LES MEILLEURES COPIES ADMISSIONS AU COLLÈGE UNIVERSITAIRE SESSION 2017 Le saviez-vous ? Afin de renforcer la diversité de ses étudiants, Sciences Po a créé différentes voies d’accès au Collège universitaire. Toutes ces procédures d’admission sont sélectives. • Une procédure par examen pour les candidats qui préparent le baccalauréat de l’enseignement général ou technologique français, ainsi que pour les candidats qui préparent à l’étranger un diplôme d’études secondaires dont l’équivalence a été reconnue. • Une procédure internationale pour les candidats qui préparent un baccalauréat français à l’étranger ou un diplôme étranger. • Une procédure Conventions éducation prioritaire qui s’adresse aux élèves scolarisés dans l’un des lycées partenaires de Sciences Po. • Sciences Po offre également plusieurs programmes de doubles diplômes avec des universités à l’international et en France. La procédure par examen comporte deux étapes : l’admissibilité et l’entretien d’admission. Après un examen approfondi des dossiers, un jury établit souverainement la liste des candidats exemptés d’épreuves écrites et déclare ces derniers directement admissibles. Pour les autres candidats, la phase d’admissibilité se poursuit par trois épreuves écrites. • L’histoire, l’une des cinq disciplines qui constituent le socle de la formation fondamentale délivrée à Sciences Po (coef. 2). • L’épreuve à option: littérature et philosophie, mathématiques ou sciences économiques et sociales (coef. 2). • L’épreuve de langue étrangère (coef. 1). Les candidats déclarés admissibles sont ensuite invités en entretien d’admission. D’une durée de vingt minutes, il permet d’évaluer la motivation du candidat, son ouverture d’esprit, son goût pour l’innovation, sa curiosité intellectuelle, sa capacité à mobiliser et à mettre en relation des connaissances pertinentes, sa disposition à être en prise avec les enjeux contemporains, son esprit critique et sa capacité à développer une réflexion personnelle. Seule l’orthographe a été corrigée. Les copies peuvent comporter certaines erreurs factuelles ou d’analyse, qui ont été signalées aux candidats lors de la correction. Épreuve de littérature et philosophie Commentaire de texte Flaubert, L’Éducation sentimentale, III, 1 (1869) Frédéric Moreau est monté à Paris en 1840 dans l’espoir de faire fortune et de retrouver une femme aperçue quelque temps auparavant. Entre amours incertaines et ambitions avortées, il participe passivement aux mouvements de l’histoire. Le 24 février 1848, il se trouve aux Tuileries avec son ami Hussonnet. Ils sont témoins tous les deux des émeutes qui ont lieu dans la résidence royale, et qui vont mettre fin à la Monarchie de Juillet. « Tout à coup la Marseillaise retentit. Hussonnet et Frédéric se penchèrent sur la rampe. C’était le peuple. Il se précipita dans l’escalier, en secouant à flots vertigineux des têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des baïonnettes et des épaules, si impétueusement, que des gens disparaissaient dans cette masse grouillante qui montait toujours, comme un fleuve refoulé par une marée d’équinoxe, avec un long mugissement, sous une impulsion irrésistible. En haut, elle se répandit, et le chant tomba. On n’entendait plus que les piétinements de tous les souliers, avec le clapotement des voix. La foule inoffensive se contentait de regarder. Mais, de temps à autre, un coude trop à l’étroit enfonçait une vitre ; ou bien un vase, une statuette déroulait d’une console, par terre. Les boiseries pressées craquaient. Tous les visages étaient rouges ; la sueur en coulait à larges gouttes ; Hussonnet fit cette remarque : — Les héros ne sentent pas bon ! — Ah ! vous êtes agaçant, reprit Frédéric. Et poussés malgré eux, ils entrèrent dans un appartement où s’étendait au plafond, un dais de velours rouge. Sur le trône, en dessous, était assis un prolétaire à barbe noire, la chemise entr’ouverte, l’air hilare et stupide comme un magot1. D’autres gravissaient l’estrade pour s’asseoir à sa place. — Quel mythe ! dit Hussonnet. Voilà le peuple souverain ! Le fauteuil fut enlevé à bout de bras, et traversa toute la salle en se balançant. — Saprelotte ! comme il chaloupe ! Le vaisseau de l’État est ballotté sur une mer orageuse ! Cancanet-il ! cancane-t-il !2 On l’avait approché d’une fenêtre, et, au milieu des sifflets, on le lança. — Pauvre vieux ! dit Hussonnet en le voyant tomber dans le jardin, où il fut repris vivement pour être promené ensuite jusqu’à la Bastille, et brûlé. Flaubert, L’Éducation sentimentale, III, 1 (1869) 1- Singe du genre macaque. 2- Danser le cancan, danse très enlevée, en vogue au XIXe siècle dans les bals publics, pratiquée encore dans certains cabarets. I Gustave Flaubert est l’un des représentants majeurs du mouvement réaliste, qui se développe en France à partir de 1830 en réaction à l’idéalisme et au lyrisme romantique. L’Éducation sentimentale, datant de 1869, est considérée comme un roman d’apprentissage réaliste. Le personnage principal, Frédéric Moreau, est, dans ce passage, en compagnie de son ami Hussonnet, et ils sont témoins de la révolution de 1848. En pleine année du printemps des peuples, celle-ci mettra fin définitivement à la monarchie en France. Ainsi, cet extrait décrit la prise des Tuileries par la révolte populaire. Il s’agira de montrer en quoi Frédéric Moreau et Hussonnet sont témoins d’une scène de prise de pouvoir populaire décrite de façon réaliste, mais transfigurée par Flaubert, afin de montrer le naufrage de la monarchie française. Si la scène est décrite de façon réaliste à travers les impressions des deux personnages amusés et enthousiastes, Flaubert la transfigure, afin de montrer le naufrage de la monarchie par l’énergie d’une marée humaine. Frédéric Moreau et Hussonnet sont des témoins passifs de la prise des Tuileries de 1848. Ils portent un regard à la fois enthousiaste, mais aussi ironique sur les événements. La scène romanesque est décrite de façon réaliste. Le narrateur est externe dans cet extrait, mais il suit les deux protagonistes. En effet, la scène est décrite en fonction de la place qu’occupent Frédéric et Hussonnet : en haut de l’escalier (« sur la rampe ») ; puis dans