouement, dotée d’une grande capacité de direction. Bien qu’elle soit l’un des plus grands avocats du Maroc, elle consacre une grande partie de son temps au problème des réfugiés avec un succès remarquable. Elle est hautement appréciée des autorités américaines, britanniques et françaises et très estimée de la communauté juive locale9. » Un an et demi plus tard, en novembre 1944, Sonia Levine, une Américaine travaillant pour l’organisation sioniste américaine des femmes, Hadassah, et servant dans une unité de l’administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction (UNRRA) en Afrique du Nord, se fit l’écho de ces commentaires dans une lettre aux bureaux du JDC : J’ai eu le privilège de rencontrer Madame Benatar et de m’entretenir longuement avec elle [effacé/censuré]. C’est une personne extraordinaire, de petite taille, rondelette aux yeux noirs très vifs. Elle passa cinq jours avec nous et travailla avec les réfugiés, depuis le matin jusqu’à 22-24 heures. Nous n’avons pu nous l’accaparer qu’à deux reprises, le soir, pour l’écouter. Bien qu’avocate célèbre, c’est l’assistante sociale la plus humaine et la plus bienveillante qui soit – surpassant l’assistante sociale théorique et professionnelle la plus rigoureuse. Il semble qu’elle ait consacré tout son temps et toute son énergie aux problèmes des réfugiés. La sincérité de son plus profond intérêt est assez évidente. Elle doit certainement être un agent de liaison qui vous [le JDC] est très utile avec les autorités françaises en Afrique du Nord. Ses récits concernant les problèmes des réfugiés et les camps de réfugiés depuis 1940 constitueraient sans aucun doute une lecture très intéressante. Ce fut un honneur de la connaître10. Tout respire son travail, sa vie privée est occultée. Peu de choses ont été écrites sur la vie personnelle d’Hélène Cazes-Benatar, même l’année de sa naissance n’est pas connue avec précision11, tout comme sa vie scolaire et familiale. Il ne fait aucun doute que c’était une femme dynamique, sûre de soi et très capable dont le dévouement pour le peuple juif l’emporta sur sa vie privée, voire sur sa vie de famille ainsi que sur sa carrière professionnelle. La biographie récemment découverte d’Hélène Cazes-Benatar, écrite aux environs de 1983 par son gendre, le Dr Serge Lapidus (qui en envoya une copie au bureau du JDC12 de New York), quelque quatorze ans après sa disparition en 1979, est donc d’une importance capitale. Cet article portera sur les activités d’aide aux réfugiés de Benatar pendant les années 19401943, le document biographique rédigé par Lapidus éclairant d’un jour nouveau ces activités. Bien que nous attendions encore la parution d’une biographie complète et critique sur cette femme intriguante et dynamique, nous espérons que ce premier article sur Hélène Cazes-Benatar et ses activités durant les premières années de la Seconde Guerre mondiale apportera notre pierre à cet édifice. Esquisse biographique Rachel Hélène Cazes est née à Tanger le 27 octobre 1898. Nelly (c’est ainsi que sa famille l’appelait) était la deuxième des cinq enfants de Miriam Nahon et Amram Cazes, homme d’affaires qui était également l’assistant du consul du Brésil. La jeune Nelly étudia à l’école des filles de l’Alliance israélite universelle de Tanger, l’une des premières écoles de l’Alliance. En 1917, sa famille déménagea pour s’installer dans la cité portuaire de Casablanca, alors en plein essor. Là, son père devint l’un des notables de la communauté juive. Nelly poursuivit ses études au lycée de filles de la ville et y obtint son baccalauréat. Ce fut l’une des premières jeunes filles juives à obtenir ce diplôme au Maroc. En 1920, âgée de 22 ans, elle épousa Moysès Benatar, jeune homme d’affaires et dirigeant de la communauté juive qui devint ensuite président de l’association des anciens élèves de l’Alliance israélite universelle du Maroc (1934-1939) et membre des comités exécutifs de plusieurs organisations sionistes13. Le couple eut trois enfants : Annette, née en 1921, qui décéda dans son enfance ; Myriam, née en 1925 et Marc, né en 1930, qui mourut à l’âge de 39 ans14. Pendant que ses enfants étaient encore petits, Benatar décida de poursuivre ses études par correspondance, elle obtint son diplôme de la Faculté de droit de Bordeaux15. Ensuite, elle fut reçue au Barreau de Casablanca, et là encore ouvrit la voie aux Juifs et aux femmes, étant la première avocate du Maroc. Elle se lança dans son travail avec l’enthousiasme et la ferveur qui caractérisèrent ses activités. Benatar s’investit non seulement dans sa vie professionnelle mais s’impliqua également avec passion dans les comités de bienfaisance de la communauté juive, comme il convenait à son statut social. Elle fut active à « La Goutte de Lait », « La Maternelle » et « L’Aide scolaire » pour les Juifs défavorisés du Mellah. Elle fut l’une des fondatrices de la WIZO (Women’s International Zionist Organization) à Casablanca, devint sa première présidente et fut membre des comités exécutifs du Keren Kayemet, Keren HaYesod, et autres organisations sionistes16. Elle donna des conférences à divers groupes sur des sujets variés portant sur la vie sous le Mandat en Palestine et le sionisme, soulignant plus particulièrement les activités des femmes et leur implication dans l’entreprise sioniste. Elle fut également active, ainsi que son mari, dans l’association des anciens élèves de l’Alliance israélite universelle ; en devint la vice-présidente en 1937, époque à laquelle son mari devint président. Ce fut l’une des personnalités les plus marquantes de ce petit groupe de l’élite juive marocaine, sionistes convaincus, tout en prônant la réforme et l’intégration de la communauté juive locale dans le milieu francophone de la société marocaine17. À cet égard, il faut aussi considérer ses activités à la lumière de son statut social et de son idéologie politique. Bien que ses dossiers personnels et tout ce qui fut écrit par la suite sur Mme Benatar, donnent l’impression qu’elle devint sensible à la cause des réfugiés ce jour de 1940 où elle rencontra dans le port de Casablanca des réfugiés fuyant l’Europe, Lapidus parle de réunions et de travail pour les réfugiés juifs allemands dès novembre 1938, lorsque Sasia Ehrlich, présidente de la section française de la WIZO, lui demanda d’organiser la collecte de fonds et d’autres moyens d’entraide pour les réfugiés d’Europe. Elle s’attela donc, avec son mari et les dirigeants communautaires S. D. Lévy et J. R. Bénazéraf, à la difficile et frustrante tâche d’obtenir des permis pour ces activités et des rendez-vous avec les autorités dans les bureaux du chef de la Région civile de Casablanca. Ses efforts étaient destinés non seulement à aider les réfugiés juifs européens mais aussi à tenter de garantir la position des Juifs marocains dès que les hostilités seraient déclarées. Pour cela, et pour poursuivre sa vie publique, elle recourut abondamment à ses contacts professionnels, usa de ses compétences et connaissances en tant qu’avocate, et ce, malgré le fait qu’elle abandonna sa carrière pendant douze ans pour se dévouer entièrement aux activités de bienfaisance pour les réfugiés juifs. La mort de Moyses Benatar en janvier 1939 l’affecta profondément et elle se lança dans le travail avec la communauté juive et les réfugiés avec une plus grande ferveur, laissant ses deux enfants âgés de 13 et 9 ans aux mains de sa famille : sa belle-sœur célibataire, Mimi, qui vivait avec eux, sa mère, veuve depuis 1930, et sa tante, Clémence18. Un mois après le décès de son mari, Mme Benatar le remplaçait au poste de président de l’association des anciens élèves de l’AIU. La guerre interrompit le projet qu’elle avait de faire construire par l’association un centre culturel et sportif à son nom et dédié à sa mémoire. Les vicissitudes de la guerre et les contraintes imposées par leur veuvage permirent aux femmes, voire leur imposèrent, d’instaurer de nouvelles relations avec leurs voisins, leurs employeurs, ainsi qu’avec les représentants officiels du gouvernement et de la communauté, malgré les discriminations et contraintes auxquelles elles étaient soumises en raison de leur sexe. Tant la guerre que le veuvage donnèrent à ces femmes l’opportunité d’élaborer une autre image d’elles-mêmes, de se redéfinir et de se considérer autrement que dans le cadre des grandes communautés dans lesquelles elles avaient été confinées et de se créer une nouvelle identité sociale. Ces définitions inédites ne représentaient pas seulement une possibilité d’indépendance, mais modifièrent leur statut au sein de leurs familles. Ces processus peuvent transcender l’individu et refléter des changements plus vastes au niveau du contexte et de la signification des catégories sociales. La conjonction de ces deux grandes ruptures – dans le statut familial suite au décès du conjoint et les bouleversements de la guerre – constituent des circonstances uniques pour l’étude des activités de Mme Benatar, la façon dont elle élabora ses relations sociales et l’absence de contraintes sociétales dont elle bénéficia. Si le contexte de ses activités et sa biographie rendent son histoire unique en son genre, elle ne fut pas la seule femme active dans le sauvetage des réfugiés et l’aide qu’elle leur apporta, ni la seule veuve entreprenant un travail qui allait au-delà de ce que réalisaient les organisations féminines de bienfaisance traditionnelles. Fidèle à ses idéaux, cette femme passionnée chercha le moyen d’être impliquée plus avant dans les efforts de guerre. Elle se porta volontaire à la Croix-Rouge locale et après la défaite de la France en juin 1940, elle offrit ses services à la Grande-Bretagne19. Dans le cadre de ses activités au sein de la Croix-Rouge, elle se trouvait dans le port de Casablanca en juillet quand elle reçut un appel écrit de réfugiés juifs européens (appel en fait envoyé à son mari, les expéditeurs ignorant qu’il était décédé) qui ne pouvaient débarquer d’un navire accostant à Casablanca. Ils avaient faim, avaient besoin de soins et n’avaient pas de permis pour débarquer. À partir de ce jour, et pendant cinq ans, elle consacra tout son temps et toute son énergie à venir en aide aux réfugiés, juifs en majorité, mais pas uniquement, s’assurant personnellement que l’on s’occuperait d’eux et en amenant même certains chez elle pour les héberger avant leur départ pour les ÉtatsUnis20. Elle mit en place un cadre organisationnel, le Comité d’assistance des réfugiés étrangers, tout d’abord à Casablanca, puis dans d’autres villes. L’organisation, cependant, était principalement le fait d’une seule personne, Hélène Cazes-Benatar, aidée de quelques autres, dont sa fille Myriam, alors adolescente, et d’une amie, également leader de la communauté et philanthrope à Casablanca, Celia Bengio21. En août 1940, elle avait pris contact avec les bureaux du JDC à New York. Elle entamait là une relation qui durerait quinze ans, devenant leur représentante de facto au Maroc puis dans toute l’Afrique du Nord ainsi que leur conseillère juridique pour le Maroc, de 1950 à environ 195322. Elle collabora étroitement avec la HICEM, notamment après l’arrivée de Raphaël Spanien et de Jacques Oettinger au Maroc, ainsi qu’avec l’AFSC qui, en 1942, envoya au Maroc son premier représentant en la personne de Leslie O. Heath, mais aussi avec les associations locales de bienfaisance. Après la création de l’État d’Israël en mai 1948, elle continua à travailler avec le JDC et en coopération avec l’Agence juive ; elle joua un rôle dans l’émigration des Juifs libanais en Israël au début des années 1950. En son honneur, et en l’honneur de sa contribution au judaïsme libanais, une nouvelle institution financée par le JDC fut ouverte à Tripoli en 1950 : le foyer Hélène-Cazes-Benatar pour les invalides et les personnes âgées de Tripoli23. Elle retourna ensuite au Maroc et œuvra pour l’émigration en Israël des Juifs, principalement ceux des régions rurales du Maroc. Elle participa à diverses réunions internationales et à des conférences européennes du JDC et devint sa conseillère juridique pour le Maroc. En 1952, son travail avec le JCD prit fin. Elle se rendit aux États-Unis en 1953 pour une période de trois mois à la demande du Dr Joseph Schwartz, alors vice-président exécutif de l’Appel juif unifié (UJA) et ancien directeur, en temps de guerre, du siège européen du JDC à Lisbonne. Elle donna des conférences dans tout le pays, dans le cadre d’une campagne de collecte de fonds pour Israël24. À son arrivée à New York, elle rencontra Eleanor Roosevelt, qui loua ses efforts pendant la guerre, ainsi que son activité en faveur des Juifs d’Afrique du Nord. En 1954, Mme Benatar reprit sa carrière juridique. Ce ne fut pas chose aisée, en raison des sentiments nationalistes croissants dans le pays, notamment après l’indépendance du Maroc en 1956 et les demandes de plus en plus pressantes de travailler uniquement en arabe et selon les lois de l’islam. Pendant de nombreuses années, elle répartit son temps et sa carrière entre Casablanca et Paris, et finit par s’installer définitivement en France en 1962. Là, elle s’investit immédiatement dans des activités communautaires juives et devint membre du conseil exécutif du Fonds social juif unifié (FSJU) et d’autres organisations. Cofondatrice de l’Association des Juifs du Maroc à Paris, elle fut nommée à sa présidence en 1967. Lapidus indique qu’elle fut réélue trois fois, d’autres sources indiquent qu’elle ne le fut pas parce que c’était une femme25. Bien qu’elle ait réussi à plusieurs reprises en tant que première ou seule femme, là, elle ne parvint pas à surmonter l’attitude traditionnelle des membres les plus conservateurs de l’organisation. En décembre 1967, elle se rendit en Israël pour la première (et la seule) fois, malgré sa longue vie d’efforts pour ce pays. Elle y fut reçue avec tous les honneurs qui lui étaient dus26. En 1969, une autre tragédie la frappe. Son fils Marc meurt à l’âge de 39 ans, l’âge exact de la mort de son mari. Elle commence à se retirer de sa carrière professionnelle et des activités communautaires et à organiser les divers documents et dossiers portant sur l’ensemble de ses activités. Le 7 juillet 1979, Hélène Cazes-Benatar s’éteint à son domicile à Paris, à l’âge de 80 ans. À ses modestes funérailles participèrent des représentants des diverses organisations dans lesquelles elle fut active. Sa fille Myriam et son gendre Serge Lapidus ont fait graver sur sa tombe une épitaphe des plus éloquentes : « À notre mère, femme légendaire qui secourut tant de détresses27. » Les Juifs de Casablanca, 1940-1943 La communauté juive de Casablanca était relativement nouvelle, la plupart des Juifs s’étant installés en ville au cours des premières décennies du XXe siècle, dans le cadre de l’urbanisation croissante des grands centres. Le développement économique du port moderne et les opportunités attirèrent les Juifs de l’ensemble du pays, notamment la famille Cazes, ainsi que Moyses Benatar. La population juive de la ville n’était pas homogène. Bien que la majorité fût religieuse et vécût selon les mœurs traditionnelles, la nouvelle élite juive francophone, composée de professionnels et d’hommes d’affaires, influença grandement le développement de la nouvelle structure communautaire28. Les nécessités de la guerre et la législation de Vichy touchèrent tous les Juifs, mais de différentes façons. À partir de la fin des années 1930, les Juifs marocains souffrirent d’un antisémitisme croissant s’inspirant des nazis tout comme dans les autres pays colonisés par la France, notamment dans des grands centres tels que Casablanca, où vivaient un nombre important de colons français29. Le statut des Juifs, publié par le gouvernement de Vichy le 3 octobre 1940 et étendu aux colonies françaises d’outre-mer, bannit ceuxci des postes politiques, de pratiquement tous les postes administratifs, de l’enseignement dans les écoles non juives et du travail dans les entreprises d’utilité publique. Cependant, un dahir (décret royal) marocain promulgué par le sultan Mohammed V permit à la communauté juive de maintenir son statut semi-autonome et aux Juifs de continuer à être employés dans ses institutions et organisations. Par la suite, le sultan se conforma au second statut des Juifs, publié en juin 1941 et promulgué par Xavier Vallat et le Commissariat général, et publia, le 5 août 1941, un dahir limitant encore davantage les activités économiques juives mais permettant aux artisans et petits détaillants du secteur privé de continuer leurs activités30. Un numerus clausus fut établi pour les médecins, les avocats et autre professions. Bien que nous n’ayons aucune indication claire sur le statut de la carrière professionnelle d’Hélène Cazes-Benatar, il est probable que le strict numerus clausus qui s’appliqua aux avocats juifs du Maroc l’empêcha de travailler, officiellement du moins. À Casablanca, seuls quatre avocats juifs sur trente furent autorisés à exercer leur profession31. Paradoxalement, les Juifs au Maroc sous le régime de Vichy, en raison de leur statut légal et social inférieur d’avant la guerre et du libellé plus général des dahirs marocains durant la guerre, souffrirent moins que ceux de Tunisie et d’Algérie. Cependant, l’effet général fut déstabilisant. On sait que les magasins juifs furent pillés, sans que la police intervienne pour rétablir l’ordre32. Accusés de soutenir la France libre, des Juifs furent incarcérés33. Le chômage sévissait, la pauvreté s’aggravait, non seulement en raison de la législation antisémite et des sanctions économiques mais aussi en raison de la discrimination dans la distribution des produits de première nécessité tels que nourriture et fuel34. La majorité de la population juive de Casablanca était en mauvaise santé. La classe moyenne et l’élite continuèrent à aider les membres de la communauté et à intensifier leurs efforts pour fournir éducation, soins et autres services sociaux. Durant les longs mois qui suivirent l’opération Torch, le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, la situation s’améliora quelque peu. L’administration locale demeura en place et les fonctionnaires conservèrent leurs postes, la presse antijuive continua à attaquer les Juifs, ajoutant le soutien des Alliés aux « crimes » qu’elle leur reprochait, des émeutes éclatèrent et le harcèlement quotidien continua, non seulement à Casablanca, mais aussi dans les Mellah de Meknès, de Fez et dans les autres communautés35. L’arrivée massive des réfugiés durant les années 1940 ne fit qu’alourdir le fardeau pesant sur les structures d’aide et de bienfaisance et demanda non seulement plus de ressources mais aussi des solutions originales. Les réfugiés européens et ceux qui leur venaient en aide durent faire face non seulement aux nécessités de base telles que logement, nourriture et emploi mais aussi aux labyrinthes bureaucratiques et aux complexités juridiques des résidents étrangers en temps de guerre, et ce, souvent sans disposer d’une langue commune et sans partager les mêmes espérances. Les réfugiés juifs à Casablanca 1940-1943 Les réfugiés européens au Maroc français, notamment à Casablanca, commencèrent à arriver en nombre significatif uniquement après l’occupation nazie en juin 1940, contrairement à ceux qui étaient arrivés dans la zone internationale de Tanger à la fin des années 1930 et au début de la guerre, et qui, souvent, avaient instauré des contacts commerciaux ou personnels dans la communauté36. Les réfugiés arrivant à Casablanca étaient d’une grande diversité, de par leur pays d’origine, leur nationalité, leurs niveaux socio-économiques et leurs professions. Certains étaient arrivés par leurs propres moyens, d’autres avaient été envoyés à Casablanca ou y avaient été transférés ; certains venaient seuls, d’autres en groupe. Il y avait aussi ceux qui fuyaient l’Europe pour le Maroc, ainsi que d’anciens membres de la Légion étrangère venant des camps de travail, et des Juifs étrangers incarcérés au Maroc, libérés par la suite. Il est possible d’identifier trois grandes catégories de réfugiés : 1. Les réfugiés européens indépendants au Maroc : Une première catégorie de réfugiés était les Juifs européens qui se retrouvèrent au Maroc au début de la guerre sans papiers officiels ni visas d’émigration. Après la publication du dahir de janvier 1940, avant les décrets de Vichy, ils étaient passibles d’emprisonnement dans des camps d’internement spéciaux (semblables aux camps qui existaient en France métropolitaine). Ce décret autorisait l’arrestation, la détention ou l’incarcération de toute personne définie comme dangereuse pour la sécurité publique et la sécurité du pays, ainsi que de toute personne qui n’était pas en possession de documents lui permettant de résider dans le pays ou d’émigrer37. Bien que le nombre des Juifs étrangers au Maroc fût encore peu important, les obstacles aux vagues de réfugiés qui arriveront après la défaite de la France étaient déjà en place, tout comme le système permettant de les incarcérer. Dans cette catégorie, on compte non seulement des Juifs mais aussi des non-Juifs, des communistes s’opposant au régime nazi et de nombreux républicains espagnols, opposants de Franco. À partir de juin 1940, le nombre des Juifs européens au Maroc qui avaient réussi à fuir l’Europe occupée augmenta sensiblement, mais ils se retrouvèrent à la merci des griffes des autorités marocaines puis de celles de Vichy. Des centaines de Juifs arrivèrent à Casablanca ne l’ayant ni prévu ni choisi, les bateaux sur lesquels ils étaient les ayant débarqués au port. Les capitaines de ces navires, inquiets à l’idée que les passagers juifs ne soient pas autorisés à entrer dans la ville de destination, les débarquaient. Là, sans statut officiel et souvent sans nourriture ni argent, ils sollicitaient l’aide de Mme Benatar et de son comité. Le paquebot français Alsina, par exemple, quitta Marseille en janvier 1941, à destination de Buenos Aires, avec quelque 600 réfugiés, un quart environ étant juifs. Le navire fut arrêté par les autorités de Vichy et immobilisé dans le port de Dakar pendant cinq mois. Le JDC et divers consuls d’Amérique du Sud tentèrent d’obtenir des permis pour ceux qui avaient des visas afin qu’ils poursuivent leur voyage, sur l’Alsina ou sur un autre navire, mais en vain. En juin, les passagers furent finalement autorisés à débarquer à Casablanca. Le comité de Mme Benatar, soutenu par le JDC et les contacts de la HICEM, s’occupa de cette nouvelle vague de réfugiés38. 2. Les réfugiés envoyés par des organisations internationales de bienfaisance : C’est dans ce contexte de discrimination et de modération, de travail forcé et d’internement, de privations et de liberté relative, d’occasions d’émigrer et d’obstacles bureaucratiques que débarquèrent les Juifs d’Europe, poussés par la nécessité de fuir le continent à la recherche de solutions d’émigration. Des milliers de réfugiés de la zone libre s’adressèrent à des organisations internationales d’entraide, juives et non juives, telles que la HICEM, le JDC, l’AFSC ainsi qu’au centre américain de secours du journaliste américain Varian Fry à Marseille, le tout nouveau Emergency Rescue Committee39, cherchant de nouveaux moyens de fuir. Lorsque les États-Unis fermèrent leurs consulats à Vichy en juillet 1941 et que l’Espagne interdit à ses consuls de délivrer des visas de transit aux détenteurs de visas de transit portugais, la « sentence de mort » qui menaçait les réfugiés juifs se trouvant encore dans la France de Vichy fut quelque peu allégée par l’autorisation qu’obtinrent les émigrants de se rendre à l’étranger via le Maroc français40. Si les autorités de Vichy autorisèrent officiellement la délivrance de visas de transit pour des réfugiés passant par ses territoires d’outre-mer, elles dressèrent des obstacles bureaucratiques et exigèrent que les diverses organisations, JDC, HICEM et le Comité d’assistance aux réfugiés étrangers de Mme Benatar, prennent en charge l’alimentation, le soin et le transport ultérieur des réfugiés. De fait, c’était généralement Benatar qui se portait garante personnellement de chaque réfugié auprès du contrôleur en chef de la Région civile et des autres autorités civiles et militaires, qui dictaient les conditions auxquelles l’association de Mme Benatar devait se soumettre41. 3. Les Français de la Légion étrangère : Au début de la guerre, en septembre 1939, des milliers de Juifs polonais, autrichiens et tchécoslovaques résidant en France s’engagèrent dans la Légion étrangère, soit pour des raisons patriotiques car ils ne pouvaient s’engager dans l’armée française, soit pour échapper à la législation appliquée en France contre les résidents étrangers. Après la conquête de la France et l’établissement d’un nouveau gouvernement à Vichy en juin 1940, les légionnaires français, dont des Juifs étrangers engagés volontaires pour la durée de la guerre (EVDG), furent officiellement démobilisés mais rarement libérés42. Le JDC estima que plus d’un millier de légionnaires juifs se trouvaient au Maroc lors de la défaite française43. Avec leurs camarades non juifs, dont de nombreux républicains espagnols, ils furent envoyés au Maroc et en Algérie avec l’approbation des Allemands pour servir les objectifs coloniaux, notamment le chantier grandiose du Transsaharien reliant Dakar à la côte méditerranéenne, projet autorisé par le maréchal Pétain en mars 1941. Là, ils devinrent de véritables esclaves, faisant un travail physique épuisant dans le désert, dans des conditions désastreuses. On infligeait à ces « volontaires » des punitions cruelles et inhumaines. Ils étaient détenus dans des camps clos, tristement célèbres – camps de travail et de concentration à tous points de vue. Le Maroc comptait à lui seul plus de onze camps de ce type44. Julius Wolf, un avocat de Vienne, avait été envoyé à Casablanca pour s’engager dans la Légion étrangère mais fut interné suite à l’intervention du consul américain à Casablanca, car il détenait un visa pour entrer aux États-Unis. Son histoire fut rapportée dans le New York Times en mai 1941, après son arrivée à New York, avec quelque 500 réfugiés à bord du Magallanes. Il parla des conditions désastreuses des camps : « À Bou Arfa, sur la frontière algérienne, un millier d’anciens légionnaires juifs travaillent comme des esclaves45. » Son histoire fut corroborée par des centaines d’autres réfugiés. En mars 1941, le JDC, alerté sur les conditions dans lesquelles vivaient certains anciens membres juifs de la Légion étrangère au Maroc, demanda à Mme Benatar, qui œuvrait déjà pour aider les réfugiés européens à Casablanca, de voir ce qu’il en était et de « nous conseiller quoi faire et nous dire si vous êtes en mesure de faire quelque chose46 ». Le réseau d’entraide d’Hélène Cazes-Benatar Hélène Benatar finança personnellement ses premières opérations, avec l’aide d’amis. Réalisant qu’il fallait entreprendre une action de bien plus grande envergure, elle contacta les dirigeants de la communauté juive et ses relations au gouvernement civil. L’aide fut immédiate et spontanée mais avec le temps, la gravité et l’urgence de la situation nécessitèrent une aide encore plus grande. La première vague des réfugiés arriva durant les grandes vacances ; ils purent être logés dans les écoles de l’Alliance et dans les autres institutions communautaires. H. Benatar forma un comité local composé notamment des dirigeants communautaires tels que S. D. Levy, Jules Nataf et leurs épouses, son amie Celia Bengio étant sa principale source de soutien47. Les Juifs locaux se chargèrent au début de fournir le gîte et le couvert aux réfugiés puis, le temps passant, les aidèrent à trouver un emploi. Les possibilités se faisant de plus en plus rares, les réfugiés furent redirigés vers Mogador, Marrakech, Safi et Fez48. En août 1940, H. Benatar contacta le JDC. Une première somme de 1 000 dollars arriva, bientôt suivie d’un autre soutien financier, accru. À la fin de 1941, l’AJJDC avait envoyé 15 500 dollars au comité de Mme Benatar49. Un rapport du JDC note qu’entre juin et juillet 1940 seulement, quelque 3 500 à 4 000 réfugiés arrivèrent au Maroc50 et que durant la seconde moitié de 1940 ils furent 10 00051. La HICEM et le JDC soulignèrent l’importance vitale de Casablanca en tant que porte vers l’émigration car les filières de fuite par l’Espagne et le Portugal devinrent plus malaisées. Le siège du JDS à Lisbonne fonctionnait via Benatar. La branche marseillaise de la HICEM créa un bureau à Casablanca en 1941, au début pour sauver les 1 200 réfugiés qui devaient être internés dans des camps au Maroc52. Après avoir reçu des rapports médicaux sur les conditions au Maroc, notamment sur les personnes internées dans les camps53, l’AFSC décida d’envoyer une équipe sur place. En juillet 1942, quatre mois avant le débarquement allié, Leslie O. Heath arriva à Casablanca pour diriger une équipe de trois quakers, dont David Hartley et Kenneth Kimberland54. L’une de leurs premières entrevues avec Hélène Cazes-Benatar eut lieu ; ce fut le début d’une étroite collaboration entre eux et leurs deux organisations. Après un rapide tour d’horizon, Heath conclu que, pour parer au plus pressé, il fallait s’occuper des 6 000 hommes internés dans les camps et à qui l’AFSC pouvait fournir des vêtements et des couvertures. En décembre 1942, le JDC indiqua que 10 000 réfugiés étaient passés par le port de Casablanca en moins de deux ans, de janvier 1941 jusqu’au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, en novembre 194255. Abitbol avance qu’avec les 5 000 à 10 000 réfugiés civils et « travailleurs étrangers », le comité aida environ 20 000 réfugiés juifs de 1940 à 1942 dans le Maroc français, à Tanger et en Algérie56. Les rapports cités cidessus semblent tous indiquer des chiffres supérieurs à ceux d’Abitbol, en prenant en compte les divers groupes de réfugiés et l’ensemble de la période de la guerre. Quel que soit le nombre, il représente un effort impressionnant, quoique oublié, considérant le nombre de Juifs autorisés à émigrer via toutes les filières à cette époque. Fin avril 1941, les autorités de Vichy au Maroc décrétèrent qu’aider les réfugiés était un acte criminel et fermèrent le bureau de Mme Benatar57. Bien qu’ils aient demandé à cette dernière de leur remettre ses registres, elle refusa et les cacha58. Nelly poursuivit son travail, soutenue non seulement par une aide accrue du JDC, mais aussi de la HICEM, Raphaël Spanien venant juste d’être envoyé pour représenter cette organisation à Casablanca. Les opérations se déroulaient maintenant dans le cadre d’une nouvelle organisation : « Hélène Benathar – Réfugiés étrangers », avec Celia Bengio en tant que secrétaire, et avec l’aide de réfugiés et de fidèles assistants, Marguerite Fuchs, Ernest Baden, Erich Polak et autres, chacun travaillant jusqu’à son émigration. Au printemps 1942, avec la hausse sensible du nombre des réfugiés cherchant à transiter par le Maroc, les bureaux de la HICEM à Marseille et à Casablanca établirent des directives très claires pour les opérations à Casablanca, en coordination avec Mme Benatar. L’argent était versé à l’avance par la HICEM de Marseille et des bons d’alimentation et d’hébergement furent distribués à Casablanca. On collectait une somme fixe, au début 50 francs par jour et par personne, en général pour cinq à dix jours59. Les réservations pour la traversée se faisaient par la HICEM de Marseille. Chaque passager recevait des instructions écrites concernant les réservations, l’argent, les préparatifs pour le départ, les bagages, le courrier, des conseils médicaux et des conseils sur ce qu’il fallait emporter. Les réfugiés signaient des formulaires standard déclarant qu’ils acceptaient ces instructions60. Heureusement, les bateaux portugais allaient encore de Lisbonne et Casablanca à Cuba, Mexico, Saint-Domingue, au Brésil, en Argentine et aux États-Unis. La compagnie espagnole Ybara allait également au Venezuela, au Brésil et en Argentine61. Parmi les nombreuses listes, carnets de reçus et rapports des archives de Mme Benatar, on trouve les noms de centaines, voire de milliers de passagers des divers navires en partance de Marseille, Oran et Lisbonne, en direction de Casablanca et des Amériques. La HICEM organisa les traversées sur tous les navires et toutes les compagnies maritimes possibles62. Les Nyassa, Guinée et Serpa Pinto firent plusieurs fois la traversée entre la Méditerranée et les ports de l’Atlantique. Les convois arrivaient chaque semaine, voire chaque jour. Le Nyassa, par exemple, fit des traversées le 25 juin, le 2 juillet et le 6 juillet. Certains voyages étaient de courte durée, de port à port, d’autres étaient à destination des États-Unis, du Mexique et de divers ports d’Amérique du Sud. David Izbotsky, par exemple, s’embarqua à bord du Serpa Pinto à Lisbonne le 17 novembre 1941, neuf mois après avoir quitté son domicile à Anvers. Dans ses mémoires, il relate comment son navire jeta l’ancre à Casablanca pour accueillir des réfugiés de tous les pays, dont des amis de sa ville d’origine, qui avaient été internés dans un camp près de Mazagan63. On trouve sur les listes des réfugiés de tous les âges, toutes les professions et toutes les nationalités. Jules Wallerstein était l’un des enfants réfugiés qui embarquèrent à bord du Guinée à Casablanca. En février 1941, il arriva à Marseille avec ses parents, après avoir fui sa Bavière natale, via Anvers. Là, la famille avait demandé un visa pour les États-Unis, qu’elle reçut finalement à Marseille, après avoir quitté la Belgique dès l’invasion allemande. La HICEM s’occupa de leur trouver une traversée sur le navire portugais le Guinée, qui partait de Casablanca. La famille dut trouver le moyen de venir de Marseille, via Oran, en Algérie. Les Wallerstein arrivèrent à Casablanca quelques jours avant le départ et à New York le 20 janvier 194264. À cette époque, le transfert sur des navires transatlantiques était immédiat, comme pour les passagers du Lipari, qui arrivèrent à Casablanca de Marseille le 23 mars 1942 et furent directement transférés sur le San Thome qui les attendait, en partance pour Cuba, New York et Vera Cruz. Cependant, la plupart d’entre eux étaient obligés d’attendre sans date précise, pour obtenir visas, laissez-passer et organiser leur traversée. Leurs finances en souffraient et cela nécessitait une aide de plus en plus grande. D’autres étaient incarcérés ou internés dans des camps de travail durant cette période intermédiaire65. Après l’opération Torch, la première campagne alliée en Afrique du Nord, qui débuta dans la nuit du 8 au 9 novembre 1942, il devint clair pour tout le monde, ou pratiquement tout le monde, qu’avec l’occupation alliée, les restrictions concernant les Juifs et le mouvement des réfugiés seraient levées et que les prisonniers des camps de Vichy seraient libérés. Cependant, aux États-Unis, le gouvernement et les autorités militaires considéraient que ce problème ne faisait qu’un avec l’éradication du nazisme dans la région et ajournèrent leur action66. Dix jours après le débarquement, le 17 novembre 1942, le président Franklin Delano Roosevelt annonça la libération des personnes emprisonnées en Afrique du Nord par le régime nazi. Cependant, il y avait loin entre la déclaration officielle et la réalité au Maroc, et les espoirs des Juifs furent cruellement déçus. Un prisonnier du camp de travail de Djelfa écrivit : « Nous savons que la radio a annoncé notre libération mais les directeurs du camp ne veulent rien savoir67. » Les organisations juives américaines et leurs dirigeants firent pression sur le gouvernement américain, rédigeant de puissants appels, organisant des rassemblements et publiant des avis sur des pages entières dans les quotidiens nationaux, rejetant le motif de « raisons militaires » avancé par les fonctionnaires du gouvernement. Pendant ce temps, Mme Benatar commença à contacter les autorités militaires américaines, demandant logement, nourriture et emploi pour les réfugiés, ainsi que des laissez-passer. En février 1943, elle reçut l’autorisation des autorités marocaines civiles et des autorités militaires alliées de se rendre dans les camps pour les visiter, avec quatre autres personnes, dont sa fille Myriam et Leslie O. Heath, le représentant de l’AFSC au Maroc, en vue d’évaluer la situation68. Les pénibles conditions prévalant dans les camps et le nombre important de personnes encore internées ne firent qu’accentuer le fossé entre la réalité et les déclarations officielles. Le succès de cette visite fut limité69. Ce n’est que deux mois plus tard, et six mois après la « Libération », qu’une directive claire et nette fut émise pour libérer tous les anciens légionnaires et autres prisonniers des camps d’internement. Cependant, même là, l’ordre ne fut pas uniformément respecté et par endroits, il fallut attendre juin 1943 pour qu’il le soit70. À leur libération, ces hommes eurent grand besoin de soins médicaux, de logement et de permis de travail. Ils cherchèrent également toute information concernant leurs familles, les moyens de les contacter mais aussi des visas et des moyens de transport vers l’Ouest. Ils sollicitèrent l’assistance des représentants officiels des pays dont les réfugiés étaient originaires ou dans lesquels ils voulaient se rendre mais, dans la plupart des cas, ce fut le comité local qui leur vint en aide71. Pour tout ce dont ils avaient besoin, ils s’adressaient aux communautés juives et au Comité d’assistance aux réfugiés étrangers d’Hélène Cazes-Benatar. Malgré l’aide des autorités américaines et le fait que le consul américain accorda autant de visas que possible, le Comité national de libération mit divers obstacles en invoquant la sécurité nationale. « Pour comprendre le dédale bureaucratique auquel il fallait se plier, il suffit de mentionner que chaque réfugié devait remplir seize questionnaires, auxquels, pour cinq d’entre eux, il fallait joindre cinq photographies et sur lesquels, pour les autres, il fallait apposer ses empreintes digitales72. » En réaction aux changements de conditions, le JDC augmenta en 1943 son engagement en Afrique du Nord, tant sur le plan financier que sur le plan de ses équipes présentes sur le terrain. Des équipes officielles de l’AJJDC arrivèrent pour des séjours plus ou moins longs et Donald Hurvitz fut prié d’évaluer les conditions et les besoins dans l’ensemble de la région73. En 1943, le JDC envoya environ 80 000 dollars au Maroc et en Algérie74. Au printemps 1943, de nombreuses organisations, tant privées que publiques, tant locales, qu’internationales et gouvernementales, étaient actives au Maroc. En juillet, Hélène Benatar fut l’instigatrice d’une réunion avec des représentants de divers groupes à Casablanca afin de coordonner l’aide aux réfugiés. Plusieurs types d’activités furent envisagés et finalement, chaque groupe se chargea de besoins spécifiques ou de certaines parties de la population réfugiée75. Fin 1943, les organismes gouvernementaux commencèrent à assumer la responsabilité d’une grande partie des problèmes des réfugiés, intégrant dans leurs rangs une grande partie du personnel des organisations existantes, tels que les représentants sur le terrain de l’AFSC. Les contacts personnels entre eux se poursuivirent, même dans leurs nouvelles fonctions, ce qui créa une coopération accrue entre les organisations. Les organisations gouvernementales et publiques, par exemple, coopérèrent pour la création et la gestion du parc d’attractions d’Aïn Sebaâ dans la banlieue de Casablanca pour les réfugiés. Bien que de nombreux problèmes logistiques aient surgi, cette coopération créa une atmosphère positive. Durant la première moitié de 1943, par exemple, Mme Benatar réussit à trouver un emploi à 1 267 réfugiés au sein de l’armée américaine ou dans l’industrie privée travaillant pour l’armée76. Le 9 novembre 1943, plus d’un an après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration), proposée par le président Franklin Delano Roosevelt en juin 1943 pour aider les régions libérées des forces de l’Axe, fut créée lors d’une conférence réunissant 44 pays à la Maison-Blanche. Bien que qualifiée d’agence des Nations unies, elle fut établie avant la création de l’ONU, sur la base d’une coopération avec l’OFRRO (Office of Foreign Relief and Rehabilitation Operations) américain. Avec la réorganisation progressive de l’aide en Afrique du Nord, le JDC envoya son propre représentant permanent travailler directement au Maroc, reléguant peu à peu l’autorité de Mme Benatar au second plan. Elle poursuivit cependant ses activités avec le même enthousiasme. Jamais elle ne reçut de salaire du JDC, jamais elle n’y occupa une fonction officielle77. Cependant, elle fut souvent reconnue comme représentante du JDC, chose à laquelle les dirigeants de cette organisation s’opposèrent bien qu’ils louassent son travail78. Elle rendit d’inestimables services aux diverses organisations américaines, tant juives que non juives, en raison de sa connaissance des affaires locales, de celles de sa communauté, de ses contacts officiels et de sa grande expérience sur le terrain. Conclusions préliminaires Ce rapide tour d’horizon des activités de Mme Benatar permet de distinguer certains traits de sa personnalité et de son travail. Tout d’abord, son dévouement illimité et son énergie inépuisable pour aider les réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale et contribuer à l’émigration des Juifs d’Afrique du Nord en Israël. Cependant, c’est sa capacité à « faire bouger les choses », comme l’a écrit l’un des employés du JDC, qui définit cette femme « extraordinaire, dynamique et compétente »79. Elle réussit à accomplir des choses non seulement par son propre travail mais aussi en établissant une étroite coopération et collaboration entre des organisations dans l’intérêt des réfugiés au Maroc. Ce type de coopération fut évident dès le début et n’avait pratiquement aucun rapport avec son propre statut ou sa propre réputation80. Alors que les moyens, le matériel et le personnel faisaient grandement défaut et que sévissaient les luttes intestines et les rivalités entre le gouvernement, l’armée et les organisations, ce type de coopération ouvrit la voie à des opportunités et des services qui dans un autre contexte auraient été impossibles. Malheureusement pour tout le monde, la coopération au sein des organisations juives et entre ces mêmes organisations, ainsi que la coopération avec les agences gouvernementales, fut toujours particulière durant la Seconde Guerre mondiale. Cette collaboration et cette coopération reflétaient-elles la dimension féminine que Mme Benatar apporta à son travail et à ses collègues, des hommes pour la plupart ? Il serait certes exagéré de l’avancer mais c’est une hypothèse qu’on ne peut rejeter. Consciemment ou non, Mme Benatar fit le bon choix pour sa carrière de bénévolat. Les activités de bienfaisance ont toujours été, pour les femmes, considérées comme un domaine convenable, respectable et même admiré. Les femmes juives s’y sont toujours investies, seules ou dans le cadre d’organisations constituées à des fins caritatives et sociales (entre autres l’aide aux immigrants et aux réfugiés). Dans un article sur la philanthropie, Susan Chambré a écrit : « L’engagement dans des entreprises philanthropiques offrait aussi aux femmes un monde à part, un domaine dans lequel elles pouvaient contribuer à la vie communautaire, ce qui leur permit d’exercer leur influence dans une communauté ou un milieu plus vaste81… » Ensuite, elle divise l’engagement des femmes juives en quatre grandes catégories : organisations féminines autonomes, organisations féminines comportant aussi des hommes, aides féminines dans des organisations dominées par des hommes et organisations masculines comportant aussi des femmes, mais en général, à un degré moindre82. Durant les années 1930, Mme Benatar était une des dirigeantes de la WIZO et des associations locales de bienfaisance dans la communauté juive. Toutefois, l’ampleur de ses travaux au cours de la Seconde Guerre mondiale et les contacts qu’elle développa furent exceptionnels et allèrent au-delà des limites traditionnelles de l’engagement des femmes dans le travail communautaire, les associations caritatives et la philanthropie. En créant un comité composé à la fois d’hommes et de femmes, des femmes de sa trempe comme Celia Bengio et Marguerite Fuchs chargées de prendre les décisions et de réaliser les travaux, un autre schéma voit le jour qui développe les activités traditionnelles des femmes dans le domaine philanthropique et communautaire, même si en réalité il s’agissait souvent d’un comité composé d’une seule personne. Hélène Cazes-Benatar n’adopta pas une position féministe (ce qui lui aurait peut-être été étranger). Usurper le pouvoir des hommes ou les affronter sur des questions de pouvoir ne l’intéressait pas. Elle « se contenta » de faire ce qu’elle considérait comme nécessaire, avec énergie et efficacité. Tout comme, par ses propres réalisations, elle montra la voie dans le domaine de l’éducation des jeunes filles juives et des perspectives de carrière, elle ouvrit de nouvelles possibilités dans le domaine du travail communautaire, avec de nouvelles structures, tant au niveau intracommunautaire qu’au niveau extracommunautaire. Les fermes négociations qu’elle mena avec les autorités civiles et militaires et avec les organisations caritatives internationales, dominées par les hommes, et son inspection des camps et des habitations pour évaluer la situation l’amenèrent bien au-delà des sphères de l’activité féminine traditionnelle. Quand son Comité d’assistance aux réfugiés étrangers fut déclaré illégal au printemps 1941, elle prit de grands risques et poursuivit son travail. Pendant et après la guerre, elle renonça à une vie de famille ordinaire avec ses enfants, sacrifia ses revenus et sa vie professionnelle au-delà des diktats des lois de Vichy et voua sa vie à l’aide aux réfugiés. Pour réaliser ses objectifs, elle fit appel à ses relations personnelles et professionnelles et les gagna à sa cause. Elle tira parti de ses relations avec les autorités civiles, relations développées durant sa carrière d’avocate très appréciée, ainsi qu’avec les dirigeants de la communauté, qu’elle connaissait de par la nature de son statut social et les fonctions de son regretté mari et de son père. Son statut de veuve lui permit une plus grande mobilité et une plus grande indépendance dans son travail, à la fois dans le milieu traditionnel et le milieu occidental moderne et l’aide de sa famille lui accorda le temps et la liberté nécessaires à ses nombreuses activités. Cependant, sa vie ne fut pas exempte de frustrations, et pas uniquement du fait des problèmes logistiques et bureaucratiques. Malgré l’envergure de son travail et de son expérience, les responsables de l’AJJDC continuèrent, par exemple, à la considérer comme une bénévole locale, n’ayant aucune fonction au sein de l’organisation. De même, malgré son dévouement et ses capacités, lors de son installation en France dans les années 1960, avec les difficultés que cela supposa, les membres traditionalistes masculins de l’Association des Juifs du Maroc à Paris, association qu’elle avait contribué à créer, refusèrent de la nommer à une fonction dirigeante. Hélène Cazes-Benatar illustre la vertu juive de l’entraide. Son souci d’autrui, couplé à sa philosophie libérale occidentale personnelle, permit de communiquer avec les Juifs et les non-Juifs de régions et de cultures différentes. Mme Benatar constitue une référence dès lors qu’il s’agit de combler les fossés et de développer les contacts entre les Juifs de son Afrique du Nord natale, l’Europe sous la coupe nazie et les États-Unis, tant pendant la guerre que dans les années qui suivirent. Sa chaleur et sa profonde sollicitude pour autrui la lièrent au destin du peuple juif à travers le monde. La Mishna dit que « Qui sauve une vie sauve un monde » (Traité Sanhedrin, 4, 5). Hélène Cazes-Benatar est une femme qui a sauvé de nombreux mondes en venant en aide à des milliers de réfugiés. Sa personnalité et sa vie sont parfaitement résumées dans le sous-titre de l’ouvrage biographique de son gendre, le Dr Serge Lapidus : « Une femme de tête, de cœur et de courage ». 