Grandir avec la Guerre des étoiles

GRANDIR AVEC LA GUERRE DES ETOILES
Saïd Bellakhdar
L’Esprit du temps | « Topique »
2006/1 no 94 | pages 85 à 95
ISSN 0040-9375
ISBN 2847950737
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-topique-2006-1-page-85.htm
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Grandir avec la Guerre des Etoiles
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Au cours d’un travail avec des adolescents (au sein de groupes de parole,
de jeux dramatiques ou à médiation), mon attention a été attirée par le très
grand intérêt que ces jeunes exprimaient pour certains films et plus particulièrement pour Star Wars. Cet intérêt se manifestait aussi bien pour cette double
trilogie non seulement en tant qu’objet culturel et pour son contenu mais aussi
sur la manière dont elle a été réalisée et tournée.
Je me suis donc interrogé sur les raisons d’un tel succès. Au cours de ma
recherche, j’ai été amené, tout naturellement, à prendre en compte les influences
culturelles et cinématographiques qui ont nourri ces films. Je me suis interrogé
sur la manière de tirer profit du contenu de cette saga auprès de jeunes adolescents en difficulté. En effet, il m’a semblé que ces derniers tentent, en parlant
de ces films et en prenant appui sur ceux-ci, d’exprimer, comme nous le verrons
plus loin, un rapport complexe à une imago paternelle redoutable et un problématique rapport à un corps en pleine mutation. En effet, les jeunes qui m’ont
amené à m’intéresser aux films dont il est question ici font preuve, pour la
plupart, d’une grande inhibition dans leur vie personnelle et sociale et ne
supportent plus la vie en groupe : ils sont incapables de poursuivre leurs études,
ils restent enfermés dans leur chambre des journées entières alors que leurs
parents sont partis travailler. Ils rencontrent, parfois, quelques copains avec
lesquels ils fument du cannabis. D’autres au contraire, se font remarquer par
des agirs ou une violence qui excède leur capacité à la maîtriser et qui rend
difficile leur maintien dans une scolarité normale ou dans un cursus de formation
professionnelle.
Dans un premier temps, c’est l’examen des influences culturelles dont s’est
nourri le cinéaste qui sera proposé ainsi qu’une présentation de la double trilogie
appartenant au domaine jugé encore comme mineur qu’est la science-fiction.
Topique, 2006, 94, 85-95.
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TOPIQUE
Cela se justifie pourtant par le grand intérêt formulé par ces adolescents pour
ces films et par le fait que le travail de la culture, ainsi que l’énonce R. Kaës
est :
« Un processus de médiation entre la violence du chaos et le récit ordonné
des origines, entre la réalisation des désirs individuels et les exigences de la
communauté de droit, entre les fantasmes et les énoncés communs partagés
sur l’origine, la causalité, la vie et la mort »1
Dans un deuxième temps sera ensuite abordée la question du corps et de la
violence des rapports du sujet avec le père archaïque. En effet, les échanges
autour de la trilogie permettent d’exprimer et d’élaborer ce qui a à voir avec
cette violence inhibée ou en excès qui entrave les possibilités d’inscription
d’un adolescent dans le jeu social et fait obstacle au travail psychique permettant
le passage à l’état adulte.
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Comme chacun le sait, le succès de Star Wars peut s’expliquer, en partie,
par la très grande maîtrise par G. Lucas, des effets spéciaux et des techniques
cinématographiques des plus modernes. Ces techniques les plus connues et
grâce auxquelles il a pu, parfois, faire figure de pionnier, relèvent du cinéma
d’animation et du « numérique ».2 Il n’en demeure pas moins que l’univers de
Star Wars, surtout à ses débuts, rappelle, par certains aspects, celui des jeux
vidéos, des manèges et des fêtes foraines de notre enfance. A ce recours à des
techniques extrêmement modernes s’ajoutent les différentes influences qui vont
être indiquées ci-dessous ainsi que l’attrait que peut susciter tel ou tel
personnage.
Nous pouvons repérer, dans Star Wars, l’usage de citations, des parodies,
des imitations, des reprises « à la manière de », des clins d’œil à d’autres films.
