Art Loiseau

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L’UNION DES FEMMES FRANÇAISES PENDANT LES TRENTE
GLORIEUSES : ENTRE « MATERNALISME », DROIT DES FEMMES ET
COMMUNISME
Dominique Loiseau
La Découverte | « Le Mouvement Social »
2018/4 n° 265 | pages 37 à 53
ISSN 0027-2671
ISBN 9782348040757
DOI 10.3917/lms.265.0037
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social1-2018-4-page-37.htm
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Le Mouvement social, octobre-décembre 2018 © La Découverte
Dominique Loiseau, L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses, Le Mouvement social, octobre-décembre 2018.
L’Union des femmes françaises pendant les Trente
Glorieuses : entre « maternalisme », droit des femmes
et communisme
par Dominique
loIseau
*
D
ans la sphère communiste, la création de l’Union des femmes françaises (UFF)
correspond au développement, après 1945, de structures associatives et autres
lieux de sociabilité autour du quotidien, permettant à des femmes des milieux
populaires urbains d’intégrer l’univers militant selon des modalités plus souples que
celles existant jusqu’alors. Les femmes peuvent en effet s’investir dans des activités
ponctuelles et/ou liées à un objectif de transformation de leurs conditions de vie,
dans l’aire géographique du quartier, qui est aussi celle de leur quotidien ; il ne
leur est pas demandé d’adhérer à une option politique, même si, parallèlement, les
dirigeantes, en général militantes du parti communiste, en distillent les positions
politiques. La mouvance catholique-sociale agit de même, les passerelles occasion-
nelles ne devant pas masquer les particularités dues aux appartenances idéologiques.
Le texte qui suit s’appuie sur la presse nationale de l’UFF (Femmes françaises) et
sur une recherche menée en région nazairienne, près de Nantes 1. Il offre un regard
complémentaire de l’analyse classique de l’UFF comme courroie de transmission
des positions et de la stratégie du Parti communiste français (PCF) amplement
développée par ailleurs
2. Au travers de l’activité de l’UFF, il cherche à saisir les
modes d’approche du militantisme proposés aux femmes des quartiers populaires,
de cerner qui sont les adhérentes, et en quoi leur adhésion, voire leur investissement,
dépend de, et influe sur, leur vie personnelle, leur image de soi.
Une association féminine liée au PCF
L’UFF, association non mixte créée en 1944, est héritière du Comité mondial des
femmes contre le fascisme et la guerre (CMF) et de l’Union des jeunes filles de
France (UJFF), fondés en 1934 et 1936 par le PCF afin de développer son influence
et son recrutement chez les femmes, perçues comme éloignées d’un possible investis-
sement politique et chez les jeunes filles, beaucoup plus surveillées que leurs frères.
La non-mixité, l’élargissement des revendications et des mots d’ordre se distinguant
des ambitions politiques exprimées par le Parti, sont censés contribuer à lever les
obstacles à l’engagement féminin.
* Historienne et sociologue, chercheuse associée au laboratoire Espaces et Sociétés, GREGUM
(Le Mans), UMR CNRS 6590.
1. D. L, Femmes et militantismes, Paris, L’Harmattan, 1996. Cet ouvrage est issu d’une thèse
de doctorat, « Femmes et militantisme : Saint-Nazaire et sa région (1930-1980) », thèse de doctorat en
histoire, sous la direction de Michelle Perrot, Université Paris 7, 1993.
2. M. D et J. N, Les Françaises face à la politique : comportement politique et condi-
tion sociale, Paris, Armand Colin, 1955 ; R. R, Les femmes rouges, Paris, Albin Michel, 1983 ;
S. C, Les années Beauvoir, 1945-1970, Paris, Fayard, 2000 ; S. F, « L’Union des femmes
françaises : une organisation féminine de masse du Parti communiste français (1945-1965) », thèse de
doctorat en science politique, sous la direction de Philippe Braud, Université Panthéon-Sorbonne, 2005.