10 Espionnage et contre-espionnage ; nazis et réfugiés : Tanger durant la Seconde Guerre mondiale par Mitchell SERELS Soldats marchant en formation avec des demi-guêtres d’un blanc éclatant, troupes du calife montées. C’est ainsi que l’Espagne occupe Tanger le 14 juin 1940, enfreignant les traités ratifiant l’internationalisation de la ville. L’intention des Espagnols était clairement de préserver la neutralité de la cité portuaire qui incluait la zone internationale de Tanger. L’invasion se fit au nom du sultan du Maroc, lui-même interdit en ville1. Ce même jour, l’attaché militaire allemand à Madrid prit l’avion pour Tanger dans l’appareil du général Luis Orgaz, vêtu d’un uniforme d’officier espagnol. Il avait donc eu connaissance préalable du plan2. La veille, le 13 juin 1940, les journaux allemands indiquaient qu’il se pourrait que l’Espagne occupe Tanger3. Le 10 juin 1940, l’Italie abandonne la neutralité pour adopter la belligérance. Le 12 juin 1940, l’Espagne fait de même, passant de la neutralité à la belligérance passive4. Outre le soutien militaire pour les forces nationalistes de Franco, l’Allemagne maximisa sa participation à l’effort économique de l’Espagne, qui comptait maintenant la zone internationale de Tanger5. Avec l’occupation de Tanger, le gouvernement du Maroc transféra tout l’or de la Banque d’État du Maroc de Tanger à Casablanca6. Cependant, les activités bancaires et de change s’accrurent à Tanger, y compris au sein de la population juive. Le Dr Kurt Reith, qui organisa l’assassinat du chancelier autrichien Dollfuss, fut nommé consul de l’Allemagne. Les autorités espagnoles remirent l’ancien bâtiment de la Mendoubia aux Allemands pour qu’il abrite leur consulat général à Tanger (GCGT). Il n’était qu’à quelque distance de la Calle de las Sinagogas, la célèbre rue en « L » comportant quatorze synagogues. Le Bet Din de Tanger, ou tribunal rabbinique, quitta la Mendoubia pour s’installer, en face, au domicile du rabbin Yehudah Azancot. Les Allemands possédaient déjà un consulat à Tétouan mais avaient perdu leurs propriétés à Tanger depuis la Première Guerre mondiale. Pendant une brève période après l’occupation, Tanger resta séparée de la zone espagnole. Ce n’est que plus tard qu’elle fut incorporée au mandat espagnol7. Les Alliés considéraient la majorité de la population espagnole de Tanger comme prorépublicaine, ne soutenant donc pas le gouvernement nationaliste de Franco ; la population française locale de Tanger comme étant en majorité pour les Alliés et les musulmans comme partagés. Les Juifs étaient considérés comme étant pro-Alliés8. Cependant, les Allemands ne refusaient pas les contacts avec les hommes d’affaires juifs, contacts bons pour le commerce et pour le maintien de leur couverture. Tanger abritait la plus ancienne légation américaine, présence de poids dans la ville avant l’entrée en guerre des États-Unis9. Tanger, consciente de sa position diplomatique et stratégique périlleuse était un grand centre de renseignement ; les individus s’espionnaient les uns les autres. Les Italiens, Espagnols, Allemands, Britanniques et Américains craignaient mutuellement que l’un d’eux ne s’empare de la ville, véritable porte d’entrée de la Méditerranée10. Par conséquent, personne ne dit mot contre l’occupation espagnole qui privait les autres de toute chance d’occuper la ville située face au détroit de Gibraltar11. Le 3 novembre 1940, les Espagnols dissolvaient le Comité international de contrôle en échange de la reconnaissance britannique de l’occupation espagnole. Les Britanniques, quant à eux, se voyaient accorder le droit d’entrer et de sortir de Tanger à leur guise, sans aucune restriction, et donc de maintenir un contact avec Gibraltar. Peu après, les Américains se virent accorder les mêmes privilèges12. À Tanger, toute fortification était interdite ainsi que le port de tout insigne militaire autre qu’espagnol. Tanger pourrait importer librement, aurait un marché de libre-échange, un bureau de poste britannique, le British Eastern Telegraph et La Gazette de Tanger serait publiée en anglais, français et espagnol13. La légation américaine contacta divers négociants, y compris des Juifs, pour faciliter l’octroi de permis d’exporter américains pour des cargaisons de lubrifiants, de pneus et de chambres à air, vitaux pour l’effort de guerre de chacun. La GrandeBretagne accepta14. Tanger était un centre d’espionnage si important qu’avant le débarquement en Afrique du Nord, l’OSS y avait ses quartiers généraux15. De nombreux agents allemands envoyaient leurs rapports à leurs officiers traitants à l’ambassade d’Allemagne à Madrid. Les Allemands fonctionnaient aussi dans le cadre de diverses entreprises commerciales. Parfois, il s’agissait de véritables hommes d’affaires à la solde de l’Allemagne ; parfois, d’espions qui avaient pour couverture des entreprises établies à cet effet. La plupart des Allemands vivaient à l’hôtel Rif. D’autres habitaient dans des appartements en ville16. C’était le cas de Johannes Bernhardt, fondateur du parti nazi au Maroc. Né en 1900, de religion protestante, Bernhardt était à l’origine directeur des ventes chez H & O Wilmer, une entreprise d’exportation. Après avoir épousé une des filles Wilmer, il devint directeur de la société. Bernhardt, avec Adolf Langenheim, fonda le parti nazi à Tétouan et organisa les expatriés allemands au Maroc. Langenheim en devint le premier président et Bernhardt le premier membre régulier. Au début de la guerre civile espagnole, Bernhardt et Langenheim s’étaient envolés pour Bayreuth pour rencontrer Hitler en vue d’obtenir le soutien allemand de Franco. Bernhardt était devenu ami de ce dernier, à l’époque où il était major, ainsi que celui d’autres officiers et administrations espagnols17. L’amiral Canaris, de l’Abwehr, avait avancé, à juste titre, que les agents allemands devant être envoyés en Espagne et dans les territoires espagnols devaient l’être en tant qu’hommes d’affaires18. Les Allemands se mirent donc à la tâche, acquérant en Espagne ou par le biais de l’Espagne du matériel pour l’Allemagne. Le marché noir à Tanger avait principalement lieu à Socco Chico. C’est également de là que partaient toutes les rumeurs. Nombreux étaient les Juifs qui y possédaient, là ou non loin, de petites échoppes. Les agents étaient payés pour y recueillir des informations ou simplement pour écouter les conversations dans la rue. Tout le monde s’espionnait. Le SIS britannique espionnait non seulement les Allemands mais aussi l’OSS américain et le SOE britannique19. Le KO comptait 87 membres en Espagne, chacun ayant un passeport diplomatique. Le RSHA avait 228 agents et l’ambassade d’Allemagne à Madrid en avait 1 711, dont la majorité se rendaient à Tanger ou y passaient20. L’Abwehr possédait plus de 500 agents en Afrique du Nord, essentiellement des Arabes qui avaient servi dans l’armée française, avaient été internés puis libérés21. D’autres musulmans furent envoyés à Tanger, à la demande du mufti de Jérusalem22. Bernhardt avait réussi à développer la plus grande entreprise appartenant à des Allemands, la Sociedad Financiera Industrial (Sofindus), qu’ils utilisaient souvent pour financer leurs agents mais également pour faire des affaires, notamment acheter de la viande et de la graisse en Argentine et les expédier en Allemagne par l’Espagne. Les fonds allaient d’Allemagne en Suisse et, de là, en Espagne ou au Portugal. Walter Schellenberg (chef de la Sicherheitsdienst, service de renseignements nazi) transférait chaque mois 50 000 RM pour financer l’entreprise mais aussi pour acheter des pesetas. La Sofindus utilisa également des francs suisses et de l’or provenant de banques suisses. Le code utilisé par Sofindus parlait de Stab (francs suisses), de Pilz (pesetas) et de Ring Wurm (RM)23. La majorité des télégrammes envoyés par Sofindus étaient interceptés, décodés et transmis à Londres par les Britanniques à Gibraltar ou Tanger. L’un d’eux indique que la Sofindus a obtenu de la pénicilline acheminée par avion des États-Unis, puis qu’elle a été transférée et envoyée en Allemagne où elle arriva le 25 octobre 1944. La Sofindus servait à financer les agents et les agents doubles mais aussi à acheter des produits chimiques pour l’effort de guerre allemand, notamment du sulfate d’ammonium24. Bernhardt avait fondé avec Francisco Fernando de Carranza, la Compañía Hispano-Marroquí de Transportes, constituée à Tanger le 31 juillet 1936. Plus tard, Bernhardt dirigea la ROWAK- Rohstoffe und waren Einkaufsgesellschaft, la commission des achats, agissant en tant qu’agent pour l’armée allemande, particulièrement pour l’achat du minerai des mines franco-britanniques du Rif, confisquées. Bernhardt s’est vu accorder cette fonction quinze jours après le début de la guerre civile en Espagne. En contrepartie, Hitler le décora pour les services rendus au Reich. Franco donna à Bernhardt un important domaine. La première chose à laquelle s’attacha la communauté juive locale suite à l’occupation espagnole fut de trouver le financement, tout d’abord pour les réfugiés qui venaient d’arriver à Tanger, ensuite pour les écoles de l’AIU. En effet, les écoles de l’Alliance étaient financées par les bureaux internationaux à Paris, maintenant occupés par les Allemands. Albert Sagues, directeur de l’école de l’AIU à Tanger, se tourna vers la Junta (le Conseil autonome de la communauté juive) ainsi que vers l’Association des anciens de l’Alliance pour trouver des fonds lui permettant de faire fonctionner l’école. Ses efforts portèrent leurs fruits. D’autres écoles françaises étaient placées sous le contrôle de Vichy. La police indigène, qui comptait un grand nombre de Juifs, fut dissoute par les autorités espagnoles. En décembre 1940, dans une manifestation d’animosité assez rare, les Italiens locaux mirent à sac le bureau de poste britannique ainsi que la société britannique Saccone & Speed. La police espagnole n’intervint pas. Les Juifs avaient maintenant de plus en plus peur mais le nouveau gouverneur, le colonel Antonio Yuste, les rassura, disant que les autorités espagnoles étaient là pour les protéger de l’application des lois raciales allemandes25. Yuste indiqua également à la population juive que les lois raciales françaises ne seraient pas appliquées dans les écoles contrôlées par la France. La Scuola Italiana n’appliqua aucune discrimination envers les élèves juifs. Avec l’abrogation du dahir du 15 février 1925, les Juifs perdirent aussi leur pouvoir politique. En tant qu’entité nationale, ils avaient trois sièges au Conseil, ainsi que le droit de siéger en tant que représentants des puissances signataires le cas échéant. Cette perte affecta tout particulièrement la riche famille Abensur, dont le chef de famille, Aron Abensur, vice-président de la Junta, était le représentant du Royaume-Uni. Seul le tribunal mixte demeurait. Sous l’administration espagnole, tous les commerces, y compris les commerces juifs, furent lourdement imposés et la perception des impôts renforcée. Il devint difficile d’obtenir des permis. De nombreux Juifs s’inquiétèrent car précédemment, ils avaient réussi à obtenir une nationalité étrangère. En outre, il y avait à Tanger, à tout moment, environ 1 500 réfugiés juifs. La vue du drapeau nazi flottant au-dessus de l’ancienne Mendoubia, maintenant le GCGT, en affectait beaucoup. Cependant, il n’y eut pas de manifestation juive contre la présence allemande. Les Allemands, eux, utilisèrent leurs agents pour organiser une manifestation arabe antibritannique. En janvier 1941, le manque de nourriture commença à se faire sentir à Tanger. Il fallait maintenant importer d’Espagne des denrées telles que farine, haricots, riz et huile d’olive. On rationna les légumes et interdit d’utiliser les voitures pendant le week-end. Dans l’ensemble de l’Espagne et de ses territoires, on manquait d’essence et de blé. Hitler fit miroiter ces denrées pour inciter l’Espagne à rentrer en guerre. L’Espagne, quant à elle, tenta d’acquérir des grains au Canada et en Argentine. Finalement, les États-Unis envoyèrent Walter Smith, un attaché au pétrole, s’entretenir avec Orgaz en avril 1941. Ces problèmes d’alimentation rendirent la corruption et le recrutement pour l’effort de guerre plus aisés. Certains Juifs refusaient tout contact avec les Allemands, d’autres gagnèrent de l’argent en leur vendant de l’or, certains étaient des agents des Alliés, d’autres des agents de l’Axe. Donald B. Hurwitz, agent de l’American Joint Distribution Committee (Joint) à Lisbonne, surveillait de près la situation à Tanger. De janvier à mai 1941, le Joint amplifia son aide, qui s’éleva finalement à 12 000 USD par mois. Le Joint travailla en étroite coopération avec la Hebrat Hajnasat Orhim de Tanger (Comité d’aide aux réfugiés), dirigée par Abraham J. Laredo et qui comptait Raphaël M. Laredo, Judah Jacob Cohen, Albert C. Reinhard, du Luxembourg (dont la femme appartient à ma belle-famille), Gimol Hadida et Abraham Pinto. La Hebrat Hajnasat Orjim avait été créée en 1860 pour aider les visiteurs, notamment les rabbins venus collecter des fonds. Les Juifs les plus aisés de Tanger ne souffrirent pas pendant la guerre. Ils vivaient confortablement dans les quartiers du Marshan, au nord de la ville, ou du Suani, au sud. Tanger n’a jamais eu de Juderia. Joe Hassan, le président de la Junta, en tant que citoyen portugais, avait un avantage pour traiter avec les autorités espagnoles. En effet, le Portugal était un pays neutre, bien que son ministère des Affaires étrangères ait été infiltré par des agents de la Gestapo26. Certains agents juifs se lancèrent dans ces activités par hasard. Un tailleur juif contacta la légation américaine indiquant qu’il avait d’importantes informations. Il fut conduit auprès de Childs, chef de la légation. Le tailleur retouchait un costume pour le juge Malmusi, un Italien en fonction au tribunal mixte mais aussi chef des fascistes italiens à Tanger. Dans une poche, le tailleur trouva une lettre envoyée par le personnel du consulat italien au juge au sujet de ses activités d’espionnage. Il se peut que la lettre ait émané d’un agent italien, Perretti ou Zoccola, et que Zoccola ait été un nom de code car cela signifie « rat d’égout » en italien. Zoccola quitta Tanger après le 31 octobre 1944. Pour l’Espagne, Emilio Carendini était le dirigeant des fascistes italiens locaux, basé à Barcelone27. D’autres Juifs aidaient les Alliés plus ouvertement. C’est le cas du Dr Ralph A. Nahon, médecin ayant étudié à l’université de Columbia à New York. Ses parents, nés à Tanger, avaient immigré aux États-Unis, où Ralph était né. Il correspondait avec Carleton Coon, récipiendaire d’une bourse du musée Peabody de l’université de Harvard. Nahon fut engagé par les Américains en 1940 pour explorer les grottes préhistoriques du littoral. Il avait été médecin naval mais revenait maintenant à Tanger en tant qu’archéologue. Nahon rapportait les mouvements des sous-marins allemands de la région sous couvert de fouilles archéologiques. Il travaillait avec Hooker Doolittle, transmettait ses informations à Carleton S. Coon, un messager américain entre Gibraltar et Tanger, qui utilisait sa fonction à la légation américaine pour passer clandestinement des armes (notamment 45 pistolets), des munitions, des Stens et des fusées éclairantes dans la valise diplomatique britannique. Le Foreign Office s’opposa cependant à l’utilisation de sa valise diplomatique par les Américains. Coon, à son tour, rendait des comptes au colonel Johnson, arrivé à Tanger en juin 1942 pour remplacer le colonel William C. Bentley en tant qu’attaché militaire à la légation américaine28. Johnson, lui, transmettait ses informations au G2 à Washington29. Pour confirmer les informations de Nahon, les Alliés faisaient appel à un pêcheur arabe dont le nom de code était Néandertal. Certains autres Juifs avaient la confiance totale de leurs officiers traitants dans leurs activités d’espionnage. C’était le cas notamment d’Ishaq Cohen, officiellement chauffeur de la légation américaine. Les Américains avaient, sur le toit de leur délégation, une radio clandestine, dont le nom de code était Midway. Le sergent Joseph Cryan, nom de code Stork, en était chargé30. Mme Childs, la femme du chef de la légation, se plaignit du bruit qu’il y avait au-dessus de sa chambre à coucher et Childs déplaça la radio pour l’installer dans la villa de Mme Sinclair, au Marshan. Le problème était de maintenir la couverture et de ravitailler la station. Coon et Gordon Browne, qui serait ensuite envoyé à Gibraltar, étaient donc chargés d’être de faction et de pourvoir à la logistique du ravitaillement. Au bout de quelques jours, cela devint de plus en plus difficile. Cohen se porta volontaire pour être de faction un jour sur trois. Il continua à le faire même après que les Américains eurent réduit la station à une station d’écoute uniquement31. Les Allemands avaient eux aussi leur radio à Tanger pour communiquer avec les sous-marins allemands, transmettre des informations sur l’approvisionnement en nourriture pour faciliter la pression exercée par l’Allemagne sur l’Espagne, surveiller les expéditions d’armes en provenance des États-Unis, les réseaux maritimes et les conditions climatiques. Les Allemands étaient soucieux du moral et de l’opinion publique32. Les Alliés faisaient souvent, par cette radio, de la désinformation destinée à l’Allemagne, en fournissant notamment de fausses informations sur le Jour « J » pour que les Allemands se concentrent sur le Pas-de-Calais33. La radio allemande fut sabotée le 12 janvier 194234. Hitler interdit formellement de se servir de Juifs en tant qu’espions pour le Reich35. L’amiral Canaris, cependant, y était favorable et à plusieurs reprises autorisa les Juifs à quitter l’Allemagne sous ce couvert36. Les Allemands n’avaient rien contre l’utilisation des Juifs37. Mentionnons à ce propos Abba Haïkovitch. Nous savons peu de choses à son sujet, notamment qu’il aurait été pelletier38. En 1944, Haïkovitch figure dans des listes américaines des agents encore en activité travaillant pour le compte des Allemands et devant être considérés comme dangereux. La légation américaine à Tanger pensait qu’il se faisait passer pour un réfugié juif. Il serait parti le 10 décembre 1944 mais l’Espagne n’a jamais confirmé son départ. Le cas de Mathias Goeritz est encore plus difficile à cerner39. Il figure en tant qu’agent sur les listes américaines. Il fut interné à Caldas de Malavella. Les Espagnols sont moins certains de son activité ; il apparaît chez eux comme enseignant l’allemand à l’école espagnole de Tétouan, ayant éventuellement un statut consulaire diplomatique. Mathias Goeritz ne contribua pas à éclairer la situation. Il suffit de lire ses diverses biographies et autobiographies pour comprendre l’étendue de la confusion. Dans certaines sources, il utilise le nom de Werner Brunner. Il semble qu’à un moment, il ait effectivement enseigné l’allemand dans une école espagnole de Tétouan, et qu’il se soit rendu fréquemment à Tanger, ville beaucoup plus cosmopolite40. Une des sources indique qu’il fut interné à Caldas de Malavella, camp d’internement pour les agents allemands qui fut ensuite transféré à Sobron, non loin de Vittoria, près de San Sebastian. Goeritz a peint au moins un paysage de Gibraltar vu du côté espagnol en 1942. La peinture fut retouchée en 1946. Mathias Goeritz déclara à une occasion que les Allemands l’avaient invité à rentrer en Allemagne mais qu’il refusa. Il s’installa par la suite au Mexique. Les Allemands utilisaient comme espions des artistes et des architectes41. Ces derniers comprenaient les installations militaires et les ponts, les artistes pouvaient les reproduire. À Tanger, un architecte suisse était à la solde du consulat général britannique et du GCGT42. Herbert B. Boettger (1898 Krefeld – 1954 Buderich) était un artiste à Tanger, classé par les Américains comme espion, puis plus tard expulsé par les autorités espagnoles. L’ambassadeur Hayes craignait que le laxisme espagnol dans le contrôle des réfugiés ne permette aux agents allemands de s’infiltrer en tant que tels43. Les Américains et les Britanniques suspectaient bien entendu les Juifs dont le nom avait une consonance ou une orthographe allemande. Au début, les soupçons portèrent un temps sur la famille de Samuel Reichmann, réfugié hongrois notable44. La difficulté venait en partie du passeport suédois que possédait leur fille Eva et qui lui permettait de voyager. Les capacités et le dynamisme de Renée Reichmann avaient également attiré leur attention45. Elle était très active dans le Vaad Hatzalah, qui aida les Juifs en Hongrie46. Elle fit pression sur la Croix-Rouge espagnole (Cruz Roja Espanola) pour obtenir des visas supplémentaires pour les enfants, et s’ils ne pouvaient trouver l’enfant dont le nom était mentionné, ils en faisaient partir un autre à la place. Elle assembla des colis de denrées alimentaires qu’elle envoya à des familles en Hongrie. Les services postaux entre l’Espagne et les gouvernements de l’Axe et des pays pro-Axe n’avaient pas été interrompus. Les Alliés tenaient pour suspect tout colis de denrées alimentaires envoyé à l’ennemi. Les colis de Renée Reichmann comprenaient des amandes, du chocolat, du beurre, du papier, des cordes, des vêtements, du savon, de la laine et tout ce qu’elle pouvait obtenir gratuitement des marchands juifs47. Le 4 avril 1944, le Vaad Hatzalah de New York accorda 3 000 USD à Aron Cohen, de Calle Tetuan, dont 1 500 USD pour des colis alimentaires48. Renée Reichmann continua ses activités et fut ensuite félicitée par le chef de la légation américaine, Childs. Celui-ci ajouta que Samuel Reichmann gagnait d’importantes sommes d’argent en convertissant des devises à la banque et des sommes de moindre importance en les convertissant auprès des agents de change. À Tanger, avec toutes ses missions européennes, et même la mission japonaise, les agents de change étaient très demandés. Quatre banques appartenaient à des Juifs : la banque Salvador Hassan, la banque Benchimol, la banque Nahon et la banque Pariente49. Certains se plaignirent du fait que des joailliers et des marchands d’or juifs vendaient volontiers de l’or aux Allemands50. Les réfugiés ashkénazes développèrent leur propre congrégation, tout d’abord dans un endroit fourni par la Junta dans l’ancien bâtiment de l’école de l’Alliance, puis dans un endroit qu’ils louèrent, rue Tuajim. Ils avaient leur propre shehita et ouvrirent une yeshiva. Tout cela se déroula sous les yeux de l’important GCGT et des agents de l’Axe, dont le nombre dépassait 100. Certains réfugiés, assis à des cafés en bord de mer, regardaient les attaques sur Gibraltar ou sur des navires. Ils voyaient les bombes tomber pendant qu’ils écoutaient de la musique. Pour les nouvelles, les gens écoutaient la radio, puisque les journaux étaient censurés51. Les Juifs de Tanger n’apprirent l’Holocauste qu’en 1945. De temps en temps, la Gestapo trouvait quelqu’un qui l’intéressait et l’envoyait en Allemagne. Ce fut le cas de « Rudolfo », finalement libéré par les Russes à Magdeburg52. Les Allemands utilisaient surtout des espions arabes, certains formés par le mufti de Jérusalem dans une madrasa allemande à Dresde. Les Alliés avaient eux aussi leurs espions arabes. Certains Arabes locaux étaient proAlliés, d’autres, nationalistes, anti-espagnols. Embarck el-Jedidi fit de la contrebande pour les Allemands53. Un des espions allemands, Abdelkader ben Mohammed Alami, était un Marocain qui travaillait pour le GCGT. Il était encore actif au départ des Allemands, le 16 juin 1944. Abdullah Richter, un Allemand converti à l’islam, vivait à Alcazaquivir. Son moulin lui servait de couverture. À noter qu’il prit part au minage du pont el-Kasr. Mekki Nasiri, un nationaliste marocain anti-alliés, était au service du consulat allemand à Tétouan. Le nom de code de certains des agents arabes à la solde des Alliés nous est connu : Strings, Tassels et Idris. Strings était un puissant dirigeant religieux marocain. Tasssels, son associé, travaillait lui aussi pour les Américains. Il était chargé d’acquérir des armes et autres pour le rebelle, Abdel Krim. Randolph Mohammed Gusus était né à Manchester, en Angleterre, de père marocain et de mère anglaise. Il fut élevé en tant qu’Arabe, à Fez. Il alla aux États-Unis pour vendre du cuir marocain et autres produits de maroquinerie, qu’il exportait. Il connaissait tout particulièrement la région de Boston. C’est là qu’il rencontra Coon et Browne54. Gusus travaillait officiellement pour le SIS britannique et fut « prêté » aux États-Unis. Il habitait dans une villa de fonction américaine à Tanger, avec un garde. Officiellement, il était traducteur pour la légation américaine. De fait, il était le contact de Tassels, qu’il rencontrait tous les mois au café Tingis55. Tassels transmettait les informations obtenues de Strings. Mulay Ali, de la tribu des Taghzuth, était lui aussi ouvrier du cuir. Cependant, il brûlait constamment sa couverture en fournissant à la légation américaine des articles en cuir. Ali pouvait se déplacer facilement et allait acheter des peaux chez les agriculteurs. Il transmettait des informations appréciables mais, fumeur invétéré de cannabis, il ne put conserver sa couverture et fut remercié de ses services. M. Fish, un vieux commerçant musulman, fut payé 50 USD par le colonel Johnson pour se rendre de Tanger à Ceuta. Là, M. Fish devait acheter des marchandises pour son magasin et recueillir des informations sur les combats. Considéré comme efficace, il fut ensuite payé 1 000 Frs par mois56. Mohammed Shaoush était quant à lui un agent double plus classique. Il était payé par les États-Unis et le Royaume-Uni pour distribuer du matériel pro-Alliés et par les Allemands pour recueillir la propagande et la détruire. Étant un homme honnête, Shaoush distribuait le matériel dans des immeubles pour s’acquitter de ses obligations envers les Britanniques, puis, pour s’acquitter de celles envers les Allemands, il repassait au même endroit, reprenait ce qu’il venait de distribuer et s’en débarrassait57. Certains agents étaient tout simplement des opportunistes. Big Moh était un geôlier de prison possédant les clés des cellules. C’est lui qui rapporta l’arrestation du capitaine Carranza, un militaire espagnol qui était l’informateur des Américains58. Parfois, l’espionnage se transforma en sabotage. Le 12 janvier 1942, les Britanniques sabotèrent la station de radio allemande clandestine de Tanger. Le 6 février 1942, les Allemands, en guise de représailles, firent sauter les sacs postaux britanniques59. L’explosion inquiéta même Goebbels quand il apprit la chose60. L’Allemagne avait découvert le complot britannique après s’être introduit dans le consulat américain. L’agent était une femme de ménage espagnole. Un informateur, Juif allemand réfugié à Tanger, raconta avoir été contacté par un agent allemand, Haggenmaker, qui lui avait dit que sa famille devait de l’argent à des gens en Allemagne depuis que leur entreprise avait été aryanisée. Comme leurs moyens étaient limités et qu’ils n’étaient pas certains des réels motifs de cet Allemand, les Juifs s’adressèrent à un agent britannique qui habitait dans le même immeuble. L’Anglais leur dit de payer ; de fait, cet agent était également à la solde des Britanniques61. Les États-Unis utilisaient les membres de leur légation pour diverses activités. Le colonel Frank Holcombe et Browne firent passer un pilote côtier marocain dans un wagon de marchandises de la zone française à la zone espagnole, puis de là à Tanger et sur un petit bateau, de Tanger à Gibraltar. Ce pilote guida les navires alliés lors du débarquement en Afrique du Nord à partir d’un bateau-guide, les 7 et 8 novembre 194262. Salomon Laredo et Salomon Pinto se rendirent à Casablanca et furent actifs dans la résistance contre le régime de Vichy. Les importants intérêts financiers allemands en ville poussèrent de nombreux Juifs locaux à faire des affaires avec les nazis, notamment avec la Sofindus dirigé par Bernhardt. Schellenberg faisait transférer chaque mois 50 000 RM dans l’entreprise pour acheter des pesetas et financer les espions. Le 23 mars 1944, alors que la guerre tournait clairement en faveur des Alliés, Berlin télégraphia à la Sofindus au sujet de dépôts d’or disponibles pour la banque centrale nazie, la Reichshauptbank Baer, auprès de la Banque nationale suisse à Berne. La Sofindus utilisa ces fonds pour acquérir des produits chimiques, notamment du tungstène et du sulfate d’ammonium ainsi que pour faire des achats au marché noir et spéculer sur les devises63. En octobre 1943, le Royaume-Uni et les États-Unis se posèrent la question de savoir s’il fallait fermer le GCGT et chasser l’Espagne de Tanger. Les espions espagnols de la ville étaient responsables du naufrage de 50 000 tonnes de marchandises britanniques64. Le 2 mai 1944, l’Espagne signa un accord secret pour la fermeture du GCGT65. Cependant, Anthony Eden déclara à la Chambre des communes que l’Espagne avait accepté de fermer le GCGT et d’expulser les agents allemands, ce qui repoussa les événements. Le GCGT fut formellement fermé en septembre 1944 et quelques agents furent expulsés. Le 7 mai 1945, les diplomates allemands se virent donner vingt-quatre heures pour quitter les lieux et évacuer tous les consulats ainsi que l’ambassade66. De nombreux Allemands restèrent cependant en Espagne en tant qu’enseignants. Les entreprises privées allemandes, notamment la Sofindus, continuèrent d’y fonctionner. Après la guerre, 1 000 agents de la Gestapo servirent dans la police de Franco, apprenant l’espagnol au couvent de Los Cartujos67. Réfugiés juifs 68 J’ai précédemment parlé de l’arrivée et de la vie des réfugiés juifs d’Europe, notamment hongrois et rhodiens69. Avant l’invasion espagnole, l’Assemblée législative de Tanger avait tenté de faire passer une loi interdisant l’entrée des réfugiés juifs. La délégation juive s’y opposa et la protestation eut pour conséquence l’élimination du mot « Juif » de la réglementation. Il fut décidé de ne pas accepter des réfugiés des pays non signataires, à moins qu’ils ne soient porteurs d’une autorisation spéciale de l’administrateur général de la zone. Le premier visa serait accordé aux réfugiés pour une période de six mois, avec possibilité de renouvellement et moyennant une caution de 5 000 Frs déposée à la Banque d’État du Maroc à Tanger. Quelques réfugiés furent cependant expulsés70. Plusieurs réfugiés juifs allemands surent s’adapter aux circonstances en attendant que les choses se décantent, ailleurs71. Il s’agissait de réfugiés conscients des événements, vivant sous domination nazie, dans l’ombre du GCGT et de ses alliés. Moïse Weissman fut au début le représentant du Congrès juif mondial, poste qui fut ensuite brigué par Anatole Estryn72. Les délégués à la conférence des Bermudes sur les réfugiés pressentirent que sur les 6 000 à 8 000 réfugiés juifs dans les territoires sous contrôle espagnol, environ la moitié pourraient contribuer à l’effort de guerre allié. Cependant, en 1943, le State Department américain était d’avis que ces réfugiés n’étaient pas en danger imminent ou sérieux et qu’ils ne représentaient donc pas un problème pressant, nécessitant des visas73. Le State Department était d’avis que les réfugiés juifs à Tanger avaient atteint un havre de paix. Une approche plus sinistre fut celle qui survint à la fin de la guerre et le complot Naumann pour réinstaller les membres de l’ancien régime dans le gouvernement de l’Allemagne de l’Ouest et la Fuehrungsring, une mafia postnazie, dont les quartiers généraux étaient à Madrid. Dollmann, qui aida un groupe de nazis en fuite, possédait un département spécial en Afrique du Nord, dont le siège était à Tanger, chargé de fournir des fonds dissimulés dans les biens des entreprises d’import-export allemandes telles que la Sofindus. La plupart des nazis ainsi aidés partirent s’installer en Amérique du Sud74. Dollmann rencontra le mufti de Jérusalem, qui vivait au Caire, en janvier 1952, pour aider d’autres personnes à trouver refuge. Parmi les autres nazis à Madrid utilisant des fonds des banques de Tanger, mentionnons le Dr Johann von Leers, l’orateur antisémite, le colonel SS Otto Skorzeny et l’as de la Luftwaffe Hans Ulrich Rudel75. Le 10 mars 1949, le Mendoub, à nouveau en poste, convoqua la Junta et son président James M. Nahon pour se plaindre de ce que la Hatikvah avait été chantée trois semaines plus tôt, lors du départ de Juifs émigrant en Israël. La Junta prépara une déclaration affirmant sa loyauté, sans toutefois renoncer au droit d’émigrer librement. Elle écrivit ensuite au gouvernement israélien pour soutenir la résolution de la République dominicaine aux Nations unies en faveur de l’adhésion de l’Espagne. Israël ne vota pas en faveur de la résolution. Les réfugiés juifs de Tanger trouvèrent refuge aux États-Unis, au Canada, en Israël ainsi que dans de nombreux pays d’Amérique latine. Ils s’installèrent dans des communautés. L’occupation espagnole à Tanger sauva-t-elle ces réfugiés juifs ainsi que les Juifs indigènes ? Nous ne le saurons jamais. Ce que nous savons, c’est que Tanger, pendant la guerre, était un endroit où toutes les parties belligérantes se retrouvaient et s’affrontaient. * ANNEXE Listes générales des espions suspectés76 Documentation : a. Note diplomatique no 2145. 15 juin 1944. Légation américaine, Tanger et annexes b. Note verbale no 927.B-1, exl-A2. Du ministère des Affaires étrangères espagnol à l’ambassade américaine, Madrid. c. Note verbale no 3551. De l’ambassade américaine, Madrid au ministère des Affaires étrangères espagnol. d. Document top secret 2-13. Note diplomatique no 182. Consulat britannique, Tanger. 9 juin 1944. e. Note diplomatique no 460. Du ministère des Affaires étrangères espagnol à sir Samuel Hoare, ambassadeur britannique, Madrid, 13 juin 1944. f. Note diplomatique no 888. Mémo de l’ambassadeur sir Samuel Hoare au ministère des Affaires étrangères britannique, 12 juillet 1944. g. Liste supplémentaire jointe à la note verbale du 19 juillet 1944. h. Note diplomatique no 3583 ambassade américaine, Madrid au secrétariat d’État, Washington et annexes. 13 décembre 1944. i. Note diplomatique no 2596 ambassade américaine, Madrid au secrétariat d’État, Washington, 12 juin 1944 et annexes. Tanger 1. Alami, Abdelkader ben Mohammed. Officiel marocain au consulat général de Tanger. Encore en activité le 16 juin 1944. (e) 2. Ballweg, Ernst. Les Américains disent qu’il était actif et refusa de quitter la juridiction espagnole. Il fut finalement expulsé du Maroc et arriva en Espagne. S’est confessé quand il était à Cordoue. Une personne au nom identique devint Kommissarisch au Landkreis Hochschwarzwald 1947-49. (b, h, i) 3. Berger, Irène. Accusée par les Américains d’espionnage pour les Allemands en juin 1944, avait déjà quitté Tanger le 21 avril 1944 pour l’Espagne. (b, g) 4. Boettger, Waldemar, alias Walter Burckhardt. Nom de code : Cobija. Fut envoyé en avril 1944 pour aider les Allemands en fuite à entrer en Argentine. Était ingénieur électricien travaillant à la transmission radio et au micropoint77. 5. Childs, J(ames) Rives. Chargé d’affaires et consul général américain par intérim à Tanger. Né à Lynchburg, en Virginie. Le lieu de sa sépulture est inconnu. Reçut son BA du Randolph-Macon College et son MA de Harvard en 1915. Spécialiste de Casanova. A recruté Henry Miller. A occupé les fonctions de consul américain à Bucarest, 19241929 ; au Caire, 1931 ; a été nommé à Tanger en 1943. Childs fut ensuite ambassadeur par intérim au Maroc. En 1946, il deviendra le premier ambassadeur au Yémen ; de 1946 à 1950, il sera ambassadeur en Arabie saoudite, puis en 1951-1953, ambassadeur en Éthiopie. Prit sa retraite en 1953. Durant la Première Guerre mondiale, a reçu une formation de cryptanalyste et de second lieutenant dans l’AEF (Corps expéditionnaire américain). Il est l’auteur de solutions générales pour le cryptage ADFGVX. Fut affecté à Tanger pour espionner les Allemands grâce à son poste diplomatique et ses connaissances en matière de cryptage. 6. Daneyko, Heinrich. Fonctionnaire au GCGT, atteint de tuberculose. Déclara aux autorités espagnoles qu’il ne pouvait pas voyager en raison de sa maladie. (f) 7. Dankhaus, Artur, alias Arthur Denkhaus. Né à Brême en 1903. Voyagea souvent entre l’Espagne et Tanger. Bien que les Américains prétendent qu’il était encore en activité le 12 juin 1944, il semble qu’il ait quitté l’Espagne par Irun le 16 mars 1944. (e) 8. Gascoigne, A. Consul général britannique à Tanger, il présentait ses rapports à sir Samuel Hoare, ambassadeur britannique à Madrid. 9. Goeritz, Hermann. Les Américains demandèrent qu’il soit expulsé le 12 juin 1944. Fut ensuite interné à Caldas de Malavella. Le 13 décembre 1944, les Espagnols confirmèrent qu’il était un agent à la solde de l’Axe. Les États-Unis réagirent favorablement à son arrestation. Goeritz, cependant, indiqua qu’il était souffrant et qu’il resta à Barcelone jusqu’au 15 décembre 1944. À la date du 23 octobre 1941, Goeritz était le principal agent allemand à Tanger. (b, c, g, i) 10. Goeritz, Mathias. Né Werner Mathias Goeritz Brünner, en 1915 à Dantzig et mort en 1990 au Mexique, où il s’installa après la guerre. A grandi à Berlin, était architecte et enseigna l’architecture à l’Universidad de Guadalajara. Il semble avoir enseigné l’allemand à l’école espagnole de Tétouan. Quitta le Maroc rapidement, fut interné à Caldas de Malavello et relâché à Barcelone. (a, b, i) 11. Grimm, Josef. Actif à Tanger et expulsé du Maroc à l’été 1944 (à ne pas confondre avec le pasteur antinazi). (b, i) 12. Gudjans, Alfred Lothar. Agent de la Gestapo et attaché de la police affecté au GCGT. Expulsé de Tanger, il refit surface à Tétouan. Revint à Tanger pour s’enfuir par avion pour Séville. (a, b, e) 13. Gudjans, Mme Lothar. Femme de l’agent de la Gestapo, partie le 6 juin 1944 via Algésiras. (a) 14. Haïkovitch, Abba. Sous couvert d’être un réfugié juif au Maroc, espion bien établi de la Légation américaine à Tanger. Serait parti le 10 décembre 1944. L’Espagne n’a pas pu confirmer son départ. (c) 15. Hasebe, Kiyoshi. Lt. Col. Attaché militaire japonais. Quitta la ville par avion le 29 mai 1944 suite à la fermeture du bureau qu’il avait à Tanger depuis 1942, notamment pour espionner le trafic maritime britannique et américain. (a, i) 16. Heberlein, Erich Dr. Premier secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Madrid. Était marié à une Espagnole78. 17. Heberlein, Oscar. Quitta Irun le 3 novembre 1944. Se trouvait à Tanger le 12 juin 1944. Aurait voyagé avec des papiers suisses. (b, i) 18. Hiller, Emil. S’est vu octroyer un sauf-conduit pour l’Allemagne en février 1943. Était de nouveau à Tanger en juin 1944. D’après l’Espagne, il fut expulsé du Maroc mais les États-Unis indiquent qu’il n’existe aucune preuve de son départ. (b, i) 19. Hoffmann, Christoph. Fonctionnaire au GCGT, partit pour Séville le 10 juin 1944. Était vice-chancelier du GCGT. Se rendait fréquemment à Algésiras, certainement pour recueillir des informations sur Gibraltar. (a, e) 20. Jahsky, Eric, alias Eric Jansky. D’après les Américains, c’était un espion du nom de Jahnsky mais les Espagnols disent ne rien avoir sur lui à ce nom. (b, i) 21. Jimenez, Manuela. Fonctionnaire au GCGT. En tant qu’Espagnole, elle avait accès à de nombreuses sources d’information. Était active le 13 juin 1944. (e) 22. Keller, Anton Waldemar. Figure sur la liste des espions en activité le 29 mai 1944. Les Américains le nient le 12 juin 1944. Fut finalement expulsé par le gouvernement espagnol. (b, i) 23. Kern, Konrad. Expulsé avec Anton Keller. (b, i) 24. Konzelmann, Lambert. Parti pour Irun en mars 1944 bien que les Américains le considérassent encore comme un espion en juin de cette même année. (b, i) 25. Krueger, Hans Paul. Expulsé avec Keller et Kern. (b, i) 26. Lamprecht, Emil Willi Otto. À l’origine, membre de l’association de football TSV Kuppinjen, il partit en mars 1944, bien que les Américains le recherchassent encore en juin. (i) 27. Lechner, Walter, alias Walter Lechter. Le 12 juin 1944, les Américains écrivirent aux Espagnols qu’ils accusaient Lechner d’espionnage mais ceux-ci lui avaient déjà demandé de partir, ce qu’il fit de son plein gré le 15 juin 1944. Il fut finalement interné à Caldas de Malavello sous le nom de Leutner le 8 novembre 1944. (b, e, i) 28. Lochmann, Ernst. Quitta Irun le 24 mars 1944. Les Américains disaient qu’il était toujours à Tanger mais ils orthographièrent son nom avec un seul « n ». Fut expulsé du Maroc. En 1949, il ouvrit en Allemagne une usine de produits agricoles. (b, i) 29. Loshichler, Ludwig. Les Américains orthographiaient son nom ainsi : Losbischler. À plusieurs reprises, il fut prévu qu’il quitte Tanger mais il y demeura actif jusqu’à son expulsion. (a, b, e) 30. Maraun, Hans. Assistant civil de l’Attaché militaire du GCGT. Quitta Tanger le 6 juin 1944 via Algésiras. (a) 31. Meixner, Georg Friederich, alias Johannes Meixner. Faisait partie des cent douaniers allemands internés à Miranda de Ebro. Se trouvait à Tanger en juin 1944, bien que, d’après les Espagnols, il fût parti en avril 1944. (b, i) 32. Meyer, Willi. Figure en juin 1944 sur la liste des espions en activité. (b, i) 33. Orgaz, Luis, général. Gouverneur général de l’Afrique du Nord espagnole y compris Tanger. D’après les Américains, il transmettait des renseignements aux Allemands. Il protégea un certain nombre d’agents allemands, créa six postes d’observation le long de la côte entre Melilla et Tanger pour aider les Allemands à observer le trafic maritime allié en Méditerranée. 34. Perretti. Agent de la République sociale italienne à Tanger. Dut quitter Tanger après le 31 octobre 1944. (c) 35. Peschne, Johannes, alias Johannes Peschke ; l’Espagne indiqua qu’il partit le 22 mai 1944. Il était encore à Tanger le 15 juin 1944. (b, i) 36. Petersen, Alexander. Toujours en activité le 20 mai 1944, les Américains demandèrent son expulsion le 12 juin 1944. L’Espagne accepta. (b, i) 37. Pietsch, Willi. Ancien boxeur allemand, contrôlait deux autres agents, Hans (Georg) Meinkel et Carlos (Karl) Kirsch. Actif également à Port-Bou. Arriva pour être interné à Caldas de Malavella le 28 novembre 1944. (b, c, i) 38. Ramos Podacira, Pedro. Soupçonné d’actes de sabotage contre Gibraltar. (h) 39. Reith, Kurt Dr. Consul général allemand à Tanger. Organisa l’assassinat du chancelier autrichien Dollfuss. (d) 40. Remer, Hans. Col. Fonctionnaire du GCGT, s’envola pour Madrid puis pour San Sebastian. Tomba aux mains des Russes le 11 mai 1946. (e) 41. Schmidt, Karl Hans. Personnel du GCGT, quitta Tanger le 29 juillet 1944. (g). Dans un autre mémo du 29 juillet 1944, le Royaume-Uni indique accepter qu’il reste plus longtemps. 42. Schnitzer, Rudolf, alias Schitzer. Agent de la SD parti par Algésiras et interné à Caldas de Malavella le 28 novembre 1944. (a, b) 43. Schubert, Lily. Mlle. Activiste pour la cause allemande. Répertoriée par les Américains. 44. Schutz, Hans Peter. Expulsé de Tanger suite à une demande américaine. Son nom est parfois orthographié Schultz. (b, i) 45. Seidel, Hans, alias Hans Seydel. Diplomate de carrière. Fut vice-consul à Tétouan et fonctionnaire au GCGT, quitta Algésiras pour Madrid puis pour San Sebastian. Apparaît comme un officiel élu du Wolf District Provisional Council à Baden. (a, b) 46. Suder, Franz Joseph. Fonctionnaire du GCGT, reçut l’ordre de partir le 14 juin 1944. S’est vu octroyer un délai supplémentaire pour emballer les effets du consul général et fermer la mission allemande. (d, e) 47. Tietz, Karl. Fonctionnaire au GCGT. Ne figure pas sur les listes britanniques des espions allemands. Les Espagnols ont dit avoir vérifié son statut officiel auprès du GCGT. (e) 48. Weise, Suzanna. Fonctionnaire du GCGT, partie pour Madrid et de là, pour San Sebastian. (b, e) 49. Weirmann, Otto, alias Otto Weidmann. S’orthographie également Weidemann. Selon les Espagnols, il partit pour Prat le 4 mai 1944 mais selon les Américains, il était encore à Tanger en juin 1944. (i) 50. Zimmermann, Luisa. Fille d’Otto Zimmerman. Accepta de partir après en avoir reçu l’ordre le 7 juin 1944. Était encore en ville le 15 juin 1944. Fut internée en Espagne puis relâchée. Sa présence a été confirmée à Madrid. (a, e, i) 51. Zoccola. Agent de la République sociale italienne. Actif à Tanger, dut partir après le 31 octobre 1944. Cela peut être un nom de code car cela signifie « rat d’égout » en italien. (c) Alcazarquivir 52. Gradolph, Emilio, alias Euriho. Il reçut l’ordre de quitter le Maroc mais fut protégé par le gouverneur général Orgaz malgré l’ordre des Espagnols. Orgaz lui accorda un délai de trois semaines supplémentaires. Il semble que Gradolph soit resté en Espagne. (a, b, e, i) 53. Richter, Heinrich. Serait né à Inowroclaw, en Pologne, en 1920. Était un protégé du général Orgaz. Il reçut l’ordre de partir mais on lui accorda des sursis. (a, b, e, i) 54. Zimmermann, Otto. Le général Orgaz l’inscrivit sur la liste des gens à expulser puis sur la liste des gens à ne pas expulser. Il était le père de Luisa Zimmermann. Les États-Unis l’ont répertorié en tant qu’agent. (a, b, e, i) Ceuta 55. Clemens, Virgilio Arens. De nationalité espagnole, second lieutenant des Légionnaires, travaillait pour le compte des nazis. (a, i) 56. Flass, Fritz, alias Heinrich Flass. Les Alliés l’ont répertorié comme saboteur. Il partit pour Tanger et d’après les registres, il serait parti le 19 mai 1944 bien qu’il figure comme y étant toujours le 13 juin 1944. Les Espagnols ont confirmé qu’il quitta Tanger durant la première quinzaine de juillet 1944. (b, e, g, i) 57. Krueger, Erich. Protégé du général Orgaz, qui déclare qu’il figure sur les listes américaines sous le nom de Kreuger. Reçut l’ordre de partir le 7 juin 1944 puis à nouveau le 30 juin 1944. (a, b, e) 58. Maier, Walter, alias Wilhelm Maier, alias Walter Mayer. L’Espagne déclare n’avoir aucune connaissance de ses activités d’espionnage. Il tenta d’obtenir la nationalité espagnole mais les ÉtatsUnis demandèrent à l’Espagne de la lui refuser. Il fut finalement expulsé du Maroc. Sa présence en Espagne fut confirmée. (a, b, h, i) 59. Mense, Clemens. Opérateur radio à Ceuta. Il s’installa à Tanger quand on lui demanda de quitter la ville, puis à Tétouan, où il indiqua aux autorités qu’il partirait par avion. (a, b, e, i) Melilla 60. Battle, E. (i) 61. Balester Berenguer, José. Citoyen espagnol qui travailla pour les Allemands. (i) 62. Comelli, Giuseppe. Espion italien qui voyagea fréquemment entre Melilla, Tétouan, Tanger et Malaga. (i) 63. Erhardt, Ernst. On ne sait pas grand-chose de lui bien que les Américains l’aient fait figurer sur une liste d’agents allemands connus. Selon les Espagnols, il quitta le Maroc. Les Américains, eux, soutinrent en décembre 1944 qu’il n’y avait aucune preuve de la cessation de ses activités et de son départ du Maroc. (b, i) 64. Meyer, Johan Adolf Kurt. Le général Orgaz ne le considérait pas comme un espion mais il en était bien un pour les Alliés. Il tenta d’obtenir la nationalité espagnole mais les Américains s’y opposèrent. Il fut interné à Caldas de Malavella. (a, b, i) 65. Geisenhoofer, Thomas, alias Tomas Geisenhower. Employé consulaire allemand qui n’était pas considéré par les Espagnols comme un espion bien que les Américains le considérassent comme tel en raison de ses fréquents déplacements à Tétouan et Tanger. (i) 66. Jaen Molina, Aurelio. Citoyen espagnol à la solde des Allemands. (a, b, i) 67. Kraemer, Walter Eugene. Agent consulaire allemand à Melilla. Il se peut que les Américains aient identifié un homme du même nom comme étant un espion. Kraemer fut interné à Caldas de Malavella. (a, b, i) 68. Schneider, Albert. Se déplaça dans toute la zone espagnole. Les Espagnols lui ordonnèrent de partir avant que les Américains n’envoient leur liste officielle en juin 1944. Schneider accepta de partir immédiatement en échange d’un navicert. Les Espagnols voulaient lui confisquer son passeport mais il refusa. Il fixa son départ à octobre 1944. (b, e, g, i) 69. Ulrich, Otto. Fonctionnaire consulaire officiel allemand à Ceuta. A peut-être été le capitaine du U760. Fut capturé non loin de l’Espagne et interné à Caldas de Malavella. Mourut en juin 1945 à Sontheim. (a, b, i) Larache 70. Hoeller, Wolfgang. Vice-consul honoraire allemand à Larache. Quitta le Maroc en novembre 1944. Sa présence fut avérée à Jerez. Fut interné ensuite en Espagne. (a, b, i) 71. Prell, Otto. Vieil homme qui, semble-t-il, recueillait des informations pour les Allemands. (a, i) 72. Phleban, Alfred. Les Espagnols ne le considéraient pas comme actif sur le plan politique mais les Américains demandèrent son expulsion en juin 1944. (b) Tétouan 73. Bernhardt, Johannes. Collègue de Langenheim qui rencontra également Hitler à Bayreuth, lui transmettant un message de France. Au début, Bernhardt était employé de bureau chez H&O Wilmer. Il épousa une des filles Wilmer. H&O Wilmer était une entreprise allemande d’exportation ayant des bureaux en Espagne et à Tétouan et qui menait des affaires à Tanger. Le gouvernement espagnol considérait donc Bernhardt comme un homme d’affaires. Il travaillait avec plusieurs sociétés allemandes et était important pour l’effort de guerre allemand mais aussi en raison des contacts qu’il avait avec tous les intérêts commerciaux au Maroc. Il mit sur pied le parti nazi parmi les expatriés allemands au Maroc. Le 21 juillet 1936, il rencontra à Berlin l’équipe du GCGT. Bernhardt fut nommé directeur de la Sofindus. (i) 74. Boettger, Herbert. Né en 1898 à Krefeld, mort en 1954 à Buderich. Artiste, répertorié par les Américains comme espion et expulsé à leur demande. (a, b, i) 75. Drecht, Werner. (a, b, i) 76. Langenheim, Adolf. Responsable de la section de Tétouan de l’AO et à ce titre, considéré comme un ouvrier politique. A rencontré Hitler à Bayreuth et a transmis un message entre Franco et Hitler. Il fut le président du parti nazi au Maroc et son homme politique le plus âgé. Les Espagnols pensaient qu’il était un agent allemand mais il n’en était plus un. Les Américains insistèrent pour qu’il soit expulsé. (a, b) 77. Paschkes, Ewald Christian. Né le 13 février 1912 à Port-Saïd, Égypte. Mort le 28 juillet 1968 à Caracas, Venezuela, où il s’était marié en 1946. Il figurait sur les listes britanniques comme un saboteur. Parti de son plein gré après avoir été prévenu par les Espagnols que les Américains s’intéressaient à lui. (a, b, e, i) 78. Recke, Johann, alias Juan Recke. Contre-amiral honoraire. Était en Espagne mais apparaît sur les listes britanniques et sur les listes espagnoles des expulsés le 29 avril 1944. Fut de retour à Tétouan après le 2 avril 1944. (i) 79. Schaeffer, G. Employé consulaire allemand à Tétouan. Était considéré par les Américains comme un espion mais pas par les Espagnols. Selon les États-Unis, il n’y a aucune preuve de son départ du Maroc. (a, b, i) 80. Schulze, Wilhelm. Actif à Tanger et Tétouan, finalement expulsé du Maroc à la demande des Américains. (b, i) 81. Wagger, Capitaine. (i) 82. Zobel, Gerhard. Expulsé de Tétouan en juin 1944. (a, b, i) 83. Ante, Victor. Partit pour Irun le 12 mars 1944. Était encore à Madrid le 12 juin 1944. (i) 84. Arevelo. Membre pro-Alliés du secrétariat diplomatique du Haut-Commissaire. (d) 85. Bermudez de Castro. Membre pro-Alliés du secrétariat diplomatique du Haut-Commissaire. (d) 86. Blass, Ludwig. Quitta Irun le 22 janvier 1944, mais était encore en Espagne en juin 1944. (i) 87. Bohny, Hermann. En décembre 1944, les États-Unis déclarent qu’il est impossible de comprendre la réticence de l’Espagne à l’expulser, d’autant qu’ils le considéraient comme un agent très important en Amérique du Sud qui voyageait en Espagne et dans l’Afrique du Nord espagnole. Le Royaume-Uni s’opposa à sa présence. Les Britanniques voulaient l’arrêter et l’interner à Caldas de Malavella puis le déporter en Allemagne. Le 11 août 1944, les Espagnols déclarent qu’ils ne peuvent retrouver sa trace. Il serait parti pour l’Amérique du Sud où il avait des relations. (3) 88. Buge, Hans, alias Bugge. Probablement Norvégien à la solde des Allemands. Voyageait énormément, se trouvait à Madrid en juin 1944. (g, i) 89. Butterwork, W. Walton. Employé consulaire de l’ambassade américaine à Madrid, en contact avec les Américains à Tanger. (i) 90. Carendini, Emilio. Dirigeant des fascistes italiens locaux. Envoya une circulaire pour le soutien de la colonie italienne devant apparaître pour un rite religieux le 28 octobre 1944 à Barcelone. Sur 2 500 personnes, seules 34 répondirent à l’appel. Le gouverneur civil était représenté. Les États-Unis voulaient que l’autorisation de rouvrir les écoles italiennes soit annulée. Carendini menaça Cesare Pavesio, un des directeurs de la Fibra Comercial de España qui travaillait pour Snia Viscosa, et dont la fille était encore en Italie du Nord. (h) 91. Christmann, Wilhelm. (1907-1981). Épousa Erna Hoffmann en 1934 puis Elsa Rummler en 1949. Était le protégé du général Orgaz, qui déclara tout d’abord qu’il n’avait pas connaissance de l’ordre d’expulsion, puis qu’il ne connaissait pas Christmann. Les Espagnols dirent ne pas connaître son adresse et qu’il n’était pas un espion. (a, e) 92. Deppe, Frederic Rudolf. Les Espagnols indiquèrent qu’il partit en 1942. Les Américains désiraient son expulsion, son départ en 1942 fut avéré en 1944. (a, b) 93. Doorman, Heinz. Partit par Irun le 2 novembre 1943. (i) 94. Duval, Jean. Entra en Espagne le 23 mars 1944. Vola une automobile à San Sebastian et attendait de passer en jugement quand les Espagnols le libérèrent pour l’expulser. (h) 95. Fischer, Karl, alias Kurt Fischer. Agent de la Gestapo. Faisait partie des cent fonctionnaires internés à Miranda de Ebro. 96. Fizia, Kurt Karl Maria. Agit en tant qu’espion à partir de mai 1944, les Américains voulaient l’expulser en juin 1944. Aurait été architecte et aurait enseigné à l’Universidad de Navarra. (b, i) 97. Fock-Bielemberg, Gustav. Général. Son nom figure en tant que Vielemberg. Apparaît dans les listes espagnoles comme Gustav Fock. (i) 98. Fromm, Hans Peter. Résidait à Valence, fut arrêté et interné à Caldas de Malavella. (b, i) 99. Fuchs, Alfred. Entra en Espagne le 13 août 1944 avec un visa commercial. L’Espagne ne renouvela pas son permis de résidence. (h) 100. Fuegemann, Joachim. Probablement de Glauchau. Expulsé du Maroc après juin 1944. (b, i) 101. Galera, général. Espagnol germanophile. Fonctionnaire au bureau des Affaires de la nature. (a) 102. Groblen, Hermann. Se trouve à Madrid en juin 1944. (i) 103. Gross, Richard. Se trouve à Spaen en juin 1944. (i) 104. Haak, Artur. Partit pour Séville en septembre 1943. Aurait ouvert un restaurant de poissons à Meiningen après la guerre. (i) 105. Hefter, Charlotte. En Afrique du Nord en juin 1944, expulsée du Maroc. (b, g, i) 106. Hirsch, Robert. Répertorié en tant qu’espion allemand encore en activité en mai 1944. Apparaît en Espagne en juin 1944. (i) 107. Hoare, sir Samuel. Ambassadeur britannique en Espagne. 108. Hummel, Friedrich. Était à Madrid en juin 1944. Partit pour Prat en août 1944. (i) 109. Inglese, Estefano. Agent allemand, partit pour Irun en mars 1944. (i) 110. Kirch, Karl, alias Carlos Kirch. Espion en activité sous les ordres de Willi Pietsch à Port-Bou et ailleurs. (c) 111. Koronaz, Philippe Alfredo, alias Philippe Paul Koronaz. Les Américains disent qu’ils ne savent pas pourquoi il figure sur la liste ni où il se trouve actuellement. Peut-être un agent double. (2) 112. Kroell, Heinz. Né à Cologne en 1919. A obtenu un doctorat en portugais de l’université de Heidelberg. Enseigna ensuite à la Johannes Gutenberg Universitat. Ses connaissances en portugais étaient très appréciables dans la péninsule Ibérique. (i) 113. Krueger, Otto. Figure sur les listes britanniques en tant qu’espion. Les listes espagnoles indiquent qu’il fut expulsé le 20 avril 1944. Apparaît sur les listes américaines en juin 1944. (i) 114. Laen, Johannes Michael von. Né en 1902 à Dessau. Noble, de la famille du tsar, épousa la princesse Maria August von Anhalt. Les Américains orthographient son nom Loen. Il était encore en activité en mai 1944. Il partit la première quinzaine de juillet 1944. (g, i) 115. Lenz, Gustav. Nom d’emprunt du capitaine Wilhelm Leissner, chef de l’Abwehr à Madrid et responsable des agents militaires allemands dans l’ensemble de la zone espagnole. Officiellement, était un homme d’affaires. Était encore à Madrid en juin 1944. Participa à la planification de la conquête de Gibraltar. Leissner était le représentant de Canaris en Espagne. A vécu en Amérique du Sud et resta en Espagne en 194579. (i) 116. Martens, Adolf. Partit la première quinzaine de juillet 1944. (g, i) 117. Meinkel, Hans (Georg). Espion sous les ordres de Willi Pietsch, actif à Port-Bou et ailleurs. (c) 118. Memel, Karl. Probablement avocat. Était à Séville bien qu’en juin 1944, il soit indiqué qu’il partit pour Irun. (i) 119. Mentz, Walter. Partit pour Irun en décembre 1943. (i) 120. Merode, Rudolf von. Entra en Espagne le 13 août 1944 à San Sebastian. Se vit demander de partir le plus rapidement possible. Il était considéré comme le bourreau hitlérien des nazis à Barcelone. Il aurait espionné les Allemands en zone espagnole. (h) 121. Miguel, Col. Germanophile. Fonctionnaire au bureau des Affaires de la nature. (a) 122. Morreale, Eugenio. Fut autorisé à revenir en Espagne malgré l’objection de l’ambassade américaine le 21 août 1944. Les États-Unis voulaient qu’il soit expulsé à nouveau. Il s’est rendu à Barcelone le 11 février 1944, où il fut reçu par le gouverneur civil. Le 4 novembre, il prit la parole devant un meeting de supporters fascistes au Circulo recreativo e culturale latino. Il voulait que l’école fasciste italienne rouvre ses portes le 3 août 1944. Il se fit de nombreux amis dans les milieux militaires espagnols. Cela permit la protection des intérêts allemands par les militaires espagnols. (h) 123. Ohlerof. Le 20 mai 1944, figure sur la liste des agents en activité. (i) 124. Opitz, Erich, alias Eurich Opitz. Scientifique et ami d’Ulrich Luft. Probablement autrichien. Observait le trafic maritime britannique à Campo de Gibraltar San Roque. (i) 125. Ortiz, Rafael. Figure sur les listes américaines des agents à la solde de l’Allemagne. 