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Art Loiseau

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L’UNION DES FEMMES FRANÇAISES PENDANT LES TRENTE
GLORIEUSES : ENTRE « MATERNALISME », DROIT DES FEMMES ET
COMMUNISME
Dominique Loiseau
La Découverte | « Le Mouvement Social »
2018/4 n° 265 | pages 37 à 53
ISSN 0027-2671
ISBN 9782348040757
DOI 10.3917/lms.265.0037
Article disponible en ligne à l'adresse :
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L’Union des femmes françaises pendant les Trente
Glorieuses : entre « maternalisme », droit des femmes
et communisme
par Dominique Loiseau*
Une association féminine liée au PCF
Le Mouvement social, octobre-décembre 2018 © La Découverte
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ans la sphère communiste, la création de l’Union des femmes françaises (UFF)
correspond au développement, après 1945, de structures associatives et autres
lieux de sociabilité autour du quotidien, permettant à des femmes des milieux
populaires urbains d’intégrer l’univers militant selon des modalités plus souples que
celles existant jusqu’alors. Les femmes peuvent en effet s’investir dans des activités
ponctuelles et/ou liées à un objectif de transformation de leurs conditions de vie,
dans l’aire géographique du quartier, qui est aussi celle de leur quotidien ; il ne
leur est pas demandé d’adhérer à une option politique, même si, parallèlement, les
dirigeantes, en général militantes du parti communiste, en distillent les positions
politiques. La mouvance catholique-sociale agit de même, les passerelles occasionnelles ne devant pas masquer les particularités dues aux appartenances idéologiques.
Le texte qui suit s’appuie sur la presse nationale de l’UFF (Femmes françaises) et
sur une recherche menée en région nazairienne, près de Nantes 1. Il offre un regard
complémentaire de l’analyse classique de l’UFF comme courroie de transmission
des positions et de la stratégie du Parti communiste français (PCF) amplement
développée par ailleurs 2. Au travers de l’activité de l’UFF, il cherche à saisir les
modes d’approche du militantisme proposés aux femmes des quartiers populaires,
de cerner qui sont les adhérentes, et en quoi leur adhésion, voire leur investissement,
dépend de, et influe sur, leur vie personnelle, leur image de soi.
L’UFF, association non mixte créée en 1944, est héritière du Comité mondial des
femmes contre le fascisme et la guerre (CMF) et de l’Union des jeunes filles de
France (UJFF), fondés en 1934 et 1936 par le PCF afin de développer son influence
et son recrutement chez les femmes, perçues comme éloignées d’un possible investissement politique et chez les jeunes filles, beaucoup plus surveillées que leurs frères.
La non-mixité, l’élargissement des revendications et des mots d’ordre se distinguant
des ambitions politiques exprimées par le Parti, sont censés contribuer à lever les
obstacles à l’engagement féminin.
*  Historienne et sociologue, chercheuse associée au laboratoire Espaces et Sociétés, GREGUM
(Le Mans), UMR CNRS 6590.
1. D. Loiseau, Femmes et militantismes, Paris, L’Harmattan, 1996. Cet ouvrage est issu d’une thèse
de doctorat, « Femmes et militantisme : Saint-Nazaire et sa région (1930-1980) », thèse de doctorat en
histoire, sous la direction de Michelle Perrot, Université Paris 7, 1993.
2. M. Dogan et J. Narbonne, Les Françaises face à la politique : comportement politique et condition sociale, Paris, Armand Colin, 1955 ; R. Rousseau, Les femmes rouges, Paris, Albin Michel, 1983 ;
S. Chaperon, Les années Beauvoir, 1945-1970, Paris, Fayard, 2000 ; S. Fayolle, « L’Union des femmes
françaises : une organisation féminine de masse du Parti communiste français (1945-1965) », thèse de
doctorat en science politique, sous la direction de Philippe Braud, Université Panthéon-Sorbonne, 2005.
Dominique Loiseau, L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses, Le Mouvement social, octobre-décembre 2018.
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D
3. Structurés sur le modèle du PC clandestin, des comités féminins se structurent à partir de l’été
1941. Ils se fédèrent en zone Nord dans l’Union des femmes françaises (UFF), dirigée par Danielle
Casanova (puis Maria Rabaté et Claudine Michaut) et en zone Sud dans l’Union des femmes de France,
coordonnée par Simone Bertrand. Les deux organisations adhèrent au Front national, voir S. Fayolle,
« Union des femmes françaises », in F. Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance. Résistance
intérieure et France libre, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 217.
4. Le premier congrès de l’Union des femmes françaises s’ouvre le 17 juin 1945, salle de la Mutualité,
à Paris. Placé symboliquement sous la triple présidence de Danielle Casanova (la communiste), Berthie
Albrecht (la chrétienne) et Suzanne Buisson (la socialiste), ce congrès se veut celui de l’union.
5. R. Rousseau, Les femmes rouges, op. cit., p. 20 et M. Gilzmer, C. Levisse-Touze et S. Martens
(dir.), Les femmes dans la Résistance en France, Paris, Tallandier, 2003.
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Cette distinction selon le sexe et l’âge n’est pas l’apanage des organisations communistes : elle prévaut dans les organisations catholiques depuis le début des années
1920. Dans les deux mouvances, ces structures sont pensées comme des viviers dans
lesquels puiser candidates et militantes.
L’UFF et son journal, Femmes françaises, naissent de la fusion en novembre 1944
des Comités féminins communistes des zones Nord et Sud, mis en place dans le
cadre de la Résistance 3. Son rôle durant l’insurrection parisienne accroît sa crédibilité. Elle a en novembre 1944 deux déléguées à l’Assemblée consultative provisoire.
Trente ans plus tard, l’UFF revendique toujours la continuité avec ses Comités
féminins intervenant dans la quotidienneté de la Résistance par des collectes, des
démarches pour débloquer des denrées alimentaires, des publications clandestines
destinées aux femmes.
Ses outils sont ses comités, ses Associations familiales (1 211 inscrites au Journal
officiel fin 1946) et sa presse : l’hebdomadaire Femmes françaises jusqu’en 1957, le
mensuel Heures claires des Femmes françaises jusqu’en 1985, remplacé par Clara.
Entre 1945 et 1952, une revue mensuelle, les Cahiers de l’UFF, à diffusion plus
restreinte, existe également. Jusqu’à la création en 1955 d’Antoinette, magazine de
la CGT, l’UFF vend également sa presse aux ouvrières et crée des comités en entreprise, le partage du terrain avec la Confédération syndicale étant encore mal défini.
Le premier congrès de l’UFF, en 1945, définit et articule les devoirs des femmes
(faire et élever des enfants, travailler à la reconstruction du pays, participer activement à la vie publique et politique) et leurs droits (droit au travail, à l’aide pour
l’éducation des enfants, à un salaire égal pour un travail égal, à des logements convenables, à des écoles, à l’égalité sur le plan civil et juridique). L’UFF est encore à ce
moment très favorable au travail des femmes, position qui se modifie à partir de
1947, où il est considéré comme résultant de la contrainte économique, renforçant
ainsi les assignations sexuées.
