dossier Plaies de l’enfant 1/2 avant-propos Les spécificités pédiatriques Dossier coordonné par Anne Le Touze Particularités de la cicatrisation chez l’enfant 10 Anne Le Touze Étiologies des plaies de l’enfant 16 Laetitia Goffinet Les morsures de l’enfant 21 Anne Le Touze Les plaies liées aux soins en milieu pédiatrique 26 Marie-Christine Plancq Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • douard Claparède, neurologue et psychologue suisse, a écrit en 1937 : « L’enfant n’est pas un adulte miniature. » Cette phrase, souvent reprise, est chère aux pédiatres. L’enfant est un être développement ; sa morphologie, sa physiologie et sa psychologie se modifient jusqu’à l’âge adulte. En termes de plaies et cicatrisation, nous retrouverons donc des particularités propres à la pédiatrie. La capacité de l’enfant à synthétiser du tissu est importante du fait de son développement et de sa croissance. Cicatriser une plaie est rarement un problème en pédiatrie, en dehors de situations particulières. Les plaies chroniques sont rares. En revanche, les cicatrices vont évoluer sur un mode hypertrophique en rapport avec la production élevée de fibroblastes. La prise en charge cicatricielle sera donc portante chez l’enfant et devra être systématique après obtention de la cicatrisation. Les plaies de l’enfance sont de gravité variable. Beaucoup sont le fait d’accidents domestiques ; elles sont souvent nettes et poseront peu de problèmes de cicatrisation, mais pourront avoir un impact esthétique et fonctionnel durant la croissance. Les plaies résultant de la cour d’école sont souvent plus contuses et parfois plus délabrantes. Les accidents de la voie publique impliquant des enfants, piétons ou cyclistes, et ceux liés à des engins (tondeuses…) entraînent des plaies souvent délabrantes, d’où une prise en charge chirurgicale spécialisée en raison de leurs conséquences fonctionnelles. Les morsures de chien, localisées dans la majorité des cas au visage, demandent une attention particulière dans leur prise en charge, pour laisser le moins de séquelles possible. Certaines pathologies congénitales génératrices de plaies particulières chez des nourrissons ne seront pas évoquées en raison de leur rareté et de l’hyperspécialisation de leur prise en charge. Les brûlures de l’enfant ne seront également pas traitées, ayant fait l’objet d’un chapitre dans le dossier précédent [1]. © A. Le Touze É Sommaire Quelles que soient l’origine et la gravité de la plaie, il ne faut pas négliger la douleur liée aux soins. La prise en charge médicamenteuse présente des particularités liées à la pédiatrie. Par ailleurs, l’enfant est très réceptif à la prise en charge non médicamenteuse de la douleur : hypnose conversationnelle, onirisme… Dans ce dossier seront abordées les spécificités des plaies de l’enfant et celles de la prise en charge pédiatrique qui sera différente selon l’âge (nouveauné, nourrisson, enfant, adolescent). ◗ [1] Le Touze A. Les particularités des brûlures de l’enfant. Revue francophone de cicatrisation 2019;3(2):32–6. Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Anne LE TOUZE Praticien hospitalier Service de chirurgie viscérale et plastique pédiatrique, unité des brûlés, hôpital pédiatrique Gatien-de-Clocheville, centre hospitalier régional universitaire de Tours, 49 boulevard Béranger, 37044 Tours cedex 9, France Adresse e-mail : [email protected] (A. Le Touze). © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.refrac.2019.10.001 9 Dossier Plaies de l’enfant 1/2 Particularités de la cicatrisation chez l’enfant Anne LE TOUZE Praticien hospitalier Service de chirurgie viscérale et plastique pédiatrique, unité des brûlés, hôpital pédiatrique Gatien-deClocheville, centre hospitalier régional universitaire de Tours, 49 boulevard Béranger, 37044 Tours cedex 9, France Le processus physiologique de la cicatrisation chez l’enfant n’est pas différent de celui de l’adulte, mais la cicatrice qui en résulte est très riche en collagène et très dense. Ces phénomènes sont plus marqués passé un certain âge, comme s’il persistait des caractéristiques de la cicatrisation fœtale (sans cicatrice) chez le nouveau-né. C’est pourquoi, lorsque l’on prend en charge des plaies de l’enfant, il est nécessaire de guider la phase de maturation pour éviter les cicatrices disgracieuses et invalidantes. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Mots-clés – cicatrisation ; cicatrice hypertrophique ; pédiatrie Characteristics of wound healing in children. Physiological healing process is not much different in children than in adults but the resulting scar is very rich in collagen and very dense. These phenomena are more noticeable after a certain age, as if there were still characteristics of fetal scarring (without scarring) in the newborn. Therefore, when dealing with children, it is necessary to be aware of these particularities and to “guide” the scaring process to avoid disgracious and disabling scars. © 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Keywords – hypertrophic scar; paediatric practice; scar management L e potentiel de croissance de l’enfant lui confère des particularités en termes de cicatrisation et de cicatrices. Toute modification du processus cicatriciel ou un traitement de plaie inapproprié entraînera une cicatrice pathologique. Ces cicatrices pathologiques peuvent être majorées par la croissance mais elles peuvent également modifier la croissance : déviation d’axes, asymétries... Les spécificités de la cicatrisation chez l’enfant La cicatrisation fœtale Adresse e-mail : [email protected] (A. Le Touze). 10 ✦ Les études expérimentales et cliniques montrent que la cicatrisation fœtale ne laisse pas de cicatrices [1]. Les mécanismes de la cicatrisation fœtale ne sont pas encore bien connus. Cependant, un certain nombre de facteurs endogènes et exogènes semblent être différents de ceux de l’adulte. La différence principale se situe probablement au niveau du système immunitaire et de la réponse inflammatoire. Les études concernent différentes espèces animales et les extrapolations vers l’espèce humaine doivent être prudentes. ✦ Les macrophages sont connus pour être les agents principaux de la réponse inflammatoire de la régénération dans le processus cicatriciel chez l’adulte. Au début de la gestation, la cicatrisation est obtenue avec très peu de macrophages alors que l’afflux de macrophages est important dans les douze heures après la plaie en fin de gestation [2]. L’embryon semble être capable de cicatriser sans macrophages et inflammation bien qu’il soit capable de répondre à des stimuli du © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.refrac.2019.10.002 système inflammatoire [3]. Cela pourrait être dû à l’immaturité du système inflammatoire mais mérite d’être exploré de façon plus approfondie. La cicatrice est pauvre en collagène en raison du TGFβ1, qui induit la synthèse de glycosaminoglycane pendant toute la gestation : chez le fœtus, le glycosaminoglycane est plus important que le collagène pour la matrice cicatricielle [4]. Le liquide amniotique riche en acide hyaluronique est, pour le fœtus, un environnement riche en facteurs de croissance propice à son développement. Le rôle de l’acide hyaluronique a été évoqué comme facteur extrinsèque et intrinsèque à l’absence de réponse inflammatoire [5]. Des études plus récentes montrent que laqualité de la cicatrisation fœtale relève de facteurs intrinsèques [6]. Si les mécanismes de cicatrisation sans cicatrice sont encore incertains, l’absence de réponse inflammatoire semble bien en être la clé. En fin de gestation, la réponse inflammatoire apparaît et les cicatrices deviennent visibles. Une meilleure connaissance de la cicatrisation fœtale laisse espérer des applications cliniques prometteuses. Les âges de la cicatrisation en pédiatrie On ne trouve que très peu de données dans la littérature à ce sujet. Cependant, le comportement cicatriciel est variable au cours de l’enfance [6,7]. De 0 à 6 mois Le nourrisson avant 6 mois cicatrice particulièrement bien. Rapidement, la cicatrice est fine et souple, la Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Dossier Plaies de l’enfant 1/2 phase de remodelage semble être très courte. Tout se passe comme si les phénomènes inflammatoires étaient très atténués, voire absents. Peut-être certains phénomènes prénataux se perpétuent-ils pendant les premiers mois de vie… Entre 6 mois et 2 ans Le mode évolutif est imprévisible à cet âge, parfois encore favorable, parfois déjà très inflammatoire. Après 2 ans et jusqu’à l’adolescence L’expression inflammatoire de la cicatrice domine cette période, les phénomènes de remodelage semblent être amplifiés, majeurs et invalidants. On peut presque considérer l’hypertrophie cicatricielle comme physiologique à cet âge, tant elle est constante et importante. Comment mener la cicatrisation chez l’enfant Les cicatrices pathologiques ✦ La cicatrice est l’aboutissement du processus de cicatrisation. Idéalement, elle est fine, plate, blanche, soupe, élastique et indolore, mais visible, et parfaitement identifiable en histologie (figure 2). ✦ Les cicatrices pathologiques résultent d’une anomalie du phénomène de cicatrisation et particulièrement de la phase de remodelage. La phase inflammatoire est prolongée, voire définitive. Ce sont les cicatrices hypertrophiques ou chéloïdes [8]. © A. Le Touze Comme la réponse inflammatoire est constante et “explosive”, le processus de cicatrisation [7] doit être mené sur une période courte, pour prévenir la production excessive de collagène. En dehors des enfants porteurs de malformations cardiaques non équilibrées ou en soins palliatifs, la plupart des patients porteurs de plaie en pédiatrie sont éligibles à la chirurgie: détersion mécanique, suture, greffe, lambeau… Des pansements seront utilisés avant, après ou en substitution à la chirurgie, la thérapie par pression négative (TPN) a également sa place. La prise en charge de la douleur lors du soin est essentielle et parfois compliquée. ✦ Les techniques chirurgicales devront être adaptées à l’âge, au développement psychomoteur, à l’épaisseur des téguments et au potentiel de croissance de l’enfant. Chez le jeune enfant, on utilisera des fils de suture plus fins que chez l’adulte. Les fils à résorption rapide devront être évités sur les zones visibles, en raison de la réponse inflammatoire qu’ils génèrent pour leur résorption. Au contraire, les surjets intradermiques avec des fils à résorption lente sont une bonne solution pour éviter les marques et l’ablation de fils parfois mal vécues chez les plus jeunes. Enfin, les colles cutanées au cyanoacrylate peuvent être utilisées, mais ne sont indiquées que pour les plaies très superficielles (figure 1). ✦ Le choix du pansement se portera sur des produits indolores au retrait, faciles à appliquer. Il est préférable de réaliser le pansement à la main, avec des gants, après friction avec une solution hydroalcoolique, plutôt qu’avec des pinces : cela est plus rapide et moins générateur de stress pour l’enfant. Les produits utilisés sont des produits simples, l’aboutissement de la cicatrisation étant rarement le problème chez l’enfant qui synthétise du tissu en grande quantité pour sa croissance. C’est également pourquoi la TPN est souvent rapidement efficace dans la préparation du lit de la plaie à la greffe. Les indications de lambeau sont, de ce fait, probablement moins fréquentes chez l’enfant que dans la pratique adulte. Figure 1. (a, b, c, d, e, f, g, h, i) : a, b, c, d : Surjet intra-dermique de bonne qualité ; e, f : Suture épidermique de bonne qualité ; g, h : Plaie traitée par colle cutanée au cyanoacrylate ; i : Suture épidermique de mauvaise qualité, fils trop gros, décalage des berges. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • 11 Dossier Plaies de l’enfant 1/2 © A. Le Touze TGF-bêta et de PDGF (platelet-derived growth factor [facteur de croissance dérivé des plaquettes]) est abondante. Les fibroblastes sont nombreux, responsables de l’excès de collagène. Les mastocytes sont également présents en abondance, sécréteurs d’histamine probablement responsable du prurit. La cicatrice chéloïde Figure 2. Exemples de cicatrices “idéales”. Son évolution se poursuit à l’infini, aboutissant à une extension de la lésion au-delà des limites initiales de la cicatrice, avec persistance des signes inflammatoires. Parfois, des télangiectasies apparaissent à la surface de la cicatrice. Sur le plan histologique, on retrouve les mêmes caractéristiques que pour la cicatrice hypertrophique mais avec une désorganisation complète du collagène : il n’y a plus de faisceau mais du collagène orienté au hasard. © A. Le Touze Les facteurs favorisants Figure 3. (a, b, c) : Cicatrices pathologiques. a : Évolution cicatricielle ; b : Cicatrice hypertrophique ; c : Cicatrice chéloïde. Aspects cliniques et histologiques Au début de leur évolution, il n’est pas possible de distinguer la cicatrice hypertrophique de la cicatrice chéloïde : toutes deux restent extrêmement inflammatoires au-delà de la période normale, rouge, chaude, tendue et prurigineuse. C’est leur évolution, à moyen et à long terme, qui permettra de les identifier (figure 3). La cicatrice hypertrophique En dépit d’une période inflammatoire marquée et prolongée, les signes inflammatoires vont finir par s’amender, aboutissant à une cicatrice élargie et fibreuse. Sur le plan histologique, le collagène est abondant et immature (excès de collagène III). La production de 12 La plupart du temps, les cicatrices pathologiques apparaissent sur des terrains particuliers. Le lien de causalité n’est pas toujours évident et on retrouve souvent plusieurs facteurs favorisant pour la même cicatrice. Le sex-ratio est égal à 1, on ne retrouve pas de prédominance chez le garçon. Il ne semble pas y avoir de facteurs héréditaires. Cependant, certains auteurs ont évoqué le caractère héréditaire de la cicatrice chéloïde [9]. ✦ Les origines ethniques semblent être déterminantes : beaucoup de cicatrices chéloïdes surviennent chez des sujets à peau pigmentée (noire, asiatique, métissée…). ✦ L’âge du patient également : les cicatrices hypertrophiques et chéloïdes sont exceptionnelles chez le sujet âgé et très fréquentes dans la population jeune, notamment en période péripubertaire. Il est donc essentiel pour les chirurgiens pédiatres de connaître ces cicatrices pathologiques. ✦ La localisation de la plaie est aussi un facteur favorisant : la région scapulaire, la région auriculaire et la ligne médiane du tronc (la région présternale et la région médio-abdominale) sont particulièrement propices au développement de cicatrices pathologiques. ✦ Le type de plaie : les plaies souillées, les brûlures profondes, la présence de corps étranger dans la plaie, toute situation risquant de prolonger la phase de détersion et de majorer la phase inflammatoire. ✦ Les facteurs hormonaux : la fréquence des cicatrices pathologiques en période pubertaire, l’impact de la grossesse et la régression de l’hypertrophie au moment de la ménopause semblent évoquer le rôle des œstrogènes. Certaines études ont suggéré l’utilisation d’anti-œstrogènes dans le traitement de la cicatrice hypertrophique [10]. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Dossier Plaies de l’enfant 1/2 Bien que tous ces facteurs aient été évoqués comme favorisant les cicatrices pathologiques, seuls l’âge, l’origine ethnique et la localisation de la plaie semblent être déterminants. La physiologie du développement de ces cicatrices pathologiques n’est pas encore totalement identifiée. agissent de la même façon sur l’inflammation [12] (figure 4). • Diminuer la tension des berges En utilisant les lignes de Langer ou de Borges pour la chirurgie réglée. En utilisant des sutures adhésives renforcées en complément (Steri-StripsTM) et en immobilisant des articulations adjacentes. • Le traitement des cicatrices pathologiques Certains traitements sont classiques, même si leurs résultats sont décevants. D’autres sont plutôt des perspectives, encore l’objet d’études. Cependant, l’évolution des cicatrices est parfois si désespérante pour le patient que des techniques mini-invasives sont tentées, même si leur efficacité est inconstante. Plusieurs thérapeutiques peuvent être associées, soit simultanément, soit successivement. Quand une cicatrice devient inflammatoire, plus tôt sera débuté le traitement, plus il sera efficace. Les techniques de prévention peuvent être utilisées comme technique de traitement mais seront moins efficaces à ce stade. – Massages – Compression (figure 5) – Plaques de silicone – Corticoïdes Prévention et traitement Le traitement [11] est souvent décevant. Beaucoup de traitements ont été proposés, parfois rapidement abandonnés parce qu’inefficaces. L’approche physiopathologique a permis de rationaliser les thérapeutiques, en particulier en agissant sur l’inflammation. Cependant, les résultats restent souvent en deçà des espérances du patient et du médecin. La prévention, en particulier dans les situations à risque comme en pédiatrie, est souvent plus efficace. La prévention des cicatrices pathologiques Références [1] Longaker MT, Adzick NS. The biology of fœtal wound healing: a review. Plast Reconstruct Surg. 1991;87(4):788–98. [2] Hopkinson-Woolley J, Hughes D, Gordon S, Martin P. Macrophage recruitment during limb development and wound healing in the embryonic and foetal mouse. J Cell Sci. 1994;107:1159–67. © A. Le Touze Pour être réellement efficace, la prévention doit être envisagée quelques jours après la fermeture primaire d’une plaie, ou aussitôt l’épidémie nation obtenue dans une fermeture secondaire. • Réduire l’inflammation En réduisant le temps de cicatrisation par une détersion active. En réduisant le temps de cicatrisation en utilisant des procédures chirurgicales de couverture (greffes, lambeaux). En utilisant des fils non résorbables ou à résorption lente, générant une réaction inflammatoire moins intense que la résorption rapide. Les massages pourront avoir une action mécanique en diminuant l’œdème et en dissociant les agrégats moléculaires. Ils seront réalisés avec un topique émollient qui les rend plus supportables mais ils seraient tout aussi efficaces “à sec”. La compression cicatricielle réduit également l’œdème, induisant une ischémie tissulaire relative, ce qui diminue l’inflammation locale. Les plaques de silicone Figure 4. Plaque de silicone sur une cicatrice hypertrophique. [3] Oztürk S, Deveci M, Sengezer M, Günhan O. Results of artificial inflammation in scarless foetal wound healing: an experimental study in foetal lambs. Br J Plast Surg. 2001;54(1):47–52. © A. Le Touze [4] Kishi K, Nakajima H, Tajima S. Differential responses of collagen and glycosaminoglycan syntheses and cell proliferation to exogenous transforming growth factor beta 1 in the developing mouse skin fibroblasts in culture. Br J Plast Surg. 1999;52(7):579–82. Figure 5. Différents types de compression cicatricielle. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • [5] Longaker MT, Whitby DJ, Ferguson MW et al. Adult skin wounds in the fetal environment heal with scar formation. Ann Surg. 1994;219(1):65–72. 13 Dossier Plaies de l’enfant 1/2 Références classique sous anesthésie locale (figure 6). Cependant, il est souvent plus confortable de réaliser ce geste sous anesthésie générale en chirurgie ambulatoire. Les injections peuvent être répétées tous les deux mois en respectant la dose de 2 mg/kg à chaque injection. Seule contre-indication : une infection locale. La plupart du temps, les signes inflammatoires diminuent et les signes fonctionnels régressent (douleur prurit). Toutefois, il faut rester attentif à l’amincissement épidermique et à l’apparition de télangiectasies sur la zone traitée. – La cryothérapie La cryothérapie [13] donne des résultats incertains : elle peut être utilisée par application ou à l’aide d’aiguilles transfixiantes (figure 7). – Chirurgie Elle risque d’entraîner de nouveaux phénomènes inflammatoires, et ne résoudra donc pas en elle-même le problème. Elle se positionne comme un maillon d’une chaîne thérapeutique associant différentes techniques et ne doit être réalisée qu’après la maturation cicatricielle, quand les phénomènes inflammatoires se sont calmés. L’excision sera intra-lésionnelle, ce qui est le seul moyen de prévenir la récidive mais ne donne pas toujours le résultat escompté. Le volume de la cicatrice va diminuer, ce qui va améliorer le confort et l’aspect esthétique. On peut espérer que le reliquat cicatriciel sera plus réceptif aux traitements complémentaires, qui seront impératifs pour éviter la récidive. On peut injecter des corticoïdes retards dans le derme des berges avant de refermer avec des points non résorbables. Puis une compression sera prescrite de façon systématique et portée aussitôt après cicatrisation et ablation des points (environ dix jours). © A. Le Touze © A. Le Touze [6] Robert M, Le Touze A. Cicatrisation : physiologie, pathologie, thérapeutique, pathologie et chirurgie cutanée de l’enfant. XIIe séminaire d’enseignement du Collège de chirurgie pédiatrique. Strasbourg: Société française de chirurgie pédiatrique. Coordinateur P. Sauvage; 1993. p. 9–28. Les corticoïdes sont utilisés de façon courante dans le traitement des cicatrices pathologiques. Ils peuvent être utilisés en topic (crème ou pommade) ou en injection in situ. L’application locale chez l’enfant doit être prudente, les doses absorbées en percutanée sont en effet difficiles à évaluer. Un surdosage en corticoïdes peut entraîner un syndrome de Cushing partiel ou complet. Pour cette raison, il est préférable d’utiliser les corticoïdes en injection locale en pratique pédiatrique, en utilisant des corticoïdes à effet retard qui auront un impact général moins important. L’injection est réalisée soit à l’aide d’un “dermo-jet” soit avec une seringue Figure 6. Injection in situ de corticoïdes. 14 Figure 7. Cryothérapie. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Dossier Plaies de l’enfant 1/2 – Radiations (rayons X, radium, iridium) La radiation a pu être proposée mais ne sera pas utilisée en pédiatrie en raison du risque carcinologique. – Antimitotiques Les antimitotiques [14] font l’objet d’études depuis plusieurs années. Interféron, mitomycine C, bléomycine, 5-fluorouracil [15] sont tous des molécules utilisées en injection in situ, soit seul soit en association avec les corticoïdes. C’est traitement doit être utilisé avec précaution et en dernier recours en pédiatrie, en raison de son interaction avec la croissance. – Lasers Les lasers [16] ont été essayés sur les cicatrices pathologiques et leur utilisation est assez facile en pédiatrie sous anesthésie locale de contact. Ils ont un effet lissant. Enfin, dans certaines situations, il peut être sage de laisser le temps aux phénomènes inflammatoires de s’amender spontanément avant de proposer des thérapeutiques agressives. Cela implique d’accompagner le patient tout au long de cette évolution parfois désespérante. La multiplicité des traitements proposés dans ces cicatrices pathologiques est le reflet de leur efficacité incertaine et de la difficulté à obtenir des résultats qui satisfassent le patient (et le praticien). Les cicatrices défectueuses ou disgracieuses Certaines cicatrices sont défectueuses ou disgracieuses sans qu’il y ait une perturbation du processus de cicatrisation : cicatrices hypotrophiques ou élargies, cicatrices adhérentes, cicatrices dischromiques, cicatrices tatouées, granulomes, défauts techniques… Toutes ces cicatrices sont éligibles à la chirurgie quelle que soit la technique utilisée : reprise chirurgicale, greffe d’adipocytes (technique de Coleman), dermabrasion avec ou sans vaporisation de kératinocytes en suspension… Cependant, il faudra attendre la fin de la phase inflammatoire pour envisager une chirurgie secondaire. Le choix du moment pour une reprise chirurgicale est parfois difficile en pratique pédiatrique. En dehors d’indications fonctionnelles pour lesquelles la question ne se pose pas, les indications esthétiques sont plus difficiles à poser : il faut s’assurer des motivations de l’enfant et que la demande n’est pas uniquement parentale. Si l’enfant est demandeur, un “contrat” doit être passé avec lui en insistant sur deux points : • La cicatrice disgracieuse va être remplacée par une autre cicatrice que nous espérons de meilleure qualité. Il n’y a pas de gomme magique pour les cicatrices. • Le traitement cicatriciel postopératoire (strip, silicone, éventuelle attelle, dispense d’activité sportive…) est Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • contraignant mais impératif pour un résultat satisfaisant. Si le patient n’est pas prêt à supporter ces contraintes, l’acte chirurgical est inutile. Si toutes ces imperfections cicatricielles peuvent être corrigées, il est bien sûr essentiel de les prévenir et de les éviter. Cicatrices et croissance Pendant la période de maturation, la cicatrice se rétracte sous l’action des myofibroblastes. Après cette phase, elle se stabilise, et son aspect est plus ou moins définitif. En pédiatrie, l’enfant va grandir avec la cicatrice. La croissance peut entraîner des tractions en raison de l’aspect fibreux de la cicatrice qui ne grandira pas aussi vite que le patient. Si cela n’est pas corrigé en cours de croissance, il peut apparaître des déformations liées à une croissance asymétrique. Le développement peut être perturbé par des cicatrices. Le médecin doit donc se préoccuper de l’impact psychologique d’une cicatrice tout au long de la croissance, et notamment à l’adolescence. C’est pourquoi un enfant porteur de cicatrices doit être suivi durant toute sa croissance de façon à pouvoir poser l’indication d’une reprise chirurgicale, que ce soit pour des raisons fonctionnelles, esthétiques ou psychologiques. Conclusion Si la physiologie du processus cicatriciel n’est pas différente chez l’enfant, l’importance des mécanismes inflammatoires aboutit à une cicatrice particulière en pratique pédiatrique, l’hypertrophie cicatricielle est physiologique, et doit être prévenue. Il faut donc, chez l’enfant : • obtenir une fermeture rapide de la plaie ; • toujours prévenir l’évolution hypertrophique de la cicatrice ; • suivre le patient porteur de cicatrices importantes jusqu’en fin de croissance. ◗ Références [7] Le Touze A. Cicatrisation normale et pathologique. In: Captier G, Galinier P, Picard A, dir. Chirurgie plastique de l’enfant et de l’adolescent. Montpellier: Sauramps Medical; 2015. p. 147-68. [8] Lee HJ, Jang YJ. Recent understandings of biology, prophylaxis and treatment strategies for hypertrophic scars and keloids. Int J Mol Sci. 2018;19(3):E711. [9] Marneros AG, Norris JE, Olsen BR, Reichenberger E. Clinical genetics of familial keloids. Arch Dermatol. 2001;137(11):1429–34. [10] Gragnani A, Warde M, Furtado F, Ferreira LM. Topical tamoxifen therapy in hypertrophic scars or keloids in burns. Arch Dermatol Res. 2010;302(1):1–4. [11] Monstrey S, Middelkoop E, Vranckx JJ, et al. Updated scar management practical guidelines: non-invasive and invasive measures. J Plast Reconstr Aesthet Surg. 2014;67(8):1017–25. [12] O’Brien L, Jones DJ. Silicone gel sheeting for preventing and treating hypertrophic and keloid scars. Cochrane Database Syst Rev. 2013;(9):CD003826. [13] O’Boyle CP, Shayan-Arani H, Hamada MW. Intralesional cryotherapy for hypertrophic scars and keloids: a review. Scars Burn Heal. 2017;3. 2059513117702162. [14] Shridharani SM, Magarakis M, Manson PN et al. The emerging role of antineoplastic agents in the treatment of keloids and hypertrophic scars: a review. Ann Plast Surg. 2010;64(3):355–61. [15] Ren Y, Zhou X, Wei Z, et al. Efficacity and safety of triamcinolone acetonide alone and combination with 5-fluorouracil for treating hypertrophic scars and keloids: a systemic review and meta-analysis. Int Wound J. 2017;14(3):480–7. [16] Jin R, Huang X, Li H et al. Laser therapy for prevention and treatment of pathologic excessive scars. Plast Reconstr Surg. 2013;132(6):1747–58. Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 15 dossier Plaies de l’enfant 1/2 Étiologies des plaies de l’enfant Laetitia GOFFINET MCU-PH, PhD Service de chirurgie infantile orthopédique Hôpitaux de Brabois, hôpital d’enfants, centre hospitalier régional universitaire de Nancy, 11 rue du Morvan, 54510 Vandœuvre-lès-Nancy, France La connaissance de l’étiologie des plaies améliore leur prise en charge. Elles peuvent, selon le traumatisme (morsure, brûlure, écrasement, accidents de voie publique), laisser de graves séquelles par lésions anatomiques d’éléments nobles et/ou infection secondaire. Faisant suite à une maladie infectieuse, inflammatoire, congénitale, à une génodermatose ou à l’exposition à un toxique, leur diagnostic est complexe et requiert un avis spécialisé rapide. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Mots-clés – enfant ; génodermatose ; maladie congénitale ; plaie ; traumatique Etiologies of the child’s wounds. Wounds management is eased by their aetiology knowledge. According to the trauma mechanism (bites, burns, crushes, road accidents), major sequalae may result of traumatic wounds, due to lesion of noble elements or infection. Wounds resulting from infectious, inflammatory or congenital disease, or from genodermatosis are complex and their management require a rapid and expert opinion. © 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Keywords – child; congenital disease; genodermatosis; trauma; wound L es plaies de l’enfant sont diagnostiquées dans deux cadres étiologiques : • les pathologies traumatiques (accidents de la vie courante, accidents sur la voie publique, violences interpersonnelles–maltraitance, violence avec arme) ; • les plaies secondaires à une pathologie sous-jacente congénitale (génodermatose, insensibilité congénitale à la douleur, etc.) ou acquise (dénutrition, infections, néoplasie, iatrogénie). Seules des données précises existent pour les lésions traumatiques, à la suite d’enquêtes permanentes de l’Institut de veille sanitaire sur les accidents de la vie courante (ACVC) en France [1]. Les plaies représentent 23 % des conséquences lésionnelles des ACVC de l’enfant de moins de 16 ans, (deuxième cause). Il existe une surreprésentation masculine de 67 % (sex-ratio de 2). Chez les enfants de 3 à 5 ans, il s’agit de la première lésion observée, avec respectivement 37 %, 38 % et 36 % des lésions de chaque tranche d’âge de 3, 4 et 5 ans, filles et garçons mélangés. Les ACVC touchent généralement la tête (34 %) et le membre supérieur (34 %). Pathologies acquises La plaie traumatique L’étiologie des plaies traumatiques conditionne en partie leur devenir et modifie la prise en charge. L’interrogatoire recherche la nature de l’agent vulnérant et le délai de prise en charge. Adresse e-mail : l.goffi[email protected] (L. Goffinet). 16 Verre, porcelaine Le verre “ne s’arrête qu’à l’os”, la porcelaine se fragmente. Toute plaie doit être explorée pour faire le bilan © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.refrac.2019.10.003 lésionnel en profondeur et ôter tous les fragments, préalablement visualisés par une radiographie en incidence “rayons mous”. Couteau, céramique et métaux ✦ Les plaies par objet tranchant (couteau en métal ou en céramique) n’ont pas de corps étranger associé. La souillure est relative à la contamination de la lame et souvent par Staphylococcus aureus auto-inoculé. ✦ Le grillage associe une pénétration et un décollement avec arrachement possible de structures nobles (plaie du creux axillaire avec atteintes vasculonerveuses). Des fragments de rouille, de gainage plastique du grillage, de végétaux, de terre ou de vêtements peuvent être introduits. ✦ Les plaies par extrémité de guidon ont des mécanismes pénétrant dans les plis inguinaux, le périnée ou l’abdomen associant des lésions viscérales et des contaminations par effet d’emporte-pièce. Elles doivent être explorées au bloc opératoire. ✦ Les avulsions par rayons de vélo de la cheville associent une dermabrasion avec décollement tangentiel et une possible fracture de Salter (figure 1). Végétaux Les plaies par piquants (ronces, rose, acacia, cactus) peuvent laisser un fragment non visible macroscopiquement. La consultation survient plus tardivement pour évolution douloureuse et inflammatoire, signant une infection locorégionale : dermo-hypodermite, panaris, phlegmon des gaines des fléchisseurs caractérisé par une inflammation immuno-allergique, plus difficile à traiter. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • dossier Plaies de l’enfant 1/2 Accident sur la voie publique : écrasement, avulsion Plaies par vivants aquatiques (poissons, méduse et coquillage) Les lésions cutanées à la suite d’un choc secondaire à la décélération brutale, celles par écrasement, par frottement de la ceinture de sécurité ou de l’airbag, ou par arrachement de membre ou dermabrasion si l’enfant est éjecté du véhicule et/ou traîné. Les brûlures par contact sur le pot d’échappement sont fréquentes à moto ou par le moteur en cas d’écrasement sous un tracteur. L’urgence est le risque vital par hémorragie, lésion viscérale ou du système nerveux central, l’urgence fonctionnelle de la plaie passe après stabilisation de l’enfant polytraumatisé. Il s’agit de la première cause de plaie par espèces non conventionnelles (66 % des cas) [2]. Les poissons venimeux (poisson-pierre, Pterois–poisson-lion) et les anémones urticariantes donnent une réaction inflammatoire majeure, requérant l’ablation des piquants et des bains d’eau chaude à 42° (trente minutes), et le membre atteint surélevé. La cuboméduse (Chironex fleckeri d’Australie et d’Indonésie) produit des vasospasmes et des thromboses vasculaires extensives, impliquant un bilan et un traitement vasculaire spécifique. Enfin, le rouget (Erysipelothrix rhusiopathiae), peut être consécutif d’une plaie par coquillage ou poisson. Morsures par animaux terrestres Brûlure Par mammifères : les carnivores vont mordre avec une inoculation profonde, un décollement sous-cutané et un arrachement, alors que les herbivores (bovins, chevaux, porc, ovins) vont écraser les tissus, avec risque de syndrome des loges chez l’enfant, à risque de surinfection à anaérobies. Chaque animal présente une écologie particulière. Cependant, les contaminations sont polymicrobiennes, toute plaie doit faire l’objet d’un prélèvement afin d’adapter l’antibiothérapie et la prophylaxie antirabique doit être effectuée [2]. Plusieurs cas particuliers existent : la lymphoréticulose bénigne d’inoculation spécifique du chat, la tularémie par contamination due à Francisella tularensis du lapin. Enfin, pour les primates non humains, une prophylaxie d’infection par l’Herpes virus B doit être réalisée par aciclovir et rinçage très abondant de la plaie (infection fatale). Parmi les patients hospitalisés pour brûlure, 44 % ont moins de 18 ans, et 32 % moins de 4 ans [3]. Deux études détaillent l’origine des brûlures de l’enfant en Europe [4,5]. Le domicile de l’enfant est le premier lieu de brûlure. ✦ Thermique : la profondeur et la surface dépendent de la nature de l’agent vulnérant (température, temps de contact). Les lésions les plus fréquentes sont liées aux liquides chauds (cuisine, boissons [figure 2], eau chaude sanitaire, lait et huile) : elles sont étendues entre 5 et 20 % de surface corporelle, beaucoup plus étendues en cas Reptiles © L. Goffinet © L. Goffinet Les morsures de serpent enveniment la plaie et sont traitées par bains en eau chaude et antidote selon l’espèce. Les morsures de varan ou d’iguane sont très graves par l’atteinte infectieuse polymicrobienne. Il s’agit d’urgence à traiter en collaboration avec les collègues spécialistes des maladies infectieuses et tropicales. Figure 1. Plaie par rayons de vélo. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Figure 2. Brûlure thermique par eau chaude de la face dorsale de la main et du poignet. 17 dossier Plaies de l’enfant 1/2 [1] Thélot B, Chatelus AL. Les accidents de la vie courante chez les enfants scolarisés en CM2 en 2004-2005. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2010. 38 p. http://www.invs.sante.fr. [2] Israel JS, McCarthy JE, Rose KR, Rao VK. Watch out for wild animals: a systematic review of upper extremity injuries caused by uncommon species. Plast Reconstr Surg. 2017;140(5):1008–22. [3] Pasquereau A, Thélot B. Hospitalisations pour brûlures à partir des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information, France métropolitaine 2011 et évolution depuis 2008. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2014. 8 p. http://www.invs.sante.fr. [4] Mercier C, Blond MH. Epidemiological survey of childhood burn injuries in France. Burns. 1996;22(1):29–34. [5] Natterer J, de Buys Roessingh A, Reinberg O, Hohlfeld J. Targeting burn prevention in the paediatric population: a prospective study of children’s burns in the Lausanne area. Swiss Med Wkly. 2009;139(37–38):535–9. [6] Inwald DP, Arul GS, Montgomery M et al. Management of children in the deployed intensive care unit at Camp Bastion, Afghanistan. J R Army Med Corps. 2014;160(3):236–40. 18 exfoliantes et de lysines [7]. Le Staphylococcus aureus et le Streptococcus pyogenes sont capables de lésions cutanées étendues à partir d’un foyer local (impétigo, furonculose) ou d’une infection systémique. Des décollements cutanés dans un contexte de fièvre avec vomissements et douleurs abdominales doivent conduire à des prélèvements en urgence pour recherche bactériologique pour traitement et envoi des souches aux centres nationaux de référence (vigilance sanitaire). ✦ Les dermo-hypodermites (“cellulites”) font suite à des inoculations. Les plus graves sont les formes nécrosantes et polymicrobiennes à anaérobies (ancienne “gangrène gazeuse”), toutes deux urgences vitales de réanimation du choc septique et d’excision du tissu infecté. L’atteinte la plus sévère est le purpura fulminans à meningococcus. Le pronostic vital et fonctionnel est engagé et relève d’une antibiothérapie immédiate (figure 3). Le noma est une stomatite polymicrobienne nécrosante de l’enfant dénutri et/ou immunodéprimé de l’enfant des zones tropicales. Cette pathologie extrêmement mutilante est une des séquelles les plus traitées en mission humanitaire avec les séquelles de brûlures. Virus Les virus, en dehors des maladies éruptives infantiles, responsables d’atteintes cutanées, sont essentiellement ceux du groupe herpès. Traumatisme balistique ✦ Arme de chasse : les plaies par plomb de carabine ou fusil sont possibles le plus souvent en milieu rural. Les mains sont possiblement atteintes avec fracas osseux, perte de substance et dévascularisation par fusil. Dans ce cas, il s’agit d’une urgence microchirurgicale pour tenter le sauvetage de la fonction. ✦ Arme de guerre : les enfants représentent environ 14 % des admissions dans les unités de soins intensifs des hôpitaux militaires en terrain de guerre [6]. Les lésions font suite à des explosions (blasts), plaies par balle puis par arme blanche et enfin des brûlures. Plusieurs scores de sévérité existent permettant une prédictibilité de la survie. ✦ Polycriblage : à la suite d’explosion d’engins artisanaux, confectionnés dans le cadre d’attentat terroriste, les patients présentent des lésions caractéristiques de polycriblages de corps étrangers métalliques entre autres. Tous les mécanismes lésionnels doivent être envisagés et peuvent relever des cellules gérant les risques nucléaires radiologiques biologiques et chimiques (NRBC). La plaie infectieuse Bactéries ✦ Les destructions épithéliales sans inoculation sont le fait des bactéries porteuses de toxines © L. Goffinet Références d’immersion. Puis surviennent les brûlures par contact (fer à repasser, à lisser, insert de cheminée ou poêle de chauffage). Elles sont profondes et touchent souvent les mains. Les brûlures par flammes sont plus graves en cas d’inflammation de vêtements ou d’incendie en espace clos, en raison des lésions respiratoires associées (inhalation de suies dans les deux cas, de CO et de cyanides dans le second). Le cas particulier des brûlures par feu d’artifice et pétards est à connaître par les lésions d’avulsions des mains associées à l’explosion du dispositif. ✦ Électrique : le petit enfant est victime d’électrisation des mains et/ou de la bouche par courant ménager (220 V), avec destruction des pédicules, des gaines des fléchisseurs ou les capsules articulaires. L’adolescent est plus exposé à l’électrisation à haut voltage (caténaire de train, transformateur, prise de la canne à pêche dans une ligne à haute tension). ✦ Chimique : elle est beaucoup plus rare. Il s’agit de lésion par produits ménagers (soude) ou industriels. Le risque de toxicité est propre à chaque produit et une prise en charge spécialisée est requise même pour une petite lésion (1 %), le risque vital étant possiblement en jeu. ✦ Radique : exceptionnelle chez l’enfant, elle peut survenir dans les suites de radiothérapie ou d’enfants issus de familles nomades en Europe, exposés à des friches industrielles. Figure 3. Lésions pétéchiales de purpura à méningocoques. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • dossier Plaies de l’enfant 1/2 ✦ La primo-infection à Herpes simplex virus 1 est péribuccale, plus rarement touchant l’œil et à risque d’encéphalite herpétique (urgence vitale et fonctionnelle). Les atteintes génitales de l’enfant doivent faire rechercher des infections sexuellement transmissibles et des maltraitances avec sévices sexuels. ✦ Le syndrome de Stevens-Johnson, réaction immuno-infectieuse peut survenir des suites d’une infection à Mycoplasma pneumoniae. Les soins doivent être réalisés avec une très grande attention des synchéchies labiales et péri-orificielles pouvant survenir dans les suites. La gale connaît une forte résurgence (figure 4) en zone urbaine comme en milieu rural [8]. Une notion de prurit familial est le principal point d’appel : les lésions sont souvent très complexes chez l’enfant avec lésions de grattage (lichenification) et impétiginisation (surinfection à Staphylococcus aureus). L’isolement et la décontamination des boxes de consultation doivent être rigoureux pour éviter une épidémie au sein des personnels. © L. Goffinet Acariens Figure 4. Gale (diagnostic retardé d’un mois) sous plâtre avec impétiginisation et plaie par aiguille à tricoter faite par l’enfant. Parasites Seule Larva migrans d’importation, chez des enfants de retour de vacances de zones tropicales, sont à retenir : des microlésions cutanées des pieds ou des mains souvent isolées avec possible œdème compartimental, adénopathies, hyperéosinophilie. Le diagnostic est échographique. Plaie inflammatoire et pathologie immunitaire Leur diagnostic est très difficile, simulant une maltraitance devant une répartition aléatoire des lésions dans un contexte d’asthénie et d’amaigrissement avec apathie de l’enfant (figure 5). Le retard habituel de tableau biologique chez l’enfant rend difficile la certitude diagnostic (avis dermatologique, biopsie). Hyperéosinophilie Les éruptions bulleuses inflammatoires en plaques sur le corps et les extrémités sont particulièrement impressionnantes avec hyperéosinophylie majeure. Un avis spécialisé auprès du centre de référence est indispensable (biopsie). Paranéoplasie et lésion de l’enfant atteint de cancer Un avis spécialisé est indispensable pour différencier une paranéoplasie pure d’une atteinte cutanée secondaire d’un traitement (réaction du greffon contre l’hôte, toxidermie) ou d’une surinfection. Les surinfections sur cathéter ou lésions cutanées sont peu bruyantes cliniquement, sans inflammation ni écoulement purulent Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • © L. Goffinet Vascularite et dermatite Figure 5. Lésions cutanées dues à un lupus érythémateux disséminé survenu à l’âge de 11 ans. chez l’enfant en aplasie. Le diagnostic et le traitement doivent être rapides, le pronostic vital étant possiblement engagé. Iatrogène Les plaies liées aux soins sont multiples et leur premier traitement est la prévention. Ainsi, plusieurs situations sont particulièrement connues et codifiées dans leur prise en charge. Parmi elles, nous pouvons citer : • diffusion de perfusion ; • thrombose sur cathétérisme artériel avec embolisation distale ; • médicaments : – le syndrome de Stevens-Johnson et Lyell, – les toxidermies ; Références [7] Collège des enseignant en dermatologie de France (Cedef). [Item 152 - UE 6 Mucocutaneous mycotic and and bacterial infections]. Ann Dermatol Venereol. 2015;142:S83–S100. [8] Lê MS, Richard MA, Baumstarck K et al. le groupe de recherche en dermatologie pédiatrique de la Société française de dermatologie. [Evaluation of practices in the management of scabies in children]. Ann Dermatol Venereol. 2017;144(5):341–8. 19 dossier Plaies de l’enfant 1/2 Pathologies congénitales Génodermatoses © L. Goffinet Toutes des génodermatoses (maladies de la peau liées à une mutation constitutionnelle de la peau segmentaire ou systémique) engendrent une fragilité cutanée avec possible apparition de plaie. Parmi les plus courantes, il faut connaître les suivantes : • épidermolyses bulleuses congénitales (figure 6) ; • ichtyoses ; • syndrome de Marfan ; • neurofibromatoses ; • aplasia cutis (figure 7) ; • naevus congénital géant ; • anomalies vasculaires. Pour chacune d’entre elles, l’enfant doit être pris en charge dans le centre de compétence le plus proche pour bénéficier de soins adaptés. Figure 6. Épidermolyse bulleuse congénitale dystrophique du nourrisson. Maladie de Verneuil, kyste sacro-coccygien et hamartomes ✦ Chez l’adolescent (fille et garçon), l’apparition de plaies compatibles avec un aspect de furonculose des creux axillaires et des plis inguinaux résistants aux traitements doit faire rechercher une maladie de Verneuil. De même, une plaie surinfectée du sillon fessier évoque un kyste sacro-coccygien, à prendre en charge chirurgicalement. ✦ Chez le nouveau-né, une lésion suintante du cuir chevelu suggère un aplasia cutis ou un hamartome, dont le diagnostic est assuré par un avis spécialisé. Conclusion © A. Le Touze Les étiologies des plaies de l’enfant sont multiples et leur prise en charge bien codifiée. L’anamnèse, le recueil des antécédents personnels et familiaux et des contages infectieux possibles (communautaire ou d’importation culturelle ou touristique) permettent le diagnostic. La prise en charge des plaies complexes est pluridisciplinaire mais rapide. Toutes doivent conduire le praticien au contrôle du statut vaccinal antitétanique. ◗ Figure 7. Aplasia cutis. Références [9] Fleurentin L, Bursztejn AC, Petitpain N et al. Senna laxative-induced dermatitis in children: a dermatitis mimicking child abuse. Eur J Dermatol. 