126. Pappenheim, Graf Georg. Vice-consul allemand à Madrid, partit pour l’Allemagne par avion. (i) 127. Panesio, Cesare. Directeur de Fibra Commercial de España, entreprise de Barcelone. Distributeur de « Snia Viacosa », connu pour être un agent fasciste de l’Allemagne. Il a fait l’objet de chantage car sa fille était encore dans le nord de l’Italie. Carendini lui demanda 2 000 pesetas, il refusa et fut démis de ses fonctions de directeur de la société. (h) 128. Ramos Podadera, Pedro. Puni pour des actes de sabotage à Gibraltar. (h) 129. Redl, Karl von. Partit pour Algésiras après un deuxième séjour en Espagne. (i) 130. Rothfritz, Ernst. Partit pour Irun en 1943, était de nouveau à Madrid en juin 1944, mais n’y était plus en juillet. (i) 131. Senner, Paul. Nom d’emprunt de Paul Holzach. Il figure sur la liste des espions établie par les Américains le 12 juin 1944 mais trois jours plus tard, on ne sait ce qu’il est devenu. Les États-Unis ont déclaré n’avoir aucune preuve de son départ du Maroc. L’Espagne ne sait pas ce qu’il est devenu. (h, i) 132. Sonnenhol, Adolf, alias Gustav Sonnenhol. Était au ministère des Affaires étrangères, occupait le poste de vice-consul allemand à Tétouan. Fut ensuite prisonnier de guerre puis journaliste. Enfin, il travailla pour le plan Marshall en Allemagne. Il fut membre des SS. (i) 133. Thaden, Fritz von, alias Fritz Haden. Partit en juillet 1944. (g, i) 134. Thiel, Heinz. Né en 1920 à Magdenberg, mort en 2003 à Potsdam. Était en Espagne en juin 1944. (i) 135. Vey Bauer, Georg. Fut à Vigo puis à Madrid en juin 1944. (i) 136. Wach, Erich. Était peut-être autrichien. Était à Séville en juin 1944. (i) 137. Zieldorf, Fraulein. Agent allemand dont le départ est confirmé le 13 juin 1944. (e) Elle n’a jamais été répertoriée par le Royaume-Uni comme espionne. 138. Adrian, Herman. Expulsé du Maroc pour espionnage à la solde des Allemands. (b, i) 139. Alisch, Ernst. Chef de l’espionnage allemand à Paris. Entra en Espagne sans encombre par un vol de la Lufthansa. Le Royaume-Uni voulait qu’il soit arrêté, interné et déporté. Le 11 août 1944, sa présence en Espagne ne put être confirmée. Les États-Unis attendirent la réponse des Espagnols concernant son expulsion. (c) 140. Altenkamper, Gabriel. Travailla comme espion jusqu’en mai 1944. Il partit en juillet 1944. (b, g, i) 141. Bresht, Werner. Employé consulaire que les Espagnols ne considéraient pas comme un espion. Il fut cependant expulsé suite à la pression des Alliés. (a, b) 142. Leder, Adolf. Les Alliés le signalent en juin 1944 mais les Espagnols disent ne rien savoir de lui. Selon les États-Unis, il n’y a aucune preuve qu’il ait quitté le Maroc. Il est possible qu’il soit mort en janvier 1944 à 33 ans. (b) 143. Maly, Ladislav. Peut-être un Tchèque. (i) 144. Samcowich, Philip. 145. Abrines, Gregory. Employé à la légation américaine à Tanger. A été accusé d’avoir soudoyé des douaniers espagnols80. 146. Arnold, Karl. Dirigea une succursale du Gruppe VID en Espagne. Il fit circuler des fausses livres réalisées par Wendig pour Kaltenbrunner. A vécu en Amérique du Sud puis est retourné en Allemagne. A été formé par le Dr Paeffgen. Supervisa les boîtes postales pour les messagers de l’Amt VI. Il a obtenu de bons rapports de l’Argentine et du Brésil. Il dirigeait Becker et Stolle. Arnold était un Volksdeutsche d’Argentine qui avait fait son service militaire81. Il avait un espion à l’ambassade américaine à Madrid, une secrétaire âgée. Arnold avait 38 ans et officiellement, était un exportateur82. 147. Bentley, William C. Colonel. Attaché militaire, légation américaine à Tanger. Nommé le 5 mars 1941. Officier de l’armée de l’air, avait été auparavant en poste à Rome83. 148. Bernadoni, Bernard. Capitaine. Légation américaine à Tanger84. 149. Big Moh. Geôlier possédant les clés des cellules. Dévoila l’arrestation d’un informateur, le capitaine Carranza. 150. Booth, Wally. Succéda à Eddy à la tête de la légation américaine à Tanger. Découvrit que la femme de ménage espagnole travaillant à la légation espionnait pour le compte des Allemands. 151. Browne, Gordon. Travaillait avec Coon au contre-espionnage à Tanger. Fut ultérieurement envoyé à Gibraltar par le colonel Eddy quand Tanger ne fut plus qu’un poste d’écoute85. 152. Carlos. Un rouge espagnol qui dit avoir travaillé avec le colonel Eddy pour les Américains. A dit que son groupe avait été arrêté, probablement fusillé. Il lui fallait une cachette. Williamson l’a caché au domicile de Mme Betty Thomas à Tanger. Au bout de quinze jours, Thomas demanda qu’il parte. Trois policiers espagnols sont entrés dans sa cour. Carlos avait été prévenu et s’est enfui par-derrière. Les Espagnols se sont mis à sa poursuite. Un Arabe donna de fausses indications à la police et Carlos se cacha dans un garage britannique. Coon l’emmena dans la villa du colonel Eddy, puis au domicile de Coe Greene et enfin chez Howre Grady, propriétaire du restaurant et du bar Le Sphinx. Carlos était un gaulliste. Il semble qu’il fut aidé également par Ishaq Cohen86. 153. Carranza. Capitaine et informateur espagnol pour les Américains à Tanger. 154. Carvajal. Colonel, administrateur espagnol à Tanger, était considéré comme antiaméricain87. 155. Centeno, Manuel. Officier espagnol à la solde des Allemands, nom de code Antonio. Recevait 3 000 pesetas par mois plus 5 000 pesetas pour frais. Il apporta la radio donnée par Hans Seydel. L’opérateur radio était le fils d’un inspecteur de police espagnol88. 156. Cohen, Ishaq. Chauffeur du colonel Eddy. Ravitaillait Stork à la villa de M. Sinclair. Y dormait un jour sur trois, se partageant les factions avec Coon et Browne. Amenait des repas à Stork89. 157. Clarke, Brian. Colonel, Royaume-Uni90. 158. Coon, Carleton S. Messager américain à Gibraltar et Tanger. Il occupait un poste à la légation américaine à Tanger, poste qu’il utilisait pour faire de la contrebande d’armes. Son supérieur était le colonel Johnson. 159. Cryan, Joseph. Sergent. Nom de code Stork. Responsable de la radio clandestine, nom de code Midway, à Tanger sur le toit de la légation américaine. Était aidé d’Ishaq Cohen91. 160. Eddy, William. Colonel. (1896-1962) Attaché naval à la légation américaine à Tanger. Le 26 janvier 1942, dirigeait le renseignement américain pour les Marines. Fut ensuite transféré aux quartiers généraux de l’OSS à Alger. Né au Proche-Orient, il parlait couramment l’arabe et le français. Il boitait, suite à une blessure de la Première Guerre mondiale. Cadre dans la publicité avant la guerre, il fut ensuite le président du Hobart College et du William Smith College92. Eddy était surveillé par les Espagnols qui craignaient que son départ n’indique le débarquement allié. C’est la raison pour laquelle Eddy conserva une chambre à la Minza, même après son départ93. 161. Edwards, John W. Major. Légation américaine à Tanger94. 162. F-3197. Agent allemand en Espagne donnant des renseignements sur l’industrie portugaise. Il était pour les Anglais. Il pensait que le Royaume-Uni et les États-Unis allaient occuper le Portugal95. 163. Gusus, Randolph Mohammed. Né à Manchester, de père marocain et de mère anglaise. Avait été élevé à Fez. Il alla aux ÉtatsUnis pour vendre du cuir marocain à Boston. C’est là qu’il rencontra Coon et Browne. Il travaillait pour le SIS britannique et fut « prêté » aux États-Unis. Il habitait dans une villa de fonction américaine à Tanger, avec un garde. Officiellement, il était traducteur pour la légation américaine. De fait, il était le contact de Tassels, qu’il rencontrait tous les mois au café Tingis96. 164. Hayes, Carlton Joseph Huntly (1882-1964). Professeur d’histoire, université de Columbia. Ambassadeur en Espagne 19421945. 165. de Hervas, Pepe. Ingénieur espagnol et gendre de Dempster. Employé britannique de la légation américaine à Tanger97. 166. Hillgarth, Alan. Capitaine. Attaché naval britannique à Madrid. 167. Holcombe, Frank. Lieutenant. Assistant de l’attaché naval, il fit passer un pilote côtier marocain de la zone française à la zone espagnole, puis de là à Tanger et de Tanger à Gibraltar pour préparer les troupes américaines du débarquement en Afrique du Nord. Il s’est battu avec le consul italien, le duc de Bodaglio98. 168. Holzach, Paul. Officier du renseignement militaire suisse, recruté par l’officier SS Hans Eggen99 avec qui il s’associa en affaires pour créer Interkommerz AG100. 169. Idris. Assistant arabe de « Strings ». 170. Johnson. Colonel. Remplaça en juin 1942 Bentley en tant qu’attaché militaire à la légation américaine de Tanger101. 171. Malmusi, juge. Dirigeant local des fascistes italiens à TangerTétouan. 172. Martin, William. « Major ». Officier imaginaire inventé par les Britanniques pour tromper les Allemands. Cadavre placé par les Britanniques sur la côte espagnole avec une valise pleine de faux documents. Le cadavre fit surface près de Huelva. L’Espagne remit les documents à l’Allemagne. Les faux dossiers top secret indiquèrent aux renseignements espagnols et allemands que les Alliés avaient l’intention d’envahir la Grèce102. Les Allemands crurent à l’authenticité de ces documents103. 173. Martinez Campos, Carlos. Général. Chef de l’intelligence espagnole. 174. Mayer, Frau. Agent allemand à Tanger ayant une vue très nette du détroit de Gibraltar. Avait un émetteur radio caché sous des pots de fleurs dans une valise noire. La radio avait été placée par Hans Seydel, consul allemand à Tétouan. 175. M. Fish. Commerçant musulman âgé. Fut payé 50 USD par le colonel Johnson pour se rendre à Ceuta. Il fut ensuite payé 1 000 F par mois. 176. Mulay Ali. Ouvrier du cuir de la tribu des Taghzuth. Brûlait constamment sa couverture mais prouva qu’il n’y avait pas d’aéroport à Tamanrat. Fut relâché. Sa couverture était de fabriquer des portefeuilles en cuir pour les Britanniques. Il voyageait pour acheter les peaux104. 177. Nahon, Dr Ralph A. Archéologue. Médecin américain dont les parents étaient nés à Tanger. Étudia à l’université de Columbia, était ami de Carleton Coon et de Hooker Doolittle. Il étudiait les mouvements des sous-marins allemands sous le couvert de fouilles archéologiques. 178. Nasiri, Mekki. Nationaliste marocain à la solde des Allemands à Tétouan. 179. Néandertal. Pêcheur qui vivait dans les grottes d’Hercule et vendait des poulets à Tanger. Indiquait aux Espagnols les mouvements de troupes entre Sidi Kasseus et Cap Spartil. Il indiqua que les Espagnols avaient deux mitrailleuses AA montées sur des camions. Il amenait du poisson à Tanger qu’il livrait, ainsi que les renseignements, à la légation américaine. Les Américains lui payèrent ses impôts fonciers et lui donnèrent une nouvelle djellaba. Il indiqua ensuite les mouvements des sous-marins allemands en Méditerranée105. 180. Reed. Nom de code d’un Arabe sélectionné par le mufti de Jérusalem pour travailler pour l’Amt VI en septembre 1943 sous couverture diplomatique. Reed rencontra Torres pour se renseigner sur les prétendus missiles américains en Afrique du Nord. Torres lui indiqua que ce n’était pas vrai. Reed utilisait un passeport de service allemand. Schellenberg a oublié son véritable nom106. 181. Renner, Hans. Colonel. Attaché militaire allemand à Tanger. Son supérieur était le lieutenant général Günther Krappe, l’attaché militaire allemand à Madrid. Il fut capturé en Allemagne après la guerre107. 182. Richter, Abdullah. Allemand converti à l’islam, vivait à Alcazaquivir et possédait un moulin. Il avait une école pour les espions allemands. Il a miné le pont el-Kasr. 183. Rohrscheidt, Kurt von. Espion allemand basé à Madrid, en Espagne. (i) 184. Shaoush, Mohamed. Payé par les États-Unis et le RoyaumeUni pour distribuer de la propagande pro-Alliés. Payé par les Allemands pour recueillir la propagande et la détruire108. 185. Shillock, John C. Membre du personnel, Légation américaine à Tanger109. 186. Smith, Walter. Attaché au pétrole, ambassade américaine, Madrid. 187. Strings. Nom de code pour un puissant dirigeant religieux marocain110. 188. Sourenhol. Responsable de la propagande allemande à Tanger. Alias Sonnenhal (?)111. 189. Tassels. Nom de code d’un espion marocain à la solde des États-Unis. Était chargé des armes pour Abdel Krim112. 190. Torres, Abdel Khalek. Dirigeant nationaliste arabe contacté par « Reed », l’espion germano-arabe, à la demande du mufti de Jérusalem pour espionner les armées alliées en Afrique du Nord. Était à la solde de l’Allemagne113. 191. Williamson, David. Dirigea le SI, fut contacté par Carlos. 192. Winterbottom, Mme. Originaire de Boston, vivait à Tanger. Recueillait des denrées pour les 53 parachutistes internés à Taounia, à l’extérieur de Melilla, après être arrivés à Imerzoren114. 193. Winzer, Paul. Attaché de police à l’ambassade allemande à Madrid. Il était responsable de 25-30 hommes. 194. Luyzet. Capitaine. Représentant français à Tanger en juin 1939. Il avait besoin de fonds pour payer les informateurs, notamment les Marocains qui fréquentaient le GCGT115. 195. Bombshell. Opérateur de radio britannique, émetteur, qui avait toute la confiance d’Eddy et de Coon, nom de code Yankee. 196. Le Moine, Mme. Apporta sa contribution aux efforts de la France libre116. 11 Un havre maghrébin : réfugiés juifs à Tanger durant la Seconde Guerre mondiale par Isabelle ROHR L’histoire des réfugiés juifs à Tanger pendant la Seconde Guerre mondiale a été mentionnée rapidement dans quelques articles et ouvrages mais n’a jamais été sérieusement étudiée ou décrite. Cette négligence est due en grande partie au fait que les documents sur ce sujet sont rares et se trouvent disséminés dans des archives aux États-Unis, en Espagne et en Israël1. Cet article se propose de combler cette lacune. Il porte sur trois aspects de l’histoire des réfugiés juifs à Tanger durant cette période. La première partie examine l’attitude des autorités tangéroises envers les réfugiés. La deuxième partie traite des relations entre les réfugiés et la communauté juive. Enfin, la dernière partie porte sur le travail des organisations de secours juives à Tanger et sur les défis qu’elles durent relever. À la recherche d’un havre Il faut appréhender la situation des réfugiés juifs à Tanger dans le cadre de la question plus générale des réfugiés juifs pendant l’entre-deux-guerres et pendant la Seconde Guerre mondiale, situation créée par les politiques antisémites de l’Allemagne nazie. La campagne antisémite débuta dès avril 1933 avec un boycott antisémite généralisé. Le 7 avril, les nazis promulguent la loi pour la Reconstruction du service civil professionnel, excluant les « non-Aryens » des organismes gouvernementaux. Des ordonnances similaires furent appliquées pour les exclure des institutions pédagogiques, culturelles et artistiques2. Ces mesures marquèrent le début des mesures nazies prises pour écarter les Juifs de l’économie allemande. Elles eurent pour effet immédiat le départ à l’étranger de milliers de Juifs à la recherche d’un havre. Environ 50 000 Juifs allemands émigrèrent entre 1933 et 19343. La persécution des Juifs allait croissant et fut marquée en 1938 par le pogrome de la Kristallnacht, les 9 et 10 novembre. Il toucha également l’Autriche, nouvellement incorporée, et eut pour effet une émigration juive accrue de ces deux pays. On pense que de 120 000 à 140 000 Juifs quittèrent le Reich en 19384. En outre, les politiques antisémites de l’Allemagne nazie commençaient à être appliquées dans toute l’Europe. En Italie, le régime de Mussolini adopta le 2 septembre 1938 une loi révoquant la nationalité italienne accordée aux Juifs après 1919. Le Duce ordonna également à tous les Juifs étrangers de quitter le pays dans les six mois5. En Europe de l’Est, les gouvernements polonais, hongrois et roumain renforcèrent également leur discrimination envers leurs citoyens juifs, les poussant eux aussi à immigrer. Face à cette masse de réfugiés juifs, la plupart des pays européens intensifièrent leurs restrictions en matière d’admission et de liberté de mouvement des étrangers, laissant les organisations juives et les agences internationales telles que la Haute Commission aux réfugiés de la Ligue des Nations totalement impuissantes6. Sur les milliers de Juifs expulsés d’Europe et que la plupart des pays ne voulaient pas, 1 500 se rendirent à Tanger. La population réfugiée comptait à parts égales, ashkénazes et séfarades. Les ashkénazes, principalement originaires de Hongrie et de Pologne, vinrent via la France, le Portugal, l’Italie et l’Espagne tandis que la majorité des séfarades arrivèrent d’Italie, de l’île du Dodécanèse, Rhodes, sous domination italienne depuis 1912. Suite au décret antisémite du régime de Mussolini en septembre 1938, des milliers de réfugiés juifs de Rhodes, Trieste et Milan vinrent à Tanger en plusieurs vagues au cours de l’année 1939. La plupart d’entre eux étaient d’origine turque. Ils étaient maintenant apatrides, après avoir perdu leur nationalité italienne7. Un certain nombre de Hongrois et de Polonais, ayant entendu que Tanger accueillait les réfugiés juifs, quittèrent également l’Italie par la mer après la mise en application du décret8. La lettre du réfugié juif, Jakub Reiner, à Ignacy Schwarzbart, représentant des Juifs polonais au Conseil national polonais de Londres, en mars 1943, décrit parfaitement ce qui motivait les Juifs dans leur départ pour Tanger : « En 1940, je suis arrivé à Tanger en tant que réfugié de guerre, sur le navire Conte Grande venant d’Italie… À cette époque, Tanger était une ville cosmopolite, où la vie était tranquille, peu onéreuse, et où les réfugiés pouvaient vivre correctement9. » Un certain nombre d’observateurs étaient d’avis que Tanger pouvait devenir un sanctuaire temporaire pour les réfugiés juifs fuyant les persécutions nazies et fascistes10. Lord Duncannon, représentant du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, écrivit au Foreign Office en mars 1939 pour demander si Tanger pouvait devenir une destination importante pour les réfugiés juifs, à l’image de Shanghai11. Augusto D’Esaguy, le président du Comité portugais d’aide aux réfugiés, qui s’était rendu à Tanger en août 1939, nota que la ville était un point de transit parfait pour les Juifs allemands et autrichiens en attente d’un visa américain. Il était convaincu que Tanger pourrait devenir un « entrepôt pour réfugiés » et que la ville pouvait accueillir 2 000 Juifs persécutés supplémentaires12. L’attitude des autorités tangéroises envers les réfugiés juifs D’Esaguy était quelque peu optimiste. L’administration internationale de la zone de Tanger n’envisageait pas de devenir un havre de paix pour les Juifs expulsés. En 1936, l’article 4 de la réglementation de la police pour les étrangers est amendé pour éviter que des personnes expulsées d’autres zones du Maroc et d’autres pays ne pénètrent à Tanger. Au début, l’amendement n’est pas appliqué à la lettre mais en avril 1939, l’afflux de réfugiés juifs fait que la Commission de contrôle de Tanger envisage de le faire13. En juillet 1939, vu le nombre des nouveaux arrivants, les autorités tangéroises limitent l’entrée des réfugiés juifs. Les Juifs dont le passeport était frappé de la lettre « J » devaient obtenir une permission spéciale de la Commission de contrôle ou un visa du consulat de France, qui les délivrait au compte-gouttes. Il fallait également qu’ils prouvent être en possession de 5 000 Frs à leur arrivée. Cependant, il n’y avait aucune restriction pour ceux dont la religion n’était pas mentionnée sur le passeport14. Cette réglementation visait tout particulièrement les Juifs allemands et autrichiens dont les passeports portaient la marque discriminatoire. Les restrictions concernant l’entrée des Juifs se firent plus sévères avec le début de la Seconde Guerre mondiale. En avril 1940, les réfugiés allemands et autrichiens n’eurent plus le droit de venir à Tanger, tandis que ceux de Pologne et de Tchécoslovaquie devaient, eux, non seulement posséder 5 000 Frs mais aussi un certificat de logement délivré par un résident de Tanger15. Malgré les restrictions, 112 réfugiés polonais arrivèrent par l’Italie le 24 mai 1940. Peu après, l’Assemblée législative de Tanger adopta une loi interdisant l’admission des réfugiés, ceux dont les pays avaient signé le Statut de Tanger exceptés16. Les réfugiés qui rentraient à Tanger clandestinement étaient passibles d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à un mois. De plus, ils seraient expulsés de Tanger après avoir purgé leur peine17. Tandis que le libellé de la loi avait été quelque peu modifié pour ne pas souligner l’exclusion des Juifs en tant que tels, les consuls français et britannique ainsi que l’Administrateur de Tanger établirent cette nouvelle législation, persuadés que les réfugiés juifs pourraient appartenir à la cinquième colonne. Ils craignaient également que l’acceptation d’un grand nombre de Juifs ne mène à une escalade des sentiments antisémites de la part des musulmans18. Ces restrictions, cependant, ne furent pas respectées à la lettre et les registres du Comité d’aide aux réfugiés de Tanger indiquent qu’au moins vingt familles arrivèrent en ville après mai 194019. Le 14 juin 1940 se déroula un événement pouvant potentiellement affecter les réfugiés : les forces espagnoles marchèrent sur Tanger sous prétexte que l’occupation espagnole garantirait la neutralité de cette zone. En fait, l’Espagne, qui espérait depuis longtemps jouer un rôle d’envergure à Tanger, s’occupa de dissoudre rapidement la commission internationale qui administrait cette zone et incorpora Tanger au protectorat espagnol20. À partir de là, les portes de Tanger restèrent officiellement closes ; à l’exception des citoyens américains et des sujets britanniques, personne ne devait entrer en ville à moins d’avoir une autorisation spéciale du ministère des Affaires étrangères à Madrid21. En mars 1944, le représentant américain à Tanger nota « les autorités d’occupation espagnoles à Tanger n’encouragent ni ne coopèrent en aucune façon pour autoriser l’entrée des réfugiés ou venir en aide à ceux qui s’y trouvent ». Luis Orgaz, le HautCommissaire espagnol au Maroc, s’opposa à l’immigration juive au Maroc, craignant que cela ne déclenche l’opposition de la population musulmane22. Plus généralement, les politiques espagnoles à Tanger s’alignaient sur le refus du gouvernement espagnol de permettre aux réfugiés juifs de s’installer en Espagne, arguant du fait qu’avec les bolchéviques et les francs-maçons, ils avaient fomenté la guerre civile espagnole et étaient les ennemis de l’Espagne de Franco23. Un certain nombre de réfugiés virent leur condition se détériorer après l’occupation espagnole de Tanger. Parmi eux, Jakub Reiner, qui nota dans sa lettre à Ignacy Schwarzbart : « Lorsque les autorités espagnoles reprirent l’administration à Tanger, la situation changea du tout au tout. La vie devint beaucoup plus difficile24. » L’accroissement de l’influence allemande dans la zone de Tanger reflétait les tendances pro-Axe du régime de Franco25. En mars 1941, l’Allemagne fut autorisée à établir un consulat dans le palais du Mendoub. Celui-ci devint la base du renseignement du Troisième Reich en Afrique du Nord. En mai 1941, les autorités espagnoles demandèrent à tous les citoyens des pays occupés par l’Allemagne d’obtenir des permis avant leur départ éventuel de Tanger26. En août 1942, un groupe de réfugiés écrivit au Joint Distribution Committee à New York pour se plaindre de l’influence allemande croissante sur les Espagnols. Ils disaient avoir été harcelés par la police espagnole qui leur demandait quand ils avaient l’intention de quitter Tanger. Étant donné que la majorité des réfugiés n’avaient pas de visa pour une autre destination, ils répondirent qu’ils quitteraient Tanger à la fin de la guerre. La police espagnole leur indiqua que s’ils ne quittaient pas Tanger dans les quatre mois, ils auraient « le gîte et le couvert gratuitement dans un tout nouveau camp de concentration27 ». Ignacy Schwarzbart avertit le gouvernement polonais en exil que les réfugiés polonais juifs à Tanger pourraient bien « finir comme les Juifs de France », « être remis à Hitler après consultation avec l’ambassade d’Allemagne28 ». Bien que les autorités espagnoles ne missent pas leurs menaces à exécution, un certain nombre de réfugiés apatrides furent expulsés car soupçonnés d’être des agents alliés29. Malgré les sympathies espagnoles pour l’Axe, un certain nombre de réfugiés juifs à Tanger réussirent à développer de bonnes relations avec les autorités espagnoles. Parmi eux, la famille Reichmann. Ces Juifs orthodoxes hongrois furent exceptionnellement autorisés à s’installer à Tanger après l’occupation espagnole. D’après le biographe de la famille, Anthony Bianco, les Reichmann obtinrent certainement l’autorisation du ministère des Affaires étrangères espagnol d’entrer à Tanger grâce à l’intervention de Jacob Salama, riche marchand juif de Melilla, proche de l’administration espagnole30. La matriarche de la famille, Renée Reichmann, utilisa ses connexions avec les hauts fonctionnaires espagnols pour envoyer des colis de nourriture, sous les auspices de la Croix-Rouge espagnole, aux internés d’Auschwitz et d’autres camps de concentration31. Les activités de René Reichmann ne s’arrêtaient pas là. Durant l’été 1944, elle initia une requête présentée aux autorités espagnoles pour permettre l’entrée de 500 enfants hongrois et de 70 adultes qui les accompagneraient. Le régime de Franco, qui désirait alors améliorer son image envers les puissances alliées, accepta la requête à condition qu’un nombre équivalent de réfugiés juifs quitte Tanger. En fin de compte, ce plan n’aboutit pas car les Allemands avaient refusé d’octroyer aux enfants des visas de transit. Ils restèrent en Hongrie sous la protection de la Légation espagnole à Budapest32. Les relations entre la communauté juive de Tanger et les réfugiés Pendant ce temps, la communauté juive de Tanger, qui comptait 8 000 personnes – soit environ 10 % de la population totale de la zone – eut des difficultés à intégrer les nouveaux venus arrivés entre 1938 et 1940. Bien que la communauté comptât quelques familles riches, elle était en grande majorité pauvre, composée de petits artisans, de commerçants et d’agents de change, aidés par le Comité d’entraide de la communauté. Leur situation devint encore plus précaire avec l’incorporation de Tanger au protectorat espagnol. En effet, les petites entreprises devaient maintenant payer des impôts importants et les autorités refusaient très souvent de nouveaux permis33. La déclaration de guerre eut elle aussi un impact économique important, notamment une hausse des frais de transport et des fluctuations du taux de change des diverses devises, tout cela donnant naissance à une inflation rampante. Durant les six premiers mois de 1941, le coût de la vie augmenta de 40 %. La population de Tanger manquait de certaines denrées, ce qui entraîna le rationnement du sucre, des légumes, de l’essence et la naissance d’un marché noir. La source de revenus du Conseil de la communauté juive, une taxe sur la viande casher, était maintenant considérablement réduite, et la communauté avait de plus en plus de difficulté à aider les Juifs locaux démunis, sans parler des nouveaux venus34. Suite à cela, en mars 1939, les notables locaux avertirent l’organisation d’émigration juive, la HICEM, que les réfugiés n’avaient pas d’avenir à Tanger et suggérèrent de les évacuer vers des zones plus hospitalières, telles que l’Amérique latine35. Un an plus tard, en mars 1940, la communauté refusa d’intercéder au nom des réfugiés polonais désireux d’entrer à Tanger, arguant que le nombre de réfugiés dans la zone était déjà trop élevé36. La communauté juive de Tanger craignait également que l’arrivée d’immigrants juifs ne bouleverse le délicat équilibre des forces existant entre les différents groupes religieux et nationaux. En août 1939, la communauté demanda à l’organisation d’émigration juive, la HICEM, de reporter l’immigration des réfugiés en avançant le fait qu’un grand nombre de Juifs pourraient éveiller l’antisémitisme37. Le représentant de la HICEM au Portugal, Augusto D’Esaguy, nota que « les riches Juifs [de Tanger] constituaient l’obstacle principal à l’installation des réfugiés juifs d’Autriche et d’Allemagne. Ils craignaient que les idées politiques des réfugiés ne donnent naissance à une vague d’antisémitisme38 ». Ces craintes n’étaient pas totalement sans fondement : les nazis avaient fondé à Tanger une Ligue antisémite et, avec les légations italienne et espagnole, la Gestapo diffusait de la propagande antisémite à la population musulmane. Des tracts imprimés en arabe accusaient les Juifs de vouloir dominer le monde et dépeignaient les Allemands comme un modèle que les Marocains musulmans devaient imiter. Les Juifs natifs de Tanger craignaient que l’arrivée de réfugiés juifs démunis n’alimente cet antisémitisme latent39. Les relations entre les Juifs indigènes et les réfugiés restèrent, tout au long de la guerre, assez distantes. Fritz Lichtenstein, qui visita Tanger en tant que représentant de l’Agence juive en mai 1944, observa qu’il n’y avait aucun contact social entre les nouveaux venus et la communauté juive établie, les intérêts des deux parties différant totalement40. La tiédeur des relations qui régnaient entre les réfugiés ashkénazes et la communauté indigène était probablement due à leurs pratiques religieuses différentes, ce qui poussa les ashkénazes à créer leurs propres synagogue et bain rituel, ou mikveh. Les ashkénazes les plus observants n’étaient pas enclins à manger la nourriture casher locale et importaient leurs denrées de Tétouan41. Programmes d’entraide et émigration Malgré sa réserve envers l’immigration juive à Tanger, la communauté juive établit un comité d’entraide aux réfugiés, le Comité Pro-Refugiados, connu aussi sous le nom de Comité d’assistance aux réfugiés. Elle lui alloua des bureaux ainsi qu’une somme mensuelle de 5 000 francs français. Le Comité d’assistance aux réfugiés tenta également de collecter des fonds par l’entremise d’événements caritatifs locaux ainsi que par des donations de la communauté juive de Casablanca. Ces contributions, cependant, ne suffisaient pas à couvrir les frais de l’entraide et le Comité devait compter sur le soutien financier de l’American Jewish Joint Distribution Committee, qui, en mars 1944, accordait 12 850 USD par mois pour venir en aide aux réfugiés de Tanger42. Le Comité était dirigé par un notable local, Abraham Laredo, assisté d’Albert Sagués, ancien directeur de l’école de l’Alliance israélite universelle à Tanger et d’Albert Reinhard, un réfugié du Luxembourg. La fonction du Comité d’assistance aux réfugiés était de venir en aide aux réfugiés dans le besoin durant leur séjour à Tanger et de faciliter leur immigration vers une autre destination. Il était, entre autres, chargé de leur fournir un logement temporaire, soit dans un de ses centres, soit dans des chambres louées43. Le Comité d’assistance aux réfugiés avait également créé une soupe populaire, la cantine Sarita Saguès, qu’il supervisait. Deux repas étaient servis chaque jour. Cependant, en raison des plaintes des réfugiés concernant la monotonie de la nourriture, le Comité d’assistance aux réfugiés ferma la cantine en janvier 1944 et octroya aux réfugiés une allocation alimentaire mensuelle44. Le Comité distribuait également des vêtements aux adultes et aux enfants et soignait les malades. En outre, il prêtait de l’argent pour aider les réfugiés à monter de petits commerces et à subvenir à leurs propres besoins45. Enfin, le Comité offrait aux nouveaux venus des services d’immigration, les mettant en contact avec la HICEM. Il avait également créé une école de formation professionnelle qui enseignait la dactylographie, la sténographie, la comptabilité, ainsi que l’anglais et l’hébreu pour les immigrants potentiels. Après 1942, la hausse sensible de l’inflation entraîna une détérioration des conditions de vie des réfugiés. Certains durent vendre leurs biens pour arriver à joindre les deux bouts46. La hausse constante du coût de la vie à Tanger et les rares opportunités d’emploi pour les réfugiés firent que le Comité d’assistance aux réfugiés devait chaque mois aider un nombre de plus en plus important d’individus dans le besoin. Le nombre des assistés passa de 350 en novembre 1943 à 571 en janvier 1944. En outre, la hausse du coût de la vie obligea le Comité à augmenter le montant de certaines allocations aux réfugiés, alourdissant encore le budget47. En février 1944, suite à ces difficultés financières, le Joint Distribution Committee envoya Mordecaï Kessler, son représentant à Tanger, pour qu’il réorganise le budget du Comité48. Outre les contraintes budgétaires, le Comité d’assistance aux réfugiés devait affronter d’autres difficultés, notamment des plaintes émanant des réfugiés insatisfaits, qui avaient le sentiment que l’entraide n’était pas répartie de façon égale. Il y avait de fréquentes accusations disant que certains réfugiés, qui étaient « millionnaires », étaient eux aussi assistés. La suspicion et le ressentiment à ce sujet ne firent qu’accroître les tensions avec les réfugiés. Dans une lettre écrite au bureau du Joint Distribution Committee à Lisbonne en décembre 1943, le Comité d’assistance aux réfugiés exprima son inquiétude : si les querelles et l’agitation parmi les réfugiés persistaient, les autorités espagnoles pourraient bien prendre des mesures contre eux, telles qu’expulsion ou emprisonnement49. Dans un rapport d’avril 1944, Kessler note que les tensions sont particulièrement importantes entre les réfugiés ashkénazes et séfarades, qui se gardent bien d’une vie commune et qui éprouvent peu de sympathie les uns envers les autres, en raison des différences de langue et de pratiques religieuses. Cette atmosphère de suspicion et de compétition obligea le Comité d’assistance aux réfugiés à établir pour les Juifs séfarades des jours de rémunération différents50. Les tensions existaient non seulement entre les réfugiés de nationalités différentes mais également au sein des groupes nationaux. Par exemple, deux comités polonais rivaux furent établis pour venir en aide aux réfugiés polonais. Julius et Terese Goldberg, Marco Weiselman et Gabriel Gawrylowicz créèrent le premier, le Patronat des réfugiés de guerre polonais à Tanger, à la fin de l’année 1942. Il reçut des fonds du consulat polonais à Madrid jusqu’en mai 1943. Anatol Estryn, Marek Rechnic et Izak Lewitt formèrent le second comité durant l’été 1943. Leur principal désaccord portait sur la répartition de l’aide financière. Tandis que le Patronat des réfugiés de guerre polonais était d’avis qu’il fallait accorder l’aide financière aux réfugiés en fonction de leurs besoins, le second comité pensait qu’il fallait aider les réfugiés en fonction de leur date d’arrivée à Tanger et du statut de leur nationalité. Pour eux, seuls les réfugiés arrivés directement de Pologne au début de la guerre et qui avaient conservé leur nationalité polonaise avaient droit à une aide du gouvernement polonais. Ceux qui avaient quitté la Pologne avant la guerre, avaient vécu en France ou ailleurs et avaient été forcés d’en partir ne devaient pas avoir droit à cette aide financière puisqu’ils avaient perdu leur nationalité. Laredo, qui avait des contacts dans les deux comités, regrettait cette division au sein des Polonais car elle pouvait avoir des conséquences désastreuses non seulement pour eux mais pour l’ensemble des réfugiés à Tanger51. En fin de compte, Estryn, Rechnik et Lewitt devinrent les principaux interlocuteurs du ministère du Travail et du Bien-Être social du gouvernement polonais en exil à Londres, qui aida vingt-huit réfugiés polonais à Tanger52. Le manque de possibilités en termes d’immigration constituait une source de frustration tant pour les réfugiés que pour les organisations d’entraide. Entre 1939 et 1944, peu nombreux furent ceux qui quittèrent Tanger, ce qui engendra découragement et pessimisme parmi les réfugiés, en grande partie sans emploi, et ayant dépensé toutes leurs économies. Ceux qui avaient des enfants étaient particulièrement concernés par les problèmes d’éducation et d’emploi53. Durant les années 1942 et 1943, les réfugiés juifs polonais à Tanger s’adressèrent à Schwarzbart pour qu’il les aide à obtenir des visas pour l’Angleterre. Mais en vain. Le Foreign Office refusa d’accorder des visas aux réfugiés, avançant qu’ils n’étaient pas en danger immédiat et qu’en Grande-Bretagne, les logements et la nourriture faisaient défaut. Seuls ceux qui pouvaient contribuer à l’effort de guerre allié faisaient l’objet d’exceptions54. En été 1942, le gouvernement polonais en exil et les autorités britanniques envisagèrent la possibilité d’évacuer les réfugiés polonais vers la Jamaïque. Ce plan n’aboutit pas car le contingent à destination de la Jamaïque fut rapidement rempli par des réfugiés venant du Portugal. Après le débarquement des forces anglo-américaines en Afrique du Nord en novembre 1942, il fut question de transférer les réfugiés de Tanger vers l’Afrique du Nord française mais les autorités américaines déclarèrent que l’émigration des réfugiés ne pourrait avoir lieu qu’après la fin des actions militaires dans la région55. Ce n’est qu’en 1944 que la Palestine et le Canada furent mentionnés comme des destinations éventuelles pour les réfugiés juifs de Tanger. En mars, le délégué du JDC à Lisbonne informa son bureau de New York qu’environ 200 personnes pourraient bientôt immigrer vers le Canada. En mai, l’Agence juive pour la Palestine chargea son représentant, Fritz Lichtenstein, de récapituler le nombre de réfugiés qui seraient désireux d’émigrer en Palestine et éligibles. Lichtenstein proposa d’accorder des certificats d’immigration en Palestine à 300 personnes, sur les 500 qui s’étaient portées candidates56. Un mois plus tard, en juin, M. Cornier, attaché canadien à Lisbonne, arriva à Tanger pour examiner et interviewer les candidats à l’immigration. Il accepta d’émettre des visas pour vingtdeux familles juives, soit soixante-six personnes, sous réserve d’une vérification de sécurité57. Le nombre des candidats à l’émigration à destination du Canada était bien inférieur à l’estimation des autorités canadiennes car de nombreux réfugiés ne voulaient pas trop s’éloigner de leurs pays d’origine, pays qui allaient être libérés sous peu ; d’autres espéraient être acceptés pour partir en Palestine58. En septembre 1944, un groupe de soixante-six réfugiés partit donc pour le Canada via l’Espagne et Lisbonne et en octobre 1944, quatre-vingt-huit réfugiés embarquèrent sur le navire SS Guinée, pour la Palestine59. La plupart des réfugiés restants quittèrent Tanger pour les États-Unis ou la Palestine en 1945 et 1946. Le départ des réfugiés fut grandement couvert par la presse espagnole locale, qui profita de l’occasion pour payer un tribut enthousiaste à la politique du régime de Franco à Tanger. En septembre 1944, lors de l’évacuation d’un groupe de réfugiés, le quotidien espagnol España écrivit que le « confort spirituel » des réfugiés était basé sur la neutralité de Tanger, que seule l’Espagne avait été capable d’assurer. Tout en acceptant le fait que l’afflux de réfugiés à Tanger ait créé certains problèmes, l’España soulignait que les réfugiés avaient « joui d’une prospérité égale à celle qui existait dans n’importe quel pays durant la guerre60 ». En conclusion, il est difficile de déclarer que Tanger fut un véritable havre de paix pour les réfugiés juifs durant la Seconde Guerre mondiale. L’immigration juive était limitée par les restrictions imposées par l’administration internationale et appliquées par les autorités espagnoles. En outre, la crise économique et la crainte d’un regain d’antisémitisme poussèrent la communauté juive locale à décourager les réfugiés juifs de chercher un asile à Tanger. Ceux qui réussirent à y venir durent faire face à de nombreux défis : inflation rampante, rareté des emplois, manque d’opportunités d’immigration, indifférence, voire hostilité des autorités espagnoles et dissensions dues aux différences culturelles et à la jalousie. Néanmoins, les réfugiés juifs de Tanger ne connurent pas de discrimination raciale et leur situation fut bien moins précaire que celle de leurs coreligionnaires du Maroc français. 12 La communauté juive de Nabeul sous l’occupation allemande par Victor HAYOUN L’un des événements qui marqua le plus la communauté juive de Nabeul fut l’occupation de la Tunisie par les forces germano-italiennes de l’Axe, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands arrivèrent en Tunisie par le sud, par la Libye, après que Rommel eut essuyé la défaite du deuxième combat d’El-Alamein devant les forces britanniques de Montgomery. Nabeul fut occupée le 14 novembre 1942 et la présence allemande se fit sentir alors dans la ville et fut vécue très difficilement par la communauté juive locale. Les Juifs de la ville durent porter l’étoile jaune et comme dans toutes les autres localités de Tunisie, les occupants s’approprièrent des locaux et des habitations, ils confisquèrent des voitures, des vélos, des postes de radio (TSF), des meubles et les accessoires ménagers dont ils avaient besoin1. Ils investirent la ville et la municipalité et exigèrent de la main-d’œuvre juive quotidienne pour les travaux obligatoires, principalement dans les bases militaires du cap Bon. Ainsi, la population juive de Nabeul, comme partout ailleurs en Tunisie, vécut sous la menace constante d’une éventuelle arrestation pour être envoyée au travail obligatoire. Les déplacements en dehors de la ville étaient risqués, la surveillance allemande était omniprésente et on sentait un manque grandissant de nourriture disponible à la vente ainsi que de produits de base et de tout autre matériau comme le cuir, les tissus, les matériaux de construction, etc. Mais surtout, il y avait l’incertitude quant au lendemain. Il est à signaler que les relations qu’avait la population juive de la ville avec son voisinage musulman et chrétien étaient généralement convenables et correctes, et parfois même les musulmans prodiguaient un soutien important aux Juifs. Nous avons plus d’un témoignage qui nous informe sur un voisin musulman qui aurait caché chez lui des biens comme des bijoux ou de l’argent appartenant à des Juifs et qui les leur restitua à la fin de l’occupation allemande. Mais il y a aussi des traces de collaboration des Arabes avec les autorités françaises de Vichy et les occupants allemands. Il y eut des dénonciations de Juifs qui se cachaient pour ne pas aller au travail obligatoire, ainsi que des interventions verbales blessantes. En mai 1943, les forces germano-italiennes battirent en retraite et quittèrent la Tunisie par le cap Bon, d’où elles embarquèrent en direction de la Sicile vers le territoire italien ami et coopérant. Tunis fut libéré le 7 mai 1943 et Nabeul le fut quatre jours plus tard, quasiment en dernier, le 11 mai 19432. Ce jour de la libération de Nabeul fut, comme nous le verrons plus loin, particulièrement important pour l’ensemble de la communauté juive de la ville. La dernière journée d’occupation : le témoignage d’Isaac Mamou Un témoignage de premier ordre, riche en détails et relativement exceptionnel, relate les dernières vingt-quatre heures de la présence allemande dans la ville et des sévices subis par sa population juive. Le témoin qui laissa un récit détaillé de ce qui se passa était Isaac fils de Jacob Mamou, communément nommé en judéo-arabe Ch-h’agou Mamou3. Il s’agit d’un des notables de la ville, riche et érudit, connaissant parfaitement les langues française et italienne, mais aussi l’hébreu et le judéo-arabe. Suite au danger de circuler en dehors de la ville et réduit à ne pas quitter Nabeul, il se mit, pendant ces mois d’occupation, à traduire un livre de l’écrivain hébreu Abraham Mapu. Il finit la traduction en mars 1943, et il décida d’ajouter une seconde préface dans laquelle il écrivit le descriptif détaillé de ce qu’avait vécu la communauté juive de Nabeul pendant l’occupation allemande, et particulièrement durant les dernières vingt-quatre heures de cette occupation. Le texte intégral de son témoignage, qui fut traduit du judéo-arabe en français par Robert Attal, de l’Institut Ben-Zvi de Jérusalem, se trouve en annexe de cet article. Cependant, en voici l’essentiel : « … le 10 mai 1943 (note 17) arriva au local de la communauté juive, un Allemand en tenue de gendarme, accompagné de deux soldats ; il exigea de consulter les comptes en caisse de la communauté. Après cela il s’écria : “j’exige de vous que cet après-midi avant 6 heures vous me prépariez 1 million de francs.” Les responsables de la communauté lui répondirent qu’ils ne possédaient pas cette somme et que dans cette ville il était impossible de réunir un tel montant. L’officier leur dit qu’il attendrait jusqu’au lendemain matin à 9 heures, mais que ce seront [sic] alors 2 millions de francs… [sinon] il sera porté un grave préjudice à la communauté juive… » Dans le souci de prolonger le délai au-delà du lendemain, le conseil de la communauté fit intervenir le brigadier de police et le chef de la gendarmerie de la ville qui se proposèrent de le soutenir. Après une longue « nuit blanche », ces messieurs se présentèrent au bureau de la Kommandantur dix minutes avant l’heure fixée. « … Soudain des tanks et des camions apparurent à grand vacarme et aux cris de “Vive la France”. Puis surgirent les Anglais, les Américains et les Français qui, sous les “youyous” et les chants, occupèrent la ville. Les Allemands battirent en retraite et la joie grandit chez les Juifs… sauvés de cette détresse… » Ce témoignage n’a jamais eu d’autre référence historique. C’était un témoignage important mais il était unique. Lors d’une de mes visites aux archives du ministère des Affaires étrangères français à Nantes, dans le cadre de mes recherches sur la communauté de Nabeul, cinquante-six ans après la libération de la ville, en novembre 1999, j’eus l’agréable surprise de découvrir une riche documentation4 qui traitait de la demande d’indemnisation de la communauté israélite de Nabeul, suite aux spoliations allemandes de la période de l’Occupation. Cette documentation était un échange de courrier entre six personnes : le contrôleur civil chef de poste à Nabeul, le contrôleur civil du cap Bon à Grombalia, M. Aleman, l’ancien chef du poste de police de Nabeul, le général de corps d’armée Pierre Boyer De Latour Du Moulin, Résident général de France à Tunis, Mardochée Mamou, le président de la Coumita5 de Nabeul et son représentant, maître Aurèle Haddad, de Nabeul, avocat à la Cour d’appel de Tunis. Pour traiter de ce sujet, les correspondants détaillèrent chacun à leur tour la réponse qu’ils fournissaient au précédent. Par ces courriers datant de 1944, 1947 et 1954, nous avons une totale confirmation de l’histoire des dernières vingtquatre heures de l’occupation de la ville de Nabeul par les Allemands telle qu’elle nous avait été relatée par Isaac Mamou dans sa préface judéo-arabe de 1943. Les Allemands exigent une rançon de la communauté Les échanges de courriers, très riches en informations concernant les événements des dernières vingt-quatre heures de l’occupation de Nabeul par les Allemands, commencent par une lettre du 11 mars 1954 envoyé par M. Aleman, le chef du poste de police à Aïn-Draham, dans le nord de la Tunisie en 1954, qui était auparavant, comme indiqué plus haut, chef du poste de police à Nabeul en mai 1943 [voir la lettre en annexe]. Voici l’essentiel de son courrier : « … pour les renseignements que vous me demandez, c’est un peu loin, mais autant que je m’en rappelle [sic], la population israélite a tout d’abord eu la réquisition de tous les postes de TSF, puis le travail obligatoire pour tous, sans exception, à raison de 2, 3 et même quelquefois 400 travailleurs par jour… En outre, une grande partie des maisons juives a été réquisitionnée. Les cafetiers israélites, principalement Sportès Isidore6, se sont vu saisir la majeure partie des boissons et liqueurs qu’ils avaient en dépôt, sans paiement évidemment, comme il a été fait également pour d’autres marchandises d’autres magasins israélites… Ces saisies et prélèvements étaient faits par des soldats allemands qui ne se souciaient naturellement pas des autorités françaises locales, à part le vice-président [de la municipalité] délégué de l’époque M. Muraour, qui dans la plupart des cas les a guidés… En ce qui concerne les versements effectués par la population israélite aux troupes de l’Axe, il n’y en a eu aucun à ma connaissance. La seule fois où des gendarmes allemands ont réclamé une somme de deux millions à la communauté israélite, en leur [sic] donnant un délai de 24 heures pour s’exécuter, se situe 2 jours avant l’arrivée des troupes anglaises à Nabeul… J’ai pu éviter que cette somme ne soit versée en intervenant auprès du commandant de la gendarmerie allemande à Nabeul. M. Mamou Roger7 est bien au courant de la chose et pourra vous renseigner à ce sujet… C’est tout ce dont je me souviens… En espérant que ces renseignements vous serviront. » Ce courrier est d’une importance capitale, car il confirme sans l’ombre d’un doute les faits relatés par Isaac Mamou dans la seconde préface en judéo-arabe du livre hébreu qu’il traduisit en 1943 pendant l’occupation allemande de Nabeul. Ce courrier a été écrit près de onze ans (de 1943 à 1954) après l’occupation, par un fonctionnaire français qui n’avait, a priori, aucune relation avec Isaac Mamou et qui très probablement ne connaissait pas le judéo-arabe. D’autre part, il ne faut pas oublier que messieurs Isaac Mamou et Aleman ont écrit ce qui est cité ci-dessus : le premier sur sa propre initiative de témoin oculaire, et le second en réponse à un courrier officiel qui lui avait été adressé par le secrétaire principal de la police judiciaire du protectorat français en Tunisie. Ainsi, il n’y a pas de concordance de temps, ni de lieu, ni de cause dans la production de ces deux témoignages, ce qui nous permet d’affirmer la véracité des faits qui y sont relatés en détail. Avec le courrier de M. Aleman, nous avons trouvé dans ces mêmes archives une lettre du contrôleur civil en poste à Nabeul du 30 mars 1954 qui, dans un souci de préparer une réponse détaillée et précise à ses supérieurs, invitait maître Aurèle Haddad, de Nabeul, avocat à la Cour d’appel de Tunis, à se présenter à son bureau pour apporter quelques autres précisions. Adjointe à la copie de cette lettre, il y avait une note manuscrite résumant cette rencontre. Y sont mentionnés les noms de « … Mardochée Mamou président de la communauté… » ainsi que ceux de « …Isaac [Chh’agou] de Jacob Mamou, Élie [de Gabriel] Koskas, Roger Mamou et à la comptabilité maître Aurèle Haddad avocat… c’est tout… ». Ces personnes étaient, nous le savons, les membres de la Coumita à l’époque de l’occupation. Un autre détail manuscrit très important, que nous rencontrons pour la première fois, est le nom d’un officier allemand « … Lieutenant Stock [ou Stack] de la Kommandantur… » Ce serait probablement celui qui a demandé la rançon. Il est aussi écrit que « … Maître Aurèle Haddad ignore le début de l’affaire et que deux