Dès sa création, elle se place sous l’égide de trois présidentes d’honneur symbolisant l’union de toutes les femmes en son sein, Berthie Albrecht, Suzanne
Buisson, Danielle Casanova 4. En exaltant le souvenir de cette dernière, morte
en déportation, l’UFF met en avant la figure emblématique féminine inexistante
auparavant, associée au dévouement et au sacrifice, cohérente avec la représentation
traditionnelle des femmes tout en l’associant à l’engagement. Comparer Danielle
Casanova à Jeanne d’Arc lui confère une stature nationale de femme sauvant la
France et enracine, légitime les communistes. En héroïsant l’ex-secrétaire de l’UJFF,
elle établit sa filiation avec une organisation française et non avec le CMF, jugé
trop lié à l’Internationale communiste pour être revendiqué dans une période où le
PCF met en avant son rôle dans la libération de la nation française 5. Sur un plan
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38 n Dominique Loiseau
L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 39
régional, Marthe Gallet, institutrice communiste, résistante, ex-secrétaire de l’UJFF,
fondatrice de l’UFF en Loire-Inférieure et à Saint-Nazaire, incarne cette filiation.
Développer une organisation féminine de masse, issue de la Résistance, s’inscrit
aussi dans le nouveau contexte national : les Françaises ayant obtenu le droit de
vote à la Libération, il est important pour le PCF de contrer l’influence du clergé
et des organisations catholiques. Lors de son XIe congrès en 1947, le texte sur le
travail parmi les femmes rappelle que « le PCF s’est toujours penché avec sollicitude
sur le sort des femmes de notre pays », expression maternante et protectrice qui
sera souvent reprise par l’UFF. La mise en avant de revendications immédiates est
à l’ordre du jour, et correspond aux problèmes quotidiens des classes populaires,
comme l’indique le même texte :
La femme communiste est une bonne communiste si elle se préoccupe du sort de
ses compagnes, si elle ne croit pas déchoir en s’occupant du pain, de la layette, du
logis des mères de famille, si elle sait les comprendre, les défendre, les rassembler 6.
Les revendications de l’UFF visent à améliorer la vie quotidienne, mais le désir
de rassembler largement favorise le maintien des rôles sexués. Leur remise en cause
n’est pensée ni dans l’UFF ni dans le PCF, malgré l’évocation, dans le rapport déjà
cité, des « conceptions rétrogrades sur les femmes de beaucoup de camarades ».
Les effectifs
L’UFF réussit d’abord à rassembler de nombreuses femmes dans l’euphorie de la
Libération, mais leur nombre décroît rapidement à la suite de son alignement sur
les positions du PCF et de la mise en avant de mots d’ordre oppositionnels après le
départ des ministres communistes du gouvernement en 1947, et ce malgré la grande
modération des thèmes de chacun des congrès UFF, associant les femmes à l’avenir de
la famille et de la paix. L’histoire de l’UFF est marquée par cette contradiction entre
la volonté de développer une organisation de masse de femmes qu’il importe de ne
pas effrayer par une approche trop politique et la méthode consistant à partir de leurs
difficultés quotidiennes pour les amener à une analyse proche des positions du PCF.
À titre d’exemple, en septembre 1945, les comités de Loire-Inférieure diffusent
175 exemplaires de Femmes françaises 7. Il existe alors quatre comités à Saint-Nazaire
et cinq dans les communes proches qui, composés de femmes peu aguerries, disparaissent en quelques années. D’autres départements – peut-être en raison d’une
meilleure implantation communiste – semblent, selon la presse de l’UFF, mieux
résister, tel celui des Bouches-du-Rhône revendiquant, en 1948, 101 comités et la
vente hebdomadaire de 5 600 exemplaires de Femmes françaises 8.
Nationalement, les effectifs affichés de l’immédiat après-guerre (620 000 au
premier congrès de 1945, 1 million en 1947) chutent : 500 000 cartes placées en
1952, 200 000 adhérentes en 1956 9. La décrue continue dans la décennie suivante :
6. Le travail parmi les femmes, XIe congrès du PCF, 1947.
7. Fascicule de six pages sur le Conseil national UFF de septembre 1945.
8. Femmes françaises, n° 176, 1948.
9. M.-T. Carbognani, « Les communistes et l’émancipation des femmes de 1945 à 1959 »,
mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paris 8, 1975 ; Femmes françaises, 19 avril 1952, Yvonne
Dumont au XIVe congrès du PCF.
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Une organisation pour les femmes de milieu populaire
40 n Dominique Loiseau
100 000 en 1964 et 50 000 en 1968 10. Malgré les 4 500 diffuseuses revendiquées
par les Heures claires en 1966 11, l’UFF ne semble plus savoir saisir le mécontentement populaire. Son congrès de 1971 assouplit les objectifs, simplifie l’adhésion,
voire assimile inscription à une activité et adhésion, ou encore instaure la « carte
à vie ». Les militantes peuvent s’opposer à ces pratiques, qui semblent néanmoins
entraîner une remontée des effectifs : 60 000 en 1973, 100 000 en 1976, 130 000
en 1979, 180 000 en 1983 12.
Adhérentes et militantes
Voulant rassembler largement, les militantes, plus politisées et sur lesquelles repose
la mise en œuvre de l’orientation de l’association, sont confrontées à de grands décalages avec les adhérentes de base. Marthe Gallet, longtemps responsable de l’UFF de
Saint-Nazaire, indique que, notamment pour la période 1945-1965 :
Toutes souhaitent, selon leur expression, faire quelque chose […]. Faire en sorte
de vivre mieux, et l’UFF leur en donne la possibilité. Elles s’y sentent à l’aise, elles
y trouvent un climat amical, des préoccupations communes, des espaces communs. Son activité fait naître l’amitié, la solidarité, l’enthousiasme recherché par
chacune 14.
10. D. Karnouach-Poindron, « L’UJFF et l’UFF : réflexions sur leur histoire », Pénélope, n° 11,
1984, p. 105 ; C. Reynaud et G. Valle-Duval, « Participation des femmes à la vie civique ; les associations féminines de 1945 à 1968 », mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paris 7, 1976.
11. Heures claires, n° 27, 1966, p. 34.
12. Pénélope, n° 11, 1984, p. 110 ; Journée d’étude consacrée à l’UFF à Saint-Nazaire, 25 avril
1976 ; Bulletin de l’UFF, mars 1979.
13. Entretien avec Marthe Gallet, in D. Loiseau, Femmes et militantismes, op. cit., p. 58.
14. Heures claires, n° 25, 1966, p. 62.
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En ses premières années, l’UFF s’efforce de resituer politiquement les problèmes
quotidiens. Le raidissement des positions communistes à partir de 1947, déjà évoqué, rebute cependant une partie des adhérentes, bien que les sujets abordés soient
souvent sélectionnés. Pour ces femmes, l’UFF est d’abord un moyen de se retrouver,
d’exercer une activité sociale « amicale », d’exprimer sa solidarité aux luttes ouvrières.
Beaucoup ont une activité réduite, mais sortent de chez elles, découvrent qu’une
femme peut penser et agir. La non-mixité amène un certain nombre à s’exprimer,
à œuvrer en tant que personne, et même si les activités semblent anodines, elles
entraînent un processus de politisation non partisane. Après avoir interrogé en 1966
des adhérentes récentes, Heures claires conclut :
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Il ne faut pas voir l’UFF comme une organisation de militantes […], beaucoup de
femmes comme on dit, ordinaires, qui ne faisaient pas grand-chose mais étaient très
heureuses de dire « moi je suis à l’UFF, je suis à l’UFF donc je fais quelque chose ».