2019;29(3):327–9. Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 20 • radiothérapie ; • complications des plaies opératoires ; • escarre. Toxique Le recours des patients aux médecines alternatives et phytothérapie engendrent une recrudescence de pathologies de physiopathologie complexes avec atteintes cutanées simulant des maltraitances (aspect de griffure) et ecchymose sur vacuothérapie (médecine chinoise traditionnelle), ou brûlure du siège (tisane au Séné), les parents cachant le recours à ces pratiques [9]. Un interrogatoire bienveillant retrouve le facteur causal et évite des drames humains de procédures injustifiées. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Dossier Plaies de l’enfant 1/2 Les morsures de l’enfant Les morsures chez l’enfant atteignent essentiellement la face et sont causées le plus souvent par des chiens. Ce sont des plaies souillées à risque infectieux élevé et souvent délabrantes. La prise en charge chirurgicale spécialisée en urgence doit permettre de minimiser les séquelles fonctionnelles, esthétiques et psychologiques. Ces plaies doivent être suturées, comme toute autre plaie, sous couvert d’une antibiothérapie et d’une surveillance clinique. La prévention de l’infection et du risque rabique est le volet médical de la prise en charge. Un accompagnement psychologique doit être mis en place pour l’enfant et sa famille. Les séquelles pourront nécessiter des reprises chirurgicales en cours de croissance. La prévention de ces accidents passe par l’éducation des chiens et de leur propriétaire, mais aussi des enfants. Anne LE TOUZE Praticien hospitalier Service de chirurgie viscérale et plastique pédiatrique, unité des brûlés, hôpital pédiatrique Gatien-de-Clocheville, centre hospitalier régional universitaire de Tours, 49, boulevard Béranger, 37044 Tours cedex 9, France © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Mots clés – éducation ; enfant ; morsure ; plaie ; séquelle Bites in children. Bites in children involve frequently the face and are caused mostly by dogs. They are contaminated wounds with a high risk of infection. They often are complex wounds. Specialized surgical management is an emergency to minimize functional, cosmetic and psychological outcomes. These wounds have to be carefully sutured as any other facial wound, with antibiotic protection and clinical monitoring. Prevention of infection and rabies risk is the medical aspect of the management. A psychological support should be proposed to the child and his parents. Secondary surgery may be necessary as the child grows to treat sequellae. Prevention of the accidents involves education of dogs, masters and children. © 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Keywords – child; dog bite; education; sequel; wound L es morsures font partie des accidents fréquents chez l’enfant. Les conséquences fonctionnelles, esthétiques et psychologiques sont souvent lourdes. Aussi s’agit-il d’un véritable problème de santé publique. Leur prévention passe par l’éducation des enfants, des propriétaires d’animaux et des animaux domestiques. Fréquentes au visage, les morsures nécessitent une réparation de bonne qualité, et ce, malgré les risques infectieux. Nous parlerons essentiellement des morsures de chien. Épidémiologie ✦ Les morsures chez l’enfant sont fréquentes et provoquées plus souvent par des animaux que par des humains. Il s’agit, la plupart du temps, de morsures dues à des mammifères : le chien est certainement le principal responsable dans nos régions mais aussi les chats, les chevaux, les ânes, plus rarement les fauves hébergés dans des zoos ou des cirques, les rats et enfin les humains. Les morsures entre enfants sont courantes dans les cours de récréation des écoles maternelles chez les petits de 3-4 ans mais elles n’entraînent qu’exceptionnellement des plaies : elles laissent le plus souvent des ecchymoses sur la zone mordue. Les poissons peuvent également être Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • responsables de morsures, tels les brochets, les barracudas ou les requins. Enfin, les reptiles mordent mais, en général, ce n’est pas la plaie liée à la morsure qui est préoccupante mais bien plus les problèmes médicaux toxiques, que nous n’aborderons pas dans cet article. ✦ L’Institut de veille sanitaire a réalisé une enquête multicentrique sur les facteurs de gravité des morsures vues aux urgences [1]. Celles de chien sont les plus fréquentes chez l’enfant du fait d’une surpopulation canine en France par rapport aux autres pays européens : un chien pour six habitants. Il s’agit le plus souvent d’un chien connu de l’enfant, avec lequel il a l’habitude de jouer, mais aussi parfois de chahuter et de commettre des “sévices”. Dans 60 % des cas, il s’agit d’un berger allemand ou d’un “bâtard” issu de berger allemand qui sont également les chiens les plus communément rencontrés dans la population canine, puis viennent les chiens de chasse, les cockers et, loin derrière, les chiens d’attaque (“chiens de catégories 1 ou 2” selon la réglementation). Cela correspond à peu près à la répartition de la population canine ; il n’est donc probablement pas exact de dire que les bergers mordent plus que les autres… ✦ La morsure est un accident saisonnier puisque les trois quarts surviennent d’avril à septembre sur © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.refrac.2019.10.004 Adresse e-mail : [email protected] (A. Le Touze). 21 Dossier Plaies de l’enfant 1/2 six mois ; à cette époque de l’année, les enfants jouent beaucoup dehors. On note une recrudescence les soirs d’été par temps orageux (figure 1). ✦ Les décès par morsure animale sont exceptionnels chez l’enfant en France, mais beaucoup plus fréquents aux États-Unis. Les enfants vus aux urgences pour cause de morsure sont traités en externe dans 80 % des cas, et 20 % sont hospitalisés en chirurgie. Les localisations les plus fréquentes en pédiatrie sont la face et les mains, l’enfant jouant avec son animal familier comme avec une peluche vivante (figure 2). Le risque infectieux © A. Le Touze ✦ Les plaies par morsure sont constamment des plaies souillées susceptibles de se surinfecter ou de provoquer des infections généralisées [2]. En effet, la bouche est un milieu septique mais, selon la race animale à l’origine de la morsure, les germes responsables © A. Le Touze Figure 1. La morsure est un accident saisonnier. Figure 2. Les localisations les plus fréquentes sont la face et les mains. 22 de complications infectieuses seront différents. Ainsi, le chien véhicule principalement le tétanos et les pasteurelloses, parfois la rage ; le rat et le brochet sont responsables de la leptospirose… Les délais d’incubation sont différents selon les agents infectieux, c’est pourquoi il est important d’avoir une notion de ces spécificités bactériologiques : la prévention, le diagnostic et le traitement en dépendront. ✦ La prévention de l’infection passe par quatre étapes : • Le traitement local immédiat à l’eau et au savon de Marseille, puis au dakin ou à la polyvidone iodée qui a l’avantage d’avoir un effet rabicide, à l’eau oxygénée qui agit contre les anaérobies. Tous ces produits peuvent être utilisés successivement sans inconvénient. • La prévention du tétanos. En principe, comme la vaccination est obligatoire en France, il suffit de vérifier que les vaccinations sont à jour sur le carnet de santé. Dans le cas contraire, un rappel sera administré, associé ou pas à une sérothérapie. • La prévention de l’infection de la plaie par une antibiothérapie par voie générale : actuellement, le consensus en pédiatrie se porte sur une association bêta-lactamine-acide clavulanique (Augmentin®). La voie d’administration (orale ou parentérale) dépendra de l’importance de la plaie et de sa localisation. En cas d’allergie aux bêtalactamines, le choix se portera sur les macrolides. Rappelons que les tétracyclines sont contreindiquées chez l’enfant avant l’âge de 8 ans, en raison des risques d’altération dentaire. • La prévention rabique. La rage est considérée comme éradiquée en France depuis 2001 (arrêté du 30 avril 2001 [3]). Elle est à craindre essentiellement après une morsure de chien survenue au cours d’un voyage en pays d’endémie (Asie, Afrique, Amérique du Sud), ou provoquée par un animal importé illégalement et qui échappe au contrôle vétérinaire. En pratique, ce risque rabique est donc relativement faible, et le risque infectieux bactérien est certainement beaucoup plus important. Cependant, la législation concernant la prévention rabique est toujours applicable et doit être connue de tout le service de santé susceptible d’accueillir des morsures animales. L’article L223-10 du Code rural, décret 2000-914 du 18 septembre 2000 relatif à la lutte contre la rage [4], rend obligatoires les mesures suivantes : • la surveillance vétérinaire de 14 jours pour un animal domestique et de 30 jours pour un animal sauvage apprivoisé ou tenu en captivité ; • la première visite vétérinaire au cours des 24 premières heures ; • la deuxième visite le 7e jour ; Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Dossier Classiquement, il est préconisé de ne pas suturer les plaies par morsure animale ou de rapprocher les berges de façon lâche. Les morsures de l’enfant, comme nous l’avons vu, sont très fréquentes à la face et il semble difficile d’adopter cette attitude thérapeutique. Ainsi, pour la plupart des équipes pédiatriques [5-10], une suture de bonne qualité doit être réalisée, comme pour toute plaie, mais sous certaines conditions (figures 3, 4 et 5). ✦ Les principes de la prise en charge chirurgicale sont : • Une suture précoce sauf si le risque rabique existe : en effet, plus le délai entre la morsure et la suture est long, plus le risque infectieux est important. De ce fait, la suture d’une morsure de chien, notamment à la face, est longtemps restée une urgence à prendre en charge, même à une heure avancée de la nuit si les délais de jeûne l’exigeaient. Récemment, il a été montré que le fait de reporter une suture au lendemain n’accroît pas le risque infectieux, à condition de commencer l’antibiothérapie et de réaliser un pansement humide antiseptique [11]. Cependant, il semble que, lorsque le siège de la plaie fait craindre l’atteinte d’un élément vasculo-nerveux ou canalaire à suturer, il est raisonnable de ne pas attendre pour réaliser ces sutures dans de bonnes conditions, avant l’apparition de l’œdème périlésionnel ; • Un nettoyage abondant et en profondeur ; Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • © A. Le Touze Prise en charge chirurgicale des plaies Figure 3. Plaie de la face par morsure de chien. Figure 4. Suture au bloc opératoire sous anesthésie générale. © A. Le Touze • la troisième visite le 14e ou le 30e jour ; • en cas de décès ou d’abattage, la tête de l’animal doit être remise à un laboratoire agréé par la direction départementale des services vétérinaires pour le diagnostic de la rage. En pratique : • Si l’animal est vacciné et déclaré sain après la période d’observation, ni la sérothérapie ni la vaccination ne sont nécessaires. • Si l’animal est connu mais non vacciné et qu’il est déclaré sain après le premier examen, une vaccination sera commencée