Nous avons en tête ceux auxquels G. Lucas a collaboré en tant que scénariste,
assistant ou producteur comme Indiana Jones, Apocalypse Now. Nous y
trouvons aussi les films, les histoires et les bandes dessinées qui l’ont sans
doute marqué comme les Sept Samouraïs, La Prisonnière du Désert de J. Ford,
Métropolis de F. Lang, Fu Manchu et le Masque d’Or, Dune, 2001 l’Odyssée
de l’Espace. Chacun peut aisément remarquer aussi des emprunts aux films de
western, la transposition de la course de char de Ben Hur et les combats d’épée
de Scaramouche.
Les personnages de Leïa et de Luke ressemblent aux héros de Flash Gordon,
bande dessinée très populaire il y a une quarantaine d’années. Certaines actions
1. R. Kaës : in Les processus psychiques de la médiation de B. Chouvier et al. Dunod, Paris,
2002, p. 15.
2. G. Lucas s’était déjà fait connaître d’un large public avec American Graffiti et a travaillé
avec Coppola et Spielberg.
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I – DES SOURCES D’INSPIRATION RICHES ET VARIÉES
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du film se déroulent dans un monde proche de celui de Walt Dysney et quelques
scènes rappellent les Muppets Show. Il y est souvent fait le rappel de certaines
figures mythologiques et légendaires comme celles du Minotaure, de Merlin
l’enchanteur et de Lancelot du Lac.3 Les lectures de l’auteur y ont aussi joué
un rôle majeur comme celle de Castanada4 et surtout de J. Campbell5 qui analyse
les mythes en s’inspirant des archétypes jungiens. À propos de G. Lucas, cet
auteur affirme : «J’ai retrouvé des choses que j’avais mises dans mes livres
mais transposées, de sorte que le problème traité était celui de la relation entre
la machine et l’homme… Ce jeune homme ouvrait de nouvelles perspectives,
et sa manière de les traiter était pleine de fraîcheur»6.
Star Wars a donné matière à de nombreux travaux apportant une foule
d’informations7 utiles sur la biographie de G. Lucas, sur sa façon de filmer, sur
les innovations dont il a été l’initiateur ainsi que sur son univers culturel : celui
de la culture californienne dans laquelle il a baigné lorsqu’il était jeune.8
Star Wars est composé d’une première trilogie qui a déjà été tournée et
distribuée sur les écrans en commençant par les épisodes IV, V et VI. Est venue,
ensuite, la deuxième trilogie composée des films I, II et III. Autrement dit, une
grande partie de l’histoire et sa fin sont parfaitement connues du public lorsque
paraissent les films de la seconde série9. Cela donne une tonalité tragique à
l’ensemble de cette œuvre dont la cohérence est renforcée. L’introduction de
thèmes musicaux associés à chaque situation et à chaque personnage comme
dans Pierre et le Loup, le poids de l’hérédité et la place du destin qui pèsent
sur les principaux personnages renforcent également ce côté tragique.
Nous pouvons résumer le scénario couvrant les deux trilogies de la façon
suivante. Les Rebelles sont en lutte contre la dictature de l’Empire dirigé par
le Sénateur Palpatine. En 1977, lorsque paraissaient les premiers films de la saga,
un tel nom à consonance russe pouvait ouvrir à une lecture liée à l’existence
du mur de Berlin et de la confrontation entre les deux superpuissances de
l’époque : Les Etats-Unis d’Amériques et l’Union Soviétique. Palpatine est
secondé par Dark Vador. Celui-ci s’avérera être le père des deux jeunes héros :
3. L’un des héros de la saga s’appelle Hans Solo, nom phonétiquement proche de Lancelot.
4. Castaneda Carlos : l’Herbe du diable et la petite fumée, Paris, C. Bourgois, 1984.
5. Campbell Joseph : Les héros sont éternels. Paris, Seghers, 1978 et The Power of Myth,
New York, Doubleday, 1988. Cité par Marcus Hearn in : Le Cinéma de George Lucas, Editions
de La Martinière, Paris, 2005, p. 87.
6. Marcus Hearn, idem, page 87.
7. Outre le livre de Marcus Hearn, notons celui de Laurent Jullier : Star Wars, Anatomie
d’une saga, Ed. Armand Colin cinéma, 2005, Paris.