J’ai entendu des femmes dire « maintenant je me sens l’égale de mon mari parce
que j’ai entendu parler de ceci, on a discuté de cela ». […] On ne leur demandait
pas ce que l’on appelle l’activité militante, sauf des groupes quand il s’agissait de
faire signer sur le marché, ou un travail de ce genre. C’était déjà énorme de venir
à l’assemblée générale, même si ce n’était qu’une fois par mois. […] Elles venaient
avec leurs enfants, ça faisait un chahut ! Quelquefois d’ailleurs on organisait une
petite garderie 13.
Il faut tenir compte de l’interprétation des témoignages par la rédaction du
journal, voire du fait que cette rédaction en a peut-être elle-même rédigé certains ;
néanmoins, ces lignes traduisent une part du vécu d’adhérentes de base et de militantes, dix-huit entretiens menés dans la région nazairienne entre 1985 et 1990
peuvent en témoigner.
Le terme « amie », qui désigne l’adhérente, évite celui de « camarade » trop
connoté et confère à l’UFF une image chaleureuse. Inviter des femmes à partager
une amitié au sein d’un mouvement donne à celui-ci un caractère plus affectif que
politique, ce qui peut représenter un atout pour recruter largement, préoccupation majeure. L’UFF s’impose comme une organisation unifiant les femmes sans
que soient remises en cause les attributions sexuées et les « qualités » naturalisées :
« Amie, vos difficultés sont celles de milliers et de milliers de femmes, mais être une
UFF, c’est être avant tout une femme sensible, compréhensive, une bonne mère de
famille, une bonne travailleuse, une brave ménagère », répond Femmes françaises le
27 décembre 1947 à une lectrice écrivant : « Je voudrais prendre ma carte UFF, mais
mes charges de famille ne me permettent aucune activité militante. »
Érigeant l’affectif en valeur, l’UFF alimente une sensibilité, voire une sentimentalité dites féminines, qu’il s’agisse des « femmes au grand cœur qui travaillent de
toutes leurs forces pour le bien public », du don de « la carte UFF à toutes celles qui
sont de cœur avec nous », ou de l’UFF « prête à [les] accueillir 15 ». Nous sommes là
dans un autre registre que l’adhésion au PCF, qui procède d’abord de la conviction.
Néanmoins, même appartenant parfois à ce groupe sur la seule base de l’investissement amical, les adhérentes de l’UFF sont influencées de fait par l’orientation
politique de l’organisation.
Au sein du PCF, les liens d’amitié, aussi forts soient-ils, s’interrompent souvent quand cesse l’appartenance au Parti, notamment à la suite d’une exclusion.
L’amitié vécue au sein de l’UFF semble moins mise à mal et, parfois, elle a même
été un refuge : en région marseillaise, Paulette I… est sommée de « choisir entre [s]
a carte et [s]on mari » (exclu du PCF aux lendemains de la Libération), dilemme à
l’issue duquel, choisissant son mari, « l’UFF a bien voulu [l]’accepter 16 ». Celle qui
s’en sépare altère une amitié conçue comme une relation collective et non un lien
individuel, mais ne se confronte peut-être pas au même ostracisme que lors d’une
exclusion du PCF.
Introduire l’affectif dans le langage et la vie militante permet aux femmes de la
base de s’y sentir à l’aise, rompt l’isolement fréquent des ménagères. D’autres, plus
actives, sont réticentes vis-à-vis de ce qu’elles considèrent comme un affadissement
de l’engagement militant.
Les animatrices occupent une position intermédiaire. Leur rôle est difficile,
entre les adhérentes de quartier investies dans l’organisation de goûters, braderies, vestiaires, bals, ou dans des revendications ponctuelles, et les militantes qui
15. Femmes françaises, n° 168, 1948 ; n° 170, 1948, répercutant le mot d’ordre du Conseil national ;
Heures claires, n° 25, 1966. Voir aussi S. Fayolle, « L’Union des femmes françaises et les sentiments
supposés féminins », in C. Traïni (dir.), Émotions… Mobilisation !, Paris, Presses de Sciences Po, 2009,
p. 169-192.
16. G. Dermenjian et D. Loiseau, « Itinéraires de femmes communistes », in O. Filleule et
P. Roux (dir.), Le sexe du militantisme, Paris, Presses de la FNSP, 2009, p. 100.
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L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 41
42 n Dominique Loiseau
17. W. Guéraiche, Les femmes et la République : essai sur la répartition du pouvoir de 1943 à 1979,
Paris, Éditions de l’Atelier, 1999, p. 144-145.
18. C. Guetté, « Les couples de militants politiques : comparaison entre quatre partis français »,
mémoire de master, Institut d’études politiques de Paris, 2014.
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Au sein des couples
Analyser le mode d’accès au militantisme et les modalités de son fonctionnement
montre les connexions entre champs du militantisme et du quotidien 17. La dimension conjugale du militantisme, repoussée dans l’intime, a rarement fait l’objet d’investigations. Pourtant, elle est structurante dans l’UFF et nombre d’organisations
féminines 18 comme, dans les milieux populaires catholiques, l’Action catholique
spécialisée, et ce malgré les différences idéologiques qui sous-tendent les engagements respectifs. Durant les Trente Glorieuses, l’acceptation des maris est nécessaire
pour que leurs épouses puissent s’investir peu ou prou, maris dont le militantisme
semble constituer un autre prérequis à l’engagement des femmes. Celui-ci se double
souvent de la condition, implicite ou explicite, « que tout soit fait à la maison
quand même ». La majorité des adhérentes, non-salariées, intègre cette contrainte,
la question du partage des tâches se pose très peu, en vertu d’une pratique de la
complémentarité, de la distribution sexuée des travaux à réaliser. Même pour les
salariées, rares sont les cas de réel partage des tâches domestiques et éducatives pour
permettre un égal accès au militantisme.
Leurs actions se déroulent en général durant le temps de travail du mari et de
l’école des enfants. Elles concilient vie familiale et engagement social, aménageant
leur journée de femme au foyer dans le cadre de ces contraintes horaires, si bien que
leur action militante peut passer inaperçue. L’engagement des femmes est d’autant
mieux accepté qu’il sauvegarde les apparences de la norme de l’homme gagne-pain
et de la ménagère. Davantage de problèmes se posent pour celles qui, plus investies,
rentrent tard, veulent sortir entre 18 et 20 heures, temps des enfants et du repas,
ou dans la soirée, un créneau plus aisé à conquérir cependant au cours des années
1970. S’absenter un ou plusieurs jours signifie pour les femmes s’organiser – maître
mot imposé par la répartition sexuée des tâches – avec la famille ou les voisines, qui
apportent ainsi leur contribution à l’action collective d’une façon qui leur est plus
accessible. L’engagement masculin suppose souvent l’acceptation de l’épouse, mais
pas son engagement, et l’organisation matérielle, gérée par les femmes, n’est pas un
problème pour eux. Les maris qui s’occupent de leurs enfants pendant les absences
militantes de leurs conjointes sont minoritaires.
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représentent l’UFF, élaborent et transmettent sa ligne politique, travaillent dans les
commissions.