un appartement où ils sont « poussés malgré eux ». Ce dernier complément circonstanciel de moyen rappelle leur passivité face aux événements. Les deux personnages se montrent à la fois amusés et enthousiastes face à ce qui se passe autour d’eux. En effet, leurs impressions sont rapportées au discours direct. Ironiquement, Hussonnet qualifie les insurgés de « héros », en registre héroï-comique, qui « ne sentent pas bon ». Cependant, l’enthousiasme et l’emphase de Hussonnet sont montrés avec de nombreuses phrases exclamatives : « quel mythe ! », « Saprelotte ! ». Cette dernière interjection est dans un registre de langue plus bas que le reste du texte, ce qui est réaliste pour un petit-bourgeois. Le portrait des insurgés fait par Flaubert correspond à celui d’antihéros réalistes. En effet, ceux-ci « ne sentent pas bon », comme nous l’avons vu. En outre, Flaubert les animalise en singes : « barbe noire » ; « comme un magot » ; et les dépeint « rouges » et dégoulinants de « sueur ». Vêtus de « bonnets rouges », « la chemise entr’ouverte » et portant II la baïonnette, ils ont « l’air hilare et stupide ». Ils sont la caricature du prolétaire. C’est donc une description réaliste que fait Flaubert des héros révolutionnaires, des personnages que l’on pourrait qualifier, pour reprendre sa formule, de « grotesques tristes ». La description de la scène romanesque est réalisée d’un rythme enlevé, énergique. Une phrase courte inaugure la description, commençant par « tout à coup », qui rappelle le coup de théâtre, une péripétie, une action de premier plan annoncée par la valeur du passé simple « retentit ». La provenance de l’allusion sonore à la Marseillaise est résolue par une deuxième phrase courte : « c’était le peuple ». Dans le premier paragraphe, l’adverbe « impétueusement » et le substantif « impulsion » renvoient à l’énergie déployée par l’insurrection populaire. L’accumulation « des têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des baïonnettes et des épaules » montre le désordre, la dimension hétéroclite de l’ensemble de la « masse grouillante ». Cette scène est donc décrite à travers la progression des deux protagonistes le long de l’insurrection, à laquelle ils assistent passivement. Flaubert propose une description réaliste, même peu flatteuse des insurgés, et le rythme énergique de la description traduit le désordre et l’énergie déployés par les révolutionnaires. Bien que la description puisse être qualifiée de réaliste, Flaubert transfigure le réel de cette insurrection populaire pour montrer le naufrage de la monarchie française, comme une épopée populaire et anarchique. Flaubert file la métaphore des flots pour décrire le peuple qui, dans une destruction anarchique, telle une tempête, engloutit le trône royal symbole de la monarchie. Tout le long de l’extrait, dans les passages descriptifs et dialogiques, Flaubert file la métaphore in praesentia des flots pour qualifier les insurgés. Le peuple, « anonymé » par les pronoms personnels « il », secoue « à flots vertigineux » ses membres. Ainsi, durant tout l’extrait est présent le champ lexical marin, bien qu’on trouve une occurrence du mot « fleuve » ; le peuple est impétueux, c’est une marée d’équinoxe, puissante qui mugit. Les insurgés sont une masse, une marée qui progresse tout le long de l’extrait jusqu’à l’aboutissement : l’engloutissement du trône royal. Flaubert en fait une épopée dont témoignent les hyperboles : « flots vertigineux » et « fleuve refoulé ». Cette marée impétueuse est responsable d’une anarchie. En effet, son poids presse « les boiseries [qui] craquent ». Les objets, comme personnifiés, ne sont pas décrits au passif, mais à l’actif : « une statuette déroulait d’une console » ; le fauteuil « traversa toute la salle en se balançant ». On trouve trois occurrences du mot « rouge » dans l’extrait : le bonnet des prolétaires, qui renvoie au bonnet phrygien de 1789, mais aussi au drapeau rouge communiste brandi durant cette révolution, et refusé par Lamartine ; mais également le rouge du visage, qui renvoie à la chaleur ; et le rouge royal. Cependant, on peut se demander si cette couleur rouge ne renvoie pas également à une violence anarchique et au sang versé durant la révolution de 1848. L’anarchie à venir est signifiée par le fait que les insurgés veulent « s’asseoir à [la] place » du prolétaire animalisé par Flaubert, sur le trône, ce qui signifie qu’ils veulent prendre le contrôle de la marée humaine. Le « tout » collectif de la marée humaine détrône la monarchie, en engloutissant le trône royal dans ses flots, puis en le brûlant. Telle une tempête orageuse, la marée humaine métaphorisée par Flaubert engloutit la monarchie. Le fauteuil traverse « toute la salle en se balançant ». Hussonnet commente le parcours du trône en filant la métaphore de la tempête – « le vaisseau de l’État est ballotté sur une mer orageuse ! » –, et en utilisant les verbes « chalouper » et « cancaner », qui renvoient à un mouvement de ballottement. L’emphase de Hussonnet renvoie à la tension dramatique de l’instant. Enfin, le trône est défenestré puis brûlé, comme si le peuple liguait tous les éléments contre ce symbole de la monarchie : l’eau par leur marée humaine, l’air dans la chute du fauteuil, et enfin le feu, aboutissement de la révolte qui a lieu à la Bastille. Ainsi, Flaubert transfigure le réalisme de la description de l’insurrection pour en faire une marée populaire engloutissant la monarchie. Cet extrait de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert propose donc une description réaliste de l’insurrection du palais des Tuileries le 24 février 1848, tout en transfigurant le réel pour métamorphoser le dernier naufrage de la monarchie française, après les soulèvements de 1789 et 1830. Afin de poursuivre cette étude, il serait intéressant de s’attarder à la description de l’insurrection populaire de la Commune et de ses barricades réalisée par Victor Hugo dans Les Misérables. n III Épreuve d’histoire : sujet 1 Composition Une nouvelle République (1958-1962) Le 22 mai 1958, le dessinateur Jean Effel publie dans la presse une caricature intitulée « L’assumoir ». On y voit le général de Gaulle face à Marianne, représentant