Florent DOIRE LE DETERMINISME DANS L'ATHLÉTISME Florent DOIRE Sommaire INTRODUCTION.....................................................................................2 I. Les facteurs psychologiques.............................................................3 Envie de pratiquer ce sport ?.......................................................3 Un cerveau accro à la dopamine...................................................4 Le niveau d'activation et la performance..................................5 L'extraversion et le névrosisme dans le sport........................6 L'estime de soi.................................................................................9 II. Les facteurs purement biologiques…..........................................10 Les qualités musculaires et tendineuses..................................10 CONCLUSION........................................................................................13 1 Florent DOIRE INTRODUCTION C'est le premier cours d'athlétisme, et le programme du jour est le suivant : lancer de javelot. Aucun stapsien du groupe n'a touché à un javelot de toute sa vie, ce qui pourrait laisser penser que tout le monde part de zéro, donc d'un niveau médiocre. Pourtant, lorsque les premiers lancers sont effectués on remarque de claires différences. Quelques-uns lancent déjà le javelot avec un geste naturel après seulement quelques essais, tandis que d'autres peineront à envoyer le projectile à plus de quinze mètres pendant tout le semestre. Évidemment, cela s'applique de manière générale dans toutes les disciplines sportives. Pourquoi cela ? Comment se fait-il que certains soient si avantagés par rapport à d'autres ? Est-ce un « don naturel » qui leur a été transmis via les gènes de leurs parents ? Ce sont des questions auxquelles il est intéressant d'essayer de répondre, en utilisant psychologie, sociologie et biologie. 2 Florent DOIRE Le « talent » a l'air d'être donné arbitrairement à une poignée de personnes chanceuses qui produisent des performances sportives impressionnantes. Le but est ici de poser des concepts clairs derrière ce « talent » assez abstrait, et de savoir ensuite si on peut le compenser par autre chose. I. Les facteurs psychologiques Envie de pratiquer ce sport ? Premièrement, la motivation semble jouer un rôle important dans les performances sportives. En effet, un élève qui n'est pas motivé à l'idée de faire du lancer de javelot aura tendance a produire de moindres performances qu'un autre qui est très motivé. La psychologie de la personnalité s'essaye à expliquer les causes de ces différences de motivation interindividuelles. Chacun de nous a sa propre personnalité, composée d'une multitude de traits connectés entre eux. Un trait de personnalité est, comme l'explique le psychologue Allport en 1937, une structure mentale qui prédispose un individu à répondre d'une certaine manière dans une situation donnée. Prenons l'exemple du trait « chercheur de sensation », qu'on abrégera en CS (avec CS+ pour chercheur de sensation et CS- pour non-chercheur de sensation). Un individu CS+ ressent un besoin d'éprouver des sensations fortes, et va donc davantage s'orienter vers des sports à risque ou sources de sensations. Ainsi si le CS+ se retrouve à devoir pratiquer un sport qui ne le stimule pas assez, il fera moins d'efforts, et aura donc des performances plus faibles. Ces performances faibles vont le conforter dans l'idée que ce sport n'est pas fait pour lui, ce qui va engendrer une baisse de motivation, de plaisir et ainsi de suite. 3 Florent DOIRE Un cerveau accro à la dopamine En 1954, Olds et Milner, deux chercheurs, réalisent une expérience sur des rats. Celle-ci consiste à placer des électrodes dans le cerveau des rongeurs, au niveau de l'aire septale, zone censée être responsable de l'augmentation du niveau de vigilance et de peur. On place donc un rat dans une boîte, avec un levier. Au bout d'un moment le rat finit par appuyer sur le levier, qui lui envoie une décharge dans cette aire septale. Cela provoque chez l'animal un sentiment de peur et de vigilance comme si un prédateur était là, et par la suite il n'appuie plus sur le levier de peur de ressentir à nouveau ce sentiment désagréable. L'expérience se passe comme prévu, sauf pour un rat. En effet celui-ci n'arrête pas de revenir appuyer sur le levier après la décharge, comme s'il l'appréciait. Intrigués, Olds et Milner dissèquent le cerveau du rat et se rendent compte que les