Zélia Couquet | [email protected] Autismes et bienveillance architecturale | archétype de l’atypie exacerbant le pouvoir de l’architecture | Post-master Recherches en Architecture | Laboratoire GERPHAU / UMR MCC/CNRS 7218 LAVUE Xavier Bonnaud, Marc-Antoine Durand, Chris Younès | Septembre 2015 École Nationale d’Architecture de Paris La Villette | 118 /130 Avenue Jean Jaurès 75019 PARIS SOMMAIRE SOMMAIRE ................................................................................................ 1 INTRODUCTION ....................................................................................... 3 AUTISMES ET AUTISTE .......................................................................... 7 Étiologie : de l’esprit vers le cerveau ....................................................... 7 L’étendue des troubles autistiques ........................................................... 9 La dimension handicapante des troubles................................................14 Les autismes dans le rapport typique/atypique ......................................16 UNE AUTRE ATTENTION À L’ENVIRONNEMENT .......................... 21 L’extrême sensorialité ............................................................................21 Des sens au sens des choses ...................................................................24 Conséquences .........................................................................................26 L’architecture au cœur du vécu autistique .............................................28 VERS UNE BIENVEILLANCE ARCHITECTURALE ........................... 32 Autismes et architecture : du bien-être à l’inclusion ..............................32 Le principe de cohérence des espaces ....................................................36 Le principe de diversité d’ambiances .....................................................45 CONCLUSION .......................................................................................... 54 ANNEXES / BIBLIOGRAPHIE ............................................................... 59 1 2 INTRODUCTION En France, environ 600 000 personnes, enfants et adultes, sont porteuses d’autisme soit deux fois la population d’une ville comme Nantes. En prenant en compte les familles et les proches, premiers accompagnants des personnes, on peut considérer que 2 000 000 de personnes seraient directement concernés par l’autisme dans notre pays, ce qui équivaut à la population de la capitale française. La prévalence étant passée d’un enfant sur 2000 à 1 sur 150 ces dernières années1, la proportion de la population présentant des troubles autistiques augmentera de manière certaine dans les années à venir, impliquant toujours plus de familles. Malgré cette réalité non négligeable, la France a cumulé un retard de 30 ans dans la prise en charge des personnes autistes, retard qu’elle peine à rattraper. Les troubles demeurent peu connus, y compris du corps médical, la pénurie de places d’accueil est alarmante… L’implication des familles, parfois en grande souffrance, globalement en attente de réponses, a néanmoins permis de faire avancer la situation. En 2012, l’autisme a reçu le label « Grande Cause nationale »2 et, en 2013, un 3ème « Plan autisme » basé sur les MARMION Jean-François, « Rencontre avec Jacques Hochmann. Autisme : deux siècles de polémiques », Sciences Humaines, n° 206, 2009, p. 6 2 LANGLOYS Danièle, « 2012, l’autisme grande cause nationale : quel bilan provisoire ? », autisme-France.fr, 2013, 9 p. 1 3 recommandations de la HAS a vu le jour3. Ces étapes constituent un tournant pour la prise en compte de personnes autistes et marque « une volonté manifeste de la part des pouvoirs publics de prendre à bras le corps »4 un problème passé depuis trop longtemps sous silence. L’autisme apparaît désormais au cœur des préoccupations. diversité des usagers en architecture et de la responsabilité sociale qu’implique cette discipline. « Architecture, as a profession, is responsible for creating environments that accommodate the needs of all types of users »6, évoque Magda Mostafa, spécialiste de l’autisme. Grâce aux découvertes scientifiques sur l’étiologie neurodéveloppementale des troubles, les débats longtemps houleux quant à cette origine et à la manière d’intervenir auprès des personnes touchées, ont laissé place à un intérêt grandissant pour ce qui est de la qualité de leur cadre de vie et de l’importance première qu’il revêt. Cela s’inscrit d’ailleurs dans un contexte à la fois scientifique et politique plus général. D’autre part, un glissement sémantique des concepts de « handicap » et d’ « accessibilité » a conduit à une évolution majeure du cadre réglementaire en parallèle d’une autre, plus lente, des mentalités. Dans les années 60, l’accessibilité, portée par le concept de normalisation7, impliquait que les personnes handicapées se plient à l’environnement existant. Avec la définition qui en est donnée par l’OMS en 20018, le handicap est devenu une limitation dans la possibilité de participer à la vie sociale et de jouir de sa citoyenneté. Est pris en compte la capacité des individus touchés à y participer pleinement si l’environnement leur est adapté. Dès lors, les personnes « en situation de handicap » ne sont plus seulement l’objet de soins médicaux mais des citoyens à part entière. D’une part, une tendance actuelle se dégage d’interrogations autour du rapport entre espace et santé mentale, en atteste des manifestations scientifiques renommées comme le Congrès international de psychologie de l’environnement de Barcelone ou la 10th Biennal Conference on Environmental Psychology à Magdeburg ayant eu lieu en 20135. Différentes recherches ont permis d’appréhender l’influence de certaines caractéristiques architecturales sur le bien-être d’usagers dit atypiques. Ces avancées soulèvent notamment la problématique de la prise en compte de la Allant dans ce sens, l’Etat français a réaffirmé en 2005, dans la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, sa volonté d’inclure ces MOSTAFA Magda, « An architecture for autism: concepts of design intervention for the autistic user », International Journal of Architectural Research, volume 2, 2008, p. 189 7 IONESCU Serban, DELVILLE J., COLLIGNON J.L., MERCIER M., L’intervention en déficience mentale. Théorie et pratique, Lille, Presse univ. Septentrion, coll. « UL3 », 1992, p. 32 8 International classification of functioning, disability and health : ICF, Genève, World Health Organization, 2001, 299 p. 6 CARLOTTI Marie-Arlette, « Synthèse du 3ème plan autisme (2013-2017) », social-santé.gouv.fr, 2013. 4 Communiqué de presse Lancement Grande Cause, Paris, Ensemble pour l’autisme, 20 décembre 2012. 5 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 13 3 4 dernières dans l’espace social. Le texte a été modifié en 2014, soulevant l’importance de l’accessibilité comme condition première à l’inclusion de tous dans et par la société9. L’accessibilité permet ainsi de penser que tout un chacun a le droit de se déplacer sans gêne, obstacle ni souffrance dans l’espace de la société. L’origine latine du mot, ac-cedere, incarnait déjà cette dimension physique liée au fait de parvenir, d’accéder à... On peut ajouter aujourd’hui une dimension intellectuelle : avoir accès au contenu, comprendre ce dont il est question. Néanmoins, ce concept correspond à une prise en compte restreinte des situations handicapantes où les déficiences physiques et intellectuelles sont considérées comme seuls facteurs problématiques. Restrictive, elle omet que c’est « notre relation à l’environnement [de manière globale, qui] conditionne nos perceptions, nos évaluations et nos comportements, et surtout, détermine notre bien-être au quotidien. »10 thérapeutique »11. Aussi, la problématique de l’impact de l’environnement sur leur bien-être et de la perception qu’ils en ont, se pose aujourd’hui dans toute son ampleur et va de paire avec une recherche d’adaptations architecturales pour améliorer leur qualité de vie. Il apparaît alors une incompatibilité constitutive entre la problématique de l’accessibilité et celle liée à la nature des troubles autistiques. Cela révèle le chemin qu’il reste encore à parcourir pour passer d’un espace du « chez-soi » bien-traitant à un espace de « l’être ensemble » au sein de la société, bienveillant et déjà promis par le cadre légal. Ce terrain n’a pas encore été abordé dans le champ de recherche sur l’autisme bien qu’il se voit évoqué avec précaution en conclusion de plusieurs travaux. Avant même de chercher à élaborer des recommandations pratiques mais pour amorcer la réflexion, il semble nécessaire d’identifier la nature des aménagements et du positionnement conceptuel auxquels conduisent la prise en compte des troubles autistiques. En quoi ces troubles interrogent-ils le domaine de l’architecture ? Plus précisément, les enjeux qui apparaissent avec les troubles autistiques dans la conception architecturale sont-ils spécifiques à ceux-ci ? Concernant les personnes atteintes de troubles autistiques, les spécialistes considèrent justement que celles-ci « pourrait entretenir un rapport particulier à l’espace. L’environnement pourrait se présenter tantôt comme facteur aggravant, tantôt comme étayage Il est envisagé que les troubles autistiques constituent un type sans équivalent dans la terminologie du handicap. Troubles globaux, La loi n° 2014-789 du 10 juillet 2014 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées 10 MOSER G. et WEISS K., 2003, cité par : DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 13 9 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 20 11 5 variés et aux limites difficilement indentifiables, ils pourraient conduire à reconsidérer le concept de handicap et questionneraient des aspects aussi fondamentaux que multiples du fonctionnement humain. Concernant le rapport à l’environnement, il serait augmenté chez les personnes porteuses d’autisme du fait de leurs spécificités sensorielles et de leur mode d’encodage des informations. Ces personnes présenteraient donc une attention exacerbée à l’espace, plus attentives que le « normal » à certains aspects, plus réactives également aux sensations/perceptions désagréables. Finalement, est supposé que le rapport à l’environnement extrême des personnes autistes solliciterait et nécessiterait tout particulièrement les compétences des concepteurs. Il mettrait en question celui neurotypique et permettraient d’envisager nos besoins sous un angle nouveau. Avec cela, il serait possible d’ « utiliser » les connaissances sur leurs besoins en termes d’espace, comme sources d’information et pistes de réflexion pour concevoir des lieux davantage bienveillants pour tous et prenant en compte la diversité humaine. autistes à l’espace. Celui-ci met en exergue certains aspects, réception des stimuli et réactions à ceux-ci, dont l’intensité se trouve décuplée vis-à-vis d’un rapport « normal ». Rejoignant les questions relativement récentes de plusieurs concepteurs, il faudra préciser comment ces troubles permettent d’expliciter l’impact de l’architecture sur le bien-être de tout un chacun. Pour finir, les grands principes existants dans la conception des lieux de vie et tirés des besoins perceptifs des personnes autistes seront analysés pour chercher à en définir la nature. Dans un premier temps, il sera nécessaire d’expliquer en quoi consistent les troubles autistiques et la diversité de situation qu’ils retranscrivent. Les autismes seront replacés dans la terminologie plus large du handicap puis dans le rapport entre typique et atypique pour comprendre comment ils viennent déjà enrichir des problématiques dépassant leur cas particulier et ce dans de nombreux domaines. Dans un second temps, il s’agira de se pencher plus particulièrement sur le rapport qu’entretiennent les personnes 6 AUTISMES ET AUTISTE ÉTIOLOGIE : DE L’ESPRIT VERS LE CERVEAU | Apparu en 1911 dans les cliniques psychiatriques, le terme « autiste » est un néologisme dérivé du grec, autos, qui signifie « soi-même ». A une époque où la psychanalyse, dominée par les théories freudiennes, influençait le champ de la psychiatrie, cette dénomination s’explique par le phénomène observé chez des enfants normaux en apparence qui pourtant devenaient fous1. Les troubles furent interprétés comme un défaut de l’enveloppe psychique du sujet, le « Moi-peau », l’empêchant d’établir la limite entre soi et les autres et le retenant à un stade où les pulsions dominent. Léo Kanner, premier pédopsychiatre à établir un tableau clinique de « l’autisme infantile précoce », l’expliqua d’ailleurs comme un « trouble inné du contact affectif ». Bruno Bettelheim participa à entériner cette conception fondée sur un retrait de l’enfant avec ce qu’il appela une « forteresse mentale »2. Les enfants se repliaient BLEULER Eugène invente en 1911 le terme autisme pour distinguer les nouveaux symptômes observés de ceux de la schizophrénie. MARMION JeanFrançois, « Rencontre avec Jacques Hochmann. Autisme : deux siècles de polémiques », Sciences Humaines, n° 206, 2009, p. 25 2 BETTELHEIM Bruno, La Forteresse vide, Paris, Gallimard, 1969, 862 p. 1 7 peu à peu dans un espace « clos retourné sur lui-même »3. Dès sa découverte le rapport à l’espace fut, en filagramme, une thématique centrale dans l’autisme. trouble du développement que l’experte qualifie de « global, sévère et précoce ». Désormais, les chercheurs s’accordent sur un dysfonctionnement neurologique et une étiologie multifactorielle et multigénétique qui perturbent les grandes étapes du développement cérébral. Il est alors question dans l’autisme de prédisposition génétique et non de maladie génétique. Malgré ces avancées, l’origine des troubles reste à ce jour méconnue. Ils demeurent incurables et « cet état de fait suscite des attentes immenses, à la mesure des possibles déceptions »6. Des futurs traitements sont à considérer seulement dans une perspective de très long terme. Ce pourquoi l’effort actuel se concentre sur la préservation et l’amélioration de la qualité de vie des personnes touchées par ces troubles complexes et qui illustrent « la pathologie d’une vie »7. C’est cette situation qui a permis de développer les connaissances sur leur rapport à l’espace et de relever l’importance de son adaptation. Jusqu’aux années 80, l’origine de ce trouble fut considérée dans une perspective purement émotionnelle, causé par l’unique faute d’une « mère froide ». Il fallut attendre le développement des neurosciences pour que ces théories culpabilisatrices laissent place à celles génétiques appuyant sur l’origine neuro-développementale des troubles. Il est aujourd’hui vérifié que les troubles autistiques conduisent à une déficience de perception des mouvements biologiques dans les scènes sociales au profit d’une certaine fascination pour des éléments inanimés de l’environnement. La perception du regard, du visage, de la main, de la voix, etc. sont a priori innée chez l’être humain. Pour Monica Zilbovicius, experte en psychiatrie et neurobiologie, cela expliquerait 90% des syndromes4. Cette déficience engendre une capacité limitée à développer des contacts avec l’Autre comme l’avait suggéré les psychanalystes. « Tout se passe pour l’autiste comme si la relation à autrui ne lui avait pas permis de donner sens à ses expériences, qui restent au niveau de sensations éparses, sempiternellement répétées à l’identique et faisant obstacle à la découverte du monde… »5. Il reste que, loin d’un problème relationnel entre la mère et l’enfant, il s’agit d’un GEORGIEFF, 2008, cité par : DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 35 7 FIARD, 2012, cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 43 6 COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 6 4 ZILBOVICIUS Monica, « Raisons de l’autisme », Autisme.info31, 2013. 5 HOUZEL Didier, « L’enfant autiste et ses espaces », Enfances & Psy, n° 33, 2006, p. 20 3 8 L’ÉTENDUE DES TROUBLES AUTISTIQUES | envahissant du développement non spécifié. TSA et TED recoupent la même réalité clinique et seront utilisés de manière indifférenciée ou remplacés par le terme « autismes ». Avant d’aller plus loin, il convient de définir à quoi fait référence le terme « autiste » d’un point de vue clinique. Souvent utilisé de manière générique, il recouvre une réalité plurielle et hétérogène. Dans le cadre de la CIM-10 de l’OMS, classification de référence selon les récents travaux de la HAS, l’autisme est une des huit catégories de troubles envahissant du comportement (TED) qui apparaissent dès l’enfance. Il est reconnu pour être la forme la plus représentative de ces troubles. Ces derniers sont définis comme « un groupe de troubles caractérisés par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des modalités de communication, ainsi que par un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif. Ces anomalies qualitatives constituent une caractéristique envahissante du fonctionnement du sujet, en toutes situations. »8 Cette dimension catégorielle de la diversité symptomatologique des troubles peut aussi, souligne la HAS, être appréhendée de manière dimensionnelle. C’est la classification des troubles du spectre autistiques (TSA) qui est dans ce cas invoquée. Elle est de plus en plus utilisée car elle permet de rendre compte de l’étendue et de l’hétérogénéité des troubles à l’intérieur du continuum symptomatologique. Au sein de la CIM-10 elle regroupe cinq catégories : l’autisme, le syndrome de Rett, le trouble désintégratif de l’enfance, le syndrome d’Asperger et le trouble Un certain nombre de troubles sont présents de manière récurrente chez les personnes porteuses d’autisme. Le docteur Kanner avait déjà noté chez les onze enfants qui permirent de nommer l’autisme deux types de difficultés majeures : l’intolérance au changement, « sameness » en anglais, et l’isolement, « aloneness »9. La description qualitative des autismes fut d’abord limitée à trois troubles, la « triade autistique », qui constituent le tableau clinique complet pour certains. Elle comprend : o Les troubles des interactions sociales et de la réciprocité Déjà évoqué avec la déficience de perception des mouvements biologiques dès un très jeune âge, les personnes porteuses de troubles autistiques souffrent de difficultés à se positionner dans les échanges sociaux. Cela peut se traduire à différents niveaux et à des degrés divers par un désintérêt pour le partage avec d’autres et une difficulté à supporter leurs regards, des conduites de retrait, un manque de réciprocité socio-émotionnelle, etc. « Une personne Autisme et autres troubles envahissants du développement : État des connaissances hors mécanismes physiopathologiques, psychopathologiques et recherche fondamentale, HAS, 2010, 222 p. KANNER, 1943 cité par : MARMION Jean-François, « Rencontre avec Jacques Hochmann. Autisme : deux siècles de polémiques », Sciences Humaines, n° 206, 2009, p. 26 8 9 9 atteinte d’un TED n’est absolument pas indifférente à la relation mais n’en possède pas toutes les clefs. »10 Cependant, les recherches actuelles font état d’un panel de troubles et pathologies