la IVe République. Au fond, trois tableaux de Marianne, symbolisant les Ire, IIe et IIIe Républiques, sont accrochés sur un mur. Dans ses bras, Marianne tient trois portraits représentant les hommes qui ont mis fin à ces Républiques : Napoléon Ier, Napoléon III et le maréchal Pétain. Le général de Gaulle dit : « Je suis prêt à assumer… » et Marianne lui répond « Merci général… maman, grandmère et mon aïeule se sont déjà fait assumer ». Après avoir démissionné en janvier 1946 du gouvernement par désaccord avec les projets constitutionnels pour la IVe République, ce sont les difficultés liées aux caractéristiques même que de Gaulle décriait qui entraînent son retour à la tête de la France. Il se dit, le 15 mai 1958, prêt à assumer les pouvoirs de la République, et obtient peu après les pleins pouvoirs, afin de rédiger une nouvelle Constitution. Dans quelles mesures, face aux difficultés croissantes de la IVe République, le général de Gaulle parvient-il entre 1958 et 1962, malgré les critiques, à mettre en place une nouvelle République stable et à faire entrer la France dans les puissances mondiales ? En premier lieu, de nouvelles institutions sont nécessaires après la IVe République, puis nous verrons que de Gaulle met en place un régime stable largement plébiscité par les Français, et enfin, malgré les critiques, qu’il pose les bases de la puissance française. La IVe République connaît de nombreuses difficultés du fait de sa Constitution qui accorde une place importante au pouvoir législatif. Dès 1947, le régime républicain devient très instable. Il reposait jusqu’alors sur une alliance parlementaire entre le Parti communiste français, PCF, la section française de l’Internationale ouvrière, SFIO, et le Mouvement républicain populaire, MRP. Cependant, à partir de 1947, le PCF passe dans l’opposition, du fait de la naissance de la guerre froide. Les partis gouvernementaux, SFIO et MRP, n’ont IV dès lors qu’une faible majorité parlementaire, ce qui favorise l’instabilité ministérielle. Entre 1946 et 1958, 24 gouvernements se succèdent, soit une moyenne de six mois pour chacun. Cette instabilité entraîne de nombreuses critiques, si bien que Maurice Agulhon parle de « République mal aimée ». Une caricature de presse, publiée en 1955 par Jean Effel, témoigne bien de cela : on y voit les membres du gouvernement à l’Assemblée sur des sièges éjectables. L’instabilité ministérielle entraîne une constante rupture quant à la politique adoptée pour résoudre des crises. Ce fut notamment le cas de la crise algérienne. Le conflit dure depuis 1954, c’est-àdire depuis les premiers attentats perpétrés par le Front de libération nationale, FLN, tout juste créé, et qui lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Les gouvernements hésitent : des réformes sont entreprises, mais n’aboutissent pas, et, finalement, la répression est enclenchée. En février 1958, une nouvelle crise se déclenche quand un petit village tunisien est bombardé par l’armée française. Le gouvernement, qui dit avoir cru qu’il abritait des combattants du FLN, est finalement renversé en avril 1958. Le Président de la République hésite et ne parvient pas à désigner un président du Conseil qui conviendra au Parlement. Il nomme finalement, le 13 mai 1958, Pierre Pflimlin président du Conseil. Cette décision déclenche de graves troubles chez les partisans de l’Algérie française, car Pierre Pflimlin est réputé être ouvert aux négociations avec le FLN et à l’indépendance du pays. D’importantes manifestations des colons européens ont lieu en Algérie. Ceux-ci mettent en place un comité de salut public sous l’égide du général Massu. Ils menacent de faire sécession et réclament le retour au pouvoir de De Gaulle, seul homme à même de préserver l’Algérie française. Le 15 mai, le général de Gaulle se dit prêt à assumer les pouvoirs de la République. Peu après, le Président de la République, René Coty, l’appelle : il est investi par l’Assemblée les 1er et 3 juin 1958. Les pleins pouvoirs lui sont accordés et, après avoir formé un gouvernement, il entreprend de rédiger une nouvelle Constitution. La mise en place de la Ve République annonce un régime dans lequel le pouvoir exécutif domine. C’est tout d’abord la rédaction de la Constitution qui annonce le renforcement de l’exécutif. Celleci est en effet rédigée par le gouvernement, et surtout par Michel Debré, Premier ministre. Cela entre en opposition avec la tradition républicaine qui veut qu’une Assemblée constituante soit mise en place pour la rédaction de la Constitution. Le pouvoir exécutif est tout d’abord détenu par le Président de la République. Il est élu pour sept ans par un collège électoral. Il nomme le Premier ministre, deuxième homme du pouvoir exécutif, et, par l’intermédiaire de celui-ci, le gouvernement. Le Président promulgue les lois et, même si c’est le gouvernement qui conduit la politique du pays, le Président est souvent à l’initiative des lois. Il peut également dissoudre l’Assemblée ou la contourner grâce à des ordonnances ou des référendums, liens directs avec la population. Le pouvoir législatif, quant à lui, est divisé en deux : il se partage entre Sénat et Assemblée nationale, qui votent tous deux les lois. Cette division affaiblit considérablement le pouvoir législatif. Le régime reste parlementaire : le gouvernement est toujours responsable devant le Parlement, qui peut le renverser par motion de censure. Cette action est cependant difficile, car le vote doit se faire à la majorité absolue. De plus, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution permet au gouvernement de faire passer certaines lois sans vote du Parlement, si aucune motion de censure n’est réunie dans les 24 heures. Enfin, un contre-pouvoir est établi : le Conseil constitutionnel. Il est chargé de veiller à la constitutionnalité des lois votées par le Parlement. Sa création affaiblit encore le pouvoir législatif, car des lois déjà votées peuvent être censurées par le Conseil constitutionnel. Ainsi, pour se démarquer de la IVe République et de son instabilité, le général de Gaulle met en place une République qui voit le pouvoir exécutif triompher. Cela va permettre à la Ve République d’être