électrodes n'ont pas été placés au niveau de l'aire septale, mais juste à côté, par erreur. Pour vérifier le phénomène, les chercheurs placent maintenant les électrodes dans cette nouvelle aire du cerveau chez les autres rats. La même chose se produit, les rats reviennent sans cesse actionner le levier, quitte à se laisser mourir de faim. C'est grâce à cette erreur de placement des électrodes que le fameux circuit de la récompense est découvert. [1] Lorsque l'on assouvit un besoin, l'Aire Tegmentale Ventrale (ATV) s'active. Elle va ensuite libérer de la dopamine vers le noyau accumbens, qui va transmettre l'information aux autres régions du cerveau, telles que l'amygdale qui va évaluer l'importance émotionnelle de l'événement, ou l'hippocampe va se charger de stocker l'événement en mémoire. Ces échanges d'informations se 4 Florent DOIRE font via le Medial Forebrain Bundle (MFB) qui est un faisceau de neurones reliant ces différentes aires cérébrales. Cette communication du système dopaminergique va agir sur les fonctions endocrines et végétatives de tout le corps, provoquant cette sensation de plaisir lorsque l'assouvissement du besoin est effectué. Pour revenir aux sportifs, il semblerait que les chercheurs de sensations aient des niveaux de dopamine réactionnels plus élevés que la moyenne. Concrètement, cela veut dire qu'une personne CS+ pratiquant un sport à risque va ressentir plus de plaisir qu'une personne CS- qui pratiquerait un sport sans risque comme la natation. D'autre part, si un CS+ pratique une activité qui n'est pas stimulante pour lui comme de la course de fond, son cerveau ne produira quasiment pas de dopamine et il ne ressentira aucun plaisir à courir, ce qui va rendre ses performances plus faibles. Évidemment c'est une explication simplificatrice voire réductrice, car une personne n'est pas définie seulement par son trait de personnalité CS+ ou CS-. Cependant ce trait, couplé à d'autres facteurs, peut favoriser cette démotivation dans certains sports considérés comme étant « à faibles stimulations » par les chercheurs de sensations. Cette libération plus ou moins grande de dopamine est également liée au niveau d'activation. Le niveau d'activation et la performance En 1908, deux psychologues américains, Yerkes et Dodson développent une loi mettant en relation le niveau d'activation et la performance. Le niveau d'activation correspond au degré d'activité du système nerveux central, on peut donc l'assimiler au niveau d'éveil. [2] 5 Florent DOIRE La loi de Yerkes et Dodson illustrée ci-dessus, explique la chose suivante : au cours d'une tâche simple à réaliser (par exemple : appuyer sur un bouton dès qu'il s'allume), plus le niveau d'activation est haut, plus la performance sera haute, jusqu'à un certain point où la performance atteint un plateau. Par contre, lors d'une tâche difficile (exemple : rédiger un dossier d'athlétisme) la courbe est en cloche, la performance est la meilleure à un optimum d'activation, ni haut ni bas. En dehors de cet optimum, la qualité de la performance diminue à mesure qu'on se rapproche des extrêmes. De nouveau, il existe des différences interindividuelles : courir un 800 mètres sera pour certains une source d'activation optimale quand pour d'autres elle sera trop faible. Le trait de personnalité « chercheur de sensations » influe sur la position de cette courbe, mais deux autres traits principaux l'affectent tout autant, si ce n'est plus. L'extraversion et le névrosisme dans le sport Hans Eysenck, un psychologue britannique, établit en 1947 la première théorie descriptive de la personnalité avec deux traits généraux indépendants : l'extraversion et le névrosisme. 6 Florent DOIRE • Extraversion Une personne ayant un score élevé en extraversion sera dite « extravertie » (tournée vers les autres) et inversement une autre ayant un score faible sera dite « introvertie » (tournée vers elle-même). L'extraverti est quelqu'un qui a besoin de contact social, qui tire son énergie du monde qui l'entoure. Il réagit moins aux stimulations, et en a donc plus besoin. L'introverti est son opposé. Il tire son énergie de lui-même, a souvent besoin d'être seul. Il réagit plus facilement aux stimulations extérieures, ce qui explique qu'il n'en a pas beaucoup besoin dans son quotidien. Évidemment, on n'est pas totalement introverti ou totalement extraverti, il y a différents niveaux d'extraversion, mais globalement sur une échelle de 0 à 100, au-dessus de 50 on est