L’amitié au sein de l’UFF diffère de la sororité proposée par le mouvement féministe des années 1970 : elles ont en commun la non-mixité, la complicité, l’action
collective pour et avec les femmes, la conscience que les liens amicaux ainsi créés
sont aussi un outil pour mieux militer, mais la différence vient de l’existence du
« grand frère » PCF, et des analyses divergentes de la construction sociale des inégalités sexuées. Et pour le mouvement féministe, l’engagement envers les femmes est
souvent l’engagement principal, lié à une remise en cause des rapports de genre dans
les organisations mixtes, rôle que n’a pas joué l’UFF.
L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 43
Nombre de celles qui peuvent sortir de chez elles pour militer sans rencontrer
d’obstacle considèrent qu’elles ont « de la chance d’avoir un mari qui comprenne ».
Des membres de l’UFF ont ainsi indiqué qu’on leur demandait souvent : « et vos
maris, qu’est-ce qu’ils disent ? » ou qu’elles étaient fréquemment perçues comme
célibataires 19.
À des degrés divers, se formant par l’action et la discussion, une partie des
adhérentes jette entre 1945 et les années 1970 les bases d’une possible autonomie
à l’égard de la famille et du mari, au sens où, tout en restant femmes du monde
ouvrier, elles construisent leur propre identité et leurs références militantes, ne sont
plus seulement définies par la condition et l’engagement de leur mari.
Faire de la vie quotidienne un vecteur de politisation
Améliorer ensemble le quotidien
Défendant les intérêts des familles populaires, l’UFF se définit comme une composante du mouvement ouvrier, œuvrant sur un autre terrain que celui de l’entreprise 20, tout comme les associations de la mouvance catholique-sociale. L’entraide
est l’élément central du répertoire de l’action collective.
Après la Libération, elle mène avec le PCF et la CGT une intense campagne
sur le contrôle des prix et le ravitaillement : en septembre 1947, 300 mères de
famille défilent à Saint-Nazaire, 4 000 ménagères à Nantes 21 et l’UFF de l’Estaque
(Marseille) crée un Comité de l’enfance pour « la ration de lait, un meilleur ravitaillement, la santé de nos enfants », démarche qui aurait entraîné 4 000 adhésions à
ce comité 22. Pour les Côtes-du-Nord, François Prigent évoque « une résurgence des
émeutes frumentaires de l’époque moderne, les puissants rassemblements féminins
étant renforcés par la légitimité moralisatrice de résistantes sacralisées 23 ». Après
1950, ces questions et donc ces manifestations perdent de leur acuité.
19. D. Loiseau, Femmes et militantismes, op. cit., p. 192.
20. P. Boulland et J. Mischi, « Promotion et domination des militantes dans les réseaux locaux du
Parti communiste français », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 126, 2015, p. 73-86.
21. Clarté, 27 septembre et 11 octobre 1947.
22. Femmes françaises, n° 176, 1948.
23. F. Prigent, « Les femmes dans les milieux de gauche des Côtes-du-Nord de la Libération à
1968 : prosopographie, réseaux, militances », Sens public [en ligne], 22 mai 2009 : http://sens-public.
org/article679.html.
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Différents facteurs contribuent à ériger la vie quotidienne en terrain d’intervention
incontournable pour l’UFF : c’est une source de recrutement, un outil pour faire
progresser la prise de conscience des femmes à la nécessité de l’action, voire les amener à un engagement politique dans l’orbite du parti communiste. Analysé comme
contradictoire avec l’essor d’une organisation de masse, ce dernier objectif s’atténue
à la fin des années 1950, ou est poursuivi moins frontalement.
La stratégie du PCF, chargeant ses militantes investies dans l’UFF de développer
une structure féminine de masse, s’appuie sur la réalité de la majorité des adhérentes,
ménagères à faible autonomie économique, culturelle et militante. Elle reproduit entre
parti et association la pratique de la complémentarité au sein des couples : tout en souhaitant que les femmes obtiennent leur autonomie économique, l’UFF s’oriente avant
tout vers la défense de la famille, par des femmes valorisées comme mères et agissant
pour leurs enfants. Sa position vis-à-vis du travail des femmes s’en ressent fortement.
24. G. Dermenjian et D. Loiseau, « La maternité sociale et le Mouvement populaire des familles
durant les Trente Glorieuses », Clio. Histoire, femmes et sociétés, n° 21, 2005, p. 91-105.
25. M. Verret, L’espace ouvrier, Paris, Armand Colin, 1979, p. 27.
26. Femmes françaises, n° 166, 1948.
27. La Résistance de l’Ouest, 17 mars 1958.
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L’UFF cherche également à améliorer le quotidien des ménages ouvriers par ses
Associations familiales, procédant à des achats collectifs sans pour autant choisir
de développer ce secteur, surtout actif dans l’immédiat après-guerre. Elle s’investit
davantage – mais beaucoup moins que les associations catholiques-sociales – dans
un « service 24 » d’appareils ménagers qui, achetés par l’association, sont prêtés aux
usagères en échange d’une modique contribution. Leur succès garantit l’ampleur et
la stabilité du recrutement, mais pas la transformation des adhérentes en militantes,
sauf éventuellement à l’échelle du quartier. Ces services ménagers, tout comme
les « vestiaires », ne font pas l’objet d’un investissement massif. Le petit nombre
de militantes oblige à des choix devant la diversité des interventions potentielles.
En outre, ce terrain s’écarte des démarches – ancrées dans les pratiques communistes – de présentation des revendications aux pouvoirs publics. Enfin, l’accès à
l’équipement électroménager de la classe ouvrière s’améliore au fil des années 25,
même si Saint-Nazaire, ville ouvrière, connaît un léger décalage par rapport à la
situation nationale. L’UFF, surtout dans les premiers temps, apparaît donc comme
une association de femmes nourricières, soignantes et consolatrices, rassemblant les
laissés-pour-compte et les démunis (goûters, arbres de Noël, rencontres pour les
enfants et les personnes âgées).
Cette activité sociale multiforme cesse vers 1950, alors que les comités se
recentrent autour de l’organisation de fêtes de l’enfance ou de réunions festives de
quartiers, afin de réunir les adhérentes autour de la sociabilité parentale et de favoriser le recrutement en montrant le caractère amical de l’association. Ils se recentrent
également autour de l’école, créant des activités pour les enfants, demandant une
amélioration des conditions d’enseignement. Les Amicales laïques et les associations
de parents d’élèves offrant déjà un cadre militant, l’UFF agit le plus souvent au
sein de ces structures plutôt qu’en tant qu’association, ou participe à des actions
unitaires, comme à Entraygues (Aveyron) pour l’ouverture d’une école maternelle 26.
La sécurité sociale et les allocations familiales constituent un autre axe privilégié
d’intervention, au nom de la préservation d’une conquête des familles travailleuses.
Le maintien ou l’amélioration des taux de remboursement, l’augmentation des
prestations font l’objet d’actions, le plus souvent dans le cadre de cartels de défense.
Ainsi, à Saint-Nazaire, en 1958, « calmes et décidées, […] revendiquant un relèvement de 20 % des allocations familiales, 500 mères de famille ont défilé 27 » à l’appel
d’un large comité unitaire. Ce terrain rend possibles des coalitions ou du moins des
actions communes avec d’autres organisations féminines mobilisées sur ces questions, mais la spécificité de l’UFF, l’éloignant en cela de la conception chrétienne de
la famille, est, dès le milieu des années 1950, de défendre l’aide à toutes les mères,
mariées ou pas, tout comme elle défend l’égalité entre enfants, légitimes ou pas.
