INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION DE KEUR MASSAAR LYCEE KEUR MASSAR Classe : TL2 A Professeur : DIATTA EXPOSE PHILOSOPHIE THEME L’APOLOGIE DE SOCRATE DE PLATON : TROISIEME DISCOURS EXPOSANTES BATHIO BA NDEYE KHATOUM BA SALIMATOU DIALLO ADJA SINY DIAW ASTOU BARRY AITA DIEYE HOULEYE DIA MBAYANG DIOP AMY DIAKHATE NDEYE DIOUMA DIAKHATE NDEYE FAMA DIOUF FATOU MARIE PREIRA Année Scolaire 2020 -2021 PLAN INTRODUCTION I. AUTEUR 1) BIOGRAPHIE 2) BIOBLIOGRAPHIE II. III. APOLOGIE DE SOCRATE : RAPPEL SUR LA 1ére et la 2éme partie ETUDE DE LA TROISEIME PARTIE ? a) Le procès athénien (agôn) : quelques données juridiques b) Les acteurs du procès c) La mort de Socrate CONCLUSION INTRODUCTION On peut dire sans exagération que l'Apologie de Socrate constitue l'œuvre inaugurale de la philosophie occidentale. A lire ce texte, les philosophes ou les apprentis philosophes remonte à la source originelle de leur discipline, le compte-rendu du procès intenté par Mélétos et deux autres citoyens d'Athènes, contre Socrate en 399 avant J.-C. Cette affaire judiciaire constitue pour nous l'un des deux événements fondateurs de la civilisation occidentale (l'autre étant la crucifixion de Jésus - une lecture des Evangiles sera bientôt proposée sur le blog) : aussi, devant ce texte, nous, les philosophes, ressentons à bien des égards une émotion de respect et de sacré similaire à celle qu'un touriste peut ressentir devant l'entrée du temple d'Abou Simbel (ci-contre). Pourtant, ce procès pouvait paraître, de prime abord, anecdotique : un vieil excentrique, peut-être un peu pervers. I. AUTEUR 1) BIOGRAPHIE Fils d'une famille de l'aristocratie athénienne, Platon semblait être destiné à occuper des responsabilités politiques de tout premier ordre. Mais sa rencontre avec Socrate bouleverse ces plans. A la mort du maître, il se consacre, via l'écriture et l'Académie qu'il fonde en 387, à la transmission de la pensée novatrice de Socrate. Dans la période troublée que vit Athènes à cette époque, Socrate avait mis en garde les Athéniens contre leur ignorance, l'injustice et l'amoralité de leur société. La première partie de l'œuvre de Platon est constituée de dialogues sur le procès et les derniers jours de la vie de Socrate ('Apologie de Socrate', 'Criton'). Dans les dialogues socratiques, tel 'Phédon' on découvre la méthode dialectique de Socrate grâce à laquelle on se détache des idées reçues, de la certitude naïve et qu'on approche par la connaissance des Idées de la vertu. Si d'autres témoignages, de Xénophon ou Aristophane viennent parfois infirmer ceux de Platon, l'analyse platonicienne reste un pilier de toute la philosophie occidentale 2) BIBLIOGRAPHIE Platonis Opera, Oxford, Oxford University Press, 1900-1907. Œuvres complètes, Paris, Les Belles Lettres, 1920-1989. Œuvres complètes, trad. L. Robin, Paris, Gallimard, 1940-1942. Œuvres complètes, par divers traducteurs, Paris, Flammarion, « gf », 1987. et années suivantes Brandwood L., A Word Index to Plato, Leeds, W. S. Money & Son, 1976. Brisson L. et Plin F., Plato’s Bibliography 1950-2000, cd-rom, Paris, Vrin, 2001. Cherniss H., Plato’s Bibliography 1950-1957, Lustrum, 1959. II. APOLOGIE DE SOCRATE : RAPPEL SUR LA 1ére et la 2éme partie A l'exception de quelques mots énoncés par Mélétos lors du contre-interrogatoire (24d-27d) et du brouhaha dans le prétoire mentionné épisodiquement (par exemple 30c), Socrate parle seul. Ce très long monologue constitue, le lecteur en est averti dès la première phrase, une défense judiciaire dans un procès. Que dit l'accusé pour se défendre ? Deux phrases permettent de découper le texte en trois parties d'inégale longueur. Pendant tout le début du texte, Socrate nie être coupable des accusations portées contre lui. En 35e, cependant, il fait tout à coup mention d'un "jugement" que les Athéniens viennent de rendre ; à partir de ce moment, il tient sa condamnation pour acquise et plaide, cette