associés. Ceux-ci, loin d’être secondaire, pourrait contenir des clés dans la compréhension de l’autisme d’autant que certains impliquent intimement la spatialité devenue un objet d’étude majeur : o Les troubles du langage et de la communication Ces personnes souffrent d’altération jusqu’à une absence totale de langage sans compensation. Bien souvent, il est possible de noter des anomalies dans le ton de leur voix, l’accent, le débit et le rythme. « Même dans les cas d’autisme dit de « haut niveau » où le langage est installé et fonctionnel, ce dernier est pauvre. »11 C’est pourquoi ces personnes adaptent difficilement leur discours aux réactions de l’autre et identifie mal l’implicite, les concepts abstraits... o Les troubles du sommeil Ils sont très largement rapportés dans les études et, selon celles-ci, concernent jusqu’à 86% des personnes présentant des troubles autistiques13. o Les troubles psychiatriques o Des intérêts restreints et répétitifs Ils se retrouvent plus fréquemment que dans la population générale, notamment pour ce qui est de l’anxiété et de la dépression. C’est d’ailleurs un des seuls troubles pour lequel il peut être, ponctuellement, prescrit des médicaments. En association, il apparaît souvent que les personnes autistes développent des comportements obsessionnels, stéréotypés et limités dans leur nature. « Pour les autismes dits de « haut niveau », c’est souvent un domaine lié à leurs compétences cognitives et leur remarquable mémoire comme les mathématiques, les langues, etc. » D’autres vont faire preuve d’un intérêt persistant pour un objet, se transformant en « « passion » irrépressible pour ce qui tourne, pour […] les photos, les bulles... »12 o L’épilepsie Elle se rencontre également plus communément chez ces sujets qu’au sein de la population générale. o Le retard mental « Sa prévalence varie selon le type de TED. Par définition il n’y a pas de retard mental dans le syndrome d’Asperger. »14 Cependant, GACHON Laurent, Création d’une MAS pour adultes porteurs d’autisme, d’un public singulier à une spécialisation des réponses, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2013, p. 17 11 Ibid 12 GACHON Laurent, Création d’une MAS pour adultes porteurs d’autisme, d’un public singulier à une spécialisation des réponses, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2013, p. 17 10 Autisme et autres troubles envahissants du développement : État des connaissances hors mécanismes physiopathologiques, psychopathologiques et recherche fondamentale, Synthèse, HAS, 2010, p. 10 13 10 dans d’autres cas, il va être sévère. S’il est accompagné de troubles autistiques importants, on parle de « double peine » car cela peut conduire à l’exclusion de la personne des institutions laissant les parents désemparés. qui nuisent à l’intégration des personnes dans les structures d’accueil. Derrière ce tableau clinique ordonné, ce cache en réalité une immense variété de situations. Les professionnels évoquent régulièrement l’équivalence entre le nombre de personnes autistes et celui d’autismes et, en conséquence, qu’un « autisme modèle » n’existe pas. Ces troubles dans leur intégralité sont variables en intensité et s’associent de manière différente selon les personnes. Ils peuvent évoluer en fonction de leur âge et de leur développement, lui-même influencé par la qualité de l’accompagnement qui est proposé. Dans le cas des intérêts restreints et répétitifs, une insistance inflexible pour réaliser des activités routinières demeurera chez certains. D’autres vont être capable de s’adapter aux circonstances grâce à l’apprentissage d’un large répertoire de situations. Le retard mental quant-à-lui conditionne fortement la situation des personnes et constitue un paramètre essentiel au diagnostic. Il peut se rencontrer « un tableau clinique avec une personne qui ne souffre d’aucun retard mental, voire qui dispose de capacités cognitives supérieures à la norme, mais avec une telle sévérité d’autisme qu’elle se retrouve totalement inadaptée et en grande difficulté, ou le tableau inverse avec des troubles du spectre autistique « relativement » légers, mais avec un retard mental o Des particularités et anomalies sensorielles Elles semblent très répandues chez les personnes autistes et se traduisent par des hyper et des hyposensorialités. Certaines personnes autistes pourraient avoir du mal à apprécier le danger et présenter une réaction anormale à la douleur. Les particularités sensorielles seront détaillées en deuxième partie de par leur importance dans l’appréhension de l’espace. En outre, elles pourraient être à l’origine des troubles autistiques d’après de récents travaux15. o Les troubles problème » du comportement ou « comportement Ces derniers sont reconnus pour être directement liés à d’autres, ceux de la triade autistique et peut-être encore davantage ceux sensoriels. Nous le verrons également dans la suite. Leurs conséquences sont difficiles à gérer pour les personnes touchées autant que pour les proches et les éducateurs. Ils se manifestent par des comportements destructeurs, auto-agressifs ou hétéro-agressifs Ibid Notamment la thèse de DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, 326 p. 14 15 11 sévère. »16 Comme le précise le Docteur J. Constant, celui-ci reste souvent difficile à distinguer des troubles autistiques17. l’attention, de la mémoire, etc.) mais aussi les fonctions intrapersonnelles (d’adaptabilité ou de facilité de contact) et celles psychosociales globales (notamment la communication qu’elle soit verbale ou non verbale). D’autres activités peuvent également être limitées dans les domaines de la mobilité, de l’entretien personnel ou de la vie domestique.18 Dans le but de pallier à ces difficultés, les méthodes se sont vues démultipliées depuis les années 70, en parallèle de l’accroissement des connaissances sur les troubles. Toutes suivent le même principe : elles cherchent à enseigner les processus cognitifs défaillants. Qu’elles soient globales, comme le programme TEACCH avec une approche basée sur une éducation structurée, ou plus ciblées, comme le système MAKATON pour l’apprentissage du langage à l’aide de pictogrammes, ces thérapies permettent d’acquérir des « compétences dissociées ».19 Mais si certaines méthodes ont prouvé leur efficacité, aucune ne peut prétendre restaurer un fonctionnement normal ni améliorer celui de la totalité des personnes autistes. De manière générale, les intérêts restreints et répétitifs compliquent considérablement les possibilités d’entrer en contact avec d’autres. De fait, le « retrait autistique » répond aux troubles des interactions sociales et de la réciprocité. Il peut devenir un facteur bloquant l’apprentissage qui nécessite de développer des appétences ou de chercher la reconnaissance de l’autre. Cela rend également imprécis l’apparition du retard mental, présent dès le plus jeune âge ou conséquence des difficultés relationnelles. Ce canevas n’est qu’un exemple parmi tant d’autres possibilités... Il précise cependant comment l’imbrication des troubles charpente la variété et l’unicité des situations dans lesquelles se trouvent les personnes autistes autant qu’il permet d’en entrevoir la complexité. Face aux nombreuses nuances de l’autisme, le tableau clinique constitue une base permettant d’établir un premier diagnostic pour la personne. Il s’ensuit nécessairement un programme d’intervention, l’étendue et la variété d’expressions des troubles autistiques conduisant à de nombreuses difficultés. Les apprentissages et l’application des connaissances constituent un point problématique majeur, point sur lequel se focalise les accompagnements. Ils mettent en jeu les fonctions cognitives (de Les difficultés partagées dans les grandes lignes, divergent largement selon les individus, conformément à l’expression des troubles. Se faisant, la prise en charge, en soi longue, évolutive et complexe, ne peut être pensée qu’au cas par cas, de manière aussi globale que particulière. La présence de professionnels d’horizons divers est primordiale, incluant médecins, psychologues, éducateurs Autisme et autres troubles envahissants du développement : État des connaissances hors mécanismes physiopathologiques, psychopathologiques et recherche fondamentale, Synthèse, HAS, 2010, p. 18 19 GREENSPAN Stanley, LIEFF Beryl, L’esprit qui apprend. Affectivité et intelligence, Paris, Edition Odile Jacob, 1998, p. 25 18 GACHON Laurent, Création d’une MAS pour adultes porteurs d’autisme, d’un public singulier à une spécialisation des réponses, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2013, p. 19 17 CONSTANT Jacques, « Le permis de se conduire en pays autiste », dvd, 2008 16 12 spécialisés, orthophonistes, psychomotriciens, etc. L’étroite imbrication des interventions sollicite une communication approfondie entre les professionnels, communication partagée avec la famille voire avec la personne concernée quand les troubles le permettent. Ayant tendance à « faire les choses pour les exprimer »20, établir un mode de communication spécifique représente également le principal enjeu des prises en charges. nécessaire pour établir la prise en charge et sur le décalage qui peut, encore trop souvent, être observé dans la réalité par manque de moyens ou même de connaissances. « L'autiste est dispersé dans l'espace, déphasé dans le temps, dépassé par les échanges et sa communication maladroite et hésitante se perd le plus souvent dans des tentatives avortées. »22 La prise en charge nécessite donc de faire preuve d’une méthodologie inébranlable et d’abnégation auprès de ces personnes qui ont rarement conscience de leurs déficiences et des comportements inadaptés qu’elles engendrent. Cela dit, si les autismes sont définis de manière récurrente en termes d’incapacités, il ne faut pas oublier leurs capacités et aptitudes, facteurs sur lesquels se basent les prises en charge, leur méticulosité ou leur attention aux détails par exemple. Par ailleurs, la limite est fine entre capacités et incapacités. L’expression d’une aptitude dépend en partie de l’adaptation de l’environnement et peut se transformer en incapacité le cas échéant. Cette mince frontière est au cœur de notre problématique posant dans toute son ampleur l’importance de ce qu’offre l’environnement. Elle conduit à poser la question de la nature du handicap lié aux troubles autistiques. Cependant l’environnement social et thérapeutique à mettre en place autour de la personne ne peut aller sans une adaptation de l’environnement physique. Il a été reconnu que la réussite d’un accompagnement requiert de prendre en compte l’intégralité des difficultés, ce qui inclut les spécificités du fonctionnement sensoriel et perceptuel. Quelque soit la sévérité de leurs troubles, les personnes autistes se trouvent en situation de grande vulnérabilité. Elles rencontrent des difficultés non négligeables dans l’appréhension de leur environnement et des relations qui s’y tissent. En résumé, celui-ci pouvant leur sembler incompréhensible ou même hostile et violent, elles ont besoin qu’il soit adapté, structuré dans l’espace et dans le temps, stable, rassurant... Dans les faits, « les histoires familiales sont souvent dramatiques. Les parents décrivent un isolement social qui ne cesse de s’aggraver au fil du temps, la nécessité de protéger les enfants plus jeunes des accès de violence, un intérieur vide ou sans cesse détruit. »21 Ce témoignage permet d’insister sur l’importance reconnue d’une vision d’ensemble CARIOFO Romain, Autisme, solutions d’espoir, documentaire, 2012. SENECHAL, 2009, cité par : GACHON Laurent, Création d’une MAS pour adultes porteurs d’autisme, d’un public singulier à une spécialisation des réponses, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2013, p. 22 20 21 22 13 LELORD Gilberg, L'exploration de l'autisme, Paris, Edition Grasset, 1998, p. 9 LA DIMENSION HANDICAPANTE DES TROUBLES | Concernant le handicap mental, il est « la conséquence sociale d’une déficience intellectuelle »24. Les capacités de réflexion, de conceptualisation ou encore de décision sont alors altérées ce qui va contraindre, plus ou moins fortement, l’accès et le traitement de l’information quelle qu’en soit la nature. Dans le cas du handicap psychique, les capacités intellectuelles ne sont pas directement affectées mais leur mise en œuvre est compromise. Délires, psychoses et autres angoisses altèrent et limitent la participation et les activités de la personne en société. Les autismes se voient préférablement rattaché à une quatrième catégorie, les handicaps cognitifs, définis en 201125. Encore moins connus que les précédents, ils rassemblent une grande hétérogénéité de troubles, « spécifiques » pour la plupart (du langage, de la mémoire, etc.) et dont les origines diffèrent (primaires, accidentelles ou dégénératives). Ils mettent principalement en jeu les fonctions cognitives et toutes les compétences qui y sont liées. Leur dimension handicapante est tout aussi hétérogène, d’une simple difficulté à s’orienter ou à communiquer jusqu’à une dimension plus globale recoupant les différents aspects de l’environnement. C’est le cas des autismes. La prise en charge doit permettre de pallier aux nombreuses conséquences des troubles autistiques dans la limitation des activités quotidiennes. Mais ce sont ces conséquences qui expliquent leur dimension véritablement handicapante. D’après la définition qui est donnée par la loi, « constitue un handicap […] toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »23 Un handicap physique concerne principalement la capacité restreinte d’un individu à se déplacer de manière autonome. Cela peut amener à une dimension handicapante plus sourde dans le quotidien des personnes concernées avec, par exemple, une difficulté à atteindre certains objets, à effectuer des gestes quotidiens, etc. Un autre type de situation handicapante survient lorsqu’une fonction sensorielle défaille où que l’environnement en empêche son bon fonctionnement. La vue, l’ouïe… on parle d’handicap sensoriel. Se repérer, s’orienter, communiquer peut engendrer des difficultés pour ces personnes. Plus globalement, les sensations provenant de lumières inadaptées ou de bruits intenses peuvent fortement nuire à leur bien-être. Ce qu’il y a de commun derrière ce tableau c’est la connotation péjorative liée au handicap, loin de son étymologie anglaise. Provenant de l’expression « hand in the cap », le terme expliquait la méthode, par tirage au sort, qui servait à attribuer un désavantage Contribution à la définition, à la description et à la classification des handicaps cognitifs, Fédération française des Dys, 2011, p. 3 25 Contribution à la définition, à la description et à la classification des handicaps cognitifs, Fédération française des Dys, 2011, p. 3 24 La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées 23 14 aux meilleurs chevaux au départ d’une course afin de la rendre plus équitable. Suivant la logique inverse, la loi a institué deux conditions immuables pour permettre l’égalité des droits et des chances de toute personne handicapée : la compensation des conséquences du handicap et l’accessibilité de tout à tous. déplacement, de l’orientation ou de la communication. Nul ne peut être assimilé à une catégorie, trop réductrice, et tout un chacun pourrait se trouver concerné par au moins l’une d’entre elle au cours de sa vie pour des raisons variées. Comme évoqué précédemment, cette première distinction établie, les autismes se détachent encore par la multiplicité des fonctions en jeu. Elles peuvent être physiques si troubles associés, mentales ou psychiques faisant partie du tableau clinique, cognitives évidemment mais aussi sensorielles. Les autismes recoupent les problématiques rencontrées dans les différentes catégories de handicaps et, avec cela, les juxtaposent. Parfois appelés « handicap invisible » ou encore « handicap adaptatif»26, les autismes pourraient plutôt recevoir l’appellation d’ « handicap envahissant » au même titre que les troubles. Toutefois, si les handicaps cognitifs dans leur ensemble mettent en cause les limites sémiologiques du handicap comme situation factuelle se dissipant grâce à un aménagement adapté, les autismes posent la question avec plus de retentissement encore. D’une part, l’unicité des troubles de chaque personne autiste paraît difficile à concilier avec la catégorisation nécessaire à l’établissement terminologique du handicap. D’autre part, cette appellation semble conduire à une prise en compte restreinte des situations vécues, mono-causales pour permettre d’y répondre, quand ces dernières nécessitent une approche globale. Néanmoins, les situations ne présentent ni les mêmes caractéristiques, ni la même complexité selon les fonctions altérées et n’appellent donc pas au même type de compensation. Un changement de paradigme a conduit à relativiser le handicap par sa cause environnementale. Il enjoint de penser un lien causal direct entre une situation et l’inadaptation de l’environnement au besoin correspondant, a fortiori la possibilité d’y répondre par un dispositif prédéfini et précis. Il y a effectivement un lien direct dans les situations handicapantes d’origine essentiellement physique, localisée (visible donc) les personnes en fauteuils roulants ou aveugles par exemple. Il est envisageable de les résoudre par un aménagement spécifique : rampes, bandes rugueuses, etc. Mais, dans de nombreux cas, il y aurait un lien plutôt indirect découlant d’une compréhension défaillante de l’environnement tant physique que social. C’est le cas des handicaps mentaux, psychiques et cognitifs. Il est certes possible d’atténuer les difficultés par certains aménagements : la lisibilité de l’espace, la clarté des informations, de la signalisation, l’accompagnement humain, etc., sans pour autant pouvoir réduire le vécu des personnes à la situation handicapante. La cause de cette dernière demeure interne et non seulement existante dans sa relation à l’environnement. De manière générale, il faut relever le caractère malgré tout perméable des différentes catégories de handicap dont les problématiques s’enchevêtrent, autour du Toute solution pour pallier à la situation handicapante cherche expressément à rendre le plus autonome possible les personnes Contribution à la définition, à la description et à la classification des handicaps cognitifs, Fédération française des Dys, 2011, p. 27 26 15 touchées bien que cela n’aille pas forcément dans le sens d’une entre-aide citoyenne. Il est alors possible de distinguer les cas où l’aide humaine saurait, dans de nombreuses situations, remplacer l’aménagement spatial - une personne en fauteuil face à une marche, une autre Alzheimer ayant besoin d’être guidée27 - de ceux où elle complète une adaptation de l’environnement physique absolument nécessaire - une personne malvoyante éblouie ou une autre autiste dans un lieu inconnu qui peut engendré en soi des comportements inadaptés au-delà de son besoin d’être rassuré, guidé etc. « Pour les personnes [autistes] souffrant en plus d’une déficience mentale importante, cette difficulté est telle que les troubles du comportement peuvent être massifs, envahissants et extrêmement handicapants. »28 L’imbrication des conséquences liées à l’altération des fonctions rend particulièrement difficile de démêler cause environnementale et cause interne. La première, a priori identifiable, peut effectivement conduire à des conséquences démultipliées de par sa juxtaposition à d’autres causes. LES AUTISMES DANS LE RAPPORT TYPIQUE/ATYPIQUE | A propos de la réglementation sur l’accessibilité, la dernière version du texte de loi, paru en 201429, a atténué les frontières entre « normal » et « handicapé ». Considérant toute inadaptation potentielle de l’environnement à un besoin, il y est reconnu, par exemple, que les personnes âgées, ayant de l’arthrose, une jambe cassée, les mères avec une poussette, etc. profite tout autant que les handicapés moteurs des aménagements prévus. « Ce qui est indispensable pour certains est souvent pratique pour tous » énonce M-A Corbillé30. Il n’est pas rare de voir des problématiques émerger de troubles particuliers, ces derniers ayant souvent servi de révélateurs. « Comme pour beaucoup de disciplines psychologiques et neurologiques, la psychologie environnementale s’est inspirée des troubles pathologiques pour déterminer des comportements « normaux ». Ce sont effectivement des considérations portant sur l’impact de l’environnement architectural d’unités de soins psychiatriques, et la fonction de ce paramètre sur la modulation comportementale de ses usagers, qui ont permis de lancer la réflexion des relations à l’environnement, dans un domaine d’abord La loi n° 2014-789 du 10 juillet 2014 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées 30 CERTU, Ville accessible à tous : ville accueillante et compréhensible? Vers une prise en compte des besoins liés aux handicaps mentaux, cognitifs et psychiques au profit de tous. Actes de la journée d’échanges : 11ème journée du réseau « ville accessible à tous », 28/09/13, Lyon, pp.1-12. 