plutôt extraverti, et en-dessous on est plutôt introverti. Si on place un individu extraverti dans un milieu où il ne reçoit pas suffisamment de stimulations extérieures, il va rapidement se désintéresser de la même manière que le chercheur de sensations, surtout si l'activité sportive qu'il doit réaliser produit un faible niveau d'activation chez lui. [3] 7 Florent DOIRE Ce phénomène est illustré ci-dessus : les stimulations extérieures sont suffisantes pour amener l'introverti à un niveau d'activation optimal, tandis que l'extraverti n'est quasiment pas activé. A l'inverse, un introverti placé dans un milieu avec beaucoup de stimulations extérieures ressentira un stress trop important et produira donc une performance moins élevée que l'extraverti, qui se sentira comme un poisson dans l'eau. Cette différence de niveau d'activation s'explique par le fait que la formation réticulée des introvertis (responsable de l'augmentation du niveau d'activation) est suractivée de manière chronique et héréditaire. Chez les extravertis, la formation réticulée est sous-activée de manière chronique, ce qui fait qu'ils ont besoin de stimulations pour l'activer. Les extravertis auront donc tendance à se tourner vers des sports qui leur procurent des sensations fortes, ou des sports collectifs, impliquant prises de risque et excitation (boxe, rugby, football). Les introvertis choisiront plutôt des sports individuels, qui requièrent donc de l'automotivation (course de fond, tir à l'arc). • Névrosisme Le deuxième trait de personnalité principal décrit par Eysenck est le névrosisme (ou neuroticisme). Il est défini comme la tendance à ressentir des émotions négatives telles que le stress, l'anxiété, la colère, etc. Une personne névrotique aura des performances sportives assez instables dans le temps, mais qui seront globalement en-dessous de ce qu'elle pourrait faire. Avoir un score élevé en névrosisme semble n'avoir que des conséquences négatives sur l'individu. Score élevé en névrosisme Score bas en névrosisme - instabilité émotionnelle - stabilité émotionnelle - hypersensibilité, vulnérabilité au - confiance en soi, optimisme stress - aptitude à gérer le stress - estime de soi instable - propension à avoir des épisodes dépressifs 8 Florent DOIRE Des études ont été menées pour déterminer les causes biologiques du névrosisme. Le système nerveux sympathique, qui met en activité le corps, serait hyper-réactif chez les gens névrotiques. Cette suractivité est expliquée par une production insuffisante de l'acide gamma-aminobutyrique (appelé aussi frein GABA), qui régule l'activité du système nerveux sympathique. D'autre part, une étude menée en 2017 par l'Europe PubMed Central identifie 116 variantes génétiques qui prédisposent au névrosisme chez un individu. [4] Estime de soi Le concept d'estime de soi a commencé à être évoqué à partir du XIXè siècle. Concrètement, il désigne le jugement que l'on porte sur notre propre valeur. Dans le sport, l'estime de soi se caractérise par notre jugement sur notre capacité à produire telle performance. Par exemple, je sais qu'il m'est impossible de sauter à 15 mètres en saut en longueur, mais les 5 mètres sont largement atteignables. Lorsque ce jugement que l'on porte sur nous-mêmes est à la baisse, on parle de faible estime de soi. Elle se caractérise par une auto-critique importante, une vulnérabilité aux critiques des autres, de nombreuses ruminations redondantes d'erreurs commises dans le passé, et donc une difficulté à aller de l'avant. Un individu qui a une faible estime de lui-même va être tellement persuadé de ne pas être bon qu'il va finir par produire une performance médiocre, ce qui va le conforter dans son idée qu'il n'est pas bon. C'est le concept de prophétie auto-réalisatrice. 9 Florent DOIRE Ce théorème a été mis en exergue par les sociologues William Isaac Thomas puis Robert King Merton en 1948. Il stipule que « Si les hommes considèrent des situations comme réelles, alors elles le deviennent dans leurs conséquences », et que « C'est, au début, une définition fausse de la situation qui provoque un comportement qui fait que cette définition fausse devient vraie ». Si une personne croit qu'elle est nulle en sport, alors elle agira inconsciemment comme tel et deviendra à force effectivement nulle en sport. On a donc plusieurs facteurs psychologiques qui nous conditionnent dans une certaine mesure à être bon ou non dans un sport, indépendamment de notre volonté. Il