fois, non plus pour prouver son innocence, mais pour une peine alternative à la sentence de mort réclamée par les accusateurs. En 38c, enfin, nouveau changement de thème : "Pour n'avoir pas eu la patience d'attendre un peu [...] vous avez fait mourir Socrate." L'accusé porte un ultime regard sur le procès qui vient de s'achever et en tire les leçons. On comprend que, dans un premier affrontement, l'accusation et la défense visent à déterminer la culpabilité ou l'innocence du prévenu (comme aujourd'hui en France, l'accusation parle d'abord, puis la défense) ; les juges se prononcent une première fois à ce stade ; l'accusé reconnu coupable, un second affrontement cherche à déterminer la peine applicable : à la sentence réclamée par l'accusation, le prévenu répond par une sentence alternative. Une nouvelle fois, les juges se prononcent. A tous points de vue juridiques, la procédure pénale proprement dite s'interrompt à la fin de la page 38b, après ce second vote des juges : les derniers mots de Socrate se présentent comme une péroraison extrajudiciaire. Cette procédure athénienne diffère sensiblement de la procédure pénale applicable aujourd'hui en France ; aussi mérite-t-elle quelques précisions. III. ETUDE DE LA TROISEIME PARTIE ? Point n’avoir pas eu la patience d’attendre un peu de temps, Athéniens, vous allez fournir un prétexte à ceux qui voudront diffamer la Cité ; ils diront que vous avez fait mourir Socrate, cet homme sage ; car pour aggraver votre honte, ils m’appelleront sage, quoique je ne le sois point. Mais si vous aviez attendu encore un peu de temps, la chose serait venue d’elle-même ; car voyez mon âge ; je suis déjà bien avancé dans la vie, et tout près de la mort. Je ne dis pas cela pour vous tous, mais seulement pour ceux qui m’ont condamné à mort ; c’est à ceux-là que je veux m’adresser encore. Peut-être pensez-vous que si j’avais cru devoir tout faire et tout dire pour me sauver, je n’y serais point parvenu, faute de savoir trouver des paroles capables de persuader ? Non, ce ne sont pas les paroles qui m’ont manqué, Athéniens, mais l’impudence : je succombe pour n’avoir, pas voulu vous dire les choses que vous aimez tant à entendre ; pour n’avoir pas voulu me lamenter, pleurer, et descendre à toutes les bassesses auxquelles on vous a accoutumés. Mais le péril où j’étais ne m’a point paru une raison de rien faire qui fût indigne d’un homme libre, et maintenant encore je ne me repens pas de m’être ainsi défendu ; j’aime beaucoup mieux mourir après m’être défendu comme je l’ai fait, que de devoir la vie à une lâche apologie. Ni devant les tribunaux, ni dans les combats, il n’est permis ni à moi ni à aucun autre d’employer toutes sortes de moyens pour éviter la mort. Tout le monde sait qu’à la guerre il serait très facile de sauver sa vie, en jetant ses armes, et en demandant grâce à l’ennemi qui vous presse ; de même, dans tous les dangers, on trouve mille expédients pour éviter la mort, quand on est décidé à tout dire et à tout faire. Eh ! Ce n’est pas là ce qui est difficile, Athéniens, que d’éviter la mort ; mais il l’est beaucoup plus d’éviter de faire le mal ; le mal court plus vite que la mort. C’est pourquoi, vieux et pesant comme je suis, je me suis laissé atteindre par le plus lent des deux ; tandis que le plus agile, le crime, s’est attaché à mes accusateurs, qui ont de la vigueur et de la légèreté. Je m’en vais donc subir la mort à laquelle vous m’avez condamné, et eux l’iniquité et l’infamie à laquelle la vérité les condamne. Pour moi, je m’en tiens à ma peine, et eux à la leur. En effet, peut-être est-ce ainsi que les closes devaient se passer ; et, selon moi, tout est pour le mieux. Après cela, Ô vous qui m’avez condamné voici ce que j’ose vous prédire ; car je suis précisément dans les circonstances où les hommes lisent dans l’avenir, au moment de quitter la vie. Je vous dis donc que si vous me faites périr, vous en serez punis aussitôt