29 Ibid GACHON Laurent, Création d’une MAS pour adultes porteurs d’autisme, d’un public singulier à une spécialisation des réponses, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2013, p. 23 27 28 16 connu sous le nom de psychologie architecturale durant les années 50-60. »31 pourrait être une cause de leur inaptitude à l’adaptation, de leur besoin de stabilité. En parallèle, certains autistes manifestent des compétences exceptionnelles pour les mathématiques, la musique ou le dessin avec des capacités de mémorisation spatiales bien plus élevées que la moyenne. Le « savant-idiot », l'autiste intelligent, a été sacralisé à travers le film Rain Man34 par exemple. Loin de ce cliché, il est envisagé que les troubles autistiques conduiraient plutôt à un fonctionnement cérébral privilégiant certains mécanismes locaux au détriment des globaux. Ce remplacement d’un processus cognitif par un autre, dont l’origine demeure méconnue, est appelé « cohérence locale ».35 Le phénomène sera exposé plus en détails en seconde partie n’étant pas sans conséquence sur l’appréhension de l’environnement mais cette théorie conduit surtout à envisager une autre modalité de la vicariance humaine. Concept introduit par Alain Berthoz, il a déjà permis de nommer, entre autre, comment une sensation peut-être remplacée par une autre chez les personnes aveugles ou quand nous nous déplaçons dans le noir.36 La vicariance explique une stratégie mentale essentielle du cerveau humain qui permet d’appréhender le monde extérieur et de s’y adapter en permanence en inventant des solutions nouvelles. Les autismes mettraient en avant une manière singulière d’appréhender le monde. Pour ce qui est des troubles autistiques, le directeur de FAM François Peyret-Montagne prévient, « plus on avance dans la question de la rencontre avec des sujets autistes ou psychotiques, plus on laisse des certitudes sur le chemin. »32 L’origine multifactorielle explique à la fois l’hétérogénéité des situations et leur distinction des autres handicaps. Les autismes, introduisant un rapport à l’environnement singulier, mettent en jeu différents aspects du fonctionnement humain et supposent, en même temps, d’en considérer la complexité. C’est pourquoi ils interrogent déjà de nombreux domaines de recherches. « Le problème des bases neurales de la cohérence doit être au centre de nos préoccupations » évoque Alain Berthoz33, problème que posent justement les troubles autistiques. Il a été présumé que ces personnes présentaient un défaut de cohérence centrale. Cette théorie, développée par U. Frith, postule qu’une détérioration cérébrale les empêcherait de trier les stimuli reçus. Les personnes autistes s’attachent davantage à certains détails qu’à l’ensemble du contexte environnemental. N’arrivant pas à appliquer dans un autre contexte les enseignements de leurs expériences passées, cela D’un autre côté, des études récentes évoquent le fait que les fonctions exécutives pourraient défaillir chez certaines personnes CHARRAS, 2008, cité par : DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 23 32 PEYRET-MONTAGNE François, « D'une rencontre impensable à une possible rencontre », Lyon, mémoire de DSTS, 1998, p. 16 33 BERTHOZ Alain, Le sens du mouvement, Paris, Edition Odile Jacob, 1997, p. 288 31 LEVINSON Barry, Rain Man, 1988. HAPPE Francesca, FRITH Uta, «The Weak Coherence Account: Detail-focused Cognitive Style in Autism Spectrum Disorders », Journal of Autism and Developmental Disorders, Volume 36, n°1, 2006, pp. 5-25. 36 BERTHOZ Alain, La vicariance, Paris, Edition Odile Jacob, 2013, p. 36 34 35 17 autistes. Les difficultés d’inhibition et de contrôle des actes ou des pensées impacteraient sur les processus cognitifs de l’attention, de la concentration ou encore de la planification des actions. Elles seraient également un facteur de l’incapacité d’adaptation aux situations nouvelles, de l’immuabilité, et influenceraient les stéréotypies, etc.37 Il est vrai que l’inhibition est un élément clé des processus cognitifs, « principal mécanisme de l’apprentissage sensori-moteur. »38 Toutefois, il faut relativiser la prévalence de cette défaillance dans les troubles autistiques puisqu’elle n’apparaît pas chez toutes les personnes. A plus forte raison, il est envisagé que « la persévération [de certaines de ces personnes], leur immuabilité [ne serait] qu’une version extrême de bien des comportements très répandus »39 explique A. Berthoz. Sans négliger les troubles pour ce qu’ils sont, ils interpellent certains domaines de recherches en révélant des phénomènes qui apparaissent souvent chez les individus dits « normaux » de manière plus légère. « Prisonniers des statistiques, nous avons certainement trop cherché à définir un comportement moyen, un sujet moyen. » Et d’ajouter, « aujourd’hui une lame de fond tend à réhabiliter la singularité de l’individu, la diversité de ses comportements et des solutions qu’il peut inventer. »40 Les troubles autistiques permettraient de considérer la diversité interindividuelle sous un autre angle, au-delà des règles générales du comportement, et de mieux comprendre certains processus amplifiés par les troubles. Pendant un temps, les recherches ont également fait état d’un défaut de la théorie de l’esprit chez les personnes autistes. Les états mentaux n’étant pas donnés directement, ils nécessitent un mécanisme cognitif complexe de déduction. La théorie de l’esprit correspond à la capacité à imputer les intentions, souhaits, conceptions, etc. à sa propre personne et à autrui. Chez certaines personnes autistes il se manifeste une absence de pragmatisme, d'empathie et, plus généralement, d'autres aspects du développement et du fonctionnement social.41 Une nouvelle fois, ce défaut n’est pas présent chez toutes les personnes autistes et n’est pas non plus exclusif à ces troubles. Il s’exprime chez des personnes sourdes, déficientes mentales, schizophrènes... Et, chez les plus jeunes enfants, l’absence d’une théorie de l’esprit ne peut expliquer le « retrait autistique ». Cette dernière requiert un décentrement du sujet qui se construit progressivement au cours du développement en passant d’une « perception égocentrée » à une autre « allocentrée ». Elle implique la manipulation de repères sociaux mais également spatiaux42. Dans le cas des personnes autistes, il est admis qu’elles éprouvent un certain nombre de difficultés d’ordre sensoriel et perceptif qui pourraient les empêcher en conséquence de construire DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 39 38 BERTHOZ Alain, Le sens du mouvement, Paris, Edition Odile Jacob, 1997, p. 210 39 Ibid, p. 104 40 BERTHOZ Alain, La vicariance, Paris, Edition Odile Jacob, 2013, p. 18 37 SANCHEZ Pilar, VASQUEZ Francisco et SERRANO Laureano, « Autism and the Built Environment », Autism Spectrum Disorders - From Genes to Environment, Prof. Tim Williams (Ed.),Université Politechnique de Cartagène, Espagne, 2011, p. 367 42 L’autisme à la croisée du corps et de la psyché, Dixième journée d'étude du Centre Alfred Binet sur l'autisme infantile, 2011 41 18 des repères spatiaux stables. Certaines thèses suggèrent la primauté de ces difficultés de traitement des stimuli sensoriels sur les autres troubles, nous y reviendrons. Il est vrai que Temple Grandin, autiste de haut niveau, explique elle-même la fixation de l’attention sur des parties d’objets, allant jusqu’à l’obsession, comme étant efficace pour « diminuer l’excitation d’un système nerveux hyperactif »43. Ces questionnements viennent finalement s’inscrire dans un contexte général annoncé par un « tournant holiste »45 dans la définition de la santé. Elle dépasse désormais le simple fait de ne pas être malade pour approcher un état de bien-être complet recoupant des problématiques psychologiques, spirituelles, environnementales, etc. La notion de qualité de vie, liée au phénomène contemporain d’individuation, s’en trouve modifiée pour ne plus seulement dépendre du confort matériel « mais aussi de l’intensité et de la diversité des perceptions sensorielles. Il y aurait donc rupture contemporaine : le bien-être deviendrait surtout une question de sensorialité. »46 Juhani Pallasmaa notamment, met en lumière cette rupture quand il dénonce l’absence d’attention qui a été porté aux sens dans notre civilisation technicienne et consumériste. D’après lui, cela a eu pour effet de pousser progressivement l’homme à l’isolement vis-à-vis du monde, à s’y enraciner de façon superficielle. Il en résulte ce qu’il appellera, non sans ironie, une « impression d’autisme architectural »47. Le mauvais filtrage des stimuli provenant de l’environnement et la surcharge d’informations sensorielles qui en découlent chez les personnes autistes provoquent des réactions aussi inattendues qu’inappropriées. Elles impacteraient donc sur les autres processus cérébraux. Les questions de l’intégration et de la modulation sensorielle se posent aujourd’hui avec un intérêt renforcé. Cela va dans le sens de récents travaux de recherche sur le fonctionnement de la perception qui conduisent à reconsidérer la relation « corpsesprit ». Loin d’un cerveau mécanique contrôlant de manière centralisé le corps, a fortiori loin d’un corps intellectualisé, « chaque sens décompose la réalité sensible en composantes qui sont ensuite recomposées, liées »44 et permettent au corps de se mouvoir et de choisir les stratégies adéquates. Reste que les troubles autistiques renseignent l’interdépendance « corps-esprit » ou corps-cerveau, trop longtemps négligée, autant que l’importance des sensations dans le fonctionnement cognitif humain. L’usage que nous faisons du milieu, l’umwelt de J. von Uexüll, et les limites étroites dans lesquelles nous sommes enfermées quant à l’accès au monde sensible, semblent ne pas être similaires au sein de HOYEZ Anne-Cécile, « Le bien-être, mondialisation du concept, transplantation des pratiques », Peut-on prétendre à des espaces de qualité et de bien-être ?, textes des communications, Colloque international, Angers, 2004, p. 11 46 VIGARELLO, 1982, et SEZE, 1994, cité par : GRESILLON Lucile, « De l’espace de qualité à celui du bien-être : une question d’appropriation sensorielle ? », Peut-on prétendre à des espaces de qualité et de bien-être ?, textes des communications, Colloque international, Angers, 2004, p. 8 47 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 37 45 GRANDIN Temple, Ma vie d’autiste, Paris, Edition Odile Jacob, 2001, p. 124 BERTHOZ Alain, Le sens du mouvement, Paris, Edition Odile Jacob, 1997, p. 288 43 44 19 l’espèce humaine. Les limites propres aux personnes autistes représentent peut-être un moyen d’étendre les nôtres afin de questionner, sous un autre angle, l’impact de l’environnement et de l’architecture sur notre bien-être. « Les autistes nous obligent à reposer autrement des questions aussi fondamentales que celles du temps et de l’espace, mais aussi de soi et de l’autre, de la représentation que nous avons du monde, de la nature profonde de la pensée, etc. »48 Alors que les questions actuelles du bien-être de tous plaident pour des lieux davantage inclusifs et bienveillants, ce qui est indispensable pour certains pourrait s’avérer favorable à tous. HOUZEL Didier, « L’enfant autiste et ses espaces », Enfances & Psy, n° 33, 2006, p. 33 48 20 UNE AUTRE ATTENTION À L’ENVIRONNEMENT L’EXTRÊME SENSORIALITÉ | Les sensations sont une composante essentielle du développement humain autant qu’elles déterminent et influencent fortement le rapport à l’environnement des individus tout au long de leur vie. La sensorialité s’exprime d’ailleurs très précocement dans le développement. Elle apparait dès la 8ème semaine comme l’ont révélés plusieurs travaux sur la sensorialité fœtale1. Dans une perspective constructiviste, la maturation cérébrale va, après la naissance, permettre de modifier les connexions neuronales relativement aux interactions avec l’environnement. Cinq modalités sensorielles sont usuellement évoquées : la vue, l’ouïe, le toucher, le gout et l’odorat. Il apparaît cependant qu’on puisse en relever d’autres tout aussi fondamentales, l’équilibration ou la proprioception notamment déjà actives au stade fœtal. Quoi qu’il en DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 13 1 21 soit, les sensations sont primordiales pour un développement harmonieux de l’enfant et considérées pour être la nourriture du cerveau par certains2. par une information qui n’est pas perçue par le cerveau à cause d’une trop faible ouverture du système sensoriel. Ces deux extrêmes peuvent concerner tous les canaux et se juxtaposer également chez une même personne selon le contexte et les modalités touchées. De fait, il serait extrêmement difficile de chercher à énumérer de manière exhaustive toutes les atypies sensorielles. Néanmoins, la suite évoque différentes situations d’un continuum d’anomalies sensorielles qui semble de plus en plus se dégager dans les autismes et dont la prévalence est clairement indiquée par plusieurs travaux. Les autismes sont souvent annoncés comme étant un désordre des sens. Dès la découverte des troubles, le docteur Kanner avait observé des perturbations sensorielles d’origine diverses : l’évitement du regard, l’aversion pour le mouvement traduisant un comportement hypoactif, l’attention aux détails, etc. 3 Ils sont encore aujourd’hui des signes précurseurs du diagnostic. Temple Grandin (1994) explique ainsi que « le nouveau-né ne réagit pas comme les autres bébés. Il n’est pas sourd puisqu’il réagit aux bruits mais ses réactions aux autres stimulations sensorielles sont contradictoires. »4 Les particularités du traitement sensoriel sont premièrement rapportées en termes d’hyper- et d’hyposensibilité. L’hypersensibilité correspond, d’après Delacato, à une trop grande ouverture d’un système sensoriel provoquant un excès d’informations impossible à traiter par le cerveau.5 L’hyposensibilité se caractérise inversement o En ce qui concerne le système visuel, le docteur Couquet explique, par exemple, comment un de ses patients autistes se présente constamment en rendez-vous avec ses lunettes de soleil. Il ne supporte tout simplement pas les lumières artificielles. Dans certains cas, les personnes fuiront en effet les stimuli, dans d’autres un phénomène de fascination et de recherche d’excitation sera observé. Au-delà des hypo- et hypersensibilités visuelles, les personnes autistes présentes régulièrement une vision périphérique très développée. Inutile alors de leur parler d’un tableau juste en face, ils se souviendront de celui qui est à côté... Monica Zibovicius a analysé comment dans les rapports sociaux leurs regards se promène également en périphérie du visage de leur interlocuteur.6 GREEN 2006 cité par DAY, 2007, JACQUES Christelle, Épanouissement sensoriel : La diversité architecturale du milieu de garde inclusif intégrant des enfants atteints de troubles envahissants du développement, Mémoire de fin d’études, Ecole d’Architecture de l’Université de Laval, Québec, 2013, p. 9 3 KANNER, 1943, cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 13 4 GRANDIN Temple, Ma vie d’autiste, Paris, Edition Odile Jacob, 2001, p. 52 5 DELACATO, 1974, cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 24 2 6 22 ZILBOVICIUS Monica, « Raisons de l’autisme », Autisme.info31, 2013. o Comme évoqué plus haut, le système auditif présente des particularités qui alertent souvent les parents et conduit au diagnostic. Les sons inattendus, élevés ou même continus peuvent être des sources de stress et d’anxiété aux vues des hypersensibilités de certaines personnes. J. Schovanec, autiste de haut niveau, explique : « ce qui m’épuise, ce sont les bruits prolongés, comme le bruit de fond du papotage. J’ai beaucoup de mal, dans la durée, à faire face. Cela suscite une sorte d’obscurcissement neuronal qui rend très compliqué le fait de réfléchir ou d’être fonctionnel »7. Néanmoins la prévalence des particularités diffèrent grandement selon les cas. La stimulation tactile, pour moi et pour de nombreux enfants autistes, est une épreuve dont on ne sort jamais gagnant. »9 o Au niveau olfactif et gustatif, ce sont principalement des hypersensorialités qui apparaissent. Les parents d’un enfant autistes avaient expliqué au docteur Couquet que ce dernier se dressait parfois dans la rue, comme en alerte, sans qu’ils en comprennent la raison. 