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Le Mouvement social, octobre-décembre 2018 © La Découverte
Cette distinction selon le sexe et l’âge n’est pas l’apanage des organisations com-
munistes : elle prévaut dans les organisations catholiques depuis le début des années
1920. Dans les deux mouvances, ces structures sont pensées comme des viviers dans
lesquels puiser candidates et militantes.
L’UFF et son journal, Femmes françaises, naissent de la fusion en novembre 1944
des Comités féminins communistes des zones Nord et Sud, mis en place dans le
cadre de la Résistance 3. Son rôle durant l’insurrection parisienne accroît sa crédibi-
lité. Elle a en novembre 1944 deux déléguées à l’Assemblée consultative provisoire.
Trente ans plus tard, l’UFF revendique toujours la continuité avec ses Comités
féminins intervenant dans la quotidienneté de la Résistance par des collectes, des
démarches pour débloquer des denrées alimentaires, des publications clandestines
destinées aux femmes.
Ses outils sont ses comités, ses Associations familiales (1 211 inscrites au Journal
officiel fin 1946) et sa presse : l’hebdomadaire Femmes françaises jusqu’en 1957, le
mensuel Heures claires des Femmes françaises jusqu’en 1985, remplacé par Clara.
Entre 1945 et 1952, une revue mensuelle, les Cahiers de l’UFF, à diffusion plus
restreinte, existe également. Jusqu’à la création en 1955 d’Antoinette, magazine de
la CGT, l’UFF vend également sa presse aux ouvrières et crée des comités en entre-
prise, le partage du terrain avec la Confédération syndicale étant encore mal défini.
Le premier congrès de l’UFF, en 1945, définit et articule les devoirs des femmes
(faire et élever des enfants, travailler à la reconstruction du pays, participer active-
ment à la vie publique et politique) et leurs droits (droit au travail, à l’aide pour
l’éducation des enfants, à un salaire égal pour un travail égal, à des logements conve-
nables, à des écoles, à l’égalité sur le plan civil et juridique). L’UFF est encore à ce
moment très favorable au travail des femmes, position qui se modifie à partir de
1947, où il est considéré comme résultant de la contrainte économique, renforçant
ainsi les assignations sexuées.
Dès sa création, elle se place sous l’égide de trois présidentes d’honneur sym-
bolisant l’union de toutes les femmes en son sein, Berthie Albrecht, Suzanne
Buisson, Danielle Casanova
4. En exaltant le souvenir de cette dernière, morte
en déportation, l’UFF met en avant la figure emblématique féminine inexistante
auparavant, associée au dévouement et au sacrifice, cohérente avec la représentation
traditionnelle des femmes tout en l’associant à l’engagement. Comparer Danielle
Casanova à Jeanne d’Arc lui confère une stature nationale de femme sauvant la
France et enracine, légitime les communistes. En héroïsant l’ex-secrétaire de l’UJFF,
elle établit sa filiation avec une organisation française et non avec le CMF, jugé
trop lié à l’Internationale communiste pour être revendiqué dans une période où le
PCF met en avant son rôle dans la libération de la nation française
5. Sur un plan
3. Structurés sur le modèle du PC clandestin, des comités féminins se structurent à partir de l’été
1941. Ils se fédèrent en zone Nord dans l’Union des femmes françaises (UFF), dirigée par Danielle
Casanova (puis Maria Rabaté et Claudine Michaut) et en zone Sud dans l’Union des femmes de France,
coordonnée par Simone Bertrand. Les deux organisations adhèrent au Front national, voir S. F,
« Union des femmes françaises », in F. M (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance. Résistance
intérieure et France libre, Paris, Robert Laont, 2006, p. 217.