après ma mort par une peine bien plus cruelle que celle à laquelle vous me condamnez ; en effet, vous ne me faites mourir que pour vous délivrer de l’importun fardeau de rendre compte de votre vie : mais il vous arrivera tout le contraire, je vous le prédis. Il va s’élever contre vous un bien plus grand nombre de censeurs que je retenais sans que vous vous en aperçussiez ; censeurs d’autant plus difficiles, qu’ils sont plus jeunes, et vous n’en serez que plus irrités ; car si vous pensez qu’en tuant les gens, vous empêcherez qu’on vous reproche de mal vivre, vous vous trompez. Cette manière de se délivrer de ses censeurs n’est ni honnête ni possible : celle qui est en même temps et la plus honnête et la plus facile, c’est, au lieu de fermer la bouche aux autres, de se rendre meilleur soi-même. Voilà ce que j’avais à prédire à ceux qui m’ont condamné : il ne me reste qu’à prendre congé d’eux. Mais pour vous, qui m’avez acquitté par vos suffrages, Athéniens, je m’entretiendrai volontiers avec vous sur ce qui vient de se passer, pendant que les magistrats sont occupés, et qu’on ne me mène pas encore où je dois mourir. Arrêtez-vous donc quelques instants, et employons à causer ensemble le temps qu’on me laisse.Je veux vous raconter, comme à mes amis, une chose qui m’est arrivée aujourd’hui, et vous apprendre ce qu’elle signifie. Oui, juges (et en vous appelant ainsi, je vous donne le nom que vous méritez), il m’est arrivé aujourd’hui quelque chose d’extraordinaire. Cette inspiration prophétique qui n’a cessé de se faire entendre à moi dans tout le cours de ma vie, qui dans les moindres occasions n’a jamais manqué de me détourner de tout ce que j’allais faire de mal, aujourd’hui qu’il m’arrive ce que vous voyez, ce qu’on pourrait prendre, et ce qu’on prend en [40b] effet pour le plus grand de tous les maux, cette voix divine a gardé le silence ; elle ne m’a arrêté ni ce matin quand je suis sorti de ma maison, ni quand je suis venu devant ce tribunal, ni tandis que je parlais, quand j’allais dire quelque chose. Cependant, dans beaucoup d’autres circonstances, elle vint m’interrompre au milieu de mon discours ; mais aujourd’hui elle ne s’est opposée à aucune de mes actions, à aucune de mes paroles : quelle en peut être la cause ? Je vais vous le dire ; c’est que ce qui m’arrive est, selon toute vraisemblance, un bien ; et nous nous trompons sans aucun doute, lorsque nous nous figurons que la mort est un mal. Une preuve évidente pour moi, c’est qu’infailliblement, si j’eusse dû mal faire aujourd’hui, le signe ordinaire m’en eût averti. Voici encore quelques raisons d’espérer que la mort est un bien. Il faut qu’elle soit de deux choses l’une, ou l’anéantissement absolu, et la destruction de toute conscience, ou, comme on le dit, un simple changement, le passage de l’âme d’un lieu dans un autre. Si la mort est la privation de tout sentiment, un sommeil sans aucun songe, quel merveilleux avantage n’est-ce pas que de mourir ? Car, que quelqu’un choisisse une nuit ainsi passée dans un sommeil profond que n’aurait troublé aucun songe, et qu’il compare cette nuit avec toutes les nuits et avec tous les jours qui ont rempli le cours entier de sa vie ; qu’il réfléchisse, et qu’il dise en conscience combien dans sa vie il a eu de jours et de nuits plus heureuses et plus douces que celle-là ; je suis persuadé que non seulement un simple particulier, mais que le grand roi lui-même en trouverait un bien petit nombre, et qu’il serait aisé de les compter. Si la mort est quelque chose de semblable, je dis qu’elle n’est pas un mal ; car la durée tout entière ne paraît plus ainsi qu’une seule nuit. Mais si la mort est un passage de ce séjour dans un autre, et si ce qu’on dit est véritable, que là est le rendez-vous de tous ceux qui ont vécu, quel plus grand bien peut-on imaginer, mes juges ? Car enfin, si en arrivant aux enfers, échappés à ceux qui se prétendent ici-bas des juges, l’on y trouve