500 mètres plus loin, à proximité d’un marchand de barbe à papa, ils restaient cois n’ayant rien senti. o Dans le système proprioceptif et vestibulaire, des dysfonctionnements sont aussi remarqués. Des mauvaises adaptations posturales apparaissent avec des hyper- et hypotonies ainsi qu’une « difficulté à situer leur corps dans l’espace »10. Les personnes autistes recherches souvent une stimulation par pression pour sentir la limite de leur corps. « La chaleur et la pression tendent à diminuer l’excitation, surtout dans le cas d’un système nerveux défaillant. Si j’avais eu une machine magique à dispenser du bien-être, j’aurais peut-être pu utiliser sa chaleur et sa pression au lieu de piquer une colère »11. Par ailleurs, « il a été démontré que ce système joue un rôle majeur dans la régulation sensorielle de o Pour ce qui est du système tactile, les hypo- et hyperesthésies, « dormances » ou « défenses » tactiles, sont très fréquentes.8 Les premières s’observent souvent par une insensibilité à la douleur et paradoxalement des contacts humains jugés désagréables. Les secondes présupposent une difficulté à surmonter les contacts, pourtant inoffensifs, et qui impactent fortement le quotidien des personnes. « Les vêtements de laine, par exemple, me sont toujours intolérables » raconte T. Grandin et d’ajouter « en revanche, j’aime sentir autour de mon cou la pression d’un col roulé. GRANDIN Temple, Ma vie d’autiste, Paris, Edition Odile Jacob, 2001, p. 56 BOGDASHINA, 2003 cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 40 11 GRANDIN Temple, Penser en images, Paris, Edition Odile Jacob, 1997, p. 5859 9 10 SCHOVANEC Joseph, Je suis à l’Est, Paris, Plon, 2012, p. 112 DELACATO Carl H., The ultimate stranger : the autistic child. Noveto, CA : Academic Therapy Publications, 1974, 217 p. 7 8 23 tous les autres systèmes sensoriels. »12 Il entretient des liens étroits avec les systèmes visuels et auditifs notamment. des canaux, particulièrement visuels et auditifs, conduit à des compétences de discrimination exceptionnelles. Ces compétences peuvent être des points d’appuis pour les prises en charge et constitue un ancrage dans le monde, une ouverture sur celui-ci voire un moyen d’établir une communication autre que verbale. Chez certains autistes de haut niveau, la synesthésie, phénomène involontaire de croisement des perceptions, explique entre autres leur capacité à reproduire l’intégralité d’une scène qu’ils auront observé quelques instants où à effectuer des calculs extrêmement rapidement. Par des associations complexes, une odeur peut déclencher une couleur, un mouvement une forme, etc. Cependant, quand le seuil de tolérance est dépassé il s’ensuit un « brouillage » sensoriel, une grande confusion source de stress et d’anxiété.13 Ces personnes se trouvent donc dans une situation de grande vulnérabilité vis-à-vis de leur environnement qui nécessite d’être adapté à leurs capacités propres. Les particularités de la modalité proprioceptive pourraient être à l’origine des troubles autistiques. Elle implique des fonctions multiples (contrôle postural, imitation, poursuite visuelle, parole...) qui altèreraient, en conséquence, les grandes fonctions psychosociales, perceptives, du langage, etc. DES SENS AU SENS DES CHOSES | Aristote évoquait déjà un 6ème sens, celui de la modulation sensorielle faisant la synthèse du monde. Elle correspond plus précisément à une stratégie mise en place par le cerveau dans le but de se prémunir contre une surcharge d’informations sensorielles. Elle permet de distinguer les stimuli « utiles » de ceux qui ne le sont pas. Mais les particularités sensorielles autistiques, le mauvais dosage du chlore dans le transport de l’information au niveau des synapses, rendent parfois impossible ce filtrage. L’obsession remarquée chez certains pour des parties d’objet (tournoiement...) ou les comportements répétitifs (balancement...) leur permettraient de bloquer les stimuli invasifs. D’un autre côté, le surfonctionnement En lien avec les hypo- et hypersensibilités et le surfonctionnement perceptif, il a été observé un désordre du traitement multisensoriel et temporo-spatial. Thérèse Joliffe explique que « pour une personne autiste, la réalité est une masse confuse d’évènements, de gens, d’endroits, de sons et de visions. Il ne semble exister aucune frontière nette, aucun ordre »14. Les perceptions sensorielles Plusieurs recherches et écrits d’autistes cités par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 23 14 JOLIFFE, 1992, cité par : GRANDIN Temple, Penser en images, Paris, Edition Odile Jacob, 1997, p. 86 13 AYRES, 1979, cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 173 12 24 semblent demeurer isolées les unes des autres, créant un « patchwork sensoriel » ou dans le pire des cas une « jungle sensorielle ». En outre, « on connaît la préférence très fréquemment observée de ces personnes pour les stimulations sensorielles proximales [...] par rapport aux stimulations sensorielles distales [...], ces dernières mettant plus particulièrement le sujet en échec dans la compréhension des liens de causalité des stimuli perçus »15. Les premières sont proches du corps, appelées aussi « sens primaires », comme la proprioception ou le toucher. La source de la perception et cette dernière sont voisines voire confondues ce qui facilite la compréhension de leur ascendance. Les secondes à l’inverse, éloignées dans l’espace comme la vue ou l’ouïe, se développent plus tard et sont appelées pour cela « sens secondaires ». En partie dépendantes de l’établissement des premières, elles mettent en jeu des processus plus complexes qui se rapprocheraient de ce que Steiner appellera higher senses16. d’intégration des mouvements oculaires, provoque des conduites d’évitement d’où leur vision périphérique surdéveloppée. Elle permet de réduire l’excitation fovéale et donc de bloquer les informations visuelles. Les désordres dans le traitement des informations dynamiques semblent d’ailleurs particulièrement prégnants chez les personnes autistes. Nous le verrons, cela fait partie des raisons pour lesquelles les personnes autistes ont besoin d’une grande stabilité dans leur environnement et que l’architecture, sous certaines conditions, peut dispenser des points de repère essentiels à leur rassérènement. Plus généralement, leur perception d’un ensemble de détails sans possibilité de les hiérarchiser quant à leur pertinence explicative du contexte a été nommée pour cela « hypersélectivité » de l’environnement17. Cette pensée en détails est propre à chaque personne. Se faisant, sa logique et ses significations demeurent souvent difficilement accessibles aux autres. La question de la diversité des usagers pour laquelle une architecture est conçue est d’hors et déjà posée. Quoi qu’il en soit et comme présenté en première partie, elle a d’abord été expliquée comme un défaut de cohérence centrale. Frith, formula cette hypothèse dès 1989. Il est aujourd’hui prouvé que les troubles autistiques entraînent des connexions neuronales atypiques. Hors, il est préférablement envisagé qu’elles correspondent à un « style » cognitif, cognitive style dans les écrits anglo-saxons, plutôt qu’à un défaut de cohérence globale. En effet, il a été explicité qu’une faible cohérence centrale Au sujet de la vue, elle est liée à la perception des mouvements. L’altération de cette dernière, avec entre autres un défaut COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 17 16 Pour STEINER, 1955, nous aurions 12 sens : quatre will-oriented senses : le touché, le bien-être, le mouvement et l’équilibre, quatre feeling-oriented senses : l’odorat, le goûter, la vue et la chaleur corporelle, et quatre cognitive senses : l’ouïe, le langage, la pensée et l’esprit de reconnaissance. Il les sépare entre ceux liés aux mouvements et au corps (lower) et ceux en lien avec la faculté de penser. Cité par : JACQUES Christelle, Épanouissement sensoriel : La diversité architecturale du milieu de garde inclusif intégrant des enfants atteints de troubles envahissants du développement, Mémoire de fin d’études, Ecole d’Architecture de l’Université de Laval, Québec, 2013, p. 9 15 COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 4 17 25 peut apparaître chez des adultes dits typiques, bien adaptés et en pleine santé (Happé et Frith, p. 12) 18. Mais, dans le cas des personnes autistes, celles-ci présentent en parallèle des capacités de discrimination perceptive particulièrement développées. « There is a strong and growing body of evidence that people with ASD are characterised by superior performance on tasks requiring detailfocused processing. »19 Allant dans ce sens, plusieurs résultats d’études exposent « la supériorité du traitement local sur la modalité visuelle chez les personnes avec TSA »20. De surcroît, les compétences qui y sont liées sont supérieures à celles des neurotypiques. La perception autistique atteste ainsi d’un « biais local supérieur » avec, en particulier, une meilleure détection des stimuli visuels et auditifs. Si pour ce qui est de la modulation des informations sensorielles, les personnes autistes seront moins performantes que la « normale », elles seront plus rapides dans la détection des changements. quant-à-elle définie comme regroupant ces différents aspects de la réception des stimuli jusqu’à l’interprétation qui en est faite par différents moyens (apprentissage, connaissances…). Patchwork sensoriel, pensée en détails et biais local supérieur, induisent « une façon particulière de retenir les informations de l’environnement tant interne qu’externe. »22 Elle amène logiquement les personnes autistes à une interprétation singulière de leur environnement autant qu’à des réactions qui semblent, d’un point de vue « typique », particulières si ce n’est inadaptées voire dangereuses. CONSÉQUENCES | Le comportement jugé « efficace » par l’individu est nécessairement dépendant de sa manière d’interpréter l’environnement. Ainsi, « les répercussions des désordres sensoriels s’opèrent à différents niveaux, sur les situations sociales, engendrant des difficultés d’ajustement mais peuvent [...] avoir des impacts beaucoup plus lourds. Comme le souligne la Haute Autorité de Santé (2011), « les particularités sensorielles sont parfois à l’origine de troubles graves du comportement. [...] La présence d’automutilation quelle qu’en soit la forme, occasionnelle ou fréquente, est observée chez la moitié des adultes avec autisme et est probablement liée à Permettant de filtrer les stimuli, la modulation sensorielle s’accompagne de l’intégration sensorielle, processus neurophysiologique permettant « d’adopter le comportement le plus efficace dans un contexte environnemental »21. La perception est HAPPE Francesca, FRITH Uta, «The Weak Coherence Account: Detail-focused Cognitive Style in Autism Spectrum Disorders », Journal of Autism and Developmental Disorders, Volume 36, n°1, 2006, p. 16 19 Ibid, p. 21 20 MOTTRON, 2009, cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 176 21 Concept créé par AYRES, 1989, cité par : Ibid, p. 14 18 SADOUN Patrick, « Réflexions sur l’architecture des établissements », SESAME, n° 160, 2006, p. 13 22 26 l’existence de troubles sensoriels ». »23 Nommés « troubles du comportement » mais aussi « comportements problèmes », « comportements destructeurs », « comportements défis », etc. il s’agit d’une « action ou [d’un] ensemble d’actions qui est jugé problématique parce qu’il s’écarte des normes sociales, culturelles ou développementales et qui est préjudiciable à la personne ou à son environnement social ou physique ». « Un trouble du comportement est jugé grave s’il met en danger, réellement ou potentiellement, l’intégrité physique ou psychologique de la personne, d’autrui ou de l’environnement ou qu’il compromet sa liberté, son intégration ou ses liens sociaux »24. Les comportements-problèmes composent donc une très large catégorie de troubles aux conséquences variées, parfois légères, parfois dramatiques. o les conduites sociales et sexuelles déviantes (fugue, masturbation en public, etc.), o l’auto-agressivité ou automutilation, citée au-dessus, qui peuvent s’apparenter seulement à un arrachage de cheveux ou aller jusqu’à mettre en péril le pronostic vital de la personne, Ces différents types de comportements identifiés, le plus difficile demeure toutefois d’en comprendre les fondements. De nombreux travaux ont porté sur la question et ont permis de mettre en avant une origine multifactorielle avec des facteurs psychologiques, psychiatriques, liés aux habilités déficitaires, contextuels, etc. Une corrélation entre la gravité des troubles et celle des facteurs est aujourd’hui prouvée sans confirmer qu’ils en soient la cause première. Cela étant dit, le facteur contextuel semble se distinguer. Pour Gloria Laxer, l’origine des comportements-problèmes s’explique par des « sensibilités particulières à certains stimuli o les autostimulations et stéréotypies déjà mentionnées. Aux expressions multiples (balancement, grincement de dents, sons répétitifs, etc.), elles sont sans danger pour la personne bien que pouvant entraver l’apprentissage. Par contre, elles peuvent être difficilement supportables pour l’entourage. o les destructions matérielles, associés à de la casse parfois sans cesse répétée. Une formatrice25 expliquait comment, dès l’ouverture d’un centre, il y avait eu pour environ 200 000 euro de travaux. Toutes les portes de placard notamment, coulissantes et peu résistantes, étaient à remplacer. Sont répertoriés : o l’hétéro-agressivité, qui correspond à un spectre aussi large mais dont les conséquences physiques ou psychologiques sont subies par une autre personne, DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 76 24 TASSEE et al., 2010, cité par : Ibid, p. 72 23 Gloria Laxer, formatrice en autismes et mère d’un adulte autiste vivant en MAS, entretien effectué le 23 mai 2015 25 27 auditifs, visuels, tactiles ou olfactifs qui sont si violentes qu’elles déclenchent des comportements parfois très difficiles »26. Ils apparaissent a priori pour plusieurs raisons : de façon impulsive sans pouvoir s’arrêter, comme un moyen de communication ou si la personne a mal. Mais, c’est bien la difficulté de cette dernière à comprendre le contexte global, associée à l’altération de la communication verbale et non verbale, qui implique cette impossibilité d’exprimer autrement que par l’action toute source de gène ou de souffrance... Il ressort que la cause environnementale, plus ou moins amplifiée par les capacités propres aux individus, serait transversale aux différentes significations des troubles du comportement et à l’origine de ceux-ci. pense pas. »27 C’est pourquoi l’attention représente la première compétence requise pour l’accompagnement des personnes porteuses de troubles autistiques et l’adaptation de l’environnement un facteur déterminant dans leur bien-être quotidien, préalable à l’intervention. TREHIN Paul & LAXER Gloria, Les troubles du comportement. Associés à l’Autisme et aux Handicaps Mentaux. Paris, Broché, 2008, p. 67 27 L’ARCHITECTURE AU CŒUR DU VÉCU AUTISTIQUE | C’est premièrement sur le plan sensoriel que l’appréhension de l’environnement par les personnes autistes se distingue du « normal ». Leur surfonctionnement perceptif amène à une importance démultipliée des sensations. N’utilisant globalement qu’un seul canal sensoriel à la fois, ils reçoivent les stimuli en excès et de manière chaotique. Les forcer à focaliser leur attention sur une chose en particulier peut occasionner une grande confusion. En quelques mots, trop d’objets, de mouvements, de bruits, provoquent un stress important, une totale impossibilité de se concentrer, etc. Ou, à l’inverse, certains vont chercher à s’autostimuler en cas d’hyposensibilité. La pensée en détails, toutes les particularités perceptives et cognitives et les activités singulières qui en découlent influencent également leur rapport à l’espace. « Pénétrer dans le monde de l’autisme, c’est comme entrer dans un immense tunnel noir, en grande courbe, dont on aperçoit avec peine, inaccessible et Au quotidien, la qualité de vie des personnes autistes peut être alors considérablement dégradée par leurs particularités sensorielles et perceptuelles si aucun aménagement n’est effectué, souvent parce que ces particularités ne sont pas identifiées. L’environnement ne peut expliquer la totalité des désagréments, du stress ou de la souffrance vécus par les individus. Néanmoins, observer attentivement la manière dont la personne est capable d’apprécier ou non son environnement peut permettre d’y répondre pertinemment comme l’expliquait une éducatrice spécialisée. Pour elle, les troubles surviennent principalement quand les intervenants ne comprennent pas ce que cherche à exprimer la personne et que l’environnement reste en conséquence inadapté. « C’est tellement évident qu’on y Isabelle Lasnier, éducatrice spécialisée de la FAM l’Adret (département de l’Aube), entretien téléphonique réalisé le 13 mai 2015 26 28 au très loin, la petite et vacillante lueur de sortie » suggère J. F. Chossy28. donc inconsciemment plus attentives et dépendantes de la qualité de l’espace qui les entoure. Le caractère fixe de l’espace, la confiance qu’il offre par là, semble alors particulièrement rassurant pour les personnes autistes, plus rassurant que les individus qui s’y trouvent. « Because of important reasons I can find safety only in things. People are incalculable and distinct monsters. »29 Ces propos corroborent le succès que rencontre le robot intelligent NAO utilisé, de manière expérimentale pour l’instant, comme aide à l’apprentissage auprès d’enfants autistes. Le non humain est plus stable et prédictible. Comme mentionné précédemment, ce phénomène est à mettre en lien avec la vision périphérique surdéveloppée chez ces personnes. Pallasmaa explique que c’est elle qui « nous enveloppe dans la chair du monde » tandis que « la vision nette nous confronte avec [ce dernier] ».30 D’après lui, l’étrangeté ressentie aujourd’hui serait causée par la pauvreté de cette vision périphérique délaissée au profit de la vision frontale. Pourtant, « la qualité de la réalité architecturale semble dépendre fondamentalement de la nature de la vision périphérique qui enveloppe le sujet dans l’espace. »31 Les personnes autistes sont davantage portées sur celle-ci de par leurs troubles. Elles seraient Si l’espace peut ainsi s’apparenter à un repère, il peut également présenter un aspect aussi inattendu qu’incompréhensible. « There must be a sign of some sort on the doors, because the others didn’t hesitate over where they should go » raconte Gunilla Gerland. Cherchant à expliquer l’autisme de l’intérieur, elle continue « maybe the others knew automatically which lavatory they should go into, and so needed no special labels in the way I did. Perhaps they had innate abilities for knowing that kind of thing ? »32 Mais la logique cachée associée à l’espace ne va pas de soi, elle est apprise et s’affirme en fonction des expériences passées. Les difficultés d’apprentissage liées aux troubles autistiques, menant à une moindre prise des conventions sociales et autres normes culturelles sur eux, entérinent de fait l’interprétation atypique que ces personnes soutiennent de leur environnement. Pareil à un voyageur en pays étranger, la personne porteuse d’autisme va voir, sentir, entendre, etc. les éléments de son environnement sans y prêter le sens que la plupart des individus d’une même culture partagent un tant soit peu. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de sens mais que celui-ci diffèrera. Un bon nombre de personnes autistes éprouvent par exemple des difficultés à franchir les portes. Une des jeunes femmes accueillie à l’Adret aurait pu rester des heures devant, incapable de passer de l’autre côté, si elle n’était pas accompagnée. Désormais elle n’a plus besoin que de sentir la main d’un éducateur dans son CHOSSY Jean-François, député ayant notamment impulsé la loi sur le handicap de 2005. Cité par : I. Lasnier. 