un régime stable, qui sera donc mieux accepté par la population française. La Ve République est en effet un régime plébiscité par les Français. Elle se met d’abord en place dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale, qui rassemble des membres venant de la gauche, SFIO notamment, et de la droite. Le projet constitutionnel est finalement présenté aux Français à l’automne. Le 28 septembre 1958 a lieu un référendum sur la Constitution : elle est adoptée avec 80 % de votes favorables. Les Français voient en De Gaulle le seul homme politique capable de proposer un régime stable qui résoudra les crises auxquelles la IVe République a succombé. À la suite du large succès du référendum, des élections législatives sont tenues en novembre 1958. De Gaulle crée, pour l’occasion, un nouveau parti, l’UNR, Union pour la nouvelle République, qui s’allie à la droite du CNI, Centre national des indépendants. Les élections sont un triomphe pour l’UNR, qui acquiert 189 sièges et qui s’allie avec le CNI pour obtenir la majorité absolue. Les institutions de la Ve République se mettent donc en place rapidement grâce à un apparent consensus autour de De Gaulle. Les élections présidentielles ont ensuite lieu en décembre 1958 par le collège électoral mis en place. À nouveau, de Gaulle triomphe avec 78,5 % des voix. De plus, rapidement, le régime de la Ve République se renforce grâce à la politique de De Gaulle. Il pratique en effet une politique dite « présidentialiste » du pouvoir, c’est-à-dire que le Président de la République à la tête de l’exécutif acquiert, avec De Gaulle, un rôle essentiel dans l’État. Tout d’abord, il diminue le rôle du Premier ministre et des autres ministres. Il les fait surveiller par des conseillers et s’entoure lui-même de toute une équipe, afin de pouvoir court-circuiter les ministres. De plus, il se réserve certains domaines de la politique : les Affaires étrangères, l’Algérie et l’Intérieur, ministères à la tête desquels il place des hommes de confiance jusqu’en 1962. Il n’hésite pas, de même, à se débarrasser de ministres, comme il a pu le faire avec Michel Debré en 1962. De Gaulle privilégie également un lien direct avec les Français, qui lui permet de passer outre le Parlement : il rédige de nombreuses ordonnances, mais les référendums sont plus caractéristiques de cela. Mais à part celui sur la Constitution, il a eu par trois fois recours à ce mode de vote : en janvier 1961 sur la possibilité d’une indépendance algérienne, en 1962 pour approuver les accords d’Évian du 18 mars, et en octobre 1962 pour une révision constitutionnelle. L’année 1962 représente en effet un tournant dans la Ve République. Raymond Aron parle ainsi de cette année comme du « commencement absolu de la Ve République ». Il s’agit d’approuver ou non V par référendum une révision constitutionnelle qui entraînerait l’élection au suffrage universel direct du Président de la République. Celui-ci était en effet jusque-là élu par un collège électoral composé de « grands électeurs », eux-mêmes élus au suffrage universel direct. Le projet est finalement adopté par référendum avec 62 % de votes favorables. Le pouvoir du Président se voit donc renforcé, puisque celui-ci acquiert une légitimité nouvelle : il est élu par le peuple. Avec la Ve République, de Gaulle dote donc la France d’un régime stable et accepté par beaucoup. Cependant, sa pratique présidentialiste du pouvoir, même si elle permet de renforcer le régime, fait naître des critiques. La Ve République se voit critiquée dès 1958, mais sa constitution et la politique de De Gaulle permettent de poser les bases de la puissance française. En premier lieu, de Gaulle permet de mettre fin à la question coloniale. C’est le cas en Algérie grâce aux accords d’Évian. Appelé au pouvoir par les partisans de l’Algérie française, de Gaulle reste en position ambiguë. Il semble tout d’abord contre l’indépendance, comme le laisse penser son discours du 7 juin 1958, où il dit devant des colons européens « Je vous ai compris », puis « Vive l’Algérie française » ; ou les tentatives de réformes qu’il propose, comme le plan Constantine. Cependant, il semble effectuer un virement en 1959, quand il évoque pour la première fois la possibilité d’une autodétermination du futur du pays par les Algériens, qui pourront choisir entre association, francisation et sécession. Il continue ensuite dans cette lignée malgré les oppositions qui naissent, comme en témoigne le putsch des généraux, du 20 au 26 avril 1961. Finalement, en 1962, les accords d’Évian sont acceptés à 91 % en France et à 99 % en Algérie, ce qui mène à l’indépendance de l’Algérie, prônée le 5 juin. De Gaulle met également fin à la question coloniale en Afrique : il crée, en 1959, la Communauté française, qui regroupe sous domination française des territoires auxquels une certaine autonomie est censée être accordée. Beaucoup de colonies africaines y adhèrent, mais il s’avère que l’autonomie accordée n’est que très restreinte. La plupart des colonies demandent alors l’indépendance, qu’elles obtiennent sans difficulté en 1960. Si l’Algérie a coupé les relations avec la France, de nombreux liens demeurent avec les anciennes colonies d’Afrique, d’où l’expression de « Françafrique ». VI De plus, de Gaulle conforte la puissance économique de la France dans le cadre des trente glorieuses, période propice à la croissance. Il met ainsi en place, en 1958, le plan Pinay-Rueff, axé sur un assainissement de la monnaie, une dévaluation. Le nouveau franc est ainsi créé et mis en circulation en 1960. De Gaulle investit également dans l’agriculture avec des lois en 1960 et 1962 qui facilitent la modernisation de ce secteur. Enfin, la position de la France à l’international se voit assurée par la politique de De Gaulle. Il cherche d’abord à s’émanciper de la tutelle américaine en s’ouvrant à l’est : il reçoit Khrouchtchev en 1960. La France devient également une puissance nucléaire à cette même date. C’est surtout à travers l’Europe que de Gaulle entend mener la politique française. Il a une conception unioniste de celle-ci et est opposé à tout fédéralisme : il veut une entente et une coopération entre États. C’est à ce titre qu’il