les vrais juges, ceux qui passent pour y rendre la justice, Minos, Rhadamanthe, Éaque, Triptolème et tous ces autres demi-dieux qui ont été justes pendant leur vie, le voyage serait-il donc si malheureux ? Combien ne donnerait-on pas pour s’entretenir avec Orphée, Musée, Hésiode, Homère ? Quant à moi, si cela est véritable, je veux mourir plusieurs fois. O pour moi surtout l’admirable passe-temps, de me trouver là avec Palamède, Ajax fils de Télamon, et tous ceux, des temps anciens, qui sont morts victimes de condamnations injustes ! Quel agrément de comparer mes aventures avec les leurs ! Mais mon plus grand plaisir serait d’employer ma vie, là comme ici, à interroger et à examiner tous ces personnages, pour distinguer ceux qui sont véritablement sages, et ceux qui croient l’être et ne le sont point. A quel prix ne voudrait-on, pas, mes juges, examiner un peu celui qui mena contre Troie une si nombreuse armée, ou Ulysse ou Sisyphe, et tant d’autres, hommes et femmes, avec lesquels ce serait une félicité inexprimable de converser et de vivre, en les observant et les examinant ? Là du moins on n’est pas condamné à mort pour cela ; car les habitants de cet heureux séjour, entre mille avantages qui mettent leur condition bien au-dessus de la nôtre, jouissent d’une vie immortelle, si du moins ce qu’on en dit est véritable. C’est pourquoi, mes juges, soyez pleins d’espérance dans la mort, et ne pensez qu’à cette vérité, qu’il n’y a aucun mal pour l’homme de bien, ni pendant sa vie ni après sa mort, et que les dieux ne l’abandonnent jamais ; car ce qui m’arrive n’est point l’effet du hasard ; et il est clair pour moi que mourir dès à présent, et être délivré des soucis de la vie, était ce qui me convenait le mieux ; aussi la voix céleste s’est tue aujourd’hui, et je n’ai aucun ressentiment contre mes accusateurs, ni contre ceux qui m’ont condamné, quoique leur intention n’ait pas été de me faire du bien, et qu’ils n’aient cherché qu’à me nuire ; en quoi j’aurais bien quelque raison de me plaindre d’eux. Je ne leur ferai qu’une seule prière. Lorsque mes enfants seront grands, si vous les voyez rechercher les richesses ou toute autre chose plus que la vertu, punissez-les, en les tourmentant comme je vous ai tourmentés ; et, s’ils se croient quelque chose, quoiqu’ils ne soient rien, faites-les rougir de leur insouciance et de leur présomption ; c’est ainsi que je me suis conduit avec vous. Si vous faites cela, moi et mes enfants nous n’aurons qu’à nous louer de votre justice. Mais il est temps que nous nous quittions, moi pour mourir, et vous pour vivre. De mon sort ou du vôtre, lequel est le meilleur? Personne ne le sait, sauf Dieu. » a) Le procès athénien (agôn) : quelques données juridiques "Il n'aurait fallu que trois voix de plus pour que je fusse absous" déclare Socrate au moment où il apprend que les juges l'ont reconnu coupable (36a). Cette traduction paraît extrêmement contestable d'autant qu'elle porte sur un moment capital du procès : les traductions plus récentes (notamment celle de Luc Brisson, chez Garnier-Flammarion) évoquent plutôt trente voix que trois. Trente voix, et Socrate parle d'une "faible majorité" : combien de juges siègent donc dans cette affaire ? Les recherches historiques permettent de retenir le chiffre de cinq cents magistrats (Socrate aurait donc été condamné par deux cent quatre-vingt voix contre deux cent vingt). Qui sont ces juges ? De simples citoyens volontaires, âgés d'au moins trente ans. Leur rémunération s'établit, nous apprend Aristophane dans les Cavaliers, à trois oboles par journée d'audience, soit le salaire d'une demi-journée de travail d'un ouvrier. Cette faible somme ne pouvait convenir qu'à des citoyens âgés, pour qui elle correspondait à une pension de retraite, ou à des jeunes gens désœuvrés ou inaptes au travail. Le coût pour l'administration athénienne n'en est pas moins considérable : ce procès revient à payer une journée