À partir des années 1960, l’UFF tente de systématiser une politique de revendications culturelles qui, si elle ne figure pas comme une priorité dans ses programmes, est néanmoins explicite. Elle demande la création de salles de réunion
dans les grands ensembles, la prise en compte des spectacles dans les tâches du
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44 n Dominique Loiseau
L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 45
service public, rappelle que ses comités organisent des ventes de livres pour enfants
et adultes, des sorties collectives pour les enfants et les femmes, la tenue de séances
de « télé-clubs 28 ». Ces thèmes ne sont néanmoins peut-être pas relayés par tous les
comités car, dix ans plus tard, elle invite ses militantes à s’engager dans les activités
socio-culturelles 29.
Toutes ces activités, sources de recrutement, suscitent des décalages entre les
aspirations des militantes et celles des adhérentes, le passage s’avérant souvent difficile entre les actions liées aux rôles assignés (nourrir, protéger) et les interventions
plus globales. L’accusation de manipulation ou de récupération, formulée par ses
adversaires politiques et/ou les historiens, est fréquente, voire justifiée. Cependant,
les thématiques s’apparentant à une « maternité sociale » correspondent aux souhaits et aux possibilités d’une partie des adhérentes.
Même dans la décennie 1970, où elle est confrontée aux mouvements féministes
dont elle récuse les analyses, l’UFF continue à assumer son approche, déclarant sa
volonté
Un pacifisme particulier
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À l’instar des jeunes femmes d’une ville industrielle du nord-ouest de l’Angleterre étudiées par la sociologue Beverley Skeggs 31, face à un champ des possibles
réduit scolairement et professionnellement, elles apportent leur aide sous des formes
diverses et, efficaces dans ce dévouement, deviennent responsables et respectées, y
compris à leurs propres yeux. Agissant cependant dans le cadre des assignations
genrées, elles contribuent aussi à les pérenniser.
L’UFF peine à mesurer l’impact des analyses féministes en son sein. La décennie
1970 est d’ailleurs marquée par une confusion interne autour de la question : faut-il
ou non que l’association se déclare féministe ?
La séquence allant des années 1945 au début des années 1960 (voire au-delà) est
marquée par des mobilisations autour de la justice et de la paix, valeurs supposées
correspondre à une « sensibilité féminine », tout en pouvant susciter la réflexion politique souhaitée par la direction de l’UFF, alignée sur les positions politiques du PCF.
C’est ainsi que l’UFF initie ou participe activement à de nombreuses campagnes en
faveur de la paix, thème qui figure dans les mots d’ordre de tous ses congrès de 1947
à 1966. Il se double d’une opposition aux États-Unis et à l’Organisation du traité
de l’Atlantique nord (OTAN) ainsi qu’à la lutte contre le réarmement allemand, la
bombe atomique, la guerre du Vietnam. Loin de promouvoir un pacifisme intégral,
il s’agit d’aider au triomphe des idées, des pays, des peuples censés être les garants
d’une paix future.
28.
29.
30.
31.
« Programme de l’UFF », congrès de novembre 1960.
Le Monde, 20 mai 1971.
« Connaissance de l’UFF. Pour la condition féminine », dossier UFF, Paris, 1974.
B. Skeggs, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone, 2015.
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d’apporter une réponse à ceux qui nous soupçonneraient de vouloir maintenir les
femmes enfermées dans des préoccupations qu’ils qualifieraient de mineures, bien à
tort car elles relient les intéressées au règlement des grands problèmes qui font la vie
du pays. Les femmes, elles, conjuguant leur vie au concret, ne s’y trompent pas 30.
32. R. Rousseau, Les femmes rouges, op. cit., p. 114 ; D. Loiseau, « Mères ou combattantes, les aléas
de l’héroïsation », in G. Dermenjian, J. Guilhaumou et M. Lapied (dir.), Le panthéon des femmes,
figures et représentations des héroïnes, Paris, Publisud, 2004, p. 185-198.
33. Entretien avec Marthe Gallet.
34. Journée internationale des femmes, officialisée en 1977 par les Nations unies, mais l’idée d’une
telle journée est lancée en 1910 par Clara Zetkin, lors de la conférence internationale des femmes
socialistes.
35. Heures claires, n° 26,1966.
36. Ibid.
37. Femmes françaises, 12 novembre 1955. Sur le contexte, voir D. Joly, The French Communist
Party and the Algerian War, Basingstoke, Macmillan, 1991.
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Agir pour la paix favorise aussi l’implantation militante, comme le déclare
la représentante des Alpes-Maritimes au IIIe congrès national de 1949 : « Nous
pensons que le meilleur moyen de recruter à l’UFF est de poser, partout où cela
est possible et publiquement, le danger de guerre ». À ce même congrès, Paulette
Michaut, membre du bureau national de l’UFF et directrice de Femmes françaises,
proclame : « Jamais les mères françaises ne donneront leurs fils pour faire la guerre
à l’Union soviétique ». C’est là jouer sur la corde sensible, mais la figure glorifiée de
la Mère dont l’enfant a été tué ou déporté dans le cadre de la lutte contre le nazisme
est omniprésente dans les premiers congrès. Plusieurs mères deviennent familières
aux congressistes, par la référence qui y est faite ou par leur présence directe 32.
Valorisation de l’attitude maternelle et défense de la paix sont donc en fait liées à
l’orientation politique du PCF (défense de l’URSS), alors que la propagande de
l’UFF suggère une paix une et indivisible.
L’UFF participe en 1950 à la campagne contre la bombe atomique et pour la
signature de l’appel de Stockholm, campagne qui contribue au succès des Assises
nationales des femmes pour le désarmement, le 11 mars 1951 à Gennevilliers, en
région parisienne. L’UFF nazairienne y emmène cinquante femmes, dormant dans
le car les samedi et dimanche soirs et, comme se souvient Marthe Gallet, « à l’époque
cela ne se faisait pas comme ça ! […] pour avoir des sous on avait fait une tombola,
chaque femme faisait sa poupée et on avait réussi à affréter un car […]. Il avait
fallu des efforts immenses pour que les femmes se libèrent tout un week-end 33 ! »
« Compétences féminines » et fibre maternelle sont mobilisées mais la plupart de
ces femmes, non-salariées, dérogent aux normes sexuées en sortant de chez elles, en
allant à Paris pour une manifestation à composante politique, domaine dont elles
étaient globalement exclues avant 1945.
Nombre de 8 mars 34 sont organisés sur le thème de la paix ou de la solidarité
avec le Vietnam. Tricoter, collecter, permettent de faire vivre longtemps cette solidarité envers mères et enfants et se substituent à la forte politisation des années
d’après-guerre que l’UFF ne peut plus mettre en avant sans risquer de se couper de
ses adhérentes de base. Elle invite hommes et femmes aux Veillées pour la paix (600
revendiquées en 1966 35), mais s’adresse surtout à ces dernières, estimées responsables de la paix, car « la femme est mère de tous les enfants du monde 36 ».