8. L’un des personnages vivant sur la planète dirigée par Jabba le Hutt dans Star Wars
s’appelle Salacious Crumb. Le clin d’œil très clair à Crumb dessinateur de bandes dessinées et
dont Félix le Chat a été porté à l’écran. Crumb est l’un des symboles de cette culture californienne
qualifiée d’« underground ».
9. Les spécialistes appellent « prequel » un épisode de télévision ou de cinéma dont l’histoire se déroule avant le temps zéro donné par un film déjà sorti.
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la princesse Leïa et Luke Skywalker. Ces derniers découvriront plus tard qu’ils
sont frère et sœur jumeaux et qu’ils mènent une lutte à mort contre leur propre
père. Star Wars III qui vient de sortir cette année 2005 sur les écrans montre
comment Anakin Skywalker (Anakin est la contraction de and akin : le même,
l’identique), bon et noble chevalier Jedi, initié pour faire respecter « la paix et
la justice » dans la République s’est mué en ce terrible Dark Vador (de Darth
Father : le père sombre) en se « mettant du côté obscur de la Force ».
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Les jeunes héros auront, tout au long de cette saga, à déjouer des complots,
à affronter un certain nombre d’épreuves et faire face à toutes sortes de danger,
d’adversaires redoutables, d’armées de robots et autres droïdes avant de vaincre
les armées de Palpatine. Au cours de cette longue lutte entre le Bien et le Mal,
la République et la démocratie contre l’Empire et la dictature, ils auront à se
battre contre de multiples monstres et créatures plus ou moins effrayants comme
Jabba, un être qui ressemble à un hybride de phoque et de crapaud. Ce dernier
est entouré de gardes évoquant le Minotaure. Les jeunes gens affronteront
également Sarlacc, une sorte d’hydre immense évoluant en plein désert et qui
avale et digère ses victimes humaines.
Anakin Skywalker, puis son fils Luke sont initiés à la chevalerie Jedi. La
torture et la criogénisation subie par Han Solo l’ami de ce dernier de la part de
Dark Vador, épreuves dont il sortira vivant ne constituent-elles pas, d’une
certaine manière, une initiation à la mort ? Précisons ici que Luke Skywalker
doit se rendre, au cours de son initiation, dans une étrange forêt où il rencontre
et combat Dark Vador qui semble tout droit sorti du film Kagemusha de
Kurosawa. Le jeune homme sort victorieux du duel au sabre-laser. Dark Vador
s’écroule et sous le casque dont la visière est tombée nous pouvons voir le
visage du jeune Luke, lui-même, comme s’il venait de combattre une part de
lui-même présentifiant ainsi la lutte entre le Bien et le Mal qui nous habite.
L’itinéraire du droïde C3PO, remarque M. Henderson10, relève aussi par
certains aspects de l’initiation sur un mode plutôt décalé et humoristique. En
effet, il a été démembré et réparé, il a fini par être adulé par le peuple Ewoks
qui le traite comme une sorte de divinité dans le Star Wars VI. L’auteur semble
à la fois, par ce moyen, parodier Indiana Jones et la saga Star Wars elle-même.
Star Wars IV est en grande partie dédié à l’initiation de Luke Skywalker afin
de devenir Jedi par la maîtrise de la Force, sorte d’énergie vitale11 qui «nous
entoure et nous pénètre qui maintient la galaxie en un tout unique» explique
10. Mary Henderson : Star Wars, la magie d’un mythe. Presse de la cité. Paris, 1998, p. 105.
11. L’idée d’énergie semble relever de concepts que l’on retrouve dans certaines philosophies
orientales inspirées du Boudhisme. Les Jedi sont d’ailleurs vêtus de kimono comme des maîtres
en arts martiaux.