4. Le premier congrès de l’Union des femmes françaises s’ouvre le 17 juin 1945, salle de la Mutualité,
à Paris. Placé symboliquement sous la triple présidence de Danielle Casanova (la communiste), Berthie
Albrecht (la chrétienne) et Suzanne Buisson (la socialiste), ce congrès se veut celui de l’union.
5. R. R, Les femmes rouges, op. cit., p. 20 et M. G, C. L-T et S. M
(dir.), Les femmes dans la Résistance en France, Paris, Tallandier, 2003.
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régional, Marthe Gallet, institutrice communiste, résistante, ex-secrétaire de l’UJFF,
fondatrice de l’UFF en Loire-Inférieure et à Saint-Nazaire, incarne cette filiation.
Développer une organisation féminine de masse, issue de la Résistance, s’inscrit
aussi dans le nouveau contexte national : les Françaises ayant obtenu le droit de
vote à la Libération, il est important pour le PCF de contrer l’influence du clergé
et des organisations catholiques. Lors de son XIe congrès en 1947, le texte sur le
travail parmi les femmes rappelle que « le PCF s’est toujours penché avec sollicitude
sur le sort des femmes de notre pays », expression maternante et protectrice qui
sera souvent reprise par l’UFF. La mise en avant de revendications immédiates est
à l’ordre du jour, et correspond aux problèmes quotidiens des classes populaires,
comme l’indique le même texte :
La femme communiste est une bonne communiste si elle se préoccupe du sort de
ses compagnes, si elle ne croit pas déchoir en s’occupant du pain, de la layette, du
logis des mères de famille, si elle sait les comprendre, les défendre, les rassembler 6.
Les revendications de l’UFF visent à améliorer la vie quotidienne, mais le désir
de rassembler largement favorise le maintien des rôles sexués. Leur remise en cause
n’est pensée ni dans l’UFF ni dans le PCF, malgré l’évocation, dans le rapport déjà
cité, des « conceptions rétrogrades sur les femmes de beaucoup de camarades ».
Une organisation pour les femmes de milieu populaire
Les eectifs
L’UFF réussit d’abord à rassembler de nombreuses femmes dans l’euphorie de la
Libération, mais leur nombre décroît rapidement à la suite de son alignement sur
les positions du PCF et de la mise en avant de mots d’ordre oppositionnels après le
départ des ministres communistes du gouvernement en 1947, et ce malgré la grande
modération des thèmes de chacun des congrès UFF, associant les femmes à l’avenir de
la famille et de la paix. L’histoire de l’UFF est marquée par cette contradiction entre
la volonté de développer une organisation de masse de femmes qu’il importe de ne
pas effrayer par une approche trop politique et la méthode consistant à partir de leurs
difficultés quotidiennes pour les amener à une analyse proche des positions du PCF.
À titre d’exemple, en septembre 1945, les comités de Loire-Inférieure diffusent
175 exemplaires de Femmes françaises 7. Il existe alors quatre comités à Saint-Nazaire
et cinq dans les communes proches qui, composés de femmes peu aguerries, dis-
paraissent en quelques années. D’autres départements – peut-être en raison d’une
meilleure implantation communiste – semblent, selon la presse de l’UFF, mieux
résister, tel celui des Bouches-du-Rhône revendiquant, en 1948, 101 comités et la
vente hebdomadaire de 5 600 exemplaires de Femmes françaises 8.
Nationalement, les effectifs affichés de l’immédiat après-guerre (620 000 au
premier congrès de 1945, 1 million en 1947) chutent : 500 000 cartes placées en
1952, 200 000 adhérentes en 1956 9. La décrue continue dans la décennie suivante :
6. Le travail parmi les femmes, XIe congrès du PCF, 1947.
7. Fascicule de six pages sur le Conseil national UFF de septembre 1945.
8. Femmes françaises, n° 176, 1948.
9. M.-T. C, « Les communistes et l’émancipation des femmes de 1945 à 1959 »,
mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paris 8, 1975 ; Femmes françaises, 19 avril 1952, Yvonne
Dumont au XIVe congrès du PCF.