Le positionnement par rapport à l’Algérie est plus complexe. L’opposition à cette
guerre ne pouvant s’appuyer sur l’opposition aux États-Unis, l’UFF exprime dans sa
presse la solidarité envers les femmes et les mères algériennes, tandis que l’activité à
la base s’organise autour du refus de l’envoi des appelés et rappelés en Algérie, avec
délégations de mères et d’épouses auprès des divers pouvoirs publics 37.
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46 n Dominique Loiseau
L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 47
Pour les militantes, les responsables, la conviction politique entraîne l’aide
matérielle tandis que le processus est inverse pour les adhérentes de base : l’aide
entraîne l’implication personnelle puis, éventuellement et minoritairement, l’action
plus directement politique. Mais toujours « la vision mythifiée et uniforme de la
femme, symbole anti-guerre, selon un continuum Allemagne, Indochine, Algérie,
est au cœur des discours de l’UFF […], ces pratiques apparaissent décisives dans le
processus d’engagement 38 ».
Soutien aux grèves
Parcourues au cours des actions sur la vie quotidienne, les rues habituelles prennent
une dimension autre, deviennent un espace militant où se transmettent informations, contacts, presse, transgression modeste mais qui doit être évaluée à l’aune du
contexte des « ménagères » des décennies 1940 et 1950, isolées chez elles.
Leur situation familiale (elles sont souvent épouses d’ouvriers, de syndicalistes)
et l’affirmation par l’UFF de son appartenance au mouvement ouvrier incitent les
adhérentes à occuper également la rue pour soutenir les grèves. Dès sa création,
l’UFF associe déclarations publiques, délégations, rassemblements, organise seule
ou unitairement des repas pour les grévistes et leurs familles, l’accueil d’enfants
d’autres régions lors de grèves longues, comme celles des mineurs du nord de la
France en 1948 et 1963.
Le principe du soutien est tôt acquis mais l’exprimer publiquement reste difficile
pour certaines, qui y parviennent grâce à l’association. Encore est-ce en général
plus facile pour elles que pour celles de la mouvance catholique-sociale qui, malgré
leur investissement militant, demeurent souvent, jusqu’à la fin des années 1960,
imprégnées du rôle discret et effacé qui est culturellement le leur 39. Les femmes des
mouvances communiste et catholique-sociale se retrouvent toutefois côte à côte en
1967, participant à trois reprises aux manifestations de femmes (3 000 à 4 000 à
chaque fois) en soutien à la plus longue grève de la métallurgie nazairienne 40. Elles
défilent sous leurs banderoles, avec chansons et slogans, et les grévistes leur font
une haie d’honneur, les reconnaissant et les accueillant ainsi comme membres du
mouvement ouvrier. L’émotion est à son comble chez les hommes comme chez les
femmes, dont une partie manifeste pour la première fois.
Cette journée particulière s’oppose au fréquent déficit de reconnaissance du rôle
joué par l’UFF et les autres structures regroupant les femmes dans les quartiers,
les syndicats omettant parfois de les citer au profit de la valorisation des « femmes
d’ouvriers », ainsi spoliées de leur appartenance associative, et confinant leurs organisations à une invisibilité rappelant celle du travail domestique. Plus ou moins
conscientisée, formulée plus ou moins clairement, la volonté de maintenir les
femmes à la place qui leur est socialement assignée est alors sous-jacente.
38. F. Prigent, « Les femmes dans les milieux de gauche des Côtes-du-Nord... », art. cité.
39. Voir dans ce même volume l’article de Geneviève Dermenjian.
40. Sur ce moment : https://histoiresocialepdl.wordpress.com/2017/12/01/saint-nazaire-1967-4000femmes-manifestent.
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Le rapport au travail
Le travail salarié des femmes
La discordance entre le discours du PCF et des responsables UFF sur le travail facteur
de liberté, d’indépendance pour les femmes, et la réalité du vécu de la plupart des
membres de l’association oblige à un exercice d’équilibre entre théorie et pratique.
41. X. Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2007 ; F. Gallot, En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société, Paris, La
Découverte, 2015.
42. D. Loiseau, Femmes et militantismes, op. cit.
43. L’UFF aujourd’hui, n° 8, 1979.
44. Femmes françaises, n° 569, 1955 ; n° 572, 1955 ; n° 619, 1956.
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L’UFF soutient les grèves de femmes, comme celles de Rhône-Poulenc et de la
Lainière de Cambrai en 1977 et 1978, mais le soutien le plus fréquent est apporté
aux grèves masculines, plus nombreuses et/ou marquant davantage l’opinion car se
déroulant dans les bastions industriels historiques. Le temps de « l’insubordination
ouvrière 41 », mettant au premier plan les grèves des OS (immigrés, femmes) est
celui des années post-1968, où l’UFF a perdu une partie de son influence.
Le soutien aux grèves donne un sens particulier aux autres activités : il constitue
un élément de politisation par le positionnement dans la lutte des classes et signe,
comme en 1967, l’engagement dans le camp ouvrier. La prise de conscience et
l’expression publique d’une solidarité de classe (au-delà de celle d’épouse, même
si celle-ci en est le soubassement) représentent un terreau nécessaire à l’émergence
progressive de femmes sujets d’elles-mêmes. Ceci bien que leurs mobilisations pour
les revendications masculines et leurs incidences sur la famille les maintiennent, du
moins dans un premier temps, à leur place traditionnelle dans le couple. En effet,
les syndicats les apprécient comme force d’appoint mais les femmes déplorent de ne
pas être habilitées à participer aux décisions. Manifester en tant que « femme de… »
reproduit les rapports inégalitaires au sein des couples, et leur intervention dans
la « sphère publique » est en partie dévalorisée par l’interférence avec la « sphère
privée 42 ».
Cette solidarité est elle aussi une base de recrutement : au moment des luttes
pour l’emploi, l’UFF impulse les soutiens des épouses et des mères, développant
par exemple son implantation en Lorraine (« en 3 jours, 1 000 femmes sont en lien
direct avec l’UFF ») et dans le Nord (« 180 femmes ont accepté de rester en lien avec
le mouvement. L’UFF est ainsi présente et active dans de nouvelles localités 43 »). Sa
presse relate les multiples rencontres, rassemblements ou délégations organisés pour
rendre son action visible et efficace, et susciter des adhésions. Il est possible, pour en
montrer la diversité, de citer quelques-unes de ces interventions pour l’année 1955 :
« Ces vieilles mamans du Pas de Calais venues le 6 novembre à Paris, à l’Assemblée
nationale » pour demander l’augmentation de la pension des veuves de mineurs ;
le mois suivant se succèdent à Paris des délégations régionales réclamant « le retour
des soldats d’Afrique du Nord » ; à Nantes, « poussettes en avant, enfants aux bras,
600 femmes se rendaient à la Préfecture afin de soutenir les époux lockoutés » ;
à Lorient, des femmes remettent une motion aux patrons lors de la commission
paritaire de la métallurgie 44.
Toutes ces actions de solidarité soudent les femmes entre elles, en tant que
femmes et femmes d’ouvriers, et favorisent le développement de l’association.