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A) Rites d’initiation
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l’un des chevaliers. Elle permet d’influencer les esprits, pressentir l’avenir,
soulever ou attirer des objets à distance et même de voler dans les airs. Les êtres
prédisposés à utiliser la Force sont repérés et formés dès leur plus jeune âge
par les Jedi12. Les références à cette Force sont, vraisemblablement, en lien à
des croyances en la toute puissance de la pensée caractérisant de très jeunes
enfants. Ces derniers peuvent aussi trouver beaucoup d’attraits à ces films,
lorsqu’ils peuvent voir Anakin tout jeune enfant, doté de pouvoirs extraordinaires et capable de fabriquer des engins de courses des plus sophistiqués.
La place importante du trajet initiatique suivi par les héros de la saga est
inversement proportionnelle à la place accordée à l’initiation des jeunes dans
les sociétés modernes. Celles-ci sont davantage marquées par le temps de plus
en plus long passé dans le statut d’adolescent. L’entrée dans la vie d’adulte et
s’y faire une place est de plus en plus difficile.13
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L’engouement extraordinaire pour Star Wars a suscité tout un ensemble de
pratiques culturelles et a donné matière à de très nombreux romans, films et
bandes dessinées qui partent d’un aspect non traité par la saga ou à partir d’un
événement que l’on prolonge ou d’un personnage secondaire dont on retrace
et développe l’histoire etc.
L’une des activités des plus remarquable est la constitution de « fanfiction ».
Il s’agit de récits ou de films réalisés par des admirateurs de G. Lucas. Ces
productions, quelquefois parodiques, peuvent être consultées et téléchargées sur
Internet. Cela semble être une contribution majeure à l’ouverture de cette œuvre
au-delà de sa clôture par le récit initial.
Certains inconditionnels de la saga vont voir celle-ci en groupe, parfois
déguisés en Dark Vador, en Luke ou en droïde. Lors de la première sortie d’un
épisode le spectacle est tout autant dans la salle que sur l’écran. Ceux qui étaient
jeunes au début des années quatre-vingts s’y rendent aujourd’hui avec leurs
enfants comme si une transmission devait se faire aussi par ce moyen là. Certains
adultes se souviennent aujourd’hui du trouble ressenti autrefois en assistant au
combat entre Luke et son père Dark Vador lors de la projection du sixième
épisode (le dernier de la première trilogie). Un tel spectacle, au cours duquel
les effets de groupe sont à l’œuvre, relevait tout aussi bien d’un sacrifice, d’une
commémoration que d’une célébration. Cela peut être rapproché du combat
opposant Laïos et son fils. Cependant dans la tragédie de Sophocle comme
12. Cette force est, dans le film, mesurable à l’issue d’une prise de sang afin d’en mesurer
le taux de « midi-chloriens ». Certains passionnés de cette saga établissent un lien entre ces
« midi-chloriens » et « l’orgone » que W. Reich pensait avoir découvert.
13. La question de l’initiation et de la métaphore ordalique constituent des éléments importants du processus de subjectivation à l’adolescence. Voir à ce sujet F. Richard : Le processus de
subjectivation à l’adolescence. Dunod, Paris, 2001, pp.191-207.
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B) Une œuvre ouverte
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dans la légende, ni Laïos ni Œdipe ne savaient, lorsqu’ils combattaient, qu’ils
étaient père et fils.
L’univers de Star Wars est un univers plutôt masculin. Les figures féminines
sont plutôt rares. Parmi les plus marquantes retenons la reine Amidala et Padmé
la mère de Léïa et de Luke. Elle a eu ses deux enfants avec Anakin Skywalker
alors qu’il était en formation de chevalier Jedi (Star Wars III). Il eut alors la
prémonition de la mort de sa femme en couche. Aussi pour conjurer le destin
et sauver la vie de son épouse, il s’allie à Palpatine qui lui enjoint d’utiliser «le
côté obscur de la Force». C’est alors qu’il devient Dark Vador. Un tel choix
est voué à l’échec. En effet, Padmé meurt en couche en donnant naissance à
des jumeaux. Ils seront confiés et élevés par deux familles différentes et
ignoreront pendant longtemps leur filiation. Anakin avait déjà perdu sa mère,
esclave, enlevée et tuée par des pillards sans qu’il put y faire quoique ce soit
malgré ses formidables pouvoirs.
La mère d’Anakin a eu son enfant sans homme, sans qu’elle sache comment
cela lui était arrivé. Le mode de conception d’Anakin et la mort en couche de
Padmé signe une difficile représentation des liens entre sexualité et procréation.