accentue la réconciliation franco-allemande avec son homologue, le chancelier de la RFA Konrad Adenauer. Ils signent ainsi le traité de l’Élysée en 1963, qui consolide cette alliance. Cependant, tout au long du mandat de De Gaulle, des critiques naissent au sein de la République. Ce sont d’abord des personnalités politiques opposées à un régime qui apparaît comme antirépublicain. Parmi ses opposants les plus acharnés, Pierre Mendès France ou François Mitterrand dénoncent l’arrivée au pouvoir de De Gaulle en mai 1958 comme un coup d’État, comme ce dernier le démontre en publiant Le coup d’État permanent en 1964. La révision constitutionnelle de 1962 fait également l’objet de critiques, et notamment celles du président du Sénat qui dénonce son caractère antirépublicain. De Gaulle aurait dû, selon lui, recourir à l’article 89 de la Constitution, qui stipule qu’il faut une majorité des 3/5e du Parlement pour proposer une révision constitutionnelle. Mais de Gaulle n’a pas cette majorité, donc il décide de passer en force. Le gouvernement Pompidou est alors renversé par motion de censure. Mais de Gaulle ne lâche rien, puisqu’il dissout l’Assemblée nationale, qui, ensuite réélue, lui devient favorable à nouveau. D’autres critiques viennent de ceux qui l’ont soutenu. C’est le cas des membres du MRP, très européistes, qui s’opposent à la conception unioniste de De Gaulle. Des troubles naissent également avec d’importantes manifestations des agriculteurs contre les réformes de 1960 et 1962. Enfin, ce sont également les partisans de l’Algérie française qui se sentent trahis. L’OAS, Organisation de l’armée secrète, multiplie ainsi les attentats. Ceux-ci visent particulièrement de Gaulle, comme lors de l’attentat de Pont-sur-Seine, dans l’Aube. Enfin, certains pensent que l’année 1962 ne marque pas l’apogée du pouvoir de De Gaulle, mais plutôt son déclin. En effet, le référendum de 1962 n’est accepté qu’à 62 % des voix, contre 80 % en 1958 pour la Constitution. Ainsi, entre 1958 et 1962, deux dates clés de la construction de la Ve République, de Gaulle a réussi à construire un régime stable, en opposition aux difficultés de la IVe République. Sa politique permet, en outre, à la France de s’assurer une position favorable parmi les puissances mondiales. La popularité de De Gaulle, qui était vu en 1958 comme un véritable homme providentiel, commence à s’effacer dès 1962, avec la multiplication des critiques à son égard. n VII Épreuve d’histoire (sujet 2) Composition Les régimes totalitaires dans l’entre-deux-guerres : genèse, points communs et spécificités « Tout dans l’État, rien contre l’État et rien en dehors de l’État » : voici comment Benito Mussolini définit l’Italie fasciste en 1925. De nos jours, cette définition est grandement enrichie, et l’on peut qualifier de totalitaire un régime politique autoritaire qui contrôle ou cherche à contrôler le comportement de sa population, confondant cette dernière dans un tout. Si les régimes totalitaires, à savoir le IIIe Reich, l’Italie fasciste et l’URSS, sont tous apparus dans l’entredeux-guerres, il faut attendre Hannah Arendt et son ouvrage Les Origines du totalitarisme (1951) pour voir apparaître une dénomination commune pour ces trois régimes. Il est cependant intéressant et important de se demander pourquoi nous pouvons analyser les trois expériences totalitaires dans un même ensemble, et jusqu’à quel point ce regroupement est pertinent. Ainsi, il conviendra de s’intéresser dans un premier temps à la genèse des régimes totalitaires, puis dans un second temps à leurs idéologies, et enfin à la mise en pratique de ces idéologies. La genèse des totalitarismes est autant représentative de leurs points communs que de leurs spécificités. En effet, nous pouvons en premier lieu nous interroger sur le rôle de la Première Guerre mondiale. Elle semble avant tout être un catalyseur, créant dès 1917 l’instabilité en Russie, et permettant la révolution de février. Ce régime socialiste fragile va lui aussi tomber, en novembre, laissant la place au régime qui deviendra très vite totalitaire. Par ailleurs, la guerre, dans les trois pays, provoque des conditions économiques difficiles à supporter. En Allemagne, la population est mécontente du traité au diktat de Versailles. Les Italiens sont eux aussi frustrés par ce qu’ils appellent la victoire mutilée : une partie des terres promises par les alliés ne leur revient pas. Les Russes, qui ont quitté la guerre en mars, sont amputés d’une partie de leurs terres. Ces trois pays sont perdants. Mais la guerre laisse aussi des marques chez les anciens combattants, revenus traumatisés ou exaltés : George Mosse parle de « brutalisation » des peuples. VIII Cependant, il est pertinent de noter que, si la guerre de 1917 permet presque directement l’émergence de l’URSS, c’est la révolution russe d’Octobre (selon l’ancien calendrier russe) qui permet le renforcement des fascismes. Sans ses équivoques telles que le spartakisme ou le Bienno Rosso, les milices fascistes comme les Freikorps ou les squadristi n’auraient pas eu de raison d’être. Or, ces mêmes milices sont les premières à soutenir les partis fascistes. Cependant, les modalités d’accès au pouvoir semblent être une caractéristique des spécificités des totalitarismes, dans la mesure où elles restent très différentes. En Russie, les bolcheviks (« minoritaires » du fait de leur proportion dans le Parti ouvrier socialdémocrate russe de 1898) prennent le pouvoir en faisant tomber le gouvernement menchévik (« majoritaire ») d’Alexandre Kerenski. Ils réalisent un vrai coup de force avec la prise du Palais d’Hiver de Petrograd et s’imposent par la force. En Italie, Mussolini souhaite faire croire à un coup d’État. Il lance une marche sur Rome avec ses faisceaux de combats et lance un ultimatum le 28 octobre 1922. Le président du Conseil, Luigi Facta, ne lui accordera « que » la majorité des sièges de l’Assemblée après que le roi l’y aura invité. En Allemagne, Adolf Hitler tente un putsch, le 9 novembre 1923, pour lequel il réunit 4 000 hommes (dont Erich Ludendorff, général d’infanterie) à Munich. Mais la répression est sévère (seize morts) et Hitler est emprisonné à Landsberg. Libéré