de travail à deux cents cinquante ouvriers. On n'aurait pas déployé pas un tel appareil, ni engagé de telles dépenses, pour une affaire secondaire. Très grave, le procès de Socrate intéresse toute la Cité : c'est une affaire d'Etat. Les juges, d'ailleurs, s'engagent sous serment formel à "voter conformément aux lois et aux décrets du peuple athénien" explique Démosthène dans son Contre Timocratie (Socrate fait allusion à ce serment en 35c). Cette gravité manifeste n'empêche cependant pas une procédure menée tambour battant : l'ensemble des débats devait être bouclé dans la journée (Socrate regrette d'ailleurs cette précipitation à de nombreuses reprises, par exemple en 19a, 24a et 37b). Chaque partie doit, du fait de cette brièveté, s'empresser de réfuter les allégations de l'adversaire. Le litige ne peut se résoudre qu’à l’avantage du plaideur capable de produire des preuves rapidement convaincantes - surtout des vraisemblances et des témoins. Pourtant, il convient de le remarquer tout de suite, Socrate recourt bien plus au raisonnement qu'aux simples vraisemblances et surtout, il n’appelle aucun témoin à la barre : il se contente de mentionner des gens qui pourraient déposer en sa faveur (notamment 32e et 34a). Curieux accusé que ce Socrate : il paraît ignorer les ressorts de la procédure, alors qu'il joue sa tête ! Il commence même sa première plaidoirie (17c) en annonçant qu'il n'emploiera pas les "artifices du langage" mais au contraire qu'il utilisera "les termes qui se présenteront [à lui] les premiers" - "des choses dites à l'improviste" traduit Luc Brisson. Dans une affaire d'Etat, une telle légèreté scandalise. b) Les acteurs du procès L'acte d'accusation est soutenu conjointement par trois citoyens, Lycon, Mélétos et Anytos. Des trois, Lycon est le moins connu (et son identification historique prête à controverses). Mélétos, qui a déposé officiellement la plainte, semble avoir été un poète (du moins Socrate l'indique-t-il 24a). La majorité des commentateurs désignent Anytos comme l'instigateur du procès. Démocrate notoire, il avait apporté son soutien à Thrasybule lors de la révolte contre la Tyrannie des Trente en 403 (voir cours n°4, Socrate et la Cité). En 399, Anytos était probablement considéré comme un héros national ; en tous cas, il devait s'agir d'un personnage influent. Quant à Socrate, à soixante-dix ans, il n’a jamais comparu devant un Tribunal (17d), bien que les procès n'aient pas été rares à Athènes. Il s'agit donc d'un citoyen discret, d'un ancien combattant (28d-e) qui ne se mêle pas des affaires publiques (31c). Quel métier exerce-t-il ? Aucun. A quoi passe-t-il donc ses journées ? Il les consacre à "persuader" tout le monde "qu'avant le soin du corps et des richesses, avant tout autre soin, est celui de l'âme et de son perfectionnement." (30a-b). Aussi s'emploie-t-il à examiner avec d'autres citoyens des notions morales : une de ces discussions est ainsi rapportée par Platon dans un dialogue, le Lâchés, lequel voit Socrate aux prises avec le célèbre général athénien Lâchés. Lors de cette discussion, les protagonistes tentent de définir le courage. Lâchés, pourtant bien placé pour savoir ce que désigne ce mot, propose plusieurs définitions successives qui, toutes, sont détruites par les questions de Socrate et les distinctions conceptuelles qu'elles entraînent. Le dialogue s'achève sur un échec : les interlocuteurs se quittent sans avoir réussi à apporter une définition satisfaisante. Les arguments du vieillard frappent l’entourage ; mais, bien conscient de la charge subversive de ses débats (prouver à un général qu'il ignore ce que signifie le mot "courage" paraît assez inconvenant), Socrate, prudent, n’a jamais rien écrit. On ne le connaît que par l’intermédiaire d'une comédie d’Aristophane (Les Nuées), et par les travaux de deux de ses élèves : Xénophon (dans les Mémorables) et surtout Platon. Dans la mesure où ce fidèle disciple tient la