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A) Le corps mis à l’épreuve
La problématique corporelle est un élément important du processus
adolescent14. L’univers de la science-fiction et Star Wars, en particulier, la met
en scène et en représentation d’une façon tout à fait remarquable. Les héros y
traversent « l’espace galactique », « l’éther » des poètes d’autrefois, avec une
rapidité extraordinaire faisant fi des lois de la gravitation. Ils évoluent avec
leurs engins dans un vacarme qui contredit toutes les lois de la physique selon
lesquelles les ondes sonores ne sont pas audibles dans l’espace.
La représentation de courses spatiales dans Star Wars s’explique sans doute
par la biographie de G. Lucas. En effet, il rappelle souvent, qu’il aurait voulu
devenir pilote de course automobile. Une activité qu’il pratiquait de façon
passionnée dans sa jeunesse. À l’âge de dix-huit ans, un accident de voiture
d’une extrême gravité a contrarié son projet. Les quelques mois d’hospitalisation
et de soins l’ont conduit à envisager différemment son avenir. La gravité d’un
diabète diagnostiqué à peu près à la même époque a été vécu comme un mauvais
coup du sort, « un destin » à assumer. Les conditions dans lesquelles s’est
déroulé son passage de l’adolescence à l’âge adulte l’ont, à l’évidence, beaucoup
14. A. Birraux : L’adolescent face à son corps. Bayard, Paris, 1994.
A. Birraux : Le corps adolescent. Bayard, Paris, 2004.
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II – PROBLÉMATIQUE CORPORELLE ET INSOUMISSION AU PÈRE
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marqué et « ce » thème est au centre de son premier film à succès : American
Graffiti. Les faits que je viens de rappeler sont à rapprocher de la thématique
du corps à l’œuvre dans la saga Star Wars. Celle-ci se donne à voir à travers la
rencontre avec toutes sortes de créatures, de robots, d’êtres en armure, et de
peuples aux corps étranges, parfois difformes, mi-hommes et mi-bêtes et qui
vivent les uns à côté des autres en des royaumes éloignés et différents.15
Le personnage de Dark Vador est tout à fait remarquable, si l’on considère
celui-ci à partir de cette problématique du corps. En effet, ce dernier a été laissé
quasiment mort et calciné dans un combat contre son maître et initiateur le Jedi
Obiwan Kenobi, alors même qu’il reniait les idéaux de cet ordre chevaleresque.
Il a sombré du « côté mauvais » et « obscur de la Force » en laissant s’épancher
sa colère et sa haine. Il est pris sous la protection de l’Empereur qui le fait
soigner et en fera son second. Une armée de robots intelligents est mobilisée
pour le remettre sur pieds. L’homme est ainsi réparé avec de remarquables
prothèses métalliques. Il devra porter un masque à oxygène aux allures
guerrières. Sa voix, elle-même, est désormais modifiée. Toute la scène est
soulignée par une musique impressionnante. C’est ainsi qu’Anakin est devenu
Dark Vador. Il n’apparaîtra plus désormais que filmé dans des plans sombres.
Chacune de ses apparitions est ponctuée d’une musique particulière suggérant
l’ambiguïté et le mélange entre un corps humain et un homme-machine. Cela
n’est pas sans susciter cet effet d’inquiétante étrangeté dont l’analyse a été
proposée par Freud à partir de L’Homme au sable, un conte d’Hoffmann.16 La
question des figures paternelles y est ainsi proposée : «… dans l’histoire de
l’enfance, le père et Coppélius représentent l’imago du père scindé par l’ambivalence en deux parts opposées ; l’un menace d’aveugler (castration), l’autre
le bon père, demande grâce pour les yeux de l’enfant. »17
L’espace de la science-fiction comme celui de Star Wars est, en apparence,
un espace en expansion bien que l’on s’y déplace avec rapidité comme si les
lointaines galaxies se trouvaient à la portée d’un voyage en autobus. Les héros
visitent des villes et forteresses bien protégées et bâties dans le désert, sous
terre ou sous les mers. À contrario, l’espace dans lequel ils ont à se mouvoir
avec leurs engins est celui de la guerre, c’est un véritable champ de bataille.