millions [de francs sont] demandés la veille de la libération [pour le] lendemain à 10 heures… » et une ligne plus bas il est écrit « … à 9 heures [eut lieu] la libération… ». Une des questions que nous nous posons en essayant de saisir ce qui se passa à Nabeul dans le contexte tunisien général est : pourquoi les Allemands ont-ils demandé cette rançon à Nabeul si tard, alors qu’à Tunis ce fut imposé tout au début de l’occupation et à Djerba plus tard mais bien avant la libération ? La réponse pourrait être la suivante : il semblerait qu’à Nabeul était présente la gendarmerie allemande et pas – ou plus – la Gestapo. D’autre part, l’officier allemand qui exigea les deux millions était un sous-lieutenant ou un lieutenant, donc pas un officier supérieur. Aussi, il se pourrait fort probablement que ce soit une initiative personnelle et locale d’un officier qui aurait peut-être voulu profiter de la situation qu’il connaissait mieux que les gens de la communauté locale, car rappelons-le, Nabeul est à la porte du cap Bon, les Forces alliées, qui montaient du sud vers le nord, libérèrent Djerba, Sfax et Sousse, alors que celles qui venaient de l’ouest libérèrent Tunis le 7 mai 1943. Pendant ce temps, Nabeul était toujours occupée et les soldats des forces de l’Axe étaient faits prisonniers par milliers en essayant de battre en retraite par le cap Bon vers la Sicile. L’officier en poste à Nabeul, comprenant que c’était la fin de son « séjour » sur place, aurait peut-être voulu profiter de l’occasion pour s’enrichir. À Sfax aussi les Allemands ont demandé une rançon en fin d’occupation, alors qu’ils étaient sur le point de battre en retraite et voulaient se sauver avec l’argent. Mais dans ce cas, la communauté ne réussit pas à rassembler la somme exigée et les Allemands s’enfuirent avec une partie seulement de la rançon8. La lettre de M. Aleman que nous avons rappelée et citée plus haut est en fait la première d’une correspondance fournie et très détaillée, d’une série qui sera conclue cinq mois plus tard, le 28 août 1954, par un courrier détaillé de P. Lunet, qui était fort probablement le contrôleur civil en poste à Nabeul. Dans ce dernier courrier, la responsabilité de trouver les documents adéquats, de les analyser et de rédiger une demande précise d’indemnités est à la charge de la communauté. Comme dans le cas de l’indemnisation des familles Jaoui et Temam pour le décès d’un membre de leur famille9, là encore nous constatons que les autorités françaises se reposent sur la communauté et ses institutions et se gardent de traiter au cas par cas, voire même avec des groupes qui ne seraient pas coordonnés ni représentés par la communauté. Pour justifier ce mode de fonctionnement, elles s’appuient sur le fait que « … seul le Comité directeur de la Caisse de culte et de bienfaisance doit être en principe partie prenante dans cette affaire, puisque c’est le comité de l’époque qui a tout comptabilisé (les Services des dommages de guerre ayant même refusé toute demande individuelle)… ». Cette demande d’indemnisation au profit des israélites de Nabeul, qui fit l’objet de la correspondance de Lunet du 28 août 1954, nous révèle deux éléments remarquables : des affirmations importantes et un aperçu d’un désaccord dans la communauté. Le premier est en rapport direct avec cette demande d’indemnisation et il nous procure des affirmations claires qui sont écrites de manière explicite : « … il est exact que les israélites de Nabeul ont été frappés par des mesures de travail forcé, imposées par les autorités germano-italiennes en 1943. Il est indubitable que la communauté israélite a été imposée à de nombreux titres par ces militaires. Pour tout ce qui devait être réquisitionné chez les israélites, la communauté était tenue responsable de l’exécution des demandes, et groupait les biens et les fonds… » Juste après ces affirmations claires, nous avons une phrase que l’on pourrait qualifier d’information ou de détail à « double tranchant » : « … il y a donc caractère racial des prélèvements dans la mesure où les Juifs étaient spoliés, mais les autres éléments de la population ont également subi des réquisitions sans contrepartie en indemnité… » Cette dernière phrase nous instruit sur l’ambiguïté de la situation de reconnaissance des dommages et spoliations faits aux israélites de Nabeul, ainsi qu’à un état d’esprit que l’on pourrait qualifier pour le moins de peu impartial par le rappel de soi-disant dommages causés aux autres habitants de Nabeul. Le second élément d’importance qui est détaillé dans ce courrier, nous révèle une scission dans la communauté juive. En voici le résumé : maître Albert Tubiana, de Tunis, fut mandaté par certains Juifs de la communauté de Nabeul et déposa une demande d’indemnisation auprès des autorités françaises de Tunisie. Dans l’échange de courrier pour complément d’enquête et éléments de réponse entre les différents fonctionnaires français, nous avons trouvé en archives des notes manuscrites du contrôleur civil en poste à Nabeul, probablement du 11 août 1954, qui nous apprennent les choses suivantes : « … Maître Tubiana n’est pas mandataire des israélites de Nabeul… Pourquoi pas [une] somme globale [de] 1 million… Qu’elle [la communauté] s’arrange elle-même avec ses membres… C’est la communauté qui a taxé les gens [et] non les Allemands… Maître Tubiana doit s’adresser à elle [la communauté]… Demander à [Maître Albert] Karila si Maître Tubiana représente quelque chose… » Nous retrouvons la synthèse de ces remarques dans le courrier du 28 août 1954 résumées en ces termes : « … Après avoir consulté Maître Karila, Vice-président de la Municipalité de Nabeul et Délégué du Gouvernement auprès de la Caisse de Bienfaisance [la Coumita], je suis arrivé en accord avec lui, à la conclusion suivante :… Maître Tubiana se porte demandeur au nom des israélites de Nabeul, mais à l’insu des dirigeants de la Caisse… Ceux qui ont confié leurs intérêts à Maître Tubiana ne méritent pas d’être mieux indemnisés que ceux qui ne l’ont pas fait… Donc, seule la Coumita doit être partie prenante, puisque c’est elle qui a tout comptabilisé… Ce Comité, organisme officiel, ne peut traiter avec l’État par le truchement d’un avocat (dont l’utilité est réfutable d’après Maître Karila), puisqu’il s’agit de rapports entre services publics… Donc au Comité de s’occuper des demandes présentées par Maître Tubiana… » Les victimes de guerre de la communauté juive de Nabeul Malheureusement cette guerre fit aussi des victimes parmi les enfants originaires de Nabeul, bien qu’aucune d’entre elles ne fût tuée dans la ville. Voici la liste, par ordre alphabétique, dans laquelle figurent pour la première fois les noms et les circonstances de la mort de ces Juifs nabeuliens : « a) Clément Boujnah, né le 4 janvier 1921 à Nabeul, fut arrêté en France et déporté le 23 mars 1943 par le transport no 52 du camp de Drancy vers le camp de concentration de Sobibor10. « b) Simon Chalom de Eliahou Guez [frère du Mohel Gaston Guez], décéda le 24 février 1943 à l’âge de 24 ans, lors du bombardement de l’aéroport de Tunis El-Aouina. Un éclat d’obus emporta sa jambe et cribla son corps ; malgré les soins les plus urgents, il succomba à la suite d’une hémorragie quelques heures après11. « c) Émile Maylou Hayoun [dit Bayon], né le 25 décembre 1887 à Nabeul et sa fille Liliane/Marcelle-Rachel12 Hayoun née le 21 juin 1923 à Paris. Émile Hayoun vivait en France avec sa famille quand la guerre éclata. Il fut arrêté dans la rue près de son domicile au 104, boulevard de la Villette à Paris le 24 août 1942. Sa fille Marcelle avait été arrêtée à la sortie de son travail, elle aussi à Paris lors de la rafle du Vél’ d’hiv’ qui eut lieu les 16 et 17 juillet 1942. Ils furent tous deux déportés le 24 août 1942 par le convoi no 23 vers Auschwitz où ils furent tués en 1942. Selon le témoignage de son fils Jacques13, Émile Hayoun est mort dans le train qui le conduisait du camp de Drancy vers Auschwitz. Sa fille Marcelle était âgée de 19 ans à sa mort. Son épouse Émilie née Chiche, elle aussi originaire de Nabeul, embarqua le 6 novembre 1942 à Marseille, avec ses cinq enfants, sur un bateau qui fut escorté par des navires de guerre jusqu’à Tunis d’où on les transféra au port de Bougie en Algérie. « d) Meyer Jaoui, âgé de 29 ans, était un Juif de Tunis qui était employé au travail obligatoire dans un camp près de Nabeul. Il décéda le 28 janvier 1943 à la suite d’un accident de camion allemand transportant des travailleurs obligatoires entre Nabeul et Hammamet14. Il fut transporté et enterré à Tunis, et laissa une veuve et des enfants en bas âge. « e) Lila Myriam Messika [fille de Rebbi Mouchi de Rebbi Nessim Haddad] décéda alors qu’elle était enceinte, avec ses beaux-parents [Chalom et Simh’a Messika] et ses deux belles-sœurs [Hélène et Hanna Messika], lors d’un bombardement à Tunis, par l’écroulement de l’immeuble dans lequel ils habitaient. Son mari qui était sorti faire des achats fut épargné15. « f) Albert de Aaron Temam, était âgé de 22 ans quand il décéda, le 28 janvier 1943, à la suite d’un accident de camion allemand transportant des travailleurs obligatoires entre Nabeul et Hammamet16. Il était l’aîné et le soutien de famille pour son père, sa mère et ses neuf frères et sœurs. « g) Les frères, Jacques Isaac (1915-1943) et Albert Benjamin (19171943) Valensi, respectivement étudiants en pharmacie et en médecine, fils de Haïm Victor et Rachel Valensi, tous deux Juifs d’origine tunisienne (Nabeul) qui « … résidaient à Marseille (11, rue Senac)… furent arrêtés le 22 ou 23 ou 24 janvier 1943 à Marseille lors de “l’action Tiger”… déportés vers Compiègne puis Drancy. Le 23 mars 1943 ils furent finalement déportés par le convoi no 52 à destination du camp d’extermination Sobibor17… ». Les indemnités payées aux familles Temam et Jaoui Le 13 septembre 1944, Mardochée Mamou, président de la Coumita, avait envoyé une lettre de réponse au contrôleur civil de Nabeul à propos de l’accident de camion allemand qui avait provoqué la mort de Temam et Jaoui. Il y avait fait savoir que : « … il ne m’est pas possible de vous nommer d’autres témoins… Je me permets de vous faire remarquer que les deux gendarmes qui ont dressé procès-verbal au chauffeur pourraient peut-être témoigner… » Ce courrier, rédigé en septembre 1944, seize mois après la libération de Nabeul, faisait partie d’un complément d’enquête de l’accident ci-dessus cité, afin de produire des nouvelles pièces à ce dossier qui fut de nouveau traité en février et mars 1947. En effet, le 24 février 1947, le contrôleur civil du cap Bon informait le chef de poste de contrôle civil de Nabeul « … que d’après le registre de comptabilité de M. Pons, ancien contrôleur civil [du cap Bon] à Grombalia… il aurait été versé le 19 octobre 1943 à la communauté israélite de Nabeul [la Coumita], une somme de 38 758 Frs… » et il conclut en demandant de lui « faire connaître l’objet de cette indemnité… ». Le 6 mars 1947, le président de la Coumita informait le contrôleur civil de Nabeul « que M. le contrôleur civil [du cap Bon] à Grombalia nous a versé contre reçu, la somme de 37 770 Frs le 13 octobre 1943… ». À la demande de préciser les noms des bénéficiaires, Mardochée Mamou ajoutait de sa main : « 1) Mme Veuve Meyer Bijaoui18… 2) M. Aron Temam [père du défunt Albert Temam]… » Le lendemain, le 7 mars 1947, l’information fut transmise par courrier du contrôleur civil du cap Bon à Grombalia en précisant que la « somme a été versée à titre de secours… [aux] parents respectifs de deux victimes décédées à la suite d’un accident de camion allemand transportant des travailleurs obligatoires entre Nabeul et Hammamet… ». Cet échange de courrier est le seul témoignage qu’une somme ait été payée à quelqu’un de Nabeul, ou en rapport avec Nabeul, à titre d’indemnité. Il est important de signaler que cette indemnité, unique à notre connaissance, a été versée à la Coumita et pas directement aux bénéficiaires qui, de fait, reçurent l’argent de la Coumita, et non pas des autorités françaises en Tunisie. Cette action indirecte permit d’une part aux autorités de ne pas avoir un rapport direct avec les intéressés, et d’autre part donnait à la Coumita, associée à cet acte d’indemnisation, une certaine prise de responsabilité. La chanson de la Libération Pour conclure ce chapitre, nous allons rappeler un trait de culture, ou peut-être de folklore tunisien, qui germa en ce temps de guerre, sous la forme d’une chanson pro-Alliés libérateurs et bien entendu anti-Allemands occupants. Quand les Forces alliées libérèrent la Tunisie du joug des occupants allemands et italiens, l’instinct populaire créa une chanson imagée du nom de Khamous Jan, qui veut dire en judéo-arabe « Khamous est arrivé ». Khamous19 est un prénom judéo-arabe masculin à valeur mystique censé contrer le mauvais sort et le mauvais œil. En fait, ici, Khamous représente les glorieux libérateurs qui portent ce prénom qui les « immunise » contre le mal. C’est une longue chanson à plusieurs strophes, mais à Nabeul, suite à la menace de rançon des deux millions, la population locale ajouta une strophe propre à la communauté : — Talbou A’lina Mèlionnéïne [Ils nous ont demandé 2 millions] — Mène gho-doua fèl Tèch-a’ Ghéir Darjéïne [Pour demain à 9 heures moins 10] — Kamouch Jana ou Anana [Khamous (le libérateur) est venu et nous a soulagés] Il y avait aussi une seconde chanson qui était chantée à Nabeul dont le refrain était le suivant : — Hak – èl – Ouakt Ya-h’assra [À cette époque-là, il fut un temps] — H’ata Mel – Babouch It-kmanda Fina [Même les escargots20 (Boches) nous commandaient] — Yassèr A’lina – Yassèr A’lina [C’en est trop pour nous, c’en est trop pour nous] Conclusion La Seconde Guerre mondiale a été ressentie dans toute la Tunisie ainsi qu’à Nabeul. Le calme de la vie routinière de la communauté juive fut remplacé par les tensions de la guerre. Il y avait un manque de nourriture, les hommes étaient envoyés au travail obligatoire, des biens étaient confisqués et par-dessus tout il régnait une atmosphère d’incertitude. Les Juifs de Nabeul, qui ont beaucoup souffert de l’occupation allemande, ont eu une joie dédoublée le jour de la libération, qui était aussi pour eux le jour de la fin de l’angoisse d’une terrible agression qui avait failli être menée contre eux, car ils n’avaient pas du tout les moyens de payer la rançon dont ils avaient été l’objet la veille. Isaac Mamou a témoigné de ces événements au moment même où ils se passaient. Ce témoignage vient d’être confirmé par les nouvelles sources mentionnées dans cet article, et il enrichit l’image que nous avons de la dernière journée d’occupation. Suite à la collaboration de nombreux Arabes tunisiens avec les occupants allemands, les Juifs se rendirent compte que la Tunisie, leur terre natale depuis des générations, était en plein processus de réveil nationaliste contre le gouvernement du protectorat français. Cinq ans plus tard, en 1948, l’État d’Israël fut créé et devint un nouveau foyer d’attraction pour les Juifs de Tunisie, en plus de la France. Nombreux furent les Juifs de Nabeul qui immigrèrent en Israël, car ce nouveau pays devenait leur terre d’accueil, leur abri, avec la liberté, l’indépendance et une sécurité personnelle retrouvée. L’occupation allemande fut l’une des premières raisons dans le processus qui poussa les Juifs à quitter la Tunisie. Ce fut aussi une étape importante qui leur fit prendre conscience que la longue existence de la présence juive sur le sol de Tunisie en général, et à Nabeul en particulier, était en train de prendre fin. * ANNEXE 1 Le témoignage d’Isaac Mamou traduit du judéoarabe en français Ce qui suit est la transcription intégrale du chapitre 31 [pages 190 à 193] du livre Regards sur les Juifs de Tunisie de Robert Attal et Claude Sitbon. Ce chapitre a été écrit par Robert Attal, il y apporte la traduction du judéo-arabe du texte original. Ce même document avait déjà été publié dans la Revue des études juives en 1975. Occupation nazie et libération alliée à Nabeul 21 Isaac Mamou était une personnalité de Nabeul : fondateur de l’Association sioniste du cap Bon, il participa au Congrès sioniste, à titre de secrétaire du délégué de Tunisie, le rabbin Jacob Boccara. Traducteur, il travaillait, pendant l’occupation allemande, à la traduction en judéo-arabe d’un manuscrit du célèbre romancier hébraïque Abraham Mapou. Dans une préface à cette traduction, Isaac Mamou, ce « Juif d’Israël en exil », comme il aimait à se définir, relate quelques faits de l’occupation nazie à Nabeul, témoignage unique, naïf et émouvant. Dans les premiers jours du mois de novembre 1942, l’armée allemande occupa la Tunisie pour affronter les armées anglo-saxonnes stationnées au Maroc, en Algérie et en Tunisie occidentale. Les Allemands s’avancèrent contre les troupes anglo-saxonnes afin de les attaquer. Les troupes allemandes qui s’installèrent le long des rivages de la Méditerranée prirent position dans notre ville de Nabeul, en firent un centre militaire, et y établirent une Kommandantur. Immédiatement après, une étroite surveillance s’établit sur les routes, contrôlant les entrées et sorties de la ville. Au début, j’ai pensé quitter la ville de Nabeul pour préserver ma propre sécurité, mais les routes devenaient de plus en plus dangereuses. Les troupes allemandes, par leurs multiples demandes, rendaient la vie difficile à la population juive ; tout d’abord ils exigèrent d’elle de la literie, de l’alimentation, des automobiles, des bicyclettes, des calèches, etc., sans aucune redevance ; ils ont ensuite requis des travailleurs sans distinction d’âge et exigé que la municipalité paye leurs journées de travail. Les autorités allemandes réclamèrent en outre de la population de fortes sommes d’argent sous menace d’emprisonnement ou d’otages, ainsi que des ustensiles de cuisine et de table en verrerie ou en poterie. Nous pouvons comparer ces faits à ceux qui se sont passés à l’époque où les Israélites opprimés en Égypte avaient demandé aux Égyptiens la faveur [de s’installer], mais ceux-là entrèrent de force et s’emparèrent de tout avec autorité et les Juifs subirent cet affront sans réagir, en silence, jusqu’à ce que Dieu les prenne en pitié. Cet état de choses m’a beaucoup tourmenté et j’ai pensé écrire sur ces événements pour que cela reste en témoignage pour le futur, mais je me suis demandé où était ma place parmi les lettrés qui ont déjà évoqué ces événements, et, après avoir mûrement réfléchi, je me suis dit qu’il était préférable de m’adonner à quelque chose qui allégerait mes soucis et m’aiderait à oublier cette période tragique. Ainsi j’ai commencé à traduire le roman du rabbin Abraham Mapou intitulé en hébreu Ayit sâbûa, récit dont j’ai commencé la traduction au mois de novembre 1942 pour la terminer en mars 1943. Comme je viens d’en informer le lecteur, cette traduction a été terminée au mois de mars 1943 et je n’ai pu l’adresser à l’imprimeur parce que les communications sont très difficiles ; même mes amis de Tunis, je ne les ai pas revus depuis le mois d’octobre dernier. Aussi j’ajoute cette [deuxième] préface au lecteur pour l’informer des derniers jours de l’occupation allemande dans notre ville. Le 10 mai 1943, arriva au local de la communauté juive un Allemand en tenue de gendarme, accompagné de deux soldats qui exigea de consulter les comptes en caisse de la communauté. Après cela, il s’écria : « J’exige de vous que cet après-midi avant six heures vous me prépariez un million de francs. » Les responsables de la communauté lui répondirent qu’ils ne possédaient pas cette somme et que, dans cette ville, il était impossible de réunir un tel montant. L’officier leur dit qu’il attendrait jusqu’au lendemain matin neuf heures, mais que ce serait alors deux millions de francs qu’il faudrait apporter, et que, si la somme ne se trouvait pas prête, il serait porté un grave préjudice à la communauté juive ; cela dit, il s’en alla. Le Conseil de la communauté a groupé les personnes qu’il a pu rassembler le jour même, et tous décidèrent de se présenter aux autorités locales, afin qu’elles les aident à retarder la date fixée. Le brigadier de police s’est rendu avec le Conseil de la communauté à la Kommandantur allemande pour leur dire qu’il était stupéfait de la chose et se proposa d’être présent le lendemain pour demander une prolongation du délai ; le Conseil se rendit ensuite chez le chef de la gendarmerie, qui, lui aussi, fut surpris de la chose et se proposa d’être présent le lendemain pour solliciter également une prolongation du délai. Ce fut une très mauvaise nuit pour toute la communauté. L’aurore parut, les oiseaux commencèrent à siffler, le jour se fit plus clair, le soleil commença à paraître, ses rayons se raffermirent et l’atmosphère se tendit. Grands et petits sortirent de leurs demeures, étourdis et consternés, chacun ne s’éloignant pas de sa maison et ne comptant que sur Dieu qui a seul le pouvoir de renverser la situation. C’était un mardi, jour où il est dit deux fois le mot « Bon », le 6 Iyar 5703 qui correspond au 11 mai 1943. Les gens attendaient le futur avec appréhension et se demandaient ce qu’il adviendrait d’eux. Neuf heures moins dix ; chaque avance des aiguilles de la montre était ressentie comme un coup de massue dans le cœur de chacun. À neuf heures moins une minute, survint cet officier qui se présenta à un membre de la communauté, et lui demanda la somme d’argent en question. Il lui fut répondu qu’il allait à la banque la lui procurer, mais en vérité, il se dirigeait à la Kommandantur. Soudain le chef de la gendarmerie fut saisi de frayeur, quelques instants à peine avant le délai exigé, des tanks et des camions apparurent alors à grand vacarme et aux cris de « Vive la France ! » Puis surgirent les Anglais, les Américains et les Français, qui sous les youyous et les chants occupèrent la ville. Les Allemands battirent en retraite et la joie grandit chez les Juifs qui, dans leur détresse, se sont rappelé [le verset] : « C’est un temps d’angoisse pour Jacob, mais il en sortira triomphant », car ils ont certainement quelque mérite [à leur actif] qui les a sauvés de cette détresse. Quant à moi, j’ai pensé qu’il était utile de relater cet événement historique afin que cela reste un souvenir de joie et d’allégresse pour les Juifs de Nabeul. Amen, et un salut de votre frère le traducteur, serviteur de Dieu, Isaac Heskia Mamou, que Dieu le garde et le protège. Isaac Mamou Revue des études juives, 1975. (Traduction du judéo-arabe, Robert Attal.) * ANNEXE 2 Lettre du 11 mars 1954 à M. Aleman, ex-chef du poste de police de Nabeul en 1943 C’est la lettre que M. Aleman, le chef du poste de police à Aïn-Draham, a envoyée le 11 mars 1954 au secrétaire principal de la PJ et au chef du poste de police à Nabeul en réponse à un courrier qui lui avait été adressé. Ce document est issu des archives du ministère des Affaires étrangères à Nantes. Dossier : Tunisie – Résident général / 2e versement / Article No 2448 [dossier Communauté israélite de Nabeul]. Cinquième partie IMAGES ET SOUVENIR 13 Images de la guerre 1939-1945 dans la littérature judéo-maghrébine d’expression française par Guy DUGAS Miroir d’un temps et d’une société, la littérature ne peut demeurer en marge de l’événement. Mais elle le représente à sa manière, non comme le feraient un document historique ou un simple témoignage. Ignorant les ouvrages de témoignage, comme ceux de Borgel ou Attal en Tunisie, d’Aboulker en Algérie, cette communication d’un spécialiste de littérature étudiera donc les images littéraires de la guerre 1939-1945 qui transparaissent dans les romans d’auteurs juifs, qu’ils aient été composés durant cette guerre ou postérieurement. On verra qu’elle ne s’interdira pas non plus de faire un petit détour du côté du cinéma. L’AFRIQUE DU NORD DURANT LA GUERRE On s’intéressera d’abord à la description de la vie durant la guerre, assez différente – on peut l’imaginer – selon que l’auteur situe son œuvre au Maroc, en Algérie ou en Tunisie. Une Tunisie italo-allemande — Albert Memmi : La Statue de sel (Corréa, 1953) Il s’agit d’un premier roman, écrit dans les années qui suivent la guerre, en grande partie dans le nord de la France dévastée : Albert Memmi et son épouse sont alors en poste à Amiens, l’une des villes les plus détruites par les bombardements alliés. C’est dire que ce roman est marqué d’un trauma très fort. On sait que Memmi ambitionne de raconter l’ouverture d’un jeune Juif né au fond de l’impasse Tarfoune dans l’entre-deux-guerres, années capitales pour les judaïcités tunisiennes, vers le monde – celui des adultes d’abord, celui des non-Juifs ensuite, c’est-à-dire en contexte colonisé, et, comme dirait le regretté André Chouraqui, sa « marche vers l’Occident ». Dans cette démarche personnelle, la guerre se présente au narrateur comme une collision, je veux dire que ce n’est plus l’individu qui va vers le monde, mais le monde qui vient brusquement à lui : « Pour sortir de moi-même, ai-je dit, j’essayais d’aller vers le monde. Je n’eus pas à faire de gros efforts. Le monde brusquement faisait irruption dans ma vie, m’entraînait avec une telle violence que je ne compris pas ce qui m’arrivait. La guerre, si lointaine, si longtemps inoffensive que nous nous y étions habitués, se faisait subitement présente, explosait dans nos murs. » (p. 281) Fidèle à son habitude d’hypersensibilité au malheur d’être juif, Albert Memmi s’étend sur les brimades et les persécutions subies par la communauté durant les mois d’occupation allemande : « Nous eûmes nos victimes, exécutées pour punitions, erreurs ou plaisanteries, nos femmes violées, nos demeures pillées. » (p. 295) Alors que ses compatriotes témoignent combien « la présence toute proche des forces alliées permit aux Juifs de Tunis de traverser l’épreuve dans des conditions beaucoup moins dramatiques que leurs coreligionnaires d’Europe et sans commune mesure avec le sort atroce qui leur fut réservé. Et bien que l’angoisse fût leur lot quotidien, l’humour ne perdit jamais ses droits1 ». Pour le narrateur de La Statue de sel, ce seront les camps de travail obligatoire, la fuite et le passage en Algérie, puis en France. — Serge Moati : Villa Jasmin (Fayard, 2003) Il s’agit là d’un roman historique (y apparaissent des personnalités ayant réellement joué un rôle dans le conflit armé en Afrique du Nord, comme l’ignoble Georges Guilbaud ou l’ambassadeur Rudolf Rahn, que l’auteur semble avoir interviewé [p. 154]) et bien plus tardif, composé dans des conditions d’énonciation très différentes, qui présente à travers les yeux d’un narrateur bien plus jeune des événements subis par la génération de ses parents2. Des parents qui, contrairement à la famille Benillouche, jouent un rôle social et même politique non négligeable : Serge Moati, le père, journaliste socialiste et influent, directeur du journal Le Populaire, a été expulsé de Tunisie par le résident Peyrouton. Lorsque la guerre éclate, il est mobilisé et – ironie de l’histoire – incorporé à Bizerte, la ville même où il est né ! Après la débâcle et quelques mois de séparation, sa famille peut le rejoindre à Tunis, où elle réintègre le domicile familial, cette villa Jasmin qui donne son titre au roman. En dépit des lois antijuives et de l’hypocrisie ambiante, il renoue avec son métier de journaliste et prend contact avec la Résistance. « De sévères mesures antijuives déferlent sur Tunis » (p. 162). La villa Jasmin est réquisitionnée, et la famille passe d’une cache à l’autre. Le 9 décembre 1942, Borgel, président de la communauté juive, est convoqué d’urgence à la Kommandantur qui lui demande de recenser les Juifs ; une affiche est placardée : « Tous les Juifs, de dix-sept à cinquante ans, doivent se tenir prêt pour le service du Travail obligatoire. » Ces deux romans présentent donc Tunis en guerre, essentiellement la Tunis italo-allemande des lendemains du débarquement allié au Maroc et en Algérie. De manière plus générale et autobiographique dans le premier, plus pointilleuse et historique dans le second. La Tunisie est d’abord un théâtre majeur de la guerre : mouvements de troupes, bombardements… L’insécurité ambiante, les difficultés d’alimentation, ajoutées au statut des Juifs, conduisent à l’errance, avec un passage fréquent par Hamman-Lif, « déclarée “ville ouverte” car le Bey y avait installé son palais et s’en servait comme résidence de villégiature d’hiver3 ». De ces deux romans d’auteurs judéo-tunisiens ressort l’idée que la guerre constitue pour les Juifs d’Afrique du Nord un événement assez inouï, proprement insensé pour le microcosme qu’ils constituent, vivant une existence quasi autarcique, sans le moindre poids ni pouvoir local et encore moins international : « D’ailleurs cette guerre n’avait pour nous aucune signification. Ni même aucune guerre. De mémoire d’homme, de mémoire de groupe, nous n’avions jamais été intéressés dans un conflit armé. C’étaient là des jeux et des catastrophes européennes ; nous en subissions les contrecoups puisque nous étions liés à l’Europe, mais notre cœur ni notre esprit n’en étaient préoccupés. » Du coup, hormis quelques personnages de résistants comme Serge Moati, la communauté est globalement présentée comme perdue, plongée dans une tourmente qui la dépasse, à laquelle elle n’est nullement préparée et qu’elle ne comprend pas. À l’image de Mordekhaï, les héros de ces romans, pris entre le marteau et l’enclume, se conduisent bien davantage comme des patients que comme des agents de leur propre destin4. En Algérie, le Grand Carnaval Le mouvement de résistance juive d’Alger – un des hauts faits de l’histoire des communautés judéo-maghrébines, sur lequel les témoignages ne se comptent plus (Marcel Aboulker : Alger et ses complots, Henri Chemouilli : Les Juifs d’Algérie, une diaspora méconnue, Jean Daniel : Le temps qui reste…) – laisse paradoxalement peu de traces dans la littérature, hormis dans un roman de René Sussan, L’Étoile des autres (Denoël, 1967), où l’on suit la destinée d’un groupe de jeunes Juifs depuis la fin des années 1930 jusqu’à leur dispersion après l’indépendance de l’Algérie. L’un d’entre eux, Jean Toléda, est entraîné dans un groupe de résistance et, à la veille du débarquement, il conseille à son camarade : « Ce soir, ne sors pas, je ne peux pas t’expliquer, mais tu comprendras demain. » La journée du 8 novembre 1942 est ensuite décrite par le détail, p. 81-84. « L’équipée » de ces jeunes gens et leur participation à l’opération Torch est traitée sur le mode de l’humour et qualifiée de « chahut gigantesque »… Peu de choses en somme, et jamais considérées sur un mode emphatique ou épique. Ce que retiennent principalement les écrivains judéo-algériens de ce qui s’est passé dans ce pays, c’est surtout Le Grand Carnaval consécutif au débarquement allié (pour reprendre le titre d’un film d’Alexandre Arcady) : règne du billet vert, marché noir, activité si partagée d’ouest en est qu’elle inspire comptines et chansonnettes, découverte du chewing-gum et des musiques de jazz : « Ils vous ont fait découvrir l’abondance, le plaisir de jouir du superflu et même du gaspillage », commente Émile Brami dans Le Manteau d’Arlequin (Fayard, 2007). La communauté juive est alors présentée selon les stéréotypes habituels : heureuse de vivre et avide des plaisirs superficiels qu’apporte la modernité occidentale, elle se plonge avec empressement dans le tourbillon de ces nouveaux plaisirs d’importation. Les Juifs marchandent, servent d’intermédiaires, retrouvent quelquefois face aux armées alliées les fonctions d’interprète qu’ils exerçaient naguère face aux troupes coloniales. Ce qui les éloigne encore un peu plus de la majorité arabo-musulmane qui conserve vis-à-vis de tous ces événements une grande distance. SUR LA GUERRE EN EUROPE Il faudra attendre plusieurs décennies avant que la guerre et les drames des communautés juives d’Europe apparaissent et soient commentés dans la littérature judéo-maghrébine. D’abord, en effet, l’ignorance, le manque à peu près complet de communication, puis l’impossibilité de concevoir l’ampleur de la catastrophe5. Lorsque cela se fera, ce sera le plus souvent par le biais de la poésie, comme nous l’avons vu chez Knafo, ou des formes brèves (Ryvel, Doukhan,..). De manière partielle et parfois embarrassée, comme nous allons le montrer : un seul roman et plusieurs recueils de nouvelles en font leur sujet intégral. Le roman est de Nine Moati et s’intitule La Passagère sans étoile (Le Seuil, 1989) : Jeanne est une jeune Française qui se retrouve prisonnière de l’Anschluss, à Vienne où elle s’est aventurée par amour. Ses années de guerre se résument à une longue errance à travers l’Europe à feu et à sang, avant qu’elle puisse regagner la France occupée pour y rejoindre la Résistance. Il s’agit là d’une pure fiction, sans lien réel avec le vécu de l’auteur, ni même de sa communauté d’origine. Images de la Shoah : Ryvel Dans ce panorama forcément rapide, je voudrais faire une part substantielle à l’œuvre de Ryvel, pseudonyme de Raphaël Lévy (18981972), connu essentiellement pour ses contes, nouvelles et novellas 6 de l’entre-deux-guerres, notamment L’Enfant de l’oukala, prix de Carthage en 1931. Car il est toute une partie de cette œuvre qui reste ignorée – et c’est sur cette partie que je voudrais insister à présent. Nouvelles et poèmes de guerre Durant la guerre, Ryvel se trouve au Maroc, où il dirige l’école de l’Alliance israélite universelle de Casablanca. En 1943 et 1944, il publie dans le journal Paris, édition de Paris-soir replié en Afrique du Nord, diverses chroniques, des scènes vues et des contes de France, très marqués par le souvenir de la guerre et le calvaire des Juifs d’Europe7. Puis, immédiatement après la guerre, ce sera Le Nebel du Galouth (Tunis, la Cité des Livres, 1946), un recueil poétique particulièrement sombre au sein duquel on lit l’horreur européenne, le récit de l’Holocauste, les camps de concentration, qui disent ici, enfin, leur nom : Jeunes Filles, éblouissant essaim, Jeunes Hommes sous vos smokings sévères, En quête de festivités légères, Voici s’ouvrir le bal des Assassins ! Ce qu’on y joue ? Un chapelet de danses : Valse, java, tango, swing, rumba, slow… Et pour corser le gala, à huis clos, sonné minuit, un concours d’endurance. — Où sommes-nous ? — À Matthausen, pardi ! — Qu’est-ce ? — Voyons, un effort de mémoire : chambres à gaz, bûchers, fours crématoires, gais cotillons : c’est un vrai paradis. […]8 Ce court mais dense recueil, composé dans les mois qui suivirent la Libération, présentant la « flore infernale » née au « jardin maudit des supplices de Hitler », de la révolte de Varsovie, longtemps passée sous silence dans l’historiographie juive9, aux promesses d’un sionisme revivifié10, constitue à nos yeux l’une des toutes premières marques de la prise de conscience de l’indicible de la Shoah. Destins, ou le ghetto à l’école La collection « Pages d’Alliance » que je dirige aux éditions Le Manuscrit.com/AIU a publié dans l’été 2008 un gros roman inédit de Ryvel, Destins, ou le ghetto à l’école, dont la composition montre bien qu’il s’agit, dans l’esprit de son auteur, de son opera maxima, de l’œuvre de toute une vie. Une œuvre maladroite toutefois, dont la composition fut plusieurs fois reprise, la publication maintes fois différée, ainsi que le prouvent les extraits donnés à différentes revues à des moments très divers de la vie de l’auteur11. Ce récit, qui s’étale sur une quinzaine d’années incluant la guerre, débute par l’installation à l’école de l’Alliance de la rue Malta-Srira de Ruth, une jeune institutrice tout juste sortie de l’ENIO. Elle ne tarde pas à se lier avec Simon, un jeune médecin dévoué et aimant. La seconde partie concerne la période de la guerre, pour laquelle Simon est aussitôt mobilisé. Il en revient avec une horrible blessure qui met à mal sa virilité et prive le jeune couple de tout espoir d’avoir des enfants. Sur la période de la guerre proprement dite, c’est à peu près tout. Dès lors, ce sont les enfants de l’Alliance – ceux que Simon soigne et que Ruth instruit – qui deviendront ceux du couple… si bien que la fin de leur univers est moins constitué par la découverte de la « Solution finale » que par le crash à Oslo d’un avion conduisant vers un sanatorium norvégien de jeunes orphelins dont ils s’étaient occupés12 – épisode qui constitue la troisième et ultime partie. Roman de toute une vie, Destins – où la guerre 1939-1945 ne tient finalement pas le rôle qu’elle aurait pu tenir – est une œuvre touffue et mal composée, écrite trop au fil de l’actualité et sans doute trop ambitieuse puisqu’elle envisage de brosser l’existence de la communauté juive de Tunisie sur un quart de siècle d’une histoire toujours plus riche et plus dramatique : le tournant de l’entre-deux-guerres, si important pour le devenir des judaïcités maghrébines, le choc de la guerre puis les espoirs de la création de l’État d’Israël et le sort des judaïcités au moment des décolonisations. Cela fait beaucoup pour un seul auteur, et la saga des Juifs d’Afrique du Nord reste encore à écrire ! Encore la nouvelle. Pourquoi la nouvelle ? Bien après la guerre, Victor Cohen Hadria consacre chacune des treize nouvelles de son recueil Isaac était leur nom (Albin Michel, 1997) au sort d’un Juif, homme ou femme, d’Europe centrale dont le destin a basculé au cours de cette terrible année 1940. Dans un autre recueil de la même époque, L’Arrêt du cœur (Denoël, 1998), une nouvelle de Rolland Doukhan, L’Homme aux oiseaux, met en scène les malheurs des Juifs autrichiens. La question que je voudrais poser ici, sans toutefois me soucier d’y répondre, est donc celle-ci : pourquoi, quand il s’agit d’aborder, que ce soit sur le coup des événements ou plus tardivement, la guerre en Europe et la disparition des Juifs ashkénazes, des écrivains, par ailleurs romanciers volontiers prolixes lorsqu’il s’agit de leur communauté, ne parviennent-ils plus qu’à s’exprimer à travers la forme brève – comme si un tel drame nécessitait brièveté et rupture ? AU-DELÀ DU DRAME : L’HUMOUR JUIF Je voudrais, pour clore ce florilège d’images sur une note moins tragique, évoquer deux cas de dépassement de l’horreur dans l’humour, ceux d’Isaac D. Knafo dans ses poèmes et de Claude Kayat dans un roman. Isaac Knafo : L’humour est enfant de poème Isaac D. Knafo est né à Mogador en 1910 et mort en 1979 au kibboutz de Ramat-Hakovech où il était venu s’installer en 1956. Peintre et poète, il n’avait guère diffusé de son vivant qu’un ou deux recueils, Les Jeux et Les Rimes et maroquineries. Mais après sa mort, son neveu Asher (qu’il en soit remercié) réunit à ses frais ses œuvres intégrales en deux volumes : le Mémorial de Mogador. Nourritures – contes – personnages (septembre 1993) et L’humour est enfant de poème (avril 1997). Dans ce dernier ouvrage, où sont reprises des œuvres déjà imprimées, figure un ensemble tout à fait extraordinaire de poésies de guerre, sous-titrées « pamphlets ». L’édition originale, nous dit la préface d’Asher Knafo, a paru à 2 500 exemplaires à Mogador dès septembre-octobre 1939, sous une couverture présentant sans ambages Hitler en gorille ! Mais quelques mois plus tard, les lois de Vichy s’appesantissant sur les judaïcités marocaines, la communauté de Mogador fait pression sur le poète afin qu’il détruise ce recueil compromettant – ce que fera Knafo. Et pendant plus de cinquante ans, on perdra trace de ces sonnets, jusqu’à ce qu’en préparant l’édition de L’humour est enfant de poème, Asher en retrouve par hasard un exemplaire. Une adresse au lecteur suffit à indiquer la virulence du recueil : J’ai vu fleurir la haine au pays des nazis, Et toute une nation subir la virulence De l’acide rongeur qu’en ses discours lui lance Un bouffon démentiel en guise de lazzi. Ce pitre malfaisant, par la fureur saisi, Prêchant la délation, le meurtre et la violence, J’ai senti que mon front, malgré ma nonchalance, De honte et de dégoût, devenait cramoisi. Le fouet satirique, entre mes mains débiles, À fustiger Hitler se montre malhabile ; Du moins exprime-t-il toute mon aversion. Et c’est pourquoi, lecteur, dussé-je te déplaire, Pour exhaler ma peine et crier ma colère, Je t’offre cet écrit rempli d’indignation. On y trouve même, bien évidemment sur le mode de la dérision, une Ode à Hitler qui tout à la fois se moque du modèle et de ces Odes à Pétain qui au même moment abondent sous la plume des poètes nord-africains, même parmi les mieux intentionnés (je pense ici notamment au jeune Jean Sénac, et à Jules Roy qui, lui, n’a même pas l’excuse de la jeunesse). Et l’on reste sidéré à la lecture d’un poème comme « L’Enfer » qui, s’il ne permet pas de soupçonner l’ampleur que prendra l’Holocauste, signifie déjà toute l’horreur des camps. Faut-il rappeler que nous ne sommes qu’en 1939, à l’aube de la guerre ? Claude Kayat : Hitler tout craché Claude Kayat est né à Sfax (Tunisie), en cette même année 1939. Il est l’auteur d’une demi-douzaine de romans, parmi lesquels Hitler tout craché (L’Âge d’homme, 2000). Il nous y présente Rémi Poirier, 17 ans, Français moyen, qui découvre avec stupéfaction, et à travers le regard des autres, qu’il ressemble terriblement à Hitler. D’abord il s’interroge : « Je me demandai si j’avais reçu un tel faciès en partage parce qu’un monstre couvait dans le tréfonds de mon être. Et si j’étais voué à faire le mal, à répandre autour de moi deuil et souffrance ? » Bien qu’il ne s’applique d’abord qu’au bien et à la vertu, il ne cesse de désobliger, du fait même de cette troublante ressemblance (p. 24-25 : incident dans le bus avec un handicapé). Les conflits nés de son physique conduisant à une somme de malentendus, il décide que « la vertu n’[es]t pas [s]on élément naturel » et [qu’]il s’y « sent ridicule ». Il finit donc par se convaincre que c’est « à faire le mal qu’[il] étai[t] plutôt destiné ». Décidé à « aller jusqu’au bout de [s]a ressemblance, jusqu’au terme de [s]a vérité, jusqu’à l’aboutissement de [s]on destin, quel qu’il fût. Et quel qu’en fût le prix », il s’abandonne donc pleinement à la condition que lui vaut cette ressemblance et s’applique à parfaire sa culture aryenne « en écoutant en boucle La Walkyrie de Wagner » ou en lisant et relisant Mein Kampf en version originale ! Il séduit Maryvonne – une marginale qui fantasme sur le Troisième Reich et avec qui il fait l’amour sur fond de vidéos racistes ou guerrières. Peu à peu, convaincu par une bande de néonazis, il parvient à se convaincre qu’il est « maintenant un Führer. Plus que son héritier, un second lui-même » (p. 73). Conclusion Mon propos, on l’aura noté, n’était pas de me montrer ici exhaustif, mais de relever quelques images originales, et propres sans doute aux œuvres littéraires. La littérarité, on l’a montré, induit un rapport particulier au réel, surtout lorsqu’il prend des formes aussi dramatiques. Dans un article sur le 8 novembre 1942 dans la littérature judéomaghrébine, Colette Toutiou Benitah, de l’université Bar-Ilan s’interroge : « Pourquoi cet acte de bravoure [la participation de la communauté juive à la résistance et au débarquement allié en Algérie et au Maroc] auquel ont participé quelque cinq cents jeunes Juifs d’Algérie n’a-t-il que peu inspiré les écrivains juifs nord-africains jusqu’à ce jour ? […] le massacre des Juifs d’Afrique du Nord, inscrit dans le projet d’extermination nazi, fut évité de justesse. Comment se fait-il que ce sauvetage n’ait donné lieu à aucune inscription dans la mémoire collective juive13 ? » Et Colette Touitou de donner trois raisons majeures à ce silence : « des consignes de silence venues de haut », une volonté d’humilité face à la tragédie incommensurable que représente la Shoah, et un manque chez les auteurs judéo-maghrébins « de tradition de prise de conscience dramatique du vécu » ayant pour conséquence d’évacuer « toute interprétation héroïque du passé ». En tant que critique littéraire, et pas seulement historien de la littérature, je privilégierais ce dernier motif. De qui, sinon d’un romancier, Claude Kayat, né en Tunisie à la veille de cette terrible guerre – Juif, certes, mais d’abord romancier –, aurions-nous pu attendre une comparaison aussi dérisoire ? Un point de vue d’artiste : ni exhaustif, ni objectif, donc – et pourtant si ressenti et si vivant qu’il fait écho en chacune de nos mémoires à tel souvenir vécu, à telle anecdote rapportée. Car tel est à mes yeux le pouvoir de la littérature. 14 L’élaboration du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord. Première période – expressions littéraires et historiographie par Haïm SAADOUN Introduction Le jeudi 15 février 1968 les membres du kibboutz Regavim se réunirent dans la Maison de la Culture du kibboutz. Comme il se doit, une petite estrade placée dans la salle accueillait une table et quatre chaises. L’assistance était constituée de membres du kibboutz. L’animateur de la réunion prit la parole : « La vérité est que nous ne savons pas grand-chose sur les années de la guerre en Afrique du Nord. Tout ce que vous nous raconterez sera pour nous nouveau et tout sera important. Je vous demande d’avance d’excuser nos questions qui seront empreintes de la réalité que nous avons connue. C’est-à-dire que nous essaierons de transférer à l’Afrique du Nord les concepts dont nous sommes familiers en ce qui concerne l’Europe de l’Est. J’imagine que nos questions vous sembleront plus d’une fois naïves ; c’est vous qui nous ferez percevoir en quoi le contexte était différent. Mes amis et moi-même sommes satisfaits d’avoir l’occasion de sortir du cercle dans lequel nous évoluons depuis tout ce temps et d’apprendre des choses se rapportant à la vie, la lutte et la souffrance des communautés juives d’Afrique du Nord1. » Autour de la table avaient pris place Itzhak Abrahami, Gad Shahar et Shoshan Cohen. Les deux premiers étaient appelés à marquer dans l’avenir, chacun dans son domaine, la recherche et la documentation des témoignages des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale. Le premier intervenant fut Itzak Abrahami, qui devait plus tard achever une thèse de doctorat sur les Juifs de Tunisie et fonder l’Institut pour la recherche sur le mouvement sioniste pionnier dans les pays d’islam à Yad-Tabenkin. La question de la guerre lui tenait à cœur, puisque cette guerre avait été la cause de son Alyah. Son ami, également membre du kibboutz et sensiblement du même âge, Gad Shahar, devait devenir l’un des meilleurs narrateurs de la période de Vichy et de l’occupation allemande, et ce n’est pas sans raison que le nouveau musée de Yad-Vashem a décidé d’exposer son témoignage sur de grands écrans plasma. Cette situation reflète en quelque sorte l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale et celle de la société israélienne. Cinquante ans après, les « témoignages » ne semblent pas apporter de nouvelles informations. En 1968, ils étaient peut-être nouveaux pour ceux qui y furent confrontés, mais ils restèrent sans écho. Les propos de l’animateur de la rencontre font allusion à leur caractère innovant. Mais il convient de poser quelques questions. Itzhak Abrahami et Gad Shahar arrivèrent à Regavim en 1944. « Le groupe nord-africain2 » qu’ils avaient fondé à Regavim était puissant et uni. La rencontre de février 1968 était-elle une première occasion pour les membres du kibboutz d’entendre ce que leurs frères d’Afrique du Nord avaient à raconter sur la période de la guerre ? Est-ce que les membres du groupe nord-africain s’étaient montrés réticents à ce sujet ou bien était-ce un indice du manque de conscience des membres du kibboutz à cet égard ? Ces questions doivent faire l’objet d’une recherche à mener auprès des membres du kibboutz. Cinquante ans après cette réunion cruciale, il semble que la recherche historique ait largement progressé et la place des Juifs d’Afrique du Nord dans la mémoire historique collective de la période de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale gagne en importance. On peut diviser l’historiographie et l’élaboration du souvenir de la guerre en cinq périodes. On retrouve, tissés dans chacune d’entre elles, les aspects de la mémoire et de l’historiographie. La première période, 1944-1954, est caractérisée par la rédaction et la publication des premiers témoignages de guerre et par le début de la recherche scientifique. La deuxième, 1956-1986, est celle du silence. La mémoire historique est reléguée au second plan et la recherche, s’il en est, en est encore à ses débuts. La troisième période, 1986-1997, s’inscrit sous le signe du développement de la recherche qui s’approfondit et pose ses bases ; néanmoins la mémoire historique n’est pas encore développée et n’a pas conquis sa place dans l’élaboration du souvenir historique des Juifs d’Afrique du Nord. La quatrième période, 1997-2006, assiste au déclin de la recherche scientifique tandis que l’intérêt des Juifs d’Afrique du Nord et celui du public en général vont grandissant. La dernière période, de 2006 à nos jours, révèle un équilibre entre recherche scientifique et prise de conscience publique, exprimée notamment par la déposition de témoignages relatifs à l’époque. Notre article portera sur la première période pour analyser comment les Juifs d’Afrique du Nord dans leurs pays respectifs décidèrent d’exprimer leurs souvenirs et leurs sentiments à l’égard des événements de la guerre. Cette époque, la plus proche des événements eux-mêmes, avant que les Juifs de la région ne la quittent et rencontrent des coreligionnaires ayant vécu la Shoah, avant qu’ils ne soient confrontés à l’un des ethos fondateurs de l’État d’Israël et du peuple juif après la guerre. Cette époque comporte d’autres facettes : que savait le Yishouv juif en Eretz Israël des événements d’Afrique du Nord ? Comment a-il réagi ? Ce sujet, quoique important, ne s’inscrit pas dans le débat présent car il risque de le détourner de son axe principal – soit les modes d’expressions publics de la guerre3. Ce genre de publications, traitant des Juifs d’Afrique du Nord pendant la guerre, fut absent de la vie du Yishouv en Eretz Israël4. Quelques articles furent publiés par des soldats ou des émissaires, mais pas davantage. Premières manifestations littéraires La période de l’après-guerre se fit l’écho de nombreuses protestations, explications et excuses. Ce sera la matière de notre présent débat. Mais les voix qui ne se firent pas entendre sont également révélatrices de la situation des Juifs à cette époque. D’un pays à l’autre, les réactions furent différentes. Certaines ne seront accessibles que des dizaines d’années plus tard, avec la découverte de journaux tenus par des Juifs sous l’occupation allemande en Tunisie. À ce jour5, on recense 38 écrits littéraires publiés après la guerre ou avant elle : 26 de Tunisie, 9 du Maroc et 3 d’Algérie. Nous n’avons pas trace de réactions littéraires de Libye pour la période ultérieure à la guerre. Quatre réactions ont été rédigées en français, deux en hébreu, les autres, en judéo-arabe. Seuls deux ouvrages antérieurs à la guerre ont été portés à notre connaissance ; ils font état de la crainte ressentie vis-à-vis de l’Allemagne. Les auteurs des textes rédigés en hébreu sont des rabbins qui traitent des événements de l’époque. Trois des textes en français sont des journaux de personnes actives dans la vie communautaire pendant la guerre. Le quatrième est un roman autobiographique écrit vers la fin de l’époque. L’ensemble de ces œuvres éclaire la période de manière assez complète. Il semble que ces différentes œuvres témoignent de l’importance accordée à l’actualité par ses contemporains. C’est l’événement qui a donné lieu au nombre de réactions le plus important. Il semblerait que cet échantillon de réactions ne représente que partiellement l’ensemble des écrits publiés après la guerre. Pendant la guerre ainsi qu’après la guerre, mais en moindre quantité, les Juifs s’exprimèrent sur cette période, ce n’est qu’au cours de la dernière décennie qu’ont été publiés ces journaux. On ne sait pas pourquoi ils ne l’ont pas été en leur temps. Il est plus facile d’expliquer pourquoi leur publication a lieu à présent, mais ce n’est pas notre propos. Les réactions au Maroc Dans « La Méguila de Hitler en Afrique du Nord », Michal Saraf divulgue plusieurs textes, principalement des complaintes écrites par des Juifs en Afrique du Nord6. Elle présente sept textes rédigés au Maroc, tous7 publiés après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, dans le cadre de l’opération Torch. Le débarquement américain fut considéré comme un événement miraculeux, destiné à sauver les Juifs. Ainsi N.D, auteur du