puis interrompue s’il est déclaré sain après la totalité de la période d’observation. • Si l’animal est inconnu, et à plus forte raison si la morsure a eu lieu dans une zone d’endémie, une sérothérapie et une vaccination seront réalisées. • Si la morsure est provoquée par un animal présentant des signes de la rage, une sérothérapie et une vaccination seront réalisées et du sérum antirabique sera injecté dans les berges de la plaie. Dans tous les cas, les centres antirabiques sont à la disposition des soignants et du public pour apporter des réponses dans les situations difficiles : ils sont les seuls à être habilités à dispenser la vaccination. © A. Le Touze Plaies de l’enfant 1/2 Figure 5. Résultat à 1 an. • Le parage de la plaie ; • Une antibiothérapie systématique ; • Le contrôle systématique de la plaie à la 48e heure après la suture ; • Sous anesthésie générale ou anesthésie locale : dès que la plaie est suffisamment étendue pour justifier de nombreux points (l’appréciation est laissée au chirurgien), les soins sont réalisés sous anesthésie générale de façon à pratiquer un nettoyage dans de bonnes conditions : brossage, nettoyage dans 23 Dossier [1] Ricard C, Thélot B. Facteurs de gravité des morsures de chien aux urgences. Enquête multicentrique, France. Mai 2009-juin 2010. SaintMaurice: Institut de veille sanitaire; 2011. https://www. santepubliquefrance.fr/ maladies-et-traumatismes/ traumatismes/articles/enquetesur-les-facteurs-de-gravitedes-morsures-de-chien. [2] Abrahamian FM. Dog bites: bacteriology, management, and prevention. Curr Infect Dis Rep. 2000;2(5):446–53. [3] Ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Arrêté du 30 avril 2011 abrogeant la liste des départements déclarés atteints par la rage. Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/ affichTexte.do?cidTexte=JOR FTEXT000000756282&categor ieLien=cid. 24 © A. Le Touze Figure 6. Perte de substance de la lèvre supérieure laissée en cicatrisation dirigée. Figure 7. Résultat à 6 ans. Complications et séquelles ✦ Les complications surviennent dans 5 à 10 % des cas selon les séries. Il s’agit essentiellement d’infections ou d’œdèmes majeurs postopératoires. Il faut noter que les authentiques surinfections (écoulement de pus franc par la cicatrice) sont observées dans la plupart des cas sur les patients qui n’ont pas été suturés au bloc opératoire sous anesthésie générale et sont donc très certainement en rapport avec un nettoyage insuffisant. ✦ L’œdème postopératoire nécessite une antibiothérapie par voie générale et une surveillance pluriquotidienne, surtout à la face en raison du risque de cellulite de la face (figure 8). © A. Le Touze Références les décollements sous cutanés… L’anesthésie locale peut être complétée par l’inhalation d’un mélange d’oxygène et de protoxyde d’azote (Kalinox®) ; • La prise en charge de la cicatrice : massages cicatriciels, gel de silicone… ✦ Les gestes réalisés : • Sur les lésions punctiformes, il faut se méfier des lésions profondes sous-jacentes (canaux lacrymaux, canal de Sténon, nerfs, gaines tendineuses, plaies articulaires…). Il est donc important d’explorer ces plaies de petite taille si elles se trouvent en regard de zones à risque. Le risque infectieux est réel en raison de la contamination sous cutanée peu accessible au nettoyage, le risque cicatriciel est relativement faible ; ces plaies ponctiformes ne seront donc pas suturées, on y apposera tout au plus une suture adhésive (strips). • Les plaies simples seront prises en charge aux urgences ou au bloc opératoire, abondamment nettoyées et brossées, puis suturées, comme toute autre plaie, avec des points séparés avec du fil non résorbable, retirés au 5e ou 6e jour sur la face, au 8e ou 10e jour ailleurs. Au niveau de la face, il faut être particulièrement attentif à aligner parfaitement un arc de cupidon, un bord libre palpébral… • Les lésions contuses, les déchirures, les plaies complexes sans grande perte de substance nécessitent un parage et une suture immédiate. En cas de perte de substance, les indications de lambeaux ou de greffes sont exceptionnelles dans ce contexte septique. La cicatrisation dirigée a encore sa place dans ces situations et donne le plus souvent satisfaction (figures 6 et 7). • Pour les délabrements, il est important de traiter l’urgence en réparant au maximum mais en “restant raisonnable”. Il ne faut jamais perdre de vue le risque infectieux qui pourrait compromettre un lambeau qu’il faut savoir remettre à plus tard ou garder pour le stade de séquelles [12]. © A. Le Touze Plaies de l’enfant 1/2 Figure 8. Début de cellulite de la face nécessitant un lâchage de points et un drainage. ✦ La surinfection justifie le lâchage de points, et éventuellement un nettoyage sous anesthésie générale, voire un drainage. ✦ L’inflammation et l’hypertrophie cicatricielles sont fréquentes et ne seront considérées comme complications que si elles persistent au-delà du troisième mois. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Dossier © A. Le Touze Plaies de l’enfant 1/2 Figure 9. Séquelle de morsure de l’oreille chez une enfant de 8 ans. • Il est de notre responsabilité de s’assurer que le patient que nous avons traité ne court aucun risque rabique, et donc d’exiger les trois certificats vétérinaires légaux. Par ailleurs, il est obligatoire de déclarer en mairie tout animal ayant mordu, ce qui n’incombe pas nécessairement au corps médical. Cependant, ces informations doivent être données au patient qui pourra signaler le chien mordeur. ✦ Les séquelles ne pourront être évaluées qu’après douze à dix-huit mois d’évolution cicatricielle. Ce n’est qu’à ce terme que le certificat de consolidation demandé par les assurances pourra être rédigé. Il faut donc savoir ne pas se presser pour les reprises, utiliser tous les moyens de guidance cicatricielle à notre disposition. Il n’est pas non plus impératif d’attendre l’adolescence pour envisager les reprises cicatricielles, comme cela est parfois préconisé, mais d’attendre que les phénomènes inflammatoires soient résorbés (figures 9 et 10). Il est parfois difficile sur le plan psychologique de faire patienter les enfants et leurs parents lorsque les séquelles sont importantes, et notamment à la face. Prévention « Qui a mordu, mordra. » Cet adage signifie que tout animal qui a mordu devrait être euthanasié au terme de la période d’observation vétérinaire s’il ne bénéficie pas d’une évaluation et d’une rééducation comportementale (une obligation pour les chiens mordeurs selon l’article L211-14-2 du Code rural [13]). Par ailleurs, il est important d’éduquer les parents et les enfants ainsi que les propriétaires d’animaux. Un certain nombre de supports sont disponibles : livrets, CD interactifs… © A. Le Touze Conclusion Figure 10. Correction chirurgicale, résultat à 3 mois. ✦ Enfin, un certain nombre de problèmes médicolégaux méritent d’être prévenus par un suivi rigoureux des dossiers : • Un certificat médical initial doit être rédigé de façon détaillée car ces blessures donnent en général droit à réparation du préjudice par les assurances du propriétaire de l’animal. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Les morsures de l’enfant sont un véritable problème de santé publique. L’importance de la rançon cicatricielle et des conséquences psychologiques justifient une suture précoce et fine sous couvert d’une antibiothérapie et d’une surveillance médicale. Il faut savoir attendre raisonnablement pour reprendre les cicatrices. Enfin, soulignons l’importance de la prévention et de l’éducation. ◗ Références [4] Code rural et de la pêche maritime. Article L223-10. https://www.legifrance.gouv.fr/ affichCodeArticle.do?idArticle= LEGIARTI000024395954&cidTe xte=LEGITEXT000006071367& dateTexte=20110724 [5] Javaid M, Feldberg L, Gipson M. Primary repair of dog bites to the face: 40 cases. J R Soc Med. 1998;91(8):414–6. [6] Chevallier B, Sznadjer M. Dog bites in children. Arch Pediatr. 1999;6(12):1325–30. [7] Gandhi RR, Liebman MA, Stafford BL, Stafford PW. Dog bite injuries in children: a preliminary survey. Am Surg. 1999;65(9):863–4. [8] Mcheik JN, Vergnes P, Bondonny JM. Treatment of facial dog bites in children: a retrospective study. J Pediatr Surg. 2000 Apr;35(4):580–3. [9] Stefanopoulos PK, Tarantzopoulou AD. Facial bite wounds: management update. Int J Oral Maxillofac Surg. 2005;34(5):464–72. [10] Hersant B, Cassier S, Constantinescu G et al. [Facial dog bite injuries in children: retrospective study of 77 cases]. Ann Chir Plast Esthet. 2012;57(3):230–9. [11] Akhtar N, Smith MJ, McKirdy S, Page RE. Surgical delay in the management of dog bite injuries in children, does it increase the risk of infection? J Plast Reconstr Aesthet Surg. 2006;59(1):80–5. [12] Suárez O, López-Gutiérrez JC, Burgos L et al. [Surgical treatment in severe dog bites injures in pediatric children]. Cir Pediatr. 2007;20(3):148–50. [13] Code rural et de la pêche maritime. Article L211-14-2. legifrance.gouv.fr/ affichCodeArticle.do?cidTexte= LEGITEXT000006071367&idArt icle=LEGIARTI000019062509& dateTexte=&categorieLien=cid Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 25 dossier Plaies de l’enfant 1/2 Les plaies liées aux soins en milieu pédiatrique Marie-Christine PLANCQ Praticien hospitalier Service de chirurgie pédiatrique, centre hospitalier universitaire d’Amiens, 1 rond-point du ProfesseurCabrol, 80054 Amiens cedex 1, France Les escarres et les extravasations sont des lésions iatrogènes moins fréquentes que dans la population adulte mais dont la prévalence est mal connue. Elles surviennent plus souvent chez certains groupes à risque notamment les très jeunes enfants hospitalisés dans les secteurs de réanimation ou de soins continus pédiatriques et les enfants porteurs d’une infirmité d’origine cérébrale. Le traitement préventif est essentiel à condition de bien identifier les facteurs de risque. Ces lésions cutanées secondaires à une compression interne ou externe, peuvent aboutir à une nécrose des tissus mous pouvant nécessiter un traitement chirurgical. Des protocoles institutionnels doivent être établis pour limiter les conséquences de ces accidents. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Mots-clés – enfant ; escarre ; extravasation ; nécrose cutanée ; plaie liée au soin Wounds related to paediatric care. Pressure ulcer and extravasation are iatrogenic injuries less common than in adult population but the prevalence is not well known. Some particular groups must be considered at risk including neonates hospitalized in intensive care units and cerebral palsy children. Preventive treatment is fundamental with identifying risk factors. Skin injuries induced by internal or external compression can result in soft tissue necrosis and required surgical treatment. Efficient hospital protocols should be documented and disseminated to medical and paramedical teams to decrease the prevalence and the consequences of those accidents. © 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Keywords – child; extravasation; pressure ulcer; skin necrosis; wound related to care B eaucoup de nouveau-nés hospitalisés dans les secteurs de réanimation ou de soins intensifs, soit en raison de leur prématurité, soit parce qu’ils sont porteurs d’une malformation congénitale grave, présentent des complications liées à la naissance. Dans ces secteurs, la peau est soumise à des techniques plus ou moins invasives soit pour les perfusions soit pour la ventilation. Des plaies peuvent parfois compliquer les soins et laisser des séquelles cicatricielles esthétiques et ou fonctionnelles [1]. Les extravasations et les escarres sont les lésions les plus fréquemment observées. Ces lésions ont une physiopathologie assez proche. Un mécanisme de compression est à l’origine de la lésion : soit une compression intrinsèque par diffusion souscutanée d’un soluté soit une compression extrinsèque par appui sur un plan dur. Cette compression est responsable d’une ischémie locale qui peut aboutir à une nécrose des téguments. Le traitement est avant tout préventif et bien connaître les facteurs de risque de survenue de ces lésions permet de mieux cibler les enfants à risque et de mettre en place des mesures de prévention. Épidémiologie La fréquence de ces accidents est mal connue et peu rapportée dans la littérature car ces accidents sont souvent minimisés. Son incidence pédiatrique globale est de 5 à 58 % selon les études, et l’évolution vers une nécrose cutanée de l’ordre de 0,4 %. Une étude néonatale anglosaxonne rapporte une prévalence de 38 pour 1 000 avec un taux de nécrose de 3,8 % [2]. Une procédure de signalement systématique permettrait de mieux connaître sa fréquence. Ces lésions touchent plus fréquemment les très jeunes enfants (prématurés et nouveau-nés) surtout dans les secteurs de réanimation. Elles sont le plus souvent localisées sur les extrémités, sites de prédilection des accès périphériques, notamment les mains (figure 1) et les pieds (figures 2, 3, 4). Une diminution de la morbidité de ces accidents passe par la prévention de ces accidents et une prise en charge immédiate optimisée. Facteurs de risque Une bonne connaissance des facteurs de risque permet de mieux cibler la population à risque et de prévenir ces accidents. Les extravasations Adresse e-mail : [email protected] (MC. Plancq). 26 L’extravasation est décrite par l’Infusion Nurses Society (INS) comme l’administration involontaire d’une solution vésicante ou d’un médicament dans les tissus environnant la perfusion. Ces accidents de perfusion surviennent souvent au niveau d’une voie veineuse périphérique. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.refrac.2019.10.005 Facteurs liés au patient Les populations le plus souvent impliquées sont les prématurés, les nouveau-nés et les patients inconscients des secteurs de réanimation nécessitant souvent de longue durée de perfusion et justifiant de multiples ponctions Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • dossier © MC. Plancq Plaies de l’enfant 1/2 © MC. Plancq Figure 1. Extravasation face dorsale de la main d’un nouveau-né. © MC. Plancq © MC. Plancq Figure 2. Extravasation face postérieure du pied à J2. Figure 3. Cicatrisation spontanée à J10 de l’extravasation. veineuses. Kostogloudis montre un lien significatif entre l’âge gestationnel et l’incidence de nécrose cutanée ; les lésions prédominent chez les prématurés de moins de 26 semaines de gestation [2]. Leur état général et hémodynamique ainsi que l’administration de substances vasoactives (dopamine, dobutamine) peuvent être responsables d’une mauvaise vascularisation périphérique aggravant les conséquences locales de l’extravasation. De plus, les prématurés présentent une immaturité cutanée et une faible espace de diffusion augmentant le risque de nécrose. Facteurs locaux rhéologiques Deux mécanismes peuvent expliquer la diffusion souscutanée des produits administrés par un cathéter veineux : soit le cathéter n’est plus en place dans la veine par excès Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Figure 4. Extravasation face dorsale du pied : nécrose bien délimitée à J15. de mobilité du patient et/ou par défaut de fixation. Soit le cathéter est en place et le soluté diffuse par reflux. Cela peut être favorisé par la présence d’un obstacle tel qu’un thrombus en aval du cathéter créant une surpression intraveineuse. L’utilisation des pompes automatiques et des seringues électriques peut également être un facteur de surpression en dépassant la résistance vasculaire [3]. Facteurs liés au produit administré La nature du produit ayant diffusé en particulier leur osmolarité et leur cytotoxicité conditionne les conséquences de l’extravasation. On connaît la toxicité des produits de contraste utilisés en radiologie et des médications cytostatiques vésicants utilisés en oncologie. Dans les secteurs de soins intensifs les solutés 27 dossier Plaies de l’enfant 1/2 à toxicité élevée le plus souvent en cause sont : les solutés de nutrition parentérale, les solutés calciques, les substances vasoactives et certains antibiotiques (tableau 1). Traitement préventif Si la littérature était jusqu’alors assez pauvre sur le sujet, plusieurs études récentes internationales montrent l’intérêt des équipes pédiatriques pour prévenir ces accidents [4-6]. Cibler cette population à risque est fondamental et quelques recommandations de bonne pratique ont été proposées : • Il faut choisir le site d’injection le plus approprié, si possible une veine de bon calibre, et bien immobiliser le membre pour éviter tout déplacement du cathéter. • Le cathéter sera testé par une injection de sérum physiologique avant l’administration du soluté. • Le site d’injection doit rester bien visible et ne pas être masqué par un pansement. Les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) préconisent le maintien des cathéters avec un pansement semiperméable transparent [7]. • Le débit d’administration du soluté sera adapté au calibre du cathéter et à la qualité de la veine en surveillant visuellement et manuellement le début d’injection pendant quinze à vingt secondes puis régulièrement. • Pour les produits classés à « toxicité élevée », le point de ponction sera surveillé au cours des cinq premières minutes puis de façon régulière lors de l’administration par seringue électrique en monitorant le niveau de pression. • L’utilisation d’un cathéter central sera préférée en cas d’administration de nutrition parentérale. La surveillance clinique est fondamentale pour ne pas retarder le diagnostic et permettre un traitement précoce. Tableau clinique Tableau 1. Classification des solutés selon leur toxicité. Classification Solutés Toxicité élevée Solutés hyperosmolaires : mannitol, nutrition parentérale Électrolytes : sels de calcium, chlorure de potassium, bicarbonate de sodium Substances vasoactives : dopamine, adrénaline Produits de contraste. Agents anti-infectieux : aciclovir, oxacilline Produits de chimiothérapie Toxicité modérée Agents anti-infectieux : amoxicilline-ac clavulanique,vancomycine Produits de contraste non iodés, gadolinium Amiodarone, furosémide Toxicité faible Concentrés de globules rouges Solutés isotoniques Produits pouvant être administrés par voie IM ou SC IM: intramusculaire. SC : sous-cutané. L’extravasation du soluté dans les tissus sous-cutanés se manifeste initialement par une douleur, un érythème local suivi d’un œdème dont l’importance augmente avec le volume administré et la nature du produit puis peut s’installer une pâleur traduisant une ischémie locale des tissus. Si aucun traitement n’est instauré, elle peut aboutir à une zone de nécrose tissulaire qui va se délimiter en une quinzaine de jours sous forme d’une plaque noirâtre. Cette nécrose peut être secondaire à la compression des vaisseaux sous-cutanés par l’œdème et peut être majorée par la toxicité propre du soluté. La classification de Millam (tableau 2) est habituellement utilisée [3]. Tableau 2. Classification clinique de Millam. Paramètres Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 (risque de syndrome des loges ++) Douleur + + +++ +++ Pâleur - - + + Chaleur locale Normale Normale Diminuée Diminuée Pouls distal + + + - TRC <3s <3s =3s >3s Œdème 0% 0-20% 31-50 % > 50 % Photos TRC : temps de recoloration cutané. 28 Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • dossier Plaies de l’enfant 1/2 Traitement immédiat Toute suspicion d’extravasation est une urgence médico-chirurgicale. ✦ En cas de diagnostic confirmé d’extravasation, la rapidité de mise en route du traitement est essentielle en se référant au protocole établi dans l’établissement selon les recommandations de la HAS. Casanova a montré l’influence de la rapidité du traitement sur la survenue de nécrose et un délai de prise en charge inférieur à six heures est donc le plus souvent recommandé [8]. Les incidents avec les produits radio opaques et agents anticancéreux font l’objet de protocoles spécifiques. Les premiers gestes à réaliser par l’infirmière ou la puéricultrice sont : • arrêter la perfusion ; • aspirer le plus de produit extravasé si possible ; • informer la famille de l’incident ; • enlever le cathéter ; • surélever le membre ; • évaluer la quantité de produit ayant diffusé ; • traiter la douleur. ✦ Il faut ensuite évaluer la gravité des signes cliniques locaux en se référant à la classification de Millam. Tous les auteurs sont d’accord sur la nécessité d’un traitement précoce mais il n’y a pas de consensus sur la nature du traitement. ✦ Pour les lésions de classes 1 et 2, un traitement local conservateur avec application de compresses imprégnées de glucosé à 30 % renouvelé régulièrement durant les premières heures selon l’évolution clinique est suffisant pour observer une bonne régression de l’œdème. D’autres équipes appliquent du chaud ou froid ou des pansements alcoolisés. Un pansement gras ou un hydro colloïde peut être appliqué en cas de phlyctène. Certaines équipes appliquent des pansements à base d’hydrocortisone durant plusieurs jours [2]. ✦ Pour les lésions de classes 3 et 4, un avis chirurgical est nécessaire. En l’absence d’ischémie distale des doigts, on peut optimiser l’effet G30 en réalisant des microponctions cutanées façon « pomme d’arrosoir » pour augmenter la fuite hydrique. En cas d’ischémie distale des doigts équivalent à un syndrome de loges, des incisions de décharges seront pratiquées éventuellement associées à la technique d’aspiration lavage décrite par Gault [9]. ✦ En cas d’extravasation de solutés à toxicité élevée, le risque de nécrose est majoré, et un traitement chirurgical doit être discuté précocement. La technique d’aspiration-lavage décrite par Gault a été revue et adaptée au jeune enfant. Sous anesthésie générale, il est pratiqué des micro-incisions cutanées et un lavage abondant au sérum salé physiologique pour diluer et éliminer un maximum du soluté [5]. Cette technique a montré une guérison sans séquelles dans 89 % des cas. La lipoaspiration est plus rarement utilisée chez les enfants de petit Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • poids, elle doit être réservée aux extravasations de solutés de chimiothérapie chez des enfants plus grands [2,3]. L’utilisation d’antidotes est assez limitée chez l’enfant. Au décours de ce traitement une gaze vaselinée ou un pansement hydrocolloïde peut être appliqué et une surveillance clinique est indispensable. Certains proposent une antibioprophylaxie pour prévenir la surinfection [5]. Traitement secondaire de la nécrose cutanée Au stade de nécrose constituée, la prise en charge dépendra de la surface et de la profondeur des lésions. Si celle-ci est superficielle et infracentimétrique, une cicatrisation dirigée sera proposée avec ou sans excision chirurgicale et application d’un pansement gras ou hydro colloïde. Pour une surface plus grande, un parage chirurgical sera pratiqué une fois celle-ci parfaitement bien délimitée entre 10 jours et 21 jours. La couverture de la perte de substance dépendra de sa profondeur et des éléments exposés, elle est le plus souvent assurée par une greffe de peau. Une greffe de peau totale est le plus souvent préconisée car elle permet d’obtenir une cicatrice de bonne