29 BIRGER Sellin,1993, cité par : BAUMER Stijn, HEYLIGHEN Ann, « Beyond the Designers’ View: How People with Autism Experience Space », Design Research Society Conference 2010, n°8, p. 3 30 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 10 31 Ibid, p. 13 28 GERLAND G., 1996, cite par : BAUMER Stijn, HEYLIGHEN Ann, « Beyond the Designers’ View: How People with Autism Experience Space », Design Research Society Conference 2010, n°8, p. 4 32 29 dos ou d’être guidée à distance33. Au vu de cela, il est possible de se questionner sur la signification d’une porte pour elle. Est-elle l’ouverture dans la paroi qui permet de circuler d’une pièce à l’autre ou peut-être un élément de cette paroi, a priori fermé, promesse de tranquillité ? Ou peut-être est-ce le fait de ne pas voir ce qu’il l’attend derrière qui la retient ? Et qu’en est-il de la personne qui, après une chaude après-midi, se met à danser quand la pluie commence à tomber...34 Est-elle contente de voir les gouttes de pluie, ou de les entendre, frapper les vitres ? Est-ce le changement de lumière ou de température ? Autre chose ? experiencing different dimensions of that space. »35 Chez les personnes autistes, la conscience directe de l’expérience de l’espace est plus fine sur certains aspects, plus minutieuse quelque part, bien que, trop souvent, ne soient relevées seulement les conséquences dramatiques auxquelles elle peut conduire. Si ces personnes peuvent paraître coupées du monde, entrant difficilement en contact avec l’Autre, il est vraisemblable qu’elles soient en réalité davantage connectées à leur environnement que cet autre « normal ». Elles reçoivent brutalement ce que l’espace a à leur proposer et sont plus réactives aux sensations/perceptions désagréables. L’enjeu architectural est alors « de penser l’environnement extérieur pour obtenir un apaisement intérieur »36 et, grâce à cela, inciter un tant soit peu une ouverture vers autrui. Les compétences des concepteurs sont indispensables pour ce faire. Il n’y a pas à définir de manière exhaustive comment les personnes autistes font l’expérience du monde, ce serait comme chercher à le faire pour les neuro-typiques. Chaque personne selon ses capacités propres, sa personnalité et son vécu, interprète son environnement intimement. Il en est de même des personnes porteuses d’autisme. Toutefois, la manière dont ces personnes expérimentent globalement l’espace atteste d’à quel point cela va au-delà d’exécuter une action dans un lieu, à quel point tous nos sens sont sollicités. C’est possiblement là que réside l’essence de la profession de l’architecte. L’espace est complexe par ses nombreux aspects qui s’entremêlent et l’architecte est celui qui les définit. « Even the smallest details of the built environment can attract the attention, and in this way, using space includes seeing, hearing, feeling, smelling... and thoroughly Ainsi la particularité des troubles autistiques est de commander intimement à l’architecture de répondre aux besoins sensoriels et perceptifs qui en découlent, de s’adresser à tous les sens. L’épanouissement et le bien-être de personnes autistes y sont directement corrélés. L’environnement dans son ensemble peut donner des clés de compréhension, des points de repères, d’ancrage et d’appui. « Nous pouvons agir sur les contextes environnementaux : l’espace, le mouvement, le temps, la lumière, la densité, le bruit, la qualité et le nombre de personnes présentes, les informations qui Isabelle Lasnier, éducatrice spécialisée de la FAM l’Adret (département de l’Aube), entretien téléphonique réalisé le 13 mai 2015 34 GERLAND G., 1996, cite par : BAUMER Stijn, HEYLIGHEN Ann, « Beyond the Designers’ View: How People with Autism Experience Space », Design Research Society Conference 2010, n°8, p. 5 33 Ibid, p. 6 CONSTANT Jacques, La maison pour personnes autistes du département d’Eure et Loire, ANCRA, 2009, p. 11 35 36 30 circulent (de un par un à tous en même temps ?). Aménager le contexte environnemental, c’est compenser (autant que possible) cette difficulté à moduler les entrées sensorielles. Il s’agit de toutes les adaptations collectives et individuelles mises au service de la compréhension. »37 D’autant qu’ « à la problématique touchant le référentiel spatial, se greffe […] une incapacité ou une grande difficulté pour la personne [autiste] d’accéder à la possibilité d’intégrer une temporalité, faite d’un avant, un pendant et un après. »38 Cela rejoint la pensée de Pallasmaa sur l’architecture. Elle « est notre instrument premier pour nous relier à l’espace et au temps et donner à ces dimensions une mesure humaine. Elle domestique des espaces sans limite et un temps sans fin, pour les rendre supportables, habitables, compréhensibles à l’humanité. »39 Les difficultés auxquelles amènent les troubles autistiques appellent d’autant plus à la stabilité de l’architecture comme cadre et ancrage dans le monde. Sans verser dans un couplet sur la différence minimisant les troubles, la stabilité semble être un besoin humain qui se trouve décuplé chez les personnes autistes. autismes mais, à l’occasion de ceux-ci, il est possible de reposer la question. Cette dernière résonne en effet avec des interrogations plus générales concernant l’importance première de notre relation à l’architecture, de la nécessité qu’elle réponde à des besoins humains ou encore de la manière dont elle peut prendre en compte la diversité humaine. L’évolution des connaissances a permis que les lieux de vie soient davantage adaptés aux besoins des personnes autistes. Il pourrait y avoir un intérêt à étudier leurs principes de conception qui permettent d’hors-et-déjà de jongler entre hypo- et hypersensibilités, tout en respectant la singularité de chaque individu. Sources d’information ou pistes de réflexion, ils viendront peut-être enrichir une réflexion plus générale sur la manière de rendre les lieux davantage bienveillants, c’est-à-dire, prenant en compte la diversité humaine. Comme Magda Mostafa, déjà citée en introduction, le rappelle : « architecture, as a profession, is responsible for creating environments that accommodate the needs of all types of users »40. Les sensations distales, brouillant la compréhension de l’environnement, seraient alors des points sensibles qui nécessiteraient d’être quelque peu contrôlées. Celles proximales seraient à réinvestir pour ancrer l’humain dans la matérialité de ce qui l’entoure. Les autismes sont révélateurs de l’impact de l’environnement sur notre vécu autant que de la diversité interprétative qui découle nécessairement de ses dimensions plurielles. Cela dépasse les SADOUN, 2006, cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 90 38 COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, LAF-ENSAL, 2009, inédit, p. 7 39 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 19 37 MOSTAFA Magda, « An architecture for autism: concepts of design intervention for the autistic user », International Journal of Architectural Research, volume 2, 2008, p. 189 40 31 VERS UNE BIENVEILLANCE ARCHITECTURALE AUTISMES ET ARCHITECTURE : DU BIEN-ÊTRE À L’INCLUSION | La prise en compte des troubles autistiques dans la conception architecturale est une problématique récente qui fut soumise aux nombreux débats les concernant. Au regard de la réflexion sur les troubles eux-mêmes, débutée il y a environ un siècle, celle sur l’adaptation de leur environnement n’a qu’une quarantaine d’années, moitié moins dans le cas de la France. Elle s’est développée en parallèle d’un certain nombre d’évolutions plus générales tant scientifiques que médicales, politiques et plus largement sociétales qui tendent toutes vers une importance accrue à donner à l’architecture et à l’aménagement de l’espace1. Toutefois, le peu de temps écoulé depuis l’émergence de cette problématique ne peut permettre aujourd’hui d’en relativiser le crédit de par les bienfaits déjà observés. 1 32 De la psychologie environnementale aux lois sur l’accessibilité, etc. Les premières interprétations de l’étiologie des troubles avaient conduit à isoler les personnes porteuses d’autisme, quelque soit le pays. Conformément à ce qui a été exposé plus tôt, les théories psychanalytiques accusaient les parents. Elles imposaient en raison de cela d’extraire les enfants de leur cadre familial toxique. « Enfants de l’Etat », l’objectif était de les « sortir de l’autisme »2 et cela ne pouvait se faire que loin de leur famille... Ils se trouvaient enfermées dans les instituts et autres hôpitaux psychiatriques toute leur vie durant. Le caractère artificiel et impersonnel de ces lieux isolés contribuait à la ségrégation de ces individus autant qu’à leur mal-être. Enfermés entre quatre murs, ignorés de la société, ils n’avaient, de plus, presque aucun droit. Constatant l’échec voire l’inhumanité de cette démarche, les familles furent les premières à se battre pour sortir leurs proches des instituts psychiatriques puisqu’il s’avérait, dans tous les cas, impossible de les sortir de l’autisme3. handicap. Les mentalités changeantes, décuplant l’importance des concepts de qualité de vie et d’inclusion4, ont fini d’élargir à toutes les sphères de la société la réflexion sur la prise en compte des personnes autistes en tant qu’individu à part entière. Toutes ces dimensions ont impacté sur la manière de concevoir et d’aménager l’espace qui demeure, quelque soit la problématique, un impondérable. Mais c’est bien la translation des autismes, d’une maladie vers une manière d’être au monde singulière, qui opéra le changement le plus important en termes de prise en compte spatiale et sociale. Le chemin à parcourir est encore long mais il faut souligner l’évolution certaine de ces trente dernières années. « Autistes : une place parmi les autres ? », Arte Documentaire 2015 En France, la loi du 11 décembre 1996 permit, grâce aux familles, « de faire sortir la problématique des personnes autistes et de leur familles de la sphère privée, familiale et médicale. » PRADO Christel, Le coût économique et social de l’autisme, Paris, Les éditions des Journaux Officiels, 2012, p. 4 4 En effet, depuis les années 80 avec le phénomène de désinstitutionalisation5, les pays européens ont pris différentes orientations dont les résultats positifs sont aujourd’hui constatés. Loin de ne concerner que le logement, elle a d’ailleurs induit dans certains pays une réflexion davantage tournée vers d’autres sphères de la société : l’école et le travail. En Italie, le principe de l’école pour tous conduit à l’inclusion systématique des enfants en milieu scolaire ordinaire. Le changement de paradigme s’articule autour de la place des enfants dans la société de manière générale. Cette place est à l’école où chaque enfant doit trouver l’accompagnement adapté à ses capacités et les aménagements nécessaires pour permettre son développement. Aujourd’hui, les instituteurs s’accordent sur la L’accroissement des connaissances sur les troubles et l’évolution des méthodes de prises en charge, détaillés en première partie, apportèrent les premiers arguments en faveur d’une désinstitutionalisation à l’origine de la transformation des lieux de vie. Par suite, elle s’est vue notamment soutenue par une évolution politique mettant en avant des droits universels, donc valables pour tout citoyen sans distinction, par des modifications législatives correspondantes et conjointes au glissement sémantique du terme de EBERSOLD Serge, « Autour du mot, « Inclusion » », OCDE/ETP, Recherche et formation, n°61, 2009, pp. 71-83 5 IONESCU Serban, DELVILLE J., COLLIGNON J.L., MERCIER M., L’intervention en déficience mentale. Théorie et pratique, Lille, Presse univ. Septentrion, coll. « UL3 », 1992, p. 30 2 3 33 transmission de valeurs morales que permet cette démarche. « Ces enfants testent notre résistance à l’accueil de l’autre. La différence est telle qu’on doit vraiment choisir. J’accepte cette personne et je vais à sa rencontre ou alors je la rejette » explique une directrice d’école. Et d’ajouter « lorsque l’école est adapté aux enfants autistes, s’est en fait à tous les enfants qu’elle s’adapte. »6 En Allemagne, c’est de la même manière qu’a été traitée cette question mais en direction de l’insertion des adultes. En résumé, on note premièrement une direction générale donnée par l’état. Il s’ensuit une adaptation physique, sociale, etc. du contexte environnemental au cas par cas et finalement des conséquences favorables pour les personnes porteuses d’autisme autant que pour celles « normales » qui les côtoient. Dans un restaurant berlinois par exemple, l’emploi d’un adulte autiste a requis certaines adaptations. La lumière est plus douce, l’attitude du personnel plus calme, l’ambiance sonore faible... ces aménagements permettent à la personne de travailler et d’être particulièrement efficace. D’après le directeur de l’établissement, cette situation est bénéfique pour toute l’équipe bien qu’elle contraste avec l’effervescence des cuisines du monde de la restauration, a priori norme universelle7. d’insertion professionnelle.8 Quelques soit leur degré d’autisme, les personnes se retrouvent dans la majorité des cas seules chez elles sauf lorsqu’elles se rendent, pendant la journée dans des services d’hôpitaux spécialisés. 9 Pour ce qui est du logement, ce n’est qu’au milieu des années 2000 que l’Etat s’engagea dans la construction de structures spécialisées. Le manque de place reste considérable tandis que la taille des structures et leur implantation, la plupart du temps isolées de la société, interpellent. A l’opposé de la Suède, félicitée pour son inclusion des personnes autistes, la France a opté pour des lieux de vie accueillants de nombreuses personnes, 24 minimums. Non sans rappeler la construction des cités dans les années 60, ce choix fait dans l’urgence peut sembler plus efficace car il offre en un seul projet plus de places. L’infrastructure que cela nécessite ne rend pas moins coûteux ces projets que ceux n’accueillants que six personnes en Suède, comme le contraint le cadre légal, les activités s’effectuant dans d’autres édifices. En outre, cela pose la question de l’inclusion. Sortis des hôpitaux psychiatriques, les personnes autistes se trouvent à nouveau dans un seul et même lieu pour le reste de leur vie10. Ces lieux sont aujourd’hui mieux adaptés à leurs besoins et face à l’inadaptation de la société, il semble préférable de dire que c’est une chance bien que les personnes n’en demeurent pas moins isolées. Toujours est-il que la France demeure dramatiquement à la traine. Elle a été plusieurs fois condamnée pour son incapacité à prendre en compte les personnes autistes tant en termes de logements que de méthodes de prise en charge, d’inclusion scolaire ou encore 6 7 Seulement 20% des enfants autistes seraient scolarisés en France et dans les 6% de personnes handicapées que doivent employer les entreprises, les personnes porteuses d’autisme n’apparaissent même pas. « Autistes : une place parmi les autres ? », Arte Documentaire 2015 9 LANGLOYS Danièle, « 2012, l’autisme grande cause nationale : quel bilan provisoire ? », autisme-France.fr, 2013, 9 p. 10 « Autistes : une place parmi les autres ? », Arte Documentaire 2015 8 « Autistes : une place parmi les autres ? », Arte Documentaire 2015 Idem. 34 La problématique de l’inclusion prend finalement différentes formes pour les personnes autistes, comme pour tout un chacun. En parallèle de leur qualité de vie et découlant de celle-ci, l’inclusion se trouve au cœur des réflexions actuelles les concernant. Elle peut être fortement conditionnée par l’orientation de choix architecturaux qui les dépassent. Le politique, le social et le médical s’y croisent requérant invariablement une réflexion spatiale depuis l’échelle de la ville jusqu’à celle de l’édifice. C’est ce qui est développé dans plusieurs colloques et travaux récents. Ils prônent tantôt la nécessité pour tous d’adapter la ville aux plus vulnérables, promouvant une certaine idée de la tolérance ou simplement de la praticité11, tantôt que les personnes autistes pourraient être une source d’informations pour rendre, à tous, la ville plus agréable12. Pour ce qui est de l’architecture, elle apparait un levier essentiel pour répondre à ces questions. Ce n’est pas sans condition et les autismes semblent les révéler dans toute leur ampleur : de la prise en compte d’une perception individuelle, basée sur un fonctionnement biologique et des personnalités uniques, à une inclusion groupale, problématique purement sociale. travaux13. Elles sont, dans une certaine mesure, partagées à travers les différents pays. A ce jour, ces recherches restent relativement éparses et l’étayage scientifique très relatif ce qui pour certains devrait engager à les relativiser. Toutefois, les constats effectués par les professionnels et les familles, l’expertise qu’ils ont acquise au sein des lieux de vie et ailleurs, permettent d’établir une liste précise des différentes variables morphologiques ou d’ambiance influant sur le bien-être des personnes autistes. Les constats empiriques se trouvent, la plupart du temps, étayés par les thèses et études scientifiques. Cela s’explique par cette observation aigüe, particulièrement fiable pour cela, qui a été remarquée pour être la première compétence dans l’accompagnement de ces personnes. Par ailleurs, l’interaction évidente entre les variables conduit à privilégier l’énonciation de principes de conception qui intègre, de fait, la juxtaposition et l’interdépendance de plusieurs d’entre elles. Les plus notoires sont : la structuration de l’espace, appelée ici cohérence, et la diversité d’ambiances proposée au sein d’un lieu. Thématique centrale du colloque : Peut-on prétendre à des espaces de qualité et de bien-être ?, textes des communications, Colloque international, Angers, 2004, 100 p. Egalement de l’article : BANNERT Sophia, « The Architect and the Accessible City: The Prize-Winning Essay », Archdaily, 2013. 12 MASSON Benoît, Autisme(s) et désinstitutionnalisation. Des critères pour penser la « Ville Intense » ?, mémoire de Master 2. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille, 2013, 140 p. 13 Aussi, quelque soit la taille des lieux de vie ou qu’il s’agisse des autres espaces de la société, un certain nombre de variables architecturales ont été identifiées et détaillées dans plusieurs Notamment en France : AZEMA Bernard, CADENEL Annie, LIONNET Pierre, MARABET Bénédicte, L’habitat des personnes avec TED, du chez soi au vivre ensemble, Paris, ANCREAI, étude réalisée sous la DGCS, 2011, 168 p. et Analyse de la littérature. Réalisation d’une analyse de la littérature portant sur l’accompagnement dans la vie quotidienne et les activités des personnes accueillies en Maison d’accueil spécialisée (MAS) et en Foyer d’accueil médicalisé (FAM), Paris, ANSEM, 2012, 132 p. 11 35 LE PRINCIPE DE COHÉRENCE DES ESPACES | Selon l’étymologie du mot, un repère qualifie un lieu protecteur et sécurisant. Il permet aussi de guider l’individu grâce à une certaine maîtrise et reconnaissance de son environnement. Lié à la structuration et aux repères, la sécurité est bien nécessaire à une personne pour se réaliser. Dans la pyramide de Maslow, les besoins humains se trouvent hiérarchisés de ceux primaires vers ceux d’ordre supérieur, l’intégration des premiers déterminant le passage au stade suivant. La sécurité incarne alors le premier besoin psychologique juste au-dessus de ceux physiologiques dont la survie dépend. Toute personne peut se sentir menacée en milieu inconnu et doit trouver alentours des points d’appui pour se rassurer, s’orienter... L’architecture est donc un puissant outil de structuration et de repérage à travers le temps et l’espace, pour reprendre les propos de Pallasmaa déjà cités. Elle « s’impose en permanence à tous ceux qui en sont les usagers, voire aux simples passants. »15 Elle s’impose, dans le registre de la contrainte, mais inversement accompagne voire protège. Ce serait d’ailleurs son but premier : « un espace architectural encadre, arrête, renforce et fixe notre pensée, l’empêchant de divaguer »16 raconte le même auteur. En partant de l’échelle de la société et de son mode d’établissement, cette dernière se doit de se structurer afin de permettre son développement cohérent et de garantir sa pérennité. L’organisation sociale s’appuie sur des règles, des lois, des repères, etc. qui imprègnent l’ordre spatiale. « De la signalisation routière aux horaires de transports collectifs, [...] nous utilisons divers moyens et outils pour nous repérer dans le temps et dans l’espace. »14 La structuration et les repères sont essentiels à la société car répondent à un besoin humain. Dans le cas des personnes autistes, cette capacité du « cadre » bâti revêt une importance accrue puisqu’elle aide à la centration du sujet, prothèse essentielle à ceux qui perçoivent mal la limite de leur corps. Nous l’avons vu, « le fait de se sentir perdu dans un lieu, de ne pas comprendre ce qui s’y passe, de ne pas pouvoir anticiper les Principe de structuration de l’espace de l’urbain : de la théorie extrême des modernes jusqu’au détail du traitement des sols des Champs-Elysées (Bernard Huet, 1924) LAGEUX Maurice, « L'architecture a-t-elle une fonction éthique ? À propos d'un livre de Karsten Harries », Dialogue, 1999, p. 576 16 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 52 15 Isabelle Lasnier, éducatrice spécialisée de la FAM l’Adret (département de l’Aube), entretien téléphonique réalisé le 13 mai 2015 14 36 événements plonge les adultes [autistes] dans une insécurité qui leur provoque des états d’angoisses »17 bien plus intenses que pour l’individu dit « normal ». Les comportements problèmes exposés précédemment en sont la conséquence majeure, à mettre en lien avec le mode perceptif des personnes autistes, leur pensée en détails qui ne leur permet pas d’expliquer le contexte global. Le premier enjeu est ainsi de rendre l’architecture rassurante et, pour ce faire, qu’elle soit compréhensible. Il est question de structurer les lieux mais en association intime d’une lisibilité et d’une certaine contenance de ceux-ci, d’où la notion de cohérence des espaces qui rassemble ces paramètres complémentaires. La structuration prend d’abord forme à travers l’organisation spatiale par une certaine simplicité organisationnelle. La simplicité des formes, c’est-à-dire une réduction du niveau de détails, permet entre autres d’y répondre dans la conception architecturale. Ces éléments complémentaires sont essentiels pour Alice Yardley, professeure et auteure, aussi bien pour la compréhension de l’espace que pour la stimulation de l’imaginaire, valables pour tous et particulièrement pour les enfants18. Le traitement d’un espace complexe s’impose en effet à la perception différemment de celui d’un espace plus simple et lisible qui lui laisse une plus grande marge de manœuvre à l’esprit. « Si la composition architecturale se fonde sur la dysharmonie et la fragmentation, sur des rythmes heurtés, sur des clusters (sons en grappe) et des ruptures structurelles, l’œuvre pourra certes communiquer un message, mais la curiosité s’arrêtera à la compréhension de ce message, et la question de l’utilité de l’objet pour la vie pratique sera négligée » explique Zumthor19. Allant dans ce sens, Humphreys, architecte spécialisé dans l’autisme, raconte d’ailleurs comment une disposition claire des espaces permet de La compréhension accrue de l’espace par la simplicité organisationnelle et la réduction des détails : Abbaye cistercienne (prise en exemple par Humphreys dans ses écrits) et la Maison Jeju (Alvaro Siza, 2010) « La sobre simplicité des murs de pierres, du sol et du plafond [...] n’est pas rompue par de complexes ornements ou fioritures, source de distraction. »(Humphreys) YARDLEY Alice, 1973, cité par : JACQUES Christelle, Épanouissement sensoriel : La diversité architecturale du milieu de garde inclusif intégrant des enfants atteints de troubles envahissants du développement, Mémoire de fin d’études, Ecole d’Architecture de l’Université de Laval, Québec, 2013, p. 9 19 ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Suisse, Birkhauser Verlag AG, 2007, p. 12 18 Isabelle Lasnier, éducatrice spécialisée de la FAM l’Adret (département de l’Aube), entretien téléphonique réalisé le 13 mai 2015 17 37 limiter la confusion. « Si un bâtiment ou un ensemble de bâtiments est conçu d’une manière simple et évidente, cela demandera moins d’efforts à la personne pour l’utiliser et s’y sentir bien. [...] Un bâtiment conçu avec un sens de clarté et d’ordre a un effet apaisant chez l’utilisateur, qu’il soit autiste ou non ; la stimulation étant réduite. »20 Une des éducatrices de l’Adret racontait cela dans ses termes expliquant à quel point il était agréable de travailler en ces lieux21. Stéphane Courteix expose également cette importance, aujourd’hui reconnue, de structurer l’environnement afin de donner des repères aux personnes porteuses d’autisme à l’intérieur du bâtiment. Il insiste sur la nécessité « « d’augmenter la lisibilité environnementale d’un lieu » en le dotant de caractères stables, spécifiques à son usage, et suffisamment différenciés d’avec les autres »22. Cela répond à leur besoin d’immuabilité tout en étant un soutien lors des déplacements. Néanmoins, tout demeure question de mesure car un environnement totalement permanent, trop protecteur, conduirait à une ritualisation à l’extrême pour ces personnes, tout aussi anxiogène et les enfermant toujours plus dans leur espace propre, replié sur lui-même, sans passerelle vers autrui. La modularité et l’évolution sont possibles, il est seulement préférable de les limiter et de les prévoir, d’en parler si possible aux personnes concernées. MAS de Coüeron, organisation spatiale simple par le redécoupage des unités de vie et une morphologie des espaces spécifiques à leurs usages (GPAA, 2014) Salle de balnéothérapie (MAS de Coüeron) HUMPHREYS Simon, « Architecture et Autisme », Link Autisme Europe, Bruxelles, n°55, 2011, p. 9 21 Isabelle Lasnier, éducatrice spécialisée de la FAM l’Adret (département de l’Aube), entretien téléphonique réalisé le 13 mai 2015 20 Aire de circulation d’une unité CHARRAS, cité par : COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 13 22 38 Le premier caractère stable des espaces, permettant de les diversifier autant que de les rendre reconnaissables, est celui dimensionnel. D’autres, d’ambiance notamment, seront abordés plus tard. L’intimité ou l’attrait pour un espace spécifique est propre à chaque individu. C’est pourquoi il semble important dans la conception de proposer une variété dans les dimensions des espaces, de l’alcôve à des pièces plus vastes, pour que tout le monde y trouve son compte. Au sein de l’Adret, « le constat est fait que des lieux semblent plus investis et avoir un intérêt plus grand que d’autres, tels que : les espaces de musique, un pouf pour se détendre, les bancs du hall d’entrée [...], la cour extérieure, la chambre pour les internes. »23 La morphologie des circulations peut ainsi créer des séquences spatiales qui préparent au changement et limitent la déambulation. D’autant que les longs couloirs rectilignes ne semblent propices à personne. Ils rappellent la surveillance, contraignent l’action, ce qui influe sur certaines capacités de leurs usagers. « A. Baum et S. Valins (1977) ont [...] étudié l’impact des couloirs de résidence universitaire sur les capacités de socialisation. Il en ressort que les étudiants accueillis dans les résidences avec des longs couloirs présentent des comportements moins enclins à favoriser les interactions que les étudiants qui évoluent dans un espace comprenant des couloirs plus courts et un espace central. »25 Exemple de morphologies possibles par Christelle Jacques Les circulations constituent un autre paramètre essentiel à la lecture de l’espace. L’architecte Magda Mostafa24 les évoque de nombreuses fois dans ces écrits expliquant qu’ils vont bien au-delà des pictogrammes souvent énoncés comme LA solution de guidage. « Aire de circulation » (Beaver) Isabelle Lasnier, éducatrice spécialisée de la FAM l’Adret (département de l’Aube), entretien téléphonique réalisé le 13 mai 2015 24 MOSTAFA Magda, « An architecture for autism: concepts of design intervention for the autistic user », International Journal of Architectural Research, volume 2, 2008, p. 190 23 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 29 25 39 En sortant du modèle des longs couloirs rectilignes, les circulations peuvent alors faciliter la fluidité des déplacements et augmenter la lecture globale de l’espace. Car si l’organisation et la morphologie des espaces jouent un rôle décisif, c’est que l’architecture « amorce, dirige et organise le comportement et le mouvement »26, le mouvement étant le mot clé dans cette citation de Pallasmaa. Répondant à cela, Berthoz indique que « la perception […] doit trouver alentour des objets naturels ou artificiels qui évoquent l’action »27, l’affordance anglaise. En effet, nos perceptions sont en premier lieu informées par le sens musculaire qui colore toutes nos sensations qu’elles soient visuelles ou autres. Comme nous l’avons vu, les personnes porteuses d’autisme sont particulièrement influencées par celui-ci. D’après plusieurs auteurs, elles montreraient d’ailleurs une préférence pour les courbes qui convoquent davantage les mouvements du corps, les formes organiques, etc. Christopher Beaver, par exemple, mentionne qu’elles sont plus friendly pour les personnes porteuses d’autisme. 28 « Learning street » (Hertzberger) Couloir avec espace central, FAM de l’Adret Loin d’une conception allant vers une profusion de courbe qui viendrait complexifier l’espace, il y aurait un juste milieu à trouver dans lequel les éléments de détails auraient leur importance. Pour PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 71 27 BERTHOZ Alain, Le sens du mouvement, Paris, Edition Odile Jacob, 1997, p. 278 28 MESMIN, 1973, DAY, 2007, BEAVER, 2006, cité par : JACQUES Christelle, Épanouissement sensoriel : La diversité architecturale du milieu de garde inclusif intégrant des enfants atteints de troubles envahissants du développement, Mémoire de fin d’études, Ecole d’Architecture de l’Université de Laval, Québec, 2013, p. 29 26 Circulation ondulante (Castro) 40 Berthoz, les « volumes infiniment variés » des balcons parisiens « encadrent » la vue mais sont aussi « évocateur de mouvement ».29 Par ailleurs, au-delà d’appeler à l’action, les courbes présentent l’avantage d’être plus sécuritaires car suppriment les angles qui portent en eux une certaine dangerosité, les rendant plus accueillantes. Ayant déjà mentionné le principe de contenance, ce dernier se réfère principalement à la perméabilité des espaces entre eux et à la limite dedans/dehors. « L’architecture connaît deux manières fondamentales de définir un espace : le corps fermé, qui isole en son intérieur un espace, et le corps ouvert, qui entoure un fragment d’espace relié à l’infini du continuum spatial » rappelle Zumthor30. Aujourd’hui, il semble que les limites, la contenance donc, s’amenuisent dans ce que Koolhaas nomme le junkspace : « toujours intérieur, et tellement extensif qu’on en perçoit rarement les limites ; il favorise la désorientation par n’importe quel moyen (miroir, surface lisse, écho)… »31 Pour les personnes autistes, il est apparu à l’inverse nécessaire de limiter les stimuli et, par là, de construire l’espace par des barrières physiques. En un mot, le délimiter pour éviter confusion, surexcitation et désorientation. « Les études et compte-rendu d’expériences sur le terrain incitent [...] à éviter les espaces totalement dégagés exposant au regard de l’autre (grandes pièces rectangulaires, longs couloirs), pour privilégier des espaces contenants où le contact visuel est plus cadré » mentionne Courteix32. Il ne s’agit pas d’enfermer les personnes dans des lieux clos, mais de permettre une compréhension des espaces et de leurs limites, vecteur de sécurité. Comme l’expose Humphreys, « l’histoire et la nature montrent que cela peut s’obtenir de manière Les murs courbes qui orientent et guident mais préservent des vues directes. Simon Humpreys utilise alors la suite de Fibonacci, système de proportionnalité ancien permettant à l’homme de reconnaître la « beauté de façon directe et intuitive. » « La nature a donné l’inspiration à nos ancêtres et les dieux leur ont donné la capacité de l’imiter. » (Vitruve) ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Suisse, Birkhauser Verlag AG, 2007, p. 21 31 KOOLHAAS Rem, Junkspace. Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot, 2011, p. 82 32 COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 18 30 BERTHOZ Alain, Le sens du mouvement, Paris, Edition Odile Jacob, 1997, p. 280 29 41 subtile. Bien que fermée, cette cour Zen ne donne pas l’impression de restriction. »33 Plan de l’Eveil du scarabée avec son espace central fluide et des sousespaces délimités qui restent ouverts (Negroni- archivision) Deux manières d’exprimer la contenance des espaces : avec des murets et par une ouverture dans la paroi (Hôpital psychiatrique Friedrichshafen et MAS de Coüeron, GPAA) Cour zen (citée par Humphreys) absolument définie. HUMPHREYS Simon, « Architecture et Autisme », Link Autisme Europe, Bruxelles, n°55, 2011, p. 12 33 42 Toutefois, la contenance ne peut être entendue comme une absence de fenêtre. La limite dedans/dehors étant établie par la proportion de vitrage sur l’extérieur, il est alors conseillé de modérer celle-ci pour éviter le stress ou encore les distractions pour les personnes porteuses d’autisme. Mais des études récentes expliquent que « maybe what is viewed matters more than how much is viewed. »34 D’autres études menées notamment par Ulrich, dans le secteur médical et professionnel, attestent qu’un manque de baies peut provoquer de l’anxiété autant que la vue sur des espaces verts permet de la diminuer.35 D’autres auteurs exposent un argument différent et appuie alors sur une autre caractéristique des vitrages. L’excès actuel de leur utilisation pourrait être préjudiciable, pas seulement aux personnes autistes. Pour Pallasmaa, « l’usage croissant du verre réfléchissant » crée un « miroir architectural qui nous renvoie notre regard et duplique le monde est un dispositif énigmatique et effrayant »36 décrit-il poétiquement. Tandis que Koolhaas conteste cette transparence qui « ne fait que révéler tout ce à quoi [nous] ne [pouvons] pas prendre part. »37 Qu’il s’agisse des baies en soi, de la morphologie des transitions ou des dispositifs de protection, de nombreuses solutions permettent d’ailleurs d’éviter un passage « immédiat et désagréable »38 entre l’intérieur et l’extérieur. Les espaces de transition qui offrent un temps d’adaptation, jouent ainsi un rôle non négligeable. Sur ce point, Siza développe : « le besoin d’un lien entre l’intérieur et l’extérieur » est réel mais ne devrait pas être « aussi immédiat et abrupt tel que le préconisait et le mettait en œuvre le Mouvement Moderne […] Le désir de continuité absolue doit ou devrait, pour des raisons de bien-être et de confort thermique, être remis en cause et faire l’objet de plus de mesure. »39 L’espace extérieur minéral et peu attrayant, les fenêtres recouvertes de papiers à Netley primary school, autistic unit, London PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 35 37 KOOLHAAS Rem, Junkspace. Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot, 2011, p. 88 38 SIZA Alvaro, Imaginer l’évidence, Paris, Parenthèses, 2012, p. 47 39 Ibid 36 HENRY Christopher N. « Architecture for Autism: Exterior Views », ArchDaily, 2015. 