Ils y rencontrent toutes sortes de météorites, de bases ennemies comme l’Etoile
Noire ou de vaisseaux spatiaux des plus menaçants. Cet espace est parsemé
d’objets inquiétants, « bizarres » pour reprendre l’expression de Bion18 qu’ils
doivent les uns et les autres affronter avec témérité et sans dommage aucun. Ils
le font d’autant plus facilement qu’ils ont la faculté de se déplacer dans les
airs, tel Superman. Aussi, sommes-nous en droit de nous demander si cet univers
15. Le mythique melting pot américain ne semble pas exister dans cet univers galactique
composé « de milliers de systèmes solaires ».
16. S. Freud : L’inquiétante étrangeté et autres essais. Folio Essais, Paris, 1988.
17. Idem : note page 232.
18. W.R. Bion : in Réflexion Faite. P.U.F., Paris, 1983.
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SAÏD BELLAKHDAR – GRANDIR AVEC LA GUERRE DES ETOILES
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TOPIQUE
en expansion ne relève pas de la projection d’un espace psychique élargi au sens
où l’entend P. Jeammet19 et que nos jeunes héros n’ont de cesse de contenir et
d’en rechercher la maîtrise. Rappelons à ce propos que pour Freud : «le moi est
avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface, mais il
est lui-même la projection d’une surface. »20 Ce rapport entre le Moi et le corps
est mis à mal au cours de l’adolescence car le moi perd ses contours du fait
même du passage du corps enfant au corps adulte rendant plus fragile le
sentiment de continuité d’existence.21
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Un objet culturel, tel que Star Wars22, présente un intérêt en tant qu’objet
de médiation dans un processus psychothérapeutique. Selon R. Kaës, les médiations (jeu, modelage, musique, etc.) :
«… sont les héritières du rêve. Elles brouillent les frontières et par là même,
elles les rétablissent. Elles sont des moyens pour restaurer la capacité de rêver,
elles en proposent des équivalents, mieux des embrayeurs. Là où la capacité
de rêver et de jouer fait défaut, les médiations de prothèse sont nécessaires. Elles
ont pour fonction de créer des symptômes qui peuvent alors être nommés, pour
autant que la parole accompagne l’expérience de médiation. »23
Les films dont il est question ici aident à figurer les émois intimes,
inexprimés et inexprimables d’un spectateur. Dans la Science des rêves, Freud
introduit le concept de figurabilité 24, ce par quoi une pensée du rêve se transforme par déplacement le long d’une chaîne symbolique et fini par se présenter
sous forme d’une image visuelle. Il appuie sa démonstration sur l’analyse d’un
rêve25 à propos duquel il montre que la figurabilité dont il insiste sur le caractère
visuel joue un rôle primordial dans le passage « des pensées du rêve au contenu
du rêve ».
Un film comme Star Wars peut contribuer à cette figurabilité. Il permet,
en effet, la représentation et l’expression des efforts consentis sur le plan
psychique par un jeune qui passe de l’adolescence à l’âge adulte en ce temps
19. P. Jeammet : Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence. Revue Française de Psychanalyse. 1980, Vol. 44, n°3-4.
20. S. Freud : Le Moi et le ça, p. 238, in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1990.
21. Le récit des Aventures d’Alice au Pays des Merveilles peut illustrer également ce propos.
Celle-ci se réveille un matin avec le pressentiment que rien ne sera plus jamais comme avant.
Le récit insiste sur les angoisses d’Alice dont le propre corps lui échappe et qui grandit ou
rapetisse au gré de ses aventures.
22. Il en est de même, bien sûr, pour d’autres films appréciés par un jeune public.
23. R. Kaës : Médiation, analyse transitionnelle et formations intermédiaire. In Chouvier et
al : Les processus de la médiation. Dunod, Paris, 2002, p. 21.