qualité, souple et accompagnant mieux la croissance. Mais son indication est conditionnée par les limites des sites de prélèvement qui doivent être autofermants et la vascularisation du sous-sol dont dépendra l’intégration de la greffe souvent plus difficile que les greffes de peau mince. Si la surface à couvrir est importante, une greffe de peau mince sera préférée. En cas de lésions profondes avec exposition de tendons, l’utilisation d’une matrice de derme artificiel peut être préférée pour assurer un plan de glissement au-dessus du tendon et obtenir une cicatrice de meilleure plasticité. Le recours aux lambeaux locaux est plus exceptionnel. Un traitement secondaire des cicatrices résiduelles et un suivi avec la croissance sont nécessaires. Les escarres ou ulcères de pression Selon la définition établie par le National Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP), l’escarre est une lésion ischémique liée à la compression des tissus mous entre un plan dur et une saillie osseuse [10]. Épidémiologie Fréquemment rapportées chez le sujet alité et le sujet âgé, les lésions sont plus rarement observées chez l’enfant, comme en témoigne la littérature assez pauvre sur ce sujet. L’étude de Razmus rapporte sur une population pédiatrique de 39 984 patients une prévalence globale de 1,4 % avec des variations selon l’âge de l’enfant et selon le secteur d’hospitalisation [11]. Le taux le plus élevé concerne les enfants de 9 à 18 ans (1,6 %) puis ceux de 5 à 8 ans (1,4 %) et le plus bas parmi les enfants de 1 à 29 dossier Plaies de l’enfant 1/2 Références [1] Fox PE, Rutter N. The chilhood scars of newborn intensive care. Early Hum Dev. 1998;51(2):171–7. [2] Kostogloudis N, Demiri E, Tsimponis A et al. Severe extravasation injuries in neonates: a report of 34 cases. Pediatr Dermatol. 2015;32(6):830–5. [3] Chan Seng E, Bigorre M, Valcourt AC, Captier G. La diffusion des perfusions intraveineuses en période néonatale. J Pédiatrie Puériculture. 2009;22(2):73–9. [4] Ghanem AM, Mansour A, Exton R et al. Childhood extravasation injuries: Improved outcome following the introduction of hospitalwide guidelines. J Plast Reconstr Aesthet Surg. 2015;68(4):505–18. [5] Pasquesoone L, Aljudaibi N, Ellart J et al. L’extravasation chez l’enfant, prise en charge en urgence. Ann Chir Plast Esthét. 2016;61(5):598–604. [6] Restieaux M, Maw A, Broadbent R et al. Neonatal extravasation injury: prevention and management in Australia and New Zealanda survey of current practice. BMC Pediatr. 2013;13. doi. 10.1186/1471-2431-13-34. [7] Ly C. Prise en charge thérapeutique des lésions cutanées après extravasation de solutés en perfusion veineuse périphérique. Archives de pédiatrie. 2017;24(9):884–93. [8] Casanova D, Bardot J, Magalon G. Emergency treatment of accidental infusion leakage in the newborn: report of 14 cases. Br J Plast Surg. juill 2001;54(5):396–9. [9] Gault DT. Extravasation injuries. Br J Plast Surg. 1993;46(2):91–6. [10] European Pressure Ulcer Advisory Panel, National Pressure Ulcer Advisory Panel, Pan Pacific Pressure Injury Alliance. Prevention and treatment of pressure ulcers: quick reference guide. 2014. 30 jours. Néanmoins, si on se réfère au type d’unité, le taux le plus élevé concerne les secteurs de réanimation pédiatrique (3,7 %) et les unités de réhabilitation (4,6 %) alors que, dans les unités de pédiatrie générale, il descend à 0,57 %. Il y a cependant de grandes variations de prévalence selon les pays et les hôpitaux de 3 à 28 %. Certaines publications concernent des effectifs plus jeunes à prédominance néonatale et avec un BMI faible, majorant la prévalence avec un taux de 35 % [12] ; c’est pourquoi il est assez difficile d’avoir des chiffres fiables. compte de la mobilité et des activités du patient qui sont très réduites chez les patients de réanimation ou chez les prématurés. Elle évalue les contraintes d’installation du patient : pression de plâtres ou orthèses ; phénomènes de friction ou de cisaillement nécessitant des repositionnements, majorés par la spasticité ou l’agitation ; humidité et risques de macération de la peau. L’état général, en particulier hémodynamique, respiratoire et nutritionnel peut constituer un facteur aggravant. Plus récemment, Curley ajoute les dispositifs médicaux comme facteurs de risque supplémentaire [14]. Clinique et classification Groupes à risque Les différents aspects anatomo-cliniques ont été bien décrits par la NPUAP en 2007 en quatre stades [10] : ✦ Stade 1 : la peau est intacte mais peut présenter des modifications de couleur, chaleur, consistance, sensibilité. Sur une peau claire apparaît une rougeur qui ne blanchit pas ; sur une peau pigmentée, la coloration peut être rouge, bleue ou violacée. ✦ Stade 2 : il existe une perte partielle de l’épaisseur de la peau touchant l’épiderme ou le derme. On peut observer une phlyctène ou une plaie ouverte peu profonde dont le lit est bien rose, sans tissu fibrineux. ✦ Stade 3 : il existe une perte de toute l’épaisseur de la peau pouvant exposer le tissu adipeux, sans aller audelà. La plaie est profonde et peut être recouverte d’un tissu fibrineux lâche. ✦ Stade 4 : la perte tissulaire est plus profonde avec exposition de l’os, des tendons, du muscle. Des fistules et décollement des tissus adjacents peuvent être observés. Parfois, le lit de la plaie peut être recouvert d’une escarre noirâtre ou d’un tissu fibrineux très adhérent qui peut gêner l’évaluation précise de la profondeur des lésions. Les nourrissons de petit poids hospitalisés dans les services de soins intensifs et réanimation sont souvent contraints par de nombreux dispositifs médicaux (figure 5) : sonde d’intubation, sonde gastrique, capteur de saturation, masque, cathéters qui peuvent être à l’origine de lésions à leur contact. Dans cette tranche d’âge, la région occipitale (figure 6) est plus fréquemment touchée, ainsi que les oreilles (figure 7). Ceux nécessitant une ventilation non invasive (VNI) prolongée se compliquent souvent de lésions de pression au niveau du front, des joues ou du nez et suscitent beaucoup de questionnements et de travaux pour essayer d’adapter au mieux ces dispositifs en diminuant les contraintes [15]. Évaluation des facteurs de risque Patients neurologiques Classiquement, en milieu pédiatrique, c’est l’échelle Braden Q qui est la plus utilisée (tableau 3) [13]. Elle tient Les enfants porteurs de pathologies neurologiques : spina bifida, infirmité motrice d’origine cérébrale, Contrairement à la population générale, le risque d’escarre en milieu pédiatrique touche plus particulièrement certains groupes de patients pour lesquels l’évaluation sera précise, répétée et tracée afin de mettre en place des mesures préventives. Nouveau-nés et prématurés Tableau 3. Échelle pédiatrique d’évaluation du risque d’escarre : Braden Q. Cotation 1 2 3 4 Mobilité Immobile Très limitée Peu limitée Pas de limitation Activité Confinée au lit Marche très peu Peut s’asseoir Marche occasionnellement Marche souvent ou patient trop jeune pour marcher Sensibilité Absente : patient inconscient ou sédaté Très limitée Peu perturbée Normale Humidité Constante Souvent humide Occasionnelle Rarement Friction Cisaillement Important : spasticité, agitation Repositionnements fréquents Risque potentiel Pas de risque Nutrition Très pauvre Inadéquate Adéquate Excellent Perfusion / oxygénation Très compromis Compromis Adéquate Excellent Score ≤ 16 = risque élevé d’escarre. 30 Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • dossier © MC. Plancq Figure 5. Contraintes induites par masque de ventilation non invasive chez un nouveau-né. © MC. Plancq © MC. Plancq Plaies de l’enfant 1/2 Figure 6. Escarre occipitale. enfants grabataires et alités, souvent dénutris, ont un risque élevé d’escarre. Ils sont parfois dépendants d’une VNI et sont souvent contraints dans des orthèses ; certains points d’appui peuvent être responsables de lésions dont le risque est majoré par une spasticité parfois difficilement contrôlée. Enfants des services de réanimation Ces enfants sont souvent inconscients et sédatés dans un contexte de polytraumatisme, de traumatisme crânien ou de pathologie médicale ou infectieuse grave. Patients d’orthopédie Il peut s’agir d’enfants traités pour une scoliose avec un corset très contraint, d’enfants alités sur une période prolongée pour des fractures graves du bassin ou du rachis, ou pour des lésions secondaires à une immobilisation plâtrée. Traitement Figure 7. Escarre du pavillon de l’oreille. Traitement curatif Plus le diagnostic est précoce, plus le traitement sera simple. Il sera essentiellement médical chez l’enfant. ✦ Au stade précoce (stades 1 et 2), il faudra d’abord supprimer l’appui contraignant (changement d’installation, modification d’appareillage) et appliquer des pansements hydrocolloïdes ou hydrocellulaires selon l’importance de l’exsudat. ✦ Aux stades 3 et 4, il faut favoriser la détersion avec des alginates ou des pansements hydro détersifs éventuellement associés à un hydrocellulaire si l’exsudat est important. Certains préconisent l’utilisation du miel médical pour ses capacités cicatrisantes. L’utilisation de la thérapie par pression négative a montré une bonne efficacité. Dans certaines situations, le recours au chirurgien est nécessaire pour compléter la détersion. L’indication des lambeaux est plus rare chez l’enfant et concerne plus souvent des enfants plus grands, porteurs de pathologies neurologiques, se compliquant d’escarres à répétition ou d’ostéomyélite sous-jacente. L’usage des lambeaux locaux sera privilégié. Traitement préventif Le traitement est avant tout préventif dans ces groupes à risque. Les patients doivent être installés sur des surmatelas ou des matelas à air. Des coussins en gel, silicone ou à billes, peuvent être utilisés au niveau des zones d’appui : occiput, oreilles, talons, ischion, malléoles. Les changements de position doivent être réguliers. La peau au contact de sondes ou de dispositifs médicaux (de préférence siliconés) peut être protégée par des pansements hydrocolloïdes. Les apports nutritionnels doivent être suffisants et enrichis en protéines. Revue francophone de cicatrisation • n° 3 • juillet-septembre 2019 • Conclusion Les plaies liées aux soins sont le plus souvent iatrogènes ; elles doivent surtout être prévenues en évaluant bien les facteurs et les groupes à risque. En cas de lésion constituée, le traitement doit être précoce et est alors essentiellement médical. En cas de lésion plus évoluée aboutissant à une nécrose, un avis chirurgical sera sollicité. Une bonne prise en charge de ces lésions nécessite une bonne communication entre les équipes médicales et paramédicales. Les équipes doivent être formées aux bonnes pratiques. ◗ Références [11] Razmus I, Bergquist-Beringer S. Pressure injury prevalence and the rate of hospital-acquired pressure injury among pediatric patients in acute care. J Wound Ostomy Continence Nurs. 2017;44(2):110–7. [12] Schlüer AB, Halfens RJ, Schols JM. Pediatric pressure ulcer prevalence: a multicenter, cross-sectionnal, point prevalence study in Switzerland. Ostomy Wound Manage 2012;58(7):18–31. [13] Le Touze A, Binet A. Les escarres de l’enfant. Revue francophone de cicatrisation. 2017;1(3):37–40. [14] Curley MAQ, Hasbani NR, Quigley SM et al. Predicting pressure injury risk in pediatric patients: the Braden QD scale. J Pediatr. 2018;192. 189-195.e2. [15] Visscher MO, White CC, Jones JM et al. Face masks for noninvasive ventilation: fit, excess dkin hydration, and pressure ulcers. Respir Care. 2015;60(11):1536–47. Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 31