plume, on peut interroger l'impartialité du rapport d'audience présenté dans l'Apologie de Socrate. c) La mort de socrate DEPUIS deux mille cinq cents ans Socrate est resté pour nous ce qu'il était pour ses contemporains : l'homme des contrastes. Il est l'avocat du pur entendement, mais aussi le messager de l'Erôs ; le philosophe critique, mais aussi l'homme guidé par des avertissements lumineux ; le porte-parole d'une morale pratique, mais aussi le visionnaire qui se sent rattaché aux essences éternelles. Son procès ajoute à son ambiguïté ou plutôt y met le sceau. Condamné pour impiété, c'est-à-dire pour introduire des nouveautés dans la religion et la cité, il était profondément religieux et parfait citoyen, soumis plus qu'aucun autre aux rites et aux lois. A l'heure où la raison ébranle les anciennes règles, son propos tend plutôt à retourner d'une certaine manière le rationalisme contre lui-même pour le mettre au service de la tradition. Mais ses juges n'ont su comprendre cet étonnant paradoxe. Sans doute parce que, au delà des affirmations et des négations qui opposent les hommes, Socrate a découvert une source plus originaire, la pensée interrogative ou dubitative, une certaine synthèse ou plutôt unité de la pensée interrogative et de la pensée dubitative. Et cette attitude, qui fait du doute une interrogation continue, il la maintint jusqu'au bout, capable de fixer la mort et de lui parler face à face. Quatre dialogues platoniciens se rapportent, en partie ou en totalité, au procès de Socrate et à sa mort : l'Euthyphron, l'Apologie, le Criton et le Phédon - les trois premiers de la jeunesse de Platon et le quatrième de sa maturité. Romano Guardini vient de leur consacrer un volume : la Mort de Socrate (1). Ce qu'il nous propose n'est point une étude sur Socrate, mais une rencontre avec lui. Aussi pas de recherche savante ou d'analyse approfondie : simplement une sorte de lecture guidée et accessible à tous. Guardini suit le texte de Platon et le cite longuement, se contentant d'y intercaler des commentaires, destinés à élucider et relier les résultats atteints. Rien de tel certes que l'admirable étude de Guéroult, il y a une trentaine d'années, sur la dialectique des preuves de l'immortalité de l'âme dans le Phédon. Mais le choix intelligent des citations et les éclaircissements méthodiques de l'auteur font apparaître en plein relief la figure même de Socrate. CONCLUSION Sans doute peut-on voir en Socrate est-il un homme rusé, pour ne pas dire retors, qui abuse les juges d’Athènes, et en fait les instruments de son propre sacrifice. Mais ces critiques ne sont pas pertinentes si l’on comprend l’enseignement de Socrate. La justice est la valeur suprême qui peut justifier le sacrifice de notre propre vie. Seule la recherche de la justice constitue une vie acceptable. Aucune autre occupation ne présente un intérêt théorique ou pratique plus pressant, plus immédiat ni plus évident. Socrate ne peut pas changer de conduite, même sous la menace de la mort. Voilà comme un terrible avertissement : souvent, au bout de la route du juste, se dresse un échafaud ou une coupe de ciguë, un peloton d’exécution ou une guillotine. Ainsi l’enseignement de Socrate est de nous montrer que la loi n’est pas nécessairement la justice et que c’est le rôle du philosophe que de démontrer aux hommes de son temps cette différence. Si on peut dire sans exagération que l’Apologie de Socrate constitue l’œuvre inaugurale de la philosophie occidentale et qu’en lisant ce texte, les philosophes ou les apprentis philosophes remontent à la source originelle de leur discipline, c’est qu’avec elle, commence le chemin compliqué du rapport de la loi à la libre pensée et la réflexion sur la distance qui existe entre le légal et le légitime. En mourant Socrate témoignait de ses convictions et de la valeur de son témoignage… Si l’on en croit Platon, il fallait que Socrate meure pour que vive la philosophie…