24. S. Freud : L’interprétation des rêves. P.U.F., Paris, 1996, pp. 291-300.
25. Idem, Rêve de l’Opéra.
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B) Lutte contre le père et réconciliation avec lui
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de réaménagement des imagos parentales. Quant à la question de la violence
et de l’agressivité dirigée contre le père ou d’autres personnes et dont il vient
d’être question avec Luke et son père, je retiendrai l’hypothèse à la suite de
P. Bloss26, qu’il s’agit là d’une tentative faite par un jeune homme de se détacher
libidinalement du père de la petite enfance afin de pouvoir assumer sa propre
masculinité par l’insoumission. En ce temps de « crise » et de remaniement
désigné aujourd’hui sous le vocable de « processus adolescent », marqué par
les modifications aussi bien du corps que de l’espace psychique, le père apparaît
d’autant plus terrible, que père et fils se sont beaucoup aimés jadis. C’est au
cours de ce processus que s’inscrit la construction par le sujet de nouveaux
repères tant en ce qui concerne ses rapports à son propre corps qu’en ce qui
concerne son propre rapport au monde. Ce processus exige un travail d’élaboration psychique important afin d’intégrer les changements somatiques et
psychiques subis. La violence et l’agressivité contre le père de l’adolescent
et/ou ses substituts constitueraient un des possibles moyens permettant de
faire face à la résurgence, en ces temps de fragilité, des imagos archaïques.27
La première trilogie de Star Wars est aussi, d’une certaine manière le récit
d’une lutte contre cette représentation écrasante du père et de l’ultime réconciliation avec lui. Le père mort rejoint, à la fin du film, dans une sorte
« d’hologramme » les maîtres Jedi : Yoda et Obiwan Kénobi. Le cinéma comme
d’autres médiations et pratiques culturelles et artistiques permettent de figurer
et représenter une telle lutte, d’élaborer celle-ci et de procéder à la liaison des
pulsions venant d’Eros et de Thanatos.28
Comme nous l’avons dit plus haut, la saga Star Wars pourrait se résumer
par l’affrontement entre les Rebelles en faveur de la République et ceux de
l’Empire. Ils sont représentés par la princesse Léïa, son frère Luke ainsi qu’Han
Solo. Les premiers sont secondés et guidés par les chevaliers Jedi, figure de sage
comme Yoda ou de bon père comme Obi Wan Kénobi. Leurs adversaires sont
26. P. Bloss : L’insoumission au père ou l’effort pour être masculin. In Adolescence: Sexualité.
Numéro spécial. GREUPP. 1997. Paris, pp. 189-200.
27. La question du Surmoi se pose également mais, il ne s’agit pas là de mon propos dans
ce texte.
28. Sur la question de la violence à l’adolescence, le sort d’un autre film : Battle Royal est
à noter. Il n’a pas fait l’objet, à ma connaissance, d’une diffusion remarquée dans les salles de
cinéma. Néanmoins, rares sont les adolescents et les jeunes qui ne l’ont pas vu. Ceux-ci se prêtent
le film, l’échangent, le louent ou le téléchargent sur Internet. Ce film montre des jeunes et des
adultes qui s’affrontent. L’action se déroule dans le futur. Le gouvernement Japonais doit faire
face à l’extrême violence des jeunes contre les enseignants dans les lycées et collèges. La solution
trouvée consiste à conduire, chaque fin d’année, au motif d’une randonnée, les élèves d’une
classe sur une île. Là, des armes leur sont fournies et ils doivent s’entre-tuer. Le ou la survivante
sera accueilli à son retour en héros. Si ce type de violence fait échos à la métaphore ordalique
d’adolescents, elle correspond fort bien à l’idéal élitiste de la société japonaise.
Ce film correspond davantage à la période de début de l’adolescence marquée par la déliaison
pulsionnelle et le retour de l’archaïque.
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SAÏD BELLAKHDAR – GRANDIR AVEC LA GUERRE DES ETOILES
TOPIQUE
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placés sous le signe du mal et représentés par l’Empereur Palpatine et son âme
damnée Dark Vador, père de Léïa et de Luke Skywalker. Ils sont secondés par
des généraux, eux-mêmes assistés d’armées de clones et de droïdes. Il s’agit
en somme du déploiement d’une histoire de famille au cours de laquelle ces deux
enfants prennent connaissance de leur origine et de leur filiation.