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48 n Dominique Loiseau
Le 11 avril 1945, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, affirme devant
25 000 Parisiennes qu’« il n’est pas de libération véritable de la femme sans indépendance économique obtenue par son travail dans la production 45 ». Le premier
congrès de l’UFF demande que la reconnaissance du droit des femmes au travail
s’accompagne des conditions favorables afin de pouvoir l’exercer en « jouissant des
mêmes garanties que le travail masculin, suivant la formule “à travail égal salaire
égal”, car le travail est la garantie de leur indépendance et de la dignité de femme et
de mère ». L’Union demande donc la création massive de crèches, garderies, centres
d’allaitement.
Toutefois, l’UFF lie travail des femmes et nécessité financière quand elle s’adresse
aux ménagères, à l’instar de Claudine Chomat, secrétaire générale de 1945 à 1957,
parlant des « mères contraintes au travail par l’économie 46 ». Au risque de semer la
confusion, l’inadéquation entre la base sociale de l’UFF et son analyse théorique
l’amène à adapter revendications et discours au public visé. Alors que la majorité de
ses militantes travaille, la valorisation de la place des femmes au sein de la famille
accentue le déséquilibre, l’écart, entre militantes et adhérentes. Certains des articles
de sa presse se prononcent nettement en faveur du travail salarié des femmes, mais
une enquête menée en 1958 par Heures claires montre que l’intérêt autre qu’économique du travail est loin de constituer un acquis pour les lectrices. C’est d’ailleurs
le cas de nombreuses femmes en France dont le taux d’activité durant la décennie
1950 est le plus faible depuis le début du XXe siècle. L’article mettant un terme à
une série d’échanges consacrés à ce thème adopte une position évoquant davantage
la nécessité financière que le droit à un travail émancipateur : « Il ne s’agit pas pour
Heures claires de dire il faut travailler ou il ne faut pas travailler […] ce qui nous
apparaît c’est que les femmes actuellement n’ont pas le choix 47. »
Durant la décennie 1970, les positions s’infléchissent, reflétant à la fois l’accroissement du taux d’activité des femmes et les problèmes de l’emploi : le XIIe congrès
(1974), tout en conservant l’optique du choix, indique que « le droit au travail est
inscrit dans la Constitution, il doit être effectif pour les hommes comme pour les
femmes ». Cela n’empêche pas, qu’en interne, la réticence demeure, les conditions
de travail et de vie quotidienne, la faible remise en cause des rôles sexués fragilisant
pour les adhérentes le principe du droit au travail des femmes. Heures claires s’en fait
encore l’écho en 1978 : « la mère doit-elle continuer à travailler ? C’est un terrible
dilemme 48 ».
Malgré les résistances, au sein de l’UFF comme dans une partie importante de la
société (Christian Beullac, ministre du Travail, déclare en 1976 : « si la femme mère
de famille peut rester à la maison, c’est une bonne chose 49 »), l’image de la ménagère
commence à s’estomper devant la réalité, et les arguments en faveur du travail salarié
des femmes à évoquer « l’aspiration à une indépendance économique au sein de la
famille, l’accomplissement de la personnalité 50 ».
45.
1977.
46.
47.
48.
49.
50.
C. Molina, « Les femmes à la Libération », mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paris 7,
Cahiers de l’UFF, n° 22 (1947), cité par R. Rousseau, Les femmes rouges, op. cit., p. 86.
Heures claires, n° 52, 1958.
Heures claires, n° 155, 1978.
Cité par M. Maruani, Mais qui a peur du travail des femmes ?, Paris, Syros, 1985, p. 97.
Heures claires, n° 167,1979.
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Le Mouvement social, octobre-décembre 2018 © La Découverte
L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 49
50 n Dominique Loiseau
L’accent est alors mis sur la revendication d’une formation professionnelle et
de structures de garde, indispensables pour améliorer les conditions de travail des
salariées et développer l’emploi féminin. Certains comités ont d’ailleurs déjà orienté
leur action en ce sens : au début des années 1970, l’UFF crée à Martigues (Bouchesdu-Rhône) une halte d’enfants, puis en gère deux autres fondées par la commune 51.
L’UFF résout ainsi, lentement, les contradictions internes induites par les réticences
des adhérentes, qu’il importe de ménager sous peine de voir diminuer les effectifs.
L’arrivée d’une nouvelle génération militante œuvre également en ce sens.
Droits des femmes
51. Heures claires, n° 103, 1973.
52. J. Derogy, Des enfants malgré nous, Paris, Éditions de Minuit, 1956.
53. R. H. Guerrand et F. Ronsin, Le sexe apprivoisé. Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des
naissances, Paris, La Découverte, 1990, p. 143-144.
54. S. Chaperon, Les années Beauvoir..., op. cit., p. 124.
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Le corps des femmes
Le premier accouchement « sans douleur » en France est pratiqué en 1952, et la
propagande intensive de l’UFF en sa faveur commence en 1955, quand le docteur
Lamaze, revenant d’URSS, le diffuse. Non sans opposition d’une partie des adhérentes, car briser les pratiques et les tabous face à la fatalité de la souffrance féminine
bouleverse réflexions et comportements.
Cette campagne est aussi un moyen pour le PCF d’évacuer la question du
contrôle des naissances, alors que se crée l’association Maternité heureuse (qui
devient quatre ans plus tard le Mouvement français pour le planning familial). En
effet, si le PCF dépose une proposition de loi sur l’autorisation et le remboursement
de l’avortement thérapeutique, il se dresse contre le livre de Jacques Derogy sur
l’avortement et le contrôle des naissances 52, jusqu’à exclure son auteur de ses rangs.
Malgré des oppositions internes, le XIVe congrès communiste de 1956 adopte sans
aucun amendement la condamnation du « néo-malthusianisme […] arme aux
mains de la bourgeoisie 53 ». La promotion de l’accouchement dit sans douleur
apparaît comme « un substitut très commode à la campagne pour la libéralisation
de la contraception, que refuse la direction communiste 54 ».
La contraception devient une question sociale centrale quand le Planning
familial, au début de la décennie 1960, s’oppose frontalement à son interdiction.
Longtemps étouffé malgré les attentes des femmes et des couples, le débat au sein de
l’UFF surgit lors de son congrès de 1965, et aboutit à une motion pour abroger les
lois de 1920 interdisant la propagande en faveur de la contraception et de l’avortement. Il lui était d’ailleurs difficile de ne pas prendre position alors que cette même
année le candidat François Mitterrand s’engage en faveur de la contraception, le
PCF procédant de son côté à un retournement spectaculaire, cessant d’amalgamer
contraception et malthusianisme.
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Relégués au second plan lors de la guerre froide, ils reprennent force après 1953,
lorsque la fin des hostilités en Corée et la mort de Staline amènent une détente dans
les relations internationales. Une commission « Droits des femmes » est alors créée.
L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 51
Le féminisme
L’UFF conserve son axe central : revendiquer l’égalité femmes-hommes dans la
famille et la société, en dénonçant les responsabilités des pouvoirs publics, et en
modifiant les lois. Elle élabore dans la décennie 1950 une résolution sur l’égalité
des époux dans le mariage, demande l’attribution d’un livret de famille aux mères
célibataires, organise une conférence des femmes seules. En 1968, elle rédige un
projet de loi sur le partage de l’autorité parentale. Elle reste proche de la conception
de la complémentarité, affirmant la même année lors de son congrès :
L’égalité des responsabilités au sein du ménage ne signifie évidemment pas que le
mari et la femme jouent des rôles identiques. Il s’agit plutôt d’un travail d’équipe,
d’un partage des tâches suivant les qualifications et les possibilités de chacun.