qasida « Une voix appelle de Rome… » « Les Britanniques et les Américains détruiront tout mouvement hitlérien sur l’axe, sanctifiez la guerre aérienne et c’est par les Russes qu’arrivera le Salut8 » ou le qasida de Y. P « Maaouda… » décrivant le débarquement des Américains en citant sa date précise9. Outre la dimension du miracle, le débarquement américain est l’occasion d’annoncer au public le début d’une nouvelle ère. Les œuvres ne traitent pas de la « souffrance » des Juifs du Maroc. Il semble que leur sort soit secondaire par rapport à la délivrance du peuple juif écrasé sous le joug de son ennemi. Cela s’explique par au moins deux faits. Premièrement, les Juifs du Maroc étaient parfaitement conscients de la montée du nazisme au pouvoir et de la politique internationale de l’entredeux-guerres. La presse juive, et particulièrement L’Avenir illustré, publiait régulièrement des informations à ce sujet. Une autre explication peut être la crainte que le sujet de la condition des Juifs du Maroc soit néfaste aux Français, responsables de la souffrance des Juifs. Cette position peut être corroborée par les vœux et compliments dont la France fait généralement l’objet dans ces qasidas. Par exemple, dans « Une voix appelle de Rome… », le poète écrit : « Comme tu es belle Ô République, tu as apporté la liberté aux habitants d’Afrique10… » Et n’oublions pas que tous ces poèmes devaient obtenir l’accord de la censure française. La « Haggada de Hitler » est une exception. Elle comprend des descriptions historiques des batailles livrées en Afrique du Nord, de Libye en Algérie, et mentionne, quoique brièvement, l’abolition des décrets de Vichy au Maroc11. L’auteur a choisi le style de la « Haggada de Pessa’h » pour s’exprimer : « Si De Gaulle avait rendu aux Juifs leur travail, Sans sauver nos Pères, cela aurait été suffisant. Si de Gaulle avait sauvé nos Pères, Sans annuler les décrets contre les Juifs, cela aurait été suffisant. Si de Gaulle avait annulé les décrets contre les Juifs, Sans réinsérer les Juifs à leurs postes, cela aurait été suffisant12. » Cela semble être la description la plus détaillée de la situation des Juifs au Maroc ainsi que la plus concrète, mais d’un point de vue historique, elle manque de précision. La référence à de Gaulle, sauveur des Juifs du Maroc, est une forme de compromis qui permet à l’auteur de ne pas critiquer la France de Vichy, responsable de ces décrets. Autre point intéressant. Deux des qasidas approchent le sujet sioniste. Ainsi, dans le qasida de Hitler, l’auteur prie Dieu « pour qu’il permette à son Peuple de rejoindre la Palestine et le laisse y vivre en liberté13 ». Cela pourra être perçu dans l’esprit traditionnel liant la délivrance messianique au retour à Sion, mais aussi dans une perspective plus moderne, considérant Eretz Israël comme une alternative concrète à la détresse des Juifs du Maroc. Ce sujet sera développé plus amplement par la suite. Les réactions en Tunisie On peut diviser la réaction des Juifs de Tunisie selon la nature de la publication. Outre la poésie populaire, des journaux de guerre furent publiés et des rabbins s’exprimèrent également à ce sujet. La poésie populaire des Juifs de Tunisie sur l’Allemagne nazie a été publiée récemment par Avraham Attal14. Cette poésie était une des manifestations de l’intérêt porté à l’actualité et aux événements politiques. Attal a publié cinq élégies, dont trois réagissant à la prise du pouvoir par Hitler et décrivant la situation des Juifs allemands sous le régime hitlérien. Ces élégies ne s’intéressent pas au destin des Juifs de Tunisie, mais elles ont été un moyen d’expression supplémentaire pour informer les Juifs de Tunisie de la situation de leurs confrères d’Allemagne. Notre article porte sur les autres élégies. Contrairement aux descriptions présentées par les auteurs marocains, les Tunisiens approchent directement les souffrances des Juifs sous l’occupation allemande (novembre 1942 à mai 1943). « La complainte de nos victimes des travaux (forcés) allemands » est en fait un appel de l’auteur, Gaston Guez, à l’achat de son ouvrage (« Mes frères, achetez mon livre, j’y ai travaillé nuit et jour ») sur ce sujet. L’auteur intensifie la pénible expérience de l’occupation en évoquant l’écart entre l’existence tranquille et heureuse des Juifs de Tunisie et les souffrances infligées par l’occupation allemande. La souffrance évoque les morts, la vie dans les camps et l’inquiétude des familles. Les couplets suivants du poème15 illustrent ces trois aspects. nous voilà sous les bombardements astreints à un travail sans pitié les poux nous dévorent la vermine, la saleté, nus et affamés sous la douleur nos os s’effritent nous travaillons dans l’effroi nos amis sont morts sous nos yeux pauvres innocents je les ai vus (mourir) et je me combien notre cœur supportera demande la séparation du père et des fils de la jeune fille et de son fiancé a exilé les habitants de leur ville qui sont réfugiés devenus de pauvres Le deuxième poème, un poème sur Kamous qui nous est parvenu16, de Shimon Hacohen, présente un autre aspect de l’occupation, celui de la tâche du Conseil de la communauté, chargé du recrutement des travailleurs au travail obligatoire17 : Le Conseil déclare et embarque les gens et moi, je me cache sur le rayonnage Oh mon Dieu comment m’a-t-on pris ? on m’a dit « Juif, viens avec nous » nous étions tout un groupe nous avons été menés à l’école où nous avons été enfermés et nos cœurs s’angoissent on a inscrit nos noms et nous voilà, pioche en main Il y a eu distribution de gros pain et de confiture L’attitude envers le Conseil est très distante. La colère à son égard est retenue. Ce sujet reviendra dans les débats ultérieurs à la guerre. Le poème décrit aussi la joie à l’occasion de la libération (« Comment puis-je ne pas me réjouir18) » et se termine par la louange des soldats français (« Vive la France […] elle ne baissera pas son drapeau […] Elle nous a donné la liberté […] ». Il semble qu’il soit nécessaire de reprendre l’interprétation proposée pour la description des poèmes marocains, valable également pour les œuvres tunisiennes. Il existe aussi peut-être une raison supplémentaire : certains éléments de la société juive continuaient à considérer la France comme un sauveur, comme le pays qui avait accordé aux Juifs la liberté, et même les événements de la guerre, liés davantage à l’Allemagne, ne pouvaient l’effacer. Il semble que les réactions furent différentes au sein des divers groupes de la société. La troisième complainte décrit la souffrance des Juifs dans les camps de travail obligatoire. Les expressions de la souffrance personnelle y sont amplifiées19. Par exemple : « On dormait dans l’obscurité, toute la nuit se passait en méditations […] mes mains sont blessées par la pioche […] mes mains sont desséchées par la pioche […]20. » La complainte fait aussi allusion à la situation économique en Tunisie sous l’occupation : À cause d’eux il y a des tickets et presque plus de pain ils ont chargé quelques camions et nous ont laissés affamés ils nous ont livrés au marché noir que feras-tu père de famille ? même en travaillant jour et nuit tes enfants connaîtront la pénurie tu lutteras aussi, toi mère et tu ne trouveras ni viande, ni poisson ni pommes de terre, légumes ou les marchands de beignets sont œufs fermés21 Il semble que pour la première fois la question de la situation économique et de la pénurie qui régnait pendant l’occupation soit abordée. La description très détaillée laisse entendre que l’auteur a vécu cette situation dont il témoigne précisément. Les trois élégies mentionnent les noms de treize lieux dans lesquels se sont trouvés leurs auteurs ou dans lesquels des Juifs ont été astreints au travail obligatoire. Le premier poème, « Nos morts », mentionne les lieux suivants : Sfax, Nabeul, Sousse, Bizerte, Alauina, Kasr Eltir, Makhtar, Djebibina. Dans la deuxième élégie (Kamous), sont mentionnés deux des endroits cités dans la première, Kasr Eltir et Djebibina. Dans la troisième, « L’élégie des opprimés », on note dix endroits : Kasr Eltir, Zagouan, Djebibina, Mégrine, Alauina, Makhtar, Bizerte, Sidi Ahmed, Feryville, Enfidaville. Il semble que la troisième élégie soit la plus tardive et que l’auteur se soit servi des deux précédentes pour décrire les différents endroits et apporter une dimension historique plus fiable à son œuvre. Outre les deux complaintes écrites par des Juifs tunisiens après l’occupation allemande, Michal Sharf a publié des informations sur dix autres élégies datant de la période de la guerre et de l’après-guerre22. Leurs titres laissent déjà entendre que trois d’entre elles traitent directement de la vie sous l’occupation allemande, les autres de la libération et de sujets historiques généraux liés à la guerre. Itzhak Mamou, Juif lettré vivant à Nabeul et traducteur en arabe de l’œuvre d’Avraham Mapou Ait Tzavoua (Le Vautour hypocrite), nous apporte une description fondamentale, quoique trop brève. Dans son introduction à l’œuvre traduite, Mamou décrit l’occupation de Nabeul par les Allemands, notamment son dernier jour23. Son témoignage comporte deux aspects méritant une attention particulière. Premièrement, il se montre conscient de l’importance du travail de documentation, pour reprendre ses propos : « Cette situation m’a profondément préoccupé et j’ai eu l’idée d’écrire sur ces événements pour que subsiste un témoignage pour l’avenir, mais je me suis demandé où était ma place parmi tous les savants qui avaient déjà écrit à ce sujet, et après avoir longuement réfléchi je me suis dit qu’il était préférable de me consacrer à quelque chose qui apaiserait mes soucis et m’aiderait à oublier cette tragique époque. C’est ainsi que j’ai commencé à traduire Ait Tzavoua. J’ai commencé la traduction en novembre 1942 et je l’ai terminée en mars 194324. » Ce témoignage est passionnant mais soulève une question en ce qui concerne sa date : si cette introduction date de 1942, qui aurait eu le temps d’écrire et de publier avant lui ? D’autre part, le témoignage est divisé en deux parties. La première, très générale, n’apporte rien de nouveau. Dans la suite, qu’il intitule « Deuxième introduction », il explique qu’après le travail de traduction et étant donné qu’il était impossible de publier un livre, il ajouta une description des événements des derniers jours de l’occupation à Nabeul, soit les 10-11 mai 1943. Comparativement à la première introduction, cette description est très détaillée et, comme l’a démontré Hayoun dans son article, elle s’avère, au vu de documents trouvés par la suite. La « Deuxième introduction » attire notre attention sur les amendes imposées aux Juifs de Tunisie par les Allemands25. Le cas de la communauté de Nabeul est celui d’un véritable sauvetage. Le sursis et l’atermoiement entraînèrent le retrait des Allemands et finalement, la communauté ne paya pas l’amende de deux millions de dollars qui lui avait été imposée. Les choses furent tout autres dans d’autres communautés. L’histoire de celle de Djerba est rapportée par le rabbin Khalfon Moshé Hacohen26 : le samedi 13 février 1943, des hommes de la Gestapo, arrivés en deux voitures, exigèrent de la communauté qu’elle réunisse en trois heures et demie 50 kg d’or. C’est le seul cas recensé d’une demande d’or plutôt que d’argent, indiquant peut-être que les Allemands connaissaient l’activité traditionnelle des Juifs de Djerba27. Comme à Nabeul, le temps pressait. Les Allemands n’avaient donné que trois heures pour réunir l’or. Bien que toute la quantité n’ait pas été réunie, les Allemands partirent avec ce qu’il y avait et ne revinrent pas. Djerba fut elle aussi sauvée par l’arrivée des Anglais28. Il semble que ces sources rabbiniques apportent de précieuses informations sur les divers et complexes aspects de cette période. La dernière source en hébreu fournissant des informations sur la guerre provient de la ville d’El Hamma, lieu du tombeau de Rabbi Yossef Hamaaravi. Elle relate l’histoire miraculeuse du tank allemand qui fut arrêté alors qu’il cherchait à défoncer la muraille de la sépulture29. C’est la première fois dans l’histoire des Juifs de Tunisie que les leaders de la communauté rapportent les événements de l’actualité dans des journaux. Dès la fin des combats en Tunisie, le 7 mai 1943, trois Juifs tentèrent de reconstituer l’histoire de la guerre et la place qu’ils y tinrent. Ceux qui avaient contribué aux événements se dépêchèrent de les relater à leur manière. Les chefs des communautés d’Algérie et de Tunisie se hâtèrent de rédiger et de publier leurs mémoires/versions des faits concernant les événements, notamment leur contribution à la tournure qu’ils prirent. Il s’agit de versions subjectives et très tendancieuses. Pour nous, aujourd’hui, ces comptes rendus sont de grande valeur. La plupart des carnets des dirigeants communautaires ont déjà été publiés dans le passé. Robert Borgel publia l’ouvrage Étoile jaune et croix gammée30 en janvier 1944, huit mois environ après la conquête de la Tunisie par les nazis. Robert Borgel était le fils de Moïse Borgel, président de la communauté juive de Tunisie, figure clé de la communauté sous l’Occupation. Robert était secrétaire du groupe d’étude et de documentation fondé par de jeunes Juifs érudits qui s’étaient fixés comme objectif de sonder la signification de la guerre pour les Juifs tunisiens. Dès l’introduction, il fait état de l’importance historique de son ouvrage quant aux critiques formulées à l’égard du comportement des dirigeants juifs pendant la conquête et quant à la compréhension de la haine nazie. Ainsi, il considérait déjà en 1944 que cette publication s’insérait dans « la longue histoire des persécutions hitlériennes31 ». Le livre commence par un chapitre sur la période allant du début de la guerre aux premiers jours de l’occupation allemande. Ce fait a toute son importance car la période de Vichy, de ce qu’il est possible d’en saisir, fait pâle figure comparée à la période allemande. Les autres chapitres suivent un ordre chronologique, consacrés principalement à la conduite des dirigeants, et plus particulièrement celle du père de l’auteur. En juillet 1944, l’avocat Paul Ghez32, qui s’était porté volontaire pour diriger la commission de recrutement de main-d’œuvre pour l’armée allemande, publie ses mémoires, qui sont rédigés dans un ordre chronologique quotidien et ce n’est peut-être pas le fait du hasard. Il est vraisemblable que Ghez a vu le livre de Borgel mais la raison de sa publication est différente. Ghez ne rédige pas d’introduction à son ouvrage, ce qu’il laisse aux bons soins de son ami Charles Soumille33. L’introduction relate surtout la vie de Ghez et donne peu d’informations sur l’époque. Le livre débute par la description des événements du 8 novembre 1942, date du débarquement des Américains en Afrique du Nord dans le cadre de l’opération Torch. Le choix de cette date par Ghez et Borgel n’est pas le fruit du hasard. En effet, ce jour fut un tournant dans l’histoire de la Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces deux ouvrages se basent vraisemblablement sur des carnets ou journaux tenus pendant l’Occupation, ce qui explique la grande précision avec laquelle les informations sont rapportées. En 1946, un mohel nommé Gaston Guez, publie un ouvrage supplémentaire : L’Élégie de nos morts sous l’occupation allemande34. À l’encontre des deux autres livres, celui-ci fut d’abord rédigé en judéo-arabe puis en français (juin 1946). Le livre porte surtout sur les victimes juives de la guerre, aspect occulté dans les ouvrages des dirigeants communautaires. Guez était mû par un motif personnel, la mort de son frère, travailleur forcé, lors du bombardement de l’aéroport de l’Aouina. Le livre comprend des photographies et les biographies d’une partie des travailleurs morts dans les camps. Guez accuse les dirigeants de la communauté juive en Tunisie. Lorsque ces derniers reçurent l’ordre de réunir des travailleurs pour le travail obligatoire, ils prièrent les Juifs de se rendre à la synagogue, relate Guez : « Et ce jour-là, les coreligionnaires se réunirent à la synagogue à l’heure indiquée. Mais oh miracle ! On ne comptait dans l’assistance que les plus pauvres de nos frères ! Et ils s’écrièrent : où sont les autres Juifs ? Pourquoi les riches s’en sortent-ils et les pauvres sont voués au travail obligatoire35 ? » L’attitude des chefs de la communauté est l’un des principaux sujets traités pendant la guerre. À l’encontre des deux ouvrages précédents, il s’agit là d’un livre très humain, tant sur le plan personnel que public. La mention du nom des victimes constitue une sorte de mémorial et il semble que si Gaston Guez n’avait pas recueilli tous ces documents sur les Juifs, nous n’aurions certainement jamais entendu parler de ces victimes. La question des morts et des blessés pendant la guerre aura toute son importance dans les débats sur la place du judaïsme tunisien à l’époque de la Shoah. Comme pour le livre de Borgel, il faudra attendre plus de quarante ans la publication de l’ouvrage d’André Attal sur les Juifs tués pendant la guerre en Tunisie36. Il semble qu’aucun des dirigeants de la communauté juive du Maroc n’ait publié ses mémoires sur cette époque immédiatement après la guerre. Les Juifs marocains ayant été relativement moins touchés que ceux des autres pays pendant la guerre, cela n’est peut-être pas le fait du hasard. Il en est de même pour les dirigeants de la communauté juive de Libye, bien que ce pays connût des événements difficiles, tragiques et très intéressants pour l’historien en ce qui concerne le rôle des dirigeants juifs. Le fait que les dirigeants de la communauté se soient empressés d’écrire et de publier leur version des faits pendant la guerre nous renseigne tout d’abord sur l’importance qu’ils attribuaient à cette période et sur le rôle décisif de certains d’entre eux. Il ne s’agit pas là de documents historiques scientifiques mais d’une véritable tentative en vue d’ancrer la réalité qui leur était contemporaine. La Libye et l’Algérie En 1945, Maurice Eisenbeth, grand rabbin de la communauté juive d’Algérie, publia son livre Pages vécues, sur l’époque de Vichy en Algérie. En 1946, un Juif nommé Félix Chiche, publia Livre d’or et de sang sur les Juifs originaires principalement d’Algérie qui avaient combattu dans les rangs de l’armée française et étaient morts au champ d’honneur pendant la Seconde Guerre mondiale37. Cet ouvrage ne traite pas directement de la guerre en Algérie mais le fait qu’il ait été publié en 1946 constitue à lui seul un rappel des événements de la guerre et renforce la douleur et la tristesse liées à Vichy. L’auteur commence son livre en remerciant les commandants de l’armée qui contribuèrent à sa rédaction. Le général Georges Barré, commandant en chef des forces françaises en Tunisie, rédigea lui aussi une préface au livre. La Libye, comme nous l’avons indiqué précédemment, n’a pas donné naissance à des ouvrages littéraires significatifs après la guerre38. À mon sens, et à ma connaissance, des poèmes rédigés après la guerre ne furent publiés que bien plus tard. Mais il semble que, bien qu’ils n’aient pas été publiés, ils aient été connus de la communauté39. Les habitants de Khoms connaissaient les poèmes du rabbin Frigia Zouretz et les récitaient, en chantaient certains en public (« La nouvelle génération », « Les fleurs de la vie », « La voix de D. nous appelle », etc.). Ces poèmes faisaient partie de l’éveil sioniste que le rabbin avait suscité dans sa communauté. Le poème « Ma patrie », composé par Shalom Benatiya en Libye, a sans aucun doute été chanté à plus d’une occasion dans les forums de « Ben Yehouda » et autres rencontres amicales. Comment se fait-il donc que rien ne fût publié en Libye après la guerre ? En supposant que l’on ne découvrira jamais ces écrits, au moins deux explications sont possibles. Premièrement, l’importance des dégâts causés par la guerre et le nombre des victimes dans le camp de Jado constituaient la préoccupation essentielle de la communauté juive. Elle se préoccupait surtout de la vie quotidienne, comme nous l’a indiqué l’un des chercheurs travaillant sur cette époque. L’autre explication, me semble-t-il, tient à une tradition qui date d’avant la guerre. À cette époque, en comparaison avec le Maghreb français, le nombre des ouvrages littéraires publié était moindre. Les lettres de Moshé Mosinson, publiées dans un recueil dès 1944, contribuèrent grandement à faire connaître le sort des Juifs libyens pendant la guerre. Derniers témoignages et recherche Albert Memmi, Michel Ansky et Jacques Sabille marquent la première période. Albert Memmi, auteur de La Statue de sel, roman autobiographique rédigé en français, deviendra le plus grand écrivain juif originaire de Tunisie. Michaël Ansky et Jacques Sabille sont les auteurs de deux études portant sur cette époque, études initiées par le Centre de documentation juive contemporaine, créé le 23 avril 1943 par Itshak Schnéorson, qui préfaça les deux ouvrages. Jusqu’au milieu des années 1950, le Centre publia environ vingt-cinq livres sur la guerre en France, la Shoah et la Résistance, dont les livres de Sabille et d’Ansky. Ce dernier avait effectué un voyage d’étude en Afrique du Nord et il semble qu’une partie des archives du Centre sur les Juifs d’Afrique du Nord ait été recueillie dès cette époque assez précoce. Pour le Centre de documentation juive, l’histoire du judaïsme d’Afrique du Nord pendant la Shoah fait partie intégrante de l’histoire de la Shoah et en est indissociable. Tandis que les premiers témoignages et premières expressions littéraires étaient rédigés en Afrique du Nord, les deux premières études historiques étaient, elles, rédigées en France, suite à une initiative française juive. Albert Memmi et le livre La Statue de sel Memmi délaissa les descriptions contemporaines au profit d’une tentative de mieux comprendre son époque, pour laquelle son ouvrage posa les fondements de la recherche historique. Dans son autobiographie, La Statue de sel (première publication en 1953)40, il consacrera de nombreuses pages à la guerre. Ses descriptions constituent la pierre angulaire qui permit de comprendre la réalité à cette époque, avec dix ans de recul et la situation de la Tunisie à l’époque de la publication du livre. Il semble que Memmi ait présenté pour la première fois les fondements de la recherche et de la mémoire collective futures. En voici quatre : 1. Quelle fut la place des dirigeants de la Communauté et comment fonctionnaient-ils en Tunisie pendant l’Occupation ? 2. Quel fut le rôle de la France dans les événements ? Cela étant, la France pouvait-elle se porter garante de la sécurité et de l’avenir des Juifs de Tunisie ? 3. Quelle était la vie juive dans les camps ? 4. Que signifie cette époque ? Memmi ne se contenta pas de décrire les événements mais il tenta de saisir leur signification comme tournant dans l’histoire des Juifs de Tunisie. Nous pouvons supposer qu’il s’inspira, pour les descriptions de son autobiographie, des journaux qu’il tenait, semble-t-il, dans sa jeunesse, voire à cette époque41. Nous allons illustrer l’importance de cet ouvrage pour la compréhension de la façon dont les Juifs de Tunisie firent face au souvenir de la guerre dans La Statue de sel par deux exemples. L’un concerne les dirigeants de la communauté juive, l’autre la signification de la guerre. Les débats sur le fonctionnement des dirigeants de la communauté juive n’ont jamais été aussi virulents. Voici ce qu’en dit Memmi à l’époque de l’Occupation : « J’ai, par ailleurs, assez de griefs contre nos bourgeois, pour oser le dire42. » Mais l’opposition aux chefs de la communauté juive datait de bien plus tôt, elle est bien plus acérée et mordante : « Je compris, dans les bureaux, que si les bourgeois s’étaient attelés à la tâche, c’était d’abord pour se sauver et sauver leurs enfants43. » C’est une attaque personnelle et directe contre l’élite des dirigeants communautaires juifs de Tunisie à l’époque des Allemands. La seconde épreuve de Memmi est celle de la crise identitaire que connurent les Juifs tunisiens sous l’occupation allemande. Sous Vichy et l’Occupation, les Français et leur culture le déçurent énormément. Il en arrive à une révélation très pénétrante : « Il m’aurait fallu tout retrouver par moi-même, tout construire, vérifier toutes les propositions. Peut-on construire avec de la colère et des émotions, de l’indignation et de l’envie, du dépaysement et de la honte ? […] Moi je suis mal à l’aise dans mon pays natal et ne m’en connais pas d’autre, ma culture est d’emprunt et ma langue maternelle infirme, je n’ai plus de croyances, de religion, de traditions et j’ai honte de ce qui en eux résiste au fond de moi44. » Pour Memmi, la guerre est donc le passage du stade de l’universel (celui de l’identification avec les valeurs de la Révolution française) au stade de l’individuel, du national, voire même du sionisme. C’est l’inverse du stade précédent dans le processus de modernisation des Juifs de Tunisie, qui lui alla de l’individuel, du national-religieux, vers l’universel. Dès sa parution en 1953, La Statue de sel fut fortement critiquée, principalement pour la façon dont était présentée la communauté juive. À ma connaissance, le thème de la guerre ne fut pas l’objet des critiques qui s’élevèrent contre Memmi. À noter que le livre parut à un moment des plus cruciaux pour les Juifs de Tunisie, le moment où ils devaient décider de leur avenir dans ce pays à la lumière de la lutte nationale tunisienne, d’une part, et de la création de l’État d’Israël, d’autre part. Michel Ansky et les Juifs d’Algérie Michel Ansky fut le premier à réaliser une étude sur la guerre45. Bien que le titre de l’ouvrage ne laisse en rien présager de sa teneur, le livre traite des Juifs d’Algérie pendant la Seconde Guerre mondiale. Les préfaces, les treize chapitres, l’épilogue et les annexes, tous en parlent. Les trois premiers chapitres qui parlent des Juifs d’Algérie jusqu’aux années 1930 sont essentiels, du point de vue de l’auteur, à la compréhension de la situation des Juifs pendant la guerre. La majeure partie du livre traite de l’application des décrets de Vichy en Algérie. Les descriptions sont détaillées et bien documentées. Il me semble qu’Ansky est le premier à avoir soulevé le sujet de la résistance juive en Algérie et parlé de sa contribution à l’opération Lapid. L’introduction d’Itshak Schnéorson, le fondateur du Centre de documentation juive contemporaine à Paris, qui traite essentiellement de la Shoah, nous fournit quelques informations intéressantes sur le travail d’Ansky. Il écrit entre autres : « M. Marius Moutet, alors ministre de la France d’outre-mer, M. Justin Godart, notre président, munirent M. Ansky de toutes les introductions désirables. Les portes, les archives lui furent ouvertes46. » Ensuite, il précise qu’il a pu avoir accès à toutes les archives grâce aux lettres de recommandation reçues, entre autres, du ministre chargé des Colonies d’outre-mer. L’introduction d’Henri Albuker est également des plus intéressantes. À son sens, l’importance du livre tient au fait qu’il démontrera que les Juifs d’Algérie ont « bien mérité de la France et du judaïsme47 ». La mention même de ce sujet délicat, celui de la contribution à la France et de la contribution au judaïsme a son importance, notamment parce que celui qui la mentionne appartient à une famille dont la contribution à la France en Algérie fut essentielle. Dans sa conclusion, il établit un rapport entre l’histoire juive, la résistance juive et la guerre d’indépendance de l’État d’Israël. Les propos d’André Philipp, ministre juif de l’Économie nationale en France de 1946 à 1947, conscient de la minutie de l’« entreprise historique » d’Ansky, concluent le livre. Philipp avait pris part aux événements et avait agi en vue de rendre leurs droits aux Juifs algériens. Il porte une attention toute particulière à la Résistance juive et à sa contribution à l’opération Torch : « Sans l’héroïsme de ces jeunes gens, […] le débarquement américain aurait pu être un échec et la guerre se serait prolongée de plusieurs mois au moins48. » Jacques Sabille et les Juifs de Tunisie sous l’Occupation Nous devons la seconde étude historique sur la guerre à Jacques Sabille49. Datant de 195450, elle traite de la Tunisie sous l’occupation allemande. C’est une étude parfaitement documentée. Il semble que son auteur ait résidé en Tunisie, y ait recueilli des documents, s’y soit entretenu avec les principaux protagonistes avant de se lancer dans la rédaction de son ouvrage. Jacques Sabille établit l’une des orientations de la recherche ultérieure et de la mémoire collective des Juifs de Tunisie : l’époque de Vichy fut insignifiante par rapport à celle de l’occupation allemande. D’ailleurs, il n’y consacra qu’un chapitre de six pages51. Le bref laps de temps qui s’est écoulé entre la guerre et la parution du livre explique peutêtre cet état de fait. En effet, Vichy était encore un sujet tabou dans la société française. La période allemande fait l’objet de minutieuses descriptions dans sept sous-chapitres : le travail obligatoire, la structure du comité de recrutement au travail obligatoire, les camps, les amendes, la terreur allemande, la résistance et l’attitude de la population juive. Les chapitres consacrés à la structure du comité de recrutement au travail obligatoire et aux camps, sous-divisés, sont les plus longs. Sabille est un excellent peintre : il cite des noms, des lieux, des dates et présente d’importants documents en français ainsi qu’en allemand. Il semble que, pour celui qui désire se documenter sur cette époque, ce soit là l’étude la plus détaillée et la plus documentée ayant été réalisée jusqu’à ce jour. Entre histoire et mémoire historique Les manifestations littéraires présentées dans cet article permettent d’affirmer avec une certitude presque totale que la guerre constitua un tournant dans la vie de la communauté juive en Afrique du Nord. Cette richesse littéraire reflète l’importance accordée par les différents auteurs à cette époque. Conscients du « jugement de l’histoire », ils s’empressèrent d’exprimer leurs opinions et d’avancer des explications aux événements. Les témoignages se retrouvent dans les diverses couches de la population et reflètent des aspects divers, tous douloureux, de l’époque, notamment le rôle des dirigeants de la communauté juive. En effet, la période qui nous préoccupe actuellement fut une des plus significatives pour le sort des Juifs en Afrique du Nord. C’est à ce moment que se formèrent les processus historiques au terme desquels il était évident que la France mettrait fin à son pouvoir colonial en Afrique du Nord et que le sort des Juifs en serait décidé. L’issue de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord constitue le point de départ de ces processus, de cette décision historique. L’inventaire des expressions littéraires pendant la guerre reflète très clairement le caractère de l’époque. C’est entre 1943 et 1946 que furent publiés la plupart de ces ouvrages. Entre 1946 et 1953, leur nombre diminue et il semble que la communauté délaisse ce sujet. Les communautés juives étaient alors occupées à se rebâtir, économiquement et physiquement, et elles n’avaient peut-être pas le loisir de se pencher sur cette question. Trois des plus importants ouvrages qui laissèrent leur empreinte sur cette période furent rédigés durant les dernières années de la présence française, entre 1953 et 1956. Les années 1946-1953 sont caractérisées par des processus historiques des plus nets. D’une part, l’affaiblissement de la France sur la scène internationale, sur la scène domestique en Afrique du Nord ainsi que le renforcement des voix supportant la décolonisation ; d’autre part, le renforcement des mouvements nationaux en Afrique du Nord œuvrant pour la libération du joug colonial ainsi que le soutien arabe et international à ces actions. Entre le marteau et l’enclume, les Juifs, unis pendant des centaines d’années aux pays d’Afrique du Nord, y avaient créé leur propre patrimoine culturel. Les communautés qui avaient lié leur sort à la France à l’époque coloniale se posaient alors la question de leur avenir, de leur intégration dans le tissu politico-socio-économique qui renaîtrait dans ces divers pays. Ces questions étaient des questions clés pour comprendre le comportement de la communauté juive. Il semble que l’on puisse distinguer trois grands types de réactions : les sionistes, qui gagnaient en force après la guerre et étaient grandement soutenus par les émissaires de l’État d’Israël naissant ; les assimilés de toutes sortes, qui pensaient que le processus était réversible et qu’ils pourraient continuer à vivre leur vie dans ces pays ; enfin, les indécis, qui avaient du mal à assimiler ces processus et leur signification. Une étude des différentes publications nous indique que pratiquement tous établissent un lien entre la guerre et les Allemands en Tunisie d’une part et la délivrance et le retour à Sion d’autre part. C’est ainsi par exemple que Houati Serroussi, de la communauté de Gafsa, achève son poème « Nous vous raconterons ce qu’il est advenu de nous » : Bientôt, la détresse et l’angoisse disparaîtront le Messie viendra et nous le fêterons et nous reviendrons dans notre cher pays Dans la ville de Sion l’annonciateur viendra à nous et il nous contemplera le Temple et le baldaquin seront bâtis le Messie couronné Couronné d’or, toutes les nations le craindront, le drapeau flottera au-dessus des murailles et nous nous réjouirons et jubilerons52 L’expression de la rédemption et le rapport à la Terre promise sont très nets et, comme indiqué précédemment, accompagnent tout débat sur la fin des temps et la délivrance. En 1948, après la création de l’État d’Israël, il rédigea un autre poème, « Quel beau pays », dans lequel on peut lire, entre autres : « … J’y viendrai rapidement, je respirerai son bon air… Je vendrai tout ce que je possède et j’y partirai53… » La signification de ces propos est très claire. Il s’agit de la concrétisation de l’idée du retour en Eretz Israël ; il ne s’agit plus d’une vision de la fin des temps, plus d’une délivrance, mais d’une réalité bien concrète envers laquelle l’auteur ressent une obligation personnelle de concrétisation. Conclusion Les diverses réactions littéraires publiées après la guerre, notamment les poèmes en judéo-arabe, ont une importance extrême. Elles sont l’expression des Juifs, peuple qui a souffert plus que tous les autres pendant la guerre. La poésie en judéo-arabe reflète la détresse, la pénurie, la peur. Bien que le judéo-arabe n’ait plus joui du même statut54 et qu’après la guerre cette langue fût sur le déclin, certains la considéraient cependant comme le moyen et l’outil essentiel de l’expression de leurs messages et idées. Ils s’adressaient bien évidemment à un public bien défini. Les réactions rédigées en langue française sont d’un type différent. Elles sont destinées à l’histoire, visent à documenter sans tarder la contribution aux événements si significatifs qu’a connus la communauté. Il est difficile aujourd’hui de reconstituer ce que furent les réactions dans les divers pays à la lecture des poèmes et des mémoires. Mais la littérature ne fut pas la seule réaction à la guerre. Nous pouvons en indiquer au moins deux autres, des plus intéressantes. La première, la création de monuments à la mémoire des événements de cette époque ; la seconde, une presse juive locale. Deux monuments en souvenir de la guerre furent érigés au Borgel, le plus important cimetière juif55 de la communauté juive de Tunis. En 1947, un mémorial fut élevé à la mémoire des travailleurs du travail obligatoire tués pendant l’occupation allemande et en avril 1948, un autre à la mémoire des Juifs déportés de Tunis pendant la guerre et des Juifs tombés au champ d’honneur. L’inauguration de ce mémorial fut faite en présence du grand rabbin de France de l’époque, Iseie Schwartz et des dirigeants de la communauté juive. À l’exception d’un monument similaire élevé à la mémoire des volontaires juifs dans l’armée française tués pendant la Première Guerre mondiale56, il s’agit là des seuls mémoriaux élevés dans des cimetières. Cela témoigne de l’importance que les Juifs, voire même les autorités françaises, accordaient à cette époque. Ces mémoriaux, non seulement reflètent l’importance de cette époque mais servent également de lieux de recueillement pour les commémorations annuelles. La presse juive publiée en Afrique du Nord était très importante57. Comme toutes les presses, elle reflétait les principaux événements et exprimait des opinions sur des sujets divers. Cependant, nous pouvons affirmer, après avoir consulté les principaux journaux juifs publiés après la guerre, qu’elle ne se fit pas le reflet ni ne traita de la période de Vichy, de l’occupation allemande de la Tunisie et de la guerre en Libye58. La Gazette d’Israël, par exemple, journal sioniste qui paru avant et après la guerre, ne consacra pratiquement aucun article ni aucune information à cette période. La description du sort des Juifs en Europe, même pendant la guerre, occupe, elle, une place de choix. La Voix juive, l’un des grands journaux juifs d’Afrique du Nord, dont le rédacteur était Félix Allouche, surprend encore plus. Avant la guerre, Félix Allouche publiait l’important journal Le Réveil juif, dans lequel il s’élevait contre les expressions antisémites en Tunisie et appelait à un boycott allemand. Après la guerre, on ne trouve aucune information ni aucun article sur l’époque. Il en est de même pour le journal Noar, qui paraissait au Maroc. Le journal publia des articles sur le ghetto de Varsovie, sur l’antisémitisme mais rien sur la guerre au Maroc. Le Bulletin de la Fédération des sociétés juives d’Algérie, paru entre 1934 et 1947, sort, à ce titre, de l’ordinaire. À ma connaissance, ce fut le seul journal juif à paraître pendant la guerre. Sous Vichy, il continua à se faire l’écho du judaïsme d’Algérie et de l’organisation d’assistance des Juifs touchés par les mesures de ce gouvernement. Pour notre propos, les informations qu’il publia sur la guerre sont encore plus intéressantes59. La position politique de l’Algérie est, semble-t-il, ce qui permit la publication de ce journal pendant la guerre ainsi que les descriptions importantes qui y apparurent. Pour compléter notre tableau et pour réaliser une étude comparative de l’époque, il serait intéressant d’examiner les réactions juives par rapport à celle des autres groupes de la population comme les Tunisiens, les Français ou les Italiens qui vivaient en Tunisie. Il semble que ce sujet ne fasse l’objet de pratiquement aucune recherche. Cependant, la guerre constitua un tournant également pour ces populations. On peut également se demander comment les Juifs d’Afrique du Nord et ceux du Yichouv en Israël ont considéré ces événements, une fois la guerre terminée. Mais cela ferait l’objet d’un autre article. Des dizaines d’années s’écouleront avant que ne paraissent les journaux rédigés à cette époque. Savoir pourquoi ils n’ont pas été publiés en leur temps est une question fascinante mais il semble que nous n’en aurons jamais la réponse. Pour notre propos, ce qui importe, c’est qu’ils aient été rédigés simultanément au déroulement des événements, ce qui prouve que certains avaient à cœur de documenter cette époque. Le nombre des publications sur la guerre et sur ses atrocités reflète l’importance de cette époque dans la vie des Juifs d’Afrique du Nord. Elle constitua un tournant dans l’histoire de la communauté juive, tournant qui s’exprima pleinement après la guerre. Notes PREMIÈRE PARTIE LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD ET LA SHOAH HISTOIRE, HISTORIOGRAPHIE ET DÉBAT PUBLIC 1. Le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale fait-il partie de la Shoah ? 1. Voir le livre de Hanna Yablonka, Off the Beaten Track – The Mizrahim and the Shoah, Yedioth Aharonot, Hemed Books et Institut Ben-Gourion pour l’étude d’Israël (2008), en hébreu. Je n’accepte pas certaines de ses analyses mais l’ouvrage donne une bonne image de la réalité. 2. Voir le site amit4u. 3. Haya Lipski, “The Term ‘SHOAH’ : Meaning and Modification in the Hebrew Language from its beginnings and to this day, in the Israeli society”, MA-thesis, Tel Aviv University, Department of Jewish History, April 1998] ; Dalia Ofer, “Linguistic Conceptualization of the Holocaust in Palestine and Israel, 1942-53”, Journal of Contemporary History 31/3 (1996), p. 567-595. 4. Mali Eisenberg, “From Personal Experience to Vocation : The Holocaust as a Founding Motif in Moshe Prager’s Private and Public Spheres – A Key Haredi Figure in the Yishuv and the State of Israel”, Ph.D. Thesis, Bar-Ilan University, Ramat-Gan, 2010 (en hébreu, avec un résumé en anglais), p. 61. 5. Ben Tsion Dinour, Exils et destructions, Jérusalem, Institut Bialik, 1964 [imprimé pour la première fois en 1944] (en hébreu). 6. Fun letzten Churbn (Yisrael Kaplan, réd.), no 1-9 (1946-1948). 7. Voir à ce sujet : Dan Michman, « Unité 1 : La Shoah : Débat », Pendant la période de destruction et de désastre, Tel-Aviv, Université ouverte, 1983, p. 28-29 (en hébreu) ; Ruth L-n [Lichtenstein], Témoignage. Destruction du judaïsme européen, New York et Jérusalem, Institut du rabbin Isthak Meïr Levin, 2000 (en hébreu) ; version anglaise : Ruth Lichtenstein, Witness to History, New York, Project Witness, 2009. 8. Sur l’utilisation du terme « cataclysme », voir Dan Michman, « Dissimulé mais conducteur : motifs de la Shoah dans l’œuvre de Yaakov Katz », in Bartal Israël et Feiner Shmuel, Examen de l’historiographie. Nouvelle lecture des enseignements de Yaakov Katz, Jérusalem, Centre Shazar et Institut Leo-Beck, 2007, p. 100, note 3 (en hébreu). 9. Gerald Green, Holocaust, New York, Bantam, 1978. 10. Claude Lanzmann, Shoah, Paris, Fayard, 1985. 11. Ilya Altman, « La mémoralisation de la Shoah en Union soviétique : historique, actualité, perspectives », in Françoise Ouzan et Dan Michman, De la mémoire de la Shoah dans le monde juif, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 85-117. 12. Voir par exemple le nom et les publications du Centre polonais pour l’étude de la Shoah à l’Académie polonaise des sciences Centrum Badan nad Zaglada Żydow. L’historien juif américain, Raul Hilberg, avant la publication de son œuvre The Destruction of the European Jews (1961), a utilisé dans sa correspondance personnelle le terme « the Jewish catastrophe » ; voir Raul Hilberg à Philip Friedman, 13 avril 1955, Archives de YIVO, New York, I-82. 13. Arno Mayer, Why Did the Heavens Not Darken ? The Final Solution in History, New York, Pantheon Books, 1988. 14. Les ouvrages sur Lemkin et le génocide sont nombreux et on assiste ces dernières années à leur recrudescence. Nous n’allons pas entrer ici dans les détails. Pour deux ouvrages complets et très utiles, voir : Israel W. Charny, Encyclopedia of Genocide, Santa Barbara, ABCCLIO, 1999 ; Donald Bloxham and A. Dirk Moses (eds.), The Oxford Handbook of Genocide Studies, New York, Oxford University Press, 2010. 15. Dan Michman, Pour une historiographie de la Shoah, Paris, In Press, 2001, p. 17-66. 16. Id. 17. Paul Ghez, Six mois sous la botte, Tunis, 1943. 18. Robert Borgel, Étoile jaune et croix gammée. Récit d’une servitude, Tunis, 1944. 19. Jacques Sabille, Les Juifs de Tunisie sous Vichy et l’occupation, Paris, 1954. 20. Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, G.-P. Maisonneuve et Larose, 1983 ; Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, Riveneuve éditions, 2008. 21. Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord, 2008, p. 164. 22. Irit Abramsky Bligh (éd.), Encyclopédie des communautés : Libye et Tunisie, Jérusalem, Yad Vashem, 1997 (seconde édition : 1998 ; troisième édition revue et corrigée : 2008), en hébreu. Dans l’avant-propos complaisant du livre, rédigé par l’éditrice et par Maurice Roumani et Itshak Avrahami, qui ont contribué à l’ouvrage, on peut trouver l’expression des hésitations institutionnelles et pratiques quant à l’inclusion des juifs de Tunisie et de Libye dans cette importante entreprise sur la Shoah. 23. Pour le débat en Israël, voir Yablonka, Off the Beaten Track. 24. Voir les programmes du Mémorial pour la dernière décennie. 25. Les personnes originaires d’Allemagne vivant en Israël ont grandement critiqué le libellé de la prière du Yizkor pour la Shoah que l’on trouve dans les livres de prières Rinat Israël, très courants dans les milieux sionistes religieux. On peut y lire : « Toutes les âmes des communautés juives en exil en Europe martyrisées pendant la Shoah entre 5700 et 5705 » soit septembre 1939 à mai 1945. Cela fait donc abstraction des martyrs en Allemagne avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Voir Rituel des fêtes Rinat Israël, rite sépharade, édité et commenté par Shlomo Tal, Jérusalem, Moreshet, 1981, p. 191. 26. Pour les synthèses des conceptions dominant actuellement la recherche, consulter : Christopher R. Browning, Les Origines de la Solution finale. L’évolution de la politique antijuive des nazis, septembre 1939-mars 1942 (avec la collaboration de Jürgen Matthäus), Paris, Les Belles Lettres, 2007 ; Ian Kershaw, Hitler, 1936-1945 : Némésis, Paris, Flammarion, 2000 ; Saül Friedländer, Les Années d’extermination. L’Allemagne nazie et les juifs (19391945), Paris, Seuil, 2008 ; Dan Michman, “The ‘Final Solution to the Jewish Question’, its Emergence and Implementation : The State of Research and its Implications for Other Issues in Holocaust Research”, Dan Michman, Holocaust Historiography. A Jewish Perspective. Conceptualizations, Terminology, Approaches and Fundamental Issues, Londres, Vallentine Mitchell, 2003, p. 91-126. 27. On trouvera une photocopie du document dans Villenkolonien in Wannsee 1870-1945. Großbürgerliche Lebenswelt und Ort der Wannsee-Konferenz, Berlin, Haus der WannseeKonferenz, 2000, p. 113. 28. Elke Fröhlich (éd.), Die Tagebücher von Joseph Goebbels, Part II, vol. 2, Munich, 1996, p. 498. 29. La terminologie bureaucratique allemande est très importante dans ce contexte : Besprechung se rapproche du terme anglais « meeting » et sert à décrire une entrevue dans laquelle on parle (besprechen) de sujets administratifs de façon informelle et à la fin de laquelle on peut faire une synthèse qui servira ultérieurement (sans prise de notes en sténographie). Je remercie le Dr Wolf Kaiser du Haus-der-Wannsee-Konferenz Memorial à Berlin pour avoir réfléchi avec moi à la sémantique des termes Besprechung/Dienstbesprechung/Konferenz. 30. Dans une lettre du 19 janvier 1992 à l’équipe du mémorial « Maison de la conférence de Wannsee », l’avocat Dr Robert M. W. Kempner décrit la découverte des procès-verbaux lors de la préparation de la documentation pour les procès des ministères du régime nazi, en 1947. Il décrit son émotion et celle de ces collègues à la découverte des procès-verbaux de la réunion sur la Solution finale à la question juive, du 20 janvier 1942, connue ultérieurement de par le monde sous le nom de conférence de Wannsee („Wir waren aufgeregt, als wir ein Protokoll über die später als Wannseekonferenz weltbekannt gewordene Sitzung über die Endlösung der Judenfrage vom 20. Januar 1942 entdeckten“ ; voir la photocopie de la lettre sur le site internet de Haus der Wannsee-Konferenz). 31. La photocopie du procès-verbal a été reproduite dans de nombreux endroits. Le procès-verbal a été traduit en plusieurs langues. Une reproduction de qualité est disponible dans le catalogue publié par la Maison de la conférence de Wannsee : Die Wannsee-Konferenz und der Völkermord an den europäischen Juden. Katalog der ständigen Ausstellung, Berlin, Haus der Wannsee-Konferenz, 2008, p. 199-213. 32. Pour obtenir et comprendre diverses explications de la signification de la réunion et de son emplacement (et pour des références bibliographiques), voir avant tout : Mark Roseman, The Villa, the Lake, the Meeting. Wannsee and the Final Solution, Londres, Penguin, 2002, p. 16, 55-96. 33. Die Wannsee-Konferenz und der Völkermord an den europäischen Juden. Katalog, p. 204. 34. Peter Longerich, Politik der Vernichtung. Eine Gesamtdarstellung der nationalsozialistischen Judenverfolgung, Munich-Zurich, Piper, 1998, p. 469. Il réitère son argument de façon encore plus décisive dans son livre : Peter Longerich, The Unwritten Order. Hitler’s Role in the Final Solution, Londres, Tempus, 2002, p. 96 : “Included in the 700,000 Jews for unoccupied France are those of the North African colonies.” 35. Ibid., p. 545. 36. Friedländer, Les Années d’extermination, p. 430. 37. Ibid., p. 365. 38. Idit Shaked, qui enseigne la Shoah au Pima Community College, Tucson, Arizona, présente comme preuve principale de ses propos une inscription figurant dans l’agenda de travail d’Himmler, en date du 10 décembre 1942, disant : “Juden in Frankreich 600-700.000 abschaffen” signifiant « Envoyer [ou faire disparaître] » 600-700 000 juifs de France, et le signe ✓ à côté, signifiant que Himmler autorise la chose. Cela ne constitue en rien une preuve car la date est postérieure de onze mois à Wannsee et il se base sur un document (en déduisant déjà le nombre significatif de ceux qui avaient déjà été déportés de France en 1942) qui a certainement été remis à Himmler par Heydrich ou l’un de ses assistants. Voir : Edith Shaked, “The Holocaust : Reexamining the Wannsee Conference, Himmler’s Appointment Book, and Tunisian Jews”, The Nizkor Project, http://www.nizkor.org/hweb/people/s/shaked-edith/reexamining-wannsee.html À noter en outre que Shaked se penche essentiellement sur le sort des juifs de Tunisie et qu’elle ne parle ni de l’Algérie ni du Maroc, ni des différences entre les pays. En ce qui concerne l’agenda de travail d’Himmler, voir Peter Witte e.a. (éd.), Der Dienstkalender Heinrich Himmlers 1941/42, Göttingen, Wallstein, 1999. 39. Raul Hilberg, The Destruction of the European Jews, Chicago, Quadrangle Books, 1961, p. 411. 40. Ibid., p. 265-264. 41. Leni Yahil, Die Shoah. Überlebenskampf und Vernichtung der europäischen Juden, Munich, Luchterhand, 1998, p. 436. 42. Voir l’index. 43. Michael R. Marrus and Robert O. Paxton, Vichy France and the Jews, New York, Schocken, 1983, p. 222 ; version française : Vichy et les juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 208. 44. Asher Cohen, Persécutions et sauvetages. Juifs et Français sous l’Occupation et sous Vichy, Paris, Cerf, 1993, p. 132-133 ; Daniel Carpi, Beyn Chevet leHesed. HaChiltonot ha’Italkiyim vIhudey Tsarefat veTounisiya beMilhemet haOlam haCheniya [Entre tribu et miséricorde. Les autorités italiennes et les juifs de France et de Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale], Jérusalem, Centre Shazar, 1993, p. 23, note 31 (en hébreu). 45. Ahlrich Meyer, Täter im Verhör. Die „Endlösung der Judenfrage“ in Frankreich 1940-1944, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2005, p. 86-88. 46. Christoph Kreutzmüller, „Die Erfassung der Juden im Reichskommissariat der besetzten niederländischen Gebiete“, in Johannes Hürter und Jürgen Zarusky (Hg.) : Besatzung, Kollaboration und Holocaust. Neue Studien zu Verfolgung und Ermordung der europäischen Juden, Munich, 2008, p. 21-44. 47. Le recensement soviétique de 1937 dénombrait dans l’ensemble de l’URSS 2 175 108 juifs. Voir : Mordechai Altshuler, Soviet Jewry on the Eve of the Holocaust, Jérusalem, The Center for Research of East European Jewry/ The Hebrew University, and Yad Vashem, 1998. Le livre de Peter-Heinz Seraphim sur les juifs d’Europe de l’Est, publié en 1938, et devenu l’ouvrage principal pour les chercheurs spécialistes des juifs et de la SS, mentionne qu’en 1926, il y avait dans la partie européenne de l’URSS 2 476 700 juifs ; Voir Peter-Heinz Seraphim, Das Judentum im osteuropäischen Raum, Essen, Essener Verlag, 1938, p. 290. 48. Kreutzmüller, „Die Erfassung der Juden“, p. 41. 49. Lettre de la Reichvereinigung der Juden in Deutschland au Zentralstelle für jüdische Auswanderung, en date du 7 août 1941, Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 1. Je tiens à remercier le Dr Wolf Kaiser, du mémorial Haus Der Wannsee-Konferenz, qui m’a communiqué ce document. L’annexe à la lettre se trouve dans les pages 2-20. 50. Browning and Matthäus in Browning, The Origins of the Final Solution, p. 265-268, 309-310 ; Gerhard Weinberg, Germany’s War for World Conquest and the Extermination of Jews, Washington, D.C. : USHMM/Center for Advanced Holocaust Studies, 1995, p. 10. 