savant. Or, lui, ne croyant rien savoir et ne prétendant point détenir un savoir, considère que ses accusateurs le
prennent pour celui qu'il n'est pas.
-Le deuxième acte d'accusation dit : « Socrate corrompt la jeunesse, il n'honore pas les dieux de la cité et les
substitue à des divinités nouvelles. » Ici, Socrate est considéré comme un soudoyer (corrupteur) et une personne
irrespectueuse des divinités de la cité au point de préfère les remplacer par des divinités étrangères. Cette
accusation vise à ternir la réputation morale de Socrate. Pour s'en défaire, il rappelle que la précarité dans laquelle
il vivait lui privait de toutes les richesses au moyen desquelles il aurait pu corrompre quelqu'un et affirme qu'il s'était,
contrairement à ses accusateurs qui recherchaient plus les richesses et les honneurs, toujours préoccupé d'aider
les jeunes gens d'Athènes à tendre vers le perfectionnement moral et intellectuel de leur âme. Mieux, il précise,
par ailleurs, que les ennuis qu'il s'est attiré trouvent, quelque part, leurs origines dans la dévotion et le souci de
comprendre pourquoi l'oracle de Delphes avait dit à son ami Kéréphon qu'il était le plus sage des sages de la cité.
Ce qui était pour lui une façon de dire que c'est le souci d'intelligibilité du propos de l'une des divinités de la cité qui
l'avait amené se consacrer aux recherches philosophiques.
2) Socrate fixe sa peine
Dans cette partie, le tribunal passe au vote et le verdict de condamnation à mort tombe. Socrate, connaissant son
sort, est invité à fixer sa peine. Ainsi, rappelant qu'il « n'a jamais voulu d'autre occupation que de rendre à chacun
(...) le plus grand des services en essayant de lui persuadé de ne s'occuper d'aucune de ses affaires avant de
s’occuper de lui-même et de son perfectionnement moral et intellectuel (lui qui ne s'occupait point) des affaires de
la cité avant de s'occuper de la cité elle-même », Socrate soutient qu'il serait déraisonnable, de sa part, de vouloir
se faire à lui-même du tort. C'est pourquoi il estime qu'au lieu d'une peine de mort, il préfère « être nourri au
Prytanée ». Après avoir fixé sa peine, non sans bravade, il est condamné, lors d'un second vote, par la voix de la
majorité constituante de l'assemblée des juges du tribunal d'Athènes.
3) Socrate montre aux juges qui l’ont condamné le tort qu’ils se sont fait
Cette proposition de peine sera rejetée. Par conséquent, il devra mourir. Dans les dernières paroles du condamné
à ses juges il dira : « Je préfère de beaucoup mourir après avoir assuré ma défense ainsi, plutôt que vivre grâce à
ces bassesses. » (p. 63). Il profitera de cette dernière chance qu’il a de s’adresser à ses accusateurs pour les
fustiger et leur prédire un grand châtiment à venir. « Cela dit, vous qui m’avez condamné, je désire maintenant
vous faire une prédiction ; car j’en suis désormais arrivé à la période de la vie où les hommes font le plus de
prédictions, au moment où ils vont mourir. Je vous annonce donc, à vous qui m’avez condamné à mort, que vous
aurez à subir, aussitôt après ma mort, un châtiment bien plus pénible, par Zeus, que la mort que vous m’avez
infligée. Car vous avez cru qu’en agissant ainsi aujourd’hui, vous seriez dispensés de rendre des comptes sur votre
vie. Or, je vous l’annonce, c’est de loin le contraire qui va vous arriver : le nombre de ceux qui vous demanderont
des comptes ira croissant eux que je retenais jusqu’à présent, sans que vous vous en aperceviez. Ils seront d’autant
plus pénibles qu’ils seront plus jeunes, et ils irriteront davantage. Car si vous vous imaginez qu’en condamnant les
gens à mort, vous empêcherez que l’on vous reproche de vivre mal, vous saisissez mal ce qu’il en est. Cette façon
de se dispenser de rendre des comptes n’est en effet ni très efficace ni bien belle ; la plus belle et la plus facile est
celle qui consiste, non pas à s’en prendre aux autres, mais à se rendre soi-même le meilleur possible. Voilà donc
ce que, tel un oracle, je vous ai prédit, à vous qui m’avez condamné. Sur ce, je vous laisse. » (p. 63-64).
Socrate invite à vivre conformément à son modèle de vertu, c’est-à-dire obéir au dieu et éviter, en tout temps, d’agir
injustement.
Conclusion
Sans doute peut-on voir en Socrate est-il un homme rusé, pour ne pas dire retors, qui abuse les juges d’Athènes,
et en fait les instruments de son propre sacrifice. Mais ces critiques ne sont pas pertinentes si l’on comprend
l’enseignement de Socrate. La justice est la valeur suprême qui peut justifier le sacrifice de notre propre vie. Seule
la recherche de la justice constitue une vie acceptable. Aucune autre occupation ne présente un intérêt théorique
ou pratique plus pressant, plus immédiat ni plus évident. Socrate ne peut pas changer de conduite, même sous la
menace de la mort. Voilà comme un terrible avertissement : souvent, au bout de la route du juste, se dresse un
échafaud ou une coupe de ciguë, un peloton d’exécution ou une guillotine. Ainsi l’enseignement de Socrate est de
nous montrer que la loi n’est pas nécessairement la justice et que c’est le rôle du philosophe que de démontrer aux
hommes de son temps cette différence. Si on peut dire sans exagération que l’Apologie de Socrate constitue
l’œuvre inaugurale de la philosophie occidentale et qu’en lisant ce texte, les philosophes ou les apprentis
philosophes remontent à la source originelle de leur discipline, c’est qu’avec elle, commence le chemin compliqué
du rapport de la loi à la libre pensée et la réflexion sur la distance qui existe entre le légal et le légitime. En mourant
Socrate témoignait de ses convictions et de la valeur de son témoignage... Si l’on en croit Platon, il fallait que
Socrate meure pour que vive la philosophie.