en 1924, il lui faudra rétablir l’ordre dans son parti et attendre la crise de 1929 pour remporter ses premières victoires politiques : 12 députés nazis en 1928 au Reichstag sont remplacés par 107 en 1929 et 230 en 1930. Il parvient (laborieusement, en formant des alliances) à la majorité en 1933 et est nommé chancelier le 30 janvier. Si ces voies d’accès au pouvoir sont différenciées, il faut noter que la violence politique s’installe systématiquement peu après qu’elles ont lieu. Par exemple, l’incendie du Reichstag, qui permet la mise en place d’un régime autoritaire, est comparable à l’assassinat de Matteotti, opposant socialiste retrouvé mort en août 1924, qui permet à Mussolini d’annoncer sa volonté de dictature en revendiquant l’acte, puis en mettant en place les lois fascistissimes (1925-1926). En Russie, Lénine dissout l’assemblée constituante en février 1918, après avoir été mis en minorité par les élections populaires. Nous avons donc vu que les origines des totalitarismes, à travers le rôle de facteur commun que joue la Première Guerre mondiale, peuvent être rapprochées. Elles se différencient surtout par les modes d’accès au pouvoir. Il faut maintenant s’intéresser aux systèmes idéologiques des régimes totalitaires. Les idéologies des régimes totalitaires, très marquées, permettent de les diviser en deux tendances. En effet, les régimes italien et allemand ont des idéologies très similaires. Dans ces deux régimes, nommés fascismes, le rôle du chef est prépondérant. Il est autoritaire et fort, et se doit de montrer la voie : c’est le Duce italien et le Führer allemand (on notera que ces termes ont le même sens de « guide » ou « conducteur »). Les nazis, tout comme les fascistes italiens, ont un projet expansionniste. Hitler, en 1933, déclare à ses proches : « L’Est sera pour nous ce que l’Inde a été pour les Anglais. » Il s’agit du phénomène séculaire de Drang nach Osten (poussée vers l’Est), qui dirige Hitler dans ses plans de conquête. Les Italiens souhaitent rétablir leur domination antique méditerranéenne. Cela se traduit par la conquête de l’Éthiopie en 1935. L’idée et le sentiment nationaliste sont très présents dans les philosophies nazies et fascistes. Une différence est tout de même observable : la domination raciale, biologique, des nazis, qui se considèrent comme des « ubermensch » (surhommes, en référence à l’untermensh, ou soushomme), se transforme en simple domination culturelle pour les Italiens (ils ne se fondent que très peu sur les thèses racistes du darwinisme social). C’est en partie pour cette raison que Hannah Arendt désigne l’Italie fasciste comme « incomplet » : le primat de la race est très peu développé. Mais les fascismes partagent les mêmes valeurs sociales, et surtout antiparlementaristes, ce qui justifie la mise en place d’un État fort et corporatiste (qui contrôle l’économie et la production nationale dans son ensemble) selon eux. D’autre part, l’idéologie soviétique stalinienne présente une réelle spécificité par rapport aux fascismes. Elle s’inspire en grande partie de l’idéologie léniniste, une interprétation du communisme marxiste. Elle prône donc avant tout la mise en place de l’égalité entre tous les hommes. Cet aspect de l’idéologie communiste est l’un des plus importants : pour rétablir l’égalité, les bolcheviks vont anéantir les classes bourgeoises, les koulaks. L’ennemi de race devient l’ennemi de classe. De plus, le chef reste fort (Staline signifie « homme de fer »), mais est présenté comme un protecteur : le petit père des peuples, censé unifier toutes les républiques soviétiques autour de lui. Cependant, dès 1928, on peut trouver des similitudes entre communisme et fascisme. Cela correspond à l’arrivée effective au pouvoir de Staline, secrétaire général du parti dès 1922, mais qui doit d’abord évincer les opposants, Trotski, Kamenev ou encore Zinoviev. Seul au pouvoir, il tourne l’URSS vers l’autarcie économique, à l’image de ce que réalise déjà Mussolini en Italie. De plus, il met en place une planification de l’économie et un État corporatiste. Ainsi, si les idéologies des régimes totalitaires permettent d’abord leur distinction, en deux partis, des rapprochements sont décelables en approfondissant l’analyse. Il faut donc maintenant s’intéresser à la mise en pratique de ces idéologies. Les mises en place des idéologies des régimes totalitaires sont d’une part, dans certains cas, très similaires, mais peuvent d’autre part se différencier sur certains aspects, comme l’usage de la terreur. Tout d’abord, dans les trois régimes totalitaires, la population est fortement encadrée. Cet encadrement commence dès l’enfance : les régimes totalitaires s’appliquent à fonder une société nouvelle à l’image de leurs idéologies. On assiste donc à la création de différents organismes de jeunesse : les balillas en Italie et les Hitlerjugend en Allemagne, très militaristes et créés dès 1926, ou encore les jeunes pionniers russes, organisme très présent dans les écoles russes dès 1918. Selon Hannah Arendt, ces systèmes visent à uniformiser la société future : « le but de l’éducation totalitaire n’a jamais été d’inculquer des convictions, mais de détruire la faculté d’en former aucune », déclare-t-elle en 1951. La place de la propagande est, elle aussi, prépondérante dans la vie courante : elle prend la forme de films, d’affiches, de témoignages, de rassemblements… Les habitants des régimes totalitaires y sont perpétuellement confrontés, car l’industrie de la culture est contrôlée. Il faut noter que cela est surtout vrai pour le IIIe Reich et l’URSS jusqu’à la guerre. Mussolini laisse une liberté relativement grande aux médias, ce qui ne signifie pas qu’il est critiqué par ces derniers, au contraire. Enfin, la mise en place d’organismes de répression est un caractère IX commun aux trois pays. L’organisme de vigilance et de répression de l’antifascisme (OVRA) se charge de faire taire les opposants, tout comme les SA (Sturmabteilung, ou section d’assaut) dès août 1921 en Allemagne, puis la SS (Schutzstaffel, section de sécurité) dès avril 1925, mais surtout après 1934. On assiste ainsi en Allemagne, avant même l’arrivée au pouvoir d’Hitler, à des lynchages