51. Cette célèbre lettre a été publiée de nombreuses fois depuis qu’elle a figuré comme document (PS 710) au procès de Nuremberg : International Military Tribunal, vol. 26, p. 266267. 52. Cornelia Essner, Die „Nürnberger Gesetze“ oder Die Verwaltung des Rassenwahns 1933-1945, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2000, p. 335-341 ; Michael Wildt, Generation des Unbedingten. Das Führungskorps des Reichssicherheitshauptamtes, Hamburg, Hamburger Edition, 2002, p. 607-617 ; Gideon Botsch, „Der Weg zum Massenmord an den Juden Europas“, Die Wannsee-Konferenz und der Völkermord an den europäischen Juden. Katalog, p. 72-86. 53. Lettre de la Reichvereinigung der Juden in Deutschland au Zentralstelle für jüdische Auswanderung, 13 août 194 ; Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 21-65. 54. Même lettre du 7 août, Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 8. 55. Même lettre du 13 août Bundesarchiv Berlin, R 8150, 25, p. 25. 56. Propos d’Eichmann au juge Yitzhak Raveh, session 106, 21 juillet 1961. Pour la version allemande, voir Kurt Pätzold et Erika Schwartz, Tagesordnung : Judenmord. Die Wannsee-Konferenz am 20. Januar 1942, Berlin, Metropol, 1992, p. 196. 57. Bundesarchiv Berlin, R 8150, Bd. 28, p. 11. Voir annexe. 58. Le texte d’origine en allemand est le suivant : „Ich will heute wieder ein Prophet sein : Wenn es dem internationalen Finanzjudentum in und außerhalb Europas gelingen sollte, die Völker noch einmal in einen Weltkrieg zu stürzen, dann wird das Ergebnis nicht die Bolschewisierung der Erde und damit der Sieg des Judentums sein, sondern die Vernichtung der jüdischen Rasse in Europa…“ Max Domarus, Hitler – Reden und Proklamationen 1932-1945. Kommentiert von einem deutschen Zeitgenossen, Munich, 1965, vol. II, p. 1057. Pour la version française, voir Léon Poliakov, Bréviaire de la haine (Le IIIe Reich et les juifs), Paris, CalmannLévy, 1951, p. 35. 59. À ce sujet, voir chez Browning et chez Kershaw, Hitler, 1936-1945 : Némésis, index, sous : « Prophétie ». 60. Peter Witte, „Zwei Entscheidungen in der ‘Endlösung der Judenfrage“ : Deportationen nach Lodz und Vernichtung in Chelmno”, Theresienstädter Studien und Dokumente, 1995, p. 46. 61. „Gemäß dem Willen des Führers soll nach dem Kriege die Judenfrage innerhalb des von Deutschland beherrschten oder kontrollierten Teiles Europas einer endgültigen Lösung zugeführt werden“. Cité chez Browning, The Origins of the Final Solution, p. 103. Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz : Die Zusammenarbeit der deutschen und französischen Behörden bei der „Endlösung der Judenfrage“ in Frankreich, Nördlingen, Delphi Politik, 1989, p. 361363. 62. „Die politische und diplomatische Führung Adolf Hitlers hat die Grundlagen für die europäische Lösung der Judenfrage geschaffen“ ; Wolfram Meyer zu Utrup : Kampf gegen die „jüdische Weltverschwörung“. Propaganda und Antisemitismus der Nationalsozialisten 1919 bis 1945, Berlin, 2003, S. 449, note 120. 63. „Die Gelegenheit dieses Krieges muss benutzt werden, in Europa die Judenfrage endgültig zu bereinigen” ; Luther à Weizsäcker, 4.12.1941, YVA, 051.463 in Eckart Conze, Norbert Frei, Peter Hayes and Moshe Zimmermann, Das Amt und die Vergangenheit. Deutsche Diplomaten im Dritten Reich und in der Bundesrepublik [Munich] : Karl Blessing Verlag, 2010, p. 186. 64. Réponse d’Eichmann à Hausner, séance du 18 juillet 1961. Pour la version allemande, voir Tagesordnung : Judenmord, p. 194. 65. Klaus-Michael Mallmann et Martin Cüppers, „‘Beseitigung der jüdisch-nationalen Heimstätte in Palästina’ : Das Einsatzkommando bei der Panzerarmee Afrika 1942“, in : Jürgen Matthäus et Klaus-Michael Mallmann (éds.), Deutsche, Juden, Völkermord. Der Holocaust als Geschichte und Gegenwart (Darmstadt, WBG, 2006), p. 153-176 ; et Klaus-Michael Mallmann et Martin Cüppers, Halbmond und Hakenkreuz, Darmstadt, WBG, 2006. 66. Walter à l’ambassade d’Allemagne à Rome, le 12 mai 1942. Yad Vashem Archives, JM/2213. Cette lettre est traduite en hébreu dans le livre d’Esther Haran, « Persécution des juifs de Libye (telle qu’elle se reflète dans les rapports du consulat allemand à Tripoli) », Yalkut Moreshet 33 (juin 1982), p. 156, en hébreu. 67. La suite de la citation ci-dessus des propos du rédacteur du discours d’Himmler, Zapp (voir note 62) dit qu’après la solution de la question juive en Europe, débutera la solution de la question juive dans le monde (Lösung der Weltjudenfrage). Suite à cela, Theodor Scheffer organisa lors du trimestre d’été de l’année 1943 une conférence scientifique lors d’un séminaire politico-pédagogique à l’université de Jena dont le sujet était la question juive (Die Judenfrage). Il y déclara que « pour nous, la chose ne se termine pas en ayant solutionné à grande échelle le problème au sein du Reich. Il s’agit là d’une question mondiale impliquant cette guerre [qui se déroule actuellement] et les luttes qui vont croissant ». „Es ist für uns nicht damit abgetan, daß wir die Judenfrage im Reich weitgehend gelöst haben. Sie ist eine Weltfrage, mit der dieser Krieg und seine immer heftiger werdenden Kämpfe zusammenhangen“), in Uwe Hoßfeld e. a. (éds.), Kämpferische Wissenschaft. Studien zur Universität Jena im Nationalsozialismus, Cologne, Böhlau, 2003, p. 530-531. En ce qui concerne la vision consistant à élargir la Solution finale au-delà des frontières européennes, plusieurs partisans idéologiques l’ont exprimé alors que la chose n’était pas encore possible. 68. Ian Kershaw, Fateful Choices : Ten Decisions that Changed the World, 1940-1941, Londres, Allen Lane, 2007, p. 431-470 (ch. 10). DEUXIÈME PARTIE L’ALLEMAGNE NAZIE ET L’AFRIQUE DU NORD 2. Les dynamiques de l’antisémitisme au Maghreb à la veille de la Seconde Guerre mondiale 1. Nous faisons ici référence au Centre des archives d’outre-mer (CAOM, Aix-enProvence, France) pour ce qui est de l’Algérie et au Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN, Nantes, France) pour le Maroc et la Tunisie. 2. Le projet Blum-Viollette visait à accorder l’égalité politique à quelque 20 000 indigènes, avec l’idée de l’étendre progressivement au plus grand nombre. Le projet fut définitivement rejeté par le Sénat fin 1938. 3. Citoyen allemand, Adolf Langenheim est ingénieur des Mines et réside au Maroc depuis 1905. Il est le chef du parti nazi au Maroc espagnol. 4. Excelsior, 15 janvier 1937. 5. Centre des archives d’outre-mer (CAOM), 2I 38, Lettre de l’administrateur principal de la commune mixte du Haut-Sebaou datée du 10 septembre 1934 au sous-préfet de Tizi-Ouzou. 6. Le Service mondial était le centre allemand de propagande antijuive basé à Erfurt (Allemagne) et dont le rayon d’action était international. 7. CAOM, 81F 864, Dossier présenté par M. Ghighi, conseiller général d’Oran. 8. Centre des archives diplomatiques (CADN), Article 24, Lettre du consul de France au ministre des Affaires étrangères datée du 24 août 1938. 9. Ibid. Le directeur de la Sécurité publique mentionne par exemple, le 10 septembre 1938, les tonnes de marchandises importées d’Italie en déshérence dans le port de Casablanca, et dont les commerçants israélites refusent de prendre livraison en guise de représailles (CADN, Article 24, Note du directeur de la Sécurité publique datée du 10 septembre 1938). 10. CADN, Article 2140, Rapport du Directeur de la Sûreté publique au Résident général de France daté du 14 novembre 1938. Ces ouvrages sont : Gli Ebrei d’oggi ; L’internazionale Ebraica – 9800 nomi di Ebrei abitant l’Italia ; Storia del Popolo d’Israele ; Che Cosa è l’Ebraismo ? ; Il Razzismo – Gli Ebrei e noi. 11. Sur le pogrome de Constantine, voir notamment l’ouvrage de Robert Attal, Les Émeutes de Constantine, 5 août 1934, Paris, Éditions Romillat, 2002 et la contribution de Geneviève Dermenjian au colloque international Juifs en terre d’Islam et dans les Balkans (XVI-XXe siècle), 1er-6 avril 2000, École française d’Athènes : « Le malaise colonial de l’Algérie des années 1930 au miroir du pogrom de Constantine (août 1934) » (le texte est accessible sur le site Internet suivant : http://www.mmsh.univaix.fr/telemme/textes/publi/PubliEnsCherch/g.dermenjian.htm). 12. CAOM, 1CM 8, Rapport de l’adjudant commandant la section d’Affreville daté du 3 septembre 1934. 13. CADN, Article 1724, Rapport du commissaire de police Albertini au commissaire principal daté du 8 septembre 1934. 14. Michel Abitbol, Les Juifs Maisonneuve & Larose, 1983, p. 34. d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, 15. CADN, Article 24, Lettre du contrôleur civil de la région d’Oudjda à la Résidence générale datée du 24 août 1934. 16. Henri Lautier est né à Batna le 28 mai 1904. Repris de justice, directeur du journal antijuif L’Éclair, il est l’un des activistes antisémites les plus acharnés d’Algérie à cette époque. 17. Sur les dérapages de cette base en Algérie, voir Albert Kéchichian, Les Croix-de-Feu à l’âge des fascismes, Seyssel, Champ Vallon, 2007, p. 219-234. 18. CAOM., F405, Rapport du chef de la Sûreté départementale (Alger) daté du 26 septembre 1936. 19. CADN, Article 24, Rapport du commissaire divisionnaire de Rabat au chef du Service de la sécurité datée du 8 octobre 1936. 20. CADN, Article 24, Note de renseignements du commissaire chef de la Sûreté régionale (Meknès) datée du 18 mai 1938. 21. Ibid. 22. Ibid. 23. CAOM, B3 251, Lettre du commissaire central de Philippeville au sous-préfet datée du 14 août 1934. 24. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général de France daté du 5 janvier 1939. 25. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général de France daté du 7 septembre 1937. 26. CAOM, B3 670, Rapport du chef de la Sûreté départementale (Constantine) daté du er 1 octobre 1937. 27. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général de France daté du 28 janvier 1939. 28. CADN, Article 1724, Rapport du commissaire divisionnaire au commissaire principal daté du 11 août 1934. 29. CAOM, 2I 38, Lettre du commissaire de police de Cherchell au directeur de la Sûreté générale datée du 12 septembre 1934. 30. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général de France daté du 7 septembre 1937. 31. Fête qui commémore la naissance du prophète Mahomet. 32. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire de police de Gabès au chef de service de la Sécurité générale (Tunis) daté du 30 mai 1936. 33. CAOM, 2I 38, Rapport du commissaire central d’Alger daté du 26 août 1937. 34. Ibid. 35. CADN, Article 1724, Rapport du commissaire de police au commissaire principal (Sfax) daté du 12 août 1934. 36. Sur cette question voir notamment Emmanuel Debono, « Antisémites européens et musulmans en Algérie après le pogrome de Constantine (1934-1939) », in Revue d’histoire de la Shoah, no 187, juillet/décembre 2007, p. 305-328. 37. Michel Abitbol, op. cit., p. 36. 38. Ibid. 39. CAOM, 2I 38, Lettre du gouverneur général d’Algérie au préfet (Alger) datée du 20 juillet 1933. 40. Ibid. 41. CADN, Article 234, Note du consulat général de France à Tanger au directeur des affaires politiques datée du 20 novembre 1936. 42. Cité par Le Droit de vivre, 8 août 1936. Le Droit de vivre est l’organe de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (voir plus bas). 43. CAOM, B3 670, Rapport du commissaire central de Constantine au préfet datée du 6 mars 1937. 44. CAOM, 4I 73, Branlebas, 28 novembre 1938. 45. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire spécial au chef du service de la Sécurité général (Tunis), le 8 décembre 1936. 46. Les métouis sont des dockers. 47. CADN, Article 1870, Note du chef de la Sûreté au chef du service de la Sécurité générale datée du 26 juin 1936. 48. Ibid. 49. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire spécial (Tunis) daté du 1er mars 1937. 50. Suspendu de sa prêtrise pour inconduite en 1932, Gabriel Lambert, né le 3 avril 1900 à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), remplaça en 1934 le maire antisémite d’Oran, Menudier, lui-même successeur du docteur Molle. Il fut confirmé dans sa nouvelle fonction par les élections municipales de 1935. Candidat aux élections législatives de 1936, il échoua et se retourna brutalement contre l’électorat juif qu’il caressait jusqu’alors et qu’il accusa dès lors de traîtrise. Il se fit alors le champion de l’anticommunisme, en réaction au Front populaire, et de l’antisémitisme, soutenu dans son combat par Le Petit Oranais. 51. Émile Morinaud (1865-1952) fut député républicain-socialiste puis radical indépendant de l’Algérie, de 1898 à 1902 et de 1919 à 1940. Il fut maire de Constantine de 1901 à 1938. Après l’échec électoral des députés antisémites en 1902, dont le sien propre, Morinaud avait momentanément mis ses attaques contre les juifs en veilleuse. 52. Le premier décret modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, réprimant l’excitation à la haine raciale ou religieuse. Le deuxième vise à réprimer la propagande étrangère. Les décrets seront abrogés par le gouvernement de Vichy le 27 août 1940. 53. Centre des Archives contemporaines (Archives nationales, France), versement 19940497, article 33, dossier 798. 54. CAOM, B3 670, Rapport du chef de la Sûreté départementale (Constantine) daté du 30 juillet 1938. 55. Ibid. 56. CAOM, 5I 50, Rapport sur le mouvement antisémitique dans le département d’Oran (1938). 57. CADN, Article 24, Rapport du commissaire chef de la Sûreté régionale au général commandant la région daté du 18 juillet 1936. 58. Ibid. 59. Ibid. 60. CADN, Article 24, Lettre du général chef de la région de Meknès au Résident général de France au Maroc, daté du 18 juillet 1936. 61. CADN, Article 1870, Rapport au chef de service de la Sécurité générale (Tunis) daté du 4 décembre 1936. 62. CAOM, 16H 115, Lettre du préfet Boujard (Oran) au gouverneur général de l’Algérie datée du 25 juin 1938. 63. CADN, Article 2140, Lettre du directeur de l’Administration générale et communale au Résident général datée du 27 (?) septembre 1938. 64. L’organisation dirigée par le journaliste Bernard Lecache a créé des sections en France métropolitaine et dans les trois pays du Maghreb. Elles sont chargées de surveiller les manifestations antisémites locales et d’agir contre celles-ci. 65. Archives du ministère des Affaires étrangères (France), Correspondance politique et commerciale, Tunisie, 382, Lettre du Résident général de Tunisie à Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères, datée du 10 septembre 1934. 66. CADN, Article 1870, Rapport du commissaire de police (la Goulette) daté du 23 mars 1937. 67. CADN, Article 1870, Rapport du directeur de la Sûreté publique au Résident général de France daté du 5 janvier 1939. 68. Au sujet du climat qui règne en Algérie à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’historien Charles-Robert Ageron a pu noter : « Nulle part en territoire français, même en Alsace, ne régnait un antisémitisme aussi général. » In Charles Robert-Ageron, De « l’Algérie française » à l’Algérie algérienne, Paris, Bouchène, 2005. 3. L’Afrique du Nord dans la stratégie du Troisième Reich 1. Cet article est en grande partie tiré de l’ouvrage de Chantal Metzger, L’Empire colonial français dans la stratégie du Troisième Reich (1936-1945), Bruxelles, Francfort-sur-le-Main, New York, Peter Lang, 2002, 2 vol., 1123 p. D’autres ouvrages ont abordé certains aspects du sujet comme les travaux de Karsten Linne, Deutschland jenseits des Äquators ? Die NSKolonialplanungen für Afrika, Berlin, Ch. Links, 2008, 216 p., et le livre de Martin Cüppers et Klaus-Michael Mallmann, Croissant fertile et Croix gammée. Le Troisième Reich, les Arabes et la Palestine, Paris, Verdier, 2009, 352 p. 2. Lettre au comte Frankenberg, député conservateur à la Chambre des députés, citée dans H. von Poschinger, Fürst von Bismarck und die Parlamentarier, t. 3, Breslau, 1896, p. 54 et par Lothar Gall, Bismarck, Paris, Fayard, 1984, p. 653-654. 3. Jacques Thobie et alii, Histoire de la France coloniale, 1914-1990, Paris, A. Colin, 1990, p. 86 et suiv. 4. A. Hitler, Mein Kampf, édition 1930, p. 741-742. 5. Ibid. 6. Kurt Weigelt est un des directeurs de la Deutsche Bank. Président-adjoint de la Deutsche Ostafrikanische Gesellschaft, il peut être considéré, au début des années 1930, comme un « expert en matière coloniale » et le « ministre des Affaires étrangères » de la Deutsche Bank. À la même époque, il milite dans les associations coloniales comme la Deutsche Kolonialgesellschaft et entre au parti national-socialiste en 1937. 7. L’acte d’Algésiras avait prévu que le régime de la porte ouverte serait pratiqué par le Maroc à l’égard des puissances étrangères qui doivent être toutes traitées exactement de la même manière. 8. Par le dahir du 1er septembre 1927, les produits marocains bénéficient du traitement de la nation la plus favorisée à leur entrée en Allemagne. 9. Les Allemands exportent surtout vers le protectorat des produits finis, des camions, des machines agricoles, de la quincaillerie et des produits de leur industrie chimique, photographique et électronique. Ils en importent des denrées alimentaires et des matières premières, notamment des phosphates de la région de Casablanca, dont ils sont les cinquièmes importateurs en 1938, du bois (ils s’intéressent à l’exploitation du liège), du molybdène et du minerai de cuivre, de plomb, d’antimoine et de cobalt. 10. Fribourg-en-Brisgau, Militärarchiv/Bundesarchiv, RW 19, Wi III A 2,1, „Der deutschmarokkanische Handel“, 1938. 11. Politisches Archiv des Auswärtigen Armts (dorénavant PAAA), Deutsche Botschaft in Madrid, Die Tangerzone, Bd 2, lettre adressée par les firmes A. Renschhausen & Co, H. Wilmer, R. Rahlke, O. Wilmer, J. Bernhardt, A. Giese, Hermann Paege, H. Hoffmann, E. Fratz, J.A.K. Meyer et A. Langenheim au Dr Brosch, consul allemand à Tétouan, le 26 février 1935. 12. Berlin, PAAA, Staatssekretär Frankreich, Bd 1, Aufzeichnung über die Diskriminierung Deutschlands in Französisch-Marokko und der Tangerzone, 23 novembre 1938, signé von Rintelen. 13. La Courneuve, Archives du ministère des Affaires étrangères (dorénavant AMAE), Maroc 1917-1940, no 636 A, lettre adressée par M. Avonde Froment, ministre plénipotentiaire chargé du consulat général de France à Tanger à son Excellence Monsieur le ministre des Affaires étrangères, Tanger, 2 décembre 1938. 14. Paris, Archives du ministère des Finances (MF), B 31 517, mémorandum envoyé par Coulondre au ministère des Affaires étrangères, 14 janvier 1939. Il s’agit d’un aide-mémoire contenant les vœux et propositions du gouvernement allemand en vue de développer les relations commerciales entre la France et l’Allemagne tels qu’ils ont été formulés à l’occasion des conversations franco-allemandes de Paris des 6 et 7 décembre 1938. 15. Berlin, Ha Po. II a Handel 6/ Bd 1, Deutsches Konsulat für die Regentschaft Tunis, Tunis, 23 novembre 1937, les exportations de charbon allemand augmentent et sont essentiellement destinées à la Société tunisienne de houille et agglomérés de Bizerte, qui utilise de grandes quantités de charbon pour les chemins de fer tunisiens. 16. Berlin, PAAA, Pol. Abt. II, Tunis, rapport sur le commerce germano-tunisien de 1936. Rares sont cependant les Tunisiens susceptibles d’acquérir un poste de radio, seule la population européenne peut en acquérir. 17. Berlin, Ha Po II a Frankreich, 11-1/Bd 2 ; Deutsche Botschaft, Wirtschaftsabteilung, Paris, 18 juillet 1939, faisant état de l’interdiction d’exporter du minerai de fer d’Afrique du Nord vers l’Allemagne. Un rapport du Legationsrat, Kreutzwald, daté du 11 juillet, avait curieusement signalé que les autorités algériennes avaient réduit la quantité d’aluminium achetée par les Allemands en Algérie. L’Algérie ne possédait aucune usine d’aluminium et les quantités de minerai de bauxite trouvées à la frontière de la Mauritanie étaient insignifiantes et non exploitées. 18. Berlin, Ha Po II a Frankreich, 11-1/Bd 2 ; Deutsches Generalkonsulat, Algier, 8. März 1939. 19. Berlin, PAAA, Tunis, Jahresübersicht für 1936. 20. Selon Jean Deuve, La Guerre des magiciens, l’intoxication alliée 1939-1944, Paris, éd. Charles Corlet, 1995, les Allemands ont eu des radars dès 1940 ; ils ont mis en service un nouveau modèle, Freyda, d’une longueur d’onde de 25 mètres et d’un rayon d’action de 90 km, mais il équipera les côtes de la Manche, et non les côtes méditerranéennes. 21. Nantes, AMAE, ambassade de France à Madrid, Série C, no 306, rapport de l’ambassade de France à Madrid, destiné à la direction Europe, 1er mai 1935. 22. La Courneuve, AMAE, Maroc 1917-1940, no 636 A, lettre d’Yvon Delbos à Corbin, ambassadeur de France à Londres, Paris, 30 novembre 1936. Dans un rapport du 15 août 1936, le consul de France à Tétouan avait signalé l’arrivée de quinze avions allemands, des trimoteurs Junkers ; à la fin du mois d’août l’activité de guerre allemande s’était développée, le cuirassé Deutschland et le torpilleur Luchs arrivent à Ceuta, le 22 septembre, le Nuremberg mouille en rade de Larache. 23. Vincennes, SHD, 7 N 2702, note signée par le sous-chef de l’EMA, le général Dentz, et adressée au général, attaché militaire de France à Berlin, 20 décembre 1938. 24. Les fortins que l’on trouvait sur les côtes d’Afrique du Nord dataient de l’époque turque ; d’aspect imposant, ils étaient en réalité peu solides. Von Xylander s’intéresse à la batterie du cap de Carthage, dans le golfe de Tunis, à la batterie de ravin de Tunis. 25. Jean-Luc Susini, « Un officier allemand en Afrique du Nord et au Sahara 1939 », in Histoire et défense, 1989. 26. Vincennes, SHD, 2 H 59, rapport du Bulletin de renseignements du Commandement supérieur des troupes de Tunisie, EM 2e Bureau, 14 octobre 1938. Ce rapport signale la présence, en Tunisie, d’un « dangereux » personnage, le représentant des moteurs allemands Diesel pour toute l’Afrique du Nord. 27. La Courneuve, SHD, Maroc 1917-1940, no 636 A, Lettre d’Y. Delbos à Corbin, 30 novembre 1936. 28. Les événements métropolitains, et notamment l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de Front populaire, ont eu des répercussions au Maroc. Des grèves y éclatent, comme dans la métropole, les travailleurs marocains sont pleins d’espoir, mais seuls les Européens en tirent quelque avantage. Les nationalistes en profitent pour demander des réformes et appellent à l’union pour faire bloc contre le protectorat. Le sultan, poussé par la France, fait arrêter les responsables nationalistes, ce qui provoque une série d’émeutes à Rabat, Salé et Fès. Une grave crise économique, qui se manifeste par un renchérissement de la vie au cours d’un été particulièrement pénible, provoque des émeutes en septembre 1937. Les nationalistes marocains avaient aussi répandu dans leur presse de fausses nouvelles : on ne trouverait plus de farine ! 29. El Ksar se trouve en zone espagnole, à proximité de la frontière avec la zone française. 30. Vincennes, SHD, 1BB²/ 184, rapport de Saint-Quentin, directeur des affaires politiques et commerciales au ministère des Affaires étrangères au ministère de la Marine, 16 octobre 1937. Les trois nations évoquées sont l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. 31. Berlin, PAAA, Pol. Abt. II, Po Algérien ; rapport du 29 octobre 1936. Un camp de la Légion étrangère était situé à côté du village. 32. Charles-Robert Ageron, « Les populations du Maghreb face à la propagande allemande », in Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, no 114, 1979, p. 14. Jeffrey Herf, « La propagande nazie destinée au monde arabe pendant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah ; ses conséquences », Revue d’histoire de la Shoah, 2016/2 (no 205), p. 107-126. 33. La Courneuve, AMAE, Maroc 1917-1940, no 636 A, lettre adressée par le général Noguès, résident général de la République française au Maroc, à son Excellence M. le ministre des Affaires étrangères, Rabat, 26 février 1937. (Archives de l’ambassade de France à Madrid). 34. Vincennes, SHD, 2 H 59, Bulletin de renseignements du Commandement supérieur des troupes de Tunisie, État-major, 2e Bureau, 31 décembre 1937. 35. Vincennes, SHD, 2 N 243, note adressée par le général d’armée Noguès, commandant en chef le théâtre d’opérations de l’Afrique du Nord, au général Gamelin, commandant en chef des forces terrestres, 30 septembre 1939. 36. Ou Chaqib Arsalan (1869-1946) appartenait à une importante communauté druze du district du Chouf, au Liban ; sa famille était la plus influente de la région. Très croyant, Chekib Arslan était aussi renommé pour sa grande culture ; il voua sa vie à la Nahdad (ou renaissance du monde arabe), qui passait par la reconstitution de la Grande Syrie (Syrie-Liban-Palestine) et par le réveil du Maghreb occupé par la France. En 1921, il installa auprès de la Société des Nations, à Genève, la « Délégation permanente du comité syro-palestinien » ; il fut condamné à mort en 1926 par un tribunal militaire français pour son soutien à la révolte druze. En 1930, il créa une revue panislamique, La Nation arabe, et fonda en 1933, à Vienne, l’Islamischer Kulturbund, il bénéficiera de l’aide financière de l’Italie, puis, par la suite de l’aide allemande. Ses activités politiques et littéraires se poursuivront toute sa vie. 37. Aix-en-Provence, CAOM, 29 H35, Chekib Arslan correspondait avec d’éminentes personnalités allemandes comme Max von Oppenheim et rencontra lors d’un voyage au Levant, en 1937, Baldur von Schirach. Il fit un séjour à Berlin, signalé par Radio Berlin, en septembreoctobre 1939 et y reçut, selon les services français, des consignes en vue de se livrer à la propagande antifrançaise ; selon une dépêche d’André François-Poncet (Rome, 19 février 1940), l’émir touchait un traitement mensuel de 3 000 marks. 38. Charles-Robert Ageron, « Les populations du Maghreb… », op. cit., p. 1-39. 39. Vincennes, SHD, EMAT 2 H 71, EMAT, 2e Bureau, Bulletin d’informations générales no 6 du 15 novembre 1939. 40. C. Metzger, L’Empire colonial français dans la stratégie du Troisième Reich, op. cit., p. 226 et suiv. 41. Akten zur Deutschen Auswärtigen Politik (ADAP), série D, vol. X, no 169, p. 177, note de Welck, Vertreter des Auswärtigen Amts bei der Deutschen Waffenstillstandskommission, an das A. A., 15 juillet 1940. La version allemande de cette note ne figure par dans les ADAP, mais dans les documents de la Délégation française auprès de la Commission allemande d’armistice. Recueil de documents publiés par le gouvernement français, Paris, Costes, 1947-1959, t. V, 1959, p. 463-464. 42. Délégation française auprès de la Commission allemande d’armistice. op. cit., t. I, 1947, p. 462 ; extrait du livre d’Hubert du Moulin de Labarthète, Le Temps des illusions. Souvenirs (juillet 1940-avril 1942), p. 206. 43. François Charles-Roux, Cinq mois tragiques aux Affaires étrangères (21 mai4 novembre 1940), Paris, Plon, 1949, p. 172-173. 44. Erhard Moritz, „Plannungen für die Kriegsführung des deutschen Heeres in Afrika und Vorderasien“, in Militärgeschichte, 16 (3), 1977, p. 323-333. 45. Chantal Metzger, « Amine el Husseini, Grand Mufti de Jérusalem et le Troisième Reich », in Cahiers de la Shoah, no 9, « Coupables, complices, victimes », 2007, p. 91-22. 46. Chantal Metzger, « Le Troisième Reich et l’Eurafrique », in L’Europe et l’Afrique, de l’idée d’Eurafrique à la convention de Lomé I (sous la dir. de M.-T. Bitsch et G. Bossuat), Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 59-76. 47. C. Metzger, L’Empire colonial français…, op. cit., p. 491 et suiv. 48. Fribourg-en-Brisgau, Bundesarchiv, Militärarchiv, RW 19, Wi III, A 3/1 ou RW 19/24, conclusions de la réunion du 28 avril 1941. 49. Fribourg-en-Brisgau, Bundesarchiv, Militärarchiv, RW 19, Wi III, 10, conversation entre Hemmen et Hünermann, Paris, 30 avril 1941. 50. Rudolf Rahn (1900-1975) commence sa carrière comme secrétaire à la S.D.N. ; il entre à l’Auswärtiges Amt en 1927, et occupe des fonctions de conseiller dans les ambassades d’Ankara (1931-1934), de Lisbonne (1937-1939), de Paris (1940-1943). Il est chargé de la section Afrique du Nord à l’ambassade de Paris et séjourne à Tunis de novembre 1942 à mai 1943 ; il est alors envoyé à Fasano, auprès de la République de Salo ; il y est nommé ambassadeur en novembre de la même année ; il représentera son gouvernement auprès de la république fasciste jusqu’à la fin de la guerre. Arrêté le 15 mai 1945 ; il fut interné de 1945 à 1947 ; il poursuivit après sa libération une carrière d’homme d’affaires et d’écrivain (il fut l’auteur notamment d’un Talleyrand et rédigea ses mémoires). 51. Michaël Salewski, Die deutsche Seekriegsleitung, 1935-1945, Frankfurt, Bernard & Graefe, 1970-1975, Bd II, Der Fall Tunis, p. 267, FS Doenitz an Riccardi, 1. SKl, Ib 1375/43 gKdos Chefs, 8 mai 1943. 52. Martin Bormann, Le Testament politique de Hitler, Paris, Fayard, 1957, note du 14 février 1945, QG du Führer. 53. Ibid. 54. Ibid. 55. Ibid. 56. Ibid., note du 15 février 1945, QG du Führer. 57. Vincennes, AMAE, Guerre 1939-1945, Vichy Y, vol. 282, Deutsche Allgemeine Zeitung, 13 juin 1942. 4. La propagande du Troisième Reich en Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale 1. Jeffrey Herf, The Jewish Enemy. Nazi Propaganda during World War II and the Holocaust, Cambridge, 2006. 2. Friedrich Neubert, Die deutsche Politik im Palästina-Konflikt 1937/38, PhD Bonn 1977, p. 113-115 ; Werner Schwipps, Wortschlacht im Äther. Der deutsche Auslandsrundfunk im Zweiten Weltkrieg, Berlin 1971, p. 58 ; Fritz Steppat, „Das Jahr 1933 und seine Folgen für die arabischen Länder des Vorderen Orients“, in Gerhard Schulz, éd., Die große Krise der dreißiger Jahre. Vom Niedergang der Weltwirtschaft zum Zweiten Weltkrieg, Göttingen, 1985, p. 261-278, ibid., p. 269 ; Klaus-Michael Mallmann et Martin Cüppers, Halbmond und Hakenkreuz. Das Dritte Reich, die Araber und Palästina, Darmstadt, 2006, p. 64-65. 3. Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes Berlin (PAAA), BA 61179, Ritter to Auswärtiges Amt (AA), 26.5.1941 ; Bernd Trentow et Werner Kranhold, „Im Dienst imperialistischer Weltherrschaftspläne. Zum Orient-Einsatz des faschistischen Rundfunks im zweiten Weltkrieg“, Beiträge zur Geschichte des Rundfunks, 7(1973), 4, p. 22-51, ibid., p. 3435 ; Schwipps (note 2), p. 58-60. 4. Bundesarchiv Militärarchiv Freiburg/Br. (BA-MA), RW 4/v.184, officier de rapport des opérations de la Wehrmacht Propaganda-Sonderstab F, 26.10.–15.12.1941. 5. Bundesarchiv Berlin (BAB), R 901/73039, radiodiffusion de propagande AA/Kult. R./Ref. VIII (Orient), 5.12.1940. 6. Ibid., radiodiffusion de propagande AA/Kult. R./Ref. VIII (Orient), 19.12.1940. 7. Akten zur Deutschen Auswärtigen Politik (ADAP), Ser. D, Bd. 11/1, Oberkommando der Wehrmacht (OKW)/Wehrmachtführungsstab (WFSt)/Abt. L, 12.11.1940, Directive N°. 18, p. 444-446. 8. PAAA, R 27326, déclaration allemande radiodiffusée, 4.12.1940. 9. BAB, R 901/73039, radiodiffusion de propagande AA/Kult. R./Ref. VIII (Orient), 12.12.1940. 10. Ibid., radiodiffusion de propagande AA/Kult. R./Ref. VIII (Orient), 7.2.1941. 11. Sur les opérations militaires, John Keegan, Der Zweite Weltkrieg, Berlin 2004, p. 213217. 12. PAAA, R 60747, Schnellbrief AA, 18.4.1941 et Bergmann/AA à von Neurath, 30.5.1941. 13. Ibid., Verbindungsoffizier Auswärtiges Amt (VAA)/Panzergruppe (PzGr) Afrika à l’AA, 17.11.1941. beim Armeeoberkommando 14. Ibid., „Krieg und Hungersnot “ébauche de tract VAA/PzGr Afrika (non daté / novembre 1941). 15. Mallmann et Cüppers, Halbmond, (note 2), p. 121-122. 16. PAAA, R 29533, VAA/Panzerarmee Afrika (PzAA) à l’AA, 8.5.1942. 17. Ibid., Schwendemann/Zweigstelle Vichy à l’AA, 27.4.1942. 18. Mallmann et Cüppers, Halbmond, (note 2), p. 124-128. 19. PAAA, R 29537, VAA/PzAA à l’AA, 25.6.1942. 20. Ibid., R 60748, Wüster/AA à VAA/PzAA, 25.6.1942. 21. Ibid., VAA/PzAA à l’AA, 4.7.19. 22. Ibid., Wüster/AA à VAA/PzAA, 13.7.1942. 23. Ibid., R 60650, Wüster/AA à l’AA, 12.8.1942. 24. Ibid., traduction, prospectus (non daté/août 1942). 25. Ibid., carte de propagande (non datée/août 1942). 26. Ibid., R 29863, Dr Mergerle/AA à l’AA, 10.7.1942 ; ibid., VAA/PzAA à l’AA, 18.7.1942. 27. Ibid., R 100767, Chef der Sicherheitspolizei und des SD (CdS)/VI C 13 à l’AA, 7.7.1942. 28. Ibid., R 60748, VAA/PzAA à l’AA, 12.7.1942. 29. Administration des archives et enregistrements nationaux, ambassade du Caire, Enregistrements généraux, RG 84, Boîte 77, « Tuez les juifs avant qu’ils ne vous tuent », propagande radiodiffusée, 7.7.1942. Je remercie Jeffrey Herf pour cette référence. 30. BA-MA, RW 5/690, OKW/WFSt/Qu.I au Deutscher General beim Hauptquartier der Italienischen Wehrmacht, 13.7.1942. 31. Mallmann et Cüppers, Halbmond (note 2), p. 137-138. 32. Ibid., p. 188-190. 33. Keegan (note 11), p. 492-493. 34. Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris 1983, p. 128-147 ; Haïm Saadoun, “Tunisie”, in Reeva Spector Simon, Michael Menachem Laskier et Sara Reguer, éd., The Jews of the Middle East and North Africa in Modern Times, New York, 2003, p. 444457 ; Mallmann et Cüppers, Halbmond (note 2), p. 204-208. 35. PAAA, R 101101, CdS/VI to AA, 3.12.1942. 36. BA-MA, RH 21-5/27, traduction, prospectus (non daté/jan. 1943). 37. PAAA, R 29867, appel de propagande (non daté/déc. 1942). 38. Ibid., R 27766, Rahn/AA à l’AA, 20.1.1943. 39. BA-MA, RH 21-5/26, traduction, carte postale de propagande (non datée). 40. PAAA, R 29867, von Schmieden/AA, 29.11.1942, Sprachregelung Flüsterpropaganda nach Marokko. 41. Ibid., R 29866, consulat général à Tanger à l’AA, 24.11.1942. 42. Ibid., B 83/404, témoignage d’Alwin Guedel, 17.12.1962 ; cf. Simon Wiesenthal, Recht, nicht Rache. Erinnerungen, Frankfurt am Main-Berlin 1988, p. 86. 43. Keegan (note 11), p. 498-499 ; Mallmann et Cüppers, Halbmond (note 2), p. 217-218. 5. Le ministère des Affaires étrangères allemand et les Juifs d’Algérie de 1933 à 1936 : l’antisémitisme nazi dans le contexte colonial 1. Le présent article s’inscrit dans un projet commun à l’Institut Ben-Zvi et Yad Vashem dont l’objectif est de constituer un recueil de documents sur les juifs d’Afrique du Nord de 1933 à 1945. L’auteur de l’article est professeur au département d’Histoire et Culture juives de l’université de Munich et responsable de la collecte des documents allemands dans les différentes archives d’Allemagne concernées par ce projet. Je souhaite remercier à cette occasion le coordinateur du projet, le Pr Haïm Saadoun, ainsi que Tamar Fuchs de l’Institut Ben-Zvi pour l’aide apportée lors de la rédaction du présent article. 2. Description des émeutes de Constantine : Archives du ministère des Affaires étrangères allemand R 71079, II FR 2997/34, La vérité sur le pogrom du 5 août : rapport officiel du consistoire israélite de Constantine ; II FR 2835. Le consulat général d’Allemagne en Algérie au ministère des Affaires étrangères allemand, 11 août 1934, « Émeutes à Constantine ». 3. R 71079, II FR 394. Le consulat général d’Allemagne en Algérie au ministère des Affaires étrangères allemand, 5 février 1935, « Émeutes à Sétif ». 4. Les archives du ministère des Affaires étrangères allemand ont fait en 1936 l’objet d’une réorganisation. Jusqu’à cette date, les documents traitant de sujets politiques et économiques étaient classés ensemble. Après la réorganisation, on distingua entre les documents économiques et politiques. Tandis que les documents politiques d’Algérie sont mentionnés à part dans l’inventaire du ministère, les documents touchant à l’économie algérienne ne sont pas concentrés dans un seul dossier et sont vraisemblablement dispersés dans des centaines de dossiers, parmi des milliers de documents concernant l’économie de la France. Il semble que certains de ces documents contiennent également des informations sur la part des juifs dans l’économie de l’Algérie, qui pourraient être utiles au présent article. La seule façon de les trouver est de chercher arbitrairement dans les millions de documents du ministère allemand des Affaires étrangères traitant de l’économie française, une des puissances mondiales qui suscita toujours un intérêt particulier auprès de la diplomatie allemande. De plus, la documentation antérieure à la restructuration des archives du ministère est conservée différemment que celle constituée ultérieurement. Les documents recueillis après la réorganisation étaient utilisés par les diplomates dans leur travail courant. Par contre, les documents d’avant mai 1936 furent moins utilisés. À la suite de la guerre, ont été principalement détruits les documents qui après la nouvelle organisation étaient plus exposés aux bombardements ou susceptibles d’être brûlés par les diplomates allemands eux-mêmes. Il n’est pas vraiment possible d’estimer précisément l’ampleur des dégâts causés aux archives par la guerre, ce qui a certainement une incidence sur cet article. La plupart des documents sur lesquels se base le présent article ont été recueillis jusqu’en mai 1936. La description des événements en Algérie depuis cette époque et jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale et la fermeture du consulat allemand est assez brève et se termine le 10 décembre. 5. R 98412, D 3648/33. 6. R 98412, D 3648. Ministère de la Propagande au ministère des Affaires étrangères allemand, 9 août 1933. 7. Id. 8. R 98412, D 4034. Ministère des Affaires étrangères allemand à toutes les légations diplomatiques et consulaires, 25 août 1933. 9. Id. 10. Voir notamment : R 98412, D 4486, la légation allemande au Luxembourg au ministère des Affaires étrangères allemand, le 1er septembre 1933 ; D 4579, consulat allemand à Liverpool au ministère des Affaires étrangères allemand, le 4 septembre 1933 ; D 4771, consulat allemand à Salonique au ministère des Affaires étrangères allemand, le 3 septembre 1933. 11. Voir notamment : D 98412, D 4911, consulat allemand à Odessa au ministère des Affaires étrangères allemand, le 5 septembre 1933 ; D 5380, consulat allemand à Novossibirsk au ministère des Affaires étrangères allemand, le 13 septembre 1933. 12. Voir notamment : D 98412, D 5931, légation allemande à Sofia au ministère des Affaires étrangères allemand, le 4 octobre 1933. 13. D 98412, D 6840, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, le 27 octobre 1933. 14. Id. 15. Id. 16. Id. 17. Id. 18. R98412, D 3648/33. 19. R71079 ; II F21212, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, le 28 juillet 1933. 20. Id. 21. Id. 22. Id. 23. Id. 24. Id. 25. R71079, II FR 2835, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 11 août 1934. 26. Id. 27. Id. 28. Id. (souligné dans le document original). 29. Id. 30. R 71079, II FR 3062, consulat général d’Allemagne au ministère des Affaires étrangères allemand, 30 août 1934. 31. Id. 32. Id. 33. R7107, II FR 344, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 25 janvier 1935. 34. R 71079, II FR 394, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 5 février 1935. 35. Id. 36. Id. 37. Id. 38. 71079, II FR 595, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 5 février 1935, création de la Commission pour l’Afrique du Nord et la situation politique en Algérie. 39. R 71080 II FR 922, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 15 mars 1935, visite du ministre de l’Intérieur en Algérie. 40. Id. 41. R 71080, II FR 781/3, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 25 février 1935, la question juive en Algérie dans le contexte de la politique coloniale française. 42. Id. 43. R 71080, (Algerien R 25) II FR. 44. Id. 45. Id. 46. Id., R 71079, II FR 2835. 47. Id. 48. R71079, IV PO, 5980 la délégation allemande à Varsovie au ministère des Affaires étrangères allemand, 21 août 1934. 49. Id., R71079, II FR 3062. 50. R71079, II FR 3062, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 24 septembre 1934. 51. Id. 52. Id. 53. Id. Le rapport ne mentionne pas la date de publication de l’article. 54. Id. 55. Id. 56. Id. 57. La lettre du consulat général d’Allemagne adressée au ministère des Affaires étrangères le 15 janvier fait mention de l’écrivain juif de gauche André Kouby, auteur du bulletin Massacres de Constantine dans lequel il essayait de prouver que les émeutes résultaient de la propagande des partis de droite français et de la propagande nazie. André Kouby est probablement l’auteur auquel le consulat fait allusion. 58. Id. 59. R 71079, II FR 207, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 11 janvier 1935, ingérence allemande prétendue dans la politique des indigènes. 60. Id. 61. R 71097, II FR 345, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 26 janvier 1935. 62. Id. 63. R 71080, II FR R 25/3, consulat général d’Allemagne à Alger à l’ambassade d’Allemagne à Paris, 5 mars 1935. 64. R 71080, Correspondance diplomatique-politique allemande, 23 mars 1935. L’Allemagne en débat sur l’Algérie à Paris. 65. R 71080, II FR R 3 / 4, ministère des Affaires étrangères allemand à l’ambassade d’Allemagne à Paris, 31 mars 1935. 66. Id. 67. R 71079, II FR 207, ministère des Affaires étrangères allemande à l’ambassade d’Allemagne à Paris, le 2 janvier 1935. 68. R 71079, II FR 527, ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires étrangères allemand, 21 février 1935. 69. Id. 70. Id. 71. R71080, II FR (Algerien) R 24 / 26, II FR (Algerien) R 25 / 9. 72. R 71080, II FR 2870, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 4 mai 1935, prétendu espionnage en Algérie. Le consulat général d’Allemagne a classé un dossier en annexe du premier document, les extraits de la presse française décrivant l’arrestation des trois Suisses. 73. R 71080, II FR 2870, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 10 août 1935, expulsion d’Oran de la famille du citoyen allemand Spranger. 74. Id. 75. R 71080, II FR (Algerien) R 28 /26, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 19 juin 1935. 76. R 71080, II FR 2140, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères, 19 juin 1935, visite en Algérie et au Maroc. 77. Ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires étrangères allemand. 78. Id. 79. Id. 80. Id. 81. R 71080, ministère des Affaires étrangères allemand au ministère des Transports du Reich allemand et de Prusse, au ministère de la Propagande, au département des Relations publiques du ministère de la Guerre et au ministère de l’Économie du Reich et de Prusse, 23 septembre 1935. (Le numéro du document n’est pas mentionné.) 82. R 71080, II FR 3013, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 17 août 1935, imprudence politique des Allemands en Algérie et conséquences. 83. R 71080, II FR 4065, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 15 novembre 1935. 84. Id., II FR 3013. 85. 102914 R, 991 II POL, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères, 8 juillet 1936, mouvement antisémite en Algérie. 86. Id. 87. Id. 88. R 10 2914, POL II 1782, consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 1er septembre 1936. Le climat politique en Algérie. 89. Id. 90. Id. 91. Dossiers personnels, Dr Terdenge, 015260, ministère du Trésor du Reich au ministère de l’Intérieur du Reich, 22 juillet 1922. 92. Id., ministère du Trésor du Reich au ministère de l’Intérieur du Reich, 24 avril 1925 ; ministère du Trésor du Reich au ministère de l’Intérieur du Reich, 4 mai 1925. 93. Id., ministère des Affaires étrangères allemand, 24 février 1926. 94. Id., ministère des Affaires étrangères allemand, 1er mars 1926. 95. Id., R 6 /4 März 1926ä Deutsche Allgemeine. März 1926, Deutsche Tageszeitung 27. Lokalanzeiger 27. 27. 96. Id., 22 avril 1926, carte blanche : contribution à la politique de lucidité nationale. 97. Dr Terdenge, dossiers personnels 015261, 18 février 1926, mémo. 98. H.-J. Döscher. Das Auswärtige Amt im Dritten Reich. Diplomatie im Schatten der Endlösung, Berlin 1987, S. 18-24. 99. Ibid. Dr Hamacher au ministre du Reich 1932. 100. Id. 101. Id. Oktober 1932. Germania 19, postes culturels au ministère des Affaires étrangères, novembre 1932. Voss Zeitung. Terdenge, Directeur du département de la Culture. Germania 31, Oktober 1932. Direction du département de la Culture. Kolnische Volkszeintung 31. Direction du département de la Culture du ministère des Affaires étrangères. 102. Id. Secrétaire d’État. 4 octobre 1932. Note dans le dossier personnel. 103. Id. 5 octobre 1933 : 15 octobre 1932. 104. Id. Ministère des Affaires étrangères allemand au président du Reich, 2 mars 1932. 105. Id. 22 mars 1934. 106. Id. 15 janvier 1935. 107. Id. Ministre des Affaires étrangères allemand Bolov au consul général Terdenge. 18 janvier 1936. 108. Dr Terdenge, dossier de dédommagement, 13385, vol. 1, Dr Terdenge à la Commission supérieure de Munster, 20 juin 1945. 109. Dr Terdenge. 58505. (159) 119. 10 juin 1959. 110. Consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand. 22 novembre 1935. Construction d’un port de guerre à Mers el-Kébir. 111. R 71080. II FR 2140. Consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand. 19 juin 1935. Visite en Algérie et au Maroc. 112. R 71079. II FR 578. Consulat général d’Allemagne à Alger au ministère des Affaires étrangères allemand, 5 février 1934. Le ministère en France Outremer : II FR 595. Consulat général d’Allemagne au ministère des Affaires étrangères allemand. 25 février 1935. Création de la Commission pour l’Afrique du Nord et situation politique en Algérie : II FR (Algerien) R 20/3. R71080. Ambassade d’Allemagne à Paris au ministère des Affaires étrangères allemand. 14 mars 1936. Influence du conflit italo-éthiopien et des événements de Syrie sur l’Afrique du Nord française. 113. Traité de Versailles. Chapitre V, Maroc, Clauses 141-146. 114. Mémo sur la discrimination des citoyens allemands au Maroc, II FR 3104. 115. Id., ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires étrangères allemand. 14 novembre 1930, II FR 3109. 116. R 71093, Berlin, 12 mai 1934, II FR 1652. 117. Id. II FR 3104. 118. Id. R 71093. 119. R 71092. Mémo sur la discrimination des Allemands au Maroc. II FR 3797. 120. Id. Berlin, 13 mars 1933, II FR 753. 121. Id. II FR 753/33. 122. Ministère des Affaires étrangères allemand à l’Union de l’industrie d’Allemagne. Berlin 20 mars 1933. II FR 791. 123. Id. R71093. 124. R 71094. Ministère des Affaires étrangères à l’ambassade d’Allemagne à Paris. 14 mars 1933. II FR 787. 125. R 71093. Concernant l’ingérence de l’Allemagne dans la politique locale. Consulat d’Allemagne en Algérie au ministère des Affaires étrangères allemand. 11 janvier 1935, II FR 207. Id., provocation de la presse française au sujet de l’ingérence de l’Allemagne au Maroc, ambassade d’Allemagne à Madrid au ministère des Affaires étrangères allemand, 5 février 1935, II FR H 15. 126. Id., ambassade d’Allemagne à Paris au ministre des Affaires étrangères allemand, 8 mars 1935, II FR 714. 127. R 71079, II FR 207, ministère des Affaires étrangères allemand à l’ambassade d’Allemagne à Paris, 29 janvier 1935. 128. Id. 129. R 129 ministère des Affaires étrangères allemand au ministère des Transports du Reich allemand et Prusse, au ministère de la Propagande, au département des Relations publiques du ministère de la Guerre et au ministère de l’Économie du Reich et de Prusse, 23 septembre 1935. (Le numéro du document n’est pas mentionné.) 130. Id. 131. Dr Richter, Dossier personnels, 012210. Une grande partie des dossiers personnels de Richter ont disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui ont été épargnés retracent surtout la période où il fut employé au Reichsausgleichsamt et traitent principalement de sujets financiers. Ces documents donnent parfois des informations indirectes sur d’autres sujets. Une publication en trois volumes du ministère des Affaires étrangères allemand reprend par ordre alphabétique des informations biographiques sur tous les diplomates allemands décédés trente ans avant la publication du volume dans lequel figure la fiche de Richter. Ce document et les dossiers personnels de Richter ont servi à reconstituer sa carrière. 132. Dragomanat, est le nom officiel donné aux traducteurs de langues arabes et turque du ministère des Affaires étrangères allemand. 133. Dr Richter, Dossiers personnels 012210. TROISIÈME PARTIE LE RAPPORT DES POPULATIONS LOCALES AUX JUIFS 6. Sympathisants indifférents : nationalistes marocains et Juifs marocains durant la Seconde Guerre mondiale 1. Pour une discussion à ce sujet, voir Meir Litvak et Esther Webman, The Representation of the Holocaust in the Arab World, Tel Aviv, 2006 (en hébreu). 2. Yaron Tsur, A Torn Community : The Jews of Maroc and Nationalism 1943-54, Tel Aviv, 2001, p. 76-78 (en hébreu). 3. Alal al-Fasi, The Independence Movements in Arab North Africa (tr. Hazem Zaki Nuseibeh), New York, 1970, p. 178. 4. Michel Abitbol, The Jews of North Africa during World War II, Jérusalem, 1986, p. 3740 ; 43-46 (en hébreu). 5. Al-Fasi, p. 199. 6. « Bulletin de renseignements politiques no 5, Historique du nationalisme marocain », Annexe IV, fiches concernant les principaux nationalistes-fiche no 6-Ahmed Ben Abddelsalam Balafredj, présidence du gouvernement provisoire, Comité de l’Afrique du Nord, Secrétariat général, Archives nationales, Paris, F/60/846. 7. Goold au secrétaire d’État, 15.3.1940, Archives nationales, Washington, DC, Groupe de registres 59/881.00/1743. 8. Al-Fasi, p. 200. 9. Abitbol, p. 43-44 ; 138-139. 10. Robert Satloff, Among the Righteous: Lost Stories from the Holocaust’s Long Reach into Arab Lands, New York, Public Affairs, 2006, p. 73. 11. Al-Fasi, p. 199. 12. Ibid., p. 217-218. 13. Izarab Mohamed Hassan Ouazzani, Entretiens avec mon père, Fès, Fondation Hassan Ouazzani, 1989, p. 213. 7. L’accomplissement d’un long cheminement antisémite : l’abolition du décret Crémieux et la réaction de la population algérienne 1. Xavier Yancono, « La Régence d’Alger en 1830 d’après l’enquête des commissions de 1833-34 », in Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, Aix-en-Provence, no 1, 1er semestre 1966, p. 233 et 244. 2. À partir de 1845 toutes les anciennes institutions sont supprimées et remplacées par un consistoire central à Alger et deux provinciaux à Oran et Constantine, consistoires formés par des membres laïques qui doivent jurer fidélité au roi. En 1867, les consistoires algériens et français seront rattachés et il y aura un consistoire central des israélites de France et d’Algérie. Joëlle Allouche-Benayoun, Doris Bensimon, Juifs d’Algérie hier et aujourd’hui, Toulouse, Bibliothèque historique Privat, 1989, p. 34-35. 3. À partir de 1841, au moins dans les grandes villes, les juifs furent jugés selon la loi française par des tribunaux normaux (avec quand même la présence des rabbins), les musulmans continuèrent à conserver leur ancien statut. In Robert Attal, Les Communautés juives de l’Est algérien de 1865 à 1906, À travers les correspondances du consistoire israélite de Constantine, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 16-17. Il est très important de citer ces cas, même si plus tard, dans une lettre pastorale le grand rabbin de France, après des critiques aux anciennes traditions des juifs algériens, écrivait : « Montrez que vous n’êtes ni arriérés ni fanatiques, qu’aux vertus du croyant vous savez allier celle du citoyen, l’activité, la soumission à la loi, l’amour du pays ; et que la France soit fière de vous appeler ses enfants, comme vous êtes fier de l’appeler votre mère ! » Une démonstration de la forte relation qui allait se développer entre les deux rives de la Méditerranée. Robert Attal, « Le Consistoire de France et les juifs d’Algérie – Lettre pastorale du rabbin Isidor (1873) », in Daniel Carpi, Yehuda Nini and Shlomo Simonsohn (éd.), Michael. On the History of the Jews in the Diaspora, volume V, Tel-Aviv, The Diaspora Research Institute, 1978, p. 16. 4. Steven Uran, « Identités en jeu : l’émancipation juive, le colonialisme français et la question des milices en Algérie, 1830-1852 », in Pardès, no 8, Paris, 1988, p. 100. 5. Déjà pendant son premier voyage, en 1860, une pétition de 10 000 signatures pour demander la naturalisation française, avait été remise à Napoléon III. 6. « Les Israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française ; tous droits acquis jusqu’à ce jour restent inviolables. Toute disposition législative, décret, règlement ou ordonnance contraires sont abolis. Fait à Tours, le 24 octobre 1870. Signé Ad. Crémieux, L. Gambetta, A. Glais-Bizon, L. Fourichon. » Penel Beaufin, Législation générale du culte israélite en France, en Algérie & dans les colonies à la portée de tous, Paris, V. Giard & E. Brière Libraires-Éditeurs, 1894, p. 222 et suivantes. Il faut rappeler que ceux qui avaient pris la citoyenneté avant le décret Crémieux gardaient cet état différent (cette situation sera importante pendant la Seconde Guerre mondiale) et aussi qu’un certain nombre de juifs, ceux de la région du M’zab, obtiendront la citoyenneté seulement en postulant individuellement. 