Certaines militantes souhaitent dépasser le cadre contraignant d’une maternité sociale 59, enfermant les femmes dans leur supposée nature, comme celles de
55.
56.
57.
58.
59.
« Femmes debout », brochure UFF, 1985.
Le Nouvel Observateur, 5 avril 1971.
Heures claires, n° 123, 1975.
S. Chaperon, Les années Beauvoir..., op. cit., p. 368.
G. Dermenjian et D. Loiseau, « La maternité sociale... », art. cité.
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Pour autant, les positions de l’UFF restent très modérées : Yvonne Dumont,
secrétaire générale, précise en 1966 que l’organisation « n’inscrit pas le Planning
familial à son programme ». Des adhérentes peuvent le fréquenter, mais « l’UFF
n’est nullement habilitée pour prendre des responsabilités qui relèvent […] de la
détermination individuelle de chacune et de la compétence médicale ».
A posteriori, l’UFF reconnaîtra l’ambiguïté de sa position 55. Des militantes
auraient peut-être souhaité s’engager davantage, mais s’y sont refusé, par volonté
d’appliquer la ligne communiste et crainte d’un rejet des adhérentes. Ces préoccupations sont parfois difficiles à concilier après le retournement du PCF. Comme toutes
les organisations, elle est amenée à se déterminer sur l’avortement à la suite de la
publication en 1971 par Le Nouvel Observateur de l’appel des 343 femmes déclarant
avoir avorté 56. Après une « discussion passionnée » lors de son congrès en mai de la
même année, l’UFF s’oppose au maintien des lois répressives, mais se situe dans la
perspective d’« avoir un enfant lorsqu’il est possible et souhaitable de l’accueillir »
plutôt que dans celle de choisir ou non d’avoir un enfant. Toutefois, une fois la loi
Veil votée en janvier 1975, elle demande, seule ou unitairement, l’ouverture des
centres de contraception prévus, et mentionne que l’hôpital de Montauban a ouvert
un tel centre, « aboutissement d’une action UFF 57 ». Changement de conviction ou
politique de récupération pour être davantage à l’unisson de l’évolution des mentalités et des aspirations des femmes ? Autant elle fait rupture sur l’accouchement,
autant elle est en retrait et suiviste sur la contraception et l’interruption volontaire de
grossesse, bien que celle-ci provoque moins de remous dans l’organisation nationale
du fait de l’existence de ces pratiques en Union soviétique et dans les démocraties
populaires européennes 58. À Saint-Nazaire, ces remous existent cependant bien à la
base, même si l’UFF prend soin de préciser que la vraie solution est de permettre aux
femmes d’associer maternité et rôle dans la société.
52 n Dominique Loiseau
60. Heures claires, n° 102, 1973.
61. Heures claires, avril 1976, octobre 1977, octobre 1978.
62. M.-G. Buffet, Colloque « Femmes et communistes, histoire mouvementée, histoire en mouvement », Paris, Association de recherche Femmes et communistes, jalons pour une histoire, 2001, p. 13.
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La filiation Résistance-Libération et la pratique d’une maternité sociale visant
à rassembler largement ont bénéficié à l’UFF de l’après-guerre, mais ces ancrages,
ainsi que l’alignement sur le PCF, l’ont aussi empêchée de saisir les bouleversements
des années 68 et post-68. Les membres de l’association se sont heurtés, outre aux
normes de genre, au primat donné par le courant communiste à la lutte des classes,
subordonnant l’égalité entre les sexes à la victoire politique sur le capitalisme.
La référence à la famille est demeurée l’axe essentiel, mais agir a ouvert l’horizon des adhérentes, transformé l’épouse accompagnatrice du militantisme de son
conjoint en une femme ayant son activité propre. Même limitée au quartier, l’action
leur a permis de sortir de chez elles, de transgresser (plus ou moins) espaces et rôles
sexués, individuellement et collectivement. Elles se sont construites en tant que
femmes sujets d’elles-mêmes selon le positionnement et la structuration militante
de leur milieu social, avec ses ouvertures et ses frontières à ne pas dépasser, notamment dans le rapport aux syndicats professionnels et au féminisme.
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Toulouse-Le Mirail écrivant à Heures claires : « Les femmes ne sont pas mères avant
tout, mais femmes, c’est-à-dire individus. Le dévouement des épouses et des mères
s’appelle abdication de sa condition de femme », s’attirant en réponse que l’UFF
veut « répondre aux aspirations du nombre le plus large de femmes 60 ».
Quelques années plus tard, sans modifier son analyse en profondeur, l’UFF s’engage cependant dans la lutte contre les discriminations sexistes, soumet au ministère de l’Éducation nationale un mémoire pour la révision des manuels scolaires,
patronne le livre Papa lit, maman coud autour duquel ses comités organisent des
rencontres. Elle se porte également partie civile dans un procès pour viol à Sisteron
en 1977, organise sur ce thème un colloque à Paris et dépose un projet de loi antisexiste en octobre 1979. Elle s’insère donc dans le grand débat féministe, même si
tous ses comités ne prennent pas en charge l’ensemble des terrains ainsi défrichés.
L’UFF est à l’unisson du courant communiste, traversé au même moment par des
luttes d’influence qui favorisent une prise en compte des revendications féministes.
Pour autant, elle hésite à se dire féministe, affirme en 1976 que « féministe,
l’UFF ne l’est pas dans le sens qu’on donne habituellement à ce mot, car elle s’est
fondée contre le nazisme et non contre les hommes ». Ce « contre les hommes »
étant de sa part un reproche récurrent. Elle considère deux ans plus tard que l’appellation est sans importance, mais une partie des militantes estime que l’UFF « n’a pas
à laisser ce terme de féministes à d’autres 61 ». L’incertitude règne jusqu’au congrès
d’octobre 1996, où le terme est repris et assumé : « Nous sommes donc passées d’un
mouvement de femmes de type familial à un mouvement féministe pour toutes. »
Le choix des deux derniers mots laisse cependant entendre qu’elles se différencient
du mouvement féministe issu de la décennie 1970. En une évolution concomitante, deux mois plus tard, « le féminisme était enfin reconnu comme constitutif de
l’émancipation humaine » lors du XXIXe congrès du PCF en 1996 62.
L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses n 53
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L’UFF a longtemps refusé de se dire féministe, et les féministes l’ont souvent
ignorée, mais l’accès au militantisme ouvert par elle aux femmes des milieux populaires n’a pas son équivalent dans ce mouvement féministe, issu d’une autre histoire.
L’UFF devient en 1998 Femmes solidaires, qui en revendique la continuité, mais le
changement d’intitulé concrétise aussi l’évolution. Ainsi, Femmes solidaires s’inscrit
davantage dans l’analyse féministe qui, malgré les critiques qui lui sont adressées, a
irrigué l’ensemble de la société.
La solidarité internationale envers les femmes est toujours affirmée, ainsi que
celle envers les luttes ouvrières, mais s’être partiellement et progressivement dégagée de la mainmise du PCF entraîne-t-il une distanciation par rapport à la figure
ouvrière ? Distance qui entrerait en correspondance avec le changement de climat
social.
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