C’est dans le sixième épisode de Star Wars que Luke Skywalker informe
sa sœur Leïa que Dark Vador est en fait son père, de la façon suivante :
«Vador, je sens sa présence (…). Il faut que je l’affronte, c’est mon père».
Lorsqu’il apprend à celle-ci qu’elle est sa sœur, elle lui répond : «je sais, je l’ai
toujours su». Il lui répond : «Alors tu sais pourquoi je dois affronter mon père.
J’ai ressenti qu’il y a du bon en lui. J’ai une chance de le faire revenir du bon
côté ».
Star Wars illustre le mythe du héros adolescent qui se détache de la foule
afin d’affronter le père ainsi que Freud l’avance.29 En effet, la relation au père
et la quête de celui-ci est au premier plan30 dans les deux trilogies. Cette quête
a ceci de particulier que le jeune héros cherche à affronter ce père et à le vaincre
physiquement comme s’il devait terrasser un monstre. Cette figure paternelle
qu’est Dark Vador peut représenter un père de la horde, un père de la préhistoire de l’enfance. Il s’agit d’un père sans épouse comme l’est l’Empereur. Il
est comme lui uniquement intéressé par le pouvoir et la puissance. Ce combat
entre ce père et son fils permet la représentation, pour le spectateur, d’une lutte
en vue du détachement du sujet d’avec une imago paternelle redoutable, très
présente, puissante, écrasante, et féroce. La défaite de Dark Vador, comme la
mise à mort du taureau à la corrida est très attendue et constitue le sommet et
l’aboutissement de la saga. Ce combat redouble celui d’Anakin lorsqu’il était
un jeune et impétueux chevalier se rebellant aussi contre ses maîtres Jedi (le
sage Yoda, le brave Obiwan Kenobi etc.). Le mouvement au cours duquel le
héros se détache de la foule pour affronter le père constitue un moment important
du processus de subjectivation à l’adolescence dans ses rapports à l’idéal et au
projet identificatoire31.
Pour conclure je rappellerai que les échanges et les discussions amenées par
les jeunes autour de ces films suppléent à la rêverie et aux capacités de pensée
tant ces pensées sont terrifiantes32. Les échanges, les mots que nous mettons
29. S. Freud : Psychologie de masse et analyse du moi, in Essais de psychanalyse. Paris, Payot,
1990, pp. 206-208.
30. Les romans et les films mettant en scène Harry Potter de J.K. Rowling et plus particulièrement le tome III (Harry Potter et le prisonnier d’Azkatan) ont aussi pour ressort cette
recherche du père. Harry comme les héros de Star Wars est désigné pour lutter contre le Mal et
sauver le monde de la dictature.
31. F. Richard : op. cit.
32. Cette dimension n’est pas la seule a prendre en compte. Il y aurait beaucoup à dire bien
sûr sur la dépression.
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SAÏD BELLAKHDAR – GRANDIR AVEC LA GUERRE DES ETOILES
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sur les émotions (fascination, plaisir, dégoût etc.) et la recherche de sens permet
de relancer le processus associatif et la capacité de rêverie. Cela n’est pas sans
effets thérapeutiques.
Saïd BELLAKHDAR
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Saïd Bellakhdar – Grandir avec la Guerre des étoiles
Résumé : Les sources d’inspiration de la double trilogie La guerre des étoiles sont
riches et variées. L’engouement d’un très large public pour ces films est tout autant à rechercher dans la représentation de la lutte des jeunes héros contre le père de la petite enfance
et la réconciliation avec lui, que dans la représentation d’un moi corporel dont les contours
sont mis à mal au cours du processus adolescent.
Mots-clés : Saga – Science-fiction – Père archaïque – Violence – Adolescence – Corps
– Espace – Moi.
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Summary : The Star Wars saga delves deep into rich and widely-ranging sources for
its inspiration but this is not the only reason for its success. The public’s passion for these
movies is mainly due to two factors – the active fight of these young heroes against the
father of their early childhood followed by reconciliation with him and also the representation of the corporal ego whose contours are severely shaken during the teenage process.
Key-words : Saga – Science fiction – Archaïc father – Violence – Body – Space – Ego
– Adolescence.
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Saïd Bellakhdar – Growing Up with Star Wars