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Le Mouvement social, octobre-décembre 2018 © La Découverte
100 000 en 1964 et 50 000 en 1968
10. Malgré les 4 500 diffuseuses revendiquées
par les Heures claires en 1966
11, l’UFF ne semble plus savoir saisir le mécontente-
ment populaire. Son congrès de 1971 assouplit les objectifs, simplifie l’adhésion,
voire assimile inscription à une activité et adhésion, ou encore instaure la « carte
à vie ». Les militantes peuvent s’opposer à ces pratiques, qui semblent néanmoins
entraîner une remontée des effectifs : 60 000 en 1973, 100 000 en 1976, 130 000
en 1979, 180 000 en 1983 12.
Adhérentes et militantes
Voulant rassembler largement, les militantes, plus politisées et sur lesquelles repose
la mise en œuvre de l’orientation de l’association, sont confrontées à de grands déca-
lages avec les adhérentes de base. Marthe Gallet, longtemps responsable de l’UFF de
Saint-Nazaire, indique que, notamment pour la période 1945-1965 :
Il ne faut pas voir l’UFF comme une organisation de militantes […], beaucoup de
femmes comme on dit, ordinaires, qui ne faisaient pas grand-chose mais étaient très
heureuses de dire « moi je suis à l’UFF, je suis à l’UFF donc je fais quelque chose ».
J’ai entendu des femmes dire « maintenant je me sens l’égale de mon mari parce
que j’ai entendu parler de ceci, on a discuté de cela ». […] On ne leur demandait
pas ce que l’on appelle l’activité militante, sauf des groupes quand il s’agissait de
faire signer sur le marché, ou un travail de ce genre. C’était déjà énorme de venir
à l’assemblée générale, même si ce n’était qu’une fois par mois. […] Elles venaient
avec leurs enfants, ça faisait un chahut ! Quelquefois d’ailleurs on organisait une
petite garderie 13.
En ses premières années, l’UFF s’efforce de resituer politiquement les problèmes
quotidiens. Le raidissement des positions communistes à partir de 1947, déjà évo-
qué, rebute cependant une partie des adhérentes, bien que les sujets abordés soient
souvent sélectionnés. Pour ces femmes, l’UFF est d’abord un moyen de se retrouver,
d’exercer une activité sociale « amicale », d’exprimer sa solidarité aux luttes ouvrières.
Beaucoup ont une activité réduite, mais sortent de chez elles, découvrent qu’une
femme peut penser et agir. La non-mixité amène un certain nombre à s’exprimer,
à œuvrer en tant que personne, et même si les activités semblent anodines, elles
entraînent un processus de politisation non partisane. Après avoir interrogé en 1966
des adhérentes récentes, Heures claires conclut :
Toutes souhaitent, selon leur expression, faire quelque chose […]. Faire en sorte
de vivre mieux, et l’UFF leur en donne la possibilité. Elles s’y sentent à l’aise, elles
y trouvent un climat amical, des préoccupations communes, des espaces com-
muns. Son activité fait naître l’amitié, la solidarité, l’enthousiasme recherché par
chacune 14.
10. D. K-P, « L’UJFF et l’UFF : réexions sur leur histoire », Pénélope, n° 11,
1984, p. 105 ; C. R et G. V-D, « Participation des femmes à la vie civique ; les associa-
tions féminines de 1945 à 1968 », mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paris 7, 1976.
11. Heures claires, n° 27, 1966, p. 34.
12. Pénélope, n° 11, 1984, p. 110 ; Journée d’étude consacrée à l’UFF à Saint-Nazaire, 25 avril
1976 ; Bulletin de l’UFF, mars 1979.
13. Entretien avec Marthe Gallet, in D. L, Femmes et militantismes, op. cit., p. 58.
14. Heures claires, n° 25, 1966, p. 62.
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