et à des actes discriminatoires organisés par le NSDAP. En Russie, dès février 1917, la Tchéka (qui devient la Guépéou en 1922) s’attaque aux koulaks comme aux socialistes menchéviks. De plus, les systèmes de terreur existent dans les trois pays, mais sont inégalement développés. En Italie, Mussolini fait surtout exiler les opposants, dans le sud du pays ou dans les îles Lipari (qu’il surnomme « bagne de feu », mais qui n’est rien comparé aux camps russes). Mussolini rencontre un vrai succès dans ses réformes économiques et sociales. Il sort l’Italie de la crise, et améliore les conditions de travail. En Allemagne, cette terreur est peu développée par rapport aux années 1939-1945 : « uniquement » 5 000 hommes sont internés dans des camps entre 1933 et 1939, et les conditions y sont moins éprouvantes que durant la guerre. Hitler s’intéresse à son image : il met en place le Volkstaat, ou socialisme de sang pur selon Himmler. Les « vrais » Allemands sont épargnés par la terreur, qui vise surtout les populations juives, comme au pogrom de la nuit de Cristal, les 9 et 10 novembre 1938. C’est en URSS que le système de terreur est le plus développé. Dès février 1918, les marins de Kronstadt qui se révoltent sont exilés en Sibérie, dans les premiers camps de travaux forcés. La volonté n’est certes pas de tuer, mais la mortalité y est forte, car on y travaille jusqu’à l’épuisement. Pour Hannah Arendt, cela traduit une faiblesse des bolcheviks, une difficulté à légitimer leurs actes dans la population. Entre 1932 et 1936, Staline provoque donc une grande famine pour étouffer l’opposition en Ukraine et au Kouban. Entre 1936 et 1938, c’est la grande terreur. Staline va jusqu’à fixer des quotas de personnes à déporter au goulag (administration des camps, créée en juillet 1934). Selon Nicolas Werth, ces terreurs répétées font, entre 1918 et 1939, vingt millions de victimes en URSS. Ainsi, si les régimes totalitaires présentent des spécificités importantes dans leurs origines, leurs idéologies ou leurs fonctionnements, des rapprochements importants sont également réalisables sur ces trois aspects. On peut également X dégager une dynamique d’influence : d’abord, le bolchevisme sur les fascismes. Ensuite, le fascisme de Mussolini inspire Hitler. Dans une dernière période, c’est Hitler qui impose ses choix à Mussolini. Il est important de noter que les différences entre les fascismes et les communismes les amènent à se vouer une haine mutuelle. À terme, cette haine débouche sur la Seconde Guerre mondiale, qui permettra au totalitarisme soviétique de s’imposer et d’éliminer les fascismes. n Épreuve de sciences économiques et sociales 1. Question d’analyse microéconomique ou macroéconomique Expliquez comment le producteur choisit le volume de sa production. Vous pouvez illustrer votre raisonnement par une représentation graphique. Lorsque le producteur mobilise les facteurs travail et capital, son objectif, s’il est rationnel, est de maximiser son profit tout en minimisant ses coûts de production ; c’est-à-dire les dépenses qu’il engage pour produire les biens et les services. Aussi, en tenant compte de ces paramètres, il peut moduler son volume de production. Il existe deux types de coûts : le coût marginal, c’est-à-dire les dépenses engagées pour produire une unité de bien supplémentaire ; et le coût moyen, à savoir le coût d’une unité en moyenne. En fonction du volume de production, ils évoluent de la façon suivante. (voir ci-contre) Coût Cm = Coût marginal CM = Coût moyen Quantité Économie d’échelle Le coût marginal est décroissant puis croissant en raison de la loi des rendements décroissants (Ricardo), car la productivité marginale diminue au fur et à mesure. Quant au coût moyen, il est décroissant, car le producteur réalise d’abord des économies d’échelle : il étale ses coûts finis sur une plus grande échelle de production. Au bout d’un moment, lorsque le coût marginal est supérieur au coût moyen, cela le fait automatiquement augmenter à son tour. Lorsqu’il a évalué ses coûts, le producteur doit les comparer à ses recettes. En situation de concurrence pure et parfaite, la recette marginale (c’est-à-dire celle de la dernière unité produite) correspond au prix de marché, et est donc fixe. Déséconomie d’échelle profit total. Ainsi, il continue à produire jusqu’à ce que le coût marginal de production égalise la recette marginale. Ici, le bénéfice réalisé est nul, mais le profit total est maximal : on parle d’optimum de production. Au-delà, une unité coûte plus que ce qu’elle rapporte. Ainsi, le producteur peut déterminer son volume de production, de sorte qu’il atteigne cet optimum. n Cm Coût CM Lorsque le coût moyen est inférieur à la recette marginale, l’entreprise dégage un profit. On parle de zone de profit positif. (voir ci-contre) Dès lors, il s’agit de maximiser ce profit : il faut donc regarder la recette marginale par rapport au coût marginal. Quand le coût marginal est inférieur à la recette marginale, chaque unité supplémentaire produite rapporte plus que ce qu’elle coûte. Le producteur voit donc son profit total augmenter : chaque unité supplémentaire fait augmenter le Rm Quantité produite Optimum de production Zone de profit positif XI 2. Conduite d’un raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire Quelles sont les difficultés de la coordination des politiques économiques dans l’Union européenne ? On peut considérer l’Union européenne comme une zone relativement dynamique représentant 28 % du PIB mondial. Le commerce intra zone y est très développé également. Les 2/3 des échanges des pays de l’Union européenne se réalisent au sein de cette union. La construction européenne est le fruit de décennies d’approfondissement des étapes d’intégration : du traité de Rome instaurant la CECA en 1951 au traité de Maastricht en 1992. L’Union européenne apparaît aujourd’hui comme un ensemble supposément cohérent de 28 pays : un marché où les capitaux circulent donc librement, ainsi que les personnes, régi par des politiques communes (selon l’analyse de Béla Balassa sur les niveaux d’intégration). Au sein de l’Union européenne, il existe également l’UEM (ou zone euro), où la monnaie est