35 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 27 34 43 Transition vers l’extérieur facilité par une pergola (MAS de Coüeron, GPA) ou par une casquette associée à un patio contenant (Pavillon de Barcelone, Mies van der Rohe) Transition avec des espaces protégés : murs et toits débordants (Maison Carre Bazoches, Alvar Aalto) et vues cadrées depuis l’intérieur (Alvar Aalto) 44 LE PRINCIPE DE DIVERSITÉ D’AMBIANCES | Le principe de cohérence implique donc une pensée globale de l’édifice : des volumes et surfaces aux séquences spatiales et circulations, en passant par la perméabilité entre les espaces et par la définition de la limite dedans/dehors... La structuration et la lisibilité qui en découlent soutiennent, entre autres, le repérage et le besoin de sécurité des usagers, de fait leur bien-être et leur épanouissement. De ce point de vue, les paramètres d’ambiance ne peuvent être dissociés de la morphologie spatiale. En partie résultant de cette dernière, ils en modèlent la perception et en accompagnent la compréhension. « La morphologie, le choix des matériaux, le traitement de la lumière et des couleurs, peuvent concourir à conférer une identité et une cohérence à chaque espace et ses usages, à générer des typologies simples de locaux, au service d’une meilleure compréhension des lieux, et d’une plus grande autonomie dans l’expérience spatiale du fait d’un repérage facilité, » affirme Stéphane Courteix.40 Afin de prendre en compte la diversité des usagers porteurs d’autisme, une relative homogénéité et sobriété est requise dans les espaces comme le représentait, peut-être à l’extrême, l’abbaye cistercienne. En effet, les professionnels s’accordent sur le fait qu’il est nécessaire de garder une certaine neutralité pour répondre à la perception sensorielle de tous, aux hypo- comme aux hypersensibilités. Il convient, plus précisément, de générer des ambiances riches et structurées sur le plan sensoriel et ce pour deux raisons. La première, leur richesse, ou diversité, permet de répondre aux besoins spécifiques de chacun tandis que leur structuration est porteuse de sens et favorise les comportements exploratoires41. La seconde, cette diversité permet de faire correspondre l’usage d’un lieu avec son ambiance, cette dernière pouvant le favoriser. Mostafa explique au sujet de l’organisation des salles de classes, thème sur lequel elle a longtemps travaillé : « just as escape spaces need to be conducive of the activity of ‘escape’ all other areas in the classroom should be designed with each activity to be conducted in them in mind. »42 Les propos de Zumthor quant à la tranquillité d’un lieu répondant à l’usage « sommeil » ou la concentration pour ce qui est DELACATO, 1974, cité par : JACQUES Christelle, Épanouissement sensoriel : La diversité architecturale du milieu de garde inclusif intégrant des enfants atteints de troubles envahissants du développement, Mémoire de fin d’études, Ecole d’Architecture de l’Université de Laval, Québec, 2013, p. 23 42 MOSTAFA Magda, « An architecture for autism: concepts of design intervention for the autistic user », International Journal of Architectural Research, volume 2, 2008, p. 204 41 COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 17 40 45 de l’usage « travail » 43 converge dans le même sens et orientent la conception de tels espaces vers certaines ambiances. le terme d’espace d’apaisement en français, et les espaces de stimulations. Ces lieux peuvent être modulables, comme les espaces snoezelen44, de manière à s’adapter aux besoins sensoriels de chacun, ou être simplement neutres pour une mise à distance du groupe bénéfique sans forcément couper totalement l’individu de ce dernier. Ils lui permettent de se recentrer, de s’apaiser. Espace de concentration pour le travail (Dekleva gregoric architects) et espace stimulant pour le jeu (BO-Landscape architects) Mis à part les considérations précédentes et partant d’une approche strictement sensorielle cette fois, divers espaces sont aujourd’hui approuvés pour permettre tant la stimulation que l’apaisement des personnes porteuses d’autismes. Selon les lieux et les personnes, certains paramètres pourront avoir des effets négatifs jusqu’à être source de comportements-problèmes. Les situations groupales ou un stimulus sensoriel peuvent devenir pénibles pour une personne. La création d’espaces de repli qui permettent de se mettre à distance, a des effets positifs, dans la prévention des accès de violence notamment. Aussi, Magda Mostafa, avec le concept de sensory zoning, mentionne de types d’espaces : les escape space, repris sous Espace snoezelen qui permet de s’adapter aux besoins de chacun (résidence du Vert Corteau) et aménagement intérieur d’espaces de repos sur et sous une mezzanine (My secret Garden, Yestudio) ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Suisse, Birkhauser Verlag AG, 2007, p. 12 Espace de stimulation multisensorielle contrôlée. Il provient de l’association : snuffelen (explorer) et doezelen (somnoler) 43 44 46 Loin d’une ambiance absolument neutre, c’est bien une richesse structurée qui est privilégiée tant dans les espaces singuliers que dans l’édifice entier. et, inversement, trop d’ombres déstabilisent l’espace en créant de nombreuses stimulations. Pour Courteix et bien d’autres, la lumière zénithale, l’éclairage indirect également, « permettra de limiter les situations d’éblouissement, [...et] de créer des ambiances lumineuses diversifiées. »49 La lumière naturelle est alors un paramètre essentiel. Jouant un rôle majeur dans le monde vivant, elle règle l’horloge interne de l’homme et lui rend compréhensible le temps et l’espace. Elle rythme le premier puisque « l’illumination naturelle varie avec [lui] au grès du mouvement du soleil » rappelle Siza45 et « la façon dont elle tombe sur les murs et le sol aide la personne à appréhender cet espace. »46 Mais son importance va bien au-delà. De nombreuses études démontrent ses bienfaits sur le bien-être de tous, l’apprentissage des enfants et comment, dans les chambres d’hôpitaux, elle permet de diminuer le niveau de stress et la perception de la douleur des patients47. Humphreys prévient toutefois, « qu’il faut considérer, pour les personnes avec autisme, [...] l’intensité avec laquelle on souhaite l’introduire. »48 La lumière joue sur les capacités de concentration et d’apaisement, sur l’excitation également. Ces personnes pouvant y être particulièrement sensibles, trop de contrastes peuvent les angoisser La lumière zénithale qui augmente la lecture de l’espace : la chapelle Marco de Canaveses de Siza, l’espace Kiéthon (IME pour autistes) et un détail de Tadao Ando SIZA Alvaro, Imaginer l’évidence, Paris, Parenthèses, 2012, p. 53 46 HUMPHREYS Simon, « Architecture et Autisme », Link Autisme Europe, Bruxelles, n°55, 2011, p. 11 47 WOODCOCK, 2006, BEAVER, 2006, WALCH, 2005, cité par : DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 25 48 HUMPHREYS Simon, « Architecture et Autisme », Link Autisme Europe, Bruxelles, n°55, 2011, p. 11 45 COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 18 49 47 Comme nous l’avons vu précédemment, cela ne veut pas dire que les vitrages latéraux sont préjudiciables. Les personnes autistes seraient d’ailleurs davantage sensibles à la qualité de la lumière présente dans un lieu plutôt qu’à la présence ou non de vues sur l’extérieur50. Alors, pour penser le confort thermique et tempérer la lumière intérieure de manière à éviter l’éblouissement, Siza évoque « une tradition extrêmement riche, d’origine arabe, où les espaces de transitions ne sont pas dissimulés et où la lumière change jusqu’à se perdre dans l’intimité de l’intérieur. »51 Concernant l’éclairage artificiel, si la « distance entre le cœur et l’enveloppe » rend aujourd’hui nécessaire l’éclairage artificiel52, certaines sources sont inconciliables avec le confort des personnes autistes mais aussi de certains types de handicaps (visuels notamment). C’est pourquoi, « toute réflexion sur les ambiances lumineuses doit impérativement amener à proscrire les dispositifs luminescents instables, type éclairages fluorescents. Ceux-ci entraînent une excitation fovéale intense due à l’effet stroboscopique [...], que les autistes distinguent avec une grande acuité en générant chez eux un très grand inconfort. »53 Cela semble aller à l’encontre d’une créativité actuelle où l’éclairage participe à l’émergence de « moments » particuliers qui, d’après Koolhaas, provoque « un état de transe à partir d’expériences esthétiques presque insensibles ».54 Aujourd’hui, la lumière « s’est transformée en un simple matériau quantitatif » et « la fenêtre a perdu sa signification de médiateur entre deux mondes, entre le fermé et l’ouvert, l’intériorité et l’extériorité, le privé et le public, l’ombre et la clarté. »55 De par leur mode perceptif, les personnes porteuses d’autisme demeurent particulièrement sensibles à tous ces éléments qui requièrent, pour elles, d’être considérés avec soin. Possibilités très différentes d’homogénéiser et de gérer la quantité de lumière : Moucharabieh New-School (Y.Architectes) et House 1101 (H arquitectes) KOOLHAAS Rem, Junkspace. Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot, 2011, p. 33 53 COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 18 54 KOOLHAAS Rem, Junkspace. Repenser radicalement l’espace urbain, Paris, Payot, 2011, p. 51 et 88 55 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 55 52 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 175 51 SIZA Alvaro, Imaginer l’évidence, Paris, Parenthèses, 2012, p. 47 50 48 matériaux représentent des paramètres permettant de distinguer les lieux de par les caractéristiques physiques propres à chacun mais aussi de déterminer un certain niveau de stimulation. Pouvant proposer un apaisement sensoriel et émotionnel et des sensations tactiles diversifiées, ils nous apportent par le toucher plus d’informations sur le monde qui nous entoure en comparaison de la vue et de l’ouïe. Dans la partie précédente, nous avons vu la préférence des personnes porteuses d’autisme pour les sensations proximales. Le toucher est un sens fiable qui compte pour cela tout particulièrement dans le mode perceptif autistique. C’est pourquoi, « proposer des « ambiances » tactiles diversifiées [permet] au sujet de faire l’expérience de sensations tactiles et kinesthésiques variées »57 qui stimulent et incitent à l’exploration de l’environnement. Les matériaux naturels (bois, pierres, briques), avec leurs aspects irréguliers, sont souvent préférés par les personnes porteuses d’autisme aux surfaces modernes (plastiques et autres verres), trop lisses, tandis que ce sont des textures douces qui sont généralement utilisées pour l’apaisement des personnes hypersensibles. Avec les matériaux, les couleurs créent un environnement riche qui impacte sur nos états mentaux. Réflexion sur l’entrée de lumière à l’intérieur de lieux : lumière naturelle filtrée créant une ambiance méditative (chappelle de Tadao Ando) ou faisant ressortir l’intimité de l’intérieur (l’Alhambra) De poursuivre avec Zumthor, « la magie du réel est pour moi l’« alchimie » de la transformation des substances matérielles en sensations humaines, ce moment particulier d’appropriation ou d’assimilation de matière, de matériau et de forme dans un espace architectural. »56 Revenant encore une fois au sens tactile, les COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 18 57 ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Suisse, Birkhauser Verlag AG, 2007, p. 85 56 49 Des « univers » sensoriels opposés qui découlent du choix de couleurs et de matériaux : Foutain House (Luis Barragan) et Millard House (Franck Lloyd Wright) Texture murale (Anansi Playground Building) et la double matérialité, entre texture lisse du plâtre et rugueuse des pierres sèches (Villa Vista, Shigeru Ban) 50 Si les couleurs chaudes et vives sont connues pour leur effet stimulant contrairement aux couleurs froides et neutres, calmantes, chez les personnes porteuses d’autismes cela va plus loin. Les couleurs neutres permettront certes un apaisement chez les personnes hypersensibles visuellement, celles vives seront stimulantes, mais aussi les couleurs chaudes provoqueront une « chaleur psychologique » favorable aux personnes hypo-tactiles, etc.58 Elles déterminent donc fortement l’ambiance des lieux et le vécu de l’usager au sein de ce dernier. irrévocablement compliquer l’espace au lieu d’en augmenter la lisibilité et d’en renforcer l’usage associé, conformément aux différents axes déjà abordés dans le chapitre précédent (niveaux de détails, formes...). A ce propos, Humphreys explicite un point non négligeable. « A coup sûr, les personnes feront vivre l’espace dans lequel elles se trouvent. Par conséquent, moins d’élaboration et de matériaux, peut réduire la stimulation dans un premier temps et permettre son introduction par la suite. »61 De plus, ces éléments peuvent participer à l’orientation dans un édifice. S’ils différencient les usages par leur capacité à impacter sur nos états psychologiques, ils représentent effectivement des points de repères, parce que discriminants, permettant ainsi de distinguer aisément les espaces les uns des autres. « These concepts of zoning and circulation may be enforced and enhanced using visual cues » explique Magda Mostafa.59 Néanmoins, il semble « préférable d’éviter « des ambiances trop contrastées » avec de nombreux matériaux et teintes différentes. » D’autant qu’une différence trop importante de saturation et d’obscurité entre la teinte du sol et celles des murs a été identifiée récemment comme un facteur plausible d’apparition de troubles du comportement60. Par la surcharge d’informations sensorielles qui en découle, le « trop » vient Morphologie et couleur qui aident à se repérer et à reconnaître les lieux : rassemblement et activités de groupe / jeu en petits groupe avec accès à des espaces de repos (Kadawittfeldarchitektur, Kindergarten Sighartstein et Baupilopten, Tata Tuka Land) MOSTAFA Magda, « An architecture for autism: concepts of design intervention for the autistic user », International Journal of Architectural Research, volume 2, 2008, p. 210 59 Ibid, p. 205 60 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 224 58 61 HUMPHREYS Simon, « Architecture et Autisme », Link Autisme Europe, Bruxelles, n°55, 2011, p. 10 51 Le dernier aspect des ambiances architecturales, loin d’être négligeable, concerne des paramètres plus difficilement appréhendables : le confort auditif et celui thermique. Le second, déjà abordé avec les transitions permettant d’éviter les changements brutaux de température, est une source d’information importante sur un lieu. Pour Pallasmaa, « notre peau dépiste les écarts de température […] l’ombre fraîche et revigorante d’un arbre, ou la chaude caresse d’une tâche de soleil deviennent des expériences d’espace et de lieu. »62 Les personnes autistes sont particulièrement sensibles aux changements de températures et la perception de cette dernière. Néanmoins, elle est propre à chaque personne. Aussi, il est souvent recommandé de pouvoir l’adapter et qu’un accès au thermostat soit prévu, ce dans chaque espace.63 D’un autre côté, confort thermique et acoustique sont interdépendants, les choix concernant le premier n’étant pas sans conséquence sur le second. Les bruits d’impact comme la pluie qui tape sur un toit ou le bruit d’une ventilation dont le réseau aura été mal calibré, peuvent être préjudiciables au bien-être des usagers. physiques des matériaux, présentant une plus ou moins grande inertie, ainsi que le mode de déplacement des flux d’air. Par ailleurs, le principe de ventilation par effet de cheminée s’allie parfaitement avec des puits de lumière zénithale qui ont déjà été mentionné pour être favorable en termes d’ambiance lumineuse. Ces différents paramètres d’ambiance (lumière, bruit et température) sont bien connexes et requièrent de fait d’être pensés conjointement dans la conception architecturale. D’autres solutions sont alors, pour certains, davantage efficaces et recoupent les deux paramètres d’ambiance précédents. Il s’agit des toitures végétalisées, des murs masse ou encore de la ventilation naturelle...64 Ces procédés permettent d’utiliser les caractéristiques Toiture végétalisée et mur masse (Oliver Kindergarten) et principe de ventilation naturelle avec effet de cheminée PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 65 63 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 224 64 DAY, 2006, BEAVER, 2010, cité par : JACQUES Christelle, Épanouissement sensoriel : La diversité architecturale du milieu de garde inclusif intégrant des 62 enfants atteints de troubles envahissants du développement, Mémoire de fin d’études, Ecole d’Architecture de l’Université de Laval, Québec, 2013, p. 26 52 Pour ce qui est de l’acoustique d’un lieu à proprement parlé, elle est absolument dépendante de la morphologie de ce dernier. Correspondant à des ondes sinusoïdales qui rebondissent entre les parois, leur positionnement a évidemment un impact sur le niveau du bruit de fond et de l’écho, sur l’amplification ou l’atténuation de ces phénomènes. Les couloirs, longs et étroits, sont de ce point de vue une morphologie peu favorable au confort acoustique qui peut-être influe sur la sociabilité des usagers. Qu’ils soient augmentés par des alcôves ou entrecoupés par des pièces, cela aura un effet de pièges à son bénéfique au confort acoustique. Quant aux pièces de très grandes dimensions ou de volume trop important, elles favoriseront l’intensification des bruits. Le choix des matériaux est aussi déterminant du volume sonore d’une pièce. Il n’est pas question d’utiliser ceux absorbants partout mais d’avoir conscience de leurs caractéristiques physiques sur ce point et de l’adapter à l’usage prévu d’une pièce. « Un espace se comprend et s’apprécie par son écho autant que par sa forme visuelle, mais la perception acoustique demeure en général une expérience d’arrière-plan inconsciente. »65 les bruits environnants. En outre, la multiplication des sources « contribue à façonner un univers sonore à la fois pénible et potentiellement terrifiant pour elle. »67 Selon plusieurs études, l’intensité et le caractère répétitif d’un bruit s’apparente à des facteurs de gène pour tout être humain. « L’exposition à des bruits trop intenses provoque évidemment des réactions physiologiques (comme de la surdité passagère) mais il ressort [...] que le bruit peut également influer d’une manière plus générale le comportement, l’état de stress et les capacités des individus. »68 Alors, quand Pallasmaa explique que « l’expérience auditive la plus importante créée par l’architecture est la tranquillité »69, c’est possiblement juste. D’autant que les personnes feront vivre l’espace pour reprendre les propos de Humphreys déjà cité. Vrai pour les couleurs, formes et mouvements, cela l’est peut-être encore plus pour le bruit. Comme nous l’avons vu en seconde partie, les personnes autistes présentent des difficultés pour identifier l’origine des sources sonores et pour « localiser des stimuli auditifs pertinents en présence de distracteurs. »66 Ils sont plus conscients que le « normal » de tous COURTEIX Stéphane, Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace, Lyon, Laboratoire d’Analyse des Formes (LAF) -ENSAL, 2009, inédit, p. 18 68 FISCHER, 1997, cité par : DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 24 69 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 60 67 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 59 66 ULRICH, 1991, cité par : DEGENNE-RICHARD Claire, Evaluation de la symptomatologie sensorielle des personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur l’émergence des troubles du comportement, Université Paris Descartes, 2014, p. 40 65 53 CONCLUSION L’autisme est un terme générique recoupant un panel de troubles extrêmement diversifiés. Cela conduit logiquement à une pluralité infinie de situations, en fonction de la gravité des troubles, de leur mode d’expression, de leurs associations et interactions, de leur évolution… d’où le fait de privilégier la mention « des autismes ». Ces déficiences concernent un nombre non négligeable de personnes en France, nombre augmentant chaque année. Méconnu il y a tout juste un siècle, ils ont d’abord suscité de virulents débats, majoritairement transformés en une curiosité enflant, depuis une quarantaine d’années, au sein de champs disciplinaires d’horizon toujours plus variés. N’existant ni remèdes, ni médicaments ni guérison possible, l’effort se concentre sur la préservation du bienêtre quotidien des personnes touchées et leur épanouissement, ce qui implique fortement la qualité du cadre architectural les accueillant. La question de leur inclusion dans et par la société reste malgré tout peu évoquée, tout particulièrement en France. Les autismes sont longtemps restés un mystère, parfaitement exclus du corps social, et les connaissances à leur sujet présentent encore aujourd’hui de nombreuses zones d’ombre. En parallèle de l’évolution générale de différents concepts sociétaux (santé, handicap, accessibilité, bien-être…), ils posent désormais de nombreuses questions tant à la médecine et à la psychiatrie qu’aux sciences cognitives, à la psychologie, à la psychologie 54 environnementale et, plus récemment, à l’architecture. L’étude des troubles conduit à remettre en cause un certain nombre de connaissances et d’acquis sur la nature humaine, parfois empiriques, mais admis et relayés