7. En 1833, 68,5 % de la population non musulmane d’Algérie était juive ; la proportion va diminuer mais le nombre total de juifs augmentera et il y aura en 1881 35 663 juifs, en 1886 42 595, en 1896 48 763, en 1901 57 132, en 1911 70 271, en 1921 73 967, en 1931 – selon les recherches du grand rabbin Eisenbeth – 110 127 (3 650 dans le Sud), en 1941 116 800 (6 148 dans le Sud). Voir Sarah Taïeb-Carlen, Les Juifs d’Afrique du Nord de Didon à de Gaulle, Saint-Maur, Éditions Sépia, 2000, p. 149, Joëlle Allouche-Benayoun, Doris Bensimon, op. cit., p. 44 et Maurice Eisenbeth, Les Juifs d’Afrique du Nord. Démographie & Onomastique, Alger, Imprimerie du Lycée, 1936. 8. L’insurrection qui se déclenche en Algérie est la dernière grande révolte, avant la guerre pour l’indépendance, qui voit combattre Algériens et Français. La répression française sera dure. 9. Michel Ansky, Les Juifs d’Algérie, du décret Crémieux à la libération, Paris, Éditions du Centre, 1950, p. 42. 10. Mémoire présenté par le comité représentatif des juifs de France auprès du Congrès juif mondial, Facts and Documents-Une concession au fascisme et au nazisme, l’abrogation du décret Crémieux, May 18, 1943. Mémoire conservé au Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris, p. 5. Robert Satloff, Among the Righteous : Lost Stories from the Holocaust’s Long Reach into Arab Lands, New York, Public Affairs, 2006, p. 73. 11. Pas tous les généraux : pour le général Augeraud le décret n’était pas la cause de la révolte mais simplement un prétexte. 12. Récemment a été publié dans une revue d’études berbères un manuscrit anonyme de l’état-major de l’armée française où sont décrits les motifs d’irritation des Arabes musulmans : la naturalisation des juifs (« le décret le plus funeste ») mais aussi le « non moins funeste » décret qui faisait devenir toute l’Algérie un territoire civil et non plus militaire. Enfin l’auteur anonyme souligne que malgré ces décisions ce qui avait déclenché l’insurrection était plutôt le rappel en Europe des officiers de l’armée (la France avait besoin de ses officiers pour contrer l’horrible situation européenne) et surtout la mobilisation obligée des spahis (cavaliers indigènes créés par la France en Algérie) qui étaient mariés et devaient servir l’État seulement en Algérie et pas en métropole. Leur refus de partir fut le début de l’insurrection. Document présenté par Tassadit Yacine, « L’insurrection de 1871 en Kabylie », in Awal, Cahiers d’études berbères, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2002, p. 89. 13. Dans un document daté du 20 juin 1871, signé par une liste de 22 notables musulmans, il est affirmé que les musulmans ne sont pas en colère à cause de la naturalisation des juifs algériens, étant donné que dans le même décret est également prévue pour les musulmans la possibilité de prendre la nationalité française. Fascicule LIII, CDJC, Paris. Il est encore une fois important de rappeler que selon le sénatus-consulte de 1865, tous les Algériens pouvaient demander la citoyenneté, à condition de renoncer à leur état civil (juif ou musulman). Izarab Mohamed Hassan Ouazzani, Entretiens avec mon père, Fès, Fondation Hassan Ouazzni, 1989, p. 213. 14. Elizabeth Friedman, Colonialism and After: An Algerian Jewish Community, Massachusetts, Bergin & Garvey Publishers, 1982, p. 18. 15. François Dagen, « Courrier d’Algérie », in Cahiers de la quinzaine, Paris, 24/02/1903. À la page 48, Dagen écrit : « Le noyau antijuif n’était pas formé de cléricaux, auxquels les républicains se seraient adjoints ; au contraire il était formé de républicains et renforcé de quelques éléments cléricaux. Et il ne serait pas malaisé de montrer comment des républicains sincères et fervents ont pu fonder ce groupe antisémite, qui risquait sur la fin de devenir antirépublicain. » 16. Michel Ansky, op. cit., p. 49. 17. Pour une analyse complète de ces années dans la région d’Oran, voir Geneviève Dermenjian, Juifs et Européens d’Algérie : l’antisémitisme oranais 1892-1905, Jérusalem, Institut Ben-Zvi, 1983. 18. Jean Jaurès, pendant une tournée électorale en Algérie, attaque les juifs, voir CharlesRobert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, tome II, Paris, Presses universitaires de France, 1979, p. 60-63. 19. Selon certains, le vrai nom de Maximilien Régis était Massimiliano Milano ; ce qui est sûr c’est qu’il était le fils d’un riche Italien, lui-même naturalisé. Déjà, en 1897, Max Régis avait fait scandale à l’université quand il avait organisé des manifestations pour obtenir la démission d’un professeur de droit romain qui avait le tort de s’appeler Lévy : Max Régis (avec son frère) sera exclu pour deux années de toutes les universités, même en France, mais gagnera une grande notoriété qu’il utilisera pour faire débuter sa carrière politique (même à travers la reprise de la publication de L’Antijuif). Pierre Hebey, Alger 1898. La grande vague antijuive, Paris, NIL Éditions, 1996, p. 96. À 20. À propos du Petit Oranais Stora rappelle que « […] la manchette permanente du journal proclamait : “Il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés.” ». Voir archives de l’Alliance israélite universelle (AIU), Paris, dossier Algérie, IIC 7-10, cité aussi par Benjamin Stora, Les Trois Exils. Juifs d’Algérie, Paris, Stock, 2006, p. 78. 21. À part les journaux cités dans cet article, il faudrait aussi rappeler d’autres publications antisémites comme : L’Écho d’Oran et La Libre Parole, La Lutte-Organe antijuif (actif à partir du 1926), rédacteur en chef J. Ploncard et l’hebdomadaire Je suis partout. Le grand hebdomadaire politique et littéraire, directeur Charles Lesca ; du côté musulman El Balagh, qui aura des positions plutôt dures à propos de l’exclusion des juifs de certains travaux. Concernant les livres, il faut au moins citer Charles Hagel avec Le Péril juif (de 1934) et, plus ancien, Georges Meynié avec L’Algérie juive (de 1887), ainsi que Henry Garrot avec Les Juifs algériens (1898). 22. Centre des Archives d’Outre-Mer (CAOM), Aix-en-Provence, Algérie, département d’Alger, préfecture, série K, sous-série 1K-7K-8K-10K, 1k/26. 23. Dans le même dossier. 24. Maurice Eisenbeth, Pages vécues 1940-43, Alger, 1945, p. 10. Selon Raymond Bénichou, Écrits juifs, Alger, édité par la Commission culturelle juive d’Algérie et le Bureau nord-africain du Congrès juif mondial, 1957, les victimes juives étaient moins nombreuses, 2 850 (p. 188, il cite Information juive, avril 1952), selon Msellati elles étaient d’environ 3 000 : Henry Msellati, Les Juifs d’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 35. En tout cas, un pourcentage quand même très élevé par rapport au total de la population. 25. À propos des actes d’héroïsme des juifs français d’Algérie voir Jean Mélia, L’Algérie et la Guerre. 1914-1918, Paris, Librairie Plon, 1918. Des pages 72 à 82, il démontre (avec le style emphatique et pompeux de l’époque) comment les juifs ont été capables de se battre et de mourir pour la France. 26. CAOM, Aix-en-Provence, dossier Algérie, préfecture de Constantine, GGA 9H/55. 27. CAOM, Aix-en-Provence, « Commissaire central de Constantine Miquel, au Préfet de Constantine » (21 août 1934), Documentation statistique et générale, in dossier Algérie, préfecture de Constantine, GGA 9H/52. 28. Pour un intéressant approfondissement sur la situation dans le département d’Oran, voir Francis Koerner, « L’extrême droite en Oranie (1936-1940) », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome XX, oct.-déc. 1973, Paris, Armand Colin, 1973. 29. L’idée de cette initiative (décembre 1936) était de donner la citoyenneté française à environ 27 000 musulmans (une partie de l’élite indigène) sans les obliger à abandonner leur statut spécial de musulmans. Vu l’opposition compacte des représentants politiques algériens, le projet n’arrivera jamais à l’Assemblée nationale. 30. Geneviève Dermenjian, op. cit., page 205-217. 31. Décret Marchandeau, abrogé le 27 août 1940. 32. Nommé aussi loi Alibert, car le premier signataire était Raphaël Alibert, garde des Sceaux, ministre secrétaire d’État à la Justice du premier gouvernement Pétain. 33. La décision de suspendre aussi cette ancienne loi était liée au fait qu’à titre individuel les juifs pouvaient encore devenir des citoyens, et donc il était essentiel de supprimer tous les possibilités pour cette communauté. L’ancienne loi disait que : « Les indigènes d’Algérie pourront accéder à la qualité de citoyens français en vertu des dispositions du Sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et de la présente loi, à savoir : tout indigène obtiendra sur sa demande la qualité de citoyen français s’il remplit les conditions générales suivantes : être âgé de 25 ans, être monogame ou célibataire, avoir deux ans de résidence dans une commune algérienne, métropolitaine ou coloniale française et s’il satisfait, en outre, à l’une des conditions suivantes : avoir servi dans les armées de terre ou de mer ; ou être propriétaire ou fermier d’une propriété urbaine ou rurale ou inscrit au rôle de la patente ; ou d’un impôt de remplacement ; ou être titulaire d’une fonction publique ; ou être ou avoir été investi d’un mandat électoral ; ou être titulaire d’une décoration française. » Voir Henri Msellati, op. cit., Paris, L’Harmattan, 1999, p. 67. 34. Journal officiel, 18 octobre 1940, p. 5323, cité par Michael R. Marrus, Robert O. Paxton, Vichy et les juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 610. 35. Norbert Bel Ange, Quand Vichy internait ses soldats juifs d’Algérie. Bedeau, Sud oranais, 1941-1943, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 29. 36. Les limitations du premier statut étaient réservées aux anciens combattants de la guerre de 1914-1918, à ceux qui avaient eu une citation pour la campagne de 1939-1940 et à ceux qui étaient décorés de la Légion d’honneur à titre militaire ou d’une décoration militaire. Voir Gouvernement général d’Algérie, service du personnel et du contentieux du personnel administratif N.1138 P, Alger, le 4 novembre 1940. Dossier CCCLXXXV-17, p. 3-4, CDJC, Paris. 37. Xavier Vallat (1891 Vaucluse-Annonay-1972) fut un des antisémites les plus extrêmes à l’intérieur du gouvernement Pétain. À partir de 1941, il fut le chef du Commissariat général aux questions juives. 38. Le numerus clausus pour les médecins était une folie : la situation sanitaire de l’Algérie était pénible et, vu que le nombre des médecins était déjà plutôt bas avant, après cette décision une grande partie de la population était sans aucune aide médicale. 39. Loi du 2 juin 1941. 40. Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-1962), Représentations et réalités des populations, Paris, Éditions de l’INED, 2001, p. 192. 41. Loi du 21 juin 1941. Cette loi, appliquée en Algérie à partir du 23 août 1941, fut corrigée par un nouveau texte le 5 novembre 1941 : cette correction était faite pour interdire aux étudiants juifs d’assister aux cours à l’université car, jusqu’à novembre 1941, ils pouvaient au moins s’inscrire, même s’ils ne pouvaient pas passer les examens. 42. Cette information est aussi présentée par la presse le 18 août 1941 : dans un bref article (le journal est inconnu) on peut lire la volonté de Weygand de réaliser une officine pour gérer et liquider les biens juifs. In : Papiers 1940, Papiers bureau d’étude Chavel, vol. 71, Document no 48, Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris. 43. Henri Msellati, op. cit., p. 68. 44. Michel Ansky, op. cit., p. 93. 45. Peyrouton était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement du maréchal Pétain. 46. Jacques Cantier, L’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 328329. 47. Robert Satloff, Among the Righteous, Lost Stories from the Holocaust’s long reach into Arab Lands, New York, BBS Public Affairs, 2006, p. 31. 48. Xavier Vallat fut à partir de 1941 chef du Commissariat général aux questions juives. 49. Michel Abitbol, Les Juifs Maisonneuve & Larose, 1983, p. 86. d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, 50. La lettre, datée du 17 octobre 1941, est citée par Michel Ansky, op. cit., p. 113. 51. Maurice Eisenbeth, Pages vécues 1940-43, op. cit., p. 23. 52. Jacques Cantier, op. cit., p. 332. 53. Les Français, en revanche, ont continué – longtemps après l’arrivée des alliés – à maintenir le statu quo sans vouloir redonner leurs propriétés aux juifs. Eisenbeth cite une rencontre du 22 février 1943 avec un haut fonctionnaire qui travaillait pour l’ambassadeur Peyrouton au cours de laquelle il avait protesté en ces termes : « Pour étrangler les juifs, les textes étaient pris et appliqués très vite ; quand il s’agit d’en abroger quelques-uns seulement, on n’arrive pas même à un résultat après plusieurs mois d’attente. Les biens n’ont pas été rendus, les enfants n’ont pas été repris dans les écoles. […] La loi militaire est une infamie […]. Les gouvernements fêtent les Alliés, clament qu’ils veulent détruire le nazisme, et ils maintiennent… un hitlérisme français. » Maurice Eisenbeth, Pages vécues 1940-43, op. cit., p. 80. 54. Robert Satloff, op. cit., p. 108. 55. Yves-Claude Aouate, « Les Algériens musulmans et les mesures antijuives du Gouvernement de Vichy (1940-1942) », in Pardès, Paris, no 16/1992, p. 194. 56. Il existe des documents officiels où l’on parle de « jalousie » des musulmans envers les juifs, pour leur capacité à s’assimiler à la société française (mais en même temps, il y a aussi le mépris pour avoir abandonné leur statut religieux). In Supplement to Review of the Foreign Press, séries F. N° 5, 9 avril 1943, fascicule CCCLXXXV-3-d, CDJC, Paris. 57. Sur le mépris du droit français, il est intéressant de se reporter à Facts and DocumentsUne concession au fascisme et au nazisme, l’abrogation du décret Crémieux : « Dans le code civil français, chapitre 1, art. 2 : La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif […].Tous les descendants d’un père naturalisé par le décret Crémieux, qu’ils soient nés en Algérie, ou en France métropolitaine, ou à l’étranger, sont français par l’effet de la loi du 10 août 1927. » Mémoire présenté par le Comité représentatif des juifs de France auprès du Congrès juif mondial, op. cit., CDJC, Paris, p. 10-12. Il est donc évident que la décision d’abolir le décret Crémieux et encore plus celle de ne pas le remettre en fonction après l’arrivée des Alliés sont des décisions politiques en opposition complète avec toute l’histoire du droit français. 58. Yves-Claude Aouate, op. cit., p. 191. 59. Charles-Robert Ageron, « De l’abrogation du décret Crémieux à son rétablissement (7 octobre 1940-20 octobre 1943) », in YOD, Paris, N° 15-16, 1982, p. 150. 60. Joëlle Allouche-Benayoun et Doris Bensimon, op. cit., p. 186. 61. Conclusion d’une étude sur les juifs indigènes d’Algérie, fasc. CCCLXXXV21 (signé W. O., sans date, probablement 1941), p. 21, CDJC, Paris. 62. Ce n’est que le 20 octobre 1943 que le CFLN proclama que le décret Crémieux était non pas remis en vigueur, mais maintenu en vigueur. 63. Xavier Yacono, Histoire de la colonisation française, Paris, Presses universitaires de France, 1969, p. 123. QUATRIÈME PARTIE LES JUIFS D’AFRIQUE DU NORD DANS LE TUMULTE DES ÉVÉNEMENTS 8. Les Juifs de Mogador (Essaouira) pendant la Seconde Guerre mondiale : la terreur de Vichy et sa gestion communautaire 1. Cette étude a été préparée grâce à un fonds de recherches que m’a alloué la Fondation israélienne pour la science, géré par l’Académie nationale israélienne des sciences (fonds no. 1160/07). 2. Cf. notamment Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, CNRS, 2008 (version hébraïque : Jérusalem, Institut Ben-Zvi, 1986) ; Robert Assaraf, Mohammed V et les Juifs du Maroc sous Vichy, Paris, Plon, 1997 ; Michael M. Laskier, « Between Vichy Antisemitism and German Harassment: The Jews of North Africa during the Early 1940s », Modern Judaism 3. 2 (octobre 1991), p. 343-370 ; Id., Les Juifs du Maghreb sous Vichy et la Croix gammée, Tel Aviv, Ha-Makhon le-Heker ha-Tfutsot, 1992 (en hébreu) ; Id., North African Jewry in the Twentieth Century: The Jews of Morocco, Tunisia, and Algeria, New York, New York University Press, 1994 ; Id., « Local Jews and Jewish Refugees in French Morocco and Tunisia during World War II », Pecamim 114-115 (hiver-printemps 2008), p. 55-106 (en hébreu). 3. Voir par exemple David Cohen, « L’application de la législation antijuive au Maroc au temps du gouvernement de Vichy à la lumière de nouveaux documents du Quai d’Orsay », Proceedings of the IXth World Congress for Jewish Studies, Section B : Histoire du peuple juif à l’époque contemporaine, Jérusalem, 1986, p. 225-228 (en hébreu), ainsi que Haïm Saadoun (ed.), « The Jews of North Africa during WW2 », Pecamim 114-115 (hiver-printemps 2008), avec les différents études et témoignages que ce volume comporte, comme Eli Bar-Chen, « The Boycott of Nazi Germany by Moroccan Jewry, 1933-1939 », Ibid., p. 249-255 (en hébreu) ; Orna Baziz, « Un réfugié belge au Maroc dans les années 1940-1942 », Ibid., p. 197-220 (en hébreu) et Michael Laskier, Local Jews. 4. Voir notamment Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version hébraïque, P. 88-97 ; Michael Laskier, Local Jews. 5. Cf. Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord ; Michael Laskier, Juifs du Maghreb ; Id., North African Jewry ; Id., Local Jews. 6. Ces dernières années, la recherche sur ces événements de la Seconde Guerre mondiale et leurs conséquences pour le judaïsme marocain s’est particulièrement focalisée sur le rôle joué par le sultan Mohammed V dans la signature des dahirs antijuifs établis par les services politiques du protectorat, avec à leur tête le général Noguès, résident général au Maroc, en application de la législation antijuive de Vichy. Cf. Robert Assaraf, Mohammed V et les Juifs du Maroc sous Vichy. Le sultan, qui ne disposait en fait sous le protectorat d’aucun pouvoir de discrétion, a finalement signé ces dahirs quoi qu’il en eût sans doute, mais il a tenu malgré tout à manifester lors de réceptions publiques ou privées sa sollicitude envers ses sujets juifs. Voir là-dessus les documents publiés dans Haïm Zafrani, Juifs d’Andalousie et du Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, 1996, p. 400-405. Cette attitude favorable du sultan m’a été confirmée par Rahamim Mrejen, de Meknès, qui avait participé à une audience accordée par le sultan à des notables juifs pendant la guerre. Rahamim, que j’ai interviewé à Natanya, a mentionné que la délégation juive avait offert à cette occasion au sultan, comme il est de tradition, une somme importante d’argent comme cadeau d’allégeance. Voir aussi (en traduction hébraïque) les textes des dahirs antijuifs qui ont été publiés au Maroc dans le Bulletin officiel en 1940-1942 dans Michael Laskier, Juifs du Maghreb, p. 158-168. 7. J’ai découvert ces documents dans les archives du tribunal rabbinique de Mogador, déposées aujourd’hui au musée du Patrimoine judéo-marocain de Bruxelles, fondé et dirigé par Paul Dahan. Je remercie vivement Paul Dahan pour son autorisation de photocopier et publier ces documents, qui ne sont pas encore répertoriés. Dans cette étude, ces documents seront référencés par le sigle APD (archives Paul Dahan). 8. J’ai trouvé ces documents il y a une vingtaine d’années chez Simon Zafrani à Ashkelon, qui les avait rapportés de la municipalité de Mogador où il travaillait avant son installation en Israël. Je le remercie de m’avoir permis de les photocopier et de les publier. 9. Cf. Eli Bar-Chen, Boycott of Nazi Germany. 10. Il s’agit de Prosper Cohen, instituteur à l’école de l’Alliance à Meknès, qui sera muté plus tard à Mogador, où il passera les années de la Seconde Guerre mondiale. 11. Prosper Cohen, « Lettre trimestrielle janvier-mars 1934 : Hitler chez nous », Archives de l’AIU, Maroc II B 12-36, p. 1. 12. Jacob Ohayon est né vers 1890 à Mogador, où il a suivi l’enseignement de l’école de l’Alliance puis a ouvert un commerce. Il s’est installé ensuite à Casablanca, où il est devenu journaliste et membre de la rédaction du journal en langue française La Vigie marocaine, qui défendait ardemment les intérêts français au Maroc. Il a collaboré aussi à l’hebdomadaire sioniste L’Avenir illustré jusqu’à sa fermeture en 1940 et y a tenu une rubrique remarquée sur la vie juive et les problèmes de l’éducation juive au Maroc. À la suite des décrets de Vichy, il a été obligé de quitter ses fonctions de journaliste – et il était le seul dans son cas – qui étaient dorénavant interdites aux Juifs. Il est décédé à la fin 1944, quelques mois après avoir rédigé son rapport sur les origines des juifs de Mogador (Jacob Ohayon, Les Origines des Juifs de Mogador, dactylographié [s.l., 1944], 18 pages), où il relate aussi les événements de l’avantguerre et de la guerre et les réactions des Juifs du Maroc face à ces événements. Sur Jacob Ohayon, voir Isaac D. Knafo, Le Mémorial de Mogador, présenté et annoté par Asher Knafo, Ashdod : Ot Brit Kodesh, [s.d. = 1976], p. 311-336 ; Hagar Hillel, « La guerre des journaux à Casablanca, 1932-1940 », Kesher 20 (1996), p. 48-56 (en hébreu) ; Id., « Émancipation et intégration dans une situation coloniale. La presse juive à Casablanca », Shorashim ba-Mizrah V (2003), p. 242-261 (en hébreu) ; Joseph Chetrit, « Nouvelle conscience de l’anomalie et de la langue. Les débuts d’un mouvement de Haskalah hébraïque au Maroc à la fin du XIXe s. », Miqqedem Umiyyam II (1986), p. 152-153, note 8. 13. Salle de cinéma à Casablanca. 14. Jacob Ohayon, Origines, p. 10. 15. C’est l’attitude typique des Juifs dits « évolués » sous le protectorat, parce que francisés et se voulant occidentalisés, à l’égard des couches juives populaires, jugées par eux comme arriérées. Sur ces attitudes tendancieuses de Jacob Ohayon, cf. aussi Isaac Knafo, Mémorial, p. 325-335. 16. Sur cette poésie orale, voir Joseph Chetrit, « La poésie personnelle et la poésie sociale en judéo-arabe au Maroc », Miqqedem Umiyyam I (1981), p. 191-199 (en hébreu). 17. Cf. la brochure Yismah Saddik, Jérusalem [s.d.] (en hébreu et judéo-arabe), réimprimée dans les années 1950 par l’éditeur Joseph Lugassi à Jérusalem, p. 40, le vers final du chant no 3, qui est (en traduction française de l’original judéo-arabe) : « Nous ne nous serons calmés, ô toi Hitler l’ennemi, que lorsque nous t’aurons enterré dans la cour du cimetière. » 18. Le poème judéo-arabe porte un titre hébraïque, « Hitler ha-rashac » [= Hitler le génie du mal]. Sur l’auteur, voir le témoignage d’un autre poète de Mogador, Isaac Knafo (Isaac Knafo, Mémorial, p. 205-214). 19. Après le débarquement des troupes alliées à Casablanca en novembre 1942, la stabilisation de la situation au Maroc à la fin de l’année 1943 et la fin de la guerre suite à la capitulation allemande, d’autres textes poétiques et satiriques seront composés en judéo-arabe (et en hébreu) pour célébrer la levée des angoisses, chanter les victoires des Alliés et fustiger Hitler et son régime. Sur ces textes, voir Joseph Chetrit, Poésie personnelle, p. 210-212 ; Avishai Bar-Asher, « How is This Night Different from the Night of Trente-Neuf ? The Haggadah of Hitler from Morocco », Pecamim 114-115 (hiver-printemps 2008), p. 137-196 (en hébreu). 20. La plaquette a été republiée parmi ses poésies complètes : Isaac D. Knafo, L’humour est enfant de poème, Jérusalem, 1997, p. 243-259. Dans sa présentation des textes, le neveu du poète, Asher Knafo, raconte qu’avec l’avènement de Vichy et l’application de ses dahirs antijuifs, l’auteur a ramassé à Mogador tous les exemplaires qu’il avait vendus et les a tous détruits, n’en laissant même pas un chez lui pour ne pas se compromettre. C’est par le plus grand des hasards qu’un exemplaire a été retrouvé en Israël dans les années 1990 dans la bibliothèque de l’ancien président de la communauté, Meir Melca, qui s’était installé à Holon. Interviewé par moi en 1985 à Montréal au sujet de cette plaquette, Isaac Bensabbat m’a appris qu’il l’avait achetée et l’avait déchirée de ses propres mains après l’avènement de Vichy, parce que tous croyaient que « c’était la fin du monde », verbatim. 21. Isaac Knafo, L’humour, p. 252-253. 22. Sur L’Avenir illustré (1926-1940), voir Hagar Hillel, Guerre des journaux ; Id., Émancipation ; id. et Yaron Tsur, Les Juifs de Casablanca : étude sur la modernisation d’un leadership juif dans une diaspora en régime colonial, Tel Aviv, Open University, 1995 (en hébreu). 23. Cf. Michael Laskier, Local Jews, p. 57-58, 77 ; Jacob Ohayon, Origines, p. 12-13. 24. Cf. Elit Chemla, « The Tineghir Affair, 1943-1944: Antisemitism in the French Army in Response to the American Liberation of Morocco », Pecamim 114-115 (hiver-printemps 2008), p. 107-136 (en hébreu). 25. Cf. Michel Abitbol, Histoire, p. 481-485. 26. Jacob Ohayon, Origines, p. 12. 27. Sur l’application de la législation antijuive au Maroc, cf. Jacob Ohayon, Origines ; David Cohen, Application ; Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord ; Id., Histoire, p. 490-492 ; Michael Laskier, Between Vichy ; Id., Juifs du Maghreb ; Id., North African Jewry ; Id., Local Jews ; Robert Assaraf, Mohammed V. 28. Voir infra pour les déclarations des juifs de Mogador. 29. Cf. Michael Laskier, North African Jewry, p. 64-65. 30. Cf. ce qu’écrit Jacob Ohayon : « En attendant, pour ruiner le commerce juif, on se mit à dresser à tour de bras des procès-verbaux pour marché noir. Pendant ce temps-là, on enrichissait, par tous les moyens, les Marocains musulmans, ce qui leur permet aujourd’hui d’entretenir des offices de propagande et même des organisations de coups d’État. On semble actuellement revenu de cette erreur » (Jacob Ohayon, Origines, p. 13). 31. Sur ces camps d’internement et ces camps de travail où étaient internés des juifs européens réfugiés, des soldats juifs algériens démilitarisés, des prisonniers juifs marocains et d’autres repris de justice, voir Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version hébraïque, p. 92-97 ; Michael Laskier, Local Jews. 32. Cf. Michael Laskier, Juifs du Maghreb, p. 36-39 ; Id., North African Jewry ; Id., Local Jews ; Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version hébraïque, p. 92-97, p. 92-93. 33. Cf. Michael Laskier, Local Jews ; Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord, version hébraïque, p. 92-93 ; Salomon Haï Knafo, La Vie juive à Mogador, présenté et annoté par Asher Knafo, Ashdod : Ot Brit Kodesh, 2008 (Brit, numéro spécial), p. 99-100. Voir aussi le témoignage publié dans Orna Baziz, Réfugié belge. 34. Document APD du 26/8/1940, intitulé « Recensement de la population israélite de Mogador ». 35. Sur la communauté juive de Mogador, voir Daniel J. Schroeter, Merchants of Essaouira. Urban Society and Imperialism in Southwestern Morocco, 1844-1856, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; Id., The Sultan’s Jew. Morocco and the Sephardi World, Stanford, Stanford University Press, 2002 ; Id. et Joseph Chetrit, « The Transformation of the Jewish Community of Essaouira (Mogador) in the Nineteenth and Twentieth Centuries », in H. Goldberg (ed.), Sepharadi and Middle Eastern Jewries, Bloomington, Indiana University Press, 1996, p. 99-116 ; Id. et Id., « Emancipation and its Discontents: Jews at the Formative Period of Colonial Rule in Morocco », Jewish Social Studies: History, Culture, Society n.s. 13, no 1 (Fall 2006), p. 170-206 ; Isaac Knafo, Mémorial ; Salomon Knafo, Vie juive à Mogador. 36. Prosper Cohen, Grande aventure, p. 34-35. 37. Document APD, non daté. 38. Lettre du 14/3/1941, document APD. 39. Document APD, de la fin août 1941, où il est fait mention de l’arrivée prochaine des formulaires des déclarations de biens. 40. Ibid. 41. Ibid. 42. Ibid. 43. Document APD. 44. Document APD, non daté, envoyé probablement en août 1941. 45. Document APD, envoyé à la fin août ou au début septembre 1941. 46. Parmi les documents que j’ai pu recueillir se trouve aussi la déclaration de biens dûment remplie d’un membre de la communauté de Mogador, qui vivait depuis les années 1930 à Casablanca, où il a déposé sa déclaration et en a gardé une copie. Il s’agit de Samuel LevyCorcos, qui était négociant et représentant de maisons de commerce. 47. Voir en annexe le texte du rapport in extenso. 48. Interviews de Meir Melca (en 1983 à Holon), qui était pendant la guerre président du comité de la communauté, d’Isaac Bensabbat (en 1985 à Montréal), né en 1912, qui était membre du comité, et de Nissim Leub (en 1985 à Montréal), qui était bijoutier à Mogador et a été interné en 1945 pendant quatre mois pour fraude sur l’or. Le pacha, qui avait été l’écuyer du sultan Moulay Youssef, s’appelait Al-Majboud Ben Al-Maallem et a tenu ses fonctions de 1937 à 1956. 49. Selon Meir Melca et Isaac Bensabbat, le vieux cheikh du Mellah, David Iflah (18631943), a démissionné de ses fonctions pour protester contre ces malversations du pacha. Il avait rempli ses fonctions durant de très nombreuses années et sa renommée dépassait de bien loin les limites de sa communauté, du fait de ses connaissances profondes dans les traditions musicales juives et musulmanes. 50. Prosper Cohen, Grande aventure, p. 34. 51. Selon des témoignages oraux que j’ai recueillis de la bouche de personnes originaires de Mogador, le grand rabbin R. Haïm David Séréro était en bons termes avec le pacha et aurait utilisé, au contraire de ce qui est rapporté par Jacob Ohayon, ses relations amicales avec lui pour intervenir en faveur de juifs qui avaient des démêlés avec les autorités locales. 52. Certainement après le débarquement allié au Maroc et en Algérie et l’abolition de la juridiction antijuive de Vichy. 53. Jacob Ohayon, Origines, p. 16-17. 54. Document APD du 26.8.1940. 55. Cf. Daniel Schroeter, Merchants ; Id., Sultan’s Jew. 56. Document APD (en double version, manuscrite et dactylographiée) : « Relevé des sommes recueillies auprès de la population israélite de Mogador ». Il est à noter cependant que la somme réunie est réduite de plus d’un tiers par rapport à celle qui était prévue dans le projet de souscription (47 950 francs) figurant sur un autre document manuscrit. 57. Document APD daté du 13/3/1942. Dans une circulaire envoyée la semaine d’après, il rappelle à l’ordre ceux qui ne s’étaient pas encore décidés à donner leur contribution. 58. Document APD non daté. 59. Document APD du 27/2/1942 et un autre non daté. 60. Document APD du 2/3/1942. 61. Document APD du 29/12/1944. 62. Document APD du 9/2/1945. 63. Cf. Joseph Chetrit et Daniel J. Schroeter, « Les réformes dans les institutions judéomarocaines au début du Protectorat », Miqqedem Umiyyam VI (1995), p. 71-103 (en hébreu). 64. Cf. Daniel J. Schroeter and Joseph Chetrit, « The Transformation of the Jewish Community of Essaouira (Mogador) in the Nineteenth and Twentieth Centuries », in Harvey Goldberg (ed.), Sepharadi and Middle Eastern Jewries, Bloomington, Indiana University Press, 1996, p. 99-116. 65. Les relations d’amitié qu’entretenait le grand rabbin avec le pacha de la ville ont dû jouer aussi un rôle dans son zèle réformateur, car il était assuré de la compréhension sinon de la coopération des autorités municipales dans sa volonté de faire respecter strictement les règles de conduite concernant le repos du shabbat et la consommation de bière et de vin. 66. Document APD non daté, mais la circulaire a dû être envoyée après le débarquement allié au Maroc, quand les autorités se devaient de calmer l’excitation des juifs qui les menait à des éclats de voix et à des altercations avec des musulmans, en faisant patrouiller des agents de l’autorité dans les rues du Mellah. 67. Document APD du 9/2/1945. 68. Document APD non daté. 69. Ibid. 70. Ibid. 71. Cf. Michel Abitbol, Juifs d’Afrique du Nord ; Michael Laskier, Juifs du Maghreb ; Id., North African Jewry. 72. Document APD daté du 13/11/1942, le 4 kislev 5703. 73. Proverbe français traduit en hébreu dans le texte, dont l’équivalent hébraïque est : « Ton silence vaut mieux que ta parole » (traité Guittin 46a). 74. Traité Tamid 32a. 75. Traité Pesahim 99a. 76. Psaumes XXIX 11. 77. Genèse XXVIII 3. 78. Document APD non daté, mais correspondant sans doute à la semaine de la section « Vayelekh », qui est lue entre Rosh ha-Shana et Kippour, c’est-à-dire début octobre 1943. 79. Prosper Cohen, Grande aventure, p. 36. 80. Isaac Knafo, L’humour, p. 252-253. 9. Hélène Cazes-Benatar et ses activités en faveur des réfugiés juifs au Maroc, 1940-1943 1. « Reserve through Emigration » fut le thème de l’appel lancé par le président de la Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS) lors de son assemblée annuelle, le 17 mars 1940. Voir : Mark Wischnitzer, Visas to Freedom : The History of HIAS, Cleveland, OH 1956, p. 174. Cet article fait usage des termes d’assistance et d’aide aux activités entreprises au Maroc, pour reprendre la distinction faite par Dan Michman entre sauvetage et aide. Voir Dan Michman, “Towards a Clarification of the term ‘Rescue’ during the Holocaust’”, in D. Michman, The Holocaust and Holocaust Research, Tel-Aviv, 1998, p. 125-146 [en hébreu]. 2. Expression utilisée par le Dr Joseph J. Schwartz, directeur du siège européen de l’American Jewish Joint Distribution Committee (AJJDC), faisant référence aux efforts pour aider les Juifs à émigrer via le Portugal (“Schwartz Reports on Lisbon”, Lifeline [publication du JDC], 1, 2 [juillet 1941], p. 4), et il semble que l’on puisse dire la même chose sur les autres filières de fuite de la côte atlantique. 3. Extrait d’une interview d’Hélène Cazes-Benatar [par Shalom Bar-Asher, été 1977], Central Archives of the History of the Jewish People [CAHJP], P-129/1a. Ce qui en ressort n’est pas clair. Il est imposible de savoir si les estimations se réfèrent à tous les réfugiés (Juifs, républicains espagnols et autres) ou uniquement aux Juifs, et si elles se réfèrent à l’ensemble de l’Afrique du Nord ou uniquement au Maroc. 4. LA HICEM fut fondée en 1927 pour aider les Juifs d’Europe à émigrer. Elle est le résultat de la fusion de trois organisations d’émigration juives : HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society), basée à New York ; ICA (Jewish Colonization Association), à Paris ; et Emigdirect, à Berlin. Le nom HICEM est un acronyme de HIAS, ICA, et Emigdirect. 5. Ses activités furent brièvement mentionnées, à la fois pendant la guerre et après la guerre, par Yaron Tsur, Kehita Kruya : Yehudei Morocco vehaLe’umeyut 1943-1954 (Une communauté déchirée. Les Juifs du Maroc et le nationalisme, 1943-1954)), Tel-Aviv, 2001, p. 291, 374 [en hébreu] ; Michael M. Laskier, North African Jewry in the twentieth century : The Jews of Morocco, Tunisia and Algeria, New York, 1994 ; Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Paris, 1983, p. 98-102, notant que les archives de Benatar n’ont pas encore été examinées ; Mohammed Kenbib, Juifs et musulmans au Maroc, 1859-1948, Rabat 1994, p. 550, 604. 6. CAHJP, P-129, description de catalogue ; voir aussi : http://sites.huji.ac.il/cahjp/RP129%20Benatar.pdf. Voir aussi : Shalom Bar-Asher, “Jewish Refugees from Nazi Europe in North Africa : A document from the Archive of Qazes BenAttar”, Pe’amim 114-115 (2008), p. 257 [en hébreu]. 7. Isaac Guershon, “Aid Given to Jewish Refugees in Morocco during World War II”, Shorashim BiMizrah 2 (1980), p. 277-314 [en hébreu]. Références à ces archives, voir aussi : Bar-Asher (voir ci-dessus, note 6), p. 257-262 ; Laskier, North African Jewry (ci-dessus, note 5) ; Abitbol (ci-dessus, note 5), p. 98-99 ; Michel Meyer Albo, « Solidarité du judaïsme marocain envers les Juifs réfugiés d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale », Pardes 17 (1993), p. 210-219 ; Mathilde A. Tagger, “European Refugees who found Shelter in Morocco during World War II”, Avotaynu 20, 3, (2004), p. 47-48. 8. Zosa Szakowksi, par exemple, note dans son livre publié en 1975, Jews in the French Foreign Legion, New York 1975 : « On aimerait bien donner quelques détails sur ses activités. Cependant, nous n’avons aucune documentation disponible sur les activités de l’AJDC en Afrique du Nord et, si ces documents n’ont pas été détruits et sont encore disponibles, l’auteur n’a pas pu les obtenir », p. 114 ; voir aussi p. 182. 9. Dr Joseph Schwartz, “Report on Moroccan Trip of Inspection” [rapport dactylographié, daté à la main du 2 février 1943], p. 4 sur 4 p., Archives du Joint Distribution Committee, Jérusalem [ci-après JDC/Jérusalem], RG NY 33/44, dossier 434, voir aussi dossier 745. 10. Sonia Levine à Louis Sobel, JDC, New York, 28 novembre 1944, JDC/Jérusalem, RG NY 1933/44, dossier 435. À ces termes, nous pouvons ajouter quelques autres descriptions, très rares, provenant d’autres rapports, telles que : « une femme extraordinaire, dynamique, capable – c’est un véritable plaisir de travailler avec elle, elle fait avancer les choses ». Richard Plaut, un représentant du JDC, en visite en Afrique du Nord en avril 1945, dans un rapport en date du 18 avril 1945, JDC/Jérusalem, RG NY 45/54, dossier 6. 11. Abraham Isaac Laredo, Memorias de un Viejo Tangerino, Madrid, 1935, p. 450 ; Joseph Tolédano, Une histoire de famille. Les noms de famille des Juifs d’Afrique du Nord, Jérusalem 1998, p. 299-300, indique que son année de naissance est 1909 ; Albo (ci-dessus, note 7), p. 219, parle de 1900. 12. « Nelly Benathar, une femme de tête, de cœur et de courage », manuscrit de 84 pages avec lettre d’accompagnement du Dr Serge Lapidus à Herbert Katsky, AJDC [!], New York [non daté-c. 1984], Archives de l’American Jewish Joint Distribution Committee, New York, Collection Oral Histories and Memoirs, dossier Hélène Cazes-Benatar. Je remercie Sherry Hyman, des archives de l’AJJDC, qui trouva le manuscrit à New York et m’en envoya gentiment une photocopie. J’ai donc pu retrouver le Dr Serge Lapidus, qui si généreusement m’en envoya une autre copie en juin 2008, amendée environ six ans après que le manuscrit d’origine eut été envoyé aux archives de l’AJJDC. Plusieurs pages et annexes furent ajoutées, dont des copies de diverses lettres écrites à Mme Benatar et des articles à son sujet. Je remercie également le Dr Lapidus. Les références dans cet article se rapportent à la dernière version. La seule utilisation rigoureuse de ce manuscrit que j’aie trouvée est une brève esquisse biographique par Michèle Bitton, Présences féminines juives en France (XIXe-XXe siècle), Châteauneuf 2002 et http://www.afmeg.info/squelettes/dicofemmesjuives/pages/notice/cazes.htm, téléchargée le 22 avril 2008. On trouve dans les documents diverses orthographes de son nom, y compris dans les documents signés de sa main. Nous avons adopté l’orthographe de son papier à en-tête des années 1940, à moins qu’il ne s’agisse d’une citation, comme le titre de la biographie de Lapidus : Benathar. Lapidus indique qu’elle avait adopté l’orthographe de Benathar en 1939 mais conserva « Benatar » sur son papier à en-tête et pour la plupart de ses signatures ; CAHJP, P-129. 13. Éloge par S. D. Levy, in L’Avenir illustré, 31 décembre 1938, p. 89-90 ; Lapidus, p. 15-16. 14. Lapidus, p. 15. 15. Nous ne savons pas quand elle commença ses études de droit ni quand sa fille aînée, Annette, décéda. En ce qui concerne ses actions et activités après le décès de son mari en 1939, nous avançons l’hypothèse que c’est après la mort de sa fille Annette qu’elle se lança dans ses études et ses nouvelles activités pour tenter de surmonter sa douleur. 16. Voir par exemple : L’Avenir illustré, 29 février 1936 ; ibid., 31 mai 1937, p. 15 ; Ibid., 31 janvier 1939, p. 7 ; Lapidus, p. 8-19. 17. Tsur (ci-dessus, note 5), p. 291, 374. 18. Lapidus, p. 19-21. 19. Sa demande auprès du consul britannique au Maroc est citée par Lapidus, p. 26-27 ; notée également dans son interview (ci-dessus, note 3). Lapidus fait référence à son travail dans la Résistance en rapport avec sa requête adressée au consul britannique à Casablanca. 20. Lapidus, p. 29. 21. Celia et Murdoch Bengio furent parmi ceux qui participèrent aux activités sionistes et à la vie sociale de la communauté juive de Casablanca pendant les années 1930. En 1948, Celia Bengio (1896-1996), alors veuve, utilisa son modeste héritage pour créer l’orphelinat MurdochBengio pour enfants juifs à Casablanca. Dans les années 1950, l’orphelinat fut agrandi pour être ensuite abandonné et démoli en partie. Dans les années 1990, le musée du Judaïsme marocain de Casablanca ouvrit ses portes au même endroit. « Inauguration du Home Murdoch Bengio », Noar, 25 avril 1949, p. 11 ; “French Morocco, Social Services”, American Jewish Yearbook, vol. 54 (1953), p. 391, voir aussi le site Internet des Archives de l’American Jewish Committee, http://www.ajcarchives.org/AJC_DATA/Files/1953_12_NorthAfrica.pdf ; Gilberte Jacaret, ‘Culture 11’, le site Internet officiel du B’nai Brith Europe, er http://www.bnaibritheurope.org/bbe/content/view/776/116/lang.en/ téléchargé le 1 décembre 2009 ; « Patrimoine : Un musée très discret », TelQuel Magazine Online no 119 (Maroc), http://www.telquel-online.com/119/sujet7.html téléchargé le 1er décembre 2009. 22. Bien que les relations aient duré pratiquement quinze ans, les choses ne furent pas toujours faciles. La position de Mme Benatar n’était pas clairement définie, du moins à ses yeux, et des malentendus survinrent plus d’une fois. Voir par exemple la lettre d’Hélène Benatar, Casablanca, au bureau du JDC à Lisbonne, 3 février, 1943, JDC/Jérusalem, 1933/44, dossier 435 ; a 29 novembre, 1943 rapport des activités au Maroc y compris les difficultés de Mme Benatar à fonctionner à titre individuel et son embarras, mettant tout cela sur le compte d’un « problème de relations publiques » JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745 (p. 7 du rapport). 23. “A Home & an Orchard”, JDC Digest 9, 1 (Jan.-Feb. 1950), p. 9. Voir aussi : Lapidus, p. 98-102 pour d’autres articles de journaux et lettres officielles. 24. “United Jewish Appeal proudly presents an outstanding spokesman for the Jews of North Africa”, brochure de l’UJA dont l’un des titres est « Écoutez la femme qui a défié les autorités pronazies de Vichy pour sauver des vies juives », in : Lapidus, p. 91-92 ; couverture uniquement dans CAHJP, P-129/1. Pour un récit détaillé du voyage, voir Lapidus, p. 72-75. 25. Ibid., p. 81. 26. Ibid., p. 81-82. 27. Ibid., p. 86. 28. Tsur (ci-dessus, note 5), p. 33-36, 48-50. 29. Michel Abitbol, “Waiting for Vichy : Europeans and Jews in North Africa on the Eve of World War II”, Yad VaShem Studies 14 (1981), p. 139-166, notamment p. 154-155. 30. Pour de plus amples détails sur la situation des Juifs au Maroc dans les années 1940, voir : M.Y., R.S. et R.B., « L’application du statut des Juifs et des dispositions raciales à la population juive au Maroc », rapport confidentiel, février 1942, ms, archives de l’Institut BenZvi ; American Jewish Yearbook 44 (1943), p. 200-201. Pour une étude plus approfondie et d’autres sources, voir : Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 66-79, annexes 2, 4, 5 (p. 184189) ; Laskier, North African Jewry (ci-dessus, note 5), p. 55-83 ; David Cohen, “The Nature of the Implementation of the Anti-Jewish Legislation in Morocco under Vichy in accordance with new documents from the Quai d’Orsay”, Proceedings of the Ninth World Congress of Jewish Studies, B, 2, Jérusalem, 1989, p. 225-228. 31. Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 71, notamment note 52. Laskier (North African Jewry [ci-dessus, note 5] p. 62) avance que la plupart des avocats touchés étaient probablement des Juifs européens non marocains. 32. American Jewish Yearbook 42 (1943), p. 159. 33. Ibid., p. 169. 34. Laskier, North African Jewry (ci-dessus, note 5) p. 65. 35. Tsur (ci-dessus, note 5), p. 16-22 ; Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 153-155. 36. Sur les réfugiés juifs dans la zone internationale de Tanger : Michael M. Laskier, “Between Vichy Antisemitism and German Harassment : the Jews of North Africa during the early 1940s”, Modern Judaism 11, 3 (1991), p. 353-355 ; Isabelle Rohr, “Haven in the Maghreb : Jewish Refugees in Tangier (1939-1945)” et Mitchell Serels, “Spies and Counterspies, Nazis and Refugees : Tangier during World War II”, deux exposés présentés lors d’une conférence internationale, « L’Afrique du Nord et ses Juifs durant la Seconde Guerre mondiale », nouvelles recherches, Jérusalem, 29-30 avril 2008. 37. Laskier, “Between Vichy Antisemitism” (ci-dessus, note 36), p. 352 ; Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 97-99. 38. JDC, Aiding Jews Overseas, Report of the JDC for 1940, New York 1941, p. 17 ; The New York Times, 21 juin 1941, p. 4, parle de 400 réfugiés qui furent transférés de Dakar à Casablanca. Voir autres articles du 13 juin, 1941, p. 2 ; du 21 juin 1941, p. 4 ; du 26 juin 1941, p. 6. Voir le fascinant récit dans le journal et les mémoires de la bru et de la petite-fille de Sigmund Freud, Esti et Sophie Freud, de leur fuite d’Europe, et de leur séjour de dix mois à Casablanca. Sophie Freud, Living in the Shadow of the Freud Family, Westport CN et Londres, 2007, notamment p. 253-286. 39. Varian Fry, Surrender on Demand, New York, 1945 et Boulder, CO 1997 ; Sheila Isenberg, A Hero of Our Own : the Story of Varian Fry, New York, 2001. 40. Wischnitzer (ci-dessus, note 1), p. 169. 41. Voir par exemple un contrat entre Mme Benatar, présidente de l’Association des anciens élèves de l’Alliance israélite universelle, et le Bureau régional des réfugiés de la municipalité de Casablanca, signé par Henry Bouquet, 16 novembre 1940, CAHJP, P-129, 3824/4 (no original d’archive) ; Lapidus, p. 27. 42. Pour une présentation plus détaillée et plus approfondie, voir : Szajkowski (ci-dessus, note 8). 43. Aiding Jews Overseas. Report of the JDC for 1940, New York, 1941, p. 31. 44. Sur la base des très nombreux documents des archives de Mme Benatar (CAHJP, P129), Guershon dénombra 21 camps au Maroc, dont 11 camps de travail. Six camps disciplinaires et quatre camps de détention furent aussi installés sur le territoire marocain. Guershon (ci-dessus, note 7), p. 282-283. 45. “Forced Labor Girding Dakar. Exiles Report”, The New York Times, mai 25, 1941, p. 31 ; voir également les articles du 25 juillet 1941, p. 6 et du 6 août 1941. Voir aussi : S.A. Desick à R. Slobodin, AJJDC, New York, 27 mai 1941, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745 ; Heintz Pol, “Vichy Slave Battalions”, The Nation 152 (été 1941). 46. JDC à Benatar, 17 mars 1941, CAHJP, P-129. 47. Lapidus, p. 28-29. 48. CAHJP, P-129/ 1 b (diverses communautés), 29 (Safi), 30 (Marrakech), 31, 56, 72, (Mogador), 73 (Settat), 62 (diverses communautés). Sur les activités à Mogador, voir : Tagger (ci-dessus, note 7), p. 47-48 ; interview de Mathilde Tagger par l’auteur, Jérusalem, 11 mai 2008, et les mémoires de son père, Prosper Cohen, qu’elle détient. 49. Yehuda Bauer, American Jewry and the Holocaust, Détroit, 1981, p. 204. 50. “Report on situation of refugees still in Morocco, submitted by Mr. Spanien”, Joseph J. Schwartz, AJDC, Lisbonne à l’AJDC, New York, 9 octobre 1941. On rapporta par la suite que 1 000 à 1 500 réfugiés purent partir, soit par leurs propres moyens, soit avec l’aide des organisations juives ; JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745. 51. Bauer (ci-dessus, note 49), p. 203. 52. Rapport annuel de l’HIAS, New York, 1941, p. 28. 53. Dr William Hills Sheldon, “Statement of health conditions in French Morocco”, 4 novembre 1941, Archives de l’American Friends Service Committee, Philadelphie, Registres de l’American Friends Service Committee concernant le travail humanitaire en Afrique du Nord, 1942-1945 [ci-après : AFSC], boîte 1, dossier 5 ; Dr Wyss-Dunant, “Visits to various internment camps, 1942,” ibid., boîte 1, dossier 15. 54. AFSC, boîte 1, dossier 29 ; Howard Wriggins, Picking up the Pieces from Portugal to Palestine. Quaker Refugee Relief in World War II. A Memoir, Lanham MD 2004, p. 64. 55. “General Situation of Jews in North Africa : French Morocco, Algiers, Tangiers and Tunis” [date inscrite à la main du 13 novembre 1942], JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745 ; voir aussi : Louis J. Borinstein, “Agenda for North Africa” The JDC Digest 1,6 (déc. 1942), p. 2. 56. Abitbol, Les Juifs (ci-dessus, note 5), p. 99. L’estimation d’Abitbol est bien inférieure aux 60 000 donnés par Mme Cazes-Benatar de nombreuses années après la guerre. Nous ne savons cependant pas comment celle-ci arriva à ce chiffre – s’il comprend tous les pays d’Afrique du Nord ou uniquement le Maroc, s’il ne comprend que des Juifs ou également des réfugiés non juifs, et ainsi de suite (voir ci-dessus, note 3). Voir aussi la discussion dans l’ouvrage d’Aryeh Tartakower et Kurt R. Grossman, The Jewish Refugee, New York, 1944, p. 211. 57. S.A. Desick à R. Slobodin, AJJDC. New York, 27 mai, 1941, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745 ; Lapidus, p. 44-45. 58. CAHJP, P-129/1a. Dans une courte biographie, elle nota, certainement en 1977, quand elle transféra ses archives à Jérusalem, que son travail avec les réfugiés servait aussi à couvrir le travail fait pour la Résistance (voir ci-dessus, note 19). Cela est également mentionné dans une brochure publiée par le United Jewish Appeal à l’occasion de sa campagne de collecte aux États-Unis. Nous n’avons trouvé aucune autre preuve de cette affirmation. Voir aussi, pour un récit plus détaillé : Lapidus, p. 36-37. 59. Concernant le transfert de fonds, voir le rapport du JDC, Estimated Budgetary Requirements for 1943, p. 6. Voir également les références aux problèmes : Leslie O. Heath, AFSC, Casablanca, à Herbert Katski, JDC, Lisbonne, 13 avril, 1943 ; Eric W. Johnson, délégué de l’AFSC, Casablanca, à Herbert Katski, JDC, New York, 11 octobre, 1943 ; et Katzki à Johnson, 22 octobre 1943, tous dans l’AFSC, boîte 2, fichier 11. 60. Transit pour Casablanca, avril 1942, CAHJP, P-129/9. 61. American Jewish Year Book 44 (1943), p. 296. 62. Voir la nombreuse correspondance, les rapports et la liste des passagers dont le voyage était sponsorisé par la HICEM vers ou au départ de Casablanca, 1941-1942, archives YIVO Center for Jewish History, New York, siège de la HICEM en Europe, Registres 1935-1953, RG 245.5, dossiers 142-156. 63. David Izbotsky, http://www.simplonpc.co.uk/2RoyalMailLines/Ebro_1914_P-Olga01.jpg, téléchargé le 16 janvier 2010 [en hébreu]. Pour une description verbale et visuelle du bateau, voir Companhia Colonial de Navegação, Cartes postales des navires et paquebots portugais, http://www.simplonpc.co.uk/Portugal_Colonial.html#anchor2198241, téléchargé le 16 janvier 2010. 64. Jules Wallerstein, “Limited Autobiography”, Archives Leo Baeck, Center for Jewish History, New York, ME 1334. 65. Pour des descriptions de l’une des traversées du paquebot portugais Guinée de Lisbonne à Casablanca puis New York et les procès de quelque deux cents réfugiés qui avaient été laissés à Casablanca, voir : The Jewish Criterion, le journal juif de Pittsburgh, 11 juillet 1941, p. 3, et 15 août, 1941, p. 2. Voir aussi le récit de Freud (ci-dessus, note 38). 66. Sur l’attitude des États-Unis, notamment celle des Juifs américains, voir Michal Ben Ya’akov, “‘All Israel are Responsible for Each Other’ – The Activities of American Jewry on behalf of North African Jews during the Holocaust”, in Z. Ukashy, S. Rosmarin & I. Rozenson (eds.), Along the Paths of Jewish History, Research and Reminiscences, in honor of Dr Zvi Gastwirth, Jérusalem, 2006, p. 401-432 [en hébreu]. 67. Szajkowski (ci-dessus, note 8), p. 159. 68. CAHJP, P-129/1a ; AFSC, boîte 2, dossier 19, boîte 5, dossier 79. 69. Kenneth G. Crawford, Report on North Africa, New York, Farrar, 1943, p. 101. Dans l’avant-propos de cet ouvrage, Crawford, journaliste envoyé en Afrique du Nord entre mars et mai 1943 pour couvrir les événements, écrivit, dans son évaluation de la situation : « Sur toutes les […] histoires illustrant la soi-disant stupidité et la bassesse ouverte de la politique américaine en Afrique du Nord, certaines sont aussi sinistres ou pratiquement aussi persuasives que celles qui parlent des prisonniers politiques […]. Selon la rumeur, non seulement les autorités américaines ne faisaient rien pour relâcher ces prisonniers mais elles étaient de mèche avec les coloniaux français pour grossir la main-d’œuvre. » 70. Memorandum to the Chief, Division of Public Welfare and Relief, DAEB, Report on Activity of the Refugee Section, du 30 juin 1943 à aujourd’hui [15 juillet 1943], signé Kendall G. Kimberland, Section des réfugiés, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 434. “Refugee situation, North Africa”, Casablanca, 19 juillet 1943 (publié pour la presse le 26 juin 1943), JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 434. 