• Les Territoires de l’opium.
Conflits et trafics du Triangle d’Or
et du Croissant d’Or (Birmanie, Laos,
Thaïlande et Afghanistan, Iran et Pakistan),
de Pierre-Arnaud Chouvy, Genève,
Olizane, 2002, 539 p.
Par Christian CULAS
Cet ouvrage, tiré d’une thèse de doctorat en géogra-
phie (Université de Paris I-Panthéon–Sorbonne, 2001),
est une excellente synthèse, à la fois riche et très
complète, sur l’histoire et la géopolitique de l’opium
dans les deux grandes zones de production asiatique :
le Triangle d’Or (Birmanie, Thaïlande et Laos) et le
Croissant d’Or (Afghanistan, Pakistan, Iran). Étant
donnée la diversité des thèmes traités, il est difficile
d'en résumer en quelques phrases le contenu. On
peut cependant, pour montrer l’orientation de la
recherche, reprendre quelques lignes de la conclu-
sion : « En Asie, le pavot à opium prolifère en effet
désormais plus sur les ruines de la guerre et de l’ex-
clusion que sur le terreau du sous-développement »
(p. 441). L'auteur nous invite à mettre en relation des
facteurs politiques à l’échelle locale, nationale et
régionale et des facteurs économiques et géogra-
phiques. Les données sur les législations anti-opium
dans les différents pays sont également explicitées et
contextualisées, comme l'est la dynamique des
réseaux de production, de transformation et de trans-
port des produits opiaciés et des nouvelles drogues de
synthèse dans la plupart des pays d’Asie, y compris
l’Inde, la Chine et le Vietnam.
Dans chacun des neuf chapitres – « Des espaces de
production d’opium mouvants », « L’évolution des
routes du trafic », « Modification des aires et des phé-
nomènes de consommation », « Le territoire entre
opium et État », etc. –, l’auteur entre dans son sujet
de manière détaillée et avec une grande clarté, même
quand il s’agit des relations entre les réseaux écono-
miques, licites et illicites, et les pouvoirs politiques en
place en Birmanie, en Thaïlande, en Afghanistan et au
Pakistan. Faisant appel à un grand nombre d’échelles
d’analyse, il parvient cependant à conserver l’unité de
sa narration et à entraîner le lecteur dans l’exposé de
situations géopolitiques complexes.
Il s’agit du type même de l’ouvrage fondé sur un pro-
jet encyclopédique, avec sa limite la plus évidente : il
est difficile d’être compétent à la fois en archéologie,
en botanique, en agronomie, en histoire, en géopoli-
tique, en géographie humaine, en anthropologie. Le
projet est absolument respectable du point de vue de
sa démarche multidisciplinaire et de sa volonté d’abor-
der le sujet sous différents angles complémentaires,
mais cette démarche ambitieuse est en partie entra-
vée par la faiblesse de l'approche épistémologique
pour chacune des disciplines qu’elle met en branle.
Par exemple, les données relatives à l’opium (pro-
duction, commerce, législation, usage) pendant la
période coloniale indochinoise française et britan-
nique proviennent de sources de seconde main et
l’auteur ne s’interroge jamais sur les limites néces-
sairement induites par l’absence de recours direct
aux sources d’archives. Il est légitime de s’appuyer
sur des sources de seconde main si elles sont abon-
dantes et riches, à condition cependant d'énoncer clai-
rement les limites impératives de cette démarche.
Cette absence de regard réflexif sur les méthodes
d’enquête et le type de sources utilisées grève la force
indubitable de cette somme.
Les sources d’informations sur les productions
contemporaines d’opium sont diversifiées au maxi-
mum : les organismes officiels de l’ONU (PNUCID-
UNDCP, United Nations Drug Control Programme),
des organismes américains (DEA, Drug Enforcement
Administration, et INCSR, International Narcotics
Control Strategy Report) et des organismes indépen-
dants et très actifs sur le terrain, comme l’OGD, l'Ob-
servatoire Géopolitique des Drogues dirigé par Alain
Labrousse. Les annexes sont également d’une grande
richesse : vingt-sept cartes permettent de visualiser
l’extension géographique et historique des produc-
tions d’opium, ainsi que les réseaux de transport.
Pourtant, l’introduction à cette somme (441 pages de
texte, 539 avec les annexes) ne fait que quatre pages.
Il manque véritablement quelque chose, même après
les deux courtes préfaces (par Yves Lacoste et par
Roland Pourtier). Le lecteur aurait aimé savoir com-
ment les problèmes des territoires de l’opium se sont
posés à l’auteur, comment celui-ci s’y est pris pour
traiter l’énorme masse de documents qu’il cite (plus
de 400 références bibliographiques), ou encore
quelles méthodes ont prévalu dans la sélection et
l'analyse de ces sources disparates. Dès le chapitre
premier, le lecteur est submergé de données, souvent
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Moussons 7, 2003, 125-169
LIVRES / BOOKS
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