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HG- La Traversé de Paris

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Analyse scénique - La Traversée de Paris
Pendant l’Occupation des Allemands en 1940, Marcel Martin, un chauffeur de taxi ayant perdu
son travail, survit grâce au marché noir. Il trafique avec l’épicier Jambier, qui lui confie un soir
la livraison d’un cochon. Son complice habituel s’étant fait arrêter par les Allemands, il
propose à un inconnu rencontré dans un bar, un certain Grandgil, de l’aider à transporter les
valises qui contiennent la précieuse denrée, aussi rare qu’interdite à l’époque. La scène que
j’ai sélectionnée est celle qui se déroule dans le petit bistrot sordide du pont Sully, après que
les deux hommes soient passés chez Jambier. Dans cette scène, les deux compères se cachent
dans un bar pour échapper à la police. Grandgil demande du vin chaud, non sans difficulté. Les
valises qu’ils transportent attirent l’attention des clients et inquiètent le patron, d’autant
que Grandgil paie avec un des billets de mille de Jambier. Comme les patrons et les habitués
du bouge menacent de les jeter aux flics, Grandgil laisse éclater sa colère dans une tirade
d’anthologie, mettant en avant plusieurs aspects de la vie des Français sous l’occupation
allemande. Cette scène culte prend une place prépondérante dans la film de Claude AutantLara dans ce sens qu’elle permet de comprendre l’atmosphère de la France pendant
l’Occupation : un mélange de bassesse et de veulerie entrecoupé par une terreur et une peur
permanente.
Différents aspects de la vie des Français sous l’occupation son mis en lumière par le
réalisateur, comme la pénurie des ressources, le marché noir, la répression des Allemands et
le climat de peur permanent. L’affiche avec le nombre 1943 sur un des murs du bouge nous
permet de nous situer : l’occupation allemande a déjà commencé depuis 3 ans et le régime de
Vichy a réellement mis en place un rationnement des ressources. En effet, on peut remarquer
la présence d’une affiche « Aujourd’hui, jours « sans » alcool ». C’est sous le gouvernement
Daladier pendant la drôle de guerre en 1940 que sont apparus les premiers jours sans
alcool. Seulement, leur application reste flexible, afin de ne pas démotiver les citoyens, en
témoigne le patron du bistrot qui sert à Grandgil un verre de vin chaud un jour sans
alcool. Cette pénurie des ressources transparaît également à travers l’inquiétude du patron
d’utiliser trop de gaz pour faire chauffer le vin. De fait sous l’occupation, les Français
subissaient une pénurie des ressources alimentaires, mais également des ressources
énergétiques comme le charbon. Cette pénurie des ressources oblige de nombreuses
personnes à s’engager dans le marché noir, qui alimente toutes les conversations, suscitant à
la fois insatisfaction, fantasmes et surtout dénonciations... En effet, dès lors que les patrons
de l’auberge remarquent les valises suspectes des deux individus, ils veulent tout de suite les
mettre dehors pour les « jeter aux flics ». Cela met en lumière la crainte qu’ont les Français du
marché noir et de l’occupant allemand. Un autre aspect de la vie des Français sous
l’occupation : la répression allemande et la restriction des libertés. La répression des
Allemands et leurs contrôles sur les Français transparaissent dans cette scène avec le patron
scandant à plusieurs reprises : « La lumière, la lumière ». Le réalisateur par la répétition de ce
mot nous informe sur les conditions de vie des Français qui devait à l’époque vivre avec la
lumière réglée sur une certaine puissance autorisée par la défense passive. En effet, pour
prémunir au maximum la population des bombardements, la défense passive avait à l’époque
instauré une règle pour limiter la luminosité des espaces. Les intérieurs sont clos, exiguës et
plongés dans des ténèbres partielles. La défense passive fournissait à la population des tissus
de coton bleu marine pour occulter la lumière. Cette précaution permettait certes de garantir
la sécurité des Français, mais permettait aussi à l’occupant allemand d’emprisonner les
Français dans leurs habitudes et leur peur. Cet autre aspect de la vie des Français sous
l’occupation allemande est habilement mis en lumière par le réalisateur dans cette scène, qui
témoigne bien de cette ambiance de peur permanente dans laquelle baignaient les Français à
l’époque. Plusieurs éléments dans cette scène illustrent cet aspect de la vie des Français : les
patrons qui tolèrent les habitués, mais qui considèrent l’inconnu (ici Grandgil et
Martin) comme une menace directe. Ou encore, lorsque Grandgil découvre que le patron
emploie une bonne Juive (marquée de l’étoile jaune de David dont le port est imposé par les
Allemands dans la zone occupée à partir de mai-juin 1942) dans un établissement public et
que ce dernier passe de la caricature du patron de bistrot à une simple marionnette répondant
automatiquement aux injections de Grandgil. En plus de montrer la peur des Français de se
faire emprisonné par les Allemands, le réalisateur met en évidence les difficultés que subissent
les Français juifs à vivre sous l’occupation. De fait, ils sont interdits de travailler dans des
espaces publics, se retrouvent au service d’autres Français et risquent à tout moment de se
faire dénoncer. Ils sont discriminés et différenciés des autres Français par le port de l’étoile de
David. Le principal aspect de la vie des Français sous l’occupation mis en évidence par le
réalisateur est donc bien cette ambiance de peur et d’inaction : elle est d’autant plus mise en
lumière dans le discours carabiné de Grandgil, qui nous montre que cette peur n’est pas
seulement dirigée contre l’occupant allemand, mais plutôt contre tous. Le « salauds de
pauvres ! », phrase emblématique et iconique, est évidemment ambigu et possède un double
sens. Les Français craignent l’occupant, mais le danger ici, n’est pas plus l’occupant que le sont
les Français : celui qui épie vilement, qui complote dans l’ombre et qui dénonce son
voisin. Celui qui, avide de profit, se joue de la situation fragile du pays sous l’occupation pour
obtenir des biens et des ressources. Le salaud dont parle Grandgil, c’est celui qui meurs de
faim, qui anathématise l’occupant allemand, mais qui dans l’ombre va dénoncer le marché
noir. Un salaud qui voudrait bien voler Martin et Grandgil leur cochon, denrée rare sous
l’occupation, et qui irait jusqu’à les dénoncer aux policiers pour le dérober. À travers ce
discours, le réalisateur met en évidence la bassesse et la veulerie de certains aspects de la vie
des Français sous l’occupation, il mène ici une réelle analyse psychologique des Français et
nous offre de manière réaliste son point de vue de la France sous l’occupation : un point de
vue cynique pondéré par un angle humoristique qui nous montre que le danger sous
l’occupation, ce sont les Allemands, c’est Vichy, mais c'est aussi tout le monde : chacun veut
sauver sa peau, même si cela doit coûter celle des autres.
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