est cependant important de noter que si nous sommes conditionnés, il est toujours possible de s'extraire de ce conditionnement en travaillant sur soi. Maintenant, les facteurs psychologiques ne sont pas les seuls types de facteurs nous conditionnant, il y a également un aspect beaucoup plus physique qui rentre en jeu. II. Les facteurs purement biologiques En effet, des facteurs biologiques ont déjà été cités dans la partie psychologie. Cependant, ils servaient à expliquer des phénomènes psychologiques, qui eux influaient sur la performance sportive. Les facteurs biologiques dont on va parler ont une incidence directe sur la performance sportive. Les qualités musculaires et tendineuses Il a été découvert depuis plusieurs années maintenant qu'il y trois types de fibres musculaires : – les fibres de type I, lentes et peu puissantes mais résistantes à la fatigue ; 10 Florent DOIRE – les fibres de type IIx, rapides et puissantes mais peu résistantes à la fatigue ; – les fibres IIa, intermédiaires. [5] La proportion de ces fibres au sein de nos muscles striés squelettiques va conditionner nos choix sportifs ; et malheureusement il a été prouvé cette proportion (appelée myotypologie) est largement déterminée à la naissance. Par ailleurs, une fibre ne peut pas se transformer en une autre, on ne peut donc pas changer cette proportion. Heureusement, cela ne veut pas dire qu'un individu ayant une myotypologie lente ne pourra pas être bon en sprint, et inversement. En effet, les fibres musculaires peuvent grossir ou s'atrophier en fonction de leur utilisation (c'est vrai surtout pour les fibres de type II qui ont un fort potentiel hypertrophique). Ainsi, même si je suis prédisposé à être bon en course d'endurance mais pas en sprint, il est toujours possible de m'entraîner en puissance et de devenir très bon au 100 mètres. De la même manière, les tendons jouent un rôle important dans la performance sportive. Ils transmettent la force du muscle au niveau des segments osseux, permettant le mouvement. Ils peuvent également stocker de l'énergie élastique en résistance à leur étirement, puis la restituer. C'est un phénomène crucial dans beaucoup de disciplines sportives. Par exemple, dans le documentaire Secrets d'athlètes, le saut 11 Florent DOIRE en hauteur [6], on s'intéresse à deux sauteurs : Stefan Holm et Donald Thomas. [6] Donald Thomas, 1 mètre 90, vient du Bahamas. Il faisait du basket à l'université puis a commencé le saut en hauteur en 2006. Un an et demi plus tard, il devient champion du monde, alors que sa technique est approximative. Une des causes expliquant cela est notamment la longueur des tendons d'Achille de Donald Thomas. En effet ils mesurent 26 centimètres de long, ce qui lui donne une restitution élastique très élevée, lui permettant de sauter plus haut, plus facilement. Stefan Holm est petit pour un sauteur : il mesure seulement 1 mètre 81. Malgré ce désavantage, il persévère pour atteindre un niveau de maîtrise extrêmement élevé. Grâce à son entraînement acharné, il réalise la meilleure performance mondiale de l'année 2004 en sautant à 2m36, dépassant ainsi ses rivaux qui font une tête de plus que lui. 12 Florent DOIRE CONCLUSION Ainsi, il existe de nombreux facteurs prédisposant les individus à s'orienter vers un sport plutôt qu'un autre. On l'a vu, les traits de personnalité font parties de ces facteurs, au même titre que nos qualités purement physiques. Il est vrai que ces facteurs sont attribués à chaque individu à la naissance, mais ils ne sont cependant pas immuables. Malgré une personnalité nous prédisposant au rugby, on peut faire l'effort de s'adapter pour réussir aussi à lancer un javelot. De la même manière nos qualités physiques innées nous prédisposent seulement, elles ne gravent pas dans la pierre les sports que nous pourrons pratiquer et ceux dans lesquels nous seront éternellement peu performants. Il est donc possible de s'extraire de ce conditionnement via le travail. 13 Florent DOIRE Sources : [1] : Le cerveau à tous les niveaux : https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_cr/i_03_cr_que/i_03_cr_ que.html [2] : Loi de Yerkes et Dodson — Wikipédia (wikipedia.org) [3] : Extrait du cours de Psychologie de la personnalité [4] : Association analysis in over 329,000 individuals identifies 116 independent variants influencing neuroticism - PMC (nih.gov) [5] : Extrait du cours de Système neuromusculaire [6] : https://www.youtube.com/watch?v=AsbSS8hAmys 14