commune. Cela concerne 19 pays. Si les volontés de l’intégration européenne tendent à en faire un espace compétitif et une union solide, des difficultés apparaissent aujourd’hui comme évidentes et peuvent entraver la cohérence de l’UE. Aussi, nous pourrons nous questionner sur la difficulté des pays de l’UE à établir des politiques économiques cohérentes. Après avoir étudié les différences structurelles dans l’UE, nous nous focaliserons sur les possibles comportements de passagers clandestins. Puis nous étudierons l’articulation entre politique monétaire et budgétaire avant d’évoquer le cas des politiques non coopératives et du PSC, se révélant contraignant. Premièrement, les pays de l’Union européenne présentent des différences structurelles considérables. Étant donné l’élargissement de l’Union qui compte aujourd’hui 28 membres, les écarts se creusent, et les situations économiques des pays sont tellement diverses qu’il paraît difficile de mener une politique d’ensemble. Par exemple, le document 1* nous informe que le PIB par habitant de la Bulgarie est presque cinq fois inférieur à celui du Luxembourg. Dès lors, on peut imaginer que les objectifs à court terme (conjoncturels) de ces pays diffèrent profondément : l’un pourra vouloir relancer son activité économique et mener une XII politique budgétaire expansive, tandis que l’autre pourra vouloir mener une politique de rigueur. La France, par exemple, réalise des dépenses de santé considérables (35 % du PIB) par rapport à d’autres pays comme la Lettonie : les fonctionnements de l’action publique tendent à différer. Dès lors, la structure des dépenses publiques paraît difficile à coordonner, puisque certains pays tendent à creuser leur déficit budgétaire plus que d’autres. De plus, les deux pays ne disposant pas des mêmes recettes, leurs moyens d’action diffèrent alors. En outre, le budget faible de l’Union européenne (ne représente que 1,1 % du PIB total de l’UE) est impuissant à réduire ces écarts. Deuxièmement, les pays de l’Union européenne étant en situation d’interdépendance en raison du fait qu’ils réalisent de nombreux échanges, les politiques des uns ont un impact sur l’ensemble du dynamisme de l’Union. Cela peut favoriser les comportements dits de « passagers clandestins » : alors que certains pays tentent de stabiliser leur activité et de mener, par exemple, une politique de relance profitant à l’ensemble de la zone, d’autres profiteront de cette décision sans agir sur leur propre budget, profitant alors des externalités créées par les pays voisins qui seraient favorables à leur propre situation. La solidarité n’est donc pas une réalité dans ce cas de figure, comme nous le montre le document 4*, soulignant donc la nécessité d’une coordination pour éviter ces comportements de passagers clandestins qui déstabilisent l’union. Elles peuvent en effet créer une réticence chez certains pays à engager des politiques dont d’autres ne feraient que profiter. De plus, les politiques budgétaires semblent ne pas pouvoir se coordonner aux politiques monétaires. Pour les pays de l’Union économique et monétaire, celle-ci est menée par la Banque centrale européenne : cela concerne 19 pays. En effet, la politique budgétaire étant le fait des États, ce sont deux entités différentes qui gèrent les deux pans des politiques économiques. La politique monétaire menée par la BCE a longtemps été particulièrement rigide et restrictive : pratiquant des taux d’intérêt directeurs particulièrement élevés, elle a souvent empêché la relance dans la zone euro, notamment dans des situations de crise. Si le pacte de stabilité et de croissance instauré en 1997 par le traité d’Amsterdam est lui aussi plutôt favorable à la rigueur (la dette publique et le déficit public devant être respectivement limités à 60 % et 3 % du PIB), il n’empêche que le policy-mix impossible est un réel problème. Aujourd’hui, la BCE a tendance à pratiquer de faibles taux d’intérêt (0,2 %) en situation de quantitative easing par peur de la déflation, alors que les pays de la zone euro mènent des politiques de rigueur : l’inverse se produit, mais la coopération et la coordination sont toujours faibles. En outre, l’absence de coordination des politiques fiscales dans l’ensemble de l’Union est un frein à la solidarité entre les pays : certains sont tentés de mener des politiques dites « non coopératives » et l’absence d’harmonie fiscale les incite à pratiquer le dumping. Ce dumping peut être social, en accordant une plus grande flexibilité au marché du travail, ou purement fiscal. Ce genre de pratique nuit considérablement à la compétitivité des autres pays de l’Union. L’Irlande, par exemple, pratique un impôt sur les sociétés très faible, ce qui est favorable aux pays en recherche de compétitivité-prix. Mais cela « désincite » ces mêmes entreprises à réaliser des IDE dans les autres pays de l’Union. Enfin, le pacte de stabilité et de croissance, tentative d’harmonisation budgétaire, présente des limites. Les critères de convergences que celui-ci impose – une inflation maîtrisée (2 %), une dette inférieure à 60 % du PIB, ainsi qu’un déficit de 3 % du PIB – semblent peu favorables à la relance. En cas de crise, il contraindrait les pays à limiter leurs dépenses pour se plier aux critères, ce qui fait qu’ils mènent des politiques « procycliques » qui aggravent le cycle en situation de récession. Ce phénomène s’est produit en 2009 après la crise des subprimes. Par ailleurs, tous les pays ne semblent pas s’y plier. Ainsi, en 2014, la dette publique de la Grèce était évaluée à près de 177,1 % du PIB. Pour conclure, l’absence d’harmonie des politiques économiques peut être un frein majeur à sa compétitivité et ainsi enrayer son dynamisme. S’il apparaît urgent d’y remédier, le nombre de pays présents dans la zone, de même que leurs différences, constituent un réel obstacle à la coordination. Dès lors, l’UE apparaît comme décrédibilisée, et son unité est remise en cause. n * Consultez l’intégralité du dossier documentaire du sujet de SES en vous connectant sur : http://www.sciencespo.fr/admissions/fr/content/lepreuve-option XIII Direction des relations avec les donateurs [email protected] [email protected] IX