sans mises à jour. Les autismes questionnent les bordures de l’humanité tant en termes d’incapacités que de capacités, de rapport à soi, de relations aux autres, de manière d’appréhender le temps, l’espace, de les interpréter, de se les approprier, etc. Ils mettent à mal les catégories de handicaps, trop restrictives et rigides, qui limitent un individu à son inaptitude et à une représentation sociale de faiblesse, le stigmatisant dirait Goffman1. Ils questionnent le « sujet moyen » en dénotant du dit « normal », pensé pour être LE sujet moyen par excellence, aussi puisque un autiste moyen représentatif n’existe pas au sein de cette catégorie dont les limites demeurent elles-mêmes mal définies. Il faut de fait considérer simultanément une base commune aux individus (les grandes lignes du fonctionnement intellectuel, cognitif, etc.) et l’unicité de chacun pour tenter de comprendre ces troubles complexes. De par leur hypo- et hypersensibilités, les autistes conduisent à revaloriser la place accordée aux sensations dans l’appréhension humaine du monde, de manière à en considérer l’importance élémentaire. Cette basse sphère de notre fonctionnement perceptif constitue bien un fondement dont on ne peut jamais se départir. De par leur mode atypique d’assemblage des sensations, ils révèlent globalement une autre manière d’interpréter le monde environnant. Ils font, plus précisément, ressortir avec intensité la pluralité interprétative infinie et inhérente à l’espèce humaine car liée à l’unicité même de chaque individu et de ses expériences passées. De par leur difficulté à communiquer verbalement voire leur absence totale de moyen pour le faire, ils imposent au « normal » d’investir et de développer sa capacité d’observation et d’attention. Le cas échéant, les conséquences peuvent en effet s’avérer dramatiques pour eux autant que pour leurs proches. Leur vulnérabilité, exacerbant celle constitutive3 de l’être humain, prend ainsi une place considérable au quotidien, notamment dans leur rapport à l’environnement. De plus, l’originalité de la perception autistique apparaît dans sa brutalité confrontant parfois violemment les individus porteurs de ces troubles au monde. Ils sont alors davantage attentifs, sensibles et réactifs, que le « normal » aux détails de l’environnement. Ceci conduit à faire ressortir avec plus de nuances la pluralité des variables architecturales (tant morphologiques que d’ambiance) et leurs importances respectives où chacune compte à la fois pour elle-même et dans son interdépendance avec les autres. Ces différents aspects soulevés par l’étude d’un rapport à Depuis peu, les autismes apparaissent comme un moyen pour certains, un prétexte pour d’autres, de poser en de nouveaux termes ce en quoi constitue les besoins humains2 et, par conséquent, ceux des usagers dans la langue des architectes. GOFFMAN Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Editions de Minuit, 2010, 170 p. 2 HOUZEL Didier, « L’enfant autiste et ses espaces », Enfances & Psy, n° 33, 2006, p. 33 1 MOLINIER Pascale, LAUGIER Sandra, PAPERMAN Patricia, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Payot, 2009, 298 p. 3 55 l’environnement autistique entrent en résonnance avec des réflexions nécessaires au positionnement d’un architecte. A l’heure où le seul geste consenti envers ceux différant du « normal » se concrétise à travers une accessibilité rigide, le changement de référentiel sur la question, impliqué par la nature même des autismes, pourrait ouvrir le champ des possibles et offrir de nouvelles pistes de réflexion en vue de la conception d’espaces davantage adaptés aux besoins de tous. connaissances sur les troubles à proprement parlé et celles pour des lieux adaptés à leurs besoins perceptifs. Il est à noter qu’aucun concept utilisé n’a été inventé pour eux spécifiquement. Certaines formes architecturales préexistantes se sont simplement révélées davantage favorables à leur apaisement, épanouissement, bien-être, etc. Ces dernières rejoignent également celles mises en avant par les résultats de plusieurs études sur ce qui est favorable au bien-être de tout un chacun, notamment du dit « normal ». L’étude des troubles autistiques invitent ainsi à repartir des bases de la perception, les sensations, qui construisent notre relation profonde à l’environnement : le corps avant même que l’esprit n’intervienne, les méandres du cerveau avant l’intellect. Nos sens constituent bien notre porte d’entrée vers le monde, origine de notre connaissance de celui-ci, donc de la manière dont nous le percevons apaisant ou violent, accueillant ou contraignant, handicapant ou bienveillant... Différents courants sont d’ailleurs apparus, le « supportive design » ou encore le « restorative design »4, cherchant à apporter un soin renforcé à ce lien essentiel entre le sensoriel humain et la spatialité, et venant s’opposer par là à une conception a priori peu respectueuse de nos besoins cognitifs de bas niveaux. La question se pose du comment certains en sont venus à penser la nécessité de préciser par un qualificatif un certain type de conception bienveillante à l’égard de ses usagers… En parallèle, en étudiant la manière dont se sont solidifiés les concepts associés aux lieux de vie des personnes autistes, il apparait une évolution conjointe et solidaire entre les Les enjeux qui apparaissent avec les troubles autistiques ne sont donc pas forcément propres à ceux-ci. Dans leur cas ils se voient seulement majorés car, comme mentionné précédemment, leur rapport extrême à l’environnement rend leurs réactions tout aussi extrêmes. Il devient absolument nécessaire de faire correspondre l’architecture à leurs besoins perceptifs. Il semble bien que la démarche conceptuelle visant à prendre en compte les besoins de ces personnes puisse informer plus globalement la conception architecturale sur ses possibilités de répondre à des besoins humains ou, du moins, ouvrir une réflexion sur la manière de faire correspondre l’architecture et le fonctionnement perceptif humain. Le rapport à l’environnement est une relation, une interaction entre les usagers et, en ce qui nous concerne, l’espace architectural. Les caractéristiques morphologiques et d’ambiance de ce dernier influent sur leur comportement et leur bien-être. C’est au concepteur qu’il revient de définir ces caractéristiques et de définir ce sur quoi il base ses choix. Aussi, comme nos représentations du monde s’ancrent DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 27 4 56 parce que nous le ressentons jour après jour, nous l’expérimentons et nous nous l’approprions, l’architecte semble devoir garder à l’esprit qu’il modèle avant tout le niveau le plus bas de notre relation au monde, nos sensations. A l’inverse d’elles, les représentations et aux autres images mentales, sont certes plus élaborées mais plus mouvantes également. Une architecture basée sur ces dernières serait alors moins fiable, moins rassurante. Il semble que les autismes permettent d’accentuer d’où provient l’importance générique de l’architecture ce qui conduit à recentrer les débats et enjeux sur l’essentiel : l’usager, son ressenti et sa compréhension de l’espace, espace conçu a priori pour lui. pour prendre en compte ses besoins et où chacun y trouverait son compte. Il y aurait peut-être un seuil au-delà duquel le bien-être ne serait plus garanti pour quiconque. « Une bonne architecture doit accueillir l’être humain, le laisser vivre et habiter et ne pas lui faire du baratin. » expliquait simplement Zumthor.5 C’est pourquoi, d’après l’étude portant sur la perception autistique de l’espace, les sensations distales, brouillant la compréhension de l’environnement, seraient alors des points sensibles qui nécessiteraient d’être quelque peu contrôlées et minimisées. Celles proximales seraient à réinvestir pour ancrer l’humain dans la matérialité de ce qui l’entoure voire pour lui donner l’occasion d’être lui-même davantage bienveillant. Pour Pallasmaa en effet, quelque peu virulent, « l’œil hégémonique », « ce cancer de la représentation architecturale superficielle d’aujourd’hui » a privé l’Homme « de tout sens de l’empathie. »6 Force est de constater que la problématique de la sensorialité a été jusqu’à récemment la moins abordée, pas uniquement dans le cas des personnes autistes. En ce qui les concerne, elle l’a été bien moins que celle liée à la compréhension de l’environnement que l’éducation structurée avait permise de mettre en lumière. Il est question de l’intensité perceptive maximale que devrait dispenser l’architecture. Dernièrement, une architecture dite sensorielle a émergé. Elle est définie comme cherchant à avoir un effet particulier sur nos sens, à diriger volontairement la perception vers un certain vécu. Néanmoins, l’usager ne pouvant se départir de sa sensibilité personnelle, ce type d’architecture provoque de fait des réactions dissemblables, des situations de rejets et d’adoration véhiculées simultanément un même édifice. Il demeure toutefois une différence fondamentale entre un rejet « intellectuel », même viscéral, et un mal-être profond conduisant à une incapacité de supporter un lieu. Une architecture sensorielle pourrait plutôt correspondre à une autre, basée consciemment sur le fonctionnement de la perception humaine Par suite, pour éviter l’écueil d’une nouvelle normativité basée sur le fonctionnement perceptif humain, d’un caractère trop prescriptif voire d’un certain dogmatisme, une piste intéressante semble émerger de la diversité des variables avec lesquelles jongle l’architecte. Il existe par conséquent une multitude de solutions liées à leurs assemblages jusqu’aux infinitésimaux. Il y aurait seulement des pré-requis physiologiques non négociables, des besoins biologiques qui indiqueraient les limites dans lesquelles les variables pourraient être modifiées (thermiques, acoustiques, lumineuses, formelles, organisationnelles, etc.). Les autismes rappellent ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Suisse, Birkhauser Verlag AG, 2007, p. 33 6 PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Paris, Edition du Linteau, 2010, p. 27 5 57 notamment avec vigueur le besoin humain primaire de repères : un cadre structurant que l’architecture est chargé de formaliser. L’inconnu demeurera quoi qu’il advienne la diversité d’interprétation des usagers, une richesse non négociable à prendre en compte. Quant aux ambiances, l’homme a besoin de sensations, la nourriture du cerveau7, certaines ponctuelles et d’autres permanentes, qui varient dans le temps pour un individu et entre les individus. La possibilité d’y répondre pour l’architecte viendrait d’une corrélation à rechercher entre une fonction, un usage, une pratique et un lieu pour en faciliter l’appropriation. La diversité structurée qui en découlera dans un édifice pourrait permettre à chacun d’y trouver son compte. usagers différents. Il n’en reste pas moins qu’il existe malgré tout des fondements, sensoriel et perceptif, communs à tous les usagers, communs aussi à l’architecte. Se saisir d’un tel sujet pourrait être extrêmement valorisant pour le concepteur et lui permettre de prendre le chemin d’une architecture bienveillante plutôt qu’une autre très visuelle ou trop stimulante. Finalement, l’inclusion des personnes porteuses d’autisme semble nécessiter une grande bienveillance de l’architecture ce qui implique de repenser ou de définir plus précisément l’éthique que l’on souhaite pour l’architecture. D’autant que « la problématique du rapport à l’espace des personnes autistes requiert de laisser de côtés ses convictions et la culture architecturale ou, en tout cas, de les remettre en question. »8 Mais il semble que l’adaptation de l’espace aux besoins perceptifs des personnes autistes pourrait avoir des retombées positives pour tous les types d’usagers. Il se pose alors la question de la faisabilité d’une architecture qualitative et bienveillante, dans le contexte fortement contraint, politique et économique, mondialisé et industriel, qui sévit actuellement. Il reste également à affiner de potentielles pistes de réponses. Cela rendra nécessairement obsolète le concept d’accessibilité qui ne concerne que le fait d’accéder, de se déplacer et de s’orienter sans gène, effort ni souffrance dans une temporalité limitée pour se diriger vers une « demeurabilité » globale des édifices ou tout un chacun pourra rester, le temps qu’il le souhaite, sans gène, effort ni souffrance. Pour les personnes porteuses d’autisme et dans le cadre de l’étude de leur rapport l’environnement, l’implication de l’architecte est donc doublement primordiale. Premièrement, pour comprendre et qualifier précisément, avec les compétences et les outils qui lui sont propres, ce qui leur est favorable en termes d’espace. Deuxièmement, pour y répondre avec ces mêmes outils. L’architecte a sa place à côté du thérapeute comme le psychologue. Il est vrai que chaque architecte possède nécessairement une perception personnelle de son environnement, également sa propre conception de « l’usager ». Il semble difficile de concilier cela face à des GREEN 2006 cité par DAY, 2007, JACQUES Christelle, Épanouissement sensoriel : La diversité architecturale du milieu de garde inclusif intégrant des enfants atteints de troubles envahissants du développement, Mémoire de fin d’études, Ecole d’Architecture de l’Université de Laval, Québec, 2013, p. 9 7 DEMILLY Estelle, Autisme et architecture. Relations entre les formes architecturales et l’état clinique des patients, Université Lumière Lyon II, 2014, p. 245 8 58 ANNEXES BIBLIOGRAPHIE ANNEXES ................................................................................................. 60 ANNEXE 1 ............................................................................................ 60 o o Facteurs environnementaux nécessaires à la compréhension de la situation vécue par les individus Principale cause des gènes ou souffrances potentielles vécues par les individus quels qu’ils soient ANNEXE 2 ............................................................................................ 61 o o Les sens primaires et secondaires Comparaison du fonctionnement perceptif typique et de celui autistique ANNEXE 3 ............................................................................................ 62 o La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow o Les variables architecturales et leurs interactions o Exemple de retranscription des besoins sensoriels d’après les trois typologies d’espace de Magda Mostafa ANNEXE 4 ............................................................................................ 63 ANNEXE 5 ............................................................................................ 64 BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................... 65 PRINCIPAUX CONTACTS ET ENTRETIENS ................................... 73 TABLE DES ICONOGRAPHIES ......................................................... 74 59 ANNEXE 1 Facteurs environnementaux nécessaires à la compréhension de la situation vécue par les individus selon les catégories admises de différences Facteurs environnementaux : Rapport à l’environnement : dit normal ou ponctuellement différent pluriels / globaux particuliers Principale cause des gènes ou souffrances potentielles vécues par les individus quels qu’ils soient Cause des gènes / souffrances : dit altéré environnementale handicapés * * neuro-typiques différents : personne âgées, femmes enceintes, enfants, etc. sans déficience mais dont le rapport à l’environnement diffère de l’adulte dit « normal ». * handicapés : personnes entrant dans les grandes catégories de handicaps (moteurs, sensoriels, intellectuels). * neuro-atypiques : personnes présentant des troubles de spectre autistiques ou un handicap cognitif sévère. dit normal dit altéré / différent tout neuro-typique handicapés et neuro-atypiques ou ponctuellement différent neuro-atypiques * neuro-typiques différents* Rapport à l’environnement : interne 60 handicapés intellectuels, cognitifs et autistes ANNEXE 2 Les sens primaires et secondaires (créé par Christelle Jacques pour un projet de crèche inclusive) Proprioception Vestibulaire Toucher Odorat Goût Vue Ouïe (créé par Christelle Jacques pour un projet de crèche inclusive) Comparaison du fonctionnement perceptif typique et de celui autistique STIMULI => neuro-typiques autistes PERCEPTION => REACTION SENSATION ASSEMBLAGE INTERPRETATION modulée cohérence globale innée / mimétique par l’apprentissage adaptée brute cohérence locale littérale apprentissage difficile absente ou extrême (inadaptée) sur ou sous-fonctionnement de certains canaux sensoriels patchwork sensoriel et biais local supérieur 61 ANNEXE 3 La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow 62 ANNEXE 4 Les variables architecturales et leurs interactions Les variables globales Organisation / Surface Colorimétrie Morphologies Dimensions Organisation Surface Repères Les variables locales Dimensions Morphologies Perméabilité Transitions Limites Acoustique Repères Perméabilité Eclairage Transitions Limites Les variables d’ambiance Eclairage Matériaux Colorimétrie Thermique Acoustique Matériaux Thermique 63 ANNEXE 5 Exemple de retranscription des besoins sensoriels d’après les trois typologies d’espace de Magda Mostafa 64 (créé par Christelle Jacques pour un projet de crèche inclusive) BIBLIOGRAPHIE ARCHITECTURE, PERCEPTION ET ETHIQUE - 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Etienne, coordinateur du Pôle Accompagnement Projet Animation, 16 novembre 2012, ([email protected]) - Mme Lassiaz Ghislaine, responsable des actions d’initiation de la Cinémathèque : entretien, 22 mai 2013, ([email protected]) - Mme Morel Valérie, accompagnatrice de l’ULIS du collège Ste Marie de Meaux : visite de la Cinémathèque en compagnie d’enfants autistes scolarisés, 22 mai 2013, ([email protected]) - Mme Regnault Gaele, CEO et membre fondateur de LearnEnjoy et mère d’un enfant autiste : transmission du compte-rendu d'une visite privée au musée d'Orsay organisée par elle, 18 novembre 2012 / entretien, mai 2015, ([email protected]) - M. Gachon Laurent, chef du Service Educatif de l’IME le Frégate puis directeur de la MAS la Goélette, Toulon : visite de l’IME la Frégate en compagnie du pédopsychiatre M. Couquet, 10 février 2014 ([email protected]) - M. Couquet Lionel, pédopsychiatre et conférencier ([email protected]) - M. Dionisi Jean Paul, gestionnaire du CRAIF (Centre Ressources Autisme Ile-de-France), formateur en autisme ([email protected]) - Mme Treese Catherine, formatrice sur les troubles autistiques et organisatrice de visites au Musée du Louvre : entretiens, 29 mai 2014 / 20 mars 2015, ([email protected]) - Mme Laxer Gloria, formatrice sur les troubles autistiques et mère d’un adulte autiste : entretien, 23 mai 2015 ([email protected]) avec directeur de MAS et pédopsychiatre - Mme Jarry Claire, directrice de la FAM l’Adret, Troyes : entretien, 30 avril 2015 ([email protected]) - Isabelle Lasnier, éducatrice spécialisée de la FAM l’Adret : entretien, 12 mai 2015 ([email protected]) 73