71. Dr Joseph Schwartz, Report on Moroccan Trip of Inspections [date inscrite à la main 19/2/43], JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossiers 434, 745. 72. Ilja M. Difour, “The Refugee Problem”, American Jewish Year Book 46 (1944-1945), p. 310. 73. Donald B. Hurvitz, “Report on North Africa, November 1943”, J.D.C. Digest 2, 5 (1943), p. 13-15. 74. Bauer (ci-dessus, note 49), p. 205. 75. Procès-verbal de réunion, 26 juillet 1943, AFSC, boîte 3, dossier 47. 76. Memorandum to the Chief, Division of Public Wefare and Relief, DAEB, Report on Activity of the Refugee Section, du 30 juin 1943 à aujourd’hui [15 juillet 1943], signé Kendall G. Kimberland, Section des réfugiés, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 434. 77. Joseph Schwartz, directeur du siège européen du JDC, par exemple, nota qu’elle était la présidente local du comité du JDC. Schwartz Lisbon à l’AJJDC, New York, 8 octobre 1941, JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745. 78. Par exemple, Herbert Katzki, secrétaire, JDC de Londres au département comptable, AJJDC, New York, 11 février 1943 ; JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745. 79. Richard Plaut, dans un rapport en date du 18 avril 1945, JDC/Jérusalem, RG NY 45/54, dossier 6. 80. Moses A. Leavitt, “Memorandum on the situation in Morocco”, 8 avril 1940 ; JDC/Jérusalem, RG NY 33/44, dossier 745. 81. Susan Chambré, “Philanthropy”, in Paula E. Hyman & Deborah Dash Moore (eds), Jewish Women in America. An Historical Encyclopedia, vol. 2, New York-Londres, 1997, p. 1049. 82. Ibid., p. 1050-1053. 10. Espionnage et contre-espionnage ; nazis et réfugiés : Tanger durant la Seconde Guerre mondiale 1. Pike, David Wingeate. “Franco and the Axis Stigma,” Journal of Contemporary History, vol. 17, no 3, (juillet 1982) p. 369-407, et Foltz, Charles Jr. The Masquerade in Spain, Boston, Houghton Mifflin Co., 1948, p. 151. 2. Foltz, p. 156. 3. Foltz, p. 151. 4. Pike, p. 373 Selon François Pietri, ambassadeur de Vichy à Madrid, l’Espagne connut trois étapes pendant la guerre : De l’armistice de Bordeaux à juillet 1942 – non-belligérante, pro-Axe. De juillet 1942 à février 1944 – neutralité absolue. De février 1944 à la fin de la guerre – pro-Alliés. Tout cela joua sur le comportement des Espagnols envers les agents ennemis à Tanger. 5. Coon, Carleton S., A North African Story. The Anthropologist as OSS Agent 1941-1943, Ipswich, Gambit, 1980. p. 9. 6. Pike, p. 372. 7. Childs, J. Rives. Let the Credit Go, New York, Giniger Co., 1983. p. 152-154. Après l’incorporation, les Alliés maintenaient des relations correctes avec les autorités espagnoles à Tanger. Cependant, ils ne participaient pas aux événements officiels espagnols en ville. Ernest Dempster, le conseiller juridique britannique de la légation américaine, pense de même. Cependant, lorsque le califat remplaça le Mendoub, la plupart des représentants étaient présents. 8. Childs, p. 181. 9. Childs, p. 136. 10. Waller, John H., The Unseen War in Europe. Espionage and Conspiracy in the Second World War, New York, Random House, 1996, p. 155. L’Espagne était particulièrement préoccupée par le fait que, si les Britanniques étaient chassés de Gibraltar, ils se réfugieraient à Tanger et occuperaient la ville, la privant ainsi du seul point qu’elle avait marqué pendant la guerre. 11. Waller, p. 161. Bien que les Britanniques en aient voulu à l’Espagne d’occuper Tanger, ils réalisèrent que la prise de la ville ne signifiait pas un soutien actif à l’Allemagne de la part des Espagnols. 12. Childs, p. 137. 13. Childs, p. 137 14. Childs, p. 157 15. Coon, p. 6. 16. Vaiden, Lawdom, Tanger : A Different Way, Metuchen, Scarecrow, 1977, p. 236-37. 17. Crozier, Brian, Franco, Boston, Little, Brown and Co., 1967. p. 196-99. Bernhardt avait convaincu Hitler lors de leur entretien à Bayreuth le 26 juillet 1936. Le lendemain, Bernhardt et Langheim rentrèrent à Tétouan, annonçant que les avions allemands transporteraient des troupes espagnoles de Tétouan à Séville. 18. Kahn, David, Hitler’s Spies. German Military Intelligence in World War II, New York, Macmillan Publishing Co., 1978. p. 231. C’était l’argument principal de Canaris, qui se rendait fréquemment en Espagne. 19. Coon, p. 45. 20. Kahn, p. 246. Les Allemands avaient un système élaboré et parfois troublant pour obtenir et évaluer des informations en Afrique du Nord. Le spécialiste-capitaine Karl-Erich Kuhlenthal recrutait des agents en Afrique du Nord et à Gibraltar. Le spécialiste-capitaine Constantin Canaris, neveu de l’amiral Canaris, chef de l’Abwehr, évaluait et transmettait les rapports d’Afrique du Nord pour le sous-groupe I Armée. Le commandant Baltzer, du sousgroupe I Marine, supervisait les espions dans les ports espagnols. L’ingénieur aéronautique du sous-groupe I Luftwaffe, le Dr Weiss, enquêtait sur les atterrissages d’urgence dans des zones contrôlées par l’Espagne. Le contre-espionnage du Groupe III était couvert dans cette zone par le trésorier en chef, Franzbach, qui fournissait constamment des agents à Tétouan et à Tanger par Barcelone. Plusieurs bureaux dans diverses villes d’Allemagne étaient chargés de superviser les agents allemands à travers le monde. Berlin était chargé des agents juifs et suisses ; Stuttgart des agents allemands à l’étranger ayant des contacts commerciaux en Espagne et au Portugal ; Munster des frontières franco-espagnoles, Hambourg de l’Amérique latine et des agents qui utilisaient l’Afrique du Nord espagnole pour expédier des marchandises. 21. Burdick, Charles B., Germany’s Military Strategy and Spain in WWII, Syracuse, Syracuse University Press, 1968, p. 24-26. Canaris fit souvent le voyage entre Berlin et Madrid. Il voyageait avec Piekenbrock, rencontra Leissner puis Franco et le général Vignon. 22. Dollmann rencontra en janvier 1952 le mufti de Jérusalem Haj Amin el-Husseini dans sa « Villa Aida » à Héliopolis. Dollmann participa à l’utilisation des fonds détenus par les nazis dans les entreprises d’import-export restantes pour permettre aux nazis de partir en Amérique du Sud. Hoettl. William, The Secret Front. The Story of Nazi Political Espionage, New York, Frederich A. Praeger, 1978, p. 158. Les nazis avaient une division SS musulmane que le mufti inspecta et pour laquelle il aida au recrutement des troupes. Himmler demanda à Schellenberg en septembre 1943 de demander au mufti d’envoyer un émissaire arabe pour se renseigner sur les expériences américaines en matière de roquettes en Afrique du Nord. Le choix tomba sur « Reed ». Doerries, Reinhard R., Hitler’s Last Chief of Foreign Intelligence. Allied interrogations of Walter Schellenberg, Londres, Frank Cass, 2003. p. 128. 23. LeBor, Adam, Hitler’s Secret Bankers. The Myth of Swiss Neutrality during the Holocaust, Secaucus, Birch Lance Press, 1997. p. 67-68. 24. Foltz, p. 156. 25. Franco avait de nombreux amis parmi les hommes d’affaires juifs marocains, notamment parmi les riches familles de Tétouan. 26. Pike, p. 384. 27. Childs, p. 181. 28. Childs, p. 138. Le colonel William A. Eddy arrivant le 26 janvier 1942 était l’attaché naval et le colonel William C. Bentley était l’attaché militaire. Eddy était un marine décoré qui dirigeait l’OSS à Tanger, centre d’espionnage pour les renseignements américains jusqu’au débarquement en Afrique du Nord. Bentley fut ensuite remplacé par le colonel Johnson. p. 199. 29. Pour d’autres informations sur le Dr Nahon et sa famille, voir Laredo, Abraham I, Les Noms des Juifs du Maroc, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas Instituto “B. Arias Montano”, 1978. 30. Coon, p. 35-38. La légation américaine utilisait plusieurs codes, notamment Coinform, Victor, ou Yankee. Ces codes étaient entreposés dans le coffre du bureau de l’attaché militaire. D’autres créèrent leurs propres codes, se basant sur le mot anglais « desiccated », qu’un bon nombre de membres du personnel de la légation avaient du mal à orthographier correctement. Coon indiqua que le code officiel était découvert, certainement à cause de la femme de ménage qui espionnait la légation pour les autorités espagnoles. Néandertal devait donner des informations sur les mouvements de troupes espagnoles entre Sidi Kasseus et le cap Spartil. Il indiqua que les Espagnols avaient deux mitrailleuses AA montées sur des camions. Comme couverture, il vendait du poisson ou du poulet à Tanger. 31. Coon, p. 36-38. 32. Masterman, J. C., The Double-Cross System in the War of 1939 to 1945, New Haven, Yale University Press, 1972. p. 84. 33. Kahn, p. 500. 34. Childs, p. 179. 35. Kahn, p. 274. Himmler demanda à Schellenberg d’obtenir des papiers pour Friederike Deutsch, à moitié juif, qui devait se marier. Voir également, Karl, The Downfall of the German Secret Service, Londres, William Kimber, 1956, p. 65. 36. Manvell, Roger et Heinrich Fraenkle, The Canaris Conspiracy. The Secret Resistance to Hitler in the German Army, New York, David McKay Co., 1969, p. 102. Canaris employait à l’Abwehr deux Juifs, le colonel Simon et le colonel Bloch. Il leur avait procuré de faux papiers. Théoriquement, il obtint sept certificats aryens pour les Juifs quittant l’Allemagne pour l’Amérique latine. En fait, il en obtint 15, y compris pour l’avocat Arnold (Arnhold ?) et sa famille. La plupart des « espions » étaient des hommes âgés, l’un d’eux était aveugle. Canaris se rendait souvent en Espagne et parlait bien espagnol, ayant vécu au Chili. 37. Andor Grosz était également un Juif hongrois espionnant pour les nazis. Il travaillait en Suisse pour le bureau de Stuttgart. 38. Interview avec John Stern. 39. Kassner, Lily, Mathias Goeritz. Una Biografia. 1915-1990, Mexico, Instituto Nacional de Bellas Artes, 1998, vol. II, p. 17. Les parents de Goeritz étaient protestants. Mathias Goeritz avança être exempté du service militaire car 1) il venait de Dantzig ; 2) il était trop grand ; ou 3) il était trop maigre. p. 23. Concernant le symbolisme dans les travaux de Goeritz sur Auschwitz, voir Amishai Maisels. Christological Symbolism of the Holocaust, Holocaust and Genocide Studies, vol. 3, no 4, 1988, p. 457-481. Pour une biographie quelque peu différente, voir Kassner, Lily S., Diccionario de escultura Mexicana del siglo XX, Mexico, Consejo nacional para la cultura y las artes, 1997. Pour d’autres informations et un certain nombre de contradictions, voir Cuahonte de Rodriguez, Maria Leono, Mathias Goeritz, Paris, l’Harmattan, 2000. Voir aussi Goeritz, Mathias. Architectural Sculpture. Mathias Goeritz : an Exhibition, Jérusalem, Academic Press, 1980. Et Mathias Goeritz. Arquitectura emocional, Mexico, Instituto nacional de belle artes. Mexico, Museo de arte moderno, 1984. ainsi que Wendl, Karel, The Route of Friendship : A Cultural/Artistic Event o the Games of the XIXth Olympiad in Mexico City-1968, Olympika : The International Journal of Olympic Studies, vol. VII. 1998. p. 113-114. 40. Kassner, 1998. Vol. II, p. 235. Lors d’un entretien avec un haut fonctionnaire du gouvernement de Munich, il semble que Mathias Goeritz ait demandé à être nommé au poste d’enseignant d’allemand à l’Institut allemand à Tétouan. Il semble que le gouvernement espagnol ait pensé que cette fonction était un poste diplomatique donnant droit à certains privilèges. Tous les récits s’accordent à dire que Mathias Goeritz est né à Dantzig en 1915 et est mort au Mexique en 1990. Même son ascendance juive est voilée, car il semble que son grandpère paternel était juif. On ne sait pas comment il arriva à Tanger. Certains disent qu’il voyageait en Belgique et en France quand la guerre éclata et qu’il partit pour l’Espagne. D’autres disent qu’il vivait à Berlin et déménagea en Espagne. Selon une autre source, il partit pour l’Afrique du Nord et arriva en Espagne uniquement en 1945. Mathias Goeritz dit qu’il s’en alla vers le nord, pour habiter dans la demeure d’un noble espagnol près de San Sebastian. 41. Katz, p. 30. Même l’OSS faisait appel à des artistes pour faire de l’espionnage. Goeritz a peint un paysage de Gibraltar en 1942, vu du côté espagnol. 42. Childs, p. 181. Le nom de l’architecte n’est pas précisé. 43. Wyman, p. 223. Hayes, dans l’ensemble, aida les Juifs, notamment les réfugiés séfarades et les Juifs hongrois. Il était le coprésident du Conseil national des chrétiens et des Juifs. Cependant, Hayes était plus soucieux de l’entrée éventuelle de l’Espagne au nom de l’Allemagne et du transfert de matières premières d’Espagne en Allemagne. Wyman et Avni, Haïm, Spain, the Jews and Franco, 1982. 44. LeBor. Les États-Unis surveillaient les Reichmann à Tanger. Les agents américains pensaient qu’ils se servaient de la Croix-Rouge espagnole pour passer en contrebande des denrées dans les zones sous occupation nazie. Cependant, Childs, chef de la légation américaine, avait de très bonnes relations avec Renée Reichmann. 45. Childs, p. 151-161. Renée Reichmann avait de bonnes relations avec les autorités américaines et espagnoles. Son objectif principal était d’obtenir la protection espagnole pour ces enfants mais il fallait également trouver un endroit qui les accepte. Le général Orgaz accepta. Childs contacta également l’ambassadeur américain à Madrid, Hayes. Les 500 visas une fois émis, Reichmann demanda 700 visas supplémentaires pour les adultes. Childs réussit à obtenir l’accord d’Orgaz. Childs ne sut pas exactement combien de vies furent sauvées mais pensa que toutes le furent. Childs crédita certainement Renée Reichmann de persistance, de grâce et de charme pour mettre en œuvre l’assistance. Le représentant espagnol à Budapest, Angel SanzBriz, fut d’une grande aide, allant au-delà des instructions du gouvernement franquiste. Voir Serels, M. Mitchell. “Ambassador Angel Sanz-Briz and the Salvation of Hungarian Jews”, Del Fuego : Sephardim and the Holocaust, New York, Sepher-Hermon Press, 1995, p. 254-58. 46. Le Vaad Hatzalah siégeait au 540 Bedford Avenue, Brooklyn, New York. Des documents décrivant l’efficacité de l’aide de Renée Reichmann aux Juifs hongrois ont été trouvés dans la bibliothèque de la Yeshiva University. 47. Pour une plus ample discussion sur la communauté juive de Tanger pendant les années de la guerre, voir Serels, M. Mitchell, The Jewish Community of Tangier in the 19th and 20th Centuries, New York, Sepher-Hermon Press, 1991. Parmi ces commerçants, Bentolila & Co., Rosenbaum & Co., Bendrao & Co., Cohen & Co., Marquez & Co., Benadiba & Co., Fargeon & Co., Benchimol & Co., Back & Co., Fux & Co. Une partie du soutien provenait sans aucun doute des partenaires commerciaux ashkénazes. 48. Serels, p. 159-160. Calle Tetuan était une résidence appartenant à David Benelbaz, l’arrière-grand-père de ma femme. Le 24 février 1944, selon une carte du camp de concentration de Theresienstadt, trois colis de Tanger arrivaient. 49. Ce dernier s’installa à Genève après l’indépendance marocaine et la réunification de Tanger avec le Royaume. Ensuite, avec l’achat de l’agence de Genève de la Banca del Gottardo, la banque s’installa à Madrid. La banque Pariente était la plus ancienne banque financière marocaine. 50. Interview avec Amram Bendahan, voir Serels, p. 246. 51. Monterforte Toledo, Conversaciones con Mathias Goeritz, Madrid, Siglo Veintiuno Editores, 1993, p. 33-34. 52. Monteforte Toledo, p. 34. Mathias Goeritz relate l’histoire d’un émigré qu’il nomme Rudolfo. Goeritz avait fait sa connaissance à Berlin en 1937. 53. US National Archives and Records Administration. Military Agency Records. RG 226. Document no 11526. Safehaven. 54. Coon, p. 10-12. 55. Coon, p. 12-13. 56. Coon, p. 24. M. Fish, dont l’identité réelle demeure obscure, parlait anglais. Il tenta d’obtenir des informations sur les fortifications secrètes mais fut découvert par les Espagnols. Il refusa d’autres missions. 57. Coon, p. 13. Coon note que la propagande imprimée n’était pas efficace. Childs limita son utilisation sauf si les Espagnols autorisaient les Allemands à distribuer la leur. Les Britanniques et les Allemands arrivèrent à la même conclusion. p. 15. 58. Coon, p. 24. Big Moh était prêt à libérer les prisonniers au moment du débarquement allié. Cela aurait causé des troubles et fait diversion. Big Moh communiquait à Childs l’arrestation d’individus intéressants. 59. Childs, p. 179. Coon p. 3 indique que ce fut le 5 février que les explosions britanniques firent huit morts anglais et un certain nombre de morts arabes. 60. Goebbels, p. 73. Note datée du 9 février 1942. 61. Stern, John. Il arriva avec ses parents à Tanger, venant d’Allemagne, alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme. Il tint un journal, était l’un des deux informateurs réfugiés. Il vit actuellement à Long Island, New York. Il épousa Alia Azancot, la fille du dayan de Tanger. L’autre informateur est Robert Abramovici de Paris, France. 62. Childs, p. 175-177. 63. Doerries, 2003, p. 314. 64. Foltz, p. 151. Pike, p. 386. Sir Samuel Hoare, ambassadeur britannique à Madrid, voulait fermer le GCGT et se débarrasser des espions. Selon lui, le GCGT était le siège de l’activité allemande de renseignement. 65. Pike, p. 316. Crozier, p. 394. 66. Pike, p. 404. Le consulat français à Barcelone tenait un registre des agents de la Gestapo en Espagne après la guerre. L’Espagne avait un agent au consulat français, Ramonaxo, un attaché consulaire. L’Espagne avertit également l’ambassade allemande à Madrid qu’en cas de défaite allemande, tous les biens allemands en Espagne seraient bloqués. Cependant, les comptes ne furent bloqués que le 5 mai 1945, date à laquelle une partie des biens avaient déjà été retirés. 67. Pike, p. 392. Donne des détails sur les activités des Allemands qui restèrent en Espagne après la guerre. 68. Childs, p. 153. Tous les réfugiés qui se rendirent à Tanger ne purent y rester. Certains furent expulsés pour y être entrés illégalement ou furent arrêtés. 69. Les Allemands soulevèrent le problème du passage des réfugiés français et juifs, via l’Espagne, en Afrique du Nord. L’Espagne reconnut qu’il y avait effectivement un problème, plusieurs milliers de réfugiés étant entrés en territoire espagnol. Spanish Government and the Axis, Washington, United States Government Printing Office, 1946, p. 36-38. Notes sur la conversation de l’ambassadeur Dieckhoff et du général Franco. Madrid. 15/12/43. 70. JDC no 35385. Lettre générale no 877 à l’ADJC NY de l’ADJC de Lisbonne. Voir Serels, 158. 71. Voir Serels pour de plus amples informations sur la population des réfugiés et les services dont ils bénéficiaient. Parmi eux, Emmanuel Hollander (43, rue Goya) Arthur Kornberg (22, rue de la Vigne) Walter Bickart (Villa de France), Nicolas Rosenbaum (27, rue Fouchauld), M. Rosenfeld (16, rue Fouchauld), J. Grussgott (25, rue Molière), John Stern et bien sûr la famille Reichmann, qui vivait dans le même immeuble que la famille Grussgott. Parmi les individus qui demandèrent l’aide de la communauté et du Joint, les Juifs polonais Rayzla et Abraham Goldberg et leurs quatre enfants ; Berta et Sigismund Grussgott, qui venaient d’arriver de Lisbonne avec leurs quatre enfants ; Mme Ezekiel Hartzfeld et ses huit enfants ; Sara et Simha Poznantek, également des Juifs polonais, avec leurs quatre enfants ; et Wilhelm Sand avec quatre personnes à charge. 72. Serels, p. 160. 73. Wyman, David S., Abandonment of the Jews : America and the Holocaust, 19411945, New York, Pantheon Books, 1984, p. 115-119. Voir aussi p. 127. 74. Basé sur des documents de l’US National Archive and Records Administration. Military Agency Records. RG 226. “The company of Viuda de Carlos J. Brenner was money used by the Nazi Jose Mana Reichardt” (document 10905) ; Otto Steerle Taub (document 10990) ; Alfred E. Radeke à Valence (Document 11967) ; nombreux étaient ceux qui transféraient des fonds en Espagne peut-être par le contact de la Sofindus avec la Banco da Lisboa (document 11526) ; le transfert de fonds par les nazis en Espagne était si étendu que Himmler vérifia les transferts de fonds de Goering (Document 11526) ; Antonio Jose Michel Schaefer à Amilon S.A. (Document 11572). 75. De nombreux nazis participaient à ce réseau de cachettes après la guerre et aidèrent ceux qui s’enfuirent après la conspiration de Naumann de 1952-53 pour contrôler l’Allemagne de l’Ouest. L’une de ses cachettes se trouvait à Madrid. Les nazis restés après la guerre s’en occupaient. Un certain nombre de ces Allemands étaient des diplomates. Tetens, T.H., The New Germany and the Old Nazis, New York, Marzani & Munsel Random House, 1961, pp .31-33, 44-45. Certains suggèrent que Madrid servait de quartier général international ayant une branche à Tanger. 76. Je ne mentionne pas le nom des douaniers ni des ressortissants allemands qui ont été raflés ou expulsés d’Espagne. Ils sont des centaines. J’ai également exclu les Allemands répertoriés en tant qu’agents et pour lesquels aucune autre documentation n’indique qu’ils étaient à Tanger ou en Afrique du Nord. De même pour les officiers espagnols qui furent sanctionnés par le gouvernement espagnol pour leurs activités en faveur des Allemands. La liste se trouve dans les registres des gouvernements espagnol et américain. Note verbale no 927. B-1, exl-A2 du ministère espagnol des Affaires étrangères à l’ambassade des États-Unis à Madrid. 77. Rout & Bratzel, p. 415-17, p. 472. 78. Pike, p. 402. A été forcé de revenir en Allemagne avec Stohrer. Cela témoigne également de la façon dont les Allemands étaient connectés à la population espagnole. 79. Burdick, p. 24-26. 80. Coon. p. 33. Abrines avait sur lui des milliers de pesetas pour soudoyer, chaque fois que cela était nécessaire, les douaniers lorsque les navires revenaient de Gibraltar. Les sommes étaient généralement modestes, 50 ptas. ($5 US). 81. Rout & Brazel, p. 355. 82. Doerries, 2003, p. 314. 83. Childs, p. 138. 84. Childs, p. 148 85. Childs, p. 175. 86. Coon, p. 52. 87. Childs, p. 154. 88. Childs, p. 283. 89. Coon, p. 36-38, 52. 90. Coon, p. 32. 91. Coon, p. 36. 92. Lankford, p. 42. L’OSS avait de nombreuses difficultés, en raison de l’inefficacité de l’infrastructure de collecte des renseignements. 93. Coon, p. 41. 94. Childs, p. 138. 95. Kahn, p. 467. 96. Coon, p. 12-13, 18. 97. Coon, p. 29. 98. Childs, p. 175 ; Coon, p. 35. 99. Doerries, 2003. p. 23. 100. Doerries, 2003. p. 269. 101. Childs, p. 199 ; Coon, p. 20. 102. Services spéciaux. 1935-1945, Paris, Éditions Robert Laffont, p. 483. Les Français étaient conscients de cet événement le 28 avril 1943. Pour de plus amples détails sur William Martin, voir Vincent & Nan Buranelli, Spy/Counterspy. An Encyclopedia of Espionage, New York, McGraw Hill Book Co., 1982, p. 205-206. 103. Masterman, p. 84. 104. Coon, p. 25. 105. Coon, p. 25. 106. Doerries, 2003, p. 129. 107. Foltz, p. 153 ; Pike, p. 401. 108. Coon, p. 13-15. 109. Childs, p. 154. 110. Coon, p. 20-21, 34. 111. Coon, p. 15. 112. Coon, p. 20-21. 113. Doerries, p. 129. 114. Coon, p. 51. 115. Services Sspéciaux, p. 171. 116. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 222-224. Les Français avaient fait une copie de la machine de cryptage allemande Enigma. 11. Un havre maghrébin : réfugiés juifs à Tanger durant la Seconde Guerre mondiale 1. En outre, la recherche sur les réfugiés juifs à Tanger est handicapée par le fait que les documents d’archives du Comité d’assistance aux réfugiés ont été perdus. Le recueil était à l’origine détenu par les Archives de l’Alliance israélite universelle (AAIU) à Paris et selon ses employés, il fut transféré aux Archives centrales de l’histoire du Peuple juif (CAHJP) à Jérusalem. Le CAHJP n’a aucune trace de ce transfert. 2. Lucy Dawidowicz, The War against the Jews, 10e éd. (Toronto ; New York : Bantham Books, 1986), p. 58-59 3. Leni Yahil, The Holocaust : The Fate of European Jewry (New York ; Oxford : Oxford University Press, 1990), citant Otto D. Kulka, Tendencies Regarding “The Solution of the Jewish Problem” in the Third Reich (Akadmon ; Jérusalem, 1968). 4. Arieh Tartakower et Hurt R Grossmann, The Jewish Refugees (New York, Institute of Jewish Affairs of the American Jewish Congress et World Jewish Congress, 1944), p. 30. 5. Ibid., p. 39. 6. Cf. Herbert A. Strauss, “Jewish Emigration from Germany : Nazi Policies and Jewish Responses” (I) in Leo Baeck Institute Yearbook 25 (1980), p. 343. 7. Archives sionistes centrales, Jérusalem (ci-après CZA), S26/1489, Impressions de ma visite à Tanger rédigées pour l’Agence juive par Fritz Lichtenstein (3-17 mai 1944) ; YIVO Institute for Jewish Research, New York (ci-après YIVO). Archives de l’AJDC à Lisbonne, MKM 14.75, Fichier 811, liste des familles établie par le Comité d’assistance aux réfugiés ; Yehuda Bauer, My Brother’s Keeper : A History of the American Jewish Joint Distribution Community 1929-1939 (Philadelphie, 1974), p. 243. 8. YIVO, MKM 14.75, Fichier 811, Comité d’assistance aux réfugiés, liste des familles ; interview avec George Estryn (18 août 2008). 9. Archives de Yad Vashem (ci-après, YVA), archives du Dr I. Schwarzbart, lettre de Jakub Reiner (22 mars 1943). Toutes les traductions du polonais ont été réalisées par Maya Zawistowska. 10. YIVO, archives HIAS-HICEM. Bureau principal des registres européens, MKM 16.13, Fichier 190, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés à la HICEM (8 août 1939). 11. UK National Archives, Kew Gardens, England (ci-après UKNA), FO 371/24101 W4380, compte rendu de M. Reilly (13 mars 1939). 12. YIVO, archives HIAS-HICEM. MKM 16.13, Fichier 189, lettre d’Augusto D’Esaguy, Lisbonne, à la HIAS-HICEM, New York (10 août 1939). 13. UKNA, FO 371/24101 W6795, lettre du consulat général britannique à Tanger au Département occidental (21 avril 1939). 14. Ibid., et YIVO, MKM 16.13, Fichier 189, lettre d’Augusto D’Esaguy, Lisbonne, à la HIAS-HICEM, New York (10 août 1939). 15. YIVO, MKM 16.13, Fichier 190, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés à la HIAS, Paris (17 avril 1940). 16. Le Statut fut signé par la France, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique, les PaysBas, les États-Unis, le Portugal, la Suède puis l’Italie. 17. Archivo General de la Administración, Alcalá de Henares, Espagne (ci-après, AGA), Sección Africa M-2455, lettre anonyme (30 mai 1940) et copie de la loi sur l’immigration. 18. UKNA, FO 371/24445/C7221, General Political and Economic Situation in Tangier (12 juin 1940). 19. YIVO, MKM 14.75, Fichier 811, Comité d’assistance aux réfugiés, liste des familles. 20. UKNA, FO 371/26960 C4225, synthèse pour 1940 des événements politiques en zone espagnole au Maroc, (17 mars 1941) et Stanley G. Payne, Franco and Hitler. Spain, Germany and World War II (New Haven, CT, Yale University Press, 2008), p. 66. 21. Archives de l’American Joint Distribution Committee, New York (ci-après JDC-NY), recueil 1933/1944 Fichier #1045, rapport de la communauté juive de Tanger au Conseil des réfugiés de guerre (24 février 1944). 22. Archives du Ministerio de Asuntos Exteriores Español Madrid, Espagne (ci-après MAEE), lettre d’Orgaz au Premier ministre espagnol, Francisco Gómez y Jordana, (10 janvier 1944). 23. Sur l’antisémitisme du régime de Franco et sa réticence à permettre aux réfugiés juifs de s’installer en Espagne, voir Antonio Marquina et Gloria Inés Ospina, España y los judíos en el siglo XX (Madrid, Editorial Espasa Calpe, 1987), Bernd Rother, Franco y el Holocausto (Madrid, Marcial Pons, 2005) et Isabelle Rohr, The Spanish Right and the Jews : Antisemitism and Opportunism (Londres, Sussex Academic Press, 2007). 24. YVA Archives du Dr I. Schwarzbart, lettre de Jakub Reiner (22 mars 1943). 25. Sur l’Espagne et les puissances de l’Axe, cf. Paul Preston, Franco. An Autobiography (Londres, Harper Collins, 1993), chapitres 14-19. 26. Graham H. Stuart, The International City of Tangier, 2e éd. (Stanford, Stanford University Press, 1955), p. 145. 27. JDC recueil 1933/1944 Fichier #1045, lettre des réfugiés juifs au JDC de New York (2 août 1942). 28. YVA Archives du Dr I. Schwarzbart, lettre d’I. Schwarzbart à J. Marlewski (3 août 1942) et lettre au ministère du Travail et du Bien-être social (10 octobre 1942). 29. The Jewish Chronicle (11 décembre 1943) et American Jewish Yearbook 1943, p. 296. 30. Anthony Bianco, The Reichmanns : Family, Faith, Fortune and the Empire of Olympia and York (New York, Crown Business, 1997), p. 90. 31. Ibid., p. 114. 32. MAEE, note (22 juin 1944). Bibliothèque Franklin D. Roosevelt (Hyde Park, New York), War Refugee Board Records, lettre de J. Rives Childs au Secrétaire d’État (12 août 1944). 33. CZA, S26/1489, Impressions de ma visite à Tanger par Fritz Lichtenstein (3-17 mai 1944). 34. JDC-NY, Fichier #1045, rapport de la communauté juive de Tanger au Conseil des réfugiés de guerre (24 février 1944), lettre de Mordecaï Kessler, Tanger (19 avril 1944) et Lawdom Vaidon, Tangier : A Different Way (Metuchen, N.J., Scarecrow Press, 1977), p. 231232. 35. YIVO, MKM 16.13, Fichier 189, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés à la HICEM (16 mars 1939) Fichier 192, lettre d’Albert au président de la HICEM (21 mars 1939). 36. JDC NY, Fichier #1045, communauté juive de Tanger, rapport des activités durant mars 1940. 37. YIVO, MKM 16.13, Fichier 190 lettre de la communauté juive de Tanger à la HICEM (8 août 1939). 38. YIVO, MKM 16.13, Fichier 189, lettre d’Augusto D’Esaguy, Lisbonne, à la HIASHICEM, New York (10 août 1939). 39. YIVO, MKM 16.13, Fichier 190, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés, communauté juive de Tanger à la HICEM (8 août 1939) et Rohr, p. 86-87. 40. CZA, S26/1489, Impressions de ma visite à Tanger par Fritz Lichtenstein (3-17 mai 1944). 41. Bianco, p. 91. 42. Archives de l’American Joint Distribution Committee, Jérusalem (ci-après JDCJérusalem), recueil Genève, Bobine 38, GII/327, lettre à Mordecaï Kessler (19 mars 1944). 43. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327 rapport sur l’Afrique du Nord (novembre 1943) et JDC-New York recueil 1933/1944 Fichier #1045, rapport du Comité d’assistance aux réfugiés de Tanger (26 mai 1944). 44. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327 rapport sur l’Afrique du Nord (novembre 1943) et JDC-New York, recueil 1933/1944, fichier #1045, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés (22 décembre 1942). 45. JDC-New York, recueil 1933/1944 fichier #1045, Mémorandum sur les prêts gratuits à Tanger (21 janvier 1944). 46. Archives de Yad Vashem, ci-après (ci-après, YVA), archives du Dr I. Schwarzbart, lettre de Jakub Reiner (22 mars 1943). 47. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327, rapport sur l’Afrique du Nord (novembre 1943) et JDC-New York, recueil 1933/1944 fichier #1046, rapport du Comité d’assistance aux réfugiés (25 octobre 1944) et données statistiques (novembre 1944). 48. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre de Joseph Schwartz JDC, Lisbonne (22 février 1944). 49. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre du Comité d’assistance aux réfugiés (22 décembre 1942). 50. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, rapport du Comité d’assistance aux réfugiés à Tanger (26 mai 1944) et lettre de Mordecaï Kessler (19 avril 1944). 51. JDC NY, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre du Patronat des réfugiés de guerre polonais à Tanger (4 août 1943) et lettre d’Abraham Laredo à Herbert Katzki (13 août 1943). 52. JDC-Jérusalem, recueil Genève, bobine 38, GII/327, lettre d’Herbert Katzki, JDC Lisbonne au JDC New York (2 août 1943). 53. JDC, recueil 1933/1944 fichier #1045, lettre de Mordecaï Kessler (19 avril 1944). 54. YVA MI, archives du Dr I. Schwarzbart, lettre de J. Marlewski à I. Schwarzbart (12 juin 1942), voir également lettre de Dawid Mehler au ministère du Travail et du Bien-Être social (6 janvier 1943). 55. Archives de Yad Vashem, ci-après (ci-après, YVA), archives du Dr I. Schwarzbart, lettre du ministère du Bien-Être social à Schwarzbart (14 mars 1943). 56. JDC-New York, recueil 1933/1944 fichier #1045, télégramme de Joseph Schwartz, JDC Lisbonne au JDC New York (3 mars 1944). 57. UKNA, FO 371/42874 WR 142, mémorandum concernant l’émigration éventuelle de réfugiés chrétiens et juifs de Tanger au Canada (22 juin 1944). 58. Congrès juif canadien, Comité de bienfaisance, Archives nationales, recueil Congrès juif canadien, séries CA, boîte 27, fichier 244C (titre du fichier : « Tanger »). 59. YIVO. Archives HIAS-HICEM MKM 20.24, fichier 210, lettre d’Abraham Laredo à la HIAS-HICEM (25 septembre 1944). 60. España (13 septembre 1944). 12. La communauté juive de Nabeul sous l’occupation allemande 1. Mamou Isaac, « Occupation nazie et libération alliée à Nabeul » (traduction du judéoarabe en français par Robert Attal), Revue des études juives 134, 1-2 (1975), p. 137-144. 2. Touitou David, témoignage oral, Bat-Yam, novembre 2000. 3. Cet homme laissa plus d’une empreinte dans la vie communautaire juive locale : il était fondateur de l’Association sioniste du cap Bon, il participa au congrès sioniste de Bâle, à titre de secrétaire du délégué de Tunisie, le rabbin Jacob Boccara. Il était consul d’Italie à Nabeul, il était membre du Conseil de la communauté [la Coumita] et l’un des notables les plus connus et influents de la communauté. 4. Archives M.A.E-N. [Archives du ministère des Affaires étrangères à Nantes], TunisieRésident général, 2e versement, article no 2448 [Dossier Communauté israélite de Nabeul]. Tous les courriers cités dans cet article sont issus de ce même dossier des archives du protectorat français en Tunisie. 5. Le mot Coumita est une malformation du mot « Comité » prononcé à la manière judéoarabe. C’était en fait le comité de la Caisse de secours et de bienfaisance israélite de Nabeul. Cette Caisse était une association à but non lucratif selon la loi de 1901, qui fut instituée par le décret no 19 du 18 août 1905. 6. Isidore Sportès était issu d’une famille très connue et honorable de Nabeul. Il tenait un café au centre de la ville et avait une clientèle de toutes religions qui consommait aussi des boissons alcoolisées. 7. Roger Mamou, qui était président de la Coumita à la date de ce courrier, en 1954, en était déjà membre en 1943. 8. Je remercie le Pr Haïm Saadoun qui m’a transmis cette information. 9. Voir détails plus loin. 10. Abramsky-Blaigh I., Pinkas Hakéhillot * Libya-Tunisia [Registre des communautés de Libye et de Tunisie], Encyclopédie des communautés juives de Libye et de Tunisie, Yad Vachem, Jérusalem, 1997, p. 499, annexe D : juifs originaires de Tunisie déportés de France aux camps d’extermination. Le nom se trouve aussi dans les listes publiées par Serge Klarsfeld. 11. Guez Gaston, Nos martyrs sous la botte allemande, ou les ex-travailleurs juifs de Tunisie racontent leurs souffrances, Tunis, 1946, p. 61. 12. Liliane Hayoun ou Marcelle-Rachel Hayoun ? Nous avons deux versions quant au prénom de la fille d’Émile Hayoun-Bayon qui fut déportée avec lui de Drancy et qui périt à Auschwitz. L’une [Marcelle-Rachel] provient du témoignage oral [téléphonique] de son jeune frère Jacques Bayon et l’autre [Liliane] est celle qui figure dans les listes publiées par Serge Klarsfeld. Le sujet est en cours de vérification. 13. Bayon Jacques [fils d’Émile et frère de Marcelle], témoignage oral, Paris, 2001. 14. M.A.E. – N., op. cit., Art. 2448. Lettre du 7 mars 1947 du C.C de Nabeul au C.C du cap Bon. 15. Haddad Daniel [frère de la défunte], Témoignage oral, Netanya, 18.06.1999. 16. M.A.E. – N., op. cit., Art. 2448. Lettre du 7 mars 1947 du C.C de Nabeul au C.C du cap Bon. 17. Simh’ony Chira [nièce des deux victimes], témoignage publié sur le site internet : http://www.harissa.com/D_Histoire/shoah_par_shira_simhony.htm. Les noms se trouvent aussi dans les listes publiées par Serge Klarsfeld. 18. Selon les différents courriers, le nom qui figure est parfois Bijaoui et parfois Jaoui. Cependant, il est quasiment certain qu’il s’agit là de la même personne, les deux noms étant proches par leur prononciation et leur orthographe, et fréquents dans la communauté juive de Tunis. 19. De Khamssa, qui veut dire cinq – contre le mauvais œil. 20. Pour ne pas dire le mot « Boche » et courir le risque de se faire arrêter et punir par les Allemands pour insulte à la nation allemande, les Juifs utilisèrent dans leur chanson le mot « babouche », qui veut dire « escargot », pour camoufler leurs véritables intentions. 21. Attal R et Sitbon C, Regards sur les Juifs de Tunisie, Collection « Présences du judaïsme », Paris, Albin Michel, 1979, p. 190-193 [chapitre 31]. CINQUIÈME PARTIE IMAGES ET SOUVENIR 13. Images de la guerre 1939-1945 dans la littérature judéo-maghrébine d’expression française 1. André Nahum, Tunis-la-Juive raconte (Desclée de Brouwer, 2000), p. 125. Et l’auteur de donner comme exemple de cet humour le miracle qui se produisit à El-Hamma lorsque les Allemands occupant la région envoyèrent un char pour détruire le mausolée de rebbi Youssef elMâarabi, lieu de pèlerinage réputé depuis des temps immémoriaux tant pour les Juifs que pour certains musulmans : « Le tank peint aux couleurs de l’Afrikakorps s’avança, détruisit le mur d’enceinte et s’arrêta subitement avant d’atteindre le tombeau pour une cause que l’on ne put jamais déterminer. On envoya un dépanneur qui ne put rien faire, un deuxième et un troisième. Puis, le sort des armes leur étant défavorable, les Allemands eurent d’autres soucis et abandonnèrent le char à l’endroit où il s’était immobilisé. Il y resta pendant de longues années, rouilla lentement puis fut envoyé à la ferraille et le tombeau de Youssef el-Mâarabi demeura intact… » 2. Curieusement, ce roman paraît, à quelques semaines près, en même temps que celui de Nine, la sœur de Serge Moati, sur le même sujet et au titre si proche, mais de moindre ampleur historique : Villa Week-end (Lattès). 3. Robert Attal : Mémoires d’un adolescent à Tunis sous l’occupation nazie (Jérusalem, 1996), p. 5. 4. Sur le héros maghrébin, « typiquement tiers-mondiste [qui] est davantage un patient qu’un agent », voir Gilles Charpentier : Évolution et structures du roman maghrébin de langue française. Université de Sherbrooke, faculté des Arts, 1977, p. 244. 5. « Quant à la Shoah, nous étions totalement ignorants de son ampleur dans l’Europe occupée, et encore bien moins de la révolte du ghetto de Varsovie qui faisait rage à l’heure où nous étions nous-mêmes libérés de l’oppression nazie. » (R. Attal, op. cit. p. 10.) 6. Sur cette notion, que nous empruntons aux Anglo-Saxons, qui font une place à la novella entre shorts stories et novels, voir notre ouvrage Littérature judéo-maghrébine de langue française. Une introduction (Celfan éd. Monographs, Temple University, 1988) et notre thèse : Entre Djoha et Cagayous : la littérature judéo-maghrébine de langue française (Paris, L’Harmattan, 1991). 7. Successivement, et selon nos relevés, peut-être incomplets : La Bande noire (novembre 1943), L’Agréable Méprise (décembre 1943), La Dénonciatrice aux yeux de velours (4 février 1944), Maternité 194…, Alerte au maquis (10 mars 1944), Marraine de guerre (24 mars 1944) et Un enfant meurt (22 juillet 1944). Une longue nouvelle, L’Almée aux ailes de flamme, dans l’édition du 25 février 1944, ne concerne pas la guerre mais est inspirée par la vie et la mort d’Habiba Messika. 8. « Le tango de la mort », in Le Nebel du Galouth, p. 20. L’achevé d’imprimé (sur les presses d’Albert Hadida, maître imprimeur à Tunis) étant du 15 juin 1946, on peut imaginer que ces poèmes ont été composés durant l’année précédente, qui pour beaucoup – Juifs d’Afrique du Nord y compris – fut celle de la prise de conscience de l’ampleur de l’horreur nazie. 9. « — Qu’ont tenté les Juifs, Père, à Varsovie ? — Ils ont fait, mon fils, le don de leur vie. D’audace et de foi, riche est notre histoire. Ceux-là sont entrés vivants dans la gloire À l’égal des purs héros de la Bible. » (« Varsovie », in Le Nebel du Galouth, p. 21) 10. « Survivants de tant d’épreuves, — l’Arche au cœur : protection ! – nous t’offrons la gerbe neuve de nos bras libres, Sion ! Vers toi nos vigueurs convergent et le destin nous conduit, douce aurore qui émerge de la plus sanglante nuit. Quand nous franchirons tes portes, des alléluias riront de Safed à la mer Morte, de Tel-Aviv à Hébron. » (« Jérusalem », in Le Nebel du Galouth, p. 25). 11. J’en ai repéré au moins deux : « Le ghetto à l’école », dans Mirages (Tunis), no 11931 et « Farfara » dans Les Nouvelles juives (Tunis), 10 juillet 1950. 12. Il s’agit là d’un fait historique qui mit en émoi la judaïcité tunisoise : le 20 novembre 1949, un des deux Dakotas transportant ces enfants s’abîme à l’atterrissage. On comptera 34 morts, dont 27 enfants. C’est par dizaines de milliers que les gens se rendirent aux obsèques à Tunis ; des milliers de musulmans suivirent aux côtés de leurs concitoyens juifs les cercueils, dans un deuil commun. Jamais le judaïsme tunisien ne s’était trouvé aussi uni dans un si profond deuil. 13. Colette Touitou-Benitah : « L’étoile et la plume. Le 8 novembre 1942 dans la littérature judéo-maghrébine » in Littérature et Résistance. Littérature française et Deuxième Guerre mondiale. Actes du colloque organisé à l’université Bar-Ilan en 1996. Presses de l’université de Reims-Champagne-Ardennes. 2000, p. 159-174. 14. L’élaboration du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, Première période – expressions littéraires et historiographie 1. Archive Beit Lohamei Hagetaot, dossier 13747 « Témoignages d’Itzhak Abrahami, Gad Shahar et Shoshan Cohen », 15 février 1968. 2. Le groupe nord-africain a été fondé en 1944 par des jeunes immigrants issus du mouvement Tzéïré-Tzion de Tunisie, dont Itzhak Abrahami et Gad Shahar. Il se considérait comme un groupe de pression sur les institutions du Yishouv pour les affaires des Juifs d’Afrique du Nord et comme un élément de liaison entre Eretz Israël et le mouvement en Tunisie. Le groupe publiait un important journal, intitulé Netivenou, qui était envoyé en Tunisie. 3. Consulter à ce sujet H. Yablonka, Off the Beaten Track. The Mizrahim and the Shoah, Yedioth Aharonot, Hemed Books et Institut Ben Gourion pour l’étude d’Israël, Tel Aviv, 2008, p. 57-66. À 4. À ce titre, l’ouvrage de N. Yerushalmi, La Veuve du bijoutier du bey, Tel-Aviv, 1950, fait figure d’exception. Le livre traite directement de l’époque de l’occupation allemande en Tunisie et de la situation des Juifs. 5. Les sources de cette information sont : M. Saraf, Meguilat Hitler en Afrique du Nord, Lod, 1987 ; M. Saraf, « Meguilat Hitler en Afrique du Nord, autres essais sur la Shoah », in Mahout, Périodique sur la création juive, 24, été 2002, p. 233-254 (ci-après : « Saraf, Autres essais ») ; Y. Chitrit, « Poésie individuelle et sociale en judéo-arabe chez les Juifs du Maroc », Mikedem Oumiyam, A, Haïfa, 1980, p. 185-230 (ci-après : « Chitrit, La poésie ») ; A. Attal, La Littérature judéo-arabe en Tunisie, Jérusalem, 2006 ; A. Attal, « Sur l’Allemagne nazie dans la poésie populaire des Juifs de Tunisie », Peamim, 28 (1985), p. 126-130 ; J. et Ts. Tovi, La Littérature judéo-arabe en Tunisie, 1860-1950, Tel-Aviv, 2008, p. 176-189. 6. La poésie à thème historique ou sociale n’est pas chose nouvelle. Voir Y. Chitrit, « La poésie » et Attal, « La littérature », notamment p. 181-227. Dans les pages 17-19, il traite des élégies sur le sort des Juifs en Allemagne sous Hitler. Cette liste est organisée par ordre alphabétique. 7. Y. Chitrit mentionne une autre œuvre rédigée par Rabbi Masoud Shabbat. Voir Chitrit, note 82, p. 211. Saraf mentionne également une autre œuvre. Voir Saraf, Autres essais, p. 239240. 8. Saraf, Meguilat, p. 30. Voir à ce sujet A. Bar-Asher « Pourquoi cette nuit est-elle différente de la nuit de Trente-Neuf ? Haggada d’Hitler du Maroc », Peamim, 114-115 (hiverété 2007), p. 143, 145-146. 9. Id., p. 15. La date indiquée est le 8 février 1942. 10. Id., p. 31. Pour corroborer cet argument, voir Bar-Asher, p. 149-150. 11. Bar-Asher, p. 143-151. 12. Id., p. 186. 13. Saraf, « Megilat », p. 9. Faire attention à la note de Bar Asher selon laquelle l’auteur a choisi le mot « Palestine » et non « Eretz Israël », comme il était d’usage dans le langage poétique. 14. A. Attal, « Sur l’Allemagne ». 15. Saraf, « Megilat », p. 67-73. Le poème comprend dix-neuf couplets de quatre lignes chacun et un refrain. Le signe […] indique que l’on a sauté des lignes. 16. « Kamous » est le surnom donné aux Alliés et fait allusion à « Hamsa », exprimant la chance et le miraculeux. 17. Id., p. 77-79. Légèrement modifié. « Rayonnage » signifie apparemment les couchettes sur lesquelles on dormait. L’école est l’école de l’Alliance, lieu de rassemblement des candidats au travail obligatoire. 18. Id., p. 81. 19. Id., p. 86, selon l’auteur, la complainte a été écrite par un adolescent de 12 ans. Il n’y a pas de doute sur l’identité de l’auteur, Alouch Trabelsi, mais les détails et la description du vécu personnel de l’auteur de la complainte soulèvent une question quant à l’âge indiqué. En effet, les jeunes de 12 ans n’étaient pas recrutés pour le travail obligatoire. Il semble que l’auteur ait rencontré le rédacteur de la complainte à Ramlé, mais elle n’a pas laissé d’informations à ce sujet. L’auteur est consciente du fait que « l’orthographe n’est pas homogène et que le style est simpliste, et confus de prime abord » (p. 86) mais ne traite pas des problèmes du contenu de cette complainte par rapport aux deux autres. Par exemple, les deux autres poèmes se terminent sur l’optimisme de la libération tandis qu’ici la libération apparaît au milieu du poème. 20. Saraf, « Megilat », p. 89, 91. 21. Ibid., p. 93, légères modifications. 22. Ibid., p. 52-99. Pages 96-99, l’auteur mentionne neuf œuvres dans deux manuscrits du rabbin Sion Dameri qui n’ont pas été publiés. L’auteur cite le nom des œuvres mais pas leur contenu. 23. V. Hayoun, « Les juifs de Nabeul sous l’occupation allemande, les derniers jours », Peamim, 114-115 (hiver-printemps 2008, p. 221-236, ci-après : Hayoun, Nabeul). L’auteur présente une traduction en hébreu de l’introduction qui contient la description. 24. Id., p. 220. 25. À ce sujet, voir A. Avrahami, « Les communautés juives de Tunisie sous l’occupation allemande-affaires financières » Peamim, 28 (1985), p. 107-125. 26. Khalfon Moshé Hacohen, pose des questions et y répond. 27. Il ressort du témoignage que les Allemands étaient à Djerba un certain temps avant cet événement mais rien n’indique que des Juifs aient été touchés. Le témoignage du rabbin va également dans ce sens (à l’encontre de la description d’Itshak Mamo). 28. Pour d’autres informations sur la collecte d’or à Djerba, voir M. Amar, « La littérature rabbinique » in H. Saadoun (éd.), Les Communautés juives de l’Orient aux XIXe et XXe sièclesTunisie, Jérusalem, 2005, p. 99-116. C’est lui qui nous apprend que tout l’or n’a pas été réuni. Après le retrait des Allemands, la collecte a continué. Les Allemands ont reçu 42,5 kg d’or, le reste a été redistribué aux familles de Djerba. 29. Yossef Haï, Djerba, 1945, feuillets 46-49, voir également H. Avramsky-Blei (éd.), Pinkas Hakehilot Libye-Tunisie, Jérusalem, 1997, p. 361. 30. R. Borgel, Étoile jaune et croix gammée, Tunis, 1944 (ci-après : Borgel). Il faudra attendre plus de soixante ans la publication d’une édition scientifique détaillée du journal qui contient tous les documents (R. Borgel, Étoile jaune et croix gammée, préface annoté par C. Nataf, Paris, 2007). 31. Borgel, p. 9. 32. Paul Ghez (1898-1971) était l’un des premiers volontaires juifs dans la Première Guerre mondiale alors qu’il n’avait que 18 ans. Il a combattu en France, a été blessé et fut décoré pour sa contribution et son héroïsme. Il a fait des études de droit et a rejoint le cabinet de Me Élie Nataf, qui deviendra le chef de la communauté juive. Nataf et Guez étaient parmi les dirigeants du groupe « Hatsedek », qui œuvrait afin d’octroyer aux Juifs de Tunisie l’intégralité de leurs droits. Il fut très actif dans la communauté dans diverses fonctions. Il s’engagea à l’armée en 1940 et dut la quitter après la promulgation des décrets de Vichy. En 1941, il rejoignit le Conseil de la communauté. Son livre : Six mois sous la botte, Tunis, 1944. 33. À propos de Charles Sommeil. 34. G. Ghez, Nos martyrs sous la botte allemande, Tunis, 1946. 35. Saraf, Autres essais, p. 244. Saraf a traduit la partie en judéo-arabe en hébreu et nous nous aidons de sa traduction. 36. Le livre d’André Attal. 37. F. Chiche, Livre d’or et de sang. Les Juifs au combat, citation 1939-1945, de BirHakeim au Rhin et Danube, Tunis, 1946. 38. Yaakov Hadajaj Lilouf a attiré mon attention sur un poème rédigé par Frigia Zouaretz sur son arrestation à Jado ainsi que sur un poème rédigé par l’enfant Haïm Daouan, âgé de neuf ans à la libération du camp de Jado, alors qu’il était élève à l’école juive Bengazi. M. Pedazur Benattia m’a indiqué des poèmes rédigés pendant la guerre par son père, Shalom Benatia et par Frigia Matok. 39. Je remercie M. Pedazur Benattia pour cette importante précision. 40. A. Memmi, La Statue de sel, Tel Aviv. Voir également : H. Saadoun « Élaboration du souvenir historique sous l’occupation allemande en Tunisie, une autre lecture de La Statue de sel d’Albert Memmi », Pour la mémoire, no 25, septembre-octobre 1998, p. 18-23 (ci-après : Saadoun, Élaboration du souvenir). 41. Saadoun, Élaboration du souvenir, p. 20. 42. Memmi, La Statue de sel, p. 227. 43. Id., p. 194. Les pages 192-194 comportent des exemples de protestation de mères et de femmes contre la conduite des dirigeants de la communauté. 44. Id., p. 20-271. 45. Les Juifs d’Algérie, du décret Crémieux à la libération, Paris, 1950. Michel Anksy (1889-1948). Ansky est décédé deux ans avant sa parution mais il semble qu’il ait rédigé l’essai. Le Centre pour la documentation a publié le livre deux ans après sa disparition. Celui-ci est basé entre autres sur un voyage qu’il a effectué en Afrique du Nord. Cela signifie que peu après la fin de la guerre, Ansky avait des idées assez claires sur ce sujet. En 1963, le livre a été traduit en hébreu par Avraham Elmaliah (M. Ansky, Les Juifs en Algérie, Jérusalem, 5723, ci-après « Ansky »). La version hébraïque ne comporte pas la traduction des documents importants qui figuraient à la fin de la version française. 46. Ansky, p. 1. 47. Id., p. 6. 48. Id., p. 338. 49. Il est intéressant de noter que nous n’avons pratiquement aucune information biographique sur Sabille. 50. Jacques Sabille, Les Juifs de Tunisie sous Vichy et l’Occupation, Paris, 1954. 51. Dans la table des matières, le livre est divisé en deux parties, la période de Vichy étant la première, celle de l’occupation allemande est subdivisée. 52. Tovi, La Littérature, p. 189. 53. Id., p. 191-193. Seules quelques lignes pertinentes ont été citées mais l’ensemble du poème va dans ce sens. 54. Le sujet de la place, du statut et du développement du judéo-arabe en Tunisie n’a pas été étudié dans la recherche générale. Cette affirmation se base essentiellement sur la comparaison des listes de diffusion de la presse en judéo-arabe pendant l’entre-deux-guerres puis après la Seconde Guerre mondiale. En outre, l’examen de la littérature judéo-arabe en Tunisie va également dans ce sens. Voir Attal, Littérature. 55. Sur le cimetière, voir A. Attal « Le vieux cimetière de Tunis », Peamim, 67, printemps 1996, p. 25-39. 56. Le sujet des mémoriaux en Tunisie peut être un objet d’étude intéressant. Un grand monument a été élevé à la mémoire des soldats italiens morts pendant la Première Guerre mondiale. Un cimetière en dehors de la ville a été dédié aux soldats britanniques morts pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à aujourd’hui, il est entretenu par l’ambassade britannique. 57. Sur la presse juive en Afrique du Nord, voir A. Attal, Revues et périodiques en Afrique du Nord, Tel-Aviv, 1966. 58. Cela est basé sur l’inventaire de la presse juive d’Afrique du Nord qui existe en Israël et sur celui des articles de cette presse réalisé au Centre de documentation et de recherche sur les Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale de l’Institut Ben-Zvi. Notre but n’est pas de réunir toutes les informations qui existent dans cette presse et de réaliser une comparaison entre les différents pays. Il m’importe simplement de signaler ce phénomène. 59. Une partie de ces articles ont été publiés par M. Laskar, Les Juifs du Maghreb sous Vichy et la croix gammée, Tel-Aviv, 1992, p. 226-232. Suivez toute l